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VEUCLIN, Ernest-Victor(1846-1914) : Les confréries descaptifs à Bernay et aux environs : anciennescorporations civiles et religieuses de la Normandie.- Bernay :impr. de Vve A. Lefèvre, 1877.- 22 p. ; 18 cm Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (19.III.2016) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm brC 07). On areporté entre crochet et en rouge les annotations manuscrites de notreexemplaire ayant appartenu à Etienne Deville. ANCIENNES CORPORATIONS CIVILES ET RELIGIEUSES DE LA NORMANDIE LES CONFRÉRIES DES CAPTIFS A BERNAY ET AUX ENVIRONS PAR V.-E. VEUCLIN ~*~I Dans tous les âges, la France chrétienne a accompli des prodiges decharité qui ont étonné l'univers, et la ville de Bernay, enparticulier, s'est souvent distinguée par sa générosité et son zèle enfaveur des malheureux. Dans un modeste chapitre d'histoire locale (1), nous avons récemmentrapporté tout ce que cette cité doit de reconnaissance au grand apôtrede la charité, saint Vincent de Paul, qui y établit, en 1650, deuxfilles de charité qui rendirent de si grands services à la populationcruellement éprouvée et décimée par une terrible peste. Aujourd'hui,nous parlerons d'une institution beaucoup plus ancienne et cependantpeu connue, dont le but, non moins admirable que celui des maisons de charité,était d'obtenir le rachat des chrétiens esclaves des Mahométans ;institution à laquelle Bernay, ainsi qu'un certain nombre de localitésvoisines, eurent l'honneur de s'associer dans une certaine mesure. De nos jours, où les sociétés philanthropiques sans Dieu abondent, où, contrairement à ce précepte du Christ : « Quand vous faites l'aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait la droite,» la charité, s'étale au grand jour, et n'est souvent qu'un prétextepour satisfaire l'orgueil, la vanité et quelquefois la sottise de ceuxqui composent ces sociétés, il nous a paru convenable de rappeler lesouvenir, à peu près perdu, de ces humbles confréries, formées deriches et de pauvres qui, abritées sous le manteau de la religioncatholique, et animées d'un même sentiment, celui de faire le bien,sans ostentation et sans bruit, trouvaient moyen, malgré la misère del'époque, de venir en aide, par leurs prières et leurs aumônes, auxmalheureuses victimes de la piraterie musulmane. Disons quelques- mots sur l'origine de ces institutions que Voltaire lui-même qualifiait d’HÉROÏQUES : Aux XIIe et XIIIe siècles, les musulmans possédaientencore une grande partie de l’Espagne, qu'ils ne devaient perdrecomplétement qu'au XVe ; ils avaient des Etats puissants, etsurtout le littoral de l'Afrique, baigné par la Méditerranée. De la,montés sur des vaisseaux rapides, ils allaient ravager tour à tour lescôtes de la France, de l'Italie et des royaumes chrétiens de l'Espagne.Barbares et cruels, ces pirates ne respectaient ni l’âge ni le sexe deleurs victimes ; tout ce qui était faible tombait sous le fer, et lescaptifs entassés d'abord sur les navires, puis accablés des plus durstravaux, allaient périr dans les domaines de leurs vainqueurs.L'apostasie seule pouvait racheter leur vie ; mais bien peu de ceschrétiens, dans l'âme desquels était fortement imprimée la foicatholique, consentaient, même au prix de la vie, à devenir desrenégats. Des ordres militaires, notamment les Hospitaliers établis àRhodes, puis à Malte (2), combattaient bien les infidèles, et, dans desanglants combats, leur arrachaient de nombreuses victimes ; mais cesvaillants chevaliers étaient impuissants pour porter secours auxcaptifs entraînés dans l'intérieur des Etats barbaresques. Aussi, en1198, deux Français, Jean de Matha (3) et Félix de Valois, touchés deces misères, fondèrent-ils — avec l'approbation du pape Innocent III —un nouvel ordre religieux sous le nom de Frères de la Sainte-Trinité oude