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DELORD, Taxile(1815-1877) : Le Missionnaire (1841). Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (26.II.2014) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 6 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. Le Missionnaire par Taxile Delord ~ * ~CE personnage appartient principalement à la France, etc’est pour elle un véritable titre de gloire. Les autres nations sansdoute se montrent encore jalouses d’étendre au loin l’influence duchristianisme, mais nulle part les efforts tentés dans ce noble but nesont plus continus, plus généraux, plus persévérants que dans leroyaume de Clovis. C’est l’honneur de notre patrie d’avoir toujours étéle centre universel, le pivot du catholicisme. Malgré nos révolutions,l’esprit catholique s’est toujours maintenu en France. Ce que laroyauté faisait pour les missionnaires au temps des splendeursmonarchiques, ce sont les individus qui le font aujourd’hui. Lareligion du Christ n’a jamais manqué d’appui parmi nous : du nord aumidi, du couchant à l’aurore, de pieux travailleurs sèment leurmoisson. L’instinct des navigateurs a beau les pousser vers des régionsinconnues, vers des mers inexplorées, vers des terres sauvages,d’autres navigateurs découvriront ces régions, parcourront ces mers,habiteront ces terres en même temps qu’eux : ces navigateurs guidés parle ciel sont les missionnaires. Grâce à eux, les plus obscurs rochersdes archipels les plus lointains ont vu, à côté des pavillonsnationaux, s’élever la croix, le drapeau universel. Ajoutez un nomnouveau à la carte du globe, et aussitôt, sans s’informer si l’airqu’on respire sur cette terre est pur ou empoisonné, sans chercher àconnaître le nom des écueils et le nombre des tempêtes à affronter,vous verrez, du fond de quelque humble village, un prêtre obscur,l’Évangile à la main, s’élancer vers cette contrée où il peut gagnerdes âmes au Seigneur. Ces dévouements se voient tous les jours enFrance ; si la croix est fermement attachée à sa base, c’est qu’elle laretient de ses fortes mains ; si le sang des martyrs coule encore, ellepeut en être fière ; car ce sang, c’est le sien. Le missionnaire français n’a point, à vrai dire, de demeure fixe ; ilest partout, en Asie, en Perse, en Afrique, en Amérique, dans l’Inde, àla Chine, au milieu des peuplades de l’Océanie. Quel que soit ledévouement des prêtres, les frais du culte et du personnel ainsidisséminés doivent être fort considérables. Le gouvernement ne peutplus venir comme autrefois au secours des missions, il les tolère ouplutôt il les protége moralement ; les ressources des congrégationsparticulières sont à peine suffisantes pour leurs propres besoins. Il afallu alors faire un appel à cette sainte, toujours inépuisable,toujours présente, toujours ingénieuse dans ses bontés, qu’on appellela charité chrétienne. En 1822 fut fondée à Lyon une association, dite œuvre de la propagation de la foi,dans le but de faire parvenir aux missions étrangères des deux mondes,sans exception et sans autre distinction que leurs besoins respectifs,les secours qui leur seraient nécessaires. Des sommes immensess’absorbent dans les interminables voyages que les missionnaires sontobligés d’entreprendre ; et, sans parler de leurs besoins personnels,combien de fois ne faut-il pas qu’ils prodiguent aux pauvres dont ilssont environnés d’abondants secours pécuniaires pour préparer ainsi lavoie aux secours spirituels, et par là même aux progrès de la foi !L’œuvre dont nous parlons a réalisé un des résultats les plusimportants de l’association moderne. Dans l’année 1839, les donsrecueillis se sont élevés à la somme de 2 millions ; les recettes de lapremière année s’élevèrent à 22,000 francs. Quel accroissement endix-huit ans ! La quotité payée par tous les associés est d’un sou parsemaine. L’association prélève les frais nécessaires à la publicationd’un recueil bi-mensuel intitulé : Annalesde la propagation de la foi, ce sont les vrais fastes de lareligion militante, le livre d’or des martyrs ; le reste est consacré àl’agrandissement des missions. L’œuvre a maintenant des centres danspresque toutes les contrées de la terre. A côté de la Belgique et de laSuisse, l’Allemagne et l’Italie ont pris rang parmi les plus généreuxauxiliaires ; les îles Britanniques ont noblement répondu au premierappel ; déjà l’Irlande avait donné l’exemple ; les fidèles du Portugalmontrent qu’ils n’ont point oublié ces missions qui furent jadis lameilleure part de leur gloire ; les vieilles églises du Levants’émeuvent, et le patriarche d’Antioche recueille sous la tente ledenier hebdomadaire. A mesure que s’élève ainsi le nombre des associés,se multiplie la puissance de leurs prières réunies. Chaque soleil quise lève trouve un plus grand nombre de chrétiens agenouillés pour louerensemble l’Éternel. C’est là un résultat qu’il nous importe deconstater en tête de cet article ; car c’est un grand éloge du type quenous avons à retracer, et un aperçu de la grandeur de sa mission. Ondirait, du reste, que le ciel s’incline à ce merveilleux concert, etque ses bénédictions descendent plus abondantes et plus fécondes surles terres de l’infidélité. Depuis les rivages sacrés de la Palestinejusqu’aux plus impénétrables forêts de l’Amérique, dans les catacombesde la Corée ou de la Cochinchine, et sur les verdoyant autels des îlesGambier, partout s’offre le sacrifice expiatoire. Cependant le nombrede ceux que l’Église compte parmi ses enfants atteint à peine lechiffre de cent soixante millions, tandis que les calculs les plusmodérés portent à huit cents millions la population totale du globeterrestre. N’est-ce pas un grand spectacle de voir les efforts dequelques hommes isolés pour faire régner partout la lumière et la vie ?Les profondeurs immenses de l’Asie et de l’Afrique, jusqu’iciinaccessibles à l’esprit de vérité, commencent à voir paraître lesnouveaux apôtres. Les religieux fugitifs des bords de l’Èbre et du Tagesont allés porter à l’Amérique méridionale les bienfaits de la paroledivine. Le siége de saint Augustin se relève sur la côte de Barbarie.L’Abyssinie semble tourner ses regards vers le pontife suprême. LesDruses commencent à déserter les coupables mystères qu’ils célébraientà l’ombre des cèdres du Liban. La croix qui s’élève des montagnesCoréennes s’apercevra bientôt des plages voisines du Japon. Elle y serasaluée par les fils des martyrs ; les navires chargés de missionnairesont touché aux archipels de la mer du Sud. C’est à nous à suivremaintenant ces héros chrétiens au milieu de cette immense variété detravaux et de dangers. « Donnez-moi un point d’appui, et je soulève lemonde, » disait un mathématicien célèbre ; proposition chimérique,condition impossible. Pour remuer le monde moral, les missionnairesn’ont besoin que de deux choses plus faciles à trouver, l’aumône et laprière ! Mais avant d’exposer la situation actuelle des missions, disons enquelques mots ce qu’elles étaient autrefois. Il y a là tout un passéd’abnégation, d’héroïsme, de science, qu’il importe de faire connaître.Lorsque le christianisme triomphant eut fait de l’Europe une famille defrères, une convoitise sainte dut s’emparer d’une foule d’âmesardentes. Nouveaux apôtres, plusieurs personnes animées du souffledivin se sentirent prises du désir de sauver ceux qui languissaientencore dans les ténèbres de l’idolâtrie : c’est là l’origine desmissions. Diverses congrégations religieuses se consacraient à cespérilleux devoirs : les dominicains, l’ordre de Saint-François, lesjésuites, et les prêtres des Missions Étrangères. Il y avait quatresortes de missions : celles du Levant, qui comprenaient l’Archipel,Constantinople, la Syrie, l’Arménie, la Crimée, l’Éthiopie, l’Égypte etla Perse ; celles de l’Amérique, commençant à la baie d’Hudson etremontant par le Canada, la Louisiane, la Californie, les Antilles etla Guyane, jusqu’aux Réductions,ou peuplades du Paraguay, gouvernées par les jésuites ; celles del’Inde, qui renfermaient l’Indostan, la presqu’île en deçà et audelà du Gange, et qui s’étendaient jusqu’à Manille et auxNouvelles-Philippines ; enfin, les missions de la Chine, auxquelles sejoignaient celles de Tong-King, de la Cochinchine et du Japon.L’Islande et les côtes d’Afrique comptaient aussi quelques églises ;mais elles n’étaient pas régulièrement suivies. On peut se faire uneidée, par cet aperçu statistique, du rôle universel du missionnaire ;rien ne manque à son action pour en faire un résumé de toutes lesdifficultés humaines : il lui faut franchir des marais impraticables,percer des forêts profondes, traverser des fleuves dangereux, gravirdes rocs inaccessibles ; bien plus encore, il doit affronter despeuples barbares, cruels, superstitieux, jaloux ; vaincre chez les unsl’ignorance aveugle de la barbarie, chez les autres les préjugés nonmoins terribles de la civilisation. De quelque côté donc qu’il setournât avant de commencer son œuvre, le missionnaire était sûr derencontrer la mort sous toutes ses faces, et cependant rien nel’arrêtait dans sa course. Les solitudes de l’Arabie, les déserts desCafres, les glaces du pôle ont vu tour à tour passer l’homme de Dieu.Ce noble enthousiasme vit encore aujourd’hui, et l’on trouve des hommesprêts à affronter, dans l’intérêt de la vérité, une mort affreuse, sansspectateurs, sans applaudissements, pour donner le bonheur éternel à unsauvage inconnu. Comment faut-il appeler ce sacrifice ! La plupart des missions françaises furent établies par Colbert etLouvois, qui comprirent de quel intérêt elles pouvaient être pour lesarts, les sciences et le commerce. Un missionnaire, en effet, doit êtreun homme instruit, un voyageur au-dessus du vulgaire. Obligé de parlerla langue des gens auxquels il prêche l’Évangile, de se conformer àleurs usages, de vivre, pour ainsi dire, de leur propre vie, lemissionnaire, n’eût-il reçu de la nature qu’une vocation ordinaire,parviendrait encore à recueillir une multitude de faits précieux, dedocuments importants, de données originales ; tandis que le voyageurmondain passe rapidement au milieu des peuples qu’il visite, évite ledanger, parce qu’il n’a pas la foi qui pousse au milieu des périls, estobligé de recourir à un interprète, et par conséquent ne peut acquérirque des notions très-vagues sur des objets qui ne font que surgir unmoment devant ses yeux pour disparaître ensuite. Les plus illustresparmi les missionnaires, ces jésuites, auxquels il est permis de rendrejustice aujourd’hui, exigeaient plusieurs qualités des élèves qui sedestinaient aux missions. Le grec, le cophte, l’arabe, le turc, etquelques connaissances en médecine, étaient nécessaires pour le Levant; pour l’Inde et la Chine, il fallait être mathématicien, astronome,géographe, mécanicien ; les naturalistes étaient dirigés versl’Amérique. Grâce à cette méthode et à cette excellente distribution dutravail, les sciences faisaient tous les jours des progrès nouveaux.Les Lettres édifiantes, aprèsavoir été attaquées sans mesure, restent comme des abrégés complets del’état de l’Egypte, de