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CADOUDALGeorges de(1823-1885)  : Le10 août - Paris : Libraire de laSociété bibliographique, 1875.- 35 p. ; 18,5 cm.- (Brochures populairessur la Révolution française ; 4).
Saisie du texte etrelecture : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (12.II.2008)
Texte relu par : A. Guézou
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Le10 août
par
Georges de Cadoudal

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La SOCIÉTÉ BIBLIOGRAPHIQUE, fondée le 6 février 1868, a pour but :

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LE DIX AOUT


Le 10 août 1792 un grand crime, un crime irrémissible fut accompli parl’infernal génie des révolutions. La Royauté, qui avait créé notrenationalité, qui avait élevé la France aux sommets de la puissance etde la gloire, succomba en quelques heures sous une coalition desophistes et de rhéteurs, de faubouriens et de repris de justice. Cettejournée livra la clé de nos destinées aux plus vils des hommes ; ellerendit possibles les crimes de Septembre et de Janvier ; elle fut lapréface sanglante de la Terreur ; elle inaugura dans notre histoirel’ère des coups de force et des coups d’État ; elle consacra enfin laprédominance des minorités violentes sur la masse paisible du peuple,de Paris sur la France, des faubourgs sur Paris, de quelques scélératssur les faubourgs.

Nulle journée révolutionnaire n’a été plus défigurée par leshistoriens. « Plusieurs alluvions de mensonges d’une étonnanteépaisseur ont passé dessus, » dit Michelet, qui n’a pas peu contribué àgrossir la couche de ces alluvions et à enfouir la vérité.

Comme tous les grands faits, comme toutes les grandes journées de laRévolution, comme la prise de la Bastille, les 5 et 6 octobre, lesvolontaires de 92, la fête de la Fédération, la fuite de Varennes, le20 juin, etc., le 10 août a eu sa légende, à laquelle les historiensont fini par donner une sorte de consécration. Pour la plupart d’entreceux qui se sont faits les hérauts de la Révolution, et notamment pourMM. Thiers, Michelet, Louis Blanc et Peyrat, le 10 août a été uneexplosion héroïque de vengeance et de patriotisme populaires, exaltésjusqu’au délire par la nouvelle de la déclaration de Brunswick et parles trahisons de la Cour. Le peuple n’a point obéi à un mot d’ordre, ils’est soulevé spontanément, « ne prenant conseil que de sa colère, deson honneur et de son droit. » Il a été lui-même le coeur, la tête et lebras de cette Révolution où s’engloutit un trône dix fois séculaire ;il a pris d’assaut les Tuileries, et, massacré traîtreusement par lesSuisses, sous les voûtes du palais, il a payé, au prix de cinq millecadavres, une victoire nécessaire, sans laquelle la France eût étélivrée à ses ennemis.

Telle est la légende. Hier encore, des feuilles héritières destraditions jacobines la reproduisaient à l’usage de leurs crédules etpar trop naïfs lecteurs. Après avoir célébré « ces grands soufflesrévolutionnaires qui soulèvent et roulent les populations avec unepuissance irrésistible, » elles osaient glorifier le 10 août, « commela commémoration d’un grand fait patriotique et d’un acte deconsécration nationale. »

A ces déclamations impudentes et mensongères, nous venons opposerl’histoire dans sa simplicité, et telle qu’elle ressort des plusscrupuleuses et des plus récentes investigations. Voici la vérité surle 10 août.


I

PRÉPARATIFS DU 10 AOUT.

La déclaration de guerre du 20 avril 1792 et la formation desvolontaires nationaux qui en fut la suite, avaient mis aux mains desmeneurs cachés de la Révolution un puissant moyen d’agitation populaire.

Mais ces meneurs n’avaient pas tous le même but et ne gardèrent pas lamême attitude dans les événements que nous allons exposer.

Les girondins, qui étaient surtout avides de pouvoir, ne voulaientqu’effrayer la Cour et amener le Roi à composition, afin de disposer àleur gré des finances et des emplois. A la veille même du 10 août, ilsse seraient mis en travers du mouvement révolutionnaire, si Louis XVIeût consenti à leur livrer le gouvernement dans la personne de troisministres de leur parti, Roland, Clavière et Servan. Sur le refus duRoi d’adhérer à leurs propositions et à leur programme, on voit lesgirondins attiser le feu de l’insurrection par les mains de Pétion, deBarbaroux ou de Vergniaud, tout en s’efforçant, comme l’a avouéRoederer, « de temporiser, de gagner du temps, d’espérer quelque chosede la détresse et de la gratitude de la Cour, en la soutenant et en lamenaçant tout à la fois. »

Quant aux jacobins, ils allaient, à cette date, jusqu’au bout de lalogique révolutionnaire, et ne voulaient rien moins que la déchéance dumonarque et une complète subversion de l’ordre politique et social. Ilsreprésentaient les véritables hommes d’action et de combat d’unmouvement dont les girondins n’étaient que les rhéteurs et les hommesde parade. Les girondins ne devaient pas tarder à être dépassés etsubmergés par le flot, toujours grossissant, du jacobinisme.

Ce dernier parti comprit tout d’abord quel puissant moyen d’actionpouvaient lui fournir ces enrôlements de volontaires, tourbe confuse oùs’agitaient, à côté de beaux élans de patriotisme, les sentiments lesplus vils et les passions les plus féroces. Par la savante organisationet la hiérarchie de ses clubs, le jacobinisme constituait un État dansl’État, et faisait pénétrer jusqu’au moindre village l’oeil et le brasde la Révolution. Par le public des tribunes, composé de ses séidessoigneusement disciplinés, il dominait et dictait, la plupart du temps,les résolutions de l’Assemblée. Le 8 juin, il arrache à celle-ci undécret qui mobilisait sous Paris un camp de vingt mille hommes. Le Roiy opposa son veto,et, en même temps, il ordonna la formation de quarante-deux bataillonsde volontaires à Soissons.

Mais beaucoup de municipalités, obéissant à la société-mère desjacobins, ne tiennent nul compte de l’ordonnance royale, et n’endirigent pas moins leurs bataillons sur Paris. En vain, une circulaireministérielle enjoint aux officiers de paix, à la gendarmerie et àtoute force publique de dissiper tout rassemblement marchant sansréquisition, les fédérés continuent à s’attrouper et à marcher vers lacapitale.

