I
« LES PÉTUNIAS »
Me regardant par-dessus son lorgnon, le docteur conclut :
- En somme, rien de grave du tout. Du surmenage, tout simplement. Commeremède, du grand air, du repos, du sommeil. Qu’est-ce que vous comptezfaire cet été ?
Cet été ? Ma foi, je n’ai nulle envie de m’absenter. Donc, en juillet,je sortirai avec les amis qui ne quitteront Paris qu’en août. Ilsm’emmèneront dîner à Vieux-Moulin, à l’Isle-Adam ou à Barbizon. Onboira du champagne ; on dira des mots inutiles ; on se couchera à deuxheures du matin. J’aurai mal à l’estomac et la migraine.
En août, je sortirai avec les amis absents en juillet et rentrés letrente et un. A leur tour, ils m’emmèneront dîner à l’Isle-Adam, àBarbizon ou à Vieux-Moulin. On reboira du champagne ; on redira desmots inutiles ; on se recouchera à deux heures du matin, et j’auraiencore la migraine et mal à l’estomac. Voilà, mon cher docteur, ce queje compte faire. Mais puis-je avouer pareil programme à un homme qui meparle repos ? Comme je me tais, il reprend :
- Ce qu’il vous faut, c’est quitter Paris. Allez-vous-en. Couchez-vousà dix heures, levez-vous à huit. Dormez, dormez beaucoup ; on dort malà Paris. Nous sommes en mai, voici les beaux jours : partez et nerentrez pas avant septembre.
Je le regarde attérée.
- A cette époque ! Mais où aller ?
- Où vous voudrez, excepté à la mer qui vous énerverait. A la montagne,par exemple. Tenez, voici justement un prospectus que j’ai reçu cematin.
Et cet excellent homme me tend un papier bleu ciel où je lis ces motsaffligeants :
« Cuisine de famille. »
Mais, tout de suite au-dessous, cette perspective alléchante :
« Vue sur le Mont-Blanc »
Les Pétunias
(A 700 mètres d’altitude.)
Vue sur le Mont-Blanc ! Je suis conquise !
- Vous en avez de la chance, m’a dit la patronne des Pétunias, en memontrant une chambre. C’est la mieux exposée ; elle est libre. Je vaisvous la donner.
J’ai fait trois pas vers la fenêtre.
- Est-ce que, d’ici, je verrai le Mont-Blanc ?
Sourire énigmatique de la patronne.
- Ah non ! Il est de l’autre côté, madame. Mais excusez-moi, je vousquitte. Je crois qu’on m’a appelée.
J’ai pourtant l’oreille fine et n’ai rien entendu. Malgré ma candeur,un soupçon me traverse l’esprit. Pourquoi la patronne s’est-elle sauvéedès que j’ai parlé du Mont-Blanc ? N’importe ! Voici, avec un tablierfestonné, une grosse fille rougeaude qui passe dans le couloir.
- Mademoiselle ?... Montrez-moi donc une chambre ayant vue sur leMont-Blanc.
- Sus l’Mont-Blanc ? Y en a point.
- Comment ! « Y en a point ! » Mais le prospectus dit…
- Ah ! Vous voulez l’voir ? Eh ben, v’nez.
Je la suis. Au bout du couloir, à droite, l’escalier ; à gauche, unefenêtre ; au fond, une porte.
La grosse rougeaude en pousse le battant. Je me trouve en face d’unpetit réduit, dans lequel les pensionnaires se débarrassent de leursgros bagages. A deux mètres cinquante du sol s’ouvre une petitelucarne. J’avance la tête.
- Oh ! Vous l’verrez pas comme ça, fait la fille. Faut grimper sur lagrosse malle jaune.
Je me hisse sur la malle jaune ; je m’accroche à l’espagnolette ;j’allonge le cou, et là-bas, tout là-bas, au bout de l’horizon, entredeux cimes de sapins, je le vois, lui, le Mont-Blanc !
Trois centimètres de crème Chantilly.
Le prospectus ne mentait pas.
Au mur de ma chambre, une pancarte est suspendue :
« MM. les pensionnaires sont priés de descendre pour les repas aupremier coup de cloche.
Je n’attends que cela. Bien plus que la faim, le désir de connaître mescompagnons d’exil me tenaille. Des galopades ou des pas lourds àtravers le couloir et l’escalier m’ont déjà renseignée sur l’âge dequelques-uns ; des appels, sur leurs noms. Je sais qu’il y a uneNénette, un M. Robert, et je devine un vieux corbeau, homme ou femme,dont mon ouïe diagnostique mal le sexe et qui remplit l’air de sa voixdiscordante.
J’entre dans la salle à manger et je suis à la foire. Autour d’unetable commune s’alignent des têtes à massacre : Deux jeunes filles ;une dondon frôlant la quarantaine ; deux vieilles dames ; quatre jeunesgens ; une blonde soufflée, vraie pleine lune ; un monsieur chauve ;une jeune femme toute fine et trop pâle. Une place vide m’attend entreune des vieilles dames et un jeune homme. Je fais treizième à ladouzaine.
Dix secondes de silence saluent mon entrée, puis les conversationsreprennent : « Depuis deux mois, j’ai engraissé de quatre kilos. – Etmoi, maigri de deux. – Moi, je n’ai pris que cinq cents grammes. – J’aiengraissé, mais je ne dors pas lance le chauve d’une voix plaintive. –C’est comme moi, gémit Pleine Lune, impossible de fermer l’œil. »
Tous ces gens-là sont ici pour leur santé. Bien sûr ! Qui doncs’accommoderait au 4 mai des Pétunias, si ce ne sont les surmenés commemoi, les amaigris comme eux ?
A la montagne, cette jeune fille, fleurie d’acné, qui vient duPas-de-Calais pour prendre du poids, et Mlle Nénette, qu’on vientd’opérer de l’appendicite, et la jeune femme trop pâle, que le sommeil,depuis plus d’un an, a fuie.
A la montagne, le vieux corbeau aux bronches graillonnantes, que j’aifini par étiqueter « femme ». A la montagne, le beau Robert, auxcheveux laqués, dont les vingt ans ont grandi trop vite, et M. Ratier,dit « P’tit Rat », qui toussote. A la montagne, toi, le chauve, auperpétuel coryza, et Pleine Lune, qui fait l’anémie graisseuse.
Tandis que je les examine et les écoute, le dîner s’est achevé. Despetits beurres – deux par personne, pas un de plus – ont clos le festin.
Fleur d’acné, Nénette, Robert, P’tit Rat, le vieux corbeau et le resteont émigré vers les fauteuils grenat usagés du salon. Je demeure seuledans la salle à manger avec une des deux vieilles dames. Sans mot direalors, pour ne rien perdre certainement du dîner, elle enlève sonrâtelier de sa bouche et, avec sa langue, le lèche consciencieusement.
- Madame, dis-je sans préambule à cette femme distinguée, tandisqu’elle s’acharne après un filament de veau incrusté entre deuxmolaires, comment se fait-il que toutes ces personnes se plaignent dene pas dormir ? Il me semble pourtant qu’à la montagne…
- Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Ça ne pense qu’àflirter ! Rien de plus excitant. Vous n’avez pas remarqué ? Non ?
Toi, tu es une vieille flic, mon flair m’a bien guidée en m’aiguillantsur toi. Dommage que le filament de veau soit si récalcitrant,autrement, je saurais tout. Ayant eu la patience d’attendre quel’appareil, nettoyé, eût enfin réintégré un palais qu’il n’auraitjamais dû quitter, j’appris en moins d’une demi-heure :
Que Fleur d’acné, dès le jour de son arrivée, s’est jetée à la tête dubeau Robert : « Un jeune homme si bien, madame, qui n’aime pas lessardines et me repasse les siennes. Et M. Taupin, vous savez, lechauve… »
Comment ! Je n’avais pas vu ! Mais M. Taupin faisait la cour à PleineLune !
- C’est du propre ! Ils sont mariés tous les deux ! Vous n’avez pasfait attention : il lui a demandé de lui passer la carafe. Vous nesavez pas ce que cela veut dire ?
J’avoue mon ignorance. Non, je ne sais pas.
- Eh bien ! Que ce soir, il ira prendre l’air sur le balcon. S’il luiavait dit : « Voulez-vous du pain ? », cela aurait signifié, aucontraire : Il fait froid, je reste dans ma chambre ».
Voyez-vous ça ! Ces amoureux, tout de même !
La vieille Flic poursuit, ravie de mon oreille complaisante :
- Quant à cette pauvre Nénette, elle voudrait bien que P’tit Rats’occupe d’elle. Mais comment voulez-vous ? Une malheureuse qui suceles murs…
Je sursaute :
- Comment dites-vous ?
- Mais oui, une malade, naturellement. Ses parents – des gens trèscomme il faut, vous savez, – ont bien recommandé qu’on lui donne unechambre ripolinée.
- Pourquoi ?
- Mais comme je vous ai dit, parce qu’elle arrache les papiers poursucer les murs.
Je la regarde abasourdie. Est-ce possible !
- Oh ! il ne faut s’étonner de rien, fait-elle, placide. J’ai bienconnu un charmant garçon de seize ans qui s’épilait la tête pour mangerses cheveux.
- Brrrr !
- Et vous, peut-on savoir, madame, pourquoi vous venez ici ?
Je me mets à rire :
- Oh ! Je ne lèche pas les murs, ni ne mange mes cheveux.
« Un peu de fatigue…
- Vous verrez, ça vous remettra d’aplomb !
Et elle me glisse cette confidence pour le moins inattendue :
- Ainsi, imaginez-vous, moi, je suis d’un tempérament très constipé.J’ai tout essayé, rien n’y faisait. Les pilules, les drogues, les eaux,les massages, tout, je vous dis, tout ! C’était comme si j’avais jouéde la flûte. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, la montagne, çame déconstipe.
Enchantée, madame, enchantée.
Je suis terriblement naïve. Il m’avait suffi de lire sur la pancarte dema chambre que, passé 22 heures, le plus grand silence était exigépour, bonnement, m’apprêter, à dix heures moins un quart, à suivre lesconseils de mon médecin et à m’endormir.
Et voici qu’un léger ronflement, tout petit d’abord, perce la muraille,puis grandit, s’élève, s’élargit, gonfle et éclate en fanfare !
Hélas ! Trois fois hélas ! J’avais compté sans les phonographes !Successivement, celui de Mlle Nénette me verse « les Bateliers de laVolga », « Les Chœurs Ukrainiens », un andante de Bach.
Je m’incite à la patience, au calme. Je me répète de belles phrasesphilosophiques : « Il faut savoir se supporter les uns les autres. » «Partout, on entend du bruit », et aussi autres maximes, inventées parles gens sans-gêne à l’usage des personnes discrètes.
Enfin, le silence renaît, et je m’endors sur cette pensée consolante :Je ne vais faire qu’un somme et dormirai tard demain matin.
Quelle audace ! Minuit sonnait à l’église quand des aboiements furieuxme réveillent en sursaut. Petit intermède qui dure une bonnedemi-heure. Une chatte, ensuite, en quête d’amour, emplit les airs deses vains désirs. Puis le Créateur, qui fit bien toutes choses, ayantdonné au coq mission de saluer le soleil, je n’eus plus, dès quatreheures du matin, qu’à me répéter avec conviction : « Seigneur, quevotre saint nom soit béni ! »
Des chiens, alors – ceux de cette nuit, ou d’autres – se répondirent deferme en ferme, et je sombrais, malgré tout, dans l’oubli, lorsque,sous ma fenêtre, des voix aigres de commères se mirent à discuter duprix qu’un certain Claudinet avait vendu son cochon :
- Et j’te dis, moi, qu’il en a tiré 1 400 francs.
- C’est pas possible, pisque…
Complètement indifférente aux raisons de cette impossibilité, je mefourrai la tête sous mes couvertures, et je sentais un délicieuxengourdissement me gagner, quand le vrombissement de l’aspirateur dansle couloir et, au rez-de-chaussée, les portes claquées par lesservantes essayèrent de me persuader que j’avais bien assez dormi.