Trinitaires, cet ordre eut pour mission spéciale d'employer lesaumônes des fidèles au rachat des captifs chrétiens. Dans leurconstitution, les Trinitaires ne devaient manger que des légumes et dulaitage, afin d'économiser davantage et de pouvoir ainsi arracher plusde victimes aux barbares. Quelques années plus tard, en 1123 [1223],un ordre analogue, celui des Pères de la Merci, fut institué eu Espagnepar un Français, Pierre de Nolasque (4). Ces religieux s'obligeaientpar vœu à engager leur propre personne et demeurer prisonniers, si celaétait nécessaire, pour la délivrance des captifs. « Pendant de longs siècles, ces deux ordres religieux rivalisèrentd'abnégation et de dévouement dans leur pénible mission. L'on a calculéqu'en six cents ans le chiffre des esclaves rachetés par l'ordre seul de la Sainte-Trinité s'est élevé à neuf cent mille... (5) » « Les Trinitaires, lisons-nous dans l'Histoire du pape Urbain IV,par l'abbé E. Georges, eurent pour chef-lieu de leur ordre Cerfroid,domaine que leur donna Gaucher III, de Châtillon-sur-Marne, aux confinsde la Brie et du Valois. » De ce foyer de dévouement s'élançaient les héroïques frères de laRédemption. Les uns partirent pour la Palestine avec les comtes deFlandre et de Blois, afin d'arracher les esclaves aux souffrances ducorps et aux dangers de l'âme ; d'autres allèrent sur les plages del'Afrique traiter avec l'émir de l'échange des prisonniers contre desmahométans qui gémissaient dans les fers sur les côtes de France,d'Espagne et d'Italie. Malgré ces courses lointaines et ces immenses travaux que leurinspirait une ardente fraternité chrétienne ; les Trinitairess'imposaient les plus dures privations : l'usage du poisson leur étaitabsolument défendu ; ils ne pouvaient manger de la viande que ledimanche, et encore fallait-il qu'elle leur eût été donnée en aumône ;ils ne devaient porter que des vêtements grossiers, des chemises deserge, et, dans leurs voyages, ne monter que des ânes, ce qui les fitappeler vulgairement Frères-aux-ânes. Urbain IV donna son 'approbation à une règle moins sévère ; il chargeaEtienne Tempier, évêque de Paris, et les abbés de Sainte-Geneviève etde Saint-Victor de revoir avec soin les constitutions des Trinitaireset d'en retrancher toutes les observances trop rigoureuses ; c'estainsi qu'il leur fut permis de se servir de chevaux, d'acheter dupoisson, d'user de viande ils eurent pour costume l'habit blancavec une croix rouge et bleue sur la poitrine. Ces modificationsne furent définitivement ratifiées qu'en 1267, par Clément IV. Les Trinitaires furent aussi appelés Mathurins, parce que l'église qu'ils occupaient à Paris était dédiée à saint Mathurin. II « Les couvents des Mathurins, très-répandus dans le Midi, étaient, aécrit notre savant maître et bien regretté ami, M. Raymond Bordeaux,très-rares en Normandie (6) : Verneuil fut probablement la premièreville de notre province où se fonda, en 1205 une maison de Trinitaires». En 1220, Lisieux reçut aussi deux religieux de cet ordre pouradministrer la Maison-Dieu que venait de fonder Jourdain du Hommet. LesMathurins restèrent à Lisieux jusqu'en 1791 (7). A Rouen, les Mathurins s'établirent en 1659, suivant Fein (8), en 1654, suivant N. Périaux (9) ; ils furent supprimés en 1792. Gisors dût aussi, à un tailleur d'habits, nommé Nicolas Huet,l'installation, en mai 1610, de deux Trinitaires du couvent deCaillouet, près de Chaumont, dans le petit ermitage bâti par Huet, etconnu sous le nom de Notre-Dame-de-Liesse (3). En 1248, Gislebert des Essarts, seigneur croisé, ayant été faitprisonnier par les infidèles, fut racheté, moyennant 1500 écus d'or,par des religieux mathurins. En mémoire de cet événement, ce seigneurfonda le prieuré de la Sainte-Trinité de la Poultière à la Guerouldequ'il confia à deux Trinitaires. Cette ministrerie subsista jusqu'en1769, époque à laquelle