Prise de peur, l’Assemblée législative s’efforce de légaliser l’arrivéedes fédérés, tout en déclarant qu’ils ne peuvent résider à Paris «au-delà de trois jours. » Ceux-ci, comblés d’éloges et de prévenances,fêtés, hébergés, choyés, gorgés de vin et de gros sous, n’avaient nulleenvie de prendre le chemin du camp de Soissons, et, de leur côté, lesmeneurs jacobins n’avaient garde de laisser échapper une force touteprête pour leurs desseins.

Ils commencèrent par organiser un Comitécentral des Fédérés qui se mit en rapport avec lescomités occultes des sections, et devint bientôt le moteur et l’âmetoujours agissante de l’insurrection.

Mais les sections elles-mêmes étaient isolées et livrées à l’anarchiede leurs résolutions. Les jacobins voulurent imprimer à ces forceséparses et désordonnées l’unité d’action qui leur faisait défaut. Dansce but, ils obtinrent un arrêté municipal qui établit un Bureau central de correspondanceentre les quarante-huit sections de Paris.

Ainsi se construisait peu à peu, sous l’impulsion d’une puissancemystérieuse, l’édifice des pouvoirs révolutionnaires. La force deceux-ci s’augmentait à chaque instant de la faiblesse toujourscroissante des pouvoirs légaux établis par la constitution de 1791. Lesvices de cette constitution, chef-d’oeuvre de la sagesse de 89,s’accentuaient de jour en jour. Pendant que le Roi était livré auxirrésolutions de sa nature et l’Assemblée législative auxcontradictions de votes émis, la plupart du temps, sous lesvociférations des tribunes, le jacobinisme marchait à son but d’un pasassuré et avec une habileté vraiment infernale.

Telle était la situation au commencement de ce terrible mois dejuillet, qui fut si fécond en incidents douloureusement significatifs.

Le premier acte du Comité central des fédérés avait été de battre enbrèche le décret de l’Assemblée relatif au séjour des fédérés à Paris,en publiant les instructions suivantes :

« Arrivés ou en route, les fédérés ne doivent point se laisser diviser; ils doivent faire masse à Paris, et, malgré tous les ordres quipourraient leur être donnés, refuser de se rendre au camp de Soissons. »

Ces instructions furent trop bien suivies.

Grâce à la présence des fédérés, une excitation perpétuelle futperfidement entretenue à Paris. L’artificieux et cruel discours deVergniaud contre Louis XVI ; la suspension de Pétion par le départementconfirmée par le Roi et l’annulation par l’Assemblée de la décision dudépartement et du Roi ; le décret déclarant la Patrie en danger ; lecanon d’alarme tiré aux Invalides ; le triomphe de Pétion etl’humiliation de Louis XVI au Champ-de-Mars, à la fête de la Fédération; la tentative insurrectionnelle du 26 juillet à l’auberge du Soleil d’Or ;l’adresse de Condorcet au Roi, furent autant de signes précurseursd’une révolution que de nouveaux événements allaient bientôt précipiter.


II

LES MARSEILLAIS.

Le 29 juillet, on annonce l’arrivée des Marseillais. C’était unbataillon de cinq cents hommes organisé à Marseille par les soins dumaire de cette ville, Mouraille, ami intime de Barbaroux. Mais lesvrais volontaires marseillais se trouvaient aux frontières, et lesfédérés enrôlés par les clubs n’étaient, en réalité, qu’un ramassis demalfaiteurs étrangers, les uns échappés aux bagnes et aux prisons, lesautres les mains rouges encore du sang de la Glacière.

Voici, sur cette bande cosmopolite, qui a joué un rôle prépondérantdans la journée du 10 août, le témoignage d’un contemporain(Laurent-Lautard) :

« Animé d’un beau zèle, et bien aise peut-être aussi, de soulager lepavé, le maire réunit, dans l’espace de quelques jours, cinq centshommes sous le drapeau : Savoyards, Italiens, Espagnols chassés de leurpays, spadassins, suppôts de mauvais lieux, tout fut trouvé bon. Laphysionomie de cette troupe répondait de son esprit. Les véritablesMarseillais y étaient en petit nombre ; mais il y en avait, et j’enpourrais citer, qui ne sortaient pas absolument de la classe prolétaire; ceux-là furent accueillis, à leur retour, par la réprobation deshonnêtes gens. La tache resta sur leurs fronts en caractèresineffaçables. - Les hommes du 10 août, commandés par un ancienmilitaire, nommé Moisson, se mirent en route dans la soirée du 2juillet, avec deux pièces de campagne, malgré la défense du ministère.On les avait, au préalable, solennellement rangés autour de l’arbre dela Liberté du Marché-aux-Fruits, pour y recevoir les adieux et lesexhortations du club. »

Un député des Bouches-du-Rhône, Blanc-Gilli, s’exprime sur le comptedes fédérés napolitains d’une manière plus significative. Il ne voit eneux qu’une « horde de brigands sans patrie, » et « l’écume des prisonsde Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l’Italie… »

Tels étaient les dignes auxiliaires que les girondins allaient mettreaux mains du jacobinisme pour accomplir le crime de lèse-nation qui sepréparait.

Le lundi 30 juillet, la colonne marseillaise fait son entrée àCharenton. Elle y est reçue par Barbaroux, Fournier l’Américain,Rebecqui, Pierre Bayle, Bourdon (de l’Oise) et Héron. Le plan desmeneurs était de se porter immédiatement en force à l’Assemblée, pourenlever la déchéance ou la suspension du Roi. Ce plan manqua, dit-on,par la faute de Santerre, qui avait promis, pour l’exécuter, quarantemille hommes de Saint-Antoine et de Saint-Marceau, et qui, au momentdécisif, ne parut point. En réalité, la population parisienne, mêmecelle des faubourgs, n’éprouvait qu’un médiocre enthousiasme pour cettetroupe de bandits dont les bonnets rouges, les vêtements déguenillés,les regards farouches, la peau bronzée, les propos sinistres,répandaient partout l’épouvante. Au lieu de l’armée des faubourgs quileur avait été annoncée, les Marseillais ne trouvèrent que deux centsfédérés des départements et deux douzaines de Parisiens armés de piqueset de coutelas.

Dès le lendemain, un banquet civique les réunit aux Champs-Élysées,sous la présidence de Santerre, et fut, pour eux, l’occasiond’inaugurer, dans la capitale, la série de leurs exploits.