- Quittez Paris et dormez beaucoup, m’a dit mon docteur.
Ces médecins ! Ça ne doute de rien.
Il y a cinq jours, exactement, que je suis aux Pétunias. Ce minimum asuffi pour que la dondon quadragénaire me jugeât digne d’êtredépositaire de ses secrets d’alcôve. Comme nous remontions ensemble leraidillon qui mène à la pension :
- Grand arrivage, cette semaine, me dit-elle. Demain matin, mon mari ;demain soir, celui de la petite jeune femme.
- C’est donc pour cela qu’elle a l’air d’être si contente.
- Oui. Mais sa mère l’est moins.
Sa mère, c’est le vieux corbeau.
- Pourquoi ? Elle est mal avec son gendre ?
- Pas précisément. Mais cette petite est ici pour se reposer, elle estbien tranquille ; elle commence à reprendre des couleurs, un peu depoids, quand, patatras ! voilà le mari qui arrive et tout estchambardé. Les hommes, vous savez, c’est si égoïste ! Il est venu déjàpasser deux jours, il y a un mois. Il fallait voir la mine de sa pauvrefemme : des yeux qui lui mangeaient la figure, madame ! Et lui, un bongros réjoui, plein de santé, qui s’en fourrait jusque là et voulait enavoir pour le prix de son voyage. Si ce n’est pas dégoûtant ! Aussi, sabelle-mère me l’a bien dit : Cette fois-ci, ça ne se passera pas commel’autre.
- Elle ne va tout de même pas le mettre dehors ?
La dondon s’arrêta un instant pour reprendre haleine, car le raidillonétait dur, puis cette délicieuse épouse me glissa :
- Elle n’a qu’à dire à sa fille de faire comme moi. Vous ne savez pasd’où je viens, madame ?...
Comment le saurais-je ?
- …De chez le médecin. Je me suis fait faire une ordonnance afin quemon mari me laisse tranquille. Oh ! Ce n’est pas que je sois malade. Unpeu d’emphysème ; ce n’est pas mortel, ni même grave, mais moi, vouscomprenez, depuis dix-neuf ans que je fais « ça, » je commence à enavoir assez. Dix-neuf ans ! Ce n’est pas un jour ! J’ai raconté aumédecin que « ça » me donnait des étouffements. Ce n’est pas vrai, voussavez ; « ça » m’embête seulement. Il n’y a pas été voir, n’est-ce pas? Alors, regardez : il a bien mis sur l’ordonnance : Repos absolu soustoutes ses formes. Evitez les excitations de tous genres. Vouscomprenez ce que cela veut dire. Non, mais, depuis dix-neuf ans, madame! Faire « ça » depuis dix-neuf ans ! J’en ai plein le dos ! Vousrendez-vous compte ? Dix-neuf ans !
Ce dont je me rends compte, en tout cas, c’est de la tête du mari quiaura roulé dix heures, fait 600 kilomètres, passé une nuit dans letrain, et qui ajuste son binocle pour lire une pareille ordonnance.
Le mari n’a pas de binocle. Il est, ma foi, fort bien, cet homme. Iltrouve aussi le moyen de n’être même pas nerveux.
Sa présence précise à la jeune femme celle maintenant très proche deson mari, à elle, et cette attente la rend aujourd’hui toute rose etplus jolie. Je veux bien penser que, demain, ses yeux seront un peucernés, mais bah ! la belle affaire !
Elle aura ensuite un mois, ou plus, pour se reposer.
Les « Bateliers de la Volga » s’étant, ce jour-là, couchés de bonneheure, je décidai de les imiter. Je tombais de sommeil. Ma pauvrepetite sieste d’après déjeuner, par quoi je complète mes nuitsécourtées, avait été, comme trop souvent, hélas, interrompue par une T.S. F. impitoyable, pleine de bonnes intentions à me faire connaître lescours du blé et du colza. M’en plaindre au bureau ? Inutile. Je l’avaisdéjà fait ; cela n’avait servi à rien. Je m’assoupissais donc, quand unbruit de voix violentes me fit prêter l’oreille :
- Je vous dis que non !
- Et moi, je vous dis que si !
- Vous êtes un assassin !
- Vous, une mégère !
- Daniel ! Daniel ! Je t’en supplie… !
Le vieux corbeau, la jeune femme pâle et le mari, Daniel, qui vientd’arriver.
Puis, cette phrase, digne de l’Ambigu :
- J’ai ma fille à sauver, monsieur ! Et je la garde !
Là-dessus, une porte lancée à la volée.
Le grand silence.
Pauvres petits époux ! J’imaginais le vieux corbeau et sa fille dans lachambre à deux lits, qu’elles occupent depuis leur arrivée, et lui,Daniel, le mari, dans sa petite chambre, à l’étroit matelas decélibataire seul, tout seul, lamentablement seul !
- Croyez-vous, ma chère dame, expliquait, le lendemain, le vieuxcorbeau à tout venant, que je vais m’esquinter le tempérament à soignerma fille, pour qu’en deux jours, qu’est-ce que je dis, en deux nuits,son mari vienne détruire le résultat d’un grand mois de traitement !Alors, je lui ai dit : C’est moi qui casque, hein ? Ce n’est pas avecvos appointements d’employé de banque que vous pourrez vivre et payerici pour votre femme. Ecoutez-moi bien : Vous ne la verrez qu’auxrepas. Et c’est à prendre ou à laisser : Ou vous ferez chambres à part,et le jour aussi vous lui ficherez la paix, ou je rentre chez moi et jene donne plus un sou.
Cette mère au cœur tendre aurait bien sûr fait comme elle le disait.
Alors, elle, la petite, demeurait allongée tout le jour, sur son «transat », devant la fenêtre grande ouverte, et lui, Daniel, pour « luificher la paix », faisait les cent pas dans sa chambre en fumant descigarettes. Mais le vieux corbeau, cinq minutes, était-il forcé des’absenter, vite, une porte doucement s’entr’ouvrait ; sur la chaiselongue une fine tête se dressait, un peu de rose colorait les jouespâles, et c’était l’ardente fusion de deux bouches jeunes et amoureuses.
Bientôt, hélas, un pas pesant annonçait un trop rapide retour.Silencieux comme il était arrivé, l’Amour s’en allait. Il ne restait,de sa venue, qu’un sourire narquois sur les lèvres de la jeune femme.
Mais le vieux corbeau, sitôt le seuil de la porte franchi, reniflait encroassant :
- Ça sent le tabac, ici !
Malgré sa mère, geôlière incorruptible, la jeune femme trop pâle eut,après le départ de son mari, les yeux cernés et des nuits blanches. Onfit venir le docteur.
Bibendum, je vous dis, Bibendum affublé d’un pantalon à côtes et d’unfeutre crasseux. Je ne voudrais pas que cet homme-là me touche.
Il est venu dans son auto. Je l’ai croisée sur la route, comme jesortais des Pétunias pour une petite promenade. Il n’y était pas seul.Dans le fond, une tête hirsute, toute frisottée, a évoqué en moil’image de la Mme Papofski du
Général Dourakine.
A mon retour, l’auto stationne devant la porte de la pension. Le coupd’œil que j’y jette à l’intérieur me cloue sur place. Juste à cemoment, la vieille Flic me rejoint.
- Vous avez vu, hein ?
- Oui… Quelle idée !
- Et c’est tous les jours ainsi !
- Mais que signifie ?...
Familièrement, la Flic m’empoigne par le bras.
- Marchons un peu, la cloche du déjeuner n’est pas encore sonnée.
Puis, trois pas plus loin :
- C’est la femme du docteur. Imaginez-vous qu’autrefois son mariexerçait dans une très grande ville, à B… Un cabinet excellent. Maislui était horriblement coureur… Comme tous les gros hommes. Vraiment ?Vous ignoriez ? Mais si, madame ! Mais si ! Pourquoi ? est-ce que jesais, moi ? C’est un fait acquis. N’allez pas me demander pourquoi laTerre est ronde. Alors, ce gros homme, sous couleur de visites à sesmalades, s’en allait faire le petit fou. Vous l’avez vu. Non, mais,vous le représentez-vous en gilet de flanelle ? Un bon conseil, madame: si vous êtes jalouse, n’épousez jamais un médecin. Sa femme avait lemalheur de l’être. De là des scènes, des menaces qui auraient fini parle revolver s’ils n’étaient venus s’exiler ici. Elle y est à peu prèstranquille, mais elle le surveille, oh, là là ! Elle l’accompagne danstoutes ses visites. C’est qu’il ne faut pas qu’il s’attarde troplongtemps, surtout si la malade est jeune. Elle a vite fait, je vous enréponds, de faire marcher la corne de l’auto pour le rappeler àl’ordre. L’année dernière encore, pour passer le temps, elle faisaitdans la voiture de la broderie ou du tricot, mais depuis que le docteura mis à mal un petit laideron des environs qu’elle avait à son service,elle fait tout dans son ménage.
« Et c’est pourquoi on peut la voir, comme aujourd’hui, dans son auto,éplucher selon la saison des carottes, des épinards, des salsifis oudes petits pois.
Ayant soupiré, la vieille Flic résuma :
- Encore une qui aurait mieux fait de ne pas se marier… comme moi,d’ailleurs.
- Comment ! Vous aussi, vous épluchiez vos légumes en auto !
- Que non, madame, que non ! Mais à quarante-deux ans, si étrange quecela vous puisse paraître, j’étais encore fille. Le mariage ne metentait pas. Et puis, un beau jour, des amis sont arrivés à meconvaincre Histoire de savoir ce que c’était…
« J’ai toujours trouvé stupides les gens qui vous déclarent par exemple: « Moi, je n’aime pas la morue », et qui, lorsqu’on leur demande : «En avez-vous déjà mangé ? » vous avouent que non.
« Pour savoir si j’aime la morue, moi, j’y goûte.
« Eh bien, madame, je ne l’aime pas.
« Mon mari n’était ni méchant, ni coureur, ni avare, ni dépensier, nibête, ni pauvre, ni laid, ni même impuissant. Il était pire que toutcela, vous entendez, pire ! Et je l’ignorais !
« Dès sept heures du matin, il allait chercher son échiquier, endisposait les pièces et me tenait là des heures des heures, des heures,et des heures. Je me suis vue, madame, déjeuner à quatre heures etdîner à onze. Bien mieux, je me souviens d’une nuit où nous ne noussommes pas couchés. Et ce n’est pas un cas de divorce ! Sur cetéchiquier de malheur, il avait tué, l’un après l’autre, tous sesmeilleurs amis, et ceux qui n’étaient pas morts étaient à Sainte-Anne.Le jour où on y a interné le dernier survivant, il a eu un désespoiraffreux : « Mon Dieu ! Que vais-je devenir ? » Le lendemain, ildemandait ma main. Enfin, heureusement… Oh ! qu’est-ce que je dis là ?Enfin mon mari est mort. Le soir même, tout ce qu’il y avait de jeuxdans la maison, tout, jusqu’à l’inoffensif loto, était à la boîte àordures.
« Maintenant, vous comprenez, n’est-ce pas, pourquoi je n’aime pas lamorue.
J’allais lui répliquer qu’il y a différentes façons de la manger,quand, stridents, impérieux, agressifs, me coupant la parole, des «couincouin » multipliés vinrent intimer à Bibendum l’ordre deréintégrer au plus vite la cuisine-auto.
En même temps, la cloche du déjeuner fit surgir, au tournant de laroute, Fleur d’acné aguichante qui, à l’aide d’une herbe folle,chatouillait le beau Robert dans le cou et, à notre droite, Pleine Luneflanquée de M. Taupin. Il lui portait son ombrelle.
- Quand je vous le disais, grinça la Flic, qu’ils couchaient ensemble !
