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Trouville et Deauville : La désunionproduit l'impuissance..-Pont-l'Evêque : Imprimerie Camille Delahais, 1861.- 16 p. ; 20,5 cm. Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (27.VI.2016) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe (même fautive)et graphie conservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 234 br). TROUVILLE ET DEAUVILLE. La désunion produit l'impuissance. ~ * ~ I. Il y a vingt ans, Trouville était une humble bourgade, exclusivementhabitée par des pêcheurs. Quelques cabanes, au toit de chaume, jetéesça et là, sans ordre, sur la colline ; au haut de cette colline, unepetite église, sans sculptures ni peintures, avec ses grossièrespoutres en bois de chêne, noircies par le temps ; des ruelles salles ettortueuses ; voilà Trouville tel que l'ont connu nos pères, tel quenous le représentent les toiles d'Isabey. Des chemins creux et sombres où ne pénétraient jamais les rayons desoleil, et qu'on ne pouvait parcourir qu'à pied ou à cheval ; tel étaitle seul accès du pauvre village, perdu au milieu des dunes ; maisaussi, quelle fraîcheur, sous ces dômes de feuillage ! Quels délicieuxtapis émaillés de pervenches, de primevères, de violettes, sedéroulaient sur les hauts-bords normands, au pied des grands ormes, quise plaisent si bien au sol du Pays d'Auge ! Depuis cette époque, la voirie a fait de grands progrès dans notrepays, et, la plupart des chemins impraticables, ont été remplacés parde grands chemins bien entretenus, ou par des routes spacieuses quiressemblent à des boulevards. Par exemple, l'ombre et les fleurs ontdisparu ; le soleil et la poussière ont pris leur place. Tout le mondea gagné à ce changement : aujourd'hui, on arrive à Trouville pluspromptement et plus commodément. Les équipages les plus fins et lespieds les plus délicats n'ont plus rien à craindre, et, si l'on veutencore rêver à l'ombre des grands ormes et respirer les suaves parfumsdes violettes, rien n'est plus facile, car il existe encore, auxenvirons de Trouville, d'assez nombreux tronçons des chemins creux dontje viens de parler. Quant aux cabanes dé-labrées du vieux Trouville,elles n'existent plus. Des châlets, des villas, des constructions detoutes les architectures, ou plutôt sans architecture, mais toutesgracieuses et coquettes, parfois ébouriffantes, ont avantageusementremplacé la hutte sauvage du pêcheur. La colline s'est nivelée, et làoù il n'existait que des dunes escarpées, arides, s'étendentaujourd'hui de gracieuses pentes, de frais gazons avec des bouquetsd'arbres et des corbeilles de fleurs. Telle a été la première et splendide métamorphose de Trouville, sapremière et brillante étape. A ce point, Trouville est-il arrivé àl'apogée de son développement, de sa grandeur ? II. Dans notre siècle, les villes ne restent pas longtemps stationnaires ;elles grandissent ou décroissent, et, il est à remarquer, qu'après untemps d'arrêt, toujours assez court, la marche, soit du progrès, soitde la décadence, s'effectue rapidement. Le mouvement qui a entrainéTrouville dans la voie du progrès et qui en a fait, en si peu d'années,une ville de 5,000 habitants, a paru se ralentir, depuis quelque temps.Est-ce un mal ? Est-ce un bien ? Assurément, c'est là un grand bien,et ce temps d'arrêt que je signale et qui, pour certains, est passéinaperçu, ce temps d'arrêt, dis-je, a une importante signification. Le progrès est une puissance énergique, envahissante, à laquelle rienne résiste ; c'est la force dont l'action est continue, incessante ;c'est la voix qui crie sans cesse : marche ! marche ! Mais il ne suffitpas de marcher, il faut encore, et avant tout, marcher aux lumières dela raison et de la sagesse ; il faut voir nettement le but, calculer lalongueur et les difficultés de la route ; c'est précisément le tempsque l'on met à saisir le but, à sonder la route qui y conduit, quiconstitue le temps d'arrêt, au milieu de la marche du progrès ; c'estune halte sagement ménagée, pendant laquelle on fait une utileprovision ; c'est le repos de la locomotive qui s'arrête, un instant,au milieu de sa course effrénée, pour refaire ses appro-visionnements,afin de s'élancer ensuite plus rapide. Ce temps d'arrêt si utile, cettehalte si précieuse, Trouville vient de