Aller au contenu principal
Corps
THAURIN,Jacques Michel (18..-18..) : L’artillerieau Moyen-Age, les canons normands du musée des antiquités de Rouen .- Rouen : Impr. de D. Brière, 1857.-8 p. ; 21,5 cm.

Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectroniquede la Médiathèque André Malraux deLisieux (18.III.2011)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (BmLx : Ms 118-7)

L’artillerieau Moyen-Age
Les canons normands du musée des antiquités de Rouen,
Origine de la poudre à tirer et de l'artillerie
par

J.-M. Thaurin


Canons normands

Extrait du Journal de Rouen
15 Juillet 1857


Notre Musée départemental des antiquités vient d’être enrichi, par lessoins de son habile Conservateur, de deux des plus curieux et des plusanciens canons qui soient connus jusqu’à ce jour en Europe.

Ces deux jolies pièces faisaient autrefois partie de l’artillerie duvieux château-fort de la petite ville normande de Lisieux, d’où ellesont été apportées à Rouen pour être soumises à M. A. Pottier, qui s’estempressé d’en faire l’acquisition pour notre collection départementale.

Les deux jolis canons dont nous parlons sont en fer forgé et d’uneconstruction très remarquable ; on peut affirmer que leur fabricationdate des dernières années du quatorzième siècle ou des premières duquinzième. Ils tiennent donc le milieu, pour l’ancienneté, entre lagrosse pièce d’artillerie cerclée trouvée dans les environs deHonfleur, une autre pièce plus petite du même genre, d’origineinconnue, le canon-pierrier du château de Tancarville, qui se trouventaussi dans le musée de Rouen, et un autre pierrier semblable audernier, mais beaucoup plus complet et plus beau, appartenant à M.Locquet-Pinchon, quincaillier, rue Beauvoisine.

Autant qu’on peut le reconnaître par un examen attentif, le tube dechacun des deux canons de Lisieux est formé par une forte tôle de ferroulée plusieurs fois sur elle-même et soigneusement soudée à la forge,de manière à donner des parois circulaires de 12 millimètres environd’épaisseur uniforme à l’orifice de chaque bouche à feu, qui présenteun diamètre de 13 centimètres. Quant à la partie inférieure du tube,l’épaisseur de ses parois est de beaucoup plus considérable ; car, avecun diamètre extérieur presque égal à celui de l’extrémité opposée, lediamètre intérieur de sa cavité circulaire se trouve réduit à environ 6centimètres.

Il résulte de ce mode tout particulier de construction que la cavitédes deux petits canons, qui va s’élargissant très sensiblement en formed’entonnoir allongé, de la culasse à l’orifice supérieur, les faitressembler, sous ce rapport, aux espingoles espagnoles, dont la portéen’est jamais très considérable, parce que, le coup faisant éventail,les projectiles qu’on y introduit en assez grande quantité se trouventdisséminés, au sortir du canon, sur une grande surface. Cetinconvénient, qui ne tarda pas à être remarqué tant par les forgerons,auteurs des premières bouches à feu, que par les artilleurs qui s’enservaient , fit bientôt, ainsi que nous le verrons plus loin,abandonner ce système défectueux de fabrication.

Des canons faits, ainsi que nous le disions tout-à-l’heure, d’unefeuille de forte tôle roulée et soudée, même très solidement, pouvaientn’être pas capables de résister toujours, sans danger pour lesartilleurs, à l’effort considérable résultant de la production des gazet de leur dilation excessive au moment de l’inflammation de la poudre; aussi, pour obvier à ce grave inconvénient, les forgerons dumoyen-âge, en fabriquant les pièces d’artillerie dont nous parlons,ont-ils pris la précaution de les consolider, de place en place, en lesreliant d’un double cercle de fer dont la saillie est de 25millimètres. La largeur du premier cercle appliqué immédiatement sur letube du canon équivaut à trois fois celle du cercle qui l’embrasse aucentre de sa surface ; mais, par contre, l’épaisseur de ce secondcercle est double, au moins, de celle du premier.