Devant une preuve aussi accablante, je n’avais qu’à m’incliner.
- Pourvu que ça ne fasse pas du vilain, avait-elle ajouté.
Cela en fit huit jours exactement après que M. Taupin fut rentré aufoyer conjugal.
Par les soins d’une personne dévouée à son bonheur et dont la modestieétait désireuse de conserver l’anonymat, le mari de Pleine Lune futaverti de ce qu’on est accoutumé d’appeler son infortune.
C’était un dimanche soir. On en était au dessert. Tous les pétunias,alourdis de crème à la gélatine, par quoi on célébrait ce jour-là lagloire du Très-Haut, virent soudain la porte de la salle à mangers’ouvrir brutalement, et je m’étonnai aussitôt que le tout petit hommequ’elle vomit pût, à lui seul, faire tant de bruit.
En trois pas de ses toutes petites jambes, il fut sur Pleine Lune et,avec une vigueur que l’on n’eût certes pas attendue de ce bout d’homme,il appliqua sur sa large face une magistrale paire de giffles.
Mais déjà la maréchaussée accourait : grande et forte, la patronne, enle voulant maîtriser, semblait dominer un vieux petit garçon rageur.
- Voyons, voyons, monsieur, un peu de calme !
- Elle m’a fait cornard !
- Mais, monsieur…
- Cornard, vous entendez ! On me l’a écrit. Je m’en doutais bien,d’ailleurs. Elle ne parlait que de lui dans ses lettres : M. Taupinpar-ci… M. Taupin par-là. Il paraît qu’ils passaient tous les deuxleurs soirées seuls sur le balcon. Je t’en ficherai des roucoulades,moi ! Que monsieur escortait madame dans toutes ses promenades ! Qu’ilvenait lui dire bonjour le matin dans sa chambre ! Et que… et que…cornard elle m’a fait ! Cornard !
- Taisez-vous ! Ce sont là choses dont on ne se vante pas !
- Cornard ! Cornard ! répétait-il en agitant ses petits bras.
Rien de plus comique que d’entendre ce chétif revendiquer ses droits àcette auréole comme un autre ses titres à la Légion d’honneur. Et ilavait l’air de tant y tenir que la patronne et tous les pétuniasfinirent par dire comme lui.
- Mais, s’indigna tout à coup quelqu’un, qui donc a pu envoyer cettelettre ? C’est honteux.
Mes yeux, par hasard, se portèrent sur Mme Flic. Complètement détachéede tout ce qui se passait autour d’elle, elle s’intéressait de façonprodigieuse à la fleur du fond de son assiette. Sous l’insistance demon regard, machinalement, elle leva le nez.
Il me sembla la voir rougir imperceptiblement.
La vieille Flic, la dondon et moi sommes le surlendemain soir réuniesdans le salon.
Les autres pétunias sont allés au cinéma.
Le beau Robert, seul, est resté, avec un mal de tête qu’il veut debonne heure mettre sur l’oreiller.
Il vient de monter à la minute. Nous allons l’imiter, quand on le voitréapparaître.
- Comment, vous n’êtes pas couché, monsieur Robert ?
- Je ne peux pas me coucher.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il hésite, bafouille et finalement avoue.
A ceux partis au cinéma, Fleur d’acné a dit être fatiguée et vouloir sereposer. A la patronne, elle a fait croire qu’elle allait au cinéma.Rien de plus simple.
En réalité, elle est là-haut, dans le lit du beau Robert.
Cette charmante enfant a poussé l’innocence jusqu’à se dévêtircomplètement. Prise alors, sans doute d’une exquise pudeur, elle n’arien trouvé de mieux, pour cacher sa nudité, que d’enfiler le pyjama denuit de M. Robert et, couchée à plat ventre dans ses draps, les yeuxfixés sur la porte, elle l’a attendu.
- Quand je l’ai trouvée là, je me suis d’abord mis à rire. Cette gaminebourgeonnante ne me tente pas du tout. Et puis, une jeune fille, non,merci ! Je ne suis pas venu ici pour tant travailler !... J’ai pris lachose à la blague.
« Vous avez bu des cocktails cet après-midi, ce n’est pas possibleautrement. Sortez de là, mon petit, et laissez-moi me coucher.
« Savez-vous ce qu’elle m’a répondu ?
« - Non, je ne m’en irai pas. Je suis dans votre lit, j’y reste. Sivous voulez dormir, allez dans le mien.
« Voyez-vous demain matin ce scandale, quand on aurait apporté lespetits déjeuners ! Je n’avais que deux partis à prendre. Ou labousculer comme elle le voulait, ou redescendre, ce que j’ai fait. Jepense qu’elle a compris et qu’elle est retournée dans sa chambre.
A mi-voix, la dondon murmure :
- On voit bien qu’elle n’a pas fait « ça » pendant dix-neuf ans.
La Flic, elle, vieille souris, reniflant l’esclandre, est déjà debout.
- Allons voir !
Chef de file, elle est la première à atteindre la porte de M. Robert.
Un chuchotement : « Elle est toujours là ! » Puis, plus haut,glapissante et faussement étonnée :
- Mais qu’est-ce que vous faites là, mademoiselle. Vous vous êtestrompée de chambre !
Et la dondon, renchérissant :
- Vous êtes folle ! Voyons, rendez-lui son lit, à ce garçon.
Robert, à son tour, insiste :
- Ecoutez, il est onze heures passées et j’ai une migraine horrible.
Je m’approche.
Toujours sur le ventre, la tête légèrement redressée, les yeux fixes,paraissant ne rien voir ni ne rien comprendre, Fleur d’acné attendtoujours.
Nous nous retirons quand un long miaulement rauque, plein de désespoiret de folie, s’élève à travers la maison.
Voyons… Voyons… Fleur d’acné !...
Une grosse boule noire passe en sifflant.
Ce n’est que la chatte en chaleur qui appelle un mâle.
Là-bas, quelque part, dans une ville du Pas-de-Calais, une bonne damedit à ses amies :
- Oui, ma fille est à la montagne dans une maison qu’on m’arecommandée. C’est tout à fait la vie de famille, vous savez.
Cette nuit-là, je dormis exactement six heures. Aussi, le lendemainmatin, au saut du lit, je descendis au bureau.
Hérissée d’épingles à onduler, la patronne y faisait ses comptes.
- Madame, lui dis-je
ex abrupto, je vous annonce que je m’en vais. Jesuis venue ici pour me reposer et je ne peux pas fermer l’œil : lephonographe, la T. S. F., les chiens, les chats, les coqs,l’aspirateur, les maris amoureux, les maris trompés et les hystériquesm’empêchent de dormir. Je partirai dans deux jours, c’est-à-dire jeudi.
J’avais escompté une femme désolée, me faisant mille promesses, mesuppliant de rester. C’était ne rien savoir de l’âme hôtelière. Unepointe d’ironie souligna la réponse.
- Comment donc, madame ! Mais avec plaisir ! Dieu sait si la maison estcalme, et depuis votre arrivée, vous ne faites que vous plaindre dubruit. J’espère pour vous que vous allez au milieu d’un désert… Partezdonc, madame, et pas jeudi, mais aujourd’hui même. Une cliente del’année dernière, moins difficile que vous, me demande justement votrechambre. Elle veut venir le plus tôt possible. Je vais lui téléphonerqu’elle peut arriver dès ce soir.
Elle s’en fut faire comme elle le disait.
Tandis que je préparais ma malle, elle lança à tous les échos quej’étais une pensionnaire insupportable, et qu’elle m’avait,d’elle-même, priée de m’en aller. Immédiatement, le vide se fit autourde moi, et je connus la Roche Tarpéienne sans avoir jamais mis lespieds au Capitole.
II
CHEZ DIAFOIRUS.
- On m’a parlé, m’avait dit Mme Flic, un jour, d’une maison tenue parun docteur aux environs de X…. C’est là que vous devriez aller pourdormir. Tout le monde doit être dans son lit à neuf heures.
A neuf heures ! Le septième ciel !
- Je sais, avait-elle ajouté, qu’on y fait aussi les régimes.
Parfait. J’ai l’estomac délabré par toutes les « ersatz » des Pétunias.Je ne serai pas mécontente d’avoir une cuisine simple.
De la gare de X…, un chemin en lacets qui tout le temps monte conduit àla maison médicale. On a l’air de s’en aller au ciel. J’en suis mêmebien plus près que je l’imagine. Cette maison, isolée de tout, à deuxkilomètres du plus proche village, est une manière de demi-couvent.
Dès l’arrivée, je suis fixée. Une religieuse, sur le seuil, me reçoitavec un sourire placide.
- Voulez-vous prendre quelque chose, madame ? Ou vous couchermaintenant ?
Me coucher ! Me coucher, de grâce ! j’ai dîné au buffet. Il est dixheures. Qu’on ne me parle plus de rien d’autre que de dormir ! J’aiplus d’un mois de sommeil à rattraper. Je voudrais être la Belle aubois dormant et me réveiller dans cent ans !
Ma chambre est presque une chapelle, mais une chapelle bien mal tenue.Voilà un docteur que j’ai bonne envie d’envoyer faire un tour àl’exposition des Arts ménagers. Au mur, un christ de plâtre succombebien plus sous la crasse que sous le poids de nos péchés. A travers unverre strié de taches de mouches, un saint François d’Assise essaie desourire, et la modestie d’une Vierge se voile d’une splendide toiled’araignée.
Quant à l’eau courante, ce doit être une invention du Diable. Elle estremplacée par une cuvette et un broc, derniers vestiges des jourslointains.
Je cherche encore quelque chose – sans le trouver. C’est un ustensiledont nos temps de perdition ont répandu l’usage.
« Un oubli, me dis-je, Sonnons. »
Mal lavée, une fille de campagne montre à la porte une face ahurie. Unpolo de laine grise lui descend jusqu’aux yeux, lui emboîte lesoreilles. Pas un cheveu ne dépasse.
- Mademoiselle… Voulez-vous, je vous prie…
Et je précise.
Va-t-elle seulement savoir ce que je veux ?
Oui. La voici qui revient avec l’objet demandé. Elle croit devoirs’excuser : « On n’en met jamais d’avance dans la chambre, n’est-cepas, parce qu’on ne sait pas si c’est un monsieur ou une dame quil’occupera. »
Alors, si c’est un monsieur ?...
Tout un horizon s’ouvre devant moi.
- C’est encore heureux que j’en ai trouvé un, continue la fille. Y en aque deux dans la maison. L’autre, c’est Mme Berlinsky qui l’a.
Madame Berlinsky, vous êtes une petite vicieuse.
Je commence à m’amuser. Allons, ce couvent me réserve des surprises.
- Dites-moi, mademoiselle.
- Delphine, qu’on m’appelle.
- Alors, Delphine, combien il y a-t-il de pensionnaires ici ?
- En ce moment, huit seulement en vous comptant, mais l’en arrivequatre la semaine qui vient, et dix au bout du mois. En plein été,c’est plein. Y en a ben une quarantaine.
J’en reviens à ce qu’elle m’a dit tout à l’heure : Deux pour quarante !C’est à ne pas croire !
Je suis sûre que je sympathiserai avec Mme Berlinsky.
Je me couche. Je vais m’endormir. Oh ! merveille ! Pas de phonographe !Pas de T. S. F. ! Rien.
A mon coup de sonnette, le lendemain matin, la charmante Delphineapparaît : cotillon bleu, tricot marron, savates vertes, tablierabsent, mais toujours le polo gris, qui n’a pas dû la quitter de lanuit. Une envie me prend de le faire sauter en l’air, pour voir cequ’il y a dessous.
La teigne peut-être.
Cinq minutes plus tard, cette mignonne soubrette aux mains noires, quiviennent sans doute de nettoyer les poules, me présente mon petitdéjeuner.
Et ma pensée saute.