l'effec-tuer, et après avoirjeté un coup d'œil en arrière et constaté, avec étonnement etadmiration, tous les changements opérés, toutes les améliorationsréalisées en si peu de temps, la jeune cité, toute rayonnante, vareprendre, avec une nouvelle ardeur, sa marche rapide vers le butqu'elle a rêvé. III. Trouville a rêvé, tout en restant l'Eden des promeneurs et des malades,de devenir une ville importante, avec son bassin à flot, son chemin defer, ses grandes et belles voies de communication, ses monuments, sesplaces, ses squares, ses promenades, etc. Quand je dis Trouville, jecomprends dans ma pensée, Deauville, cet autre Trouville qu'on est entrain de joindre au premier par un magnifique pont. Dans la pensée dequiconque raisonne, Trouville doit être lié à Deauville, comme la causeà l'effet, le principe à la conséquence. Deauville aurait-il jamaissongé à transformer son marais en ville, en aurait-il jamais eu lapossibilité, sans le voisinage de Trouville ? Evidemment non. Certains esprits voient avec inquiétude, avec jalousie peut-être, lacréation d'une ville dans le marais ; mais de grâce, qu'ils apprécientdonc, une fois pour toutes, la situation telle qu'elle est ! lesintérêts de Trouville et de Deauville ne doivent pas être divisés.Pourquoi donc s'obstiner, sans cesse, à désunir ce qui doit être etrester, pour l'intérêt de tous, profondément et intimement uni ? Aulieu de voir la création d'une autre ville, rivale de Trouville,pourquoi ne pas voir, ce qui est réellement : l'agrandissement deTrouville, lui-même. Beaucoup de villes sont bâties sur les deux rivesd'un fleuve ou d'une rivière, pourquoi Trouville n'existerait-il pasaussi, sur les deux rives de la Touque ? Pourquoi se ferait-on laguerre, d'une rive à l'autre, quand on a tout intérêt à vivre dansl'union ? Songez-y, habitants de Trouville et de Deauville ! ladésunion produit l'impuissance, quelquefois même, le dépérissement etla mort. IV. J'arrive à l'argument terrifiant imaginé par quelques esprits timorés.On dit : le marais de Deauville possédera la gare du chemin de fer etle bassin à flot ; tout le mouvement commercial et industriels'effectuant, sur ce point, il en résultera un grand préjudice pour lesintérêts de Trouville. La réponse à cette objection est facile : d'abord, il est une vérité defait qu'il ne faut pas perdre de vue : nous sommes dans un siècle où larichesse se déplace facilement, mais ne disparaît pas, ne s'annihilepas, les chemins de fer en offrent un exemple frappant : tellebourgade, telle ville qui, située sur une route départementale ouimpériale, trouvait, dans cette situation, la satisfaction de sesintérêts, aujourd'hui est déserte et abandonnée. D'un autre côté, telendroit où les habitants végétaient, est devenu prospère et florissant,par suite de l'établissement d'une station du chemin de fer ; lesexemples fourmillent pour prouver que, dans notre siècle, la fortunepublique se déplace facilement. Un tel fait n'est imputable à personne,il ne faut s'en prendre qu'à la loi du progrès. Cette vérité étantreconnue, admise comme un axiôme, je le demande : Trouville peut-il,raisonnablement, trouver mauvais que la gare soit située sur Deauville,que le bassin à flot soit établi sur ses confins ? assurément non ; cespositions sont forcées, c'est une vérité qui saute aux yeux, personnene pourrait soutenir le contraire. D'un autre côté, Trouville subit làune conséquence inévitable, fatale, du progrès ; sa mauvaise humeur estdonc complètement stérile et, par suite, déraisonnable ; voilà pour lecôté moral de la situation. Maintenant, descendant dans la sphère desfaits matériels, étudions avec soin le côté pratique. Est-il bien vraique les intérêts de Trouville soient aussi gravement menacés quecertaines personnes paraissent le craindre, je ne le pense pas,examinons les choses loyalement, impartialement. V. Le commerce et l'industrie se donneront forcément rendez-vous dans lemarais de Deauville, par suite, il y aura des magasins, des entrepôts,des chantiers, des usines etc., ce qui veut dire : des nuages d'épaissefumée, des odeurs de charbon et de goudron, du bruit, des ouvriersetc., enfin, tout ce qui est inséparable du mouvement d'un port etd'une gare. Dans ces conditions, la nouvelle ville sera difficilementune ville de bains. Le