A la suite de ce banquet, ils assaillent à coups de sabre desgrenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas, blessent une vingtained’entre eux, et tuent l’agent de change Duhamel. Puis vient le défiléde leurs orateurs à la barre de l’Assemblée. Renversant les rôles, ilsdemandent justice du sang qu’ils ont versé et crient vengeance contreleurs victimes. Ils finissent par prononcer le mot de la situation,celui que soufflent les feuilles anarchiques et les clubs, et quifermente dans tous les cerveaux révolutionnaires : la déchéance. Adater de cet instant, l’audace jacobine redouble, le flot de ladémagogie monte et rompt toutes ses digues. Le malencontreux manifestede Brunswick donne aux meneurs un moyen facile d’attiserl’effervescence populaire. Le 2 août, Pétion apparaît à la barre del’Assemblée, suivi d’une nombreuse députation. Il lit, au nom dessections de Paris, une adresse où la déchéance de Louis XVI estprésentée comme la seule mesure capable « d’affermir la liberté » et de« conjurer les dangers extérieurs et intérieurs. » La sectionMauconseil va plus loin. Mettant de côté les vaines formalités de laloi, elle ne se contente pas de pétitionner : elle publie un arrêté parlequel elle déclare qu’elle « ne reconnaît plus Louis XVI pour Roi desFrançais, » et qu’elle « abjure le serment de lui être fidèle. » Ellesonne le premier coup de tocsin de l’insurrection, en assignant auxsoldats de l’émeute un rendez-vous sur le boulevard de la Madeleinepour une démonstration armée.

Tant d’audace finit par révolter la majorité de l’Assembléelégislative, qui sort un moment de sa stupeur pour casser l’arrêté dela section Mauconseil. Trois jours après (8 août) elle retrouve encoreun peu de courage pour rejeter à une majorité de 406 voix contre 204 ledécret d’accusation présenté par la gauche contre La Fayette. Ce futson dernier acte d’indépendance. A dater de ce jour, elle retomba dansson abjection, et se borna à enregistrer les décisions de l’émeute.

En autorisant, par une odieuse complicité ou par une lâcheté pluscoupable encore, la permanence des sections, l’Assemblée avait remis laclef de la situation aux mains des jacobins. Déjà la société étaitlivrée à une effroyable anarchie. Les pouvoirs sociaux et la forcepublique étaient à peu près désorganisés. Tous les grades de la gardenationale étaient donnés à l’élection, ce grand dissolvant de toutediscipline militaire. Enfin le Roi, auquel la Révolution avait enlevéun à un tous les prestiges de sa couronne, tous les étais de sonpouvoir, jusqu’à sa garde constitutionnelle elle-même, se trouvaitexposé sans défense possible à toutes les tentatives de l’émeute, àtous les coups des factions.

Toutefois, le Conseil général de la Commune renfermait encore bien deséléments conservateurs, bien des membres de cette bourgeoisieparisienne qui ne séparait pas, dans son dévouement, la Royauté desinstitutions constitutionnelles. Parmi les bataillons de la gardenationale, il s’en trouvait qui, comme ceux des Filles-Saint-Thomas etde la Butte-des-Moulins, étaient animés d’un sincère esprit deroyalisme. A une heure donnée, ils pouvaient se porter en masse auxTuileries et opposer à l’émeute le rempart de leurs baïonnettes. Celane faisait pas l’affaire des meneurs. Pétion se chargea d’obtenir de lamunicipalité un arrêté aux termes duquel la garde journalière duchâteau devait être à l’avenir composée d’un nombre déterminé decitoyens de tous les bataillons. C’était introduire l’anarchie dans lesrangs de la force armée, et paralyser son action pour le jour ducombat. Diverses mesures complémentaires ne tardèrent pas à acheverl’oeuvre désorganisatrice de la garde nationale. Mais le Conseil généralde la Commune restait debout. On va voir comment s’y prirent lesmeneurs pour le renverser.


III

LA COMMUNE.

Dans la nuit du 9 au 10 août, à minuit, le tocsin retentit tout à coupdans les tours des différentes églises de Paris. C’était le signal del’insurrection. Au tocsin succède le bruit des tambours. On entend à lafois battre la générale et le rappel, le rappel au nom de l’ordrelégal, la générale au nom de l’émeute.

Pendant ce temps, soixante-dix à quatre-vingts hommes, presque tousobscurs, inconnus, voués aux plus humbles professions de la cité,arrivaient à l’Hôtel-de-Ville, et s’établissaient sans résistance etsans bruit dans une pièce voisine de la salle occupée par le Conseil dela Commune.

Qu’étaient-ils ? Que voulaient-ils ? Ils se donnaient pour descommissaires élus par les sections de Paris et chargés de correspondreavec leurs mandataires. En réalité, ils n’avaient été choisis que parvingt-six sections, réduites chacune à une minorité dérisoire. Dansplusieurs quartiers, ils s’étaient élus eux-mêmes. Leur but n’étaitrien moins que de remplacer la commune légale par une communeinsurrectionnelle, et d’arriver à désorganiser les plans de défense ducommandant  supérieur de la garde nationale. Usant de ruse,ils commencent par agir sur les magistrats légaux et par leur dicterdes arrêtés que ceux-ci, de plus en plus réduits et paralysés, signentcomplaisamment. C’est ainsi que les sectionnaires obtiennentl’éloignement de l’artillerie placée sur le Pont-Neuf pour empêcher lajonction des faubourgs insurgés. C’est ainsi qu’ils font appeler àl’Hôtel-de-Ville le commandant en chef de la garde nationale, Mandat.On sait quel fut le sort de ce loyal soldat qui était résolu à défendrejusqu’à la mort le poste confié à son honneur. Croyant obéir à un appelrégulier, il quitte avec regret les Tuileries et se rend àl’Hôtel-de-Ville. Saisi par les séides des sectionnaires, il estconduit devant le président de la Commune insurrectionnelle, Huguenin,qui présente à sa signature l’ordre de faire retirer la moitié destroupes du château. Avec un héroïsme auquel l’histoire n’a pu rendrequ’un hommage tardif, Mandat refuse de forfaire à son devoir. Huguenin,d’un geste significatif, ordonne qu’il soit conduit à l’Abbaye. C’étaitun arrêt de mort. Un coup de feu abat sur les degrés del’Hôtel-de-Ville le vaillant officier, dont le cadavre, percé de millecoups, est jeté à la Seine. Tel fut le premier exploit de cette Communede Paris qui, après avoir épouvanté le monde par l’excès de ses fureurset de ses crimes, devait rendre le dernier soupir dans le sang deThermidor.