D’ici aux hôtels, où un valet de chambre en habit, souliers vernis,cheveux laqués, vous apporte, à juste hauteur de son épaule, un plateauavec des gants blancs. Alors, cette Delphine et son polo… Je préfère nepas la regarder… Et surtout qu’elle ne m’approche pas trop…
Je commence à verser dans mon bol – car c’est un bol – le contenu desdeux petits pots qu’elle m’a montés. Beaucoup de café, peu de lait. Et,ce faisant :
- Dites-moi, Delphine, avant de venir ici, vous n’avez jamais servi ?
Elle rougit.
- Oh ! Madame ! Pouvez-vous croire…
Qu’a-t-elle compris ?
Ah ! ces mots à double sens ! C’est terrible !
Brave Delphine ! Je ne suis pas si indiscrète que de lui poser pareillequestion. Qu’elle me dise plutôt d’où sort cette singulière odeur ? Deson cotillon ? ou de mon bol ? J’y trempe les lèvres.
- Quelle abomination ! Mais qu’est-ce que c’est… De la décoction dequeues d’artichauts ? De la roupie de singe ?... Certainement pas ducafé !
- Ah non ! Le docteur dit que c’est mauvais pour l’estomac. Alors, ilnous donne ça. Nous, on ne sait pas comment ça s’appelle.
- Qu’est-ce que je peux prendre ?
- Y a d’la soupe.
- De la soupe à huit heures du matin !
J’avale pourtant, affamée, mais résignée, le brouet clair par lequelDelphine a remplacé ce que, sous ce toit, on appelle café au lait. J’ensuis à la dernière gorgée, quand on gratte à la porte. Car, ici, on netoque pas, on gratte. C’est le docteur.
Pourquoi ? Je ne l’ai pas demandé. Je ne suis pas malade.
- Oh ! docteur ! Vous vous êtes dérangé…
- Comme toujours, madame. Je m’intéresse trop à mes pensionnaires pourne pas les voir dès le lendemain de leur arrivée. Vous me confiez votresanté en venant chez moi, c’est bien le moins que j’en prenne soin.
Comme cet homme parle bien ! Je suis émue. Tant de sollicitude me vadroit au cœur. Des mots de reconnaissance, déjà, montent à mes lèvres,quand il ajoute, détaché :
- Je visite tout mon monde à forfait. C’est cent cinquante francs parmois.
La douche.
Refroidie, je le détaille. Avec sa face patibulaire, ses manièresdoucereuses, son ton onctueux, son regard fuyant, il a tout d’unmoinillon défroqué. Un moinillon à col de veston couvert de pelliculeset qui s’informe :
- Voyons, qu’est-ce qui ne va pas ?
- Mais tout va très bien, docteur. J’ai l’estomac un peu fatigué,simplement ; alors, j’ai besoin d’un régime. De sommeil aussi, beaucoup.
- Oui… oui… je vois.
Il se passe la main dans sa barbiche, qu’il porte à la Henri III.
- Il faudra vous faire un tubage, une radio de l’estomac, une analysede sang aussi, qui nous expliquera peut-être ces insomnies.
Et puis quoi encore ? Je proteste aussitôt :
- Je n’ai pas d’insomnies. Quand on ne me réveille pas, je dors trèsbien. Neuf, dix heures de suite.
Il bondit :
- Neuf heures ! dix heures ! Mais, malheureuse ! Vous faites del’intoxication ! Quelqu’un de bien portant n’a pas de pareils sommeils! C’est presque de la léthargie. Je vous le disais bien : Une analysedu sang est indispensable.
Je demeure confondue. Une de tes phrases, ô Knock ! chante dans mamémoire :
« Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore. »
De l’intoxication, voyez-vous ça ! Je n’aurais jamais cru ! Et monmédecin de Paris qui me disait de dormir le plus possible !
A grands pas, à travers ma chambre, le docteur marmotte en sourdine :
- Indispensable !... Absolument indispensable !
J’élève une voix timide :
- Mais la radio de l’estomac ne l’est pas, docteur. J’étais très malnourrie à la pension de famille dans laquelle j’étais. Mes digestionss’en ressentaient, voilà tout. Chez moi, au contraire, j’ai des faimsdévorantes.
- Des faims dévorantes… des faims dévorantes… répète-t-il d’un airinquiet. Voilà qui est grave, très grave. Vous devez avoir l’estomacbien malade pour avoir des faims semblables. L’abondance des acidesprovoque ce que vous croyez de la faim, mais n’est qu’une irritation dela muqueuse. Vous avez certainement de l’hyperchlorydrie, ma pauvredame. Les hyperchlorydriques ont toujours faim. Et vous ne savez pas oùcela vous conduit ? A l’ulcération, au cancer, si on n’est pas soigné àtemps !
Qui se serait jamais douté de cela ? C’est si bon de manger quand on afaim. Il s’est levé à nouveau, sans doute pour m’impressionner plus.
- Le tubage nous renseignera. Oh ! Ne vous effrayez pas : ce n’est riendu tout, dix fois rien, je vous dis.
Là-dessus, Diafoirus s’en est allé, très digne, avec tout son attirailde science.
Parce que j’ai un bon sommeil, je m’empoisonne lentement ; un belappétit, je cours vers l’ulcère cancéreux.
J’en étais tout abasourdie.
- Surtout, surtout, ne vous laissez pas faire ! me répétait MmeBerlinsky.
Je l’avais tout de suite repérée dans la salle à manger.
Cette petite bonne femme, assez jolie, toute jeune, très soignée, étaitcertainement celle qui détenait l’autre ustensile, enfin… le machin.
Nos affinités communes aidant, nous nous étions parlé assez vite.
- Mais oui ! m’avait-elle avoué en riant : c’est moi ! Vous ne pensezpas que ce soit une des trois vieilles biques qui étaient au déjeuner.Une assiette creuse leur suffit pour leur toilette entière. Maisattendez que je vous les présente. La plus vieille, celle au fauxtoupet, c’est Mme Saint-Enogat. Pigez-moi l’allure de son amie intime,la Claquemare, et celle de Flaget, dite Flageolet, pucelle encore àcinquante-huit ans. Ces trois petites folles portent, je vous le jure,du linge en shirting. Quel âge donnez-vous à la Claquemare ?... Elle aquarante-cinq ans. Pas un jour de plus ! Elle paraîtrait, àParis, la mère d’une femme du même âge. Quand elle se penche, sa juperemonte par derrière et on peut alors admirer deux grands volantsblancs festonnés, lui descendant jusqu’à mi-mollets. J’avais apporté unpeu de couture : une petite chemise en voile triple, vert Nil. Je n’aijamais osé y faire un point ici.
« Quant aux hommes, vous les avez vus ? D’abord, le petit comte de laGrille : un crétin. Comte ! C’est à mourir de rire !
- Comte du pape, sans doute ?
- Même pas. Il est comte comme mon concierge. Son grand’père l’étaitd’un château. Il occupait, dans le parc, un petit pavillon, près d’unegrille qu’il avait pour mission d’ouvrir et de fermer. Il se nommait «Dupont », tout simplement, mais les gamins du pays l’appelaient « lepère la Grille ». Ce brave homme eut, dans sa vie, un instant de génie: ce fut celui où, un fils lui étant né, il le baptisa Calixte. Dotépar les châtelains qui lui avaient laissé en mourant une assez joliesomme, le jeune Calixte, ayant grandi, prit négligemment l’habitude designer son prénom en abréviation : Cte Dupont, puis Cte Dupont de laGrille, puis, Cte de la Grille. Le tour était joué. Il vint à Paris,là, ni vu ni connu : il y fut pour tout le monde le comte de la Grille,et après lui son fils le petit crétin. A la table, à gauche, Léonard,un timide jeune homme, élevé au Séminaire et mûr pour la calotte. Puis,le curé du petit village de N…, qui a été opéré d’une hernie et achèveici sa convalescence. Il lève facilement le coude. N’importe ! C’est unchic type ! Indulgent, bon ! Et large d’idées ! Et comprenant la vie !Je n’ai rien d’une araignée de sacristie, n’est-ce pas ? Eh bien, dansla boîte, c’est le seul qui me soit sympathique. Les trois vieilles nepeuvent le souffrir ! Il est trop intelligent, bien tropau-dessus d’elle[s] ! D’eux quatre, je vous assure que c’est lui lemoins curé.
- Et vous, que faites-vous dans cette atmosphère ?
- Ah ! ça vous épate de m’y voir ! Et moi encore bien plus ! Il paraîtqu’il me faut du grand air, un régime aussi, à cause de ma descented’estomac. Moi, je voulais Nice, Monte-Carlo ou Juan-les-Pins, cethiver. Deauville ou la Baule, cet été. Je t’en fiche ! Mon mari adécouvert – je ne sais pas comment par exemple ! – cette sainte maison.Il n’a pas voulu entendre parler d’autre chose.
Je pense à la petite chemise vert Nil, en voile triple. Lui est-elledestinée, à lui seul ?
Au fond, il n’a peut-être pas tort, cet homme.
Non, pas tort du tout. Cette petite Berlinsky a des idées ! Le soir,dans le salon – je pourrais presque dire dans le parloir – elle aorganisé un jeu que n’eût certes pas proposé une des vieilles à culottefestonnée.
Tout le monde s’assied en rond. Un des joueurs, dont on bandera lesyeux, est désigné au sort. On le fait tourner au milieu du cercle, puisil doit, à l’aveuglette, s’asseoir sur les genoux de quelqu’un etdeviner la personne, sans surtout la toucher des mains. Les hommesmettent des couvertures sur leurs jambes, pour simuler une jupe.
Cette pure agnelle se mit alors à compter à l’aide de ces motscabalistiques, dont on n’a jamais pu déterminer le sens :
Pic et pic et colegramme
Bour et bour et ratatamme
Am, stram, gramme.
Comme par hasard, la dernière syllabe tomba sur elle. On lui mit lemouchoir. Comme par hasard, aussi, au lieu de s’arrêter devantFlageolet ou Claquemare – ou moi, – ce fut sur les genoux du petitséminariste qu’elle s’installa. Et là, frétillant du croupion,s’appuyant sur lui, pour le mieux deviner, collant ses seins à sapoitrine, le frôlant de toute sa féminité, elle semblait s’amuserfollement. L’autre, pâlissant, rougissant tour à tour, oubliaitd’offrir son supplice au Seigneur. Bien mieux, il y prenait un coupableplaisir, et si, pour son salut, il priait le ciel que cette épreuvefinît au plus tôt, au fond de son cœur, pour sa joie présente, ilsouhaitait qu’elle durât tout de même encore un tout petit peu.
Glacées, les trois biques fronçaient les lèvres, telles des poulesdevant un clystère.
Puis, neuf heures sonnant, Claquemare se leva.
- Montons. Le temps de faire sa prière, on ne sera guère au lit quedans un quart d’heure.
C’est là, avant de se coucher, toute son hydrothérapie.
Le lendemain, dans le couloir, je rencontrai le petit séminariste. Cejeune lion avait les yeux battus et le teint brouillé
- Avez-vous bien dormi ?
- Oh non ! Madame ! Je n’ai fait, jusqu’au matin, que me tourner et meretourner dans mon lit. Pensez donc ! Ce jeu hier soir !
Pauvre innocent ! Il a dû, toute sa nuit, réciter des actes decontrition.
J’ai passé la mienne à crier la faim. A deux heures du matin, j’ai étéchercher, dans ma valise, un bout de chocolat. Huit jours encore de cerégime et j’aurai maigri de dix livres.
A midi, le repas avait commencé par le même brouet clair qu’au matin.Ensuite, trois bouchées, pas quatre surtout, d’une viande dure etcalcinée, puis un plat de purée de haricots, à discrétion par exemple !et des confitures. Je n’ai pas la sottise de faire fi des haricots,mais j’avoue que, lorsque j’en ai mangé quelques cuillerées, je me senslittéralement gonflée : je crois être rassasiée. Impression, impressionseulement, qui disparaît deux heures après, pour faire place à la faim.C’est ce qui arriva. Avec impatience, j’attendis le goûter, oùréapparut, au choix, le délectable café au lait, ou toujours le mêmebrouet clair.