plaisir tel qu'on le veut, tel qu'on le goûte,au bord de la mer, s'accommode peu de la mise en scène de l'industrieet du commerce. Nous n'avons pas d'exemple d'une ville qui soit, à lafois, ville de bains, véritablement aimée et recherchée, et ville decommerce. Serait-ce le Havre? non, les bains n'y tiennent qu'une petiteplace, et le Havre s'en console facilement et s'en dédommage amplement,par son importance commerciale, Serait-ce Dieppe ? Dieppe est peut êtreune ville mixte, et c'est là un grand désagrément pour les baigneurs.La plupart du temps, fatigués de voir des cheminées d'usines, desmontagnes de charbon et de planches de sapin, dans leurs villes, ilssont condamnés à revoir encore tout cela à Dieppe. Mais Dieppe- n'a pasde rivale, dans ses parages, et on y va. Il ne faut pas oublier que, si on est parvenu à attirer les baigneurs àDieppe, c'est en créant un magnifique casino, en y donnant des fêtessplendides, en y faisant, tous les jours, d'excellente musique (1). Ila fallu tout cela pour enseigner la route de Dieppe aux baigneurs. ATrouville, voyez comment les choses se passent le casino esttrès-simple, on y donne que deux grands bals, pendant toute la saison; on y fait de la musique que les jours où l'on danse et, encore,l'orchestre est peu nombreux : quatre instruments, tout au plus, encomptant le piano I Malgré cela, Trouville regorge d'étrangers à chaquesaison. Et pourquoi cet empressement ? Parce que Trouville,jusqu'alors, est resté exclusivement ville de bains, parce que, nil'industrie, ni le commerce n'y ont arboré leur drapeau. VI. De ces considérations, il ressort que Deauville ne peut êtreexclusivement une ville de bains. A cause de la proximité de la gare etdu bassin, elle sera forcément une ville mixte, peut-être même,donnera-t-elle une plus large place au commerce et à l'industrie. Enadmettant qu'elle soit une ville mixte, à l'instar de Dieppe, — etc'est là l'hypothèse la plus défavorable à Trouville, eh bien, danscette hypothèse, quel préjudice Deauville peut-il porter à Trouville ?Aucun. On préférera toujours le calme et le silence des rues deTrouville, au mouvement et au bruit de l'autre rive. Quand on fuit laville pour venir aux bains de mer, c'est, ou pour échapper autourbillon des affaires, ou pour réparer sa santé,ou enfin, pour s'arracher au tumulte du monde. Eh bien, je le demande :s'installera-t-on dans la ville commerciale et industrielle, ou dans laville calme et reposée où rien ne révèle l'existence du commerce et del'industrie ? Le choix !ne sera pas difficile ; la préférence sera pourla ville, ou plutôt, pour le quartier où l'on ne s'occupe pasd'affaires, et la colline sera toujours l'oasis bien-aimé des baigneurset des touristes. C'est donc à tort que Trouville paraît s'inquiéter ;d'ailleurs, je l'ai déjà dit plus haut : ce n'est pas une rivale qui vagrandir à ses côtés, niais bien une annexe, un quartier nouveau qui vase bâtir, et, il faut le reconnaître, Trouville ne deviendra une villeréellement importante, que grâce à cette création d'Outre-Touque. Làest tout son avenir sérieux, là est la consolidation de ses espérances,la réalisation de ses rêves de grandeur. Donc, ce serait une énormefaute de vouloir séparer des intérêts qui doivent rester étroitementliés. VII. Déjà, l'œuvre est en train de s'accomplir. Les travaux du pont vontbientôt toucher à leur fin ; il doit être complètement terminé dans lemois prochain, il coûtera quatre cent mille francs. Quant au bassin àflot, on va commencer les travaux de suite ; il coûtera deux millions.Très-prochainement aussi, commenceront les travaux de la grande artèrequi doit ouvrir une nouvelle ère de prospérité pour Trouville et, enmême temps, pour Deauville. Cette grande voie, ou plutôt ce boulevard,reliera, entre eux, tous les bains de mer de notre littoral jusqu'àCaen et offrira un moyen de communication des plus faciles, d'une part,pour les denrées qu'on viendra exposer en vente, sur le marché deTrouville, dont l'importance deviendra considérable, d'autre part, pourles approvisionnements qu'on y viendra faire de tous les points de lacôte, jusqu'à Cabourg. D'un autre côté, les travaux de la route quidoit relier Trouville à Villerville vont se terminer dans un brefdélai. Encore un nouveau débouché, qui permettra à