IV

AUX TUILERIES.

Les membres de cet horrible cénacle sont, pour la plupart, rentrés dansune obscurité qui les a dérobés aux revendications de l’histoire. Quandon veut savoir ce que sont devenus ces hommes de fiel et de sang qui,pendant de longs mois, furent les dictateurs de la France, quis’imposèrent à la Législative et à la Convention, et par elles au paystout entier, on est étonné de la stérilité des recherches.Quelques-uns, huit ou dix, ont conservé une atroce célébrité : Hébert,Rossignol, Léonard Bourdon, Bernard et Xavier Audoin, prêtres apostats,le cordonnier Simon, le journaliste Robert. Plusieurs périrent surl’échafaud où ils avaient envoyé tant d’illustres victimes. D’autres seretrouvent parmi les petits employés de l’Empire, tels que Huguenin,qui fut nommé commis aux barrières ; mais pour la plupart, après ladictature de Robespierre, ils rentrent dans leur néant, comme ces bêtesfauves qui, après s’être rassasiées de sang, disparaissent dans destanières dont l’obscurité les protége contre les poursuites deschasseurs.

Après l’assassinat de Mandat, les prétendus commissaires des sectionsjugèrent toute dissimulation superflue. Ils commencèrent par nommerSanterre chef suprême de la garde nationale. Puis, pénétrant dans lasalle du Conseil, ils signifient aux représentants de la Commune qu’ilsaient à céder leurs fauteuils aux élus du peuple. De la municipalitélégale, la Commune insurrectionnelle ne conserve que trois membres :Pétion, Manuel, Danton.

Pétion, l’homme au coeur double, une des âmes les plus basses et lesplus hypocrites de ces temps de malheur, Pétion qui fut le Pilate de laRoyauté après en avoir été le Judas, n’avait pu se dispenser deparaître aux Tuileries. Fort mal accueilli des gardes nationauxfidèles, il s’était fait réclamer par ses affidés de l’Hôtel-de-Ville,auxquels il avait recommandé de le faire consigner au plus tôt dans sonhôtel. C’était un moyen de dégager sa responsabilité et de se tenirprêt à tout événement. Mandé, sur ses propres instances, à la barre del’Assemblée, l’indigne magistrat, après avoir retracé dans unartificieux discours les périls imaginaires qu’il a courus, s’empressede rentrer à son domicile, où une force de six cents hommes, obéissantà des instructions secrètes, vint bientôt le retenir.

Il était quatre heures du matin. Au château, la confiance était grandeencore. Le Roi, ignorant les événements accomplis à l’Hôtel-de-Ville,comptait sur les dispositions militaires de Mandat, sur la fidélité destroupes et des hommes qui l’entouraient. Il y avait, rassemblés sur leCarrousel, dans les cours, dans les jardins, ou disséminés dans lesappartements des Tuileries, quatorze bataillons de la garde nationaleavec leurs canons, quelques compagnies de gendarmes à cheval, unrégiment de Suisses, deux cents gentilshommes environ, accourus aupremier signal pour partager dans cette heure suprême les périls de laRoyauté. Mais la garde nationale était divisée d’opinions : lescanonniers ouvertement hostiles, les gendarmes indécis, lesgentilshommes désarmés. Louis XVI n’avait à son service qu’une forcevéritable, les Suisses. Ils étaient neuf cents. Le nombre des insurgésdevait bientôt s’élever à plus de vingt mille.

De toute part, on annonçait leur approche. Sur l’avis de ses ministres,le Roi se décide à passer la revue des troupes postées dans le jardinet dans les cours. Quelques bataillons font entendre ce vieux cri de Vive le Roi ! quifut si souvent un signal de salut ; la plupart se taisent ; d’autrescrient Vive la Nation !plusieurs profèrent d’ignobles outrages. Le Roi rentre désespéré,sentant que tout lui échappe. Le procureur général syndic dudépartement Roederer, quelques représentants de la municipalité quivenaient de sonder les dispositions des défenseurs du château,s’efforcent de démontrer l’impossibilité de la résistance. Ilsinsistent pour que le Roi et sa famille cherchent un refuge au sein del’Assemblée, « la seule chose qu’en ce moment le peuple respecte. »Louis XVI hésite. Marie-Antoinette éclate avec indignation : « Je meferais clouer aux murs du château, plutôt que d’en sortir, »s’écrie-t-elle. Mais l’heure était pressante, le péril prochain. Déjàle flot de l’émeute, montant comme une mer furieuse, avait inondé leCarrousel et battait les murailles. Roederer redouble ses instances. LeRoi accepte avec résignation l’arrêt de sa destinée : « Marchons, »dit-il, en donnant le signal du départ, « il n’y a plus rien à faireici. »


V

LE ROI A L’ASSEMBLÉE.

La lutte était-elle encore possible ? Parmi les historiens et lestémoins survivants de cette journée, plusieurs ont dit que si le Roi,inspiré par un de ces élans familiers aux princes de sa race, étaitmonté à cheval, avait tiré l’épée et se fût précipité la poitrinedécouverte au-devant de l’émeute, il eût rallié ses défenseurs, affermiles courages ébranlés, fait rougir les lâches et les traîtres ; qu’ileût eu facilement raison des bandits de Santerre et de Westermann, etqu’en une heure il eût reconquis tout le terrain que la Royauté avaitperdu en trois ans. D’autres affirment que, tout point d’appui luifaisant défaut, il eût tout au plus réussi à mourir. Mais Louis XVIn’était pas fait pour ces inspirations à la Henri IV ou à la Condé. Au20 juin, avec une force surhumaine, il avait résisté à la foule, et «ce jour-là, a dit Edgard Quinet, il fut plus grand que ce mondedéchaîné contre lui et qui ne put lui arracher un aveu. » Au 10 août,il subit la pression de l’émeute ; il oublia que le Roi de France estavant tout un soldat, et que, pour défendre sa couronne, Dieu lui aremis une épée.

