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CROISSET, Francis de (1877-1937): Le Paris de 1830 (1930). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.VI.2017) Texte relu par : A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : Deville 2349) de la Revue Hebdomadaire du 22 février1930. Le Paris de 1830 Conférence prononcée à la « Société des conférences » le 7 février1930. PAR FRANCIS DE CROISSET ~ * ~ Vous est-il jamais arrivé de vous demander, lorsque vous contemplez unde ces jeunes portraits de grand’-mères qui font rêver leurspetits-fils, quelle était la vie quotidienne de ces jolies damesencadrées ? Je me posais cette question l’autre jour, lorsque après une répétitiondes Précieuses de Genève, je me promenais dans l’ExpositionCharpentier du Centenaire de la Revue des Deux Mondes. Je m’étais attardé. Il n’y avait plus personne qu’un agent. Le portraitd’une jeune femme m’immobilisa. Ses vingt ans portaient la mode de1830. Bien qu’en robe du soir, elle paraissait avoir un chapeau, – tantsa coiffure était haute et raide et tant ses coques de cheveuxsuperposées s’ornaient d’épis de diamants et de rubans jonquille. Sesépaules tombantes se terminaient par deux courtes manches à gigot,découvrant un coin de ses bras haut gantés. Deux fines chevillesémergeaient chastement de la robe et deux petits souliers de Japonaise. Je ne pouvais me lasser de la regarder. Elle était exquise : son teintétait pâle, ses yeux rêveurs et son aspect si enfantin que je l’eusseprise pour une jeune fille, n’eût été l’inscription : « Portrait de lacomtesse X… en 1830. » La comtesse X… J’essayais de l’inventer. Je me demandais jusqu’à quelle date elleavait pu vivre, peut-être jusqu’en 1885, 90… Peut-être, dans monenfance, avais-je connu quelqu’un qui l’avait connue dans sa jeunesse…Un peu amoureux, je m’en voulais de ne pouvoir mieux l’imaginer.J’évoquais mal l’ameublement dans lequel elle vivait, les livresqu’elle lisait, les pièces qu’elle voyait. En vain, j’essayais de situer cette ravissante personne dans le Parisde sa jeunesse. Ce Paris-là, embué, me demeurait mystérieux. Quelleétait la promenade élégante où les dandys la pouvaient rencontrer ?Dans quel genre de carrosse sortait-elle ? Tout m’échappait de ceshabitudes quotidiennes qui font le passé si vivant et si chaud et quel’histoire glacée néglige. Il faut croire que j’avais pensé tout haut, car l’agent qui s’étaitapproché du portrait, désignant la jolie inconnue à la toilettecompliquée, me dit : - Oui, monsieur, on se demande comment elles faisaient avec cettemode-là pour prendre un taxi-auto. Monsieur doit le savoir ? Hélas ! Je ne le savais pas non plus. Aussi quand la Société des Conférences me demanda de faire une causeriesur la vie de Paris en 1830, ai-je pensé : Enfin ! voilà une occasionunique de me renseigner. Mme Marie-Louise Pailleron, dans l’étincelante conférence qu’elle fitsur François Buloz, son aïeul, disait : « Quand Dumas arriva deVillers-Cotterets à Paris, il se mit à lire… » J’ai fait comme Dumas : j’ai lu, trop lu… Après avoir appris, il m’afallu oublier. Ce n’est pas, dans certains cas, l’un des moindresagréments de la lecture. Mais maintenant je ne crains plus d’êtreconfronté avec le portrait de la comtesse X… Car, monté dans la machineà explorer le temps, – cette machine-là, ce sont les livres, – voilà unmois que je vis dans le Paris de 1830 et c’est un Paris si charmant queje n’hésite pas à vous proposer de vous y promener avec moi pendant uneheure. Nous sommes donc en 1830, nous sommes même exactement le 7 février1830, c’est-à-dire, jour pour jour, il y a cent ans. Tout d’abord, il ne faudrait pas croire, parce que nous sommes au seuild’une révolution, que l’on ne s’occupe à Paris que de politique. Unepréoccupation domine toutes les autres : celle de thermomètre, et mêmedu thermomètre de l’ingénieur Chevallier, le premier thermomètrecentigrade français. Comme depuis cent ans, l’on n’avait eu en France aussi froid, qu’ilgelait à treize degrés sous zéro, pour un thermomètre qui débute,c’était vraiment un succès. Dans les vieux hôtels du Faubourg, on désertait les salons glacés dupremier étage pour se réfugier dans les petites pièces basses desentresols. La navigation était interrompue sur tous les fleuves et laSeine à ce point gelée que l’on projetait d’y construire, en aval dupont Royal, un palais de glace, comme à Saint-Pétersbourg sur la Néva. Transis, les Parisiens souhaitaient le dégel et le redoutaient tout àla fois. Une première débâcle, en effet, avait emporté la plupart desponts. L’on pressentait de nouvelles inondations et la presse, inquiètede l’incurie gouvernementale, s’écriait : « A quoi pensent les pouvoirspublics ? Ils ne font donc rien ? » Il y a, décidément, certaines choses qui ne changent pas. Mais le froid qui faisait tant souffrir le peuple n’empêchait point lesgens du monde de s’amuser, de s’amuser charitablement. Partout, desbals de bienfaisance s’organisent : à l’Opéra, à la Porte Saint-Martin,à l’Odéon. Tous sont travestis. La duchesse de Berry, qui déjà à fort à faire avec le bal costuméqu’elle donne le 15 février, prend la tête de ces manifestationssecourables. Tout le monde veut danser pour le peuple. Les dandys, sortant leurs traîneaux, galopent d’un costumier à l’autre.Sous leurs hauts chapeaux évasés, la taille prise dans leur pelisse etcravatés jusqu’aux yeux, ils fouettaient leurs pur sang, que drapaitune peau de tigre. Tous avaient envoyé à leurs belles amies pour le premier de l’An unebouillotte et, dans leurs coupés doublés de satin jaune et tapissésd’un tapis de la Savonnerie, les élégantes passaient, emmitouflées, uneboule d’eau chaude dans leurs manchons. Devant Tortoni, les chevaux de selle, sous leurs couvertures,piétinaient, attachés aux arbres du boulevard de Gand. Les fashionables, que l’on appelait aussi les gandins, les merveilleux,les favoris ou les bijoux, soupiraient en songeant que, deux mois plustôt, ils s’alignaient sur les chaises de paille qui bordaient le caféde Coblentz. Le temps était si doux qu’entre la rue Taitbout et la ruedu Helder les belles dames, dans leur briska, leur calèche ou leurdaumont, dégustaient en potinant tant de sorbets que leurs équipagesarrêtés organisaient un encombrement. Le froid déplaisait aux dandys et aux muses, que l’on n’appelait pasencore des lionnes, le premier roman de George Sand n’ayant pas encoreparu. Le froid leur bleuissait le nez, leur rougissait la figure. Ilsavaient beau boire du citron et même du vinaigre, passer les nuits etjeûner, toute