Villerville de venirs'approvisionner à Trouville. Ces utiles voies de communication traverseront les sites les plusravissants et, tout en aidant puissamment au développement du commerce,faciliteront les excursions aux environs de Trouville, elles yamèneront aussi de nouveaux visiteurs. Dans de telles conditions,Trouville étendra considérablement ses relations ; ses rapports seronttrès-fréquents avec toutes les plages qui l'environnent, par suite, ildeviendra, tout naturellement, le quartier-général de tous les bains dela côte normande. Une fois le pont terminé, les travaux vont se poursuivre activementdans le marais. Déjà, malgré les grandes difficultés qu'on éprouve pourl'approvisionnement des matériaux, plusieurs constructions sont envoie d'exécution, notamment celles de MM. le comte de Morny, présidentdu Corps Législatif ; Donon, banquier à Paris et Consul général del'Empire Ottoman ; Charles Lafite, banquier à Paris ; le docteurOliffe, médecin de l'ambassade de S. M. Britannique. Incessamment, M.Mauger, l'infatigable constructeur, va faire bâtir, pour son compte,deux maisons et d'immenses magasins ; M. Breney, l'habile architecte deDeauville, va également faire construire. Quinze ou vingt charmantesmaisons destinées à être vendues seront bâties, aux frais de laSociété, et prêtes à habiter, à la prochaine saison de bains. Il estquestion aussi d'un immense hôtel. Enfin, le casino sera commencétrès-prochainement; il doit être splendide et satisfaire à toutes lesexigences du luxe. Huit cent mille francs seront dépensés pour cetétablissement dont la situation paraît avoir été parfaitement choisie ;il aura vue sur la mer, le Havre, les côtes du Pays-de-Caux,l'embouchure de la Seine et le délicieux coteau de Trouville. Laconstruction se composera de plusieurs pavillons reliés entre eux pardes galeries, elle comprendra une salle de bal, une salle de jeu, uncabinet de lecture, une salle de conversation, une salle de concert etde spectacle, un établissement de bains chauds et d'hydrothérapie. Devastes galeries couvertes seront disposées autour du Casino pourinstaller des magasins de curiosités, d'objets d'art, d'articles debains, etc. etc. Ce Casino sera élevé au milieu d'un magnifique squarede deux cents mètres d'étendue, sur le bord de la mer, sur deux centcinquante mètres de profondeur. On a complété dignement cet immenseprojet, en y faisant entrer la construction d'un hôtel-de-ville etd'une église. L'ensemble des terrains, sur lesquels on pose, en cemoment, les premières assises de la future ville, offre une étendued'environ deux cents hectares. Du côté de la mer, ces terrains serontbordés par un quai de vingt mètres de largeur, sur deux kilomètres delongueur. Il m'a été donné de voir les plans, ils m'ont paru offrird'intelligentes combinaisons de rues et de places ; on a tout prévupour l'agrément et la commodité des habitations ; l'architecte a penséet, je lui en fais mon très-sincère compliment, à ménager un espaceassez vaste pour un hippodrome. Nous aurons donc nos courses au bord dela mer, très-bien ! très-bien ! VIII. Il ne faut pas croire que Trouville se contente de regarder faire. Un casino restauré et considérablement agrandi sera inauguré l'étéprochain. La Société vient d'acheter un terrain et des constructionsvoisines, par le prix de cent soixante-dix mille francs ; cetteacquisition permettra de procurer au casino le développement dont ilavait besoin : la terrasse trop restreinte que cet établissementpossède, sur le bord de la mer, va prendre des proportions plusétendues et s'allonger ; en outre, un délicieux jardin va être créé.D'autres changements auront lieu, de manière à tirer le parti le plusavantageux et le plus agréable du terrain et des constructions. On nepeut qu'applaudir à cette détermination, dont M. Cordier a étél'instigateur. Je n'ai pas fini avec les casinos. En voici un troisième ! Celui-là estdû à l'initiative de M. le baron Clary, maire de Trouville ; il prometd'être une merveille du genre. Il s'élèvera sur les terrains dits de la Cahotte, au milieu d'unravissant jardin d'environ deux hectares.D'un côté, la vue s'étendra, au loin, sur la plantureuse vallée d'Auge,sur les délicieuses collines qui la bordent, plus près, sur le bassin àflot et sur le nouveau Deauville. Un spectacle