Au dîner, re-brouet, nouilles, re-confitures.
Si, un jour, je suis obligée de gagner ma vie, j’ouvre une maison derégimes : je ferai fortune en deux ans.
Hier donc, demi-diète. Mais, aujourd’hui, je vais me rattraper : agapesroyales. Le menu porte, comme entrée : ris de veau et cervelles, et lesabats sont très nourrissants.
Nageant dans une vague sauce blanchâtre, ils apparaissent sur mon petitplat : gros comme une noix de ris de veau, comme une noisette decervelle ; puis une petite tranche de je ne sais quoi, d’un aspectgrisâtre et peu engageant : c’est mou, spongieux et grenu, commetraversé, de son vivant, d’une quantité infinitésimale de minusculesvaisseaux. Du foie ?...
Non point.
Alors ?
J’avale la cervelle, le ris ; je goûte un peu à la sauce : c’est fadeet écœurant. Un coup d’œil vers la table de
Mme Berlinsky me montre qu’elle non plus n’a pas touché à la viandesuspecte. Nos regards se croisent et je la vois sourire.
A ce moment, Delphine et son béret gris apporte les légumes. Jel’appelle d’un signe.
- Qu’est-ce que vous m’avez servi là ?
- J’sais point, madame.
- Voyons, voyons, me fait à mi-voix la petite Berlinsky. Cette questionà une jeune fille ! Comment voulez-vous qu’elle sache ?... N’oubliezpas qu’elle est enfant de Marie !
Que veut-elle dire ?
Le déjeuner fini, je la joins dans le vestibule.
- Quelle cuisine ! fais-je à voix haute. C’est une horreur. Et enfin,que nous a-t-on donné, à déjeuner ? Cette viande grisâtre… et molle…
Mme Berlinsky me pousse du coude. Derrière nous, le trio des troisbiques. Elles m’ont entendue.
- Il y a vraiment des gens bien difficiles, critique la voix aigre deFlageolet. N’est-ce pas, mesdames ? Je ne sais pas ce que j’ai mangé,mais j’ai trouvé ça délicieux !... Absolument délicieux !...
- Pardi ! pouffe la petite Berlinsky.
M’entraînant, elle ajoute :
- Comment ! Non… Vraiment ?.... Vous ne vous doutez pas ?... Ce n’estpas exprès que vous faites la bête ?... Vous n’avez jamais été enEspagne, alors ? Là-bas, c’est un mets très recherché. Après chaquecourse de taureaux, on se dispute ça. Il est vrai que c’est accommodéautrement qu’ici, avec une sauce très relevée, très pimentée… Dame !...Vous avez entendu Flageolet ? : « Délicieux… délicieux ! » Excellentefille ! Mais elle ne pourra plus dire qu’elle ne sait ce que c’est !
Hier soir, la petite Berlinsky a proposé un autre jeu de société, dontnaturellement le but final était d’arriver à embrasser quelqu’un del’assistance. Saint-Enogat lui a opposé un « non » formel. Chacun estdonc resté assis sagement dans son coin : le petit crétin, les troisbiques figées sur leurs chaises et le curé de N…, joyeux luron, qui, encachette, a descendu de sa chambre une bouteille de chartreuse et ensirote un petit verre.
Crainte de la tentation sans doute, le timide Léonard, sitôt dîner, estremonté chez lui.
La conversation sautille.
- Tiens ! lance le curé en dépliant son journal, Joséphine Baker partpour l’Argentine.
- Qui ça, Joséphine Baker ?
C’est Claquemare qui a parlé.
……………………………………………………………………………………………………………………………..
- Dans une revue, aujourd’hui, fais-je, il y avait le portrait deCharlie Chaplin. Il a une jolie tête, vous savez.
- Qui est-ce ? demande Saint-Enogat.
- Mais Charlot, voyons ! Vous savez bien !
Non. Elle ne sait pas.
……………………………………………………………………………………………………………………………..
- Oh ! Oh ! continue le curé, ça va mal aux Indes !
- Qu’est-ce que ça peut nous faire, ce qui se passe aux Indes !réplique Flageolet.
Silence. Je m’émerveille de l’immensité de leur détachement de nospauvres choses humaines.
Pendant ce temps, avec des petits claquements de langue, le curé lappesa chartreuse. Un glapissement sort de Flageolet :
- Vous commettez-là le péché de gourmandise, monsieur le Curé.
Celui-ci sourit et, pensant à son ancêtre de Cucugnan :
- Oh ! mademoiselle ! Si l’on peut dire ! Ne croyez pas que je soisgourmand ! Mais, voyez-vous… les liqueurs me donnent la goutte… Alors,j’en prends pour me sanctifier… Comme je sais que je vais souffrir,j’offre chaque petit verre au Seigneur.
Flageolet le regarde en dessous. Une vague intuition lui fait présumerqu’il se moque d’elle.
Silence à nouveau.
- Incident à la frontière russo-polonaise, reprend-il. Pourvu que ça nefinisse pas par une guerre.
- Comment voulez-vous que ces gens-là puissent s’entendre, répliqueSaint-Enogat, on m’a dit que les Polonais faisaient tout à l’envers desRusses.
- Elle va fort, la vieille, rectifie tout bas la petite Berlinsky en sepenchant vers moi. Mon mari est Polonais et j’ai eu un amant Russe. Ehbien, avec tous les deux, c’était exactement la même chose.
Le silence retombe.
Pourquoi, alors, ai-je dit tout haut :
- Il fera beau demain, encore. Ce matin, j’ai entendu les cloches del’angélus, ce qui n’arrive que lorsque le vent est de l’est. Ellesm’ont réveillée à cinq heures et demie. Heureusement que le vent nesouffle pas tous les jours de ce côté.
Pourquoi ?... Oui, pourquoi ai-je dit cela ?
Voilà Claquemare dressée, prête au combat, la lance au poing.
- Les âmes qui ont le bonheur d’être pieuses se réjouissent de ce queles cloches les réveillent, pour pouvoir, avec elles, chanter leslouanges de Dieu. Les paysans de cette paroisse sont plusreligieux que vous, madame, n’est-ce pas, monsieur le Curé ?
Monsieur le Curé soupire :
- Ma foi, ma pauvre dame, vous avez tort de me prendre à parti.Imaginez-vous que le maire d’ici est communiste. Sitôt les élections,il a interdit de sonner l’angélus. Ah bien ! Cela a fait du beau :presque une Jacquerie.
- Je comprends cela ! Les cloches chantent la gloire du Très-Haut !
- Vous n’y êtes pas ! Mais là, pas du tout ! Les paysans nes’occupaient pas le moins du monde du Seigneur. Ils voulaient toutsimplement être réveillés le matin de bonne heure, pour aller auxchamps, et ils ont exigé qu’on resonnât l’angélus très longtemps ettrès fort pour ceux qui ont le sommeil dur.
- Vraiment, monsieur le Curé ! Vous dites de ces choses !
- Je les dis comme elles sont, ma pauvre dame.
- Je serais curieuse, alors, d’avoir votre opinion sur un cas spécial :ma fille a une amie intime qu’elle aime beaucoup et qui vient de perdreson père. Ce sont des gens qui ne croient à rien. Je ne comprends pas,d’ailleurs, comment ma fille a pu se lier avec eux. Un détail, tenez :imaginez-vous que cette jeune femme s’est fait endormir ; pour mettreson petit garçon au monde ! C’est un péché, ça, monsieur le Curé !C’est un péché !
- Mon Dieu… Mon Dieu…
- Comment, mon Dieu… Mon Dieu !... Le Seigneur l’a dit : tu enfanterasdans la douleur. Nul n’a le droit de se soustraire à sa loi. Alors,vous approuvez cette femme ?... Vous l’approuvez ?...
Non, non ! Il n’approuve pas. Mais un accouchement, ça l’épouvante, cebrave homme.
- Oh ! Je vous en supplie, ne me demandez pas mon avis ! Je sens que,femme, j’aurais été très lâche. Pensez donc ! Oh ! là ! là ! là !
La Claquemare hausse les épaules de dédain, puis continue sonréquisitoire :
- Donc, le père, selon ses volontés, a été enterré civilement. Lareligion défend, n’est-ce pas d’assister à des obsèques dans cesconditions. Ma fille a tenté d’expliquer à son amie pourquoi elles’abstenait d’aller à l’enterrement. L’autre n’a rien voulu comprendre.Elle a dit à ma fille qu’elle ne la reverrait jamais de sa vie, et ellel’a mise à la porte en la traitant de sans-cœur.
- Elle n’avait pas tort.
Cela m’a échappé. Tant pis ! J’y vais de toute mon indignation :
- Certainement, sans cœur ! Comment ! Son amie est dans le chagrin, etdans un moment aussi cruel…
La Claquemare ne daigne même pas s’apercevoir que je parle. Elle mecoupe la parole :
- Qu’en pensez-vous, monsieur le Curé ?
- Ma foi, ma chère dame, votre fille, en allant aux obsèques, aurait eutort aux yeux de l’Église, c’est un fait certain… mais, d’un autrecôté, elle aurait obéi à un sentiment de pitié, de charité chrétienne…Ceci aurait compensé cela, et j’espère que le Bon Dieu lui auraitpardonné…
- Comme, d’après vous, il a pardonné au père Moulin !
Je suis avide de savoir.
- Qui est le père Moulin ?
- Un brave homme, madame, un saint homme, me renseigne le curé. Toutesa vie, il n’a été qu’un modèle de dévouement et de bonté. De piété,aussi. Il allait à la messe tous les jours, et communiait tous lesdimanches. Et – à 78 ans – par une aberration inexplicable, un beaumatin, il s’est suicidé.
- Péché mortel, ricane Saint-Enogat. Il grille en enfer, votre pèreMoulin, comme tous ceux qui meurent dans cet état. Vous n’allez pasdire le contraire de l’Église !
- Oh ! Certainement non ! Je suis prêtre, madame. Mais je dirai tout demême que j’ai prié le Bon Dieu de tout mon cœur, de lui tenir compte desa vie entière, et je veux croire qu’il m’a écouté. Là-dessus, bonsoir,mesdames, je vais me coucher.
La porte refermée sur lui, les trois vieilles, dures et bornées,échangèrent des regards scandalisés.
- Cet homme est un hérétique, dit la première.
- Au moyen âge, on l’aurait brûlé vif, ajouta la seconde.
- Et c’eût été parfait, conclut la dernière.
Puis, toutes trois, pour chasser l’esprit de révolte qui rôdait dans lesalon, firent ensemble un grand signe de croix.
Malgré l’interdiction formelle de voisiner d’une chambre à l’autre, lapetite Berlinsky s’est, ce matin, glissée dans la mienne.
- J’ai vu le toubib sortir de chez vous. Que vous a-t-il dit ?
- Qu’il me ferait le tubage après-demain, et le jour suivant la radiode l’estomac avec la prise de sang. Il n’a pas voulu en démordre !
- Tiens ! Bien sûr ! Cinquante francs de tubage, trois cents de radio,et cent cinquante d’analyse de sang, ça lui fait cinq cents balles.
- Croyez-vous qu’il n’obéisse qu’à ce mobile…
- Cette question ! Si je vous disais qu’à Paris, huit jours avant monarrivée ici, j’ai fait faire une radio des poumons, une de l’estomac etun tubage. Je lui ai montré tout cela. Eh bien ! Il m’a déclaré quec’était très mal fait, absolument incompréhensible, et qu’il fallaitrecommencer. C’est un mercanti, rien qu’un vil mercanti !
- Il s’est pourtant fait une clientèle.