Nous devons ajouter que cette précaution ne fut pas toujours suffisantepour prévenir les accidents nombreux auxquels donna lieu l’usage desarmes à feu dans les premiers temps, et que l’histoire a conservé lamémoire de bien fâcheux désastres occasionnés par des explosionsterribles de canons anciens, construits par des hommes qui necomprenaient pas suffisamment la puissance de la poudre à tirer.

La longueur totale de chacun des canons qui viennent d’être acquis parnotre musée est de 68 centimètres, depuis leur orifice jusqu’à la baseextérieure de la culasse, qui porte un appendice en forme de queue,terminé par un globule de fer et recourbé comme le serait la crossed’un pistolet vue renversée. Cette queue, qui servait à la direction dela pièce, mesure 22 centimètres de longueur à partir du centre de laculasse, où elle prend naissance, jusqu’au milieu de la courbure qui enforme la terminaison.

Ces canons des premiers temps de l’artillerie diffèrent surtout desnôtres par cette particularité, que l’on a essayé dernièrement encorede donner comme une invention des plus nouvelles, qu’ils se chargeaienttrès simplement et avec toute la solidité désirable par la culasse. Enavant de ce que l’on peut appeler la fausse culasse, du centre delaquelle part la queue recourbée dont nous parlions tout-à-l’heure, onremarque, en effet, une chambre ouverte à la partie antérieure du corpsde la pièce. Cette ouverture, qui a 22 centimètres environ de longueur,sur une largeur de 12 centimètres à sa partie supérieure et de 15centimètres ½ à la base, servait à introduire une gargousse en ferforgé, de forme cylindrique, dans laquelle on avait déposé la quantitéde poudre nécessaire à la charge du canon (1). Chacune de cesgargousses tubulaires était munie d’une anse longitudinale située à sapartie antérieure, afin d’en faciliter l’usage ; une lumière étaitouverte à la base de cette anse par où l’on mettait le feu ; enfin, lefort culot de fer plein qui terminait ces tubes de charge étaittraversé par une large mortaise horizontale qui correspondaitprécisément, quand la gargousse était couchée, dans la chambre ducanon, avec deux autres mortaises de même dimension, ouvertes aux bordssupérieurs de cette chambre, près de la fausse culasse de la pièce.Avant de pointer le canon et d’y mettre le feu, le canonnierintroduisait dans ces trois mortaises une forte clavette de fer, pluslarge à son extrémité inférieure qu’elle ne l’était à la pointe qui enoccupait toute la capacité. Cette clavette, qui traversait les deuxparois latérales de la chambre du canon, en passant à travers le massifde fer terminal de la gargousse, maintenait cette dernière solidementfixée dans la chambre foudroyante, d’où elle ne pouvait s’échapper parl’effort puissant produit au moment de la détonation.

Les deux petits canons lexoviens présentent encore une particularitédes plus intéressantes et que nous n’avons pas eu l’occasion d’observersur aucun autre de la même époque. Sur le bord supérieur et transversalde leur fausse culasse, où venait s’appuyer la base de la gargousse decharge, le faber normand, auteur de ces pièces d’artillerie, y a gravéet poinçonné un curieux monogramme dont l’étendue embrasse, à peu près,toute celle du listel creux où il se trouve. Ce monogramme remarquablese compose, à la base, d’un A et d’un V majuscules, conjugués de tellesorte que la pointe inférieure du V descend aux deux tiers environ dela hauteur du vide intérieur de l’A ; de la pointe supérieure de cettedernière lettre part la branche verticale d’une croix, au-dessus ducroisillon de laquelle s’élance une autre branche également verticale,qui porte elle-même un second croisillon terminé, au côté gauche, parune autre petite branche verticale d’une longueur égale à la sienne etqui porte, à chacune de ses extrémités, un globule assez gros, impriméen creux comme tout le reste du dessin. Onze autres globules du mêmegenre sont placés tant aux extrémités des lettres conjuguées qu’àcelles des deux croisillons et de leurs points d’intersection avec labranche verticale.