elle fut réunie à Saint-Eloi de Mortagne (10). III « L'entreprise du rachat des captifs, lisons-nous dans un ouvragepublié au XVIIIe siècle par les Trinitaires (5), étoit trop vaste pourêtre l'ouvrage d'un ou deux ordres religieux, le Pape, dans cette vue,jugea qu'il étoit à propos d'y faire entrer autant de fidèles qu'il sepouvoit, et d'étendre cette charité à tous les Etats qu'on devoitassocier, pour l'institution d'une Confrérie où il invitoit tous leschrétiens, touchés des malheurs de leurs frères, de vouloir entrer avecpouvoir aux religieux de l'ordre, de communiquer, leur habit, et leursavantages à tous ceux qui voudroient entrer dans leur zèle et leurcharité. » Telle fut l'origine des Confréries des captifsqui, à partir du XVIIe siècle, ne tardèrent pas à se répandre dans lesvilles et les campagnes. de la Normandie : car le but étaittrès-sympathique aux populations, même à celles qui paraissaient avoirle moins à en profiter. Bien peu de localités ont conservé le souvenir les titres de ces confréries, aussi notre liste est-elle loin d'être complète. Les Mathurins de Lisieux érigèrent dans leur église une confrérie de la Très-Sainte-Trinité et Rédemption des captifs, pour laquelle fut imprimée à Lyon, vers le XVIIe siècle, un petit livret aujourd'hui très-rare (R. Bordeaux). Thomas Corneille dans son Dictionnaire géographique décrit ainsi un curieux tableau existant alors dans l'église des Mathurins de Lisieux. « La contretable de leur grand autel est ornée de cinq grandes figuresqui sont admirées de tout le monde. Les trois qui sont au-dessusreprésentent un ange revêtu d'un habit blanc, ayant, comme lesreligieux de cet ordre, une croix rouge et bleue sur l'estomac ; iltient deux captifs enchaînés, et les deux autres qui sont aux côtés del'autel représentent leur deux patriarches : saint Jean de Mata etFélix, de l'illustre maison de Valois... » (Ch. Vasseur) Une confrérie analogue existait également à Caudemuche. Il existait aussi chez les Mathurins de Rouen une confrérie duscapulaire de l'Ordre. Ce scapulaire consistait en un petit morceau deserge sur lequel était cousu une petite croix rouge et bleue, signedistinctif de l'ordre des Trinitaires. (Farin.) Une confrérie analogue fut érigée, en l'église de Saint-Aubin-le-Guichard, en l'honneur de la Très-Sainte et Adorable Trinité et de Notre-Dame-du-Remède, en faveur de la rédemption des captifs,par lettres de l'Official d'Evreux, en date du 26 juillet et 1er août1659. Dans les statuts, modifiés le 23 mai 1724, il est dit « que leroi de la confrérie devait faire tenir l'argent tant de ses questes etaumosnes que des rentes de ladite confrérie au grand couvent desMathurins à Paris, et d'en représenter bonnes et valables quittances. »Les treize confrères devaient porter « casaques blanches marquées decroix rouges et bleues (13). » La confrérie actuelle de charité a eu le bon esprit, et nous l'enfélicitons, de conserver jusqu'à nos jours, sur ses chaperons, la croixrouge et bleue des Trinitaires. Le maitre-autel de l'église de cette paroisse est orné d'un tableauassez intéressant représentant une scène tirée du rachat des captifs ;ce tableau est loin de valoir celui de l'église voisine de Saint-Claird'Arcey. Il est fait mention plus haut des rentes que possédait la confrérie descaptifs de cette paroisse ; nous avons retrouvé trace de quelques-unes : « Le 10 juillet 1712, Pierre Morey, journalier de ladite paroisse, vendà la confrérie de la rédemption des captifs de Saint-Aubin... la sommede 60 sols de rente hypothèque, moyennant 54 l. présentement payéesaudit Morey en louis d'argent de 100 sols et monnaie ayant-cours (14). » Le 10 mai 1758, Louis Coustellier, directeur de ladite confraîrie,reçut de Jean Godet, époux de Catherine Morey, la somme de 54 l. pourle franchissement de la rente ci-dessus. « Le 1er juillet 1729, M. Guillaume