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WARCOLLIER, Georges(18..-19..): Le Cidre(1926). Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (01 juin 2013) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: Norm GF) de La Normandie Illustrée: revue de tourisme et d'art, n°2 mai 1926. Le Cidre par Georges Warcollier _____ Le nom de M. Warcollier, directeur de la Station Pomologique de Caendepuis sa création en 1901, fait autorité en matière de travaux cidricoles. Ses qualités d’ingénieur-agronome,ancien préparateur de l’Institut Pasteur de Paris, ses fonctions de vice-président de l’Association Française Pomologique,les nombreux travaux publiés dont son traité classique Pomologie et Cidrerie, le désignaient pour nous exposer laquestion du cidre. Nous sommes heureux de présenter cet article à nos lecteurs. La Normandie semble être la terre de prédilection du pommier à cidrequi s’y plaît, notamment à cause des situations abritées, coteaux peuélevés, vallées peu profondes, et de l’atmosphère humide et parfoisbrumeuse. Le pommier y couvre de ses ramures la plupart des herbages où il estassocié parfois au poirier ; on le rencontre moins souvent dans lesterres labourées. Il constitue la plus belle parure de nos régionsherbagères et une de leurs plus grandes sources de richesse. On peut dire que chaque région naturelle de Normandie (nous entendonspar là les régions nettement différentes au point de vue géologique)donne un cidre de caractère spécial. Il faut voir là l’influence, à lafois, des variétés de pommes et du milieu, c’est-à-dire les actionscombinées du fruit, du sol, du climat, de l’exposition, des vents, durégime des pluies, etc. Il ne faut pas nous plaindre d’une telle diversité ; il faut voir là,au contraire, un moyen de contenter les goûts si divers desconsommateurs, et de faciliter la vente. N’est-ce pas une grande supériorité que d’avoir à la fois des cidrescorsés, à haut degré alcoolique pour le coupage ; des cidres seclarifiant bien pour la bouteille et se conservant longtemps ;d’autres, légers, parfumés, colorés, avec une amertume plus ou moinsprononcée ; d’autres enfin, permettant d’obtenir ces eaux-de-vie decidre, dont la réputation n’est plus à faire ? N’est-ce pas le moyen de pouvoir alimenter d’une part, des pays deconsommation très divers, en leur donnant les cidres qu’ils préfèrent,et d’autre part, les grandes villes et les stations balnéaires, en leurfournissant les cidres doux, colorés, légèrement mousseux, bouquetés etparfumés, qu’elles recherchent ? * * * Le cidre bien préparé, conservé dans de bonnes conditions, constitueune boisson excellente, agréable, rafraîchissante, tonique, nutritive,riche en vitamines, et des plus salubres. D’après Hauchecorne, c’est de toutes les boissons fermentées, la plusdésaltérante et la plus hygiénique à consommer pendant les chaleurs del’été. Le docteur Denis Dumont a montré que le cidre bien fabriqué est lepréservatif et, jusqu’à un certain point, le remède pour toute unesérie de maladies de même nature : la pierre, la gravelle, la goutte,les coliques hépatiques et néphrétiques. Par son acide malique, lecidre est un diurétique puissant, qui active les fonctions des reins ets’oppose à l’accumulation de l’acide urique et à la formation desconcrétions phosphatées. Le bon cidre plaît à tous les consommateurs. Il plaît à cause de sacouleur ambrée ou rutilante, à cause de sa transparence allant parfoisjusqu’à la limpidité parfaite. On l’aime parce qu’il pétille dans leverre et flatte l’odorat par son parfum délicat et pénétrant. Le bon cidre permet de satisfaire tous les goûts et tous les caprices. La meilleure façon de tirer parti de nos récoltes de pommes normandesest de chercher à augmenter la consommation des cidres en France et àl’étranger, et il n’y a qu’un seul moyen d’y arriver, c’est de faire debon cidre. Il faut que le cidre devienne véritablement un produit commercial,c’est-à-dire qu’il soit de qualité régulière, de conservation assurée,de transport facile, et soit présenté au goût du consommateur. Il faut faire disparaître du marché les nombreux cidres acétiques qu’ony trouve en trop grand nombre. Il faut s’organiser pour que partout, et principalement dans les hôtelset restaurants de Normandie, on trouve toute l’année un cidre quiplaise, dont on puisse faire son alimentation journalière avec plaisiret profit. Comment arriver à ce résultat ? En faisant passer dans la pratique lestechniques qui ont été mises au point par les laboratoires derecherches. La fabrication du cidre à la ferme ou fabrication paysanne doit êtregrandement améliorée ; son matériel devra être modernisé et on devraparfaire l’éducation professionnelle des agriculteurs. La cidrerie industrielle doit laisser largement entrer la science chezelle ; étant devenue une véritable industrie de fermentation, elle doitposséder un personnel technique spécialisé et compétent, capabled’appliquer correctement les procédés à mettre en œuvre. Elle doit s’attacher tout particulièrement à fabriquer les cidreslimpides, réclamés par la majorité des consommateurs ; elle doit doncspécialement se familiariser avec les méthodes de filtration et derefroidissement artificiel qui jouent un si grand rôle en brasserie. Ungrand effort est déjà entrepris dans cette voie ; le cidre bock a faitson apparition ; il pourra prochainement concurrencer la bière dans lesestaminets et les cafés, si l’on veille à ne gazéifier que des cidresde choix, c’est-à-dire bien sélectionnés. Pour qu’une industrie soit prospère, il ne lui suffit pas de bienfabriquer, de présenter de bons produits, il faut encore qu’elle puisseles vendre, qu’elle se crée des débouchés, et pour cela qu’elle soitsecondée par un régime de transports favorable. Le régime actuel tend malheureusement à paralyser les efforts de lacidrerie ; heureusement que nos fabricants normands ont la chanced’avoir à leur portée, justement pendant les mois d’été, la clientèlede nos nombreuses plages, clientèle qui aime le bon cidre et le réclame. Faisons donc une propagande sérieuse pour qu’au pays normand, letouriste ne soit plus sollicité par l’hôtelier à boire soit du vin, soide la bière, soit de l’eau minérale. Hôteliers et restaurateurs, offrez à vos clients du bon cidre, surtoutavant tout autre breuvage ; offrez-le d’abord. Pour arriver à la diffusion complète du cidre, il nous faudra créer unesolidarité complète entre producteurs et consommateurs, la défensecommune de leurs intérêts légitimes, l’établissement de mesures propresà assurer l’éducation des détaillants en ce qui touche la conservationet l’écoulement du cidre. Nous verrions avec grand plaisir, dans cettedirection, l’attribution par des Associations touristiques derécompenses destinées aux établissements où l’on boit du bon cidre. Grâce aux efforts réunis de la cidrerie industrielle et de lafabrication paysanne, au concours apporté par les hôteliers etrestaurateurs, tous unis dans une même pensée pour la mise en valeur denos cidres, nous pourrons élargir convenablement les débouchés de notreboisson normande, et lui donner la place qu’elle mérite légitimementsur toutes les tables. Mais comme je le disais plus haut, nous n’yarriverons qu’en nous attachant à ne fabriquer et à ne vendre que debons cidres. L’étranger, le touriste qui passeront, seront sûrs alors, enfranchissant le seuil de l’hôtel et de l’auberge, d’y trouverl’excellent breuvage qu’ils recherchent et dont ils se plairont ensuiteà faire connaître au loin l’agrément et les vertus. G. WARCOLLIER. |