cette jeunesse ambitieuse de pâleur, mais fouettée, parla bise, finissait tout de même par avoir bonne mine. En un mot, lesgandins avaient l’air bien portants. Quelle disgrâce pour desromantiques ! A peine étaient-ils sortis sous la bise que le comte d’Orsay, Roger deBeauvoir, Alfred de Musset, Eugène Sue lui-même retrouvaient un air desanté. Qu’eussent dit, en les voyant Attala, Werther, Adolphe, Manfred,et même Hamlet ? Et en voyant passer sur les boulevards les jeunesmuses éplorées ou languides dont le teint et le nez, en dépit de lapoudre phtisie, rougissaient, qu’eussent dit Ellénore, Charlotte,Juliette, ou la plus réussie et la plus verte de toutes, Ophélie ? Les muses ! Elles avaient simplement augmenté de nombre depuis l’antiquité. L’on encomptait dix mille dans Paris. Toutes manifestaient pour le désespoirla plus grande bonne volonté. Elles n’avaient rien des muses classiques. Celles-ci, au nombre de huit, dressaient leurs statues drapées sur letoit plat de l’Opéra, situé rue Le Peletier. Il en manquait une,Polymnie, la muse de la musique précisément. Henri Heine prétendaitqu’elle s’était précipitée du toit par désespoir tant, un soir, leténor Duprez avait chanté faux. Tout poète à cette époque avait sa muse, ou même ses muses, comme,pendant la guerre, chaque poilu avait ses marraines. Quand, de sa main gantée de jaune et qu’ornait une chevalière, undandy, tirant de son gilet mirifique sa montre fleurdelisée, quittaitbrusquement Tortoni ou le café de Paris, ses camarades ne lui disaientpoint, comme sous l’ancien régime : « Tu vas voir ta belle ? » ou commeil y a quelques années : « Tu vas chez ta maîtresse ? » ou commeaujourd’hui : « Tu vas chez ta poule ? » ils lui disaient : « Tu vaschez ta muse ? » Et le fashionable, plus pâle soudain sous ses mèchesen désordre, et blondes de préférence, répondait avec un accent qu’ilcroyait anglais et une paresse de prononciation qui se souvenait desIncroyables : - Oui, mon cher. Elle m’attend, entre sa harpe et son Byron. Nous nousadorons. J’ai rendez-vous avec elle pour dessiner son tombeau. Aussitôt, fronçant ses sourcils rasés, l’air impassible mais tragique,et non sans porter à ses lèvres une cigarette d’Espagne, il enfonçaitson chapeau gigantesque, saisissait sa canne d’ébène dontFroment-Meurice, peut-être, avait sculpté la pomme d’or ou d’ivoire,sortait, hélait son tigre et, bondissant de cette chose nouvelle quel’on appelait un trottoir, sautait dans son cabriolet et partait àtoute allure, tandis qu’à côté de lui son jockey enfantin criait : «Gare à vous, gare à vous ! » afin d’écarter la crapule. Par ce temps glacé, deux crises réchauffaient les esprits : la criselittéraire et la crise politique. La politique, tout le monde en faisait en 1830 et tout Paris, pour desraisons différentes, se dressait contre le gouvernement de M. dePolignac et le ministère de la Terreur Blanche. Républicains, bonapartistes, orléanistes recrutaient parmi leslégitimistes des partisans imprévus. Car mécontente de la répartitiondu milliard aux émigrés, la noblesse elle-même déclarait ses princesingrats. La France grondait. Les rues de Paris étaient pleines de pamphlets etde caricatures. Les Débats, le National attaquaient legouvernement. On avait beau emprisonner des commerçants qui, dans leursmagasins, osaient afficher les images de Napoléon et du roi de Rome, lafoule frondeuse acclamait La Fayette, lisait Paul-Louis Courier etfredonnait les chansons de Béranger. La royauté débile voulait êtreabsolue et ne le pouvait plus. Charles X, mené par la congrégation, ne se contentait plus de la loi dudouble vote, tâchait d’imposer le droit d’aînesse, faisant voter la loidu sacrilège et censurait la liberté de la presse. Le pire ennemi de la dynastie des Bourbons était encore le roi lui-même. Cet excellent prince, – écrit M. de La Gorce, dans une phrase lumineusequi explique toute une psychologie et résume tout un règne, – cetexcellent prince, très libertin autrefois, avait formé le ferme proposde réparer ses erreurs en faisant refleurir la religion dans sonroyaume : ainsi pensait-il, en un élan de piété aussi mal dirigé quesincère, et sans songer que les manifestations inconsidérées de sonrepentir pourraient être plus funestes à la France que tous les écartsoù sa folle jeunesse s’était jadis abandonnée. L’on ne fait pas en France une révolution sans les femmes. Presque toutes étaient révolutionnaires. En effet, que de vanitésblessées ! Les salons des Tuileries ne s’entre-bâillaient qu’à regret devant lanoblesse d’Empire et se fermaient aux bourgeois. Cela donnait beau jeuau futur Louis-Philippe qui, chaque jour, se rendait plus populaire enouvrant largement aux refusés et aux mécontents les portes duPalais-Royal. Le faubourg Saint-Germain faisait des gorges chaudes de ces mélanges.La duchesse de Damas, qui s’était fourvoyée chez le duc d’Orléans, yavait rencontré : Laffitte, Royer-Collard, Odilon Barot, les frèresBertin, directeurs des Débats, Guizot, Thiers. Aussi, retour de laréception, elle s’écriait : « C’était mortel, il y avait des gensimpossibles ; on n’y connaissait personne ! » Quant à ces dames du faubourg Saint-Honoré et de la Chaussée-d’Antin,celles qui n’étaient pas bonapartistes se déclaraient orléanistes,résolument. L’affaire des titres à l’ambassade d’Autriche, défrayant la chronique,mit le comble aux colères. Les titres italiens ou allemands que l’Empereur avait distribués à sesgénéraux, la cour de Vienne refusait de les reconnaître. De sorte, nousraconte Mme de Boigne, que lorsque les duchesses de Dalmatie ou deReggio annonçaient leurs beaux noms de victoires à l’introducteur del’ambassade, celui-ci traduisait en proclamant : la maréchale Soult oula maréchale Oudinot. Mais il y a pire. Quand leurs belles-filles, qui n’avaient jamais portéd’autre nom que celui du titre, jetaient à l’introducteur : duchesse deMassa ou duchesse d’Istrie, elles se voyaient annoncer tout à traccomme Mme Régnier ou Mme Bessières. Et Charles X ne se tenait nullementoffensé d’un affront que Louis XVIII, par politique, aurait ressenti. La duchesse de Berry, bien que la plus ultra des ultras, étaitpopulaire. Paris a toujours aimé la générosité et le courage et cesdeux vertus-là, dès sa jeunesse, la duchesse en fut prodigue. Ellesoutenait le ministère Polignac de sa décision intrépide qui necomportait point de nuances. L’hésitation lui était inconnue, comme lacrainte. Le duc de Berry racontait volontiers que, se trouvant avec elle dansune voiture dont les chevaux s’étaient emballés, la