plein d'attrait pour lesétrangers, qui fréquenteront le casino, ce sera l'entrée et la sortiedes bateaux. D'un autre côté, l'œil aura à con-templer l'immensité dela mer, le Havre, l'embouchure de la Seine, avec les gracieux coteauxdu Pays-de-Caux, etc. Aux splendeurs de la vue, cet établissement doitjoindre toutes les splendeurs du luxe et du confortable, il surpassera,dit-on, tous les établissements de ce genre. Ainsi, il comprendra : unthéâtre, une salle de concerts, une grande terrasse le long de la mer,avec un cabinet de lecture couvert, un gymnase, un tir à la carabine etau pistolet, un restaurant à l'instar de la Maison Dorée, avec cabinetsde société, un glacier, un pâtissier, un établissement de bains chauds,enfin, un établissement complet d'hydrothérapie. Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que, par suite de certainescombinaisons, par suite du mode d'entreprise des travaux de ce casino,Trouville verra, chaque année, ses revenus aug-menter, dans uneproportion très-satisfaisante. Ce casino sera entrepris par une sociétéet construit sur des plans imposés. Aucune somme d'argent ne seraversée à la société, qui exploitera a son profit, sous le contrôle del'administration, le casino pendant un certain nombre d'années. A lasuite de cette période, il sera payé un loyer, chaque année, à la villequi, après un certain temps, pourra se rendre, adjudicataire del'établissement, si elle le juge convenable. IX. Voilà ce qui se prépare, de ce côté de la Touque ; et cette mer-veilledoit être livrée au public pour la prochaine saison des bains, c'estdire qu'on va se mettre très prochainement à l'œuvre. Trois casinos àTrouville ! c'est à n'y pas croire, pourtant, rien n'est plus vrai. D'autres travaux d'une utilité première vont être immédiatemententrepris à Trouville, et seront complètement terminés au prin-tempsprochain : il s'agit de la distribution des eaux et du gaz. La premièreest confiée à MM. Lavril et Roche, ingénieurs. Le système Lavril, pourle dire en passant, offre de grands avantages pour les conduitessouterraines. Les tuyaux sont en fonte, avec joints en caoutchoucvulcanisé, ce qui rend les conduits flexibles, dans tous les sens, parsuite, plus de ruptures possibles dans les déviations. Quant à ladistribution du gaz, elle est confiée à MM. Jules Duval et Cie, deNantes. Donc, des deux côtés de la Touque, on va rivaliser d'ardeur et de zèlepour faire une splendide toilette. L'année prochaine, les étrangersseront émerveillés. C'est, de cet élan suprême, de cette ardente émulation, que doit sortirla grandeur de Trouville ; mais, à une condition, c'est que l'élan serasagement dirigé, que, des deux côtés de la Touque, les effortss'uniront dans un but commun : celui de conquérir une situationmeilleure et des destinées plus grandes et plus immuables ; enfin, quesur les deux rives, il n'y aura que ce seul mot d'ordre : Union ! Habitants des deux rives, n'oubliez jamais ce mot ; en lui réside toutvotre avenir, avenir de grandeur et de prospérité ; inscrivez-le, dès àprésent, en tête de votre pont ; qu'il s'appelle le Pont de l'Union ? X. Au moment où cette brochure était sous presse, on m'adressait laquestion suivante : si Trouville et Deauville ne confondaient pas leursintérêts, en résulterait-il un égal préjudice pour l'une et l'autrerive de la Touque, ou bien, l'une ressentirait-elle, plus que l'autre,les fâcheuses conséquences de cette situation ? Pour toute réponse, je me bornerai à exposer les faits, la conséquences'en déduira toute seule. Il est des événemens qu'il est facile de prévoir longtemps à l'avanceet dont on suit le cours, sans pouvoir y apporter la plus légèremodification. La transformation du marais, en ville, est un de cesévénements qui s'accomplira forcément, j'ai presque dit : fatalement.Avec une gare, un bassin à flot, de nombreux et faciles débouchés danstoutes les directions, de vastes terrains parfaitement nivelés,l'avenir de Deauville ne peut être un instant douteux — ici je parle del'avenir commercial et industriel. -Deauville pourra bien être uneville mixte au début, mais elle ne tardera pas, à cause de sa position,à être envahie presque entièrement par le commerce et l'industrie. Telsseront les deux léviers énergiques, les deux puissances invinciblesdont la