- Bah ! Celle des maris jaloux, comme le mien, qui lui envoient leursmalheureuses femmes. Celle des bigotes de la région habituées àl’obéissance et aux jeûnes et celle des ecclésiastiques, contents de seretrouver ici ensemble, Tout ça lui rapporte gros, vous savez. Un deses confrères m’a assuré qu’il gagnait deux cent mille francs par an.
- Il a des frais.
- Parlons-en ! Et sa petite combine avec les religieuses. Vous savezqu’il y a, au troisième, deux chambres minuscules, sans chauffage etsans eau courante. Il y peut loger, à un prix très bas, deuxpensionnaires peu fortunés. Pas bête. Cela lui permet de dire qu’ilfait ici œuvre de charité et d’obtenir ainsi le concours de sixreligieuses qui, avec la seule Delphine, font tout dans la boîte.Calculez un peu ce que lui coûterait ce personnel civil. Et savez-vousce que, pour les six, il verse à leur communauté… Neuf cents francs parmois ! Pour les six ! Vous entendez. Moyennant quoi, ce bon apôtre joueles Tartufes, baisse les yeux devant les femmes et se confesse deuxfois par semaine.
« Paris vaut bien une messe », a dit Henri IV.
Je me suis pesée. Il y a dix jours que je suis ici : j’ai maigri deplus d’un kilo. Aux Pétunias, je mangeais à ma faim, mais ne dormaispas. Chez Diafoirus, je dors, mais je crie famine. Que faire ?
- Ah ! si j’avais la veine d’être à votre place, me répète la petiteBerlinsky, il y a longtemps que je me serais trottée !
Elle a mille fois raison. Mais où aller ? Je serais bien ennuyée, aufond, de partir. Je risque d’être encore peut-être plus mal ailleurs,dans cette saison intermédiaire. Le mieux est d’essayer, biendoucement, de faire modifier mon régime. Je frappe chez le docteur etlui débite mon petit discours. Je l’ai émaillé des fleurs les plusbelles, arrosé d’eau bénite de cour, noué d’un ruban bleu pâle et je lelui présente tout parfumé.
- Docteur, j’ai la plus grande confiance en vous… vos soins éclairés…votre longue expérience… votre admirable dévouement… votre hautecompétence… et patati, et patata.
Tout cela pour arriver tout de même à lui dire que je meurs de faimchez lui.
Il me laisse étaler, jusqu’au bout, mes revendications. Puis, pour lapremière fois depuis mon arrivée, il lève les yeux sur moi.
Que je les regarde bien, car c’est aussi pour la dernière !
- Madame, j’ai le regret de vous répondre que je ne change jamais rienaux menus, qui ont été établis une fois pour toutes, et que je n’ychangerai rien. Tous mes malades s’en trouvent très bien, ils partentde chez moi guéris et pleins de reconnaissance.
« Vous avez introduit ici un esprit d’insubordination qui n’en est pasle genre. Vous ne vous êtes pas gênée pour vous plaindre, tout haut, dela cuisine, on me l’a répété. (Ça, c’est Flageolet.) Vous avez osé,dans le salon, élever la voix contre la religion (Ça, c’estClaquemare.) et, de ce fait, scandalisé de saintes femmes. Enfin, vousavez poussé l’audace jusqu’à discuter avec moi des traitements que jevous indique. Je ne peux pas tolérer cela une minute de plus. Vousvoudrez bien téléphoner aujourd’hui même à X… pour faire monter uneauto et vous en aller au diable. C’est là que vous serez le mieux.
Ayant dit, Diafoirus abaissa les paupières.
Allons, bon ! Me voilà bien !
III
LA PENSION DU DIABLE ET LES DEUX NOYERS.
La pension du diable… Ce n’est pas son nom, mais je l’appellerai ainsi,puisque c’est là que le bon Diafoirus m’a envoyée.
Elle m’enchante !
D’abord, son site, au pied des glaciers, dans une station fréquentée,sa grande façade blanche, ses quatre étages de petit palace, sonascenseur bonbonnière, ses balcons fleuris de géraniums etd’hortensias, son imposant pérystile et son grand hall, et le portier,avec son sourire à cent sous, et la femme de chambre accorte, pimpante,délurée, parfumée (sûr qu’elle n’est pas rosière, celle-là), et lacaissière et la gérante qui ressemble à Junon, et surtout ! oh !surtout ! l’appartement qu’elle me montre : une chambre avec bain !
Avec bain !... Mon Dieu ! mon Dieu !... Est-ce possible !
Je crois rêver…
Pincez-moi donc, madame la Gérante !
Elle ne me pince pas, mais susurre, obséquieuse :
- Alors ?... Madame…
- Eh bien ! C’est entendu, je prends cet appartement. Vous m’avez ditn’avoir rien d’autre ?
- Absolument rien. Tout le reste est retenu, pour tout l’été, à partirdu 1er juillet.
J’en ai de la veine !
De l’eau ! De l’eau ! Enfin de l’eau !
Je prendrai six bains par jour !
Je sens que je vais aimer tout le monde ici. Le portier, la soubrette,la gérante Junon et le chef, le chef, dieu tout-puissant des casserolesqui tient mon sort entre ses mains.
Mon régime… Pourvu qu’il daigne le faire !
Timidement, j’insinue :
- Je dois vous dire… en ce moment, j’ai besoin de faire un peuattention à mon estomac… Ni ragoût, ni friture… ni oseille…
Junon fronce le sourcil. L’Olympe va s’écrouler.
- C’est un régime alors ?
Je me battrais. Elle ajoute :
- Le chef n’aime pas beaucoup les régimes. Enfin, je vais descendre luien parler.
J’attends, tremblante, sur une chaise.
A peine l’ai-je touché, vais-je perdre le Paradis ?
Dix minutes passent, Junon reparaît.
- Le chef consent à faire votre régime.
Au jour du jugement dernier, le Très-Haut disant à ses élus : « Venez àma droite » n’aura pas un autre ton.
J’ai pris un bain à quatre heures. J’ai défait ma malle, puis j’airepris un autre bain.
Que c’est bon ! que c’est donc bon !
Et maintenant, me voici dans la salle à manger.
Charmante, elle est charmante ! Tout un côté vitré laisse la vue sur lamontagne. La tenture est assortie aux nappes des petites tables, lavaisselle l’est aux nappes. Des fleurs dans des vases. Une centaine depersonnes. Des vieilles, des jeunes, des laides. Pas une jolie. Ah si !une jeune fille ?... Jeune femme ?... type étranger, yeux splendides.Un homme jeune, vers elle, se penche amoureusement. Il murmure avecferveur.
- Pépita… Pépita…
Des fiancés, sans doute.
Plus loin, la statue de la République, en chair et en os. On voit quela Fête nationale approche. Elle a commencé à se pavoiser de couleursvives et elle est déjà illuminée des feux de mille bijoux.
Une grande rousse retardataire passe, rapide, près de moi : une odeurde lionne encagée emplit l’air soudain.
A la table voisine de la mienne, un monsieur, une dame. Des gens trèsbien. Subitement, le monsieur cesse d’être très bien.
Ils se sont acheté, au village sans doute, des escargots, petitsupplément au menu, puisque je ne vois personne d’autre en manger. Onleur a fourni les petites fourchettes à deux dents
ad hoc. Mais unescargot récalcitrant, il ne veut pas sortir de sa coquille. Lemonsieur alors, sans sourciller, comme la chose la plus naturelle dumonde, enlève son épingle de cravate, s’en sert pour extirper le boutde caoutchouc embaumé d’ail, le porte à sa bouche, suce son épingle,l’essuie et, tranquillement, la remet en place.
Me voilà à l’aise. Si on me donne des asperges, je ne me gênerai paspour les manger avec mes doigts.
Je jette un coup d’œil au menu : Lavarets du lac, poulet rôti, petitspois, crème. C’est parfait. Je peux manger de tout cela.
Une seconde, je revois Claquemare, Flageolet et la petite Berlinskyattablées devant leur brouet. Une seconde seulement, car, du bout de lasalle, voici mon lavaret qui vient vers moi.
Il vient, il approche, il arrive… quand le plat, brusquement abaissé,me laisse stupéfaite.
Mon lavaret ? des nouilles.
Attentionné, le serveur s’informe.
- C’est bien Madame qui est au régime ?
- Oui, mais…
Le serveur est déjà parti. Il voltige plus loin, dispensant leslavarets à droite, les lavarets à gauche.
Je suis furieuse. Ce chef est stupide. Heureusement, il y a le poulet,je le guette. Pourvu que j’aie le pilon ! C’est mon morceau préféré ouà défaut l’aile. Je déteste les blancs. Parions que cet imbécile dechef m’en aura octroyé un.
Le blanc ?... L’aile ?... Le pilon ?... Ah ! Ma pauvre fille ! Rien detout cela, mais, sur une grande assiette, une tranche de jambon.
Alors, quoi ?... C’est mon dîner ?
Oui, avec des pruneaux cuits.
Sitôt la dernière bouchée, je bondis au bureau où trône Junon.
- Madame, nous ne nous sommes pas comprises. J’aurais très bien puprendre le dîner ce soir.
- Alors, pourquoi m’avez-vous dit que vous étiez au régime ?
- Certainement. Pas de fritures, pas de…
- Je sais, je sais. On vous en a donné ?
- Non, mais…
- Alors, madame, de quoi vous plaignez-vous ?
Tant d’évidente incompréhension me casse les bras. Mieux vaut, medis-je, m’adresser à Dieu qu’à ses saints.
- Ecoutez, je parlerai moi-même au chef, je lui expliquerai…
- Oh ! de grâce, madame ! Laissez le chef tranquille. Il a horreurd’être dérangé. Si vous allez le relancer dans sa cuisine, il estcapable de tout envoyer promener. Oui ou non, mangez-vous de tout ?
- Non. Et…
- Alors, laissez-le faire à son idée. Estimez-vous encore heureuse queje ne vous compte pas un supplément. Les autres années, les régimesétaient taxés deux francs par repas.
Dois-je remercier ?
Bah ! je vais me consoler en prenant un troisième bain, avant dem’endormir.
Comme je quittais le bureau, une dame à lunettes s’est approchée de moi.
- Pardon, madame, n’étiez-vous pas à ……, il y a quelque temps, auxPétunias, je crois ? Moi, j’étais à l’hôtel des Alpes, mais je vous aiplusieurs fois rencontrée dans la rue.
Là-dessus, la voilà partie en considérations sur les hôtels, les Alpespar-ci, les Pétunias par-là. Je ne l’écoute pas. Mais soudain je dressepourtant l’oreille :
- Une de mes cousines était aux Pétunias il y a quatre ans. Ce qu’ellem’en a raconté m’a ôté l’envie d’y aller à jamais.
- Oh ! fais-je, pour qui aime le bruit…
- Il ne s’agit pas du bruit, rétorque Mme Lunettes, mais ce vieuxgrand-père dégoûtant…
- Quel vieux grand-père ?
- Vous n’avez pas dû le voir, il ne sort pas de sa chambre. Le vieuxgrand-père qui suce des pralines.
- ?...
Un instant, Mme Lunettes hésite. Va-t-elle parler ? Va-t-elle se taire? La tentation est trop forte, elle reprend.
- Mais oui, des pralines, toute la journée. Des blanches, des roses,des brunes. Que voulez-vous, il aime à sucer des pralines, ce bon vieuxgrand-père. A demi paralysé, il n’a pas d’autre plaisir, on ne va l’enpriver, n’est-ce pas ? Et quand je dis sucer, je dis bien : Ce pauvrevieux n’a plus de dents, il ne peut manger les amandes. Vous entendez,il ne peut plus manger les amandes. Or, les pralines d’un côté, celacoûte cher, d’un autre côté les amandes, c’est excellent dans lesgâteaux. Alors, lorsque le bon vieux grand-père a bien sucé tout lesucre autour de l’amande, il est dressé à la mettre soigneusement decôté dans un petit sac. Quand le petit sac est plein, on régale lespensionnaires d’un délicieux entremets. Est-ce qu’il vit toujours, cecher vieux grand-père ?