la Syrie, de la Chine, du Japon, d’une partie del’Inde, à l’époque des jésuites ; plusieurs de ces pères étaientmembres de l’Académie des sciences, et ce n’est pas un mince sujetd’orgueil pour la France, de songer que c’est par leur entremisequ’elle a enseigné les premiers éléments des sciences exactes aux plusvieux astronomes du globe, les mandarins chinois. Quelqu’un au mondea-t-il jamais été mieux placé pour nous faire connaître la Perse et lefameux Tamas-Koulikan, que le moine Bazin, qui suivit ce conquérantdans toutes ses expéditions ? Les procédés indiens pour la confectionet la teinture des toiles nous ont été apportés par le père Cœur-Doux ;si la Chine nous est connue presque comme la France, c’est aux jésuitesque nous le devons ; ses manuscrits, son histoire, ses herbiers, sagéographie, ses mathématiques, ses moyens de fabrication enrichirentnos bibliothèques, nos musées, les collections de nos corps savants, etaugmentèrent les produits de nos manufactures. Pour donner une idée dela prodigieuse aptitude des jésuites à s’assimiler les littératuresétrangères, il nous suffira de dire que le père Ricci écrivit deslettres de morale dans la langue de Confucius, et qu’il passe encorepour un auteur élégant dans le collége des mandarins. Chacune des missions dont nous venons de parler avait un caractèreparticulier, et, pour ainsi dire, des souffrances qui lui étaientpropres. Dans le Levant il fallait combattre les hérésies, consoler lesprisonniers, porter le viatique aux pestiférés entassés dans lesbagnes, lutter contre le farouche fanatisme des musulmans. Les îles del’archipel, encore pleines des traces riantes de la mythologie,voyaient passer le Dieu des chrétiens dans tout l’appareil de samiséricorde divine ; la voix des missionnaires se faisait entendre surles ruines de Tyr et de Babylone, comme pour continuer dans le présentla vérité des oracles anciens ; les forêts du Liban, les grottes de laThébaïde étaient témoins du dévouement des nouveaux pères. Rien n’égalela simplicité de leurs sacrifices, si ce n’est la manière dont ils enparlent. Lisons plutôt ce passage d’une lettre du père Tarillon,adressée à M. de Ponchartrain : … « Dans les temps de peste, comme il faut être à portée de secourir ceuxqui sont frappés, et que nous n’avons ici que quatre ou cinqmissionnaires, notre usage est qu’il n’y ait qu’un seul père qui entreau bagne, et qui y reste tant que la maladie dure. Celui qui en obtientla permission du supérieur s’y prépare pendant quelques jours deretraite, et prend congé de ses frères, comme s’il devait bientôtmourir. Quelquefois il y consomme son sacrifice, et quelquefois aussiil échappe au danger. » Peut-on exprimer avec plus de modestie et d’abnégation le Morituri te salutant des chrétiens? D’autres fois, le missionnaire était obligé de s’introduire, à prixd’argent, dans les galères pestiférées. Les infidèles trouvaient encoredans la mort matière à exactions. Là, vivant à fond de cale, courbésans cesse sur le chevet des malades, le missionnaire recevait lesaveux de la pénitence en même temps que le souffle pestilentiel. Lepère Cachot décrit en ces termes cette position à son collègue, le pèreTarillon :… « …… Maintenant je me suis mis au-dessus de toutes les craintes quedonnent les maladies contagieuses ; et, s’il plaît à Dieu, je nemourrai pas de ce mal après les hasards que je viens de courir. Je sorsdu bagne où j’ai donné les sacrements à quatre-vingt-six personnes.Durant le jour, je n’étais, ce me semble, étonné de rien ; il n’y avaitque la nuit, pendant le peu de sommeil qu’on me laissait prendre, queje me sentais l’esprit tout rempli d’idées effrayantes. Le plus grandpéril que j’aie couru, et que je courrai peut-être de ma vie, a été àfond de cale d’une sultane de quatre-vingt-deux canons. Les esclaves,de concert avec les gardiens, m’y avaient fait entrer pour lesconfesser pendant la nuit, et leur dire la messe de grand matin. Nousfûmes enfermés à double cadenas, comme c’est la coutume. Decinquante-deux esclaves que je confessai, douze étaient malades, ettrois moururent avant que je fusse sorti ; jugez quel air je pouvaisrespirer dans ce lieu renfermé et sans la moindre ouverture ! Dieu, quipar sa bonté m’a sauvé de ce pas, me sauvera de bien d’autres. » Ces hommes poussaient si loin l’héroïsme, qu’ils étaient quelquefoishumiliés d’avoir échappé au danger, et les Lettres édifiantes, auxquelles nousempruntons nos citations, nous ont transmis l’histoire de ce jeunemissionnaire qui, après avoir fait à son supérieur le récit d’une pesteà laquelle il a assisté, est étonné d’avoir survécu à ce premier péril,et s’en accuse presque comme d’une faute. « Je n’ai pas mérité, monrévérend père, ajoute-t-il à la fin de sa lettre, que Dieu ait bienvoulu recevoir le sacrifice de ma vie que je lui avais offert. Je vousdemande donc vos prières pour obtenir de Dieu qu’il oublie mes péchés,et me fasse la grâce de mourir pour lui. » A la même époque, le père Bouchet écrivait des Indes : « Notre missionest plus florissante que jamais, nous avons eu quatre grandespersécutions cette année ! » Pendant que le christianisme se manifestait ainsi en Orient, ilpénétrait dans le wigham des sauvages, et fondait un empire dont lesrois étaient de simples prêtres. Du côté de l’Atlantique, entre l’Orénoque et Rio de la Plata, existait un paysque les conquérants espagnols avaient oublié de dévaster comme parmégarde. C’est dans ce pays que les jésuites fondèrent ces républiqueschrétiennes qui devinrent plus tard fameuses sous le nom de Réductions. Les habitants de cescontrées accueillirent fort mal les missionnaires. La beauté de lanature au milieu de laquelle ils vivaient n’avait point adouci lesmœurs de ces sauvages. Les premiers jésuites qui s’offrirent à euxfurent massacrés. Les anciennes relations nous les dépeignent unbréviaire sous le bras gauche, une croix à la main, armés de leur seuleconfiance en Dieu ; elles nous les montrent traversant les forêts,s’enfonçant jusqu’à la ceinture dans les terres marécageuses, etpénétrant dans les antres et les précipices, au risque d’y trouver desserpents et des bêtes féroces, au lieu des hommes qu’ils y cherchaient.Quelquefois des tribus errantes s’arrêtaient autour de l’homme qui leurparlait d’un manitou inconnu, ou bien elles le fuyaient comme un jeteurde maléfices. Souvent le missionnaire, comme un chasseur habile,plantait sa croix sur un lieu découvert et se cachait derrière lesarbres ; les sauvages s’approchaient timidement pour regarder le boismystérieux qui agitait déjà leur solitude ; une voix secrète semblaitleur dire d’avancer ; alors l’oiseleur céleste sortait de sa retraite,et prêchait aux barbares surpris les douceurs de la religion et de lasociété. Esprit de feu qui descendîtes sur la tête des apôtres, c’estvous qui appreniez aux missionnaires les secrets de ces languesinconnues, et qui leur inspiriez l’éloquence qui fit dire au disciplebien-aimé, après la Pentecôte : « Maintenant allons convertir lesgentils : Nunc vertamur ad gentes! » Pour s’attacher définitivement les sauvages, les missionnaires eurentrecours à un moyen qui dénote leur patience et leur profonde sagacité.On dit que les eaux du Paraguay rendent la voix humaine plus brillante: c’est là peut-être un préjugé ; ce qu’il y a de bien certain, c’estque les habitants de ses bords aimaient beaucoup la musique. Lesmissionnaires parcouraient donc le fleuve dans des barques chargées decatéchumènes qui chantaient des cantiques. Les oiseaux des solitudesaméricaines se taisaient pour entendre ce concert inattendu. Le sauvageprêtait l’oreille à ces lointaines mélopées ; il quittait la lisièredes forêts, regardait passer le concert flottant, puis, comme cesalouettes qui, en entendant chanter leurs compagnes captives, hésitentlongtemps au milieu des airs et finissent par tomber dans le piége, lesIndiens se jetaient à la nage et venaient se joindre à la nacellemélodieuse. L’idée confuse des jouissances sociales leur arrivait surles ailes de l’harmonie, et bientôt, dominés par l’instinct dessentiments nouveaux, ils naissaient à l’amour, à la charité, à labienveillance, au christianisme, en un mot. La première de ces cités bâties au son de la lyre, comme les villesfabuleuses de l’antiquité, s’appela Lorette.Au bout d’une année, elle vit trente sœurs réunies autour d’elle. Ellesétaient soumises à un règlement général qu’on appliquait ensuite àchacune de ces bourgades évangéliques, d’où leur vint le nom de Réductions. Deux missionnairesgouvernaient les affaires spirituelles et temporelles de la petiterépublique ; aucun étranger ne pouvait y demeurer plus de trois jours ;pour éviter toute tentative de corruption, il était défendu de parlerla langue espagnole. Une école pour les premiers éléments des lettres, une autre pour lamusique et la danse formaient les bases du système d’instruction. Lesarts faisaient donc partie de l’éducation nationale comme dans lesrépubliques antiques. Du reste, l’instruction était répartie selon lesaptitudes. Ceux qui manifestaient des dispositions pour les artsmécaniques étaient placés dans les ateliers ; ceux qui préféraientl’agriculture étaient enrôlés dans la tribu des laboureurs, et onlaissait errer avec les troupeaux les Indiens chez lesquels lacivilisation n’avait point étouffé tous les instincts de leur anciennevie nomade. A certains jours, on livrait à chaque famille les choses nécessaires àla vie. Un missionnaire veillait à ce que les parts fussentproportionnées au nombre des individus ; la terre était divisée enplusieurs lots, et chaque famille en cultivait un pour ses besoins.Pour suppléer aux mauvaises récoltes et pour nourrir les veuves, lesvieillards et les orphelins, il y avait en outre un champ commun appeléla Possession de Dieu, dontles revenus étaient spécialement affectés à ces destinations pieuses.En fait de pénalité, le code admettait trois châtiments : la premièrefaute était punie par une réprimande secrète des missionnaires ; laseconde, par une amende honorable à la porte de l’église ; latroisième, par le fouet. Les paresseux étaient condamnés à cultiver uneplus grande partie du champ commun. Pour éviter le libertinage, onmariait les jeunes gens de bonne heure. La séparation entre les deuxsexes était rigoureusement maintenue ; l’habillement lui-même étaitréglé : une tunique blanche rattachée par une ceinture, les bras et lesjambes nues, la chevelure longue et flottante formaient le costume desfemmes ; celui des hommes était une reproduction exacte de l’anciencostume castillan. On mettait à part les jeunes gens qui annonçaient dugénie, afin de les initier aux connaissances les plus élevées. Cesenfants d’élite s’appelaient lacongrégation. Voilà, sauf quelques détails insignifiants,quelles étaient ces Réductionssur le compte desquelles la philosophie du siècle dernier a fait courirtant de fables et fait peser tant d’accusations. Ne dirait-on pas, enlisant ces lignes, un chapitre emprunté à Fourier ou à tout autrephilosophe en vogue ? Plusieurs des principes du socialisme moderne ontété