La particularité que nous venons de signaler semble bien démontrer que,dès l’origine ou à peu près de la fabrication des bouches à feu, lesconstructeurs de ces appareils de guerre y imprimaient leur marque, quiétait peut-être déjà obligatoire dans certains cas ou dans certainescontrées de la France, dont les lois étaient si diverses alors. Noussommes au moins certain qu’avant le dernier quart du seizième siècle,aucune pièce d’artillerie ne pouvait être fabriquée en France que parles personnes patentées du roi à cet effet, et que les armes à feufabriquées par ces individus devaient porter les armes de ceux qui lesfaisaient faire, la marque du fondeur, etc.

C’est, en effet, ce qui résulte d’une ordonnance rendue par Charles IX,en 1572, et dont voici un extrait :

« Charles, etc., comme la fonte d’artillerie, boulets, façon etcomposition de pouldres et salpestres, soit un droict souuerain, et ànous seul appartenant, pour la tuition et deffense de nostre royaume :ce neantmoins plusieurs personnes ont prins licence et liberté de fairefonte de pieces d’artillerie, façon et composition de salpestres etpouldres : desquels salpestres et pouldres plusieurs gens font traficet marchandise, et les transportent hors nostre royaume, contre nozedicts et ordonnances, et à nostre grand interest, et de la chosepublique. Et d’auantage la liberté qu’un chacun a prise de fairelesdits salpestres et poultres est cause que le cent du salpestredepuis dix ans nous est renchery d’un tiers, outre ce que l’on n’enpeut à grand’peine recouurer, d’autant que nos salpestriers, quisoulaient porter leur salpestre en noz magazins, le portent auxparticuliers, pour en auoir plus grand profit. Pour à quoy remedierauons resolu, par l’aduis de la royne notre tres honoree dame et mere,de nos tres chers et tres amez freres les ducs d’Anjou et d’Alençon, etdes gens de nostre conseil, mesmement du grand maistre de nostreartillerie, et autres officiers d’icelle, de faire les deffenses etordonnances qui ensuyuent.

» Premierement, qu’il ne sera loisible à aucunes personnes, de quelqueestat, qualité et condition qu’ils soient, de faire ny fondre aucunespieces d’artillerie, à sçauoir canon, grande coulleurine, bastarde,moyenne, faucon et fauconneau, sans noz lettres patentes de permission,qui seront adressees au grand maistre et capitaine general de nostreartillerie, pour sur icelles mettre son attache contrerollee par lecontrerolleur general de ladite artillerie, qui en tiendra registre. Età fin que lesdites pieces se puissent mieux cognoistre, nous voulonsqu’elles soient marquees des armes de ceux qui les feront faire, et dela marque du fondeur, auec la date de l’annee en laquelle elles serontfaites, et ce sur peine de confiscation de corps et de biens.

» Et pour obvier aux abus de plusieurs commissions..., etc. »

Ainsi que nous l’avons déjà dit, la construction des canons et mêmecelle des autres armes à feu se chargeant par la culasse, loin d’êtreune invention moderne, remonte bien positivement à l’époque même de laconfection des premiers canons, qui furent faits tous de cette manière.Le savant Père Daniel, dans son Histoire de la Milice françoise,donne à ce sujet les renseignements suivants :

« Cette idée de charger un canon par la culasse, ou du moins vers laculasse, n’étoit pas tout-à-fait nouvelle ; on l’avoit déjà mise enpratique il y a très longtemps dans une espèce de petits canons qu’onappelle des pierriers, parce que dans leur charge il y avoitquelquefois des pierres avec des chaînes et de la mitraille. Ils sontencore en usage dans les châteaux et dans les petites places, où l’onne peut se servir d’autre artillerie, soit parce que les terres pleinsy sont trop étroits pour le recul des affûts communs, ou que, faute demunitions, on ne peut tirer un assez grand nombre de coups pour ladéfense de la place, ou enfin parce que le lieu attaqué étant fortélevé, et les ennemis fort proches, on ne peut assez faire plongerl’artillerie de place pour tirer où ils sont logez.