Moullin, prêtre-curé deSaint-Aubin-le-Guichard, exécuteur testamentaire de M. Jean deMontreuil, prêtre-curé dudit lieu, remet à qui de droit la somme de 23l. 6 s. 8 d. non comptés les 2 s. par livre, à cause de la somme de 140l. données, par fondation perpétuelle, par ledit sieur de Montreuil, enfaveur de la confrérie des captifs érigée en ladite paroisse, par actepassé chez le sieur Fournier, notaire à Beaumesnil, le 31 décembre 1725(15). » En 1757, « noble dame Anne Avril, » fille du seigneur du fief de Burey,près de Nonancourt, étant devenue veuve de Gabriel de Malvoue, écuyer,seigneur du Homme et du Bosronfley, à Saint-Aubin-le-Vertueux,reconnaissait, en qualité de tutrice de ses enfants, une rentehypothèque de 12 l. 8 s. 10 d. tournois que la famille de Malvoues'était obligée de faire à la confrérie des captifs deSaint-Aubin-le-Guichard (16). Nous n'avons trouvé aucun document sur la confrérie des captifs deSaint-Clair d'Arcey ; son existence est, constatée seulement par untrès-beau tableau non signé ornant le maitre-autel et reproduisantpresque identiquement la jolie vignette formant le frontispice de la Relation de 1720 et le tableau de l'église des Mathurins de Lisieux signalée par Corneille. Bernay possédait aussi une confrérie des captifs ainsi que le témoignele curieux tableau cité par M. Raymond Bordeaux et qui était placé, ily a une dizaine d'années, dans une des chapelles latérales de l'églisede Sainte-Croix. Ce tableau, peu remarquable au point de vue artistique, esttrès-précieux pour l'histoire locale, et mérite, à plusieurs titres, lerespect et l'attention des antiquaires et des savants. Reléguée dans la tribune de l'orgue, exposée aux dégradationscontinuelles des enfants qui la défoncent à coups de pied et enlèventavec leurs doigts la peinture qui s'écaille, il est vraiment à désirerqu'une meilleure place soit réservée à cette toile qui remémore un desplus beaux faits locaux celui de la charité et du dévouement de nosancêtres pour leurs frères esclaves ; aussi, souhaiterions-nous la voirplacée soit au musée de cette ville, soit ailleurs, où du moins ellesoit à l'abri des outrages. Ce tableau diffère des deux que nous avons mentionnés tout en se rapprochant du dernier. En voici la description : La partie supérieure du tableau est occupée par la Sainte-Trinité. Au premier plan à droite, cinq personnages : le dey richement vêtu,assis, à la mode orientale, sur une estrade recouverte de coussins etde tapis ; trois gardes debout, l'un tenant une hallebarde et l'autreun mousquet à pierre, le troisième au bas des degrés de l'estrade ; unjeune esclave tenant au-dessus de la tête du dey un immense parasol. Au centre de la composition, trois personnages : l'interprète aussiaccroupi et tenant, suivant la coutume, ses mains croisées sur sapoitrine ; dans le fond, deux esclaves français enchaînés, à genoux ouaccroupis, la tête rasée ; trois captifs nus et martyrisés : l'un pendula tête en bas au-dessus d'un brasier, les deux autres empalés forment,avec un édifice, le fond du tableau. Au second plan, à gauche, neuf personnages debout ; deux musulmansconversant avec les suivants : quatre religieux mathurins revêtus deleurs longues robes blanches, ornées sur la poitrine de la croix rougeet bleue à huit pointes ; un gentilhomme français ; deux esclaves noirsapportant deux lourdes caisses renfermant la rançon des captifs. Dans le bas du tableau est la signature de l'artiste : I. B. DuboisPinxit (17), avec cette inscription tracée en grandes lettres jaunes : LES FRERES ET SOEVRS DE LA CONFRAIRIE DE LA Ste-TRINITÉ ONT FAIT FAIRE CE TABLEAV EN 1737. IV Lorsque les Pères Mathurins avaient recueilli en ans et en aumônes unesomme suffisante, ils traversaient la mer, comme nous l'avons dit, pouraller racheter les esclaves. La relation de leurs voyages était ensuite imprimée et