mis en action par les jésuites, témoignage évident de la facultéque possède encore le christianisme de se plier à toutes les exigencesdu progrès ! Aux Antilles à la Guyane, les missionnaires amélioraient le sort desnègres, en prêchant aux maîtres la douceur, aux esclaves larésignation. L’histoire de la fondation de la première église à Cayenneest un drame des plus touchants. Les catéchumènes se réunissaient dansun lieu appelé Kourou, où lepère Lombard avait établi sa case ; la bourgade s’accroissant tous lesjours, on songea à élever une église. L’entrepreneur demandait 1,500francs pour élever la cathédrale du désert. Pour payer cette sommeexorbitante, les Indiens s’engagèrent à creuser sept pirogues quel’architecte accepta sur le pied de 200 francs chacune ; pour compléterle reste, les femmes filèrent, vingt sauvages se firent esclavesvolontaires d’un colon, et un siècle plus tard, ceux qui avaientdétruit les églises en France, victimes à leur tour des réactionspolitiques, durent se trouver heureux, en débarquant à Cayenne,d’apercevoir un temple où il leur fût permis de pleurer et de serepentir. Au Canada, les missionnaires allaient chercher des alliés à la Francecontre l’Angleterre, au fond de toutes les solitudes. Les gouverneursanglais dépeignent les missionnaires comme leurs plus dangereux ennemis; en Chine, ils allaient porter à la cour céleste étonnée lesmerveilles scientifiques du grand siècle ; la plupart des jésuites quifurent en Chine, sous Louis XIV, étaient membres de l’Académie dessciences ; ils traduisaient et vulgarisaient les beaux livres, lesgrandes découvertes de cette époque, dans toutes les langues de l’Asie.Le christianisme avait été porté en Chine, vers le milieu du douzièmesiècle, par deux religieux de l’ordre de Saint-François, l’un Polonais,et l’autre Français. Marco Polo ne vint qu’après les deux moines. En1682, le père Ricci obtint des magistrats la permission de s’établir enChine. Très-habile mathématicien, Ricci, grâce à cette science, trouvades protecteurs puissants ; le père Adam Schall fut nommé ensuiteprésident du tribunal des mathématiques. Le père Verbiert refit lecalendrier. Les échanges entre Paris et Pékin étaient devenustrès-fréquents ; on se proposait des questions de l’Académie dessciences au collége des mandarins lettrés, et l’empereur de la Chinefaisait graver l’inscription suivante sur le fronton d’un monument desa capitale : « Il n’a point eu de commencement, et il n’aura pas defin ; il a produit toutes choses dès le commencement ; c’est lui quigouverne, et qui en est le véritable Seigneur ; c’est lui qui est leseul Dieu. » En même temps qu’ils s’occupaient de ces grands travaux, lesmissionnaires ne perdaient pas de vue les intérêts de la religion. Lapersécution, toujours prête à se glisser dans l’intervalle de deuxrègnes, les trouvait pleins de courage et de foi. Avec une rapiditémerveilleuse, le savant se métamorphosait en martyr. Si maintenant laChine nous est fermée, si le Canada a cessé d’être Français, si nous nedisputons plus à l’Angleterre l’empire des Indes, si notre influencen’est plus aussi grande qu’autrefois en Orient, faut-il attribuertoutes ces déchéances successives à la dispersion des jésuites ? Non,sans doute ; car une institution, quelle que soit d’ailleurs sa force,ne lutte pas toujours contre les événements, et si nous venonsd’énumérer avec une sorte de complaisance les efforts des missionnaireset l’influence que leur action a pu exercer sur l’Europe en général, etsur notre patrie en particulier, nous avons agi dans le but de rendrejustice à des hommes dont les vertus se sont exercées dans l’ombre, etqui ont laissé encore un assez grand nombre d’imitateurs parmi nous.Nous l’avons dit en commençant cet article, c’est un juste sujetd’orgueil pour la France d’avoir fourni le plus grand nombre demissionnaires, et de voir encore tous les ans sortir de son sein leshommes qui font éclater aux quatre points cardinaux les miracles desarts, de l’humanité et du courage ; car, il ne faut point s’y tromper,le rôle du missionnaire est tout aussi difficile, tout aussi important,tout aussi glorieux à notre époque qu’à celles de Louis XIV. Enracontant ce qu’était un missionnaire autrefois, nous avons dit cequ’il devait être encore aujourd’hui. Voies de simplicité, voies descience, voies de législation, voies d’héroïsme, le missionnaire doittout tenter, tout poursuivre, tout embrasser. Ceux qui liront cetarticle n’auront pas de peine à se convaincre que l’apostolat françaisest digne de son passé religieux, scientifique et politique. Depuis la suppression des jésuites, quatre associations religieusessont spécialement chargées de fournir des ouvriers à la vigne duSeigneur : la congrégation de Saint-Lazare, fondée par saint Vincent dePaul ; celle des religieux de Marie, établie à Lyon en 1837 ; celle dePicpus, et le séminaire des Missions-Étrangères. Les établissementslazaristes dans le Levant sont au nombre de quatorze, y compris unenouvelle mission établie à Nebk-el-Jabroud, et deux autres qui,abandonnées depuis soixante ans, ont été relevées, une à Segorta,l’autre à Éden. Un collége nouveau a été fondé à Constantinople, dansle faubourg de Péra. Cinq missions, comprenant cinq provinceschinoises, sont fondées en Chine. Le nombre total des missionnaireslazaristes dans le Levant, dans la Chine et en Tartarie, s’élève àsoixante-deux, et celui des frères à huit. Sur la fin du siècle dernier, M. l’abbé Coudrin conçut la pensée deformer un corps d’ecclésiastiques, destinés à ranimer la foi en Francepar le moyen de la prédication, et à propager l’Évangile par lesmissions chez les infidèles. En 1805, toujours occupé de ce grandprojet, il vint s’établir à Paris, dans une maison de la rue Picpus, oùavec quelques collaborateurs livrés à l’éducation de la jeunesse, ilattendit le moment favorable pour entrer dans la voie des missions. En1817, le pape Pie VII approuva la société par un décret, confirmédepuis par une bulle. En 1825, Léon XII, alors souverain pontife,chargea spécialement l’abbé Coudrin et ses frères du soin de porter leflambeau de la foi dans les îles Sandwich, où elle n’avait jamais étéannoncée. Le cercle de cette mission ne tarda pas à s’agrandir, etaujourd’hui elle comprend une grande partie des îles qui se trouvententre le continent oriental de l’Amérique et la Nouvelle-Hollande. Huitprêtres et six catéchistes sont chargés de l’administrer sous lajuridiction d’un vicaire apostolique ; un décret de la congrégation dela propagande, confirmé en 1833 par le pape, confia à la société dePicpus toutes les îles de l’océan Pacifique, tant septentrional queméridional, depuis l’île de Pâques jusqu’à l’archipel Roggeweininclusivement, et depuis les îles Sandwich jusqu’au tropiqueantarctique. La juridiction du préfet apostolique des îles Sandwich futétendue à toutes celles de l’Océan septentrional jusqu’à l’équateur. Unautre préfet apostolique devait être chargé de celles qui se trouventde l’équateur au tropique du Capricorne. Les missions de cette latitudesont confiées aux Maristes. La société de Picpus compte encore parmises membres un évêque à Smyrne, deux prêtres et un catéchiste, et deuxprêtres à Boston. La maison de Picpus renferme en ce moment près dequarante élèves qui se destinent aux missions d’outre-mer. Lacongrégation est placée sous l’invocation des cœurs de Jésus et deMarie ; le centre de la congrégation, à l’extérieur, est situé àValparaiso, où les missionnaires dirigent un collége d’indigènes. Les Missions Étrangères, fondées en 1663, comptent maintenant dans leursein cinquante-quatre missionnaires, huit évêques, trois vicairesapostoliques, trois coadjuteurs, cent cinquante prêtres indigènes.Chaque missionnaire, depuis son entrée dans la maison jusqu’à sonarrivée dans la mission qui lui est assignée, coûte au moins 5,000francs. Depuis 1830 les Missions Étrangères ont fait partir plus detrente prêtres, et elles comptent en ce moment quatorze élèves dansleur séminaire. Chaque missionnaire reçoit environ un viatique annuelde 100 piastres, et les évêques 200, et c’est là en général leur uniqueressource. Le peu de casuel que produisent les chrétientés est laisséaux prêtres indigènes qui ne reçoivent point de viatique, et une partiesert aussi à l’entretien des colléges et des catéchistes, et autrespersonnes attachées au culte. Chaque année on envoie aux différentesmissions pour 3 ou 4,000 francs de livres d’église, de religion, depiété et beaucoup de livres classiques. Les Missions Étrangèresentretiennent un séminaire d’indigènes à Pulo-Pinang, et une Maison deprocure à Macao. Les Lazaristes ont également une maison de procure, etde plus un séminaire pour les indigènes dans cette dernière ville. L’éducation du missionnaire se divise en deux parties bien distinctes :celle qui a rapport aux devoirs généraux de la prêtrise, et celle quiconcerne les fonctions spéciales auxquelles il est destiné : c’est decelle-ci seulement que nous avons à nous occuper. Ce qu’on réclameavant tout chez le missionnaire, c’est la vocation : on conçoit eneffet que le raisonnement, l’habitude, l’influence d’une règle commune,soient insuffisants pour retenir un homme dans la voie qu’il a choisie,lorsque cette voie peut aboutir à chaque instant au martyre. On neraisonne pas contre la crainte de la mort, on ne s’habitue pas auxsouffrances, à la faim, au froid, à la chaleur, à la soif, en un mot, àtoutes les tortures ; une grande partie de l’existence du missionnaires’écoule loin de ses confrères, rarement il a autour de lui leursexemples pour le fortifier, il meurt loin de tout regard ami au milieudes bois, dans les embûches des sauvages, au fond des fleuves inconnus.Le trépas au milieu d’une place publique ne le sauve pas toujours del’oubli ; plusieurs missionnaires ont été successivement décapités dansdes villes importantes de la Chine, et l’on n’a appris leur mort quebien des années après leur supplice. Le missionnaire renonce au mondebien plus complétement que les moines des ordres les plus sévères ;c’est une espèce de trappiste errant, obligé de se dire sans cesse àlui-même : « Il faut mourir ! » Ceux qui ne se sentent pasirrésistiblement entraînés vers ce terrible sacerdoce, ceux qui dèsleur jeunesse n’ont pas senti ce désir immense de vérité qui fait lesmartyrs, ceux qui n’ont pas poursuivi dans leurs rêves les splendeursde la cité céleste comme d’autres poursuivent l’ambition, la gloire, oul’amour, ceux-là feront sagement de ne point se jeter plus tard dansles labeurs des missions. On naît missionnaire, comme on naîtconquérant ; entre les deux, la vocation est la même, le but seul estdifférent ; les uns veulent régner, les autres cherchent à bien mourir; ceux-là poursuivent la renommée passagère, ceux-ci s’enquièrent de lagloire qui ne passe pas. Aussi les sages instituteurs des jeunesmissionnaires doivent-ils répugner à admettre dans leurs rangs ceux queles chagrins de famille, les désillusions de l’âge, les fautes et lesremords secrets jettent dans la vie religieuse, afin de s’y reposer oude