duchesse avaitcontinué à parler sans que sa voix s’altérât. Si bien qu’il avait finipar lui dire : - Mais, Caroline, tu ne vois donc pas ? - Si fait, répondit-elle, je vois, mais comme je ne puis arrêter leschevaux, il est inutile de s’en occuper. La duchesse, qui ne manquait pas d’énergie, n’était pas non plusdépourvue d’intuition, ni de finesse. Elle n’était pas sans voir que lamaison d’Orléans intriguait, mais elle était séduite par le duc deChartres, le charmant fils aîné du duc d’Orléans, et songeait qu’il yavait là pour sa fille un parti fort sortable. Cette jeune personneétait encore au berceau, mais l’on sait que sous l’ancien régime lesmères s’y prenaient à l’avance et la duchesse de Berry était ancienrégime des pieds à la tête. La Dauphine, bien que fort liée avec la duchesse d’Orléans, perçaitmieux les desseins ambitieux de celui qui devait être Louis-Philippe. Au début de janvier 1830, un petit incident théâtral frappa les espritssuperstitieux, et tout le monde était superstitieux dans un temps oùles voyantes étaient plus nombreuses qu’aujourd’hui. Les aïeules de MmeFreya recevaient dans des salons caverneux, entre un corbeau, un chatmaigre et un hibou empaillé. Elles faisaient de leur mieux pour imiterles sorcières : les voyantes, elles aussi, étaient romantiques. Voici l’incident. Charles X parlant en public avait à exprimer savolonté de soutenir son ministère, malgré les Chambres. Arrivé à laphrase menaçante, il leva la tête si brusquement que son chapeau, lourdde diamants, tomba aux pieds du duc d’Orléans qui le ramassa et le tintjusqu’à la fin du discours. La chute de ce chapeau fit autant de bruitque si le roi avait déjà perdu sa couronne. Comme le 6 janvier de la même année, alors que l’on tirait le gâteauchez le roi, la fève avait échu au duc d’Orléans, il n’en fallait pasdavantage pour que les gens superstitieux ou mal disposés vissent dansl’attribution de cette fève le dessein même de la Providence. Aussi la politique, au sortir des réceptions officielles, – et il y enavait presque tous les soirs, – prenait des airs de mondanité etoffrait tantôt les délices d’un potin et tantôt la saveur d’un scandale. Un autre scandale bien différent alimentait le monde de la presse et lemonde des salons. C’était le scandale littéraire et dramatique. Une épidémie régnait : le romantisme. Le mal couvait depuis Jean-Jacques Rousseau, s’était affirmé avec lesromans de Chateaubriand et maintenant devenait virulent. Le romantisme ! Il est de mode aujourd’hui de le dénigrer et certainsécrivains actuels, évoquant son désordre et ses passions, vont jusqu’àfaire grief à Chateaubriand, à Benjamin Constant et à Musset d’uncynisme qui était bien loin de leur cœur. Cynique, va pour l’ancêtre Jean-Jacques Rousseau, encore qu’il y aitplutôt là un malentendu. Mais cyniques, les poètes de 1830, Lamartine,Musset, Vigny, Hugo, Sainte-Beuve, quelle folie ! Que dirait-on dès lors de l’esprit voltairien, des Liaisonsdangereuses et de certaine littérature de la fin du dix-huitième ? Sans doute, le romantisme s’est déchaîné en France comme un orage, unorage qui n’était pas de chez nous. Sa double tempête soufflaitd’Angleterre et d’Allemagne. Ses bourrasques sortaient de la forêtshakespearienne, gémissaient des cris d’Ossian et de Byron. D’autrestourbillons, les plus noirs, se levaient du Rhin, où depuis longtempsils battaient les châteaux des Burgraves, et l’on entendait tour àtour, dans leur confuse tourmente, le grincement des girouettesgermaniques, le ricanement de Méphistophélès et les sanglots de Werther. Ces aquilons, pour parler comme nos poètes d’alors, étaient pleins depoisons inconnus : spleen, rêve, emphase, morbide ivresse de souffrir.Ils charriaient aussi un vol de chimères, des elfes, des dragons, dessylphes, tandis qu’arrivé par des voies souterraines, tout un bataillonde gnomes creusait déjà de sombres tranchées germaniques dans notreclair sol étonné. Qu’une telle invasion pût être accueillie au pays de La Fontaine, deMolière et de Racine, cela paraît invraisemblable, mais combien celas’explique. La poésie classique agonisait. Au théâtre, les derniers classiquesanémiés écœuraient par leur fade poncif. Les ombres de Racine et deCorneille ne survolaient plus le fatras de ces tragédies poussiéreuses.On était las de tant de défroques gréco-romaines. L’on voulait dunouveau, du pittoresque, de la couleur, de la vie. Que l’on relise Népomucène Lemercier, l’on comprendra pourquoi lesromantiques ont été les bienvenus ! Au reste, cette invasion étrangère, comme nos jeunes poètes ont tôtfait de la dominer de leur génie méditerranéen qui filtre, clarifie,illumine et fait rayonner ces brouillards. Ce qui sauve le romantisme, c’est la jeunesse de ses écrivainsbelliqueux, et leur génie. Ce qui l’infirme, et lui imprime un cachet factice, c’est qu’au fond leromantisme n’était qu’une mode. Les femmes trouvaient cette modecharmante, les jeunes femmes surtout. Ce n’est pas elles qui eussent reproché à la littérature de 1830, commede nos jours l’on fait plus d’un critique, d’être dominée par l’amour. Singulier reproche, d’ailleurs. Nous avons vu, pendant une période dequinze ans, ce que pouvait donner un jeune mouvement littéraire pourqui l’amour ne comptait point. Le romantisme, était-ce donc en 1830 une si grande nouveauté ? Les mères des dix mille muses avaient-elles fait grief à René, àAdolphe, à Saint-Preux de vivre ou de se tuer pour elles ? Pourquoidonc les jeunes femmes ne se féliciteraient-elles pas, à leur tour, dece que tout ce lyrisme, en leur faveur, récidivât ? Il n’y avaitpoint de raison pour qu’elles fussent moins aimées que leurs mères. Aussi, comme elles sont heureuses de voir leurs héros en butte à lapassion triomphante ! Comme elles applaudissent à ces tournois où ledevoir est toujours battu par l’amour. C’est encore du Corneille, maisdu Corneille renversé. Elles entendaient que, sous leur joug, leurs amants fussent tour à tourinfâmes et sublimes, vertueux et abjects, éperdus et désenchantés.Quelles attendrissantes antithèses ! Elles s’exaltaient devant cesathlètes élégants, ces hercules gantés qui sauvaient des princesses,arrêtaient de leurs mains baguées un galop de chevaux emportés. C’étaitdéjà du cinéma ! Quelle femme n’eût été flattée d’inspirer des passions pareilles !Aussi avec quel entrain elles sanglotent, avec quelle énergie elleslanguissent, quelle santé elles dépensent pour devenir poitrinaires !C’était le temps où les muses, pâles d’insomnie, se rendaient au Salonde peinture comme à un pèlerinage, afin