» Ces pierriers ont donc une longue et large ouverture un peu au-dessusde la culasse. Quand on veut charger un de ces canons, on met dans savolée, par cette ouverture, la balle, les pierres ou les ferraillesdont on veut le charger ; on remplit l’ouverture d’une boëte pleine degrosse poudre, et on la serre par derrière avec une cheville de fer :cette boëte tient lieu de l’âme du canon, et ainsi le pierrier est enétat de tirer.

» Quand on le tire, il est posé sur un pivot où sont enchassez ses deuxtourillons ; et par le moyen du pivot on l’élève, on l’abaisse, on letourne comme l’on veut pour le mettre à la ligne de mire, et puis ontmet le feu à la lumière de la boête pour le tirer ; de sorte qu’ayantbeaucoup de boëtes chargées, on tirera cinq fois plus de coups qu’avecd’autres pièces, sans qu’il s’échauffe si facilement, à cause qu’il ade l’air par les deux bouts.

» Les petits vaisseaux marchands ont beaucoup de ces pierriers de ferpour suppléer au canon, et s’en servent pour tirer sur les barques desennemis qui voudraient venir les prendre à l’abordage. »

Nos recherches sur les premières armes à feu nous conduisent toutnaturellement à parler de la poudre, à laquelle ils durent leur origine.

En 1688, Robert Norton, ingénieur de S. M. le roi d’Angleterre, auteurdu livre très remarquable et le premier qui ait paru sur l’artilleriedans les temps modernes, Norton écrivait :

« Quelques auteurs croient que le véritable inventeur de la poudre futArchimède, qui, au siége de Syracuse, lançait d’énormes pierres avec unbruit et une détonation si forte, qu’il devait employer d’autres enginsque les catapultes les balistes ou les scorpions. Suivant d’autres,l’invention de la poudre date d’Alexandre-le-Grand, qui, sur le pointde mettre le siège devant une ville sur le Gange, en fut dissuadé parses conseillers, qui lui assurèrent que les habitants, favorisés parJupiter, avaient à leur disposition le tonnerre et les éclairs pourfoudroyer leurs ennemis. Dionysius d’Halicarnasse, dans son premierlivre des Antiquités, écrit qu’Alladius, le douzième roi des Latinsaprès Enée, avait trouvé le moyen de contrefaire les éclairs et letonnerre, et profitait de sa découverte pour se faire adorer comme undieu. Il en fut la première victime ? un jour son palais prit feu, etil périt dans les flammes. »

Chez nous, l’usage de la poudre n’a été fréquent qu’à partir de 1338.M. Lacabane, dans sa dissertation sur l’Introduction de la Poudre àcanon en France, cite un acte tiré de la bibliothèque nationale, où ilest dit que la garde du Clos des Galées ou arsenal de Rouen a livréun pot de fer, des garrots à feu et du salpêtre et soufre pour fairede la poudre. Le pot de fer désigne, d’après M. Lacabane, un de cesmortiers du quatorzième siècle qu’on appela plus tard bombardes, et quiservaient à lancer des pierres, des traits enflammés et de grandesflèches, appelées carreaux ou garrots, auxquelles on attachait despelottes incendiaires. On trouve dans la dissertation de M. Lacabanedes preuves de l’emploi de la poudre à canon dans les divers siéges quieurent lieu sous le règne de Philippe de Valois. (Ad. Chéruel, Dictionnaire historique des Institutions de la France.)

Après ces courtes notions relatives aux origines de la poudre à canon,sur lesquelles on a écrit une foule d’autres versions souvent trèssingulières, nous revenons à notre sujet principal.