se repentir. Le silence du cloître est fait pour ces âmes blessées,l’activité de la vie des missionnaires réclame des cœurs jeunes, desimaginations vierges, des intelligences pures, de ces organisationsenfin qui condamnent le monde sans l’avoir vu, et qui ne veulent pas levoir parce que leurs yeux sont à tout jamais éblouis par des clartéssupérieures. Ce que nous disons ici souffre nécessairement desexceptions, et l’on pourrait en citer peut-être d’éclatantes, mais quiauraient le sort de toutes les exceptions et ne feraient que confirmerla règle. La majorité des missionnaires se compose de jeunes gens quiarrivent de leurs villages, avec l’idée exclusive de sanctifier leurvie en la consacrant à la propagation de la foi. On en voitquelques-uns qui, sortis d’une famille riche, ou instruits dans uneprofession libérale, s’arrêtent, pour ainsi dire, sur le seuil de lafortune ou de la renommée pour entrer dans les rangs obscurs de lamilice catholique, apportant ainsi à leurs supérieurs un certificatplus authentique, et même irréfragable de leur vocation. Chez lesLazaristes, comme chez les religieux de Picpus, comme aux MissionsÉtrangères, la division générale des études doit être à peu près lamême, sauf les conditions de pays. Une grande science et de grandstalents sont très-utiles sans doute à un missionnaire, mais ces deuxchoses ne sont pas absolument nécessaires. Le degré de scienceindispensable à un bon prêtre doit suffire à tout missionnaire pourvuqu’il y joigne un esprit docile, une piété fondée sur l’humilité,l’amour de la prière, un zèle actif et prudent, un caractère constant,sociable, ferme sans entêtement. Un homme attaché à ses idées, et quiles préférerait aux avis de ses supérieurs, qui, poussé par uneindividualité trop prononcée, refuserait de se conformer aux règlementset aux usages d’une mission, y serait très-dangereux, quelque talent etquelque science qu’il pût avoir. Ce sont ces considérations généralesqui président à l’éducation et au choix des missionnaires : lecaractère d’abord, puis l’intelligence. Le moment est arrivé où le jeune néophyte est ordonné prêtre ; souventil se fait que cette cérémonie n’a pu avoir lieu en France ; alorsl’ordination a lieu dans la mission à laquelle il est destiné : c’estcomme si on l’envoyait conquérir la prêtrise au milieu des infidèles.Cette fois, le sujet a reçu en France l’onction sainte ; ses supérieurslui ont donné pour destination les missions du Levant. Il s’embarque àMarseille ; quelquefois l’Etat lui offre un passage gratuit sur sesnavires, sinon il faut qu’il compte sur ses seules ressources. Il ditun adieu mental à sa famille, à ses amis, à sa patrie, que l’on aimeencore même lorsque le cœur est plein de Dieu. S’il veut, il ne tientqu’à lui de commencer sa mission sur le bâtiment même qui le porte. Lesmatelots, malgré leur réputation de dévotion, sont rarement en règleavec l’Église. Les uns ont des enfants qu’ils oublient régulièrement defaire baptiser à chaque traversée, les autres vivent en concubinage ;les parents du mousse ont négligé de lui faire faire sa premièrecommunion, sous prétexte qu’il était aux Antilles lorsque l’âge deremplir cette sainte formalité est arrivé ; voici bientôt deux ans quele capitaine ne s’est point approché de la sainte table, quoiqu’àchaque voyage il ne manque pas de suspendre un riche ex-voto à l’autel de la madone deson pays. Le missionnaire, moitié par la persuasion, moitié par lebavardage des matelots parvient à se rendre maître de tous ces petitssecrets ; la confession lui en livre aussi une partie : alors ilprêche, il encourage, il menace même quelquefois, et lorsqu’ildébarque, il est rare que les enfants ne soient pas baptisés, que lemariage clandestin ne soit pas consacré, et que le mousse ne fasse passa première communion. Quand il met le pied dans le collége de samaison, le jeune prêtre a déjà rempli les fonctions de son ministère.C’est un apprentissage qu’il a fait, et qu’il va compléter chez lesinfidèles. Maintenant, dans quelle partie de l’Orient sera-t-il envoyé? Ira-t-il lutter contre les hérésies de la Perse, rattacher à l’unitécatholique les Grecs égarés, ou ramener les chrétiens dégénérés del’Arabie à la connaissance des vérités de la religion ? Quel que soitle choix du supérieur, les dangers seront toujours les mêmes pour lui ;du reste, tôt ou tard il est certain d’être appelé à remplirsuccessivement toutes ces missions importantes ; aujourd’hui dans lesruines des couvents de l’Arménie, demain dans les chapelles des Grecsschismatiques, sous la tente des Druses ou des Métualis, la vie dumissionnaire est un voyage qui n’a d’autre relais que la mort. Pour avoir une idée exacte de la condition d’un missionnaire dans leLevant, il faut le suivre dans ses courses lointaines. La Syrie est lepays où les missions sont les plus dangereuses, parce qu’au milieu detoutes les religions qui fourmillent sur ce sol antique, la plusrépandue de toutes est le vol. Traverser le désert n’a jamais été chosefacile pour un Européen, même avec le costume et en connaissant lalangue du pays. Le seul moyen d’atténuer le danger est d’éviter toutcontact avec les indigènes. Mais les missionnaires n’ont pas cetteressource. S’ils trouvent un malade sur leur chemin, il faut qu’ils leguérissent ; s’ils rencontrent un affligé, il faut qu’ils le consolent.Tous les malheureux sont leurs frères, tous les idolâtres leursenfants. Dans certains districts de la Syrie les musulmans viventconfondus avec les chrétiens. La misère de ces derniers est immense ;mal vêtus, couchant en plein air, à peine nourris, ils sont la proied’épidémies éternelles. Si les bagnes pestiférés des chrétiensn’existent plus à Constantinople, le missionnaire est sûr de lesretrouver dans une foule de bourgades de l’Orient. La plupart de cesbourgades sont cependant des évêchés. La cathédrale est une chambre dequelques pieds carrés, dont le toit est toujours à demi défoncé ; lesmurs sont dégradés et entièrement nus ; une niche pratiquée dans lamuraille sert d’autel, un chandelier et une image de bois en font toutl’ornement. Souvent il arrive que le vin nécessaire à la célébration dela sainte messe vient à manquer, alors le culte est interrompu jusqu’àce que, sur la répartition des fonds de l’œuvre de la propagation, onpuisse prélever, sur la somme qui revient à la petite église, l’argentnécessaire à l’achat du précieux liquide. Le palais de l’évêque est unemasure en ruines, quelquefois une tente en poil de chameau ; sontroupeau, trois ou quatre cents individus, spectres de la misère et dela famine. Ce sont pourtant là les dignités qui attendent lesmissionnaires, et les plus hautes récompenses réservées à leurs travaux! Soit qu’ils prêchent la foi aux Melchites, c’est-à-dire aux catholiquesignorants, soit qu’ils cherchent à faire luire la vérité aux yeux desDruses systématiques, les missionnaires actuels ne perdent jamais devue les choses de la science. De ce côté, comme de tous les autres, iln’y a pas décadence. La lecture des Annalesde la Propagation de la foi est indispensable après celle des Lettres édifiantes. C’est la mêmeprofondeur unie à la même simplicité. Ce recueil mérite de figurer danstoutes les bibliothèques, et si nous n’étions renfermés dans des bornestrop étroites, nous citerions quelques fragments des missionnairesmodernes, qui sont des modèles de style, d’éloquence et de clarté. Les ennemis les plus redoutables des missionnaires en Orient sont lesAnsariens, qui ne reconnaissent point de Dieu dans le ciel, et quiadorent ce qu’il y a de plus honteux sur la terre. Ils semblentdescendus de ce Vieux de la Montagne, dont la mystérieuse histoires’est perpétuée jusqu’à nous. Viennent ensuite les Druses, qui n’osentavouer leur religion, et qui en font un secret impénétrable. Ils ont unmot d’ordre, et celui qui le trahirait échapperait difficilement ausabre de ses frères. On croit savoir, néanmoins, qu’ils adorent le veaucomme symbole de leur obscène divinité ; qu’ils nient l’existence d’unDieu spirituel, bon et pur ; qu’ils regardent comme permis tout cequ’ils peuvent cacher, et qu’ils admettent la métempsycose. Cependantils croient à un esprit supérieur qu’ils nomment de divers noms, et quiest censé avoir vivifié successivement plusieurs personnages. Au reste,les Druses nient extérieurement toutes ces choses, ils se disent Turcsde la secte d’Ali. On dit que les chefs druses (ceux qu’on appellesages pour les distinguer des autres qu’on nomme ignorants), voyant queleur secret commence à se trahir, ont tenu, il n’y a pas longtemps, uneassemblée, et ont pris de nouvelles et plus terribles dispositions pourempêcher la publication de leurs mystères. Cette publication, elle aura lieu tôt ou tard, et c’est auxmissionnaires qu’on le devra, car rien ne leur coûte pour arriver à cerésultat. Les erreurs ne sont dangereuses que lorsqu’elles sontsecrètes. Les Druses une fois dévoilés, le catholicisme en Orientperdra un de ses adversaires les plus tenaces, car ce sont surtout lessectes qui s’opposent avec le plus de violence à l’établissement de lavérité. Tous les moyens leur semblent bons pour maintenir leurinfluence, même l’assassinat. Les missionnaires en savent quelquechose. Dieu, du reste, semble bénir les travaux de ces hommes dévoués,dans cette contrée qui fut autrefois témoin de sa puissance. En 1836,seize familles turques ont reçu le baptême dans le Mont-Liban, etdepuis, le nombre des néophytes n’a fait que s’accroître. A Damas, onne pouvait pas trouver, il y a quelques années, un seul ouvrier quivoulût mettre la main aux travaux de réparation de l’église chrétienne; ceux qu’on avait envoyé chercher ailleurs à prix d’argent avaientsoin de frapper les pierres plutôt avec le manche qu’avec le marteau,de peur d’éveiller les voisins. Dernièrement on a pu travailler au mêmeobjet sans prendre la moindre précaution. Les missionnaires ont à Damasune école de filles, mais il faudra longtemps encore avant que l’églisesoit nombreuse : l’opprobre que le paganisme et l’islamisme font pesersur le sexe le plus faible subsiste encore aujourd’hui parmi leschrétiens ignorants de ce pays ; ils ne peuvent croire leurs fillesdignes des honneurs, et surtout des dépenses d’une bonne éducation. Lesmissionnaires luttent de toutes leurs forces contre ce préjugé, car ilssavent que l’émancipation de la femme est une des plus belles conquêtesdu christianisme et un des moyens les plus sûrs et les plus moraux debattre en brèche les erreurs des croyances rivales. L’école des garçons de Damas dépasse cent élèves. Les Turcs commencentnon-seulement à se refroidir dans leur fanatisme, mais encore àphilosopher : bon nombre parlent aujourd’hui de Mahomet comme on enparlerait en Europe. Un de ces nouveaux sages a envoyé son fils àl’école des missionnaires, pour qu’ils le fissent entrer plus tard dansles ordres sacrés. Les chrétiens hérétiques mettent aussi leurs enfantsà ces écoles, et c’est là un grand sujet de joie et d’espérance pour lareligion. Les hérésiarques ne se tiennent pas cependant pour battus, etle patriarche