J’ouvre la bouche pour répondre. Aucun son ne sort. Enfin, je rassemblemes forces.
- Je l’ignore… je ne… l’ai pas vu.
Je dois être très pâle, car Mme Lunettes, m’ayant fixée, ajoutecharitablement.
- Au fait, c’est bien possible. Je crois maintenant me rappeler qu’ilest mort l’année dernière.
Ouf ! je respire.
J’aurais vraiment mauvaise grâce à me plaindre. D’abord, ici, il n’y apas de bon vieux grand-père, et puis le chef déploie, pour m’êtreagréable, toute la bonne volonté possible.
Depuis cinq jours que je suis là, il s’ingénie à varier mes menus.Tantôt, on me sert les nouilles en premier et le jambon ensuite ;tantôt le jambon d’abord et les nouilles après ; tantôt les deux à lafois. Tantôt les nouilles sont en bouillie, tantôt elles ne sont pascuites, mais régulièrement, elles sont froides. Si, avec cela, je nesuis pas contente !
Eh bien, non. Je ne le suis pas.
Ces combinaisons diverses de jambon aux nouilles ou de nouilles aujambon m’ont littéralement coupé l’appétit. Peut-être, au fait, ce chefest-il un humoriste et ce charmant petit espiègle s’amuse… Le résultatest que je maigris à vue d’œil. De plus, je ne dors pas cinq heures parnuit.
O mon docteur !
Dès neuf heures, chaque soir, au-dessous de ma chambre – de ma joliechambre – de mon bain, de mon bain reposant, la musique s’éveille dansle salon.
On danse !
On danse, jusqu’à minuit.
Et le matin, tous les deux jours, à quatre heures, au-dessus de moi, unbruit de bottes… de bottes… de bottes : deux grands gaillards de vingtans qui, eux, ne dansent pas, et qui, couchés à huit heures, partent enexcursion, voir le lever du soleil.
Alors…
Alors, c’est simple. Je me sens devenir enragée, et je sens aussi,autour de ma tête, croître et s’épanouir une auréole d’or.
Une martyre, je vous dis, bientôt une sainte.
- Restez donc au salon, m’a dit hier soir Mme Lunettes qui, décidément,m’a prise en affection. Ils sont partis se déguiser.
Que n’ai-je plus dix-sept ans ! Je me serais alors, sans doute, amuséecomme une petite folle ! Enfiler le pantalon d’un jeune homme blond, àmoins qu’il ne soit brun, m’aurait fait passer par tout le corps despetits frissons délicieux, et l’idée seule de remettre le lendemain surmes épaules la robe qu’il a portée ce soir m’aurait certainementempêchée de dormir.
Car c’est en cela qu’a consisté le déguisement.
Mlle Pépita s’est habillée avec le veston et la culotte de son fiancé,le fiancé a mis la robe rose de Mlle Pépita. Toutes les Pépita del’hôtel étaient en culottes, tous les jeunes gens en robes claires :une honnête soirée de famille avec des allures de Petite Chaumière.
Puis, au bout d’un quart d’heure et de deux fox-trott, ils déclarèrenttous, d’un commun accord, que ça n’avait rien de drôle du tout, qu’ilsfaisaient figures d’idiots, ce en quoi ils avaient parfaitement raison,et chacun s’en fut se coucher.
Pépita aux beaux yeux montait devant moi. Elle est entrée dans sachambre. Son fiancé l’a suivie. La porte s’est refermée sur eux.
Pépita m’amuse. Toute petite. Une bouche délicieuse, et des yeux ! desyeux admirables : un père mexicain, une mère roumaine. Ce croisement afait une ravissante Pépita.
Pépita a des mains très soignées, des ongles vernis, des robescharmantes, des souliers élégants, mais son style n’approche qued’assez loin celui d’un « habit vert ». Pépita, hélas, dit : « La dameau patron » et « je lui ai causé ». Elle dit aussi « la maison où queje travaille, c’est au coin de la rue Cambon. Ce qu’ils sont chiches !Quinze jours de vacances seulement qu’ils m’ont donnés. Dansl’exportation que je suis. Moi, j’aurais préféré la mode, mais ma tanteque je vis avec, elle a pas voulu. Elle a eu peur, c’te femme, que,dans la couture, je tourne mal. C’est qu’il faut pas plaisanter avecelle, vous savez. Mon fiancé, c’est un petit cousin à elle. Il estgentil, dites, mon fiancé ?
- Oui, Pépita, très gentil. Mais, ce pauvre garçon, vous le mettez à latorture. Pour vous déguiser, vous vous êtes tous les deux déshabillés,rhabillés puis redéshabillés dans la même chambre. Avouez que s’ilavait voulu…
- Oh il aurait bien voulu, madame ! C’est pas l’envie qui lui enmanquait !
- Et vous ne vous êtes pas laissé faire ?
Je connais mal Pépita. Cette vierge prudente me regarde du coinde l’œil. Puis, très peuple, elle envoie son bras droit rejoindreson épaule gauche :
- Pensez-vous !… Pas de danger !... Des fois que ma tante irait y voir,la veille des noces !
Un peu d’imagination, et on se représente très bien le petit tableau.Réaliste, avec costumes campagnards. Un Jordaens. Léger, vaporeux, avecfouillis de dentelles. Un Watteau ou un Fragonard.
- Est-il volage, au moins, votre fiancé ? Vous trompera-t-il,mademoiselle Pépita ? demande Mme Lunettes, qui s’est jointe à laconversation.
Pépita se dresse, petite poule en colère.
- Mais, madame ! Cot, cot, cot ! Ma beauté, ma jeunesse cot, cot, cot,cot, cot, cot, cot…
- Gloussez donc pas si fort, ma petite fille ! Vous ne savez pas ce quevous dites ! Ayez un mari qui vous trompe. C’est là le vrai secret dubonheur. Un mari coureur, mais c’est délicieux ! Plein de prévenanceset de sourires ! Dame ! ça a toujours quelque chose à se fairepardonner. Un mari fidèle, au contraire, c’est bougon, revêche, avare,tatillon. Et rien à faire, vous savez : un homme naît fidèle, comme ilnaît avec les pieds plats. Plût au ciel que le mien m’eût trompée millefois ! Il aurait peut-être été plus gracieux.
« Mais il était fidèle comme il n’est pas permis de l’être ! Vousentendez : Pas permis !
« Et malin, avec ça ! Retors comme un vieil avoué. Il me jetait tout letemps sa fidélité à la tête. Elle lui était prétexte à tout me refuser.
« Prendre des vacances, l’été ? Bien imprudent.
« - Si tu savais, ma pauvre amie, combien de maris n’emmènent leurfemme à la mer ou à la montagne que pour y retrouver une maîtresse.
« Aller dans le monde ?
« - Mais tu ne connais rien à la vie ! Les salons, ce sont des maisonsde rendez-vous. (Il disait mieux.) N’aie pas peur : Si je te trompaiset que je sache retrouver chez les Untel la femme avec laquelle jecouche, j’accepterais leurs invitations.
« Mais oui, mais oui, c’était comme ça.
« Une fois, tenez, je me souviens, je fis devant lui cette réflexion :
« - Elle en a de la chance, mon amie B… Son mari vient de lui offrir unbeau vison.
« - Parbleu ! s’est-il écrié. Il la trompe assez ! Il peut bien luidonner quelque compensation !
« Possible ! Mais elle portait du vison, et moi du lapin.
« A son lit de mort, ses dernières paroles furent :
« - Ah ! Ma chère femme ! Je peux me vanter de t’avoir rendue heureuse! Je ne t’ai jamais trompée…
« En voilà une belle affaire !
« Quelle importance, je vous demande, que quelques coupons de rentes’égarent par-ci, par-là, si vous conservez le capital, et si, grâce àces quelques coupons perdus, vous avez un mari qui vous fait la vieagréable. Je n’ai pas raison, mademoiselle Pépita ?
- Sûr que non, madame, répliqua gravement cette sage enfant en sonverbe châtié. C’est moi que je veux détacher mes coupons moi-même etque je veux les toucher moi-même aussi à la caisse. Mon mari me serafidèle, je vous en fiche mon billet, parce que c’est moi que j’ai bienl’intention de le tromper.
Un patatras coupa net la discussion. Cela venait du bureau, assaisonnéd’une voix vinaigrée et mêlé de quelques plaintes !
- Vous ne pouvez donc pas faire attention !
- Oh !... J’ai mal…
- Quelle maladroite !
En l’espèce, la maladroite, c’est la caissière. Ne s’est-elle pasavisée, la sotte, pour débarrasser sa table, de vouloir mettre lamachine à écrire sur le cartonnier ? Or, le cartonnier est haut, lamachine lourde et la caissière petite. Ces trois choses réunies ontfait que la machine a échappé des mains de la caissière et qu’elle l’areçue sur la figure. La machine, maintenant, gît par terre, tandis quela sotte éponge avec son mouchoir sa lèvre fendue d’où le sang couleabondamment.
- Une machine toute neuve ! glapit Junon. Si ce n’est pas malheureux !
De ses bras puissants, elle l’a replacée sur la table.
La petite caissière gémit doucement.
- Il faut aller tout de suite chez le docteur faire recoudre votrelèvre, dit quelqu’un.
Et, se tournant vers Junon :
- N’est-ce pas, madame ?
Junon ne répond pas. Tête baissée, elle palpe la machine, l’ausculte,fait jouer les uns après les autres tous les chiffres, tous les signes,toutes les lettres du clavier, toutes les majuscules, toutes lesponctuations, pousse le rouleau en avant, en arrière ; manœuvre lesleviers, vérifie les vis, enlève délicatement un peu de poussière, puisattrape la burette à huile, et lentement, posément, graisse tous lesécrous, comme on donne un coup d’alcool à un rescapé.
Enfin, elle se redresse et pousse un soupir de satisfaction.
Dieu soit loué : La machine est indemne !
Personne, ce matin, dans le jardin. Seul, le petit garçon de la «République » y erre, désœuvré.
La République est une grande et forte femme. Elle a, comme il convient,des mains vigoureuses, des bras que plus d’une envierait comme cuisseset des bagues à tous les doigts.
C’est un beau morceau.
- Hou ! Elle me ferait peur, à moi, dit le fiancé de Pépita. Je meperdrais là-dedans !
Et comme l’autre jour elle se bourrait de gâteaux à la pâtisserie :
- Attention ! madame ! Attention ! gouailla ce gamin de Paris. Vousallez engraisser ! Vous ne pourrez plus vous mettre à l’ombre desfraisiers.
Le mari de la République est un gros bonnet dans le syndicat de laboucherie. Elle ne l’avoue pas. Si elle parle de lui, elle se garded’insister ; elle lance, vaguement, d’un air détaché : « Mon mari, quiest dans les affaires… » Mais ses expressions la trahissent. Quand ellea chaud, elle dit : « Je sue comme un bœuf », et si le ciel est pur : «C’est un temps de premier choix ».
On est fixé.
Et, à propos de Juliette Récamier, dont elle a entendu, par hasard,accoler le nom à celui de Herriot, elle s’écrie, tout à fait sucrée :
- Ces hommes politiques ! Quels dévergondés ! Encore une avec laquelleil couche !
La République a un petit garçon de cinq ans. Il succédera à son père.Il porte déjà, sur le front, les insignes de sa future profession : unejolie petite mèche frisée.
C’est, en attendant, un enfant vif et intelligent. Ce matin, il mesemble s’ennuyer royalement. Je l’appelle à moi :
- Aimez-vous les histoires ? Voulez-vous que je vous en raconte une ?
J’ai toujours déploré les contes de la Mère l’Oie. J’ai amusé desenfants follement avec la mythologie grecque, et le voisinage toutproche de la Suisse, cette fois, sans doute, m’inspirant, c’estGuillaume Tell et sa pomme qui me viennent à l’esprit.
- Il y avait une fois…
L’enfant me suit, de toute son attention.
