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Madame est servie..... :Etes-vous navrées de la banalité des menus modernes ? Voici, Mesdames,des recettes du temps de Louis XV (1913). Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (28.I.2015) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados,7ème ANNÉE / N°8 - Août 1913. Madame est servie..... Etes-vous navrées de la banalité des menus modernes ? Voici, Mesdames, des recettes du temps de Louis XV. ![]() ~*~ Il n’est pas sans quelque témérité de nos jours où l'art, la musique,les sports et la littérature ont accoutumé de faire élégamment lesfrais des conversations féminines, de remettre sur le tapis précisémentà l'intention des petites Madames qui lisent La Revue Illustrée du Calvados, etqui font par là même preuve d'un goût cultivé et averti, la prosaïquequestion de la cuisine. C'est un sujet d'entretien bien délaissé, bien Louis-Philippe, qu'on asoigneusement banni des salons même provinciaux et relégué à la cuisineavec le parfum trop bourgeois du pot-au-feu et les sauces. Le bas bleu a beaucoup nui ces dernières années au cordon bleu. C'est un tort : l'inépuisable Sagesse des Nations assure que la joievient du ventre et qu'un ventre affamé ne saurait rien entendre. ![]() Savoir manger est un art, savoir préparer à manger en est un autre, etcelui-ci a toujours été éminemment français. L'ombre de Vatel demeurepropice à nos chefs parisiens que souverains étrangers et milliardairesde la Libre Amérique se disputent à prix d'or. Avant que de dévoiler aux maîtresses de maison quelques-uns des secretsculinaires qui furent ceux du temps où vécut le Cuisinier-Martyr etpour les initier sommairement aux traditions gastronomiques nous nesaurions résister à la tentation de leur décrire le menu qui fut servile jour de la Saint-Jean 1425, en l'hôtel Saint-Cande, de Rouen, hôtelappartenant aux évêques de Lisieux et où mourut Pierre Cauchon. Ce repas fut offert précisément par son prédécesseur, Zanon deCastiglione, trente-huitième évêque de Lisieux, à l'occasion de laprestation du serment d'obéissance qu'il devait au métropolitain deRouen comme évêque suffrageant de Normandie. A ce festin d'usage,assistèrent l'archevêque, les évêques de Lisieux et de Bayeux, leChapitre de la Cathédrale, tous les dignitaires de l'archevêché et del'official, plus quelques laïcs de distinction. Ce ne fut pas une mince affaire de loger tout ce monde et des tablesdurent être dressées un peu partout. Devant l'archevêque de Rouen furent servis deux plats couverts dontl'un contenait des cerises et l'autre trois petits pâtés de veau ; onversa dans les verres du vin blanc ; deux platse succédèrent : devenaison avec une sauce noire et un chapon gras à la sauce blanche ;sur le chapon étaient semées des amandes et des dragées. A chaque service on versait d'autre vin toujours meilleur et enabondance. A la table d'honneur, dirions-nous aujourd'hui, les viandesrôties se composèrent d'un cochon, deux pluviers, un héron, la moitiéd'un chevreuil, quatre poulets, quatre jeunes pigeons et un lapin. Dans chaque plat servi pour deux chanoines, il y avait — seulement — unpluvier, un cochon de lait, un butor, une pièce de veau, une pièce dechevreuil, un lapin, deux poulets, deux pigeonneaux avec des platshonnestes de gelée. En grande cérémonie on apporta ensuite quatre paons rôtis dont on avaiteu soin de conserver les queues resplendissantes de leurs richescouleurs. De la venaison de sanglier en quantité et des gâteaux de froment pétrisavec du lait d'amande précédèrent les fromages, les tartes et lesfruits. Après les grâces qui furent dites par