des schismatiques a prononcé l’excommunication contreceux qui viendraient s’asseoir sur les bancs des missionnaires. C’estainsi qu’agissent encore ces Grecs disputeurs qui si longtempslassèrent l’Église par leurs vaines prétentions et les sophismes deleur fausse théologie, et qui semblent vouloir la désespéreraujourd’hui par leur orgueilleuse obstination. C’est surtout en Perse que cette triste vérité est flagrante, etqu’elle appelle l’attention des missionnaires qui ont dévoué leur vie àla combattre. Nestorius et Eutichès, condamnés par l’Église et parl’état, se réfugièrent en Perse avec leurs sectaires. Les rois de cepays les accueillirent favorablement, persuadés qu’ils auraient dansces exilés des ennemis irréconciliables des empereurs grecs, auxquelsils avaient juré une guerre éternelle. Au sixième siècle, l’erreurdominait dans toute la Perse. Elle y fleurit jusqu’au jour où lesconquérants musulmans firent main basse sur tout ce qui portaitl’empreinte de la religion chrétienne. A la suite de plusieursrévolutions qui sortent de notre sujet, vers le milieu du seizièmesiècle, un roi nommé Schah-Abbas transplanta à Iulfa, un des faubourgsd’Ispahan, un nombre considérable d’Arméniens dont la plus grandepartie était hérétique ; le reste se composait de catholiques dont leséglises étaient desservies par des missionnaires jésuites etdominicains envoyés par le saint-siége. De nouvelles perturbationsamenèrent la ruine de Iulfa, les Arméniens se dispersèrent dans toutel’étendue de l’Empire ; à peine quelques maisons de catholiquesrestèrent debout, et la mission fut abandonnée. En 1824, la mission fut reprise par un religieux du Mont-Liban. Ils’établit à Théran, où le commerce appelle dans le courant de l’annéeun assez grand nombre de négociants catholiques. Mais de là il luiétait impossible de rayonner sur les autres catholiques, etprincipalement sur les Chaldéens, les plus malheureux chrétiens duglobe, à cause de leur pauvreté et des avanies dont les accablent lesmusulmans. A défaut d’argent qu’il est impossible de leur extorquer, onles accable de coups, on leur enlève leurs femmes, leurs enfants, et onles réduit au plus honteux esclavage. Jamais moisson plus belle, on levoit, ne s’offrit aux missionnaires : d’une part des schismatiques àvaincre, de l’autre des opprimés à secourir ; tout se trouvait réunipour enflammer le courage des prêtres. Aussi bientôt les catholiquesvirent-ils l’ange de la consolation et de la prière s’asseoir denouveau à leur chevet abandonné. Pendant que la religion essayait de serelever triomphante, le schisme cherchait à l’abattre de nouveau, et leschisme est puissant en Perse. Les schismatiques riches occupant desfonctions publiques ont la lâcheté de persécuter leurs frèresmalheureux. Les missionnaires pénétrèrent de nouveau en Perse en 1837,au milieu des dangers d’une guerre entre les Russes et les Persans ;les Arméniens les dénoncèrent. Jetés en prison, traités comme espions,puis exilés, ils errèrent pendant plusieurs mois dans les montagnes,sans autre nourriture que l’herbe sauvage. Enfin ils parvinrent àIspahan, où l’autorité persane les mit en possession des ancienneséglises. Alors il fallut expliquer la religion catholique à peu prèsoubliée par les chrétiens orthodoxes. Dévoués à cette tâche, lesmissionnaires l’accomplirent heureusement : l’autorité de l’Égliseromaine était bénie et aimée, lorsque les Arméniens essayèrent encorede s’opposer à ses progrès ; mais leurs efforts restèrent sansrésultat, le gouvernement refusa non-seulement d’écouter les délateurs,mais encore il les punit. Depuis cette époque, les prêtresschismatiques et leurs vertabeds (docteurs suppléants) ont pris uneautre voie, ils ameutent le peuple contre les catholiques. Si un hommeconvaincu de la vraie foi a envie de se convertir, aussitôt il estcirconvenu par les prêtres, qui mettent tout en œuvre pour le détournerde son projet. Ils éloignent la foule des catéchumènes catholiques, etsavent arrêter l’heureux entraînement des bons exemples. D’ailleurs, aumilieu de cette population désolée par la guerre, par le choléra, parses despotes, les esprits sont bien plus occupés du soin de se procurerle pain du jour que de celui d’écouter la parole sainte. C’est donc làvraiment une terre d’affliction : toutefois les missionnaires quil’habitent sont heureux, disent-ils, d’y être venus. La conquête dequelques âmes les console, quelques réformes dans les désordres inouïsqui régnaient parmi les Arméniens les encouragent ; la propagation dunom catholique les réjouit. Outre les secours spirituels, cette missiona répandu encore une foule de bienfaits matériels. Beaucoup demarchands étrangers, même des Turcs, ont trouvé asile et sûreté auprèsdes missionnaires, tant pour leurs personnes que pour leurs biens. Or,dans un pays où le prix des choses nécessaires est plus élevé qu’àParis, où il faut faire venir d’Ispahan des soldats de police, soitpour se défendre contre les agressions des schismatiques, soit pour laréparation des bâtiments et des églises en ruines, où il faut encoresoutenir par des aumônes fréquentes une population réduite à la plusaffreuse misère, savez-vous ce que dépensent les deux missionnaires ?5,000 piastres par an. Il est vrai qu’ils se nourrissent comme les pluspauvres des pauvres confiés à leurs soins. Malgré un si granddévouement, il est à craindre cependant que les missionnairesn’arrivent jamais au but principal qu’ils se proposent, la rentrée duschisme arménien dans le giron de l’Église. Un intérêt politique s’yoppose, celui de la Russie. Elle cherche à établir son influencepolitique dans ces contrées au moyen de la religion. La conformité descroyances est un lieu puissant entre les Russes et les Arméniens, etc’est sur eux que compte le czar pour asseoir sa domination sur toutela Perse. Ce ne seront pas deux pauvres missionnaires livrés à leurspropres ressources qui empêcheront ce résultat. Nous n’avons fait qu’entrevoir un des côtés du caractère dumissionnaire, et déjà son importance nous effraie. Cet homme que nousvenons de rencontrer sous la tente de l’Arabe, dans les églisesabandonnées d’Ispahan, guérissant les malades, fortifiant les faibles,dissipant l’ignorance, combattant l’hérésie, il faut maintenantl’accompagner au pays de Brahma, au cœur même de l’Inde ; il vient dequitter la robe noire pour revêtir l’habit du pénitent indien ; ils’assujettit à ses usages, se soumet à toutes ses austérités. Ce n’estplus un prêtre chrétien, c’est le plus rigide des bonzes. C’est grâce aussi à une fraude pieuse qu’après saint François Xavierd’autres missionnaires purent s’introduire dans l’intérieur du pays etcontinuer l’œuvre de leur illustre maître. Ces missionnairess’annoncèrent comme des brahmes européens, venus d’un pays éloigné decinq mille lieues, pour profiter des connaissances des brahmes del’Inde et leur communiquer les leurs. L’instruction astronomique et lesnotions en médecine que possédaient presque tous ces premiersmissionnaires contribuèrent à leur attirer la confiance et le respectdes naturels de toutes les castes. Les talents, les vertus et leparfait désintéressement de ces ouvriers apostoliques les rendirentagréables aux princes du pays, qui leur donnèrent pleine liberté deprêcher leur religion et de faire des prosélytes. Le christianismepouvait donc compter sur une récolte abondante, lorsque desvicissitudes historiques, la suppression des jésuites, la mauvaisedirection prise par les chrétiens, qui, privés pendant longtemps deguides spirituels, donnèrent toutes sortes de mauvais exemples ; lesguerres, la haine de la conquête, ont fait décroître successivement lenombre des catholiques au tiers de ce qu’il était il y a quatre-vingtsans. Aujourd’hui, un homme qui embrasse le christianisme rentre dansune condition pire que celle du paria : le mari abandonne sa femme, lamère son enfant, le frère sa sœur. Cependant ce mépris n’est point lerésultat d’une haine contre le christianisme considéré en lui-même,mais seulement le produit des causes accidentelles que nous venonsd’énumérer. Quoique les Indiens aient en horreur tout ce qui n’est pasdans leurs usages, l’habitude et de constantes vertus auraient pu lesrendre à la longue accessibles à la vérité. Ainsi, quand unmissionnaire passe aujourd’hui dans un village et que les habitantschrétiens viennent le prier de bénir leur maison, il n’est pas rare devoir un indigène lui demander la même faveur. Il y a des missions françaises à Pondichéri, à Karikal, dans lesroyaumes de Pégu et d’Ava, dans l’île de Ceylan, et dans une foule depetites localités de l’Inde. Là, comme presque partout, lesmissionnaires ont beaucoup à souffrir des persécutions musulmanes ; lesMaures sont surtout des ennemis très-dangereux, le moindre prétextesuffit à ces gens grossiers pour se porter aux plus grands excès àl’égard des chrétiens. Il y a quelque temps, des hommes payésattachèrent un petit cochon suspendu à une croix devant la mosquée desMaures ; le lendemain, les musulmans n’eurent rien de plus pressé qued’accuser les chrétiens de cet outrage, ils fondirent sur leur église,envahirent l’humble demeure du missionnaire, dont ils avaient juré decouper la tête ou de manger du cochon, animal dont ils ont une horreurinexprimable. Le prêtre échappa comme par miracle à la fureur de cesforcenés : pendant trois mois il fut obligé de se cacher ; mais unjour, ayant voulu accompagner le corps d’un Européen au cimetière, ilmourut d’un coup de bâton à la tempe, de la main d’un Maure. Les deuxfunérailles se firent à la fois. Les brahmes se montrent plus tolérants ; ils discutent même quelquefoisavec les prêtres chrétiens. Cela serait d’un augure favorable s’ilsuffisait de convaincre l’esprit seulement ; mais dans des questions dece genre, il faut, pour obtenir un résultat favorable, changer ettoucher le cœur ; or, c’est la grâce seule qui peut le faire. Lesmissionnaires protestants, qui sont fort nombreux dans l’Inde,paraissent fort peu pénétrés de cette vérité. C’est là, sans doute, lacause principale de l’inutilité de leurs efforts, comme nous auronsl’occasion de le démontrer plus tard. L’espèce d’anathème qui frappe àtout jamais le chrétien converti est un grand obstacle à la propagationde la foi dans l’Inde. Expulsé de toutes les castes, sans famille, sansfortune, sans asile même, le néophyte tombe nécessairement à la chargedes missionnaires qui ont à peine les choses les plus nécessaires à lavie ; les Indous, qui ont généralement une assez forte dose de bonsens, se rendent parfaitement compte de cette triste alternative. Onrencontre des gentils qui, par leurs relations avec les chrétiens,connaissent leur religion et l’aiment ; mais lorsque le missionnaireles engage à faire le premier pas et à recevoir le baptême, ilsrépondent : « Quand nous serons chassés de notre caste, qui nousdonnera du riz ? » Ces difficultés, d’une si grande importance, ne découragent pascependant les missionnaires. Dans ce pays, où la piété religieuseconsiste à se faire écraser sous les roues d’un char, où l’amour seprouve en montant sur