de pleurer devant la scèned’Hamlet et du fossoyeur qu’y exposait Delacroix. L’amour n’était plus l’échange de deux épidermes, mais une transfusiond’âmes. Les billets d’amour, cela s’écrivait avec son sang. Tous les papetiersmanquaient d’encre rouge. Une défection à un rendez-vous s’appelait une trahison, une infamie,une malédiction, un outrage. Cela ne s’appelait pas encore un lapin ! Devenir l’héroïne d’un roman noir, s’évanouir dans sa harpe parce quevotre amant, criminel par amour, s’est percé le sein d’un poignard…Voilà des surprises que ne vous font jamais les maris. Aussi le cri : « Dieu est juste : j’ai un amant », ce cri cher auxromanciers de l’époque, trouvait-il dans bien des lectrices un écho.Car l’on mêlait Dieu à tout, et même à des choses qui, Dieu merci ! nele regardent point. Le romantisme, comme une grippe, s’infiltrait partout, même dans legratin. Maints salons, celui de la duchesse de Duras, celui de MmeRécamier s’ouvraient aux jeunes poètes, amis des fashionables,fashionables eux-mêmes et dont certains, comme Lamartine, Vigny, Hugo,Musset, étaient « nés ». Les plus jeunes, faisant la fête, effarouchaient bien un peu. Ontrouvait qu’ils se conduisaient mal, mais on savait qu’ils pensaientbien. Tous, en effet, étaient légitimistes. Comment ne l’eussent-ils pas été ? Épris de rapières, de poisons, depoignards, penchés sur des créneaux, accoudés sur des donjons, et toutdécoiffés par la brise romantique, ils aimaient bien trop le moyen âgepour n’être pas des ultras. D’ailleurs, être ultra, sous le ministère Polignac, n’était-ce pointune audace de plus ? Comme ils étaient jeunes ! Les excès du romantisme, – on ne l’a pas assez compris, c’étaient desexcès de jeunesse. Sauf Lamartine, qui en avait quarante, et Alfred de Vigny trente-trois,tous les romantiques ont vingt ans : Le plus admiré est Victor Hugo, vingt-huit ans, Le plus lancé, Eugène Sue, vingt-six, Le plus applaudi, Dumas père, vingt-sept, Le plus craint, Sainte-Beuve, vingt-six, Le plus nouveau, Alfred de Musset, vingt ans. Le plus glorieux, c’est Chateaubriand, soixante-deux ans, le plusglorieux, mais aussi le plus mécontent. En janvier 1830, Chateaubriand n’était pas de bonne humeur. L’année précédente, et au lendemain du ministère Polignac, il avaitdonné sa démission d’ambassadeur à Rome. Tout en demeurant fidèle à lacause des Bourbons, il ne pardonnait pas à Charles X des erreurs parmilesquelles celle de ne l’avoir pas fait ministre, et qui sait ?président du Conseil, n’était point à ses yeux la moins grave. Il fulminait contre les maladresses des ultras, pressentant qu’ellesperdraient le trône. Il aimait moins encore le Palais-Royal, discernant avec son œil d’aiglela bouture tricolore que, de ses mains patientes, le futurLouis-Philippe greffait lentement sur la tige pure des lis. Désabusé, il évoquait souvent le nom de Bonaparte, et non sans quelquesympathie. Elle datait du jour où M. de Montholon avait fait paraître,en collaboration avec le général Gourgaud, les Mémoires de Napoléon. Napoléon, en effet, avait dit à M. de Montholon : « Si Chateaubriand, qui venait de rendre à Gand d’éminents services,avait eu la direction des affaires, la France serait sortie puissanteet redoutée de ces deux grandes crises nationales. » C’était une phrase que M. de Chateaubriand ne laissait pas tomber dansl’oubli. Mais le vicomte ne boudait pas que la politique, il boudait aussi lalittérature. Il estimait que les romantiques lui devaient beaucoup, – il avaitraison, – et les jugeait ingrats, en quoi il avait tort. Ils n’étaient pas ingrats, ils étaient jeunes et oublieux et ce n’étaitpeut-être pas tout à fait de leur faute s’ils préféraient à l’auteurd’Atala lord Byron, Gœthe, Shakespeare et, parmi les poètes français,Chénier et Ronsard. Chaque jour, sur le coup de deux heures, Chateaubriand, avec son grandair désabusé, entrait chez sa patiente amie, Mme Récamier, retirée àl’Abbaye-aux-Bois. La belle Juliette, à cinquante-trois ans, accueillait son René avec laferveur des premiers jours. Pour le distraire, l’amie de Mme de Staëlet de Benjamin Constant continuait à tenir bureau d’esprit. Veillant sur la popularité de son grand homme, elle conviait dans sonsalon les jeunes poètes. Chateaubriand, de lui-même, n’y eût pas pensé.Il n’aimait pas la jeunesse, celle des hommes tout au moins, carlorsque l’on dit d’un homme de lettres qu’il n’aime pas la jeunesse, iln’est jamais question de celle des femmes. « Ce salon, nous conte Lamartine, offrait au regard la symétrie et lafroideur d’une académie qui tiendrait séance dans un monastère. C’étaitune cour, mais un peu une vieille cour. Les meubles étaient simples etusés ; quelques livres épars sur les guéridons, quelques bustes dutemps de l’Empire sur les consoles, quelques paravents du siècle deLouis XV en formaient tout l’ornement. » Sous le tableau de M. Gérard : Corinne au Cap Misène, Chateaubriandtrônait. « Il y avait là, a-t-il écrit, toute la gloire, tout le charme de laFrance. » Et c’est vrai qu’à côté d’hommes politiques partisans de lamonarchie constitutionnelle comme Doudeauville, Saint-Aulaire, Broglie,Pasquier et Prosper de Barante et de muses jeunes ou encore jeunes,comme Delphine Gay, Mme de Gramont, Mme d’Abrantès, Mme de Boigne, MmeApponyi, on y rencontrait aussi, en février 1830, Ampère, Edgar Quinet,Mérimée, Victor Cousin et Saint-Marc Girardin, enfin une partie de cesgens impossibles dont parlait la bonne duchesse de Damas. L’on y rencontrait encore des romantiques : Eugène Sue, Balzac, parfoisVictor Hugo et Lamartine, que Chateaubriand n’aimait pas et qu’il nepouvait voir entrer sans s’écrier : « Voilà encore ce grand dadais. » Le vicomte était plus bienveillant au poète des Orientales, touché deconstater chez lui un enthousiasme sincère et d’autant plus grandissantque la fièvre verte ne devait pas tarder à le stimuler. AussiChateaubriand le protégeait-il. Il l’appelait « un enfant de génie »et, plus tard, devait patronner sa candidature, reconnaissant tout demême à M. Brifaut, de l’Académie française, qu’il sollicitait en faveurde son protégé de lui avoir répondu : « Vous êtes comme Louis XIV :vous voulez faire légitimer vos bâtards. » Mais le salon où les jeunes romantiques se retrouvaient le plusvolontiers n’était pas, on le devine, le salon solennel de Mme Récamier: c’était celui de Charles Nodier. Là, ils se sentaient à l’aise. Nodier, qui avait qualifié le romantisme « la liberté régie par le goût», exerçait alors sur la jeune école une influence qui ne laisse pasque de