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LE FORT, Victor (18..-19..) : La Bonne Goutte(1914). Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.I.2015) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados,8ème ANNÉE / N°2 - février 1914. La Bonne Goutte par V. Le Fort ~*~HÉ ! tout de même, qu'on n'aillepas, parce que nous avons choisi ce titre pour vous parler du Calvados, nous taxer d'un amour excessif pour la dive bouteille fût-elleremplie de ce cordial exquis, âme odorante de la pomme. L'excès en tout est un défaut et nul plus que nousne déplore la plaie fatale de l'alcoolisme, créateur de misères, tueurd'énergies et d'intelligences, appauvrisseur de la race. Pourtant, quoiqu'en prétendent d'exclusifs tempérants, il n'est pas sicertain qu'une dose légère d'alcool sain et exempt de produits nocifsne soit pas un stimulant agréable et bienfaisant. Loin de nous la pensée de rouvrir le débat de l'alcool poison et del'alcool aliment. Notons seulement qu'en certaines cliniques, encertains hôpitaux, des praticiens admettent l'alcool comme adjuvant deleur thérapeutique et l'administrent volontiers en des casdéterminés sous forme de grogs fréquents et corsés. Comment ce qui est profitable à l'économie d'un convalescent,pourrait-il être, en de justes proportions, nuisible à l'organismed'un homme vigoureux, travaillant au grand air et soumis par suite àune grande dépense musculaire. Il y a bien, à la vérité, l'exemple des athlètes, des championscyclistes, des sportsmen de tout ordre qui proscrivent soigneusementl'alcool de leur régime. La suralimentation à laquelle ils sont soumis — chacun saitquelle consommation pour ainsi dire incessante de lait, d'oeufs, dechocolat, font les coureurs durant leurs randonnées — leur rend sonusage sinon dangereux, du moins absolument inutile. D'ailleurs, le côté ascétique et surhumain de leur effort ne supporteaucune comparaison avec la douillette vie bourgeoise, ni même avec lelabeur régulier de l'ouvrier et de l'employé. L'oeuvre néfaste de l'alcool, vient avec son excès, de sa mauvaisequalité. Pour le gourmet et non pour l'ivrogne, il n'y a, en fait de spiritueux, rien de supérieur à de saines eaux-de-vienaturelles produit de la fermentation et de la distillation des vins oudes cidres. Louis XIV qui devait s'y connaître, ou qui avait au moins tous lesmoyens de se documenter sur la question, défendit par déclaration endate du 24 janvier 1713, de « distiller aucunes eaux-de-vie de sirops,mélasses, grains, lies, bières, marc de raisin, hydromel », et nepermit que la seule distillation du vin et du cidre. La loi des 14 janvier 1875 et 27 février 1906, en ce moment l'objet detant d'attaques intéressées, a rendu à ces excellents produits du solde France un hommage implicite en spécifiant que les propriétaires distillant les marcs, vins, cidres etpoirés, provenant exclusivement de leurs récoltes seront dispensés detoute déclaration préalable et affranchis de l'exercice. Le législateur n'a pas parlé évidemment de ceux qui récoltent de labetterave, des carottes, du froment, du seigle, de l'orge, du maïs oude la pomme de terre, toutes choses cependant avec lesquelles onfabrique couramment de l'alcool industriel, père de toutes lesmixtures et de toutes les eaux-de-vie et liqueurs « fantaisie ». La pomme de terre notamment, offre avec son bas prix et sa richeteneur en amidon - 16 à 22 %— une exploitation lucrative et facile: le trois-six qu'elle produit entre pour une large part dans lechiffre d'un million et quelques cent mille hectolitres quireprésente la production de l'alcool en France. Avec une célébrité égale aux Fines Champagnes et aux Armagnacs lesplus réputés infiniment supérieur à tous les kirsch, genièvre, skidam,etc., l'esprit du bon cidre Normand s'est répandu par le monde sous lenom de sa vraie patrie d'origine, le Calvados. L'an dernier, la récolte miraculeuse des pommes succédant à une autreannée d'abondance a rempli les foudres, les tonnes et les moindresfutailles. Tous les celliers regorgent, il n'est point si petite maison qui n'aifait à bon compte sa provision pour l'année. Letemps malgré les bolées de « flipp » n'incite guère à vider les pots,et ce n'est pas demain qu'il faudra ajouter les baissières auxchantiers. Pourtant les pressoirs aux meules de granit tournent encore, et enbeaucoup d'endroits, les greniers fleurent bon l'odeur des dernièrespommes non encore brassées. Toutes les chaudières du Pays d'Auge sesont donc allumées. Un mince panache de fumée bleue flotte au-dessusdes bouilleries ; dans les clos, l'installation du bouilleur ambulantfait éclater le ton chaud de ses cuivres au pâle Soleil d'hiver. Quand douze à treize tonneaux de bon cidre auront passé dans lachaudière, un de ces tonneaux sera plein d'eau-de-vie et on aura de laplace dans les autres, pour loger le cidre nouveau. S'il vous plaît, nous irons