un bûcher allumé, où toutes les superstitionssont autorisées par la théologie, où les esprits sont corrompus par lesfictions de la plus compliquée de toutes les mythologies, jugez dequelle constance, de quelle finesse, de quelle fermeté doit être douéle missionnaire. Aujourd’hui, il s’introduit dans une cabane delaboureurs et se fait passer pour un individu de leur caste ; demain,il pénètre dans un couvent de brahmes, et leur parle de Wishnou commele plus savant des prêtres des pagodes les plus renommées ; il fautqu’il connaisse non-seulement le nombre et la qualité des alimentsdéfendus, l’heure à laquelle on doit faire ses ablutions, en un mot,les cent mille pratiques du rituel indou, mais encore les difficultéset les détours de la langue littéraire. Il y a beaucoup de savants,richement pensionnés, qui ne possèdent pas le tiers des connaissancesd’un obscur missionnaire, qui marche à travers les forêts de l’Inde,son bambou à la main. Voyez-le s’avancer à travers les rizièresmonotones, les pieds nus, le front en nage, cet homme qui pourrait êtretranquillement assis dans un fauteuil de l’Académie des sciences ; lescaïmans sifflent dans les roseaux de cette rivière qu’il va être obligéde traverser à la nage ; les tigres l’attendent au milieu de cesjungles qui lui barrent le passage ; il n’a qu’une poignée de rizrenfermée dans un sac de toile, et s’il rencontre quelque derviche, illa partagera avec lui. Est-ce la soif du gain qui lui fait affrontertous ces dangers, va-t-il chercher la poudre d’or, les dentsd’éléphants ou les tissus du Thibet ? Hélas ! cet humble missionnaire aentrepris un voyage de trois cents lieues pour baptiser quelquesadultes sur sa route, et porter les secours de sa religion à unevingtaine de chrétiens perdus dans l’intérieur des terres. Arrêtons ici nos éloges, car nous touchons au moment où nous en auronsle plus besoin. Nous voici sur les confins de la persécution. Jusqu’àprésent, les souffrances endurées par le missionnaire ne sont rien encomparaison de celles qui l’attendent. Qu’il prenne à la main son bâtonle plus noueux, qu’il ceigne ses reins de sa ceinture la plus forte,qu’il prépare son plus beau cantique d’actions de grâces. Hosannah !voici le martyre ! Le royaume de Siam, si voisin de l’Inde, renferme plusieurs missions,dont la principale est établie à Bang-Kok, capitale du pays. Bang-Kokest un évêché. Le palais épiscopal est le repaire des rats, deslézards, des fourmis, des scorpions, des mille-pieds. Une petitebaraque en bambous, deux planches et une natte par-dessus pour secoucher, voilà la demeure d’un missionnaire. A peine arrivé, le jeuneprêtre s’enferme dans le quartier des chrétiens siamois, et là iltravaille nuit et jour à étudier la langue. Quand il peut s’arracherpendant quelques instants à cette étude, et quand il est assez fortpour les entendre, il faut qu’il juge les différends entre leschrétiens, qu’il console l’un, réprimande l’autre, rétablisse la paixpartout. Puis de continuelles visites ; si un chrétien n’a rien àfaire, ce qui arrive souvent, il vient voir le père : il faut causeravec lui. Dit-on qu’on est occupé, il s’en retourne mécontent. Combiende fois le missionnaire n’est-il pas obligé de fermer sa porte, aimantmieux étouffer de chaleur que de perdre son temps en causeries inutiles! La capitale de Siam est une Babel pour les langues, une Babylone pourles mœurs. Le peuple qui l’habite est peut-être le peuple le plusfainéant, le plus apathique de tous les peuples ; si la paresse est lamère de tous les vices, combien doit-il être difficile de lui faireembrasser une religion d’ordre et de sacrifices ! l’usure ruine lepays, ceux qui sont obligés de recourir à des emprunts sont bientôtréduits à la dernière des misères. Quand le débiteur ne peut payer, ildevient esclave. Plus de cent fidèles de la chrétienté de Siam sonttombés de cette manière entre les mains des païens, un assez grandnombre sont toujours menacés de subir le même sort, et il estimpossible aux missionnaires de les secourir. Ce doit être sanscontredit une des plus grandes douleurs de l’apostolat siamois, que devoir autour de lui des esclaves, et des esclaves chrétiens, sanspouvoir les racheter. C’est un supplice de tous les instants, dont lapensée même est des plus pénibles. Les missions de Siam se divisent en plusieurs stations : la premièreest Chantabun, où l’on compteenviron sept cent soixante chrétiens, plus un couvent de dix-huitfemmes, qui ont prononcé leurs vœux sous le nom d’amantes de la Croix. Pour pourvoir à leursubsistance, elles confectionnent des nattes de koi, et des filets pour la pêche. La seconde station est celle de Syncapour,qui renferme quatre cent cinquante chrétiens ; la troisième, Pulo-Pynang, qui en contient plusde deux mille ; la quatrième, Taujou,où il y a un hospice pour les orphelines. La capitale de Siam, Bang-Kok compte en outre cinq stations :Sainte-Croix, Camboge, Saint-François-Xavier, le Calvaire etl’Assomption. Les missionnaires, avec les faibles ressources qui leursont allouées, administrent toutes ces stations, entretiennent unséminaire pour les prêtres indigènes, des écoles des deux sexes, descouvents, et même des hôpitaux, où l’on reçoit les plus malheureuxd’entre les idolâtres. Les chrétiens ne portent jamais devant les jugespaïens les différends qu’ils peuvent avoir entre eux : un petit conseildes anciens, dans lequel entrent quelques catéchistes, prendconnaissance des causes, et les juge. Le missionnaire intervient commecour de cassation. Ainsi donc, étudiant, linguiste, pédagogue,infirmier, législateur, le missionnaire doit être tout cela à la fois,et sans nuire cependant aux devoirs habituels de son ministère. Quelleactivité peut être comparée à celle-là ! Pour se faire une idée du clergé contre lequel les missionnaires sontappelés à lutter, il suffira de dire que les talapoins, ou prêtressiamois, enseignent que leur mérite, et celui de ceux qui fontl’aumône, augmente en proportion de la quantité d’aliments que prend letalapoin ; aussi se gorgent-ils de viande pour acquérir ce prétendumérite : on voit les chefs des pagodes, après avoir dévoré un boisseaude riz, des fruits, du porc, toutes sortes de denrées, se fairecomprimer le ventre par leurs disciples afin de pouvoir mangerdavantage. Un homme raisonnable ne pourrait jamais croire qu’une sibrutale gloutonnerie pût être mise au rang des premières vertus, s’ilne le voyait de ses propres yeux : ce qu’il y a de plus inconvenableencore, c’est l’aveuglement des infidèles, qui ne donnent d’autrepreuve de la divinité de leurs talapoins que leur insatiable voracité.« Comment, répondait un Siamois à un missionnaire, nos talapoins neseraient-ils pas dieux, puisqu’ils mangent tant ? » Cette réponse peutjeter de vives lumières sur l’état de la civilisation dans cette partiede l’Asie. Depuis longtemps les chrétiens de Siam n’ont pas été persécutés ; iln’en est pas de même en Cochinchine, dans le Tong-King et en Corée ; lapersécution est là plus terrible, plus ardente, plus implacable quejamais. Par l’ordre des mandarins la croix a été placée aux portes dechaque ville, afin que les entrants et les sortants la foulent auxpieds. Le roi qui gouverne ces contrées est le digne continuateur deces empereurs romains qui nourrissaient des tigres avec le sang deschrétiens. A la prise d’une ville, dans laquelle il restait environdeux mille âmes, il fit fendre le corps en quatre à tous lesprisonniers ; dernièrement il a massacré sa femme de sa propre main, etfait mettre à mort son propre fils, parce qu’il était inconsolable dela perte de sa mère. Les chrétiens anamites ont aussi leur Néron. De même que la lecture de la Vie des Saints et du Martyrologe est lemeilleur moyen de prendre une idée exacte de l’état des mœurs et ducaractère des prêtres pendant les premiers siècles de l’Église, il nousa semblé que, pour donner des notions aussi complètes que possible surles fonctions du missionnaire en Asie, et sur la position des fidèlesdans ces régions éloignées, il suffirait de mettre sous les yeux dulecteur le récit complet du martyre du père Cornay, missionnaireapostolique, qui sera pour nous comme le résumé général dessouffrances, des vertus, des malheurs et de l’héroïsme de ses frères. Le 20 juin, à la pointe du jour, un laboureur, plus matinal que lesautres, vit le bourg de Ban-No (c’est le nom du lieu où le père Cornays’était réfugié pendant la persécution) envahi par des soldats ;aussitôt il vient annoncer cette triste nouvelle, et deux morceaux d’unbambou, entr’ouvert à son extrémité, font entendre leur bruit sinistreen frappant l’un contre l’autre ; cette espèce de crecelle, qui sert decloche aux chrétiens cochinchinois, jette partout l’alarme ; mais iln’était plus temps, le mandarin militaire avait fait cerner le village.A l’instant où on vint l’avertir, le missionnaire partait pour célébrerla messe ; mais comme il n’y avait pas une minute à perdre, un chrétienle conduisit sous un épais buisson. Il fut obligé de rester là aumilieu du quartier général des soldats, dont il entendait les moindresparoles ; toutefois, entouré de haies comme il était, on ne pouvait nil’apercevoir ni l’atteindre. Le chef de l’expédition voulait à toute force faire une riche capture,ou extorquer de l’argent aux habitants. Il fait saisir leprincipal habitant qui était chrétien, et le fit cruellement battre deverges. Vaincu par la douleur, celui-ci finit par découvrir l’asile dupère. Il fut donc pris et conduit devant le mandarin, garrotté avec deslianes ; pour lui enlever la possibilité de s’évader, on le mit à lacangue ; cet instrument n’est point au Tong-King semblable à celui dela Chine : la cangue tong-kinquoise n’est point une large table carréequi ôte toute communication des bras à la tête, ce sont simplement deuxlongs morceaux de bois liés par quatre tringles, dont deux resserrentle cou, et deux unissent les extrémités. Le père Cornay, quoique captif, avait le visage riant ; il se mit àchanter dans un livre de plain-chant, ce qui divertit fort les soldats,peu accoutumés à ces airs si différents des leurs. Pendant ce temps levillage était mis au pillage. La nuit vint, pour prendre un peu derepos, il appuya sa cangue à terre, un bout relevé sur un tertre, afinde rejeter son bras par-dessus, mais il ne put dormir, et au lieu de selivrer aux réflexions que devait lui suggérer son sort, nous lisonsdans ses lettres des réflexions fort touchantes sur la rigueur de ladiscipline militaire. « Au plus petit signe du commandant on les jetteà terre, dit-il, en parlant des soldats, et là on les frappe jusqu’à cequ’il dise : Assez ! » Celui qui va subir les tortures s’apitoie sur unsoldat qui reçoit quelques coups de fouet ! Plus loin il ajoute : « Iciles factionnaires ne changent pas d’heure en heure comme en France ;les sentinelles veillent toute la nuit sans être relevées. Un grostambour est suspendu sur un piquet, on en frappe de temps en temps uncoup, et tous les postes répondent en frappant aussi en cadence deuxpetits bâtons sonores, et en tirant quelques sons d’un