surprendre aujourd’hui. Mais il convient de partir de ce faitque les romantiques étaient de très jeunes gens discutés par l’opinionet souvent déchirés par la presse, que Nodier, directeur de laBibliothèque de l’Arsenal et à la veille d’entrer à l’Académie, lesprenait au sérieux et qu’illustre il leur en imposait par son grand âge: son grand âge de quarante-cinq ans ! Il recevait en compagnie de sa femme qui était charmante et de sa fillequi ne l’était pas moins. Elle s’appelait Marie et c’est elle qui avaitinspiré le célèbre sonnet d’Arvers. Victor Hugo avait surnommé MarieNodier « Notre-Dame de l’Arsenal ». Dans ce salon familier, l’on causait, mais l’on valsait aussi. Celadevait changer de l’Abbaye-aux-Bois ! Musset, Delacroix, Devéria, MmeDesbordes-Valmore étaient parmi les valseurs. Lamartine, qui venait d’entrer à l’Académie, Dumas, Sainte-Beuve,Vigny, Hugo se contentaient de causer. Encore qu’il tutoyât Dumas et l’appelât Alexandre, au début de février1830, Hugo lui en voulait un peu. Dumas, en effet, qui venait de fairereprésenter à la Comédie-Française son drame, Henri III, avait pris àHugo une idée chère à l’auteur de Cromwell : la rénovation de la miseen scène, du décor et du costume. Cela gênait Victor Hugo qui comptaitsur Hernani pour accomplir cette révolution. Cela le gênait d’autant plus que Henri III avait été un succèséclatant, – à ce point éclatant que Casimir Delavigne, au lendemain dela première, s’écriait : « C’est mauvais ce que fait ce diable deDumas, mais cela empêchera de trouver bon ce que je fais. » Jusque-là, on ne s’était point préoccupé de la mise en scène dontVoltaire avait dit « qu’elle était une habitude mesquine ». L’unité delieu, dans les tragédies classiques, s’en passait et la machinerieétait réservée aux opéras. A l’exemple de Corneille et de Racine, lespâles dramaturges néo-classiques se satisfaisaient pour tout décor d’unpalais, un palais à volonté, – le même palais pour toutes les tragédiescomme, avant la guerre, au Châtelet, le même naufrage. Molière se contentait d’un salon ou bien d’une place publique et, bienque Beaumarchais ait paru se soucier du décor, jusqu’en 1830 la mise enscène au Théâtre-Français n’existe pas. Aussi y avait-il un grand coup à porter et le jeune Victor Hugo, résoluà surpasser la mise en scène de Henri III, tenait-il de longsconciliabules avec le baron Taylor, commissaire royal près leThéâtre-Français, Ciceri, le premier peintre décorateur en France, etPaul Delaroche qui dessinait les costumes. En 1830, l’œuvre de Hugo est déjà impressionnante. Quatre volumes devers : les Odes et Ballades et les Orientales ; deux romans : Hand’Islande et Bug Jargal ; trois pièces : Marion Delorme, interditepar la censure, Cromwell et demain Hernani. Les Orientales avaient été son plus grand succès. Le livre répondaità ce goût d’exotisme, alors à la mode, et dont les sommaires de la Revue des Deux Mondes de l’époque révèlent si précieusement lestendances. Les Orientales éblouissaient d’autant plus que leurcouleur était en partie inventée. C’était de l’Orient romantique. L’onsait comment l’impertinence de Musset s’en est raillée. Mais comme legénie verbal de Victor Hugo ne s’était jamais affirmé avec plus detruculente maîtrise, non seulement les poètes romantiques acclamaientles Orientales, mais les peintres. L’un des poèmes inspire à LouisBoulanger un tableau : les Orientales ont créé une école de peinture. Au théâtre, Hugo est moins heureux. La préface de Cromwell avait étéretentissante, mais la pièce n’avait pas marché, bien que son héros fûtalors si à la mode et eût inspiré tant de pièces que Hugo aurait pu,lui aussi, donner un numéro à son Cromwell, coupant ainsi à son tour,à cent ans d’intervalle, l’herbe sous le pied à l’auteur d’Amphytrion38. Les romantiques comptaient beaucoup sur Hernani. Hugo était leurdrapeau rouge. Mais plus la bannière littéraire de l’auteur des Orientales était flamboyante, plus son drapeau politique était blanc,de la blancheur même des lis. Il s’obstinait à appeler l’empereur desFrançais Buonaparte, lui qui, plus tard, devait écrire Napoléon leGrand. Quand on vit très vieux, je crains que l’on ne soit parfoisappelé à se contredire. Je ne me propose pas de raconter la première d’Hernani, qui n’eutlieu, d’ailleurs, que le 25 février. Aussi bien, la batailled’Hernani a-t-elle fait, ici même, l’objet d’une charmanteconférence. Ceci n’est pas une étude littéraire, mais quelque chosecomme une revue de fin d’année, – une revue de fin d’année après centans, et qui s’efforce, oubliant la mise au point que le temps infligeaux valeurs, de s’imprégner des points de vue d’il y a un siècle. Celan’est pas si commode. Comment concevoir, en effet, qu’en 1830, Béranger passât pour un plusgrand poète que Victor Hugo ? Béranger a cinquante ans. Sa popularité est à son faîte. En dépit deses opinions révolutionnaires, – deux ans plus tôt, il avait étécondamné à six mois de prison, – Lamartine l’admire. Chateaubriandl’aime et lui rend visite. Musset déclare ses poèmes immortels.Lamennais lui-même, qui se préparait avec Montalembert à fonder lejournal l’Avenir, ne devait pas tarder à lui rendre hommage. Tous lesromantiques le revendiquent comme un des leurs. Comment concevoir aussi que, dans le mois qui nous occupe, seuls sesamis ou ses amies discernaient en Balzac le plus grand romancier destemps modernes ? La Physiologie du Mariage, parue l’année précédente, et la Peau dechagrin, qui venait de paraître, avaient mis son nom à la mode. Mais Balzac n’est pas un fashionable. Le monde qui l’attire, ce n’estpas seulement le faubourg Saint-Germain, où il rencontre Mme d’Abrantèset où il invente la duchesse de Langeais : c’est l’univers entier,toute son œuvre en gestation, les prodigieux personnages de la Comédiehumaine. Dans son petit appartement de la rue Cassini, entre sa pipe et soncafé, il travaille, vêtu d’une robe de moine. C’était à peu près sa garde-robe. On l’imagine, veillant tard dans la nuit, devant satable encombrée, ramassé, tumultueux et solide, l’air, dans sa robemonacale, d’être taillé dans un bloc. C’était, déjà, la statue de Rodin. Si l’on voyait peu Balzac, l’on voyait encore moins Stendhal. Ildétestait les Bourbons. Rédigeant sa propre épitaphe, il l’avait ainsiconçue : « Il ne respecta qu’un seul homme : Napoléon. » Il voyageait, sans cesse entre Paris et Rome. Le monde lui battaitfroid depuis son livre De l’Amour. Mme de Lamartine, étant àFlorence, avait refusé de le recevoir. Stendhal a quarante-sept ans. Les deux romans qui ont