Aulus Jutérianus, historien ligurien, écrivait en 1336 :

« Lors des grandes guerres entre les Vénitiens et les Génois, desAllemands offrirent aux Vénitiens deux petits canons en fer avec de lapoudre et des boulets, qui leur rendirent d’immenses services par lafrayeur qu’ils causèrent aux ennemis et les ravages qu’ils firent dansleurs rangs.

» Les premiers canons qui parurent sur le champ de bataille furentapportés en Italie pendant les guerres des Benitaes de Florence et lamaison des Médicis, par Bartolomeo Coglioni. Le prince de Ferrare,ayant été blessé au pied par un boulet, accusa Coglioni d’avoir usécontre lui de maléfices et de sorcellerie, en faisant usage de cesarmes surnaturelles.

» Au siège de Constantinople en 1419, Mahomet dirigea contre la placeun canon qu’il tira lui-même sept fois dans une journée, et qui lançaitun boulet du poids de 300 livres ; les assiégés lui répondirent avecdes pièces chargées de projectiles de 150 livres. En 1425, les Anglaisassiégèrent Mons et renversèrent les murs à coups de canon. En 1434,les Allemands, grâce à leurs armes à feu, s’emparèrent des côtes duDanemark, et vers la fin du siècle, Charles VIII de France dut à sonartillerie la conquête du royaume de Naples. Cette campagne futadmirable, et les sentiers escarpés des Apennins ne permettant pas dese servir de chevaux, les Français portèrent à bras, dans lesmontagnes, leurs canons, leurs boulets et leur provision de poudre, àla grande stupéfaction des Italiens. »

Nous avons dit, dans un article publié l’année dernière sur les canonsse chargeant par la culasse, que le musée des antiquités de Rouenpossédait une grosse pièce d’artillerie du quatorzième siècle,entièrement cylindrique et également ouverte à ses extrémités, où l’onn’apercevait rien qui ait pu servir à fixer une culasse. Cette pièce,qui fut trouvée dans les environs de Honfleur, se rapporte, par safabrication avec des douves cerclées, à ce que nous lisons encore dansJutérianus :

« Les premiers canons étaient faits, dit cet historien, de barres defer reliées entre elles par des cercles de fer ; il y en avait deplusieurs formes, dont voici les principales :

» La première avait la coupe d’une burette de moins en moins effiléevers le bout, ayant un écrou cônique à la culasse pour l’attacher à unmorceau de bois. Comme la pièce s’évasait de plus en plus à partir dela culasse, le coup faisait éventail et perdait de sa force. Depuislongtemps on ne s’en sert plus.

» La seconde s’appelait batte-murs ; elle était placée sur une espècede truc, dans une voiture, avec deux morceaux de bois qui se plaçaientsous la culasse et faisaient l’effet de tourillons.

» La troisième était appelée pièce à coude, car elle ressemblait aubras d’un homme recourbé au coude à angle droit. Cette pièce avait peude force et fut bientôt abandonnée.

» La quatrième était une bombarde qui se chargeait d’une pierre rondeet demandait peu de réparations.

» La cinquième s’appelait scala-mur et ressemblait à nos armes dechasse.

» La sixième était un canon-pierrier vissé à une volée avec destourillons ; mais il fut bientôt abandonné.

» L’empereur Charles-Quint, trouvant un grand inconvénient à cetteconfusion de formes, assembla son conseil de guerre et chercha desaméliorations. Il fut décidé que le diamètre, pour les canonsordinaires, devait être le dix-huitième de la longueur, le poids de7,000 livres, et le boulet de 45 livres ; pour les canons de rempart,le diamètre d’un huitième de la longueur à la culasse, de onzeseizièmes au milieu, et de sept seizièmes à la gueule ; le poids de8,000 livres. »

La date, plus ancienne qu’on ne le croit vulgairement, des premierscanons, et celle de l’invention de la poudre à tirer, se trouventétablies par les faits suivants, que cite M. J. Girardin dans ses Leçons de Chimie élémentaire :

« En 1327, Edouard III, roi d’Angleterre, fit usage de canons dans sapremière campagne contre les Ecossais. Il s’en servit également, en1346, pour le siége de Calais. Les boulets étaient de pierre à cetteépoque et longtemps après (2).