Protégé par des détachements de gardes nationaux et de gardes suissesqui formaient la haie des Tuileries à la salle du Manége, précédé deRoederer et des membres du département, suivi du Dauphin, de la Reine,de Madame Élisabeth, de Madame Royale, de Mmes de Lamballe et deTourzel, de ses ministres, auxquels s’étaient joints quelquesserviteurs fidèles, Louis XVI se dirigea vers l’Assemblée. Huit heureset demie sonnaient aux horloges voisines. L’air était calme et pur. Lesoleil, projetant ses rayons sur les statues de marbre et lesplates-bandes de fleurs, brillait comme pour un jour de fête. Lesallées suivies par le cortége étaient déjà encombrées de feuillesdesséchées, que le jeune Dauphin s’amusait à pousser devant lui ou àrassembler sous les pas de sa soeur. « Les feuilles tombent de bonneheure cette année, » dit le Roi.

On connaît ses paroles au moment où il pénétra dans cette enceinte quifut moins pour lui un asile que le vestibule de la prison et del’échafaud : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime…. » Hélas !le crime n’était qu’ajourné ! Et, par une dérision cruelle du sort, lamême voix qui lui promit solennellement le concours et « la fermeté del’Assemblée nationale » pour défendre les droits constitutionnels de sacouronne, - la voix de Vergniaud, - devait se faire entendre quelquesheures après pour prononcer contre lui un arrêt provisoire dedéchéance, et, cinq mois plus tard, un arrêt définitif de mort.


VI

L’ATTAQUE DU CHATEAU.

Est-il besoin de poursuivre ce récit ? Et nous faut-il, après tantd’autres, montrer le Roi et la famille royale confinés dans un réduitmisérable où durant dix-sept heures ils eurent à recueillir toutes leshumiliations et tous les outrages, où ils assistèrent à leur propredéchéance et à l’agonie de la Royauté ? Ah ! le fils de Henri IV, aufond de la loge du Logographed’où il voyait se dérouler toutes le scènes de ce lamentable spectacle,dut plus d’une fois regretter avec amertume de n’avoir pas eu lafortune de mourir, l’épée à la main, dans le tourbillon d’un combat !

La famille royale était déjà depuis deux heures sous les regards del’Assemblée, lorsque, tout à coup, une fusillade, accompagnée dedécharges de mitraille, dont les échos se répercutaient sous la voûtede la salle du Manége, annonça qu’une lutte était engagée entre lesassaillants et les défenseurs du château. Le départ du Roi avait portéle découragement dans l’âme des gardes nationaux fidèles. A l’exceptiond’une centaine d’entre eux, tous s’étaient dispersés. Mais les Suisses,hommes de discipline, commandés par des officiers qui avaient au plushaut degré le sentiment du devoir et de l’honneur militaires,attendaient un ordre du Roi avant de quitter leur poste. Le maréchal deMailly, gouverneur du château, ne leur avait donné que cette consigne :« Ne vous laissez pas forcer. » Cent cinquante d’entre eux ayantaccompagné le Roi à la salle du Manége, sept cent cinquante seulementoccupaient les Tuileries. Abandonnant leur première ligne de défense,ils s’étaient retirés dans les appartements, sur les marches du grandescalier et sous les voûtes du péristyle.

Cependant, l’armée de l’insurrection se massait sur le Carrousel. Auxhordes faubouriennes, conduites par Santerre et son beau-frèreAlexandre, s’était jointe l’ignoble tourbe de ces bandits cosmopolitesqu’on appelait les fédérés Brestois ou Marseillais. A la tête de cesderniers, se trouvait le Prussien Westermann, le seul parmi ces chefsde l’émeute qui eût quelque valeur et quelque courage.

Cédant aux injonctions des canonniers restés dans les cours, lesconcierges ouvrent les portes, et la foule, fraternisant avec lescanonniers et les gendarmes, se précipite vers le palais, s’efforçantd’attirer à elle et de séduire les Suisses postés aux fenêtres. Parmiceux-ci, quelques-uns jettent aux émeutiers des paquets de cartouches,indiquant ainsi qu’ils n’ont point l’intention d’engager une lutte queleur consigne ne leur prescrivait pas. Les hommes de Westermann,enhardis par cet accueil, pénètrent sous les voûtes du péristyle. Aprèsavoir essayé divers moyens de séduction pour fléchir les impassiblessoldats qui garnissent les marches du grand escalier, les brigands leurprodiguent les insultes, et en viennent bientôt aux voies de fait.Quelques Marseillais, armés de longs crocs de mariniers, cherchent àprendre les Suisses par leurs fourniments. Un coup de pistoletretentit. Les fusils des soldats s’abaissent et dirigent un feuplongeant sur les fédérés qui fuient en désordre. En un clin d’oeil, lepéristyle, les cours du château, le Carrousel sont balayés. Lesvainqueurs, auxquels s’étaient réunis les gentilshommes et desgendarmes nationaux, poursuivant leur succès, font une sortie,s’emparent de deux canons et se rassemblent sur le Carrousel d’où ilstiennent en respect les canonniers embusqués derrière les maisonsvoisines. Les abords du château étaient dégagés. Une charge decavalerie eût achevé la déroute de l’émeute. Mais la gendarmerie àcheval s’était dispersée ou était passée à l’insurrection.

C’est dans ce moment que d’Hervilly paraît, porteur d’un ordre du Roi,qui ordonne à ses défenseurs de cesser le feu et de rentrer dans leurscasernes. Les Suisses se mettent en devoir d’obéir. Ils se rassemblentlentement au signal des tambours, et, se formant en colonnes, ilss’engagent dans la grande allée du jardin.

Les insurgés, n’entendant plus le bruit de la mousqueterie, reprennentcourage. Les plus déterminés dit M. Mortimer-Ternaux, « se hasardent àtravers la place du Carrousel, mais avancent lentement, craignant àchaque instant de tomber dans une embuscade ; ils pénètrentjusqu’au-delà des bâtiments incendiés et arrivent sous le vestibule dugrand escalier, cinqminutes après que les derniers pelotons des Suisses l’ont abandonné


VII

ORGIE ET MASSACRES.