les volumesvendus probablement au bénéfice de l'œuvre du rachat des captifs. Parmices ouvrages dont nous avons connaissance, plusieurs nous fournissentles noms de normands de notre contrée qui durent leur délivrance à ceshommes courageux dont plusieurs payèrent de leur vie leur généreuxdévouement, exemple que ne paraissent guère être disposés à imiter nosfameux philanthropes modernes. Voici les titres des ouvrages relatifs au rachat des captifs par les Trinitaires : [Histoire du règne de Mouley Ismael, roi de Maroc, etc. par le P. Busnot. Rouen, 1714. in-12. chez Guillaume Behourt] Relation, de ce qui s'est passédans les trois voiages que les religieux de la Mercy ont fait au Marocpour la rédemption des captifs en 1704-1712. Paris, Coustelier, 1724, in-12. Voyage pour la rédemption des captifs aux royaumes d'Alger et de Tunis, fait en 1720, etc. — Paris, Sevestre et Giffart, 1721, in-12 (18). Relation en forme de journal du voiage pour la rédemption des captifs aux royaumes de Maroc et d'Alger pendant les années 1723, 1724 et 1725, etc. — Paris, Sevestre et Giffart, 1726, in-12 (19). Relation des Etats de Fez et deMaroc, écrite par un Anglois qui y a été longtemps esclave, et traduitde M. Simon Ockley, professeur de langue arabe à l'Université deCambridge. — Amsterdam, Mortier, 1726, in-12. Etat des royaumes de Barbarie,Tripoly, Tunis et Alger, contenant la, manière dont les Turcs ytraitent les esclaves ; comme on les rachette et diversesavantures curieuses, etc. — Rouen, Mahuel, 1731, in-12. Voyage dans les Etatsbarbaresques de Maroc, Alger, Tunis et Tripoly, ou lettres d'un descaptifs qui viennent d'être rachetés par les chanoines de laSainte-Trinité, avec leurs noms. — Paris, Guillot, 1705, in-12. Le retour des Trinitaires et des esclaves rachetés était toujoursl'objet de fêtes populaires dont le caractère religieux laissait unprofond souvenir dans les esprits. Dans un des ouvrages ci-dessus, nous trouvons la relation du passage,dans notre contrée, d'un convoi de 62 esclaves rachetés à Alger en1720, parmi lesquels nous trouvons : Michel Albe, du Havre-de-Grâce,âgé de 43 ans, esclave pendant 10 ans. Toussaint le Verd, d'Evreux, âgéde 31 ans, esclave 5 ans. De Marseille, où ils arrivèrent le 20 mars de ladite année 1720, cesesclaves traversèrent un grand nombre de villes où ils furent reçusavec les manifestations de la joie la plus vive, puis, dit le narrateur: « Le Mardi 21 Mai, seconde Fête de la Pentecôte, tous les Captifs setrouvèrent rassemblez avec les PP. députez dans la Maison de Roüen ;mais la procession qui s'en fit ce même jour, se trouva malheureusementdérangée par une pluie abondante qui tomba, lorsqu'a peine elle nefaisoit que sortir du Couvent. La Paroisse de S. Godar en recueillitavec joïe les débris, et lui donna lieu de se rallier jusqu'à ce que lapluie fut cessée. Elle continua sa marche jusqu'en l'EgliseMétropolitaine, dédiée à la Sainte Vierge. Dès le midi une des grossesCloches, nommée la Princesse, en avait annoncé la venue ; et ne cessapoint de sonner jusqu'à la sortie de la procession de ladite Eglise oùon était entré au son de l'Orgue ; et le Te Deumfut chanté dans le Chœur par la Musique, comme l'Antienne de la Viergeen faux bourdon. Plusieurs Chanoines s'y trouvèrent par honneur. Aprèsun long circuit, il y eut plusieurs autres stations, à S. Ouen, auxJésuites, aux Minimes et à S. Nicaise, Paroisse de la Maison. Enentrant dans la célèbre Abbaïe de S. Ouen l'Orgue joua ; les deuxgrosses Cloches sonnèrent, et quatre Bénédictins se trouvèrent àl'entrée du Chœur pour recevoir les Esclaves, et inviter ceux quicomposaient la procession à prendre place. Aux Jésuites il y eutPrédication par le P. Malecot, qui s'étendit fort sur le Naufrage deMadame la Comtesse du Bourk. Les Minimes reçurent en Corps laprocession ; et à S. Nicaise, M. le Curé en Chape, accompagné