instrument àcordes. » Ne dirait-on pas un voyageur qui écrit ses mémoirestranquillement assis au coin de son feu ? Le lendemain le missionnaire fut délivré de la cangue et enfermé dansune cage, dans laquelle il pouvait s’étendre, et se mettre à l’abri descoups qu’on distribuait à tout venant. Dans cet intervalle lesofficiers examinèrent les effets saisis, ils accordèrent aux instancesdu prêtre six volumes qui se trouvaient devant lui. Interrogé sur leurusage, il répondit que c’étaient des livres de prière, et qu’il s’enservirait pour prier pour eux. Là-dessus, prenant les Évangiles, il semit à expliquer ce trait de la Passion où il est dit que Jésus futconduit devant Pilate ; puis ouvrant l’Imitation, il leur expliqua cepassage qui s’offrit à lui par hasard : « Si vous vous réfugiez dansles blessures de Jésus-Christ, vous en ressentirez une très-grandeforce dans la tribulation, vous ferez peu de cas du mépris des hommes,et vous supporterez facilement leurs médisances. » Voici comment M. Cornay raconte son trajet jusqu’à la capitale : « On se remit en marche au point du jour. A tout instant mes porteursétaient obligés de courir pour se mettre au train des soldats, sanspouvoir s’arrêter à boire un peu d’eau pour se rafraîchir. Quoi qu’ilen soit, ma marche était en un sens très-pompeuse : environ centcinquante soldats me précédaient, et autant me suivaient avec desmandarins, en filets surmontés de dais. Ma cage, portée par huithommes, occupait le milieu ; j’étais suivi par dix chrétiens arrêtés enmême temps que moi, qui marchaient tristement attachés ensemble parl’extrémité de leurs cangues. Sur la route quantité de peuple accouraità la nouveauté du spectacle. Ce fut ainsi qu’on arriva au relais d’unepréfecture : je fus déposé devant un mandarin qui, s’étant requis desofficiers, commença avant tout par me dire de chanter. Je déroulai donctoute l'étendue de ma voix desséchée par le jeûne, et leur chantai ceque je pus me rappeler des vieux cantiques de Montmorillon. Tous lessoldats étaient à l’entour, et un peuple nombreux se fût précipité versla cage, sans la verge toujours en activité de service. Dès ce momentmon rôle changea : je devins un oiseau précieux par mon beau ramage.Après cela on me donna à manger… Quant à mes autres occupations,continue-t-il dans d’autres fragments, je dis mon office, je médite etm’abandonne à la volonté de Dieu ; je le prie de me pardonner mespéchés, de souffrir patiemment ; je lui demande surtout de confesserson saint nom devant les infidèles…… Dans toutes les visites que jereçois, une des questions ordinaires que me font les curieux, est de medemander si j’ai une femme et des enfants, je leur réponds bien viteque non, et je leur explique la cause et l’utilité de cette privation,ce qui ne laisse pas que d’être bien compris par mes auditeurs….. Lepère Cornay termine ainsi cette relation : Lorsque vous recevrez cettelettre, mon cher père et ma chère mère, ne vous affligez pas de ma mort; en consentant à mon départ, vous avez déjà fait la plus grande partiedu sacrifice. Lorsque vous avez lu la relation des maux qui désolent cemalheureux pays, inquiets sur mon sort, ne vous a-t-il pas fallu lerenouveler ? Bientôt, en recevant les derniers adieux de votre fils,vous aurez à l’achever ; mais déjà, j’en ai la confiance, je seraidélivré des misères de cette vie, et admis dans la gloire céleste. Oh !comme je penserai à vous ! comme je supplierai le Seigneur de vousdonner part à la récompense, puisque vous en avez une si grande ausacrifice ! Vous êtes trop chrétiens pour ne pas comprendre ce langage; je m’abstiens donc de toute réflexion. Adieu, mon très-cher père etma très-chère mère, adieu ; déjà dans les fers, j’offre mes souffrancespour vous. Je ne vous oublie pas non plus, ô mes sœurs ! et vous tousqui prenez tant d’intérêt à moi, si sur la terre, chaque jour je vousai recommandés à Marie, que ne pourrai-je point auprès d’elle, sij’obtiens la palme du martyre ! » A notre tour, nous aussi, nous nous abstiendrons de toute réflexion. Lemissionnaire se retrouve tout entier dans ce que nous venons detranscrire. La fermeté, l’enjouement, la tendresse de cœur, laconfiance en Dieu, se lisent à chaque page, et, pour ainsi dire, àchaque mot. Cependant cet homme, qui se livrait naguère à d’innocentesplaisanteries sur la beauté de sa voix, a été condamné à mort quelquesjours après. Le voici qui s’avance, toujours dans sa cage, vers le lieudu supplice ; des soldats nombreux le précèdent, les bourreaux sontautour de lui avec le sabre nu, ou la hache en main. En avant on portela planche où est écrite sa sentence ; derrière, un tam-tam rend detemps en temps quelques sons lugubres. Pendant le trajet, le martyrchante et lit ses prières alternativement ; chacun admire satranquillité, et les idolâtres admirent sa grandeur d’âme sans encomprendre les motifs. Arrivé sur le lieu du supplice, un officier lità haute voix la sentence suivante : « Le nommé Tan, dont le vrai nom est Cao-Lang-Ne (Cornay), du royaumede Phu-Lans-Sa (France) et de la ville de Loudun, est coupable commechef de fausse secte, déguisé, dans ce royaume, et comme chef derébellion. L’édit souverain ordonne qu’il soit haché en morceaux, etque sa tête, après avoir été exposée durant trois jours, soit jetéedans le fleuve. Que cette sentence exemplaire fasse impression partout.» Cette peine est le dernier des supplices : elle consiste à avoird’abord les bras et les jambes coupés, puis la tête, et enfin le restedu corps fendu en quatre. A un signal donné, la cage est ouverte avecun sabre par le haut, pour laisser passage au prisonnier. Le martyrs’assied à terre pour qu’on lui ôte ses fers ; les bourreaux luiattachent les pieds et les mains à quatre piquets, un cinquièmeconsolide la tête à l’aide de deux autres piquets fixés à côté destempes. Ces préparatifs terminés, le tam-tam retentit, et le martyr,torturé même pendant la mort, s’envole vers le ciel. Tandis que sonsang coule sans pouvoir être recueilli, le bourreau prend la tête parune oreille, et la jette à quelques pas, puis il lèche comme une bêteféroce son sabre encore tout fumant. Le dirons-nous, suivant la coutumede ce peuple barbare, l’exécuteur arrache le foie de la victime, et encoupe un morceau pour s’en régaler. Ce lambeau tout sanglant a été vuétalé devant sa maison, avant de devenir pour lui la matière d’unhorrible festin. Le soir, quand il n’y eut plus que les oiseaux de nuit auprès desdébris du cadavre, une vierge chrétienne et une vieille servante,cachées dans la ville, vinrent pleurer au pied de ce calvaire. Leshabits du martyr, teints de son sang précieux, furent emportés par lesdeux femmes. Aujourd’hui, ces hardes sanctifiées sont en France, danspeu de temps elles deviendront des reliques. Une chose extraordinaire, c’est que plus tard les païens exhumèrent leschairs du martyr et les pressèrent pour en exprimer le sang ; on creusamême les endroits de la terre où il s’était écoulé en abondance. Cetacte de la part des idolâtres est d’autant plus étonnant, qu’ils ontune horreur profonde pour les cadavres des suppliciés, et qu’il estinouï qu’on ait jamais recueilli le sang d’un homme mort dans lestourments. Le père Cornay était âgé de vingt-huit ans ; c’est lepremier missionnaire français martyrisé au Tong-King ; puisse par sonintercession l’église anamite, dont il fut membre, voir bientôt arriverla fin des maux sans nombre qui la désolent ! Au moment où nous écrivons, plusieurs prêtres, nos compatriotes, sontrenfermés dans la terrible cage, exposés à la mort, ou cachés dans cesforêts où l’existence n’est qu’un trépas de tous les jours : c’est làseulement que les missionnaires peuvent trouver un abri pendant lapersécution. Ces forêts sont profondes ; lorsque la persécution éclate,les chrétiens du pays y conduisent le prêtre, un homme veille à sagarde, tandis qu’un autre lui apporte une fois par jour ses aliments.L’air est si épais dans ces forêts, qu’on y respire à peine, et lesvégétaux en putréfaction donnent des vertiges. Les eaux, coulant depuisleur source sur un lit de feuilles et de bois corrompus, sont unvéritable poison ; on n’en boit jamais impunément. La maladie qu’ellesoccasionnent est une espèce d’hydropisie qui se change souvent ensquirre, quand le malade n’en meurt pas au bout de quelques jours.Ainsi ces pauvres missionnaires rencontrent la mort dans les endroitsmême où ils sont le plus assurés contre elle ! Nous touchons maintenant au pays où le dévouement du missionnaire peutêtre apprécié dans toute son étendue. Formez un faisceau de tous leshéroïsmes que l’esprit peut se représenter, et vous aurez lemissionnaire chinois. Le tableau de sa vie sera plus éloquent quetoutes les phrases du monde. Les Lazaristes et les Missions Étrangèresreprésentent l’apostolat français en Chine. Le noviciat lazariste àMacao coûte 15,000 francs d’entretien ; quatre missionnaires françaisen Chine dépensent 20,000 francs, et vingt lazaristes chinois enabsorbent 20,000. Les missions lazaristes en Chine sont au nombre de six : elles sontsituées dans les provinces de Pékin, du Hou-Quang, du Honam, duKiang-Si, du Tché-Kiang et du Kiang-Nam ; six missionnaires européensles dirigent aujourd’hui avec l’aide de dix-sept lazaristes indigènes,et de dix-huit catéchistes. Le nombre des chrétiens qu’elles renfermentest d’environ quarante mille, dispersés sur toute cette immense étenduede pays qui renferme presque la moitié de la Chine, depuis Pékinjusqu’à Macao. La peste, la famine, les tremblements de terre, tous lesfléaux auxquels viennent se joindre les excès du despotisme, effrayentces populations et les déciment tout à tour. Soit par l’effet despersécutions, soit par les difficultés de s’introduire en Chine, leschrétiens de ces localités restent quelquefois plusieurs années sansvoir un missionnaire. Alors leur zèle diminue, leur ferveur décroît,leur piété se dissipe, ils en viennent même quelquefois jusqu’à oublierleur nom de baptême, et quand le prêtre reparaît, c’est pour lui untravail tout entier à refaire, et des miracles de conversion à opérer.Avant de pénétrer dans le pays, il faut que le missionnaire étudie,non-seulement la langue, mais encore la manière de marcher, de saluer,de se coucher, de manger, de se moucher des Chinois ; c’est là unescience difficile et importante ; car la moindre inadvertance, le plusléger accroc fait à l’étiquette, suffiraient pour trahir l’étranger, etle dévouer pour jamais à la cangue, sinon à la mort. Or, jugez combiencet apprentissage doit être difficile chez un peuple qui ne fait riende même que les autres, et qui attache de l’importance à tout. Enfin le jour du départ est arrivé, tous les préparatifs sont faits, lemissionnaire va quitter Macao. Il faut qu’il dise adieu à dessupérieurs qu’il respecte, à des amis qu’il aime, et qu’il ne reverrapeut-être jamais : c’est pour lui comme s’il abandonnait une secondefois sa famille et sa patrie. Le guide qui doit l’introduire dans cemystérieux empire, dont on raconte des choses merveilleuses etterribles n’attend plus que lui. Ce