Alors commença la sanglante orgie, - une des plus effroyables dontl’histoire ait enregistré le souvenir. Le flot des assaillants pénètrepar toutes les voies dans le palais de la Royauté. Les bandes deSanterre et de Westermann se ruent, avec des instincts de bête fauve,sur les soldats isolés qu’elles trouvent dans les appartements. Ceuxqui se sont montrés les plus lâches au combat sont les plus ardents aumassacre et au pillage. Ils égorgent ou brisent tout ce qui leur tombesous la main. On tue jusqu’aux blessés et aux mourants, jusqu’auxchirurgiens qui les pansaient, tous les serviteurs du château : lesSuisses dans leurs loges, les chefs d’office et les marmitons dans lescuisines, les huissiers, heiduques et valets de pied dans lesantichambres. Après s’être gorgés de sang, les massacreurs se gorgentde vin, descendent dans les caves, et défoncent les futailles. Les unsvolent du linge, des bijoux, des assignats, de l’argent. Un avocatnommé Daubigny vola cent mille francs, que sa femme, sous le coup demenaces, dut restituer le lendemain. D’autres mettent en pièces tousles meubles de la résidence royale, glaces, pendules, livres, tableaux,objets précieux, et les jettent dans les cours pêle-mêle avec lescadavres. On voyait des portefaix et des chiffonniers s’affubler desornements royaux, des costumes du sacre, s’asseoir sur le trône etparodier les représentations de la cour. Les prostituées, ces dignesreines de l’émeute, revêtaient les robes de Marie-Antoinette et sevautraient sur son lit.

Pendant que les scènes de ce drame infernal se déroulaient dans lesappartements du château, quelques-uns des Suisses, qui traversaient lejardin, tombaient sous les balles des gardes nationaux ; d’autresétaient sabrés sur la place Louis XV par la gendarmerie à cheval. Ceuxqui avaient accompagné ou rejoint la famille royale à la salle duManége s’étaient vus contraints de déposer les armes sur un ordre duRoi. Enfermés dans l’église des Feuillants, ils sont envoyés, les uns àl’Hôtel-de-Ville, les autres au Comité de la section du Roule. Durantle trajet, la populace les arrache à leur escorte et les égorge. Le 2septembre attendait les survivants de ces fils d’une république, quipérirent presque tous, pour rester fidèles au serment qu’ils avaientprêté à la Royauté.

Nous ne parlerons que pour mémoire des assassinats isolés quiachevèrent de marquer en traits de sang cette date à jamais maudite du10 août 1792. Nous avons vu les premières lueurs du jour éclairer lemeurtre de Mandat. Celui du journaliste Suleau et de ses compagnons,auquel présida Théroigne de Méricourt, s’accomplit au moment même oùLouis XVI pénétrait dans la salle du Manége. Dans l’intervalle ducarnage et du sac des Tuileries, les corps du commandant Carle, deClermont-Tonnerre, et de plusieurs autres furent également jetés enpâture aux tigres que la Révolution avait déchaînés.

Par une exception qu’on ne rencontre plus dans les massacresrévolutionnaires postérieurs au 10 août, ce jour-là on épargna lesfemmes. Lève-toi,coquine, la Nation te fait grâce ! dit un des tueursmarseillais à Mme Campan. Onfit grâce également à Mmes de Tourzel, de Soucy, Thibaut,de Saint-Brice, Lemoine, Bazire, de la Roche-Aymon, de Ginestous, deTarente, etc.

Parmi les deux cents gentilshommes qui étaient dans le château, les unsavaient rejoint le Roi, d’autres s’étaient esquivés par les grilles dujardin ; plusieurs purent atteindre l’extrémité de la galerie duLouvre, et gagner, par l’escalier de Catherine de Médicis, les ruesvoisines, où ils se dispersèrent.

Pendant ce temps, un incendie, allumé dans les dépendances desTuileries, prenait d’inquiétantes proportions. Le feu avait consumé lesécuries de la garde à cheval, les bâtiments des cours, l’hôtel dugouverneur du château ; il menaçait le pavillon Marsan, celui de Flore,tout le quartier Saint-Honoré. On tirait sur les pompiers envoyés parl’Assemblée pour empêcher de détruire le palais du tyran.Toutefois la flamme n’accomplit qu’à moitié son oeuvre. Les pétroleursde 1871 ont pu reprendre et conduire à bonne fin l’oeuvre inachevée desincendiaires de 1792.


VIII

LA DÉCHÉANCE.

Pendant que les scènes que nous venons d’esquisser se déroulent dansles rues, sur les places publiques, dans les appartements, les cours etles jardins des Tuileries, l’Assemblée législative est de plus en plusterrifiée par les dangers d’une situation qui était pourtant le fruitde ses lâches incertitudes ou de ses complaisances criminelles. Elle sesent impuissante à dominer les événements. Chaque minute lui enlèvequelque lambeau de son pouvoir. Réduite à une minorité dérisoire, ellese voit bientôt contrainte d’abdiquer entre les mains de l’émeute.

Le président de la Commune insurrectionnelle, Huguenin, paraît à sabarre, non pour recevoir des ordres, mais pour dicter insolemment desvolontés. Les représentants sanctionnent son usurpation et celle de sesdignes acolytes. C’était s’avilir avant de se suicider.L’Hôtel-de-Ville ne tarda pas à devenir le véritable siége du pouvoir,et à prendre la tête du mouvement.

Alors on vit paraître au grand jour et se diriger vers la résidence dela Commune tous ceux qui s’étaient prudemment tenus à l’écart pendantla lutte : Robespierre, Tallien, Danton, Marat, Collot-d’Herbois,Billaud-Varennes, Camille Desmoulins, Fréron, Fabre d’Églantine, etc.

Accueillis dans le Conseil de la Commune, ils le transformèrent enConseil de gouvernement, s’imposèrent par lui à Paris et à la France,préparèrent les massacres de septembre, les élections à la Conventionnationale, le régime de la Terreur, et assurèrent pour un temps ladomination du jacobinisme.

La Gironde avait voulu et préparé la journée du 10 août, non - bienqu’elle fût déjà travaillée par des idées républicaines - pourrenverser la Monarchie, mais pour l’exploiter. Elle se sentit dépasséequand elle vit tomber la couronne du front de Louis XVI.Peut-être  eut-elle dès lors l’intuition de ses propresdésastres. Ce qui est certain, c’est qu’elle s’efforça d’enrayer lemouvement, et de faire proclamer sous sa tutelle la monarchie d’unenfant.

Vergniaud vint, au nom de la Commission extraordinaire, présenter àl’Assemblée un projet de décret proposant la formation d’une Conventionnationale, la suspension provisoire du chef du pouvoir exécutif, lanomination d’un gouverneur au prince royal, l’installation du Roi et desa famille au Luxembourg sous la garde des citoyens et de la loi, etc.