nouvelle ville disposera. XI. La nouvelle ville, une fois organisée sur les bases solides et durablesque je viens d'indiquer, aura incontestablement droit à certainsprivilèges, à certaines prérogatives que Trouville revendiquerapeut-être alors pour lui ; qui l'emportera ?... Il est à remarquer que Trouville ne repose pas sur les mêmes bases queDeauville. Il est certain, qu’aujourd’hui, les bains de mer sontprofondément entrés dans nos mœurs, dans notre civilisation ;d'ailleurs, ils ont deux puissantes raisons d'être : l'hygiène et leplaisir. Il est évident encore, — et je l'ai dit plus haut, — queTrouville sera toujours une ville de bains aimée et recherchée ; maisqu'une ou deux saisons de bains se passent dans de mauvaises conditionsatmosphériques, que le temps soit froid ou pluvieux, par exemple, lesbaigneurs seront en très-petit nombre, par suite les intérêts deTrouville seront gravement compromis, il s'en suivra des désastres ;dans toutes les villes de bains les exemples viennent malheureusement,en trop grand nombre, appuyer cette assertion. Il résulte de là que l'importance de Trouville repose, quant à présent,sur des bases fragiles, inconstantes, variables. Sans doute, Trouvillea l'avantage de posséder des hôtes riches et puissants, mais ces hôtesne l'habitent que pendant quelques mois, ils n'y possèdent que desmaisons de plaisance ; ce qui veut dire qu'aucun intérêt sérieux neles y attache. Il en sera tout autrement de Deauville : des intérêtsgraves et puissants y attacheront la plupart des habitants, d'une façondurable, permanente. Dans de telles conditions, quelle sera la ville àlaquelle on accordera de préférence les privilèges dont je parlaistout-à-l'heure ? Sera-ce à la ville dont toute la grandeur etl'importance présente et future reposent exclusivement sur les bains demer, ou bien à la ville dont l'importance et la richesse ont leurprincipale source dans l'industrie et le commerce ; ou, en d'autrestermes, la ville de bains l'emportera-t-elle sur la ville commercialeet industrielle ?... XII. La ville de bains a, selon moi, tout avantage à confondre ses intérêtset ses destinées avec les intérêts et les destinées de la villeindustrielle et commerciale. Grâce à cette dernière, la ville de bainsverra le principe de sa puissance et de sa richesse considé-rablementaffermi. La mode, le caprice, les variations atmosphé-riques, etc.,n'auront plus d'influence sur sa fortune, qui deviendra stable etflorissante. Quant à la nouvelle ville, il est évident aussi qu'elle a intérêt àêtre l'alliée de Trouville. Cette alliance ne peut que lui porterbonheur et contribuer puissamment à son développement rapide. Selon toutes les probabilités, l'alliance aura lieu, tôt ou tard, sousle nom d'annexion... L'annexion prononcée, il n'y aura plus qu'une seule ville bâtie surles deux rives de la Touque. D'un côté, les bains ; de l'autre,l'industrie et le commerce. Alors se confondront forcément lesintérêts et s'effaceront petit à petit, les rivalités. Pourquoi, dès àprésent, ne pas arriver à ce résultat si désirable pour tout le monde ?Pourquoi laisser au temps le soin d'accomplir cette belle œuvre deconciliation ? L'histoire est là toute prête à l'enregistrer sous votrenom et vous allez la laisser consigner sous celui de vos neveux ! Sivous ne songez pas à vos intérêts, songez, au moins, à votre propregloire et ne manquez pas cette occasion de donner un bel exemple ausiècle présent et à la postérité ! J'ai dit toute ma pensée sur Trouville et sur Deauville. Ce que j'aiécrit est l'expression sincère de ma profonde conviction. J'ai pu metromper, mais au moins, je peux me rendre, à moi-même, ce témoignage,c'est d'avoir été impartial dans toutes mes appréciations. Deuxpuissantes raisons commandaient cette impartialité : le sentiment dudevoir et celui de l'amitié. Je possède — et je le dis très-haut — desamis sur les deux rives de la Touque, qui, tous ont de graves intérêtsengagés, les uns, d'un côté ; les autres, de l'autre. Ceux quipourraient être mécontens sauront, je l'espère, rendre justice auxintentions qui m'ont animé et qui se révèlent souvent dans le cours decette brochure. NOTE : (1) Tous les jours, un orchestre compose de 40 musiciens, sous ladirection de M. Placet, se fait entendre au casino, de 4 à 5 heures. |