assuré sa gloire, le Rouge et le Noir et laChartreuse de Parme ne sont pas encore parus. Si son livre decritique, Racine et Shakespeare, l’avait, dans sa jeunesse, fait bienvoir des romantiques, ce livre, dont le romantisme date deChateaubriand, semble déjà périmé. Armance, son premier roman, n’aguère eu de lecteurs. Beyle est très seul. Le groupement « les Amis deStendhal » ne s’était pas encore constitué ! Alfred de Musset venait de publier les Contes d’Espagne et d’Italieet ses vers aériens, sur Paris étonné, se posaient comme des oiseaux.Nodier et Sainte-Beuve exceptés, tous les critiques l’attaquaient, maisil avait pour lui la jeunesse et les femmes. C’est un public qu’il aconservé toute sa vie et Alfred de Musset vit encore. Il était de bonne naissance, mais il n’était pas reçu. Pour unfashionable, c’était un drame. L’on sait qu’il devait être blackbouléau Jockey. C’était un Lion, mais un Lion sans fortune. C’était la pirechose qui pouvait arriver à un Lion. Il supportait sa misère, –relative, – en faisant des dettes chez son tailleur, en perdant au jeuet en dansant toutes les nuits. Il habitait alors dans sa famille, ce qui est une façon de parler. Ilrêvait d’amours éternelles et il les cherchait dans un monde où lesamours éternelles durent un soir. Il était amoureux de toutes lesfemmes et, en février 1830, de deux jeunes filles à la fois. Il était célèbre et il avait vingt ans. C’était Chérubin, un Chérubinqui aurait eu la France pour marraine. Les exagérations du romantisme le faisaient sourire. Il possédait lesens de l’ironie, du naturel et de la mesure. Il y avait déjà en luil’auteur immortel des Proverbes. Dans le mois qui nous occupe, il enviait les succès d’Eugène Sue, qui,à ses yeux avait toutes les chances. Alfred de Musset ébloui par Eugène Sue ! l’on ne peut s’empêcher desourire. C’est qu’à cette époque le futur auteur des Mystères deParis était un des rois de la mode et il avait déjà un passéromantique. Fils d’un chirurgien, chirurgien lui-même, il n’avait pas tardé à selancer dans la littérature et ses premiers romans, des romansmaritimes, avaient eu un succès foudroyant. Dès lors, adieu la chirurgie. De la jeunesse, du talent, de l’argent,des gilets surprenants, des cabriolets mirifiques : voilà plus qu’iln’en fallait pour que ses amis les fashionables l’introduisissent dansle faubourg. Le passeport était en règle : en 1830, Eugène Sue, futurdéputé socialiste, était un royaliste ultra. Encore un qui devait êtreappelé à se contredire. A force de vivre dans le gratin, Eugène Sue, par un phénomène demimétisme qui ne manque pas aujourd’hui encore d’une certaineactualité, avait fini par faire peindre des armoiries sur ses voitures.C’était un tort. Ses amis, les dandys du monde, voulaient bien le fairerecevoir, mais avec quelque nuance d’accueil. Aussi, nous conte M.Jacques Boulenger dans son charmant livre sur les dandys, ses camaradesl’avaient-ils surnommé Sulfate de Quinine. Sulfate, par allusion à sonancien métier de chirurgien et de Quinine à cause des armoiries. Il me plaît de croire, venant de relire Scribe, que la vocation dedéputé socialiste d’Eugène Sue a pour origine ce sobriquet. J’oublie un détail qui, paraît-il, avait quelque importance : Sue sepermettait d’avoir des fleurs fraîches dans son appartement, ce qui, àcette époque arcadienne, passait pour de la perversité. Mérimée a déjà publié à vingt-sept ans le Théâtre de Clara Gazul, laGuzla et son beau roman : Chronique du temps de Charles IX. Il s’enfallait pas davantage pour que le plus classique des écrivains dudix-neuvième siècle passât, lui aussi, pour un romantique. Le romantisme ! A cette époque, tout le monde y participait : lesorfèvres, les peintres et même les professeurs. Tandis qu’à côté de Villemain, Victor Cousin reprenait son cours enSorbonne, un jeune professeur qui venait de passer de Charlemagne àRollin et de Rollin à l’École normale supérieure, commençait à faireparler de lui : c’était Michelet. Maître de conférences, ses cours étaient tout soulevés de lyrisme, – unlyrisme encore mesuré, car les points de vue de Michelet et la doctrinedu ministère Polignac se fussent assez mal accordés. Parmi les peintres romantiques, Delacroix était le plus en faveurauprès de la jeune école. Dante et Virgile traversant le lac de laville infernale avait fait scandale, quelque chose en peinture commela première d’Hernani. Horace Vernet, lui aussi, était revendiqué par les romantiques. Al’exemple du baron Gérard, – que l’on appelait le roi des peintres etle peintre des rois, – l’illustrateur des épopées impériales venait defaire le portrait de Charles X. Isabey, inlassable en dépit de ses soixante-trois ans, continuait àreproduire de ses pinceaux méticuleux les charmants visages des jeunesfemmes dont il avait peint les grand’mères. Le futur auteur de Joseph Prudhomme, ce charmant Henri Monnier, n’aencore que vingt-cinq ans et début dans la caricature, tandis qu’àcette époque les statuaires David d’Angers, Rude, Pradier sont célèbres. Et Ingres, notre grand Ingres, M. Ingres… Hélas ! j’allais faire commela France, j’allais l’oublier. Napoléon, ce romantique, lui avaitcommandé le plafond de sa chambre à coucher : le Songe d’Ossian –Napoléon a toujours su discerner les grands hommes. Depuis, Ingres,oublié, habitait Florence, boudant la France qui l’ignorait. Soudain,tout change. Le gouvernement s’avise de son existence, lui fait unecommande : le Vœu de Louis XIII, et le succès est éclatant. VoiciIngres à la mode. Un journal, et non des moindres, écrit : « Un jeune peintre nous est né : la France a un nouveau Raphaël. » Ce jeune peintre avait cinquante ans. En février 1830, le docteur Véron ne dirigeait pas encore l’Opéra, maisavait fondé l’année précédente la Revue de Paris que la Revue desDeux Mondes devait plus tard s’annexer. Fashionable, sa cravate l’engonçait à ce point qu’un ami lui écrivantlibellait ainsi l’enveloppe : Au docteur Véron, Dans sa cravate, Paris. La lettre était arrivée. L’on voit que la poste était bien faite. A l’Opéra-Comique, la Taglioni dansait. Les abonnés aimaient surtout lamusique les soirs où dansait la Taglioni. Ils avaient fait pour elle ceque la France avait fait pour Ingres : ils venaient de la découvrir.Quelques années plus tôt, ils l’avaient trouvée laide, bossue, avec detrop longues jambes. Elle était partie pour l’Allemagne, avait eu untriomphe ; elle était revenue et ils l’avaient jugée ravissante. Elle aussi participait au romantisme. Son arrivée dans ses jupes degaze, que M. Sosthène de La