Ce décret laissait une porte ouverte à la Monarchie. Il annonçait mêmequ’un gouverneur serait donné au fils de Louis XVI. Les girondinsdestinaient, dit-on, cet emploi à l’avocat Pétion. Mais la Commune, quidevait exécuter cette partie du décret, avait un autre candidat : elleréservait au royal enfant le cordonnier Simon.

Les propositions de Vergniaud furent froidement reçues des tribunes etdes pétitionnaires. En vingt-quatre heures les événements avaientmarché avec une telle rapidité que la suspension du pouvoir exécutif nerépondait déjà plus aux exigences des hommes qui l’eussent accueilliela veille comme un triomphe inespéré. L’Assemblée fit, cependant, ceque lui demandait sa Commission extraordinaire ; puis, sousl’impression de la terreur et l’impulsion de la Commune, elle prit ousanctionna une foule de mesures empreintes du plus pur esprit de laRévolution : visites domiciliaires chez les gens suspects, envoi auxgénéraux de commissaires avec pouvoir de les suspendre, légalisationdes décrets frappés du vetoroyal, rappel de solde et distribution de secours aux Marseillais,destitution des juges de paix, arrestation des derniers ministres deLouis XVI, etc., etc.

Elle procéda aussi à la nomination des membres du nouveau ministère.Roland, Clavière et Servan furent réintégrés par acclamation dans leursanciennes fonctions. Monge eut la marine ; Lebrun, les affairesétrangères.

Le ministère de la justice échut à Danton.

Danton au pouvoir, c’était la Commune insurrectionnelle maîtresse de lasituation ; Danton, c’était la Révolution triomphante, c’étaientl’audace, la scélératesse, la frénésie furieuse, le vol, l’assassinat,la licence, tous les genres de crimes introduits dans la politique etpréconisés comme moyens de gouvernement.


IX

LA FAMILLE ROYALE PRISONNIÈRE.

Louis XVI et la famille royale, entourés de quelques serviteursfidèles, avaient assisté du fond de la loge du Logographe àtoutes les péripéties de l’épouvantable drame. Le Roi avait subi, avecle calme courage qui devait le suivre jusque sur l’échafaud, lesoutrages de la foule, les lâches invectives ou les trahisons decertains députés gorgés de ses bienfaits. Le décret de la déchéancel’avait trouvé impassible. On lisait sur son front la sérénité de sonâme. Celui de Madame Élisabeth reflétait ses sentiments de pieuserésignation et de conformité à la volonté divine. Quant à la Reine, ilétait facile de voir, à la dédaigneuse fierté de son attitude, qu’elleétait au-dessus des injures de cette vile multitude et des caprices dusort.

Vers une heure du matin, les inspecteurs de la salle vinrent retirerles augustes captifs de l’indigne réduit où ils avaient été enferméspendant dix-sept heures. On les transporta  dans un petitappartement de trois pièces, situé au premier étage où ils purentgoûter quelques instants de repos. A leur réveil, il leur fut permis derecevoir encore les soins de quelques-uns de leurs familiers. Lesfemmes de Marie-Antoinette pénétrèrent jusqu’à elle, et fondirent enlarmes en voyant la Reine de France couchée sur un grabat dans unepauvre cellule, et privée des objets les plus indispensables. La pitiéde quelques amis dut venir en aide au dénûment royal. On rassembla à lahâte du linge et des vêtements. La Reine, à laquelle un des héros de laprécédente journée avait volé sa montre et sa chaîne dans le trajet desTuileries aux Feuillants, emprunta la montre d’une de ses dames, etpria sa première femme de chambre, Mme Auguié, de lui prêter vingt-cinqlouis.

A dix heures, la famille royale fut prévenue que l’Assemblée exigeaitde nouveau sa présence. Elle dut reprendre sa place de la veille, etassister de nouveau aux incidents les plus douloureux et aux motionsles plus sanguinaires. Rien ne lui fut épargné. Elle vida jusqu’au fondle calice d’amertume.

L’Assemblée avait décidé qu’un logement serait préparé au Roi et à safamille dans le palais du Luxembourg. Mais ce décret, qui semblaitréserver au monarque déchu quelques signes apparents de grandeur,offusquait les hommes de la Commune. Ce n’était pas un palais, c’étaitune prison qu’ils prétendaient donner à Louis XVI. Ils ne pouvaient,disaient-ils, répondre du Roi dans une résidence aussi vaste que leLuxembourg, sous lequel, d’après la rumeur publique, existaient dessouterrains propres à favoriser une évasion. L’Assemblée décrète alorsque le Roi et sa famille seront transportés place Vendôme, à l’hôtel duministère de la justice et qu’il leur sera donné une garde, placée sousla surveillance du maire et sous les ordres du commandant général.Nouvelle résistance de la part de la Commune. Manuel et Pétion seprésentent en son nom à la barre, et demandent que la famille royalesoit transférée au Temple, lieu entouré de hautes murailles et situéloin des agitations de la cité. L’Assemblée a l’impudence de céderencore une fois aux injonctions de la Commune. Après avoir rapporté sonprécédent décret, elle charge les représentants de la municipalité depourvoir, sans délai et sous leur responsabilité, au logement de lafamille royale et de « prendre toutes les mesures de sûreté que lasagesse et l’intérêt national pourraient en exiger. »

Dans la soirée du 13 août, vers cinq heures, deux voitures de la Courvinrent chercher aux Feuillants Louis XVI et sa famille. Pétion etManuel s’assirent, dans une attitude insolente et le chapeau sur latête, en face de la Reine et de Madame Élisabeth. La foule hurlait auxportières. Le cortége s’arrêta quelques instants sur la place Vendôme,au milieu des débris de la statue de Louis XIV, brisée la veille, envertu d’un décret de l’Assemblée nationale. Le marteau révolutionnaireavait également fait disparaître les statues de Henri IV, de LouisXIII, de Louis XV, ainsi que tous les emblêmes, bas-reliefs,inscriptions qui pouvaient rappeler le souvenir de la Royauté.

Les voitures suivirent les boulevards, et s’arrêtèrent auprès d’unenclos qu’entouraient de hauts murs garnis de créneaux. Au centre decet enclos s’élevait un donjon, composé d’un bâtiment carré, flanqué dequatre tourelles rondes. On nommait ce donjon la Tour du Temple. Ce futlà que le descendant de saint Louis fit sa dernière station dans lavoie douloureuse qu’il suivait depuis les journées d’octobre, et quidevait aboutir au calvaire du 21 janvier.