l'Archevêque dans la salle dufestin, furent apportées finalement des confitures et des épices dansdes drageoirs d'argent. C'est ce qu'on appelait alors la collation. * * * Les recettes concernant la table, en usage pendant le Grand Siècle etsous Louis le Bien-Aimé, démontrent que l'habitude de bien vivre nes'était pas perdue. Un manuel contemporain de Vatel et qui futréimprimé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle porte cet avis ducenseur royal, Philippe de Pretot : « Je crois que cetteréimpression pourra être agréable même aux modernes Apicius et suffireà la délicatesse des citoyens opulents. » Nous le croyons encore. Voicien effet au hasard, le menu d'un déjeuner d'été : TABLE DE DOUZE COUVERTS A DINER, SERVIE A SEPT Une pièce de bœuf pour le milieu Deux Potages 1 garni de concombres, 1 de croûtes au coulis de pois verts Quatre Hors-d’œuvre 1 de pieds de mouton en fricassée de poulets, 1 de noix de veau en caisses, 1 de petits pâtés, 1 d'un melon SECOND SERVICE Six entrées pour relever les deux potages et les quatre hors-d'œuvre 1 d'un gigot de mouton à l'eau, 1 d'un quasi de veau à la crème, 1 d'un caneton aux petits pois, 1 de pigeons auxfines herbes, 1 de deux poulets aux petits oignons blancs, 1 de filets de lapereaux aux concombres TROISIÈME SERVICE 1 entremets froid pour le milieu d'une grosse brioche Quatre plats de Rôts, deux Salades 1 d'un dindonneau, 1 d'une poularde, 1 de qua tre perdreaux, 1 de sixpigeons bardés en cailles, 2 salades d'herbe QUATRIÈME SERVICE Six entremets pour relever les quatre plats de rôt et les deux salades 1 de tartelettes d'abricots, 1 d'œufs brouillés à la coque, 1 de beignets de feuilles de vigne, 1 de petites timbales de biscuits, 1 de petites fèves de marais à la crème, 1 d'artichauts à la sauce au beurre CINQUIÈME SERVICE Dessert 1 jatte de fruits cruds pour le milieu Quatre compotes 1 de pêches, 1 de prunes ,1 de poires, 1 de verjus, 4 assiettes de glaces à la crème ou 2 de cerneaux, 1 de fromage à lacrème,1 d'échaudés * * * Au souper, souper modeste mais qui ne comporte pas moins cependantd'une douzaine de plats, vous auriez eu, madame, à offrir à vosconvives une queue de bœuf en matelote, qui aurait pu être tout aussibien en hochepot, à la braise ou à la Saint-Menehould. Un plat d'yeuxde veau au salpicon, une cervelle de veau au soleil, des oreilles deveau à la Tartare ou au fromage, un riz de veau à la pluche verten'eussent pas été non plus méprisables ; pour le gigot de mouton, vousauriez pu au choix l'accommoder à la poêle, à la Gênoise, à l'eau, àl'Anglaise, aux choux fleurs, aux cornichons, à la servante, engrenadin, à la Martine, à la Régence, à la Royale, à la Mailly, à laSultane, à la Périgord, aux légumes glacés, ou à la persillade. Lepoulet ? Vous aviez à choisir entre le poulet à la Bourdois, aux œufs,à la Reine, à la Barbarine, sans fard, au fromage, à l'estragon, à lajardinière, au cerfeuil, au réveil, au verjus de grain, au basilic,poulet mariné, poulet en pain et bien d'autres. Le reste, madame, en cet heureux temps d'estomacs solides, était àl'avenant, metteur d'eau à la bouche et extraordinairement varié. Nousn'en étions pas encore au règne des Grandes-Sources d'une part et à lacuisine futuriste de l'autre. Cela n'empêchait pas nos aïeules de fairepoétiquement des confitures de violette et des conserves de roses dontelles se pourléchaient les doigts en chattes gourmandes qu'ont été,sont, et seront toujours, peu ou prou, les femmes. LA REVUE ILLUSTRÉE DUCALVADOS, publiera chaque mois, en chronique, quelques unes de cesrecettes pour la plupart perdues, sous le titre « Cuisine ancienne » |