de deuxautres Chapiers, la prévint avec l'eau bénite et l'encens, l'Orguejouant, et les Cloches sonnantes ; et après plusieurs Antienneschantées, la reconduisit jusqu'au bout du Cimetière. « La Communauté ne formoit pas seule le Corps de la procession ;plusieurs Ecclesiastiques des Séminaires s'y étoient joints en grandnombre. Les trompettes et timbales précedoient la Croix ; les hautboiset bassons suivoient les Esclaves qu'une multitude d'Anges accompagnoitpar ordre ; la Cinquantaine en habit d'Ordonnance étoit sous les armes; le Commissaire en chef de la Ville en habit de cérémonie, terminoitla marche. Les Etendards étoient portez de distance en distance par unejeunesse magnifiquement vêtue ; et de jeunes Clercs en Surplisportoient des flambeaux autour du Crucifix et de l'Image de la SainteVierge. « Le Mercredi 22, le P. Comelin appella par son nom et surnom tous lesEsclaves Flamans, et partit avec eux pour se rendre en Flandres. Il yeut environ quinze Esclaves qui resterent à Roüen jusqu'au jour de laTrinité, d'où le P. Philemon de la Motte les conduisit à Lizieux,suivant le désir de la Communauté et de la Ville, qui les avoitdemandez : Ils y arriverent le 28, et le 29, veille du S. Sacrement, ils'y fit une procession. La Cathédrale les reçut avec honneur au son descloches ; on y chanta le Te Deumalternativement avec l'Orgue ; il y eut station dans les deux Paroissesde la Ville, et n'y furent pas moins honorablement reçûs : On allaensuite aux Jacobins où le P. Ambroise Toumin, Ministre desTrinitaires, chanta la grande Messe ; et le P. Gabriel Vallée prêchaavec applaudissement. L'abbaïe des Dames ; la Paroisse S. Désir ;Messieurs du Séminaire, donnèrent également des témoignages de leurpiété, et de leur zèle pour les Captifs. Une Compagnie de Cavaliers àpied marchoit sur les deux ailes de la procession, pour empêcher ledésordre. Il y avait à la tête des trompettes et des tambours, etl'ordre qui fut gardé n'y plut pas moins que la multitude d'Anges,d'Etendarts et de Drapeaux qui en faisoit l'ornement. Les Captifs de leur propre mouvement se rendirent le lendemain Fête duS. Sacrement à la Cathédrale, et assistèrent à la procession générale,et se rangèrent deux à deux à la suite du S. Sacrement, porté par M.l’Evêque. « Le Vendredi suivant, ils furent congediez après avoir reçù de quois'habiller, et se défraïer jusques chez eux ; à la réserve cependant dequatre, qui aïant témoigné vouloir passer au Havre, furent conduitsjusques à Honfleur, par les PP. Philemon de la Motte et Gabriel Vallée; et où ils y furent reçus avec autant d'accueil et de distinction qu'àLizieux, quoiqu'en un aussi petit nombre. » Dans la seconde liste, comprenant 45 esclaves chrétiens rachetés dansla ville et royaume de Tunis, en mai 1720, nous trouvons encoreplusieurs noms de compatriotes : Antoine Lautier, de Honfleur, âgé de 50 ans, esclave 12 ans, et Michel Paris, de Rouen, âgé de 28 ans, esclave 5 ans. Cette troupe, débarquée à Marseille le 29 mai, ne passa point par notre province. La liste des 64 captifs français rachetés aux royaumes de Maroc etd'Alger, en l'année 1725, nous donne encore quelques noms de normands : MAROC. — Germain Cavelier, natif de Honfleur, diocèse deLisieux, âgé de 61 ans, esclave 40 ans. —Nicolas Fiolet, natif deFécan, diocèse de Roüen, âgé de 61 ans, esclave 38 ans. — NicolasBoissel, natif de Dieppe, diocèse de Roüen, âgé de 60 ans, esclave 11ans. — Olivier Desmarêts-Cotterel, natif de SaintMalo, âgé de 22 ans,esclave 4 ans. ALGER. — Julien Bosnier, natif de Saint-Malo, âgé de 27ans, esclave 1 an et 4 mois. Jean Barré, de Saint-Valery-en-Caux,esclave 36 ans. Les captifs du Maroc abordèrent au Havre, et, ceux d'Alger à Marseille. « Le Père le Roy débarqué au Havre avec les Captifs revenus du Roïaumede Maroc, y avoit déjà êté reçû avec toutes les démonstrations de lacharité