X

CONCLUSION.

La plupart des historiens renvoient à la nation française et au «peuple » la responsabilité ou l’honneur des hauts faits que nous venonsde redire. Selon eux, le peuple a tout prévu, tout inspiré, toutdirigé, tout exécuté. Il a été l’âme, la tête et le bras de cettejournée. M. Louis Blanc est allé jusqu’à prétendre, en parlant desassaillants des Tuileries, qu’ils étaient « le peuple, DANSLA PLUS LARGE ACCEPTION DU MOT. » C’est là une abominablefalsification de la vérité. Non, le peuple de France et le peuple deParis lui-même, n’ont jamais mérité de pareils outrages ! A cette date,le peuple, dans son immense majorité, était encore royaliste, et il serévolta de toute l’énergie de sa conscience monarchique contre lesindignités que l’émeute avait fait subir le 20 juin à la Royauté. Dansles départements, la répulsion contre les fauteurs de cette journée futunanime. A Paris, la protestation que Lavoisier, au nom de la sectionde l’Arsenal, vint lire à la barre de l’Assemblée, fut suivie de cettepétition des vingt millequi excita au plus haut degré les fureurs des jacobins. A dater de cejour, la rage de ceux-ci ne connut plus de bornes. Ils dominèrent parla terreur les quarante-huit sections parisiennes. Les citoyenshonnêtes et paisibles, c’est-à-dire au moins les trois quarts dessectionnaires, cessèrent de prendre part aux réunions, et laissèrent lechamp libre à un petit nombre d’énergumènes.

Ainsi, à l’Assemblée, les bons se cachent ; les autres restent. Au 8août, 680 membres prennent part au scrutin acquittant La Fayette, etune majorité monarchique considérable se manifeste. Le 10,on ne trouveplus (sur 749 membres) que 284 votants, et c’est une pareille minoritéqui reconnaît la Commune insurrectionnelle, et décrète l’arrestationdes anciens ministres, la nomination des nouveaux, et la suspension dupouvoir exécutif !

Les faubourgs eux-mêmes, qu’on eût pu croire acquis à l’insurrectionsous la pression des clubs et des sections expurgées, n’étaient rienmoins que disposés à battre en brèche le pouvoir royal. C’est en vainque depuis minuit le tocsin du 10 août avait multiplié ses appels. Il ne rendait pas,selon l’expression de Roderer. Paris restait calme, presqueindifférent. Les meneurs attitrés mirent un moment en question, avoueLouis Blanc, si l’on n’abandonnerait pas l’entreprise. A cinq heures dumatin, un seul bataillon était rassemblé, celui des Quinze-Vingtscommandé par Santerre. Et celui-ci, rempli de crainte, redoutaitl’agression d’une portion considérable de la garde nationale. Il nemarcha que poussé par Westermann, qui lui mit l’épée sous la gorge.Sans la tourbe marseillaise, les faubourgs parisiens seraient demeuréspaisibles, et de grands crimes eussent été épargnés à la France et aumonde.

Telle est l’histoire succincte des événements qui, au mois d’août 1792,ont précédé, accompagné et suivi la chute de la Royauté française. Loind’avoir rien exagéré, nous nous sommes efforcé d’atténuer l’horreur decertains faits que la pudeur de l’historien doit entourer d’ombre et desilence. Quant à ceux que nous avons reproduits, nous les avons puisés,non chez les écrivains royalistes ou révolutionnaires, mais aux sourcesmêmes de la vérité historique, dans des témoignages qui offrent tousles caractères de la certitude et défient toute contradiction, surtoutdans les documents authentiques et les pièces inédites que M.Mortimer-Ternaux a si scrupuleusement rassemblés dans cette Histoire de la Terreurqui fait si bonne justice de la légende révolutionnaire.

En ce qui concerne le 10 août, nous avons vu, au début de ce travail,ce que dit la légende. Résumons ce que dit l’histoire.

1° La Révolution du 10 août n’a pas été l’oeuvre du peuple. Elle est lefait d’une minorité infime et abjecte dirigée par un petit groupe descélérats presque inconnus qui préparent tout dans l’ombre et secachent au moment de l’action ;

2° Les Tuileries n’ont point été prises d’assaut par les bandes deWestermann et de Santerre. Elles n’ont point été enlevées de viveforce, mais abandonnées par les Suisses sur l’ordre de Louis XVI avantl’arrivée des insurgés ;

3° Le chiffre des morts appartenant à l’armée de l’émeute n’a point étéde cinq mille, comme l’affirment les récits contemporains du 10 août,copiés par la plupart des historiens, ni même de quinze cents comme lecroyait Pétion. Les faubouriens et les fédérés réunis ont perdu CENTHOMMES et ont eu soixanteblessés.

Redisons-le avec tristesse, la journée du 10 août n’a pas été seulementla journée des bandits et des cannibales, elle a été la journée deslâches. C’est par la porte de la peur, plus encore que par celle de laférocité, que la République a fait son entrée dans notre histoire. Denos jours, les républicains de toute nuance célèbrent comme unanniversaire de gloire cette date à jamais néfaste. La République françaiseet le Rappel,les pétroleurs et les politiques, les enragés et les modérés sontd’accord quand il s’agit de brûler de l’encens sur l’autel du 10 août.Passe pour les pétroleurs. Les hommes de la Commune de 1871 ne peuventque glorifier l’oeuvre de leur digne mère, la Commune insurrectionnellede 1792 ; c’est dans l’ordre. Mais, à côté d’eux et avec eux, lesdoctrinaires de la République, les apologistes du fait accompli, lesphilosophes de la fatalité historique, s’entendent pour représenter le10 août comme la journée nécessairede la Révolution et comme une généreuse explosion du patriotismepopulaire. On vient de voir ce qu’il faut penser de ces impudentesapologies. Non, mille fois non, la journée dont nous venons de rappelerles lugubres souvenirs n’a été ni une nécessité, ni un acte depatriotisme. Elle a été anti-nationale au premier chef ; elle a servide point de départ à tous nos malheurs, à nos divisions, à nos haines,à nos décadences, à nos hontes actuelles ; en brisant avec le passé,elle a en quelque sorte tari la source de notre grandeur, desséché lasève de notre race, arrêté la vie nationale et compromis notre avenir ;en frappant la Royauté, elle a décapité la France.

Tel sera sur elle le dernier mot de l’histoire.