» L’usage de la poudre était connu en France avant 1338, puisqu’ontrouve dans le compte de Bartholomée Dudrack, trésorier des guerrespour cette année, l’achat de poudre et autres choses nécessaires auxcanons alors placés devant un château fortifié d’Auvergne.

» Le chroniqueur Jean Froissart dit qu’en 1339 il y avait des canons auQuesnoy, dans le Hainaut, lorsque le duc de Normandie se présentadevant cette place ; et, suivant Anquetil, ce même duc employa, en1339, des canons au siége de Trin-l’Evêque, près de Cambrai. Le pèreMaxia rapporte qu’en 1343 Alphonse XI, roi de Castille, fit sur lesMaures, qu’il assiégeait, une décharge d’une pièce d’artillerie imitantle tonnerre.

» Les Allemands eurent des canons bien avant cette époque, car il enexiste un à Amberg, dont l’inscription porte la date de 1303. Ainsi, cen’est donc pas à la célèbre bataille de Crécy, livrée en 1346, qu’onfit, pour la première fois, usage de cette arme redoutable, commepresque tous les historiens  le répètent. »

M. Girardin ajoute dans la même note :

« L’emploi des fusils est de beaucoup postérieur à celui des canons. Cefut en 1414, à la défense d’Arras contre Charles VI, que lesBourguignons mirent en usage, pour la première fois, les canons à maindits arquebuses. Au siége de Sarno, en 1459, ces armes n’avaient pointencore de mécanisme pour porter le feu à la poudre, et le mousquet avecserpentin porte-mêche ne date que de 1600. Il fut lui-même remplacé, en1630, par le fusil à silex. C’est une invention d’origine française.

» Ce sont également les Français qui pensèrent à faire rougir lesboulets, puisqu’en 1418, assiégés dans Cherbourg par les Anglais, ilsenvoyèrent dans le camp de ceux-ci des boulets rouges pour incendierles baraques des soldats, ce qui prouve que les Français ont toujoursété plus avancés que leurs ennemis dans le maniement des armesnouvelles. »

Nous dirons de l’invention des boulets rouges ce que nous avons dit decelle des moissonneuses : l’idée première de faire rougir des bouletset de les lancer sur les baraques d’un camp pour incendier celles-ciest due à ces vieux et vénérables Gaulois qui habitèrent, il y a plusde deux mille ans, le sol sur lequel devait prendre un jour naissancela nation française.

Jules César dit, en effet, dans le cinquième livre de la Guerre desGaules, en parlant des combats qu’il eut à soutenir contre les Nervesou Nerviens (anciens habitants du Hainaut) :

« Le septième jour du siége, un très grand vent s’étant élevé, ils (lesNerves) lancèrent avec la fronde des boulets d’argile rougis au feu etdes dards enflammés sur les huttes des soldats, couvertes en paille, àla manière gauloise. Elles eurent bientôt pris feu, et la violence duvent porta la flamme sur tout le camp..... »

Ainsi qu’on le voit, la première idée de faire rougir des boulets et des’en servir à la guerre appartient bien réellement aux anciens Gauloisdu Nord, qui les faisaient de terre cuite au lieu de les fabriquer enfonte de fer, comme le furent, plus de quatorze siècles après, ceuxdont se servirent les Français, en appliquant seulement de nouveau lamême idée aux besoins de leur position.

                                  J.-M. THAURIN.


NOTES :
(1) Le musée départemental des antiquités possède une gargousse decette espèce, qu’il a acquise en même temps que son deuxième canoncerclé, ouvert des deux bouts comme un tube. Seulement, la gargousseauthentique du musée ne porte pas de mortaise à la base.
(2) Nous pouvons ajouter que le musée des antiquités de Rouen ainsi queplusieurs amateurs de la même ville, possèdent de ces boulets primitifs.