Rochefoucauld s’obstinait à allonger,effaçait jusqu’au souvenir de la chorégraphie du dix-huitième. Ce futune révolution aussi complète que celle apportée par nos ballets russesd’avant-guerre. A partir de la Sylphide, nous conte, dans l’un de sesremarquables ouvrages sur le romantisme, M. Marcel Bouteron, lesballets se peuplent d’ondines, d’elfes, de gnomes, de toute la féeriechère aux romantiques et de cet accessoire indispensable : la lune. Lerôle de la lune dans le théâtre de cette époque est incroyable. Elle brillait à l’Opéra, où Rossini faisait représenter GuillaumeTell, elle accompagnait fidèlement de ses projecteurs romantiques legrand Frédérick Lemaître, qui jouait à l’Odéon. Elle luisait doucementsur la scène du Théâtre de Madame, inondait de ses feux poétiques, authéâtre des Italiens, le jeune et beau visage de la Malibran queMusset, six ans plus tard, devait pleurer dans ses Stances. Elleéclairait aux Nouveautés les travestis de Déjazet, rendait plusimpressionnante aux Funambules l’éloquence muette de Deburau et, surles toiles de fond de l’Ambigu et de la Porte-Saint-Martin étaitaccrochée une fois pour toutes. Impatiente, elle attendait auThéâtre-Français la première d’Hernani pour, au troisième acte, selever sanglante sur Mlle Mars qui allait créer Doña Sol. Toutes les actrices étaient jeunes, toutes ou presque toutes. Taglionia vingt-six ans, Déjazet trente-trois, la Malibran vingt-deux, la Pastatrente-deux, Dorval trente-huit. La plus jeune est Rachel qui chantealors dans les rues de Lyon : elle a dix ans, Mlle Mars, duThéâtre-Français, quarante et un. Comme on connaît bien l’âge desactrices un siècle après leur mort ! Si la lune était chère aux auteurs dramatiques, elle était pluspopulaire encore parmi les actrices, surtout celles duThéâtre-Français, dont quelques-unes n’étaient plus, comme l’on diraitaujourd’hui, très photogéniques : la lune leur était bienfaisante.Aussi le Théâtre-Français était-il le seul qui se refusât d’éclairer sarampe au gaz : les sociétaires déclaraient cette invention moderneaveuglante, menaçant même, pour peu qu’on leur imposât une lumièreaussi peu galante, de donner leur démission. Le gaz n’éclairait point la salle. Comme l’huile ou la chandelleeussent pu dégoutter sur le public, l’on installait alors dans tous lesthéâtres la claque au beau milieu du parterre, sous les lumignons. Onappelait les claqueurs « les chevaliers du lustre ». Les salles étaient mal aérées, les sièges inconfortables, l’éclairagefumait, mais les théâtres faisaient recette. Ce n’était pas la faute du gratin. Les dames du faubourg Saint-Germainn’allaient pas au théâtre, se contentant d’applaudir aux Tuileries lespièces qu’elles se fussent refusées à voir dans un théâtre de la ville. Quant aux filles de bonnes maisons, elles n’allaient jamais auspectacle. C’était le temps où Polyeucte et Bérénice n’étaient paspour jeunes filles. Pauvres jeunes filles ! Rien n’était changé pour elles depuis l’ancienrégime. Elles sortaient du couvent pour être présentées à leurs maris.Tous les mariages étaient de convenance et le rêve, c’était la pairie. A peine leur permettait-on de jouer à la bague volante ou au volant, dedanser la pastourelle, mais guère, en dépit de l’invitation de Weber,la valse, laquelle avait aussi mauvaise presse dans la bonne sociétéque le tango chez nous, quelques années avant la guerre. Victor Hugo,déjà marié, affirmait que c’était une danse lascive, et Musset, plusenthousiaste étant célibataire, s’écriait que valser avec une femme,c’était en quelque sorte la posséder. Cette chère valse romantique qui nous arrivait d’Allemagne mais quiétait née en France comme tant de choses importées, – Racan, dès ledix-septième siècle, ne parlait-il point d’une danse qui s’appelait lavalse ? – il avait fallu que le comte Apponyi, ambassadeur d’Autriche,la patronnât pour la faire admettre aux douairières. L’ambassadeur,pour plaire aux jeunes filles qu’éclipsaient le soir les femmesmariées, avait mis, en effet, les bals du matin à la mode. L’on dansaitdès onze heures, à la campagne ou à Paris, dans les jardins. Sous lalumière véridique du matin, il ne s’agissait plus de porter des paruresde diamants, de se mettre du rouge aux lèvres et du noir aux yeux,privilège des femmes mariées : il s’agissait d’avoir seize ans etd’être aussi fraîche que les taffetas roses des légères robes àvolants. Pour les jeunes filles, quelle revanche ! Cela les changeait aussi desbals dans les hôtels du gratin. Ces soirées-là étaient frugales etsévères. Pas de valse : des contre-danses ; pas de souper : desgâteaux secs ; pas de champagne : des limonades et, la danse finie,l’on retourne s’asseoir à côté de sa mère. L’on imagine, transportées soudain dans ces réunions d’alors, la têtequ’y eussent faite nos jeunes filles d’aujourd’hui qui boivent descocktails, fument la cigarette, mènent leur auto et, « laissant tomber» leur famille, sortent le soir pour aller flirter dans des bals quenos mères, dans leur jeunesse candide, appelaient encore des balsblancs. Aussi avec quelle impatience les jeunes filles de 1830,souhaitaient-elles la liberté, c’est-à-dire le mariage. Une foismariées, vogue la galère et tant pis pour les maris… N’est-ce point lacomtesse de Montmorency-Matignon qui disait un jour à une jeune femmede sa société qui, à la suite d’un scandale, pleurait une disgrâce del’opinion : « Consolez-vous, ma chère : chez les grandes dames comme nous,l’honneur repousse comme les cheveux. » On permettait aux jeunes filles le concert. Les premiers pianosvenaient d’apparaître, mais le gratin leur préférait les clavecins. Lesconcerts se donnaient beaucoup et ne donnaient aucun mal. L’onchargeait Rossini de les organiser. Il arrivait avec ses musiciens dontfaisait partie le jeune Listz. Tous entraient par une porte de service.On les installait, on bavardait en les écoutant et, le concert fini, onles renvoyait, de même qu’aujourd’hui, dans les milieux bourgeois, onrenvoie, après le bal, à la maison compétente, les petites chaisesdorées qui ne servent plus. Le Faubourg qui, en ce temps, régnait et tenait tant de place, étaitdemeuré patriarcal. Six mois par an dans les châteaux, six mois par anà Paris. On déjeunait à onze heures, on dînait à six heures, on secouchait à dix heures et, aux repas, le maître de maison qui découpait,offrait lui-même les viandes. Cela simplifiait le service et permettaità l’amphytrion de marquer à ses hôtes tous les degrés, d’une politessenuancée. Écoutez celle du duc de Talleyrand dont les soixante-seize