que les Peuples avoient témoigné lors du départ des Peresdéputez. Il y fit la Procession avec les Captifs, qui commença parl'Eglise Paroissiale. M. le Curé leur fit tous les honneurs que l'onpouvoit espérer de son zèle : M. de. la Grange Lieutenant de Roi, avoitdonné ses ordres à ce que l'afluence des peuples n'y aportat point detrouble. « De là à Lislebonne, à Caudebec, à Roüen, d'où les Religieux du mêmeOrdre qui y sont établis, vinrent prendre les Captifs aux Vieux Palaisde la Ville, et les conduisirent à l'Eglise du Couvent, où ils reçûrentla bénédiction du Saint Sacrement. Ils y séjournèrent huit jours : on yfit une Procession aussi solennelle que celle qui s'est faite à Paris.On en fit une aussi à Ponteau-de-Mer, à Honfleur, ou Me.Matharel, en l'absence de M. son fils Gouverneur, eût les mêmesatentions qu'on avait eû au Havre; et ordonna de faire paroîtreau-dehors tous les Pavillons des Vaisseaux. M. le Cure de la Paroisseprincipale, après avoir célébré une grande Messe, fit faire laProcession avec les mêmes apareils. M. le Curé de Pont-l’Evêque en fitde même à leur passage alant à Lisieux, où il y a une Maison de l'Ordre: les Captifs y parurent en procession, avec permission de MM. lesVicaires Géneraux ; ils furent reçus à la Catédrale, et étant de retourà l'Eglise de l'Ordre, M. l'Evêque d'Avranche y donna la benediction duSaint Sacrement, après le Te Deum chanté. « On prit ensuite le chemin de Cerfroid, on passa à Neuboure, où se fitaussi la Procession ; de même aux Grands Andelis, à Gisors, où il y aaussi une Maison de l'Ordre. A Pontoise les Captifs furent menez enProcession à l'Abbaye de Maubuisson, où Madame l'Abbesse, sensible à lavûë de ces Infortunez, leur fit ses aumônes. On passa ensuite àMontmorenci, Maison de l'Ordre, d'où enfin on se rendit à Chelles.C'était un spectacle à présenter à la pieté et à la Religion de Madamel'Abbesse : cette Princesse qui fait joindre les qualitez du SangRoïal, dont elle est issuë, à la modestie et à la plus rigoureuseObservance de sa Regle, trouva des objets qui donneront une nouvelleoccasion à la charité qu'elle exerce envers tous les pauvres par sesliberalitez, et par ses attentions dans leurs Infirmitez. » En 1785, 313 esclaves furent rachetés à Alger par les Ordres de laTrinité et de la Merci ; parmi cette foule de malheureuses victimes dela piraterie musulmane se trouvait un certain nombre de noscompatriotes dont voici les noms : L. Goutières, de Trun, diocèse de Séez, âgé de 54 ans, esclave pendant28 ans. — M. Poidevin, de Cherbourg, 60 ans, esclave 28 ans. — J.-B.Fournel du même lieu, 61 ans, esclave 17 ans. — L.-B. Rudemar, deMontivilliers, diocèse de Rouen, 44 ans, 12 ans esclave. — E. Loiset,de Clévile, diocèse de Coutances, 37 ans, esclave 11 ans. — L. Guérin,de Saint-Clair, diocèse de Séez, 45 ans, esclave 10 ans. — J. Bouché,d'Aurigny-le-R., même diocèse, 23 ans, esclave 9 ans. — L.-J.-D. deBonnet, de Saint-Martin-sur-Renelle, diocèse de Rouen, 28 ans, esclave5 ans. — F. Cousin, de Bonneville, même diocèse, 41 ans, esclave 6 ans.— P.-D. Putel, de S.-J.-de-Dieppe, 27 ans, esclave 6 ans. Ces esclaves arrivèrent à Marseille le 9 juillet 1785 et une partiepassa par Lisieux ; malheureusement nous n'avons pas les détails de larelation de leur passage dans notre contrée ; il est probable que lescérémonies furent à peu près les mêmes que celles que nous avonsrapportées plus haut. Ce fut, croyons-nous, le dernier voyage en Afrique des Trinitaires. La Révolution en supprimant, quelques années plus tard, tous les ordresreligieux, détruisit du même coup celui des Trinitaires, des Pères dela Merci et par là même les Confréries des Captifs; cependant le sort des malheureux esclaves chrétiens n'avait paschangé, « car en 1805 » dit. encore M. R. Bordeaux, « lorsque Napoléonenvoya son frère Jérôme en ambassade auprès du dey