Mon récit est à peine terminé que la République apparaît. Le petitgarçon court à elle.
- Maman… maman ! Ecoute : je vais te raconter…
Et je l’entends qui embrouille tout : Guillaume Tell… La pomme… latête… la flèche… La République le laisse dire. Hélas, tout cela estpour elle, lettre morte et, quand il a fini, elle éclate d’un justecourroux :
- C’est absurde ! c’est absurde des jeux pareils ! Comme s’il n’y enavait pas d’autres ! Et qui est ce petit Guillaume Tell ? Au moins, cegamin, arrivé hier soir. Je te défends de jouer avec lui, tu m’entends! Vois-tu qu’il te mette une pomme sur la tête et aille te crever unœil avec sa flèche. Ce petit Guillaume Tell a des idées stupides ! Jeme charge bien, par exemple, de le dire à sa mère !
Je suis révoltée, hors de moi, indignée. Pépita l’est tout autant etMme Lunettes encore plus.
La cause ? Une grande jeune fille, admirablement belle, apparue avec samère le lendemain de mon arrivée. Mais… sous les larges yeux gris,profonds, émouvants, un cerne violacé, caractéristique, qui dit tout desuite pourquoi elle est venue à la montagne.
Toute la journée, les deux femmes s’isolent complètement, tantôt dansleur chambre à deux lits, le plus souvent dehors, la jeune filleétendue sur une chaise longue. Et, tout à coup, les gens sursautent, àla toux caverneuse qu’elle essaie, en vain, de maîtriser. Pour venir àla salle à manger, la mère porte une petite boîte rectangulaire, enbois marron, avec poignée de cuivre, semblable à celles des artistespeintres. Ne vous y trompez pas : elle ne renferme ni couleurs, nipinceaux, mais de grands et larges mouchoirs, dans lesquels lamalheureuse enfant tousse et crache d’un bout à l’autre du repas.Depuis hier, plus fatiguée sans doute encore que d’habitude, elle n’estpas sortie de la chambre. Les commentaires vont leur train.
- Je ne reste pas ici, dit la République. Pensez ! Avec mon petitgarçon !
- Et moi, fait Pépita. Sûr que je me carapate aussi. Je ne suis pasvenue pour attraper des microbes.
On décide qu’une délégation sera envoyée à Junon.
- Mais, mesdames, il n’y a pas de danger, répond celle-ci, doucereuse.Cette jeune fille vient d’avoir un petit rhume, mais elle n’estnullement malade.
Les déléguées tiennent bon. Junon, non plus, ne lâche pas pied. Lesunes parlent bacilles. L’autre les tue d’un sourire railleur : lesbacilles ? Pftt ! Mais où Junon ne raille plus, c’est lorsque lesdéléguées insinuent que dix pensionnaires parlent de s’en aller si lajeune fille demeure.
Cela devient sérieux.
Junon daigne réfléchir. Le fruit de ses réflexions est que, dès lelendemain, les deux dames sont embarquées pour une destination inconnue.
Le soir même arrivent à l’hôtel deux grandes et belles jeunes filles dedix-huit et vingt ans, respirant la pleine santé. Elles ont fait dansla journée Chamonix, Saint-Gervais, Sallanches, Passy, Combloux, sanstrouver, nulle part, une seule chambre libre. Nous sommes en juilletmaintenant, et ce matin encore, ici même, avant l’expulsion de la jeunemalade, l’hôtel aussi était au complet. Junon se précipite.
- Mais oui, mesdemoiselles ! J’ai une chambre superbe, à deux lits, aulevant. Elle était occupée il n’y a pas deux heures par une dame et safille qui ont été forcées de rentrer subitement à Paris.
Les deux voyageuses cherchaient un gîte pour six semaines. Quelleaubaine d’en trouver enfin un ! Enchantées, elles s’installent.
Mme Lunettes, qui était aux écoutes, rattrape Junon dans le hall.
- Mais, madame, vous n’y pensez pas ! Donner à ces enfants la chambrede cette grande malade. Elle était tuberculeuse… On n’a pas désinfecté…C’est criminel, madame ! Criminel !
Junon la toise. De quoi se mêle-t-elle, celle-là ? En voilà desscrupules ! Puis, sans hésitation aucune :
- Si, madame. J’ai brûlé du sucre.
Petits bacilles de Koch, croissez et multipliez en paix.
J’en ai assez ! J’en ai assez ! J’en ai assez ! J’en ai assez !
Assez des airs de danse, jusqu’à minuit. Assez d’être réveillée tousles jours à l’aube ; assez du jambon ; assez des nouilles froides ! Ouon me variera mon régime ou bien…
Ou bien quoi ?... Oui, quoi ?... M’en aller ?... Ou cela ?... A cetteépoque-ci, je ne trouverai de place nulle part. L’exemple des jeunesfilles d’hier, errant toute la journée pour s’échouer ici, devraitm’inciter à la patience ; aussi la longue station que je viens de fairedans ma baignoire… Ma baignoire, ma seule consolation ! Rien de toutcela ne m’arrête, et me voici devant Junon.
Je me voudrais douce, souriante, présentant gentiment ma réclamation,et je reste effrayée en entendant ma voix : elle est sèche, nerveuse,mordante, pointue.
- Enfin, madame, oui ou non, puis-je avoir des nouilles chaudes ? Voilàsept jours que je les mange froides. Je tiens à vous dire aussi que jen’en veux plus à tous les repas.
- Madame n’est pas satisfaite ?
Oh ! ce ton ! Le pressentiment qu’on va, une fois de plus, me dire dem’en aller. La diplomatie exigerait que je baisse la voix d’un octave.Impossible ! Je poursuis sur le mode aigu :
- Pas précisément. Et apercevant sur la table le menu de déjeuner :Ombres chevaliers frits ; rien de plus simple que de m’en faire cuireun au court-bouillon. A la place du civet de lapin, dites donc au chefqu’il me fasse une côtelette sur le gril, avec pommes à l’anglaise.Quant au dessert…
Junon me regarde absolument comme si j’étais soudain frappéed’aliénation mentale. La stupéfaction de mon audace la fait presquebégayer.
- Au chef… au chef… Aller dire ça au chef !... Pour qu’il me plante làà la veille du 14 juillet, avec tout l’hôtel plein !
Ça vient… ça vient… elle va me flanquer dehors…
Complètement hors d’elle, elle éructe :
- Je préfère, madame, préparer votre note.
Ça y est !...
Une fois de plus !
Foin des lambris dorés. Pour être nourrie de la sorte, je suis bienbête, au surplus, de payer si cher. J’ai repéré dans le village, sur laplace des deux noyers, une modeste pension de famille du même nom. Iln’y a là ni hall, ni portier, ni ascenseur, et le Ciel soit béni ! nichef.
Ceinturée d’un tablier bleu, une cuiller à la main, la patronne mereçoit au seuil de la cuisine. Elle a chaud. Une goutte de sueur tombede son menton dans la cuiller dont elle va, tout à l’heure, arroser lerôti.
Chance inespérée ! Elle peut me donner une chambre.
- Chasseur ! Chasseur ! Prenez les bagages de Madame, pour le 8.
Un chasseur ici !
Déjà, je rêve d’un jeune éphèbe en livrée marron à bouton d’or.
Plus pittoresque, la vérité surgit : grosses galoches, chaussettes,mollets nus et mâchant des boules de gomme, ses dix ou douze ansaffublés, en investiture de sa charge, d’une énorme casquette plate quilui descend jusqu’aux oreilles.
Chasseur, ce galopin de village ! Quel Poulbot !
D’une main preste au pugilat, il empoigne valise, mallette, boîte àchapeaux, écorne l’une aux barreaux de l’escalier, de l’autre érafle lemur, fait dégringoler la boîte aux chapeaux, la rattrape au vol, puis,en vitesse, jette le tout sur le lit du 8, pour s’en aller, descendantla rampe à califourchon, reprendre, sur la place, la partie de billesinterrompue.
Je m’efforce à une douce indulgence.
Voyons… voyons, je le sais bien que je ne suis pas au Carlton ! J’ai untoit, c’est déjà beau ! Et la patronne m’a juré, tout à l’heure,qu’elle ferait, en régime, tout ce que je voudrais.
- Mais pour aujourd’hui, n’est-ce pas, a-t-elle ajouté, comme c’estbientôt midi, ce sera, si vous voulez bien, du jambon et des nouilles.
Encore !
Après le déjeuner, j’avisai une petite bonne et la priai de m’indiquerce que vous devinez.
Ah ! ça, par exemple !...
Arrivée dans cet endroit, vous fermez la porte, naturellement. Puisvous cherchez le verrou, en haut, en bas, au-dessous de la serrure,au-dessus. Vous ne trouvez rien. Vous rouvrez la porte, pensant que,peut-être une clef, restée à l’extérieure, va vous permettre de vousenfermer. Rien encore. Vous refermez la porte, et vous demeurez là, unpeu perplexe, jusqu’à ce que vos yeux tombent sur une petite pancartecollée au battant :
Pour prévenir de la présence
On est prié de chanter.
Quoi ?...
Tra la la la la la la ?
Ou plutôt, peut-être, « Au Clair de la lune » ?...
Vingt minutes après, je revenais de la poste, un télégramme à la main.
Ce télégramme, vieux de deux mois, je l’ai reçu le jour de mon départde Paris, au moment où je montais en taxi pour aller à la gare. Ilémanait d’une cousine de province, m’annonçant la naissance de sapetite fille. Je l’avais fourré au fond de mon sac de voyage, d’où jeviens de le sortir, précieusement, avant d’aller à la poste.
Tout le long du chemin du retour, je me suis composé une figureattristée. Ah ! mais, j’en ai assez d’être mise à la porte ! Cettefois, je m’en irai dans les honneurs.
- Eh bien, madame, s’enquiert la patronne en m’apercevant, les nouillesétaient-elles bonnes ?
- Excellentes ! excellentes ! mais je suis désolée… Je viens de trouverce télégramme à la poste restante où je faisais envoyer mon courrier.Mon frère (je n’en ai point) est au plus mal. Il faut que je m’en aille…
On est prié de chanter…
Ah non ! non ! Tout, mais pas ça !
________________
REQUIESCO IN PACE.
J’ai refait ma malle. Je suis rentrée à Paris. J’ai maigri ; perdu lesommeil ; perdu l’appétit et le goût de la vie. J’ai le teint jaune etles yeux creux. Ma concierge aussitôt s’est alarmée :
- Madame a donc été malade ?
Avec joie, j’ai repris possession de mon appartement. Il y a de lapoussière, mais moins que chez Diafoirus. Dans la cuisine, ô joie ! laboîte aux nouilles est vide.
Tous les locataires sont partis à la campagne. L’immeuble est désert.Je suis seule. Aucun bruit. Je n’ai dit à personne que j’étais revenue.Tout le monde me croit à mille kilomètres, donc pas d’invitations.
Je m’endors à neuf heures et me réveille à huit. Je mange ce qu’il meplaît. Les rôles, ici, sont remis à leur place, et, si ma cuisinières’obstine à me servir des plats que je n’aime pas, c’est elle qui prendla porte et non pas moi.
Depuis deux mois à ce régime, j’ai reconquis mon poids normal, une minesuperbe ; je suis bien disposée. La vie est belle.
Hier, j’ai décidé d’aller chez mon médecin. Pour ne pas l’influencer,je lui ai laissé croire que je venais de passer quatre mois à lacampagne.
- Bravo ! bravo ! m’a dit cet homme perspicace. Je vous trouve enexcellente forme. C’est parfait ! Mon traitement vous amerveilleusement réussi. Eh bien, l’été prochain, si vous vous sentezun peu fatiguée, vous saurez ce qu’il y a à faire : vous n’aurez qu’àrepartir aussitôt d’où vous arrivez.
Je suis tout à fait de votre avis, mon cher docteur.
M.-L. ARSANDAUX.