faire un tour à l'une de ces bouilleries,celle, par exemple, de M. Beaumont, maire de Saint-Jacques, l'une desplus grandes communes du département et la première paroisse du diocèse. M. Beaumont. qui est un agriculteur éclairé, a reçu récemment lacravate de commandeur du Mérite Agricole. Il récolte tant sur sespropriétés de Mesnil Eudes que sur sa grande ferme de Saint-Jacques, enmoyenne année, de quoi faire environ 200.000 litres de cidre. Dans ses clos qui s'étagent sur l'un des versants de la riche vallée dela Touques, face à la trouée merveilleuse qui s'ouvre versPont-l'Evêque et Trouville, de pittoresques constructions, où lapierre, la brique et le galandage unissent leurs appareils, fontvis-à-vis aux chateaux des Mathurins, de Combray et de laMonteillerie.Il y a là des pressoirs et des caves sur lesquels desgreniers à escalier et à galerie extérieurs semblent un décor tout prêtpour la scène du balcon ; la maison du gardien a des allures degentilhommière avec ses derniers étages de bois et de caillebottis enencorbellement. Tout autour, les pommiers innombrables pressent leursbranches fines à l'infini, et s'élancent en bataillons serrés àl'assaut des pentes. A proximité d'un groupe de caves un petit bâtiment contient l'une desbouilleries. Sous les chaudières enchassées dans l'argile du foyerpétille le feu clair des sarments et les racines des pommiers morts,généreux jusqu'au bout. Le cidre apporté dans des tonnelets est déverséde l'extérieur dans un récipient hermétique en cuivre, le chauffe-vin,imaginé par Argant au commencement du XVIIIe siècle. Ce récipient quiest de même contenance que le premier alambic, recèle un serpentin danslequel circulent les vapeurs alcooliques émises par la chaudière, avantde se rendre dans la cuve de réfrigération placée au dehors sous unappentis. Cette circulation a un double but, de commencer lerefroidissement des vapeurs et d'uti liser leur chaleur pour attiédirle liquide à distiller qui ne demandera plus qu'un temps de chauffetrès réduit, économie de temps et d'argent. Chaque chaudière contient 225 litres. Cette quantité de cidre pur.donnera en première opération une quarantaine de litres de « petite eau», c'est-à-dire un mélange d'eau distillée et d'alcool pesant àl'alcoomètre de 15 à 16°. Cette petite eau reprise dans le secondalambic donne pour 200 litres 50 litres d'eau-de-vie pesant 66 à 67°. Opération très simple comme il paraît, et d'un automatisme rendu plusabsolu par la création d'appareils perfectionnés qui sont censés donnerun produit parfait au premier jet. Eh bien. ce n'est pas si simple que cela et l'on va voir que comme en beaucoup d'autres choses trompeuses, il y a la manière. Le cidre ne contient pas que de l'eau et de l'alcool. Sa fermentation àdonné naissance à différents produits qui à la distillation s'évaporentsoit avant soit après eux et qu'on dénomme pour cette raison impuretés de tête et impuretés de queue. Les premières comprennent les aldehydes les éthers et les alcalis, qui,extrêmement volatils se présentent d'abord. En fin de distillation, onrecueillera, sans que rien ne l'indique, des alcools propyliques,amyliques, butyliques, etc... qui sont de véritables poisons. Si l'onn'y prend garde et surtout si l'on ne fait qu'une seule opération, toutcela est condensé en même temps que l'eau-de-vie, si bien quefinalement, on se trouve en possession d'un Calvadosauthentique, fait avec du pur jus de pomme, mais qui n'en est pas moinsdétestable, et par son goût, et par les produits nocifs qu'il contient. Les bouilleurs expérimentés savent parer à ces graves inconvénients enmettant soigneusement de côté les premiers litres de « petite eau » eten arrêtant la chauffe avant que les esprits les moins volatils aientpu s'évaporer. Pour terminer ce court aperçu sur le « Calvados »rappelons un procédé très simple et très pratique qui permet dedéterminer avec exactitude la teneur alcoolique d'un cidre quelconque.Il a été imaginé par M. Hie, l'honorable adjoint au maire deSt-Pierre-sur-Dives, qui est en même temps un pharmacien-chimisteémérite. On fait bouillir un demi litre ou plus du cidre à éprouverpendant un quart d'heure afin d'en évaporer tout l'alcool : on setrouve donc en possession d'un liquide contenant de l'eau, des matièressucrées, mucilagineuses, salines, terreuses, pectiques, etc, mais nerecélant plus d'alcool. Si l'on remplit de ce liquide une éprouvette etqu'on y plonge un alcoomètre, celui-ci donnera une indicationquelconque inférieure à 0°. On coiffera alors le tube d'un petit cornetde papier qu'on rognera sur son pourtour jusqu'à ce que le 0° del'échelle affleure le liquide. On aura ainsi un instrument taré sur unliquide contenant 0 alcool. Si l'on jette le cidre bouilli et qu'on leremplace par du cidre frais tiré, les mêmes constituants s'ytrouveront, plus l'alcool dont le pèse-liqueur indiquera la quantité. |