d'Alger, Jérômedélivra et ramena deux cent cinquante captifs. » Ce fut la conquête de l'Algérie, en 1830, sous Charles X, qui mit fin à la piraterie musulmane et à l'esclavage des chrétiens. Comme nous le disions au commencement de cet opuscule, la charité aentièrement changé de forme et d'objet. S'il n'y a plus aujourd'hui dechrétiens captifs à racheter en Barbarie, combien en France n'y a-t-ilpas d'esclaves de la libre-pensée et du respect humain ! Que Dieu donne aux Jean de Matha et aux Félix de Valois actuels, qui sedévouent aussi pour le salut de leurs frères, les moyens d'arracher cesmalheureux de leur captivité morale, dont les conséquences sont sipréjudiciables aux intérêts de notre patrie si tourmentée. E. VEUCLIN. Ouvrages relatifs au rachat des captifs et omis dans la nomenclature précédente : Victoires de la charité ou relation des voyages de Barbarie faits enAlger par le R. P. Lucien Herault pour le rachat des français esclaves; aux années 1643-1645, par les religieux de la congrégation reformée de l'Ordre de la Sainte-Trinité. 1646 ; petit in-8° avec titre gravé et imprimé. Voyage d'Orient du R. P. Philippe de la Très-Saincte-Trinité, où ildescrit les divers succez de son voyage, plusieurs régions d'Orient,leurs montagnes, etc., Lyon, Julliéron, 1652, in-8°. Relation de la captivité dv sievr Emanvel d'Aranda, où sont descriptesles misères, les ruses et les finesses des esclaves et des corsairesd'Alger. Paris, 1657, petit in-12, avec sommaire de l'antiquité de la ville d'Alger. Quesné. — Histoire de l'esclavage enAfrique (pendant trente-quatre ans), de P.J. Dumont, natif de Paris,maintenant à l'hospice royal des incurables. Paris, 1819, in-8°. NOTES : (1) Saint Vincent de Paul à Bernay, en 1650. – Prix : 50 centimes au profit des-pauvres. (2) L'ordre religieux et militaire de Saint-Jean de Jérusalem (appeléaussi de appelé aussi : de Malte, de Rhodes), fut fondé par un Françaisau milieu du XIe siècle. Les chevaliers de cet ordre devaient donnerl'hospitalité aux pauvres pèlerins et combattre les infidèles.L'habillement des Hospitaliers était à peu près le même que celui desprêtres ; ils étaient distingués par une croix blanche à huit pointescousue sur le côté gauche de leur robe et de leur manteau, ainsi quesur leur cotte d'armes qui était de couleur rouge. (3) Jean de Matha était né en 1160 au bourg de Faucon à l'extrémité de la Provence. (Fleury, Hist. Eccl.) (4) Pierre de Nolasque était un gentilhomme du Languedoc, né au Mas-Sainte-Puelles, près Castelnaudari. (5) Tracts publiés par le comité des cercles catholiques d’ouvriers, à Paris. (6) Les confréries des captifs dans le département de l'Eure. Almanach de l'Eure pour 1863. (7) Ch. Vasseur, Notice histor. sur la Maison-Dieu et les Mathurins de Lisieux, 1864. (8) Hist. de Rouen, édition du Souillet. (9) Hist somm. et chronol. de Rouen. (10) Charpillon et Caresme. Dict. hist. de l'Eure, Gisors. (11) R. Bordeaux. La légende du sire des Essarts. Alm.-ann. de l'Eure pour 1870. — Notes communiquées par notre digne ami feu M. l'abbé Caresme. (12) La tradition de l'Eglise. 2° partie de la relation de l'année 1720. (13) Notes communiquées par M. H. Quevilly. (14) Archives de la Société histor. de Lisieux. (15) Archives de l'Eure. — Notes A. Gardin. (16) R Bordeaux. Les confréries des captifs. (17) Le peintre Pierre Léger, élève de Jean Jouvenet, né à Rouen dansle XVIIe siècle, s'est fait connaître par un tableau représentant le Rachat des captifs par les Religieux Mathurins. (R. Bordeaux.) (18) Un exemplaire de cet ouvrage, faisant partie de la très-richebibliothèque de notre ami, M. l'abbé Loir, porte cette mentionmanuscrite : « Présenté à Madame la marquise de Prye par son très-humble serviteur le père Dominique Rx Trinitaire. » (19) Cet ouvrage et le précédent nous ont été gracieusement offerts par notre ami M. H. Quevilly. |