ansencore verts se souvenaient du temps des privilèges. A dîner, entouré de ses convives, il distribuait ainsi, nous conte M.Jacques Boulenger, le rôti et l’hommage : - Monsieur le duc, Votre Grâce me fera-t-elle l’honneur d’accepter dece bœuf ? - Mon prince (titre romain inférieur à celui de duc), aurai-jel’honneur de vous envoyer du bœuf ? - Monsieur le marquis, accordez-moi l’honneur de vous offrir du bœuf. - Monsieur le comte, aurai-je le plaisir de vous envoyer du bœuf ? - Monsieur le baron, voulez-vous du bœuf ? Quand il arrivait au simple monsieur, le diplomate frappait avec samain sur son assiette, fixant ses yeux sur ceux du convive etprononçait ce simple mot sur le ton interrogatif : « Bœuf ? » Que cette époque est curieuse ! Au milieu du remous des courants révolutionnaires, l’ancien régimeapparaît comme un îlot que va balayer la tempête. En février 1830, elle n’a pas encore éclaté. Paris fronde, gronde,chansonne, mais s’amuse. Qu’il est différent de notre grande ville d’aujourd’hui ! C’était unParis provincial qui, dans certains quartiers, gardait comme un grandair de village. Lorsque l’on consulte les exquis documents que nous a laissés CarlVernet, comme on regrette ce Paris aéré qui respire par tous sesjardins ! Que d’air circule dans le décor, que d’espace, que d’arbres,que de place… et que de chiens ! Il n’y a plus de chiens dans nos rues modernes. Il n’y a plus detroupeaux de moutons, ni de ces belles arrivées de vaches qu’on voitsur les estampes. Il n’y a plus surtout ces troupeaux de chèvres dontles petits pas pressés sur le pavé faisaient le bruit de la grêle,tandis qu’un berger bucolique sifflait dans sa flûte, s’arrêtant toutesles deux minutes pour s’écrier : « Le bon lait de chèvre mesdames ! le bon petit lait de chèvre !... » Notre Paris de près de quatre millions d’habitants n’en comptait alorsque sept cent quatre-vingt-six mille. La Madeleine est encore sous ses échafaudages, les boulevards sontimprécis, le Palais-Royal, avec ses cafés, ses fleuristes et sestripots, demeurant le centre du luxe et des plaisirs. Aux Champs-Élysées, les vagabonds jouent aux boules. Le bois deBoulogne est un voyage, l’avenue Matignon une manière de forêt deBondy, le boulevard Raspail des terrains vagues et lorsque lordSeymour, – un bien médiocre personnage, – gagnera quelques mois plustard le grand prix de Paris, ce sera au Champ-de-Mars qui sert de champde courses. Ce n’est pas encore le temps où sa royauté pour cour desmiracles descendra la Courtille, laquelle est déjà à la mode avec sesfoires et ses guinguettes. Dix-sept mille équipages roulaient par jour dans la ville. Il noussemble entendre les grelots de sonnailles, les disputes des cochers,les « place ! place ! » des postillons et les fers des chevaux sur lapierre sonore. Que tout cela est plus sympathique que nos ruestraversées de bolides et empoisonnées par les gaz ! Les omnibus, qui n’existaient que depuis deux ans, s’étaientmultipliés. Quels jolis noms ils portaient : Les Parisiennes, lesFavorites, les Dames Blanches, les Citadines, les Hirondelles, lesGazelles… Il y en avait à une seule roue, avec cabinets particuliers, mus parquatre chevaux trottant à l’intérieur. Il y avait les omnibus colosses pouvant contenir cent personnes et desvoitures-restaurants qui distribuaient dans Paris, tout préparés, desplats à cinq sous la portion de viande et à quatre sous la portion delégumes. Sur les voitures de place, qui s’appellent des fiacres ou des coucous,l’on voit des cochers qui portent déjà la pèlerine à collet, comme noschers vieux cochers sur les chers vieux films d’avant-guerre. Il y avait même des voitures à vapeur. Ce sont des calèches dételées.On cherche les chevaux. Elles n’inspiraient aucune confiance, pas plusque la vapeur. M. H.-B. Nadaux, ingénieur des ponts et chaussées, qui, sur ce point,partage l’opinion d’un grand nombre d’ingénieurs célèbres, à propos deschemins de fer, émet cette prophétie : « Les chemins de fer ne conviennent que pour les courtes distances etne peuvent remplacer les routes ordinaires, ni les canaux. » A chaque pas, des métiers ambulants nous arrêtent. C’est la chiffonnière, avec sa voiture à chiens, et sur sa tête, tantde chapeaux empilés qu’ils la coiffent comme d’une pagode. C’est la marchande de légumes avec son petit âne, chargé comme un âned’Ali-Baba. Voici les marchandes de saucisses, de galettes, de coco, d’eau purifiée. Voici la marchande de quatre-fleurs portant sa hotte sur le dos à lamanière dont certaines négresses portent leurs enfants. Voici le tondeur de chiens et le grimacier, en habit Louis XV. Voici la marchande de poissons, la marchande de balais qui, elle-même,a l’air d’une devanture. Le marchand de cartons à chapeaux : une tigeen bois fixée sur l’épaule, les cartons aux deux extrémités vont etviennent, comme aux Indes, les outres d’eau balancées. L’on entendait encore des femmes vêtues à la mode des paysannes deNanterre et qui chantaient, poussant leurs brillantes petites voituresde cirque : La belle Madeleine, a vend des gâteaux, A vend des gâteaux, la belle Madeleine, A vend des gâteaux Qui sont tout chauds… Dans certains quartiers, il semble, tant les métiers se promènent, quetout le commerce est ambulant. Voilà Paris, un Paris attardé, un Paris du bon vieux temps, qu’eussentreconnu Beaumarchais, Voltaire et, en maints endroits, François Villon.Voilà ce Paris de 1830 qui, à la veille des Trois Glorieuses, noussemble si anachronique. Mais, en dépit de l’opposition qui l’annonçaitsans oser y croire, qui pensait alors que la Révolution fût si proche ? Le Roi n’était-il pas toujours le père des Français ? Ne venait-il pas,vengeant l’honneur national, d’ordonner l’armement de cent quatrebateaux de guerre qui, sous le commandement du vice-amiral Duperré,allait cingler vers l’Algérie afin d’y débarquer, commandée par legénéral de Bourmont, une armée de trente-sept mille hommes ? N’était-cepas le roi, le roi seul, qui avait décidé ce geste qu’eût approuvéLouis XIV, son grand aïeul ? Grâce à lui, le Roi, le drapeau françaisn’allait-il pas flotter glorieusement au sommet de la Kasba, nousassurant notre plus belle colonie ? Hélas ! qui lui en saurait gré ?Personne. L’Algérie, c’était, pourtant, un bien beau cadeau d’adieu quele dernier roi Bourbon devait offrir en quittant son trône à cetteFrance que ses ancêtres avaient formée ! Mais les nations sont commeles femmes : quand elles n’aiment plus, on a beau leur faire descadeaux : elles les acceptent, seulement, voilà, c’est fini… FRANCIS DE CROISSET. |