guide est ordinairement un chrétienqui a exposé vingt fois sa vie dans ces périlleuses entreprises. Lacontrebande des missionnaires est punie de mort. N’importe, le guideest courageux, et il viellera sur sa précieuse denrée jusqu’au momentoù il pourra la déposer au sein de l’empire au milieu de quelquechrétienté bien obscure, bien éloignée ; le reste ne le regarde plus.Pour bien apprécier les obstacles à vaincre, nous allons nousintroduire en Chine avec le père Rameaux et son guide Paul. Nous sommesen palanquin en plein Hou-Quang ; un de nos porteurs nous a reconnuspour Européens : et nous sommes forcés de continuer notre route dansune barque entre deux mandarins, heureusement porteurs d’une figurefort douce. En passant devant une douane, la barque fut si sévèrement visitée etexaminée, que le père Rameaux se crut perdu. « Quel homme as-tu là ?dit-on à Paul ; quelle singulière figure ! sans doute il fume del’opium ? – Je vous assure que non, répond Paul, et vous pouvez vous enconvaincre par la visite de nos effets ; ce que vous croyez remarquerd’extraordinaire en lui, il faut l’attribuer à sa surdité absolue. »Les douaniers s’’avancent pour lui parler, ils crient de toutes leursforces sans obtenir aucune réponse. « Tu es donc bien sourd ? luidisent-ils. – Je vous ai déjà dit qu’il n’entend rien, à quoi bon vousépuiser inutilement ? » Alors on commence la visite, et ne trouvantrien qui puisse compromettre les voyageurs, on les laisse passer. Nedirait-on pas une scène de comédie ? Lazarille n’aurait pas mieux fait. Voici maintenant le missionnaire et Paul dans la compagnie des deuxmandarins. Nouveaux dangers pour le prêtre, nouvelles ruses de Paul. Aumoment de lever l’ancre, arrive un malade qui demande en grâce uneplace dans la barque. Le malade est admis et il meurt. La barque estobligée de s’arrêter pendant huit jours, suivant l’usage adopté enpareille circonstance ; pendant tout ce temps elle ne désemplit pasd’allants et de venants. Pour comble de malheur, le domestique dudéfunt reconnaît le missionnaire, et la nouvelle en vient aux oreillesdes deux mandarins. Le plus jeune s’approche de Paul et lui dit en luitouchant le bout du nez : « Hé ! dis-moi, ton maître !... qu’est-ce quece maître ? » Heureusement le mandarin, bon homme au fond, ne poussepas plus loin ses questions. Paul cependant commence à réfléchirsérieusement, son sac à ruses est épuisé, le Cantonais excite lesmatelots à se saisir du missionnaire, tout est perdu, lorsque les deuxmandarins, par une disposition visible de la Providence, prennentl’étranger sous leur protection. Voilà une péripétie inattendue, et quifigurerait très-bien dans un roman. Cependant tous ces détails sontvrais, et l’on peut se convaincre, par cet épisode, que, sansl’intervention du ciel, il doit être bien difficile, sinon impossible,à un missionnaire de pénétrer en Chine. Une fois introduit dans le céleste empire, la position du missionnairedépend de la chrétienté dans laquelle il se trouve. Quelques-unes deces agrégations de fidèles jouissent d’une assez grande tranquillité,d’autres sont sans cesse exposées à des troubles, selon que le mandarindu lieu est plus ou moins tolérant. Dans les paroisses les plusfavorisées, voici comment les choses se passent. Le missionnaire logedans une cabane, l’église est aussi une cabane ; on célèbre l’officedivin avec le moins d’appareil possible. Deux heures avant le jour, ondonne le signal du réveil, les fidèles viennent réciter les prières etle chapelet dans la cabane désignée, après quoi le prêtre s’habille.Avant de commencer la messe, il fait aux fidèles une courte instruction; pendant la messe, le catéchiste récite à haute voix les actes avantla communion, pour ceux qui s’y préparent ; ensuite chacun s’enretourne à son ouvrage. Le catéchiste va chercher et exhorter dans leurmaison les tièdes et les paresseux. Le missionnaire catéchise lesenfants, confesse, reçoit les visites des chrétiens, juge leursdifférends, empêche les procès, éteint les haines. Ainsi se passe lejour. Sur le soir, les fidèles viennent à confesse en plus grandnombre, et le prêtre est souvent obligé de rester une partie de la nuitau tribunal de la pénitence. Ce confessionnal n’est autre chose que lafenêtre de sa cabane, à laquelle on adapte un treillis de bambous. A lanuit, les fidèles se rassemblent de nouveau, mais en trois lieuxdifférents, savoir : les grandes personnes dans la cabane où le prêtredit la messe ; les jeunes gens dans la demeure du second catéchiste ;et les enfants chez le troisième disciple du missionnaire. Le dimanche,ce sont encore les mêmes exercices, seulement les chrétiens sont plusnombreux. Quand il a ainsi passé quelque temps au milieu de sontroupeau, qu’il commence à remplacer par de nouvelles affections lesaffections perdues, il faut que le missionnaire parte : d’autreschrétiens attendent ses soins. Quelquefois leur village est à plus decent lieues de distance ; alors ce sont les mêmes dangers que lorsqu’ila fallu se rendre en Chine pour la première fois ; il faut recourir auxmêmes ruses. Tantôt déguisé en mandarin, le missionnaire voyage couchédans un filet recouvert d’une natte ; tantôt, héritier de la barque desaint Pierre, il vogue, habillé en pêcheur, sur les eaux des fleuves ;le plus souvent, faute d’argent, c’est à pied qu’il fait ses courses.Alors une longue barbe cache son visage, un large turban enveloppe satête, et un chapeau de paille d’environ neuf pieds de circonférence lecouvre en entier ; ses larges pantalons sont relevés jusqu’au genou,ses pieds sont nus, et sa main est ornée d’un bâton gros et noueux. Ilchemine ainsi pendant plusieurs semaines, au sein du plus vaste empirede la terre, seul, sans soutien, sans personne pour l’encourager,personne, si ce n’est cette voix d’en haut qui lui dit que la vie n’estqu’un pèlerinage, et le monde entier un lieu d’exil. N’allez pas croirecependant qu’arrivé à sa destination le missionnaire ait terminé sesépreuves. A peine met-il le pied sur le seuil d’une cabanehospitalière, que la crécelle retentit dans le village ; le mandarin areçu l’éveil, il faut que le prêtre reprenne sa course et qu’il ailletraîner son existence sur le sommet des montagnes, dans la profondeurdes vallées, dans l’obscurité des souterrains. C’est ainsi qu’il formeun nouvel anneau de cette chaîne de prophètes, d’apôtres et demissionnaires, qui embrasse tous les lieux et s’allonge à travers tousles siècles. Quand il revient au bercail, les brebis ont étédispersées, les ornements de l’humble chapelle détruits, les vasessacrés emportés ; et lorsqu’il veut offrir le sacrifice divin pour leschrétiens qui ont survécu, pour consacrer l’hostie sainte, il ne luireste pour tout offertoire que son cœur. Les catéchistes dont nous venons de parler, et qui sont d’un si grandsecours aux missionnaires, se divisent en deux classes, sédentaires et ambulants. Les premiers sontpresque tous des hommes mariés ou veufs, les plus instruits de toute lachrétienté. Ils président aux assemblées des fidèles lorsqu’ils seréunissent pour prier en commun ; ils font des lectures pieuses, desexhortations familières, et annoncent les fêtes, les jeûnes, lesabstinences ordonnés par l’Église. Ils doivent baptiser les nouveau-néspaïens ou non, et même les adultes qui sont en danger de mort. Ilsvisitent les malades, veillent à ce que les enterrements aient lieuavec décence et dans les formes prescrites, sans aucun mélange desuperstitions païennes. Il entre aussi dans leur mission d’instruireles ignorants, de soutenir les faibles, d’exhorter les pécheursendurcis, de s’opposer autant qu’il est en eux aux scandales de mauvaischrétiens, de concilier les différends, de faire régner partout laconcorde et l’union fraternelle, enfin de rendre compte aumissionnaire, lorsqu’il revient après une tournée évangélique, del’état de la chrétienté et des abus qui ont pu avoir lieu pendant sonabsence. Les catéchistes ambulants doivent garder le célibat tant qu’ilsexercent ces fonctions. Ils accompagnent et aident le missionnaire dansle cours de ses visites, ou même vont partout où ceux-ci les envoientinspecter les diverses chrétientés, catéchiser, instruire, exhorter, etsuppléer en quelque sorte le prêtre absent. Dans plusieurs missions, pour s’assurer de la capacité des catéchistes,on leur fait réciter tout entier par cœur un ouvrage en deux volumes,contenant la manière de réfuter les superstitions des idolâtres, deleur annoncer la foi chrétienne, d’enseigner aux catéchumènes et auxnéophytes toutes les vérités du salut, et de disposer les fidèles àrecevoir dignement les sacrements de l’Église. Quelques missions de la Chine, de la Cochinchine et du Tong-Kingrenferment des couvents de religieuses qui, sans être cloîtrées, mènentla vie commune et observent une règle austère. Quand la persécution nepermet pas d’établir des couvents, ces vierges chrétiennes, comme dansles premiers temps de l’Église, font vœu de chasteté au sein de leurfamille, et y vivent dans la retraite. Quelques-unes de ces religieusestiennent des écoles pour enseigner aux personnes de leur sexe lespremières vérités de la religion. Objet d’étonnement et d’admirationpour les païens, ils les voient circuler au milieu d’eux avec leursvêtements blancs, comme ces jeunes chrétiennes de l’ancienne Rome quele peuple de la ville éternelle appelait les vestales des Catacombes. Quelques chrétientés sont assez riches pour offrir des présents aumissionnaire ; les hommes lui apporteront une tête de cochon ou debuffle, du bétel, des poissons ; les femmes et les filles, différentesespèces de pains de riz, des œufs, des fruits. Les enfants aussi secotisent, et viennent par bandes présenter quelque chose au Père. Ceciest le beau côté du tableau ; mais il y a des chrétientés si pauvresqu’on est obligé d’interrompre le culte faute de pouvoir se procurer levin nécessaire à la célébration de l’office. Arrivés devant lemissionnaire, qui est assis à la manière des tailleurs sur une estradeun peu élevée, les hommes le saluent en s’agenouillant le front inclinéjusqu’à terre ; les femmes s’asseoient sur une natte, joignent lesmains, et se baissent aussi profondément. Le salut fait, on cause uninstant : le père raconte des histoires sur la France. Un chrétienveille toujours à l’entrée de cette réunion improvisée ; au moindrebruit, il donne le signal d’alarme, et le missionnaire disparaît commepar enchantement. A moins d’une trahison, il est rare qu’on lesurprenne ; malheureusement c’est là un crime assez fréquent parmi leschrétiens, et qu’il faut attribuer surtout à l’extrême misère de laplupart d’entre eux. Les missionnaires peuvent rarement se rencontrer,mais il leur est possible de s’écrire ; ils se racontent mutuellementleurs misères comme leurs plaisirs, leurs revers comme leurs succès.Souvent deux missionnaires sont à peine éloignés d’une journée l’un del’autre, et ils restent quelquefois des années sans se voir, tant lasurveillance des mandarins est impitoyable. Ce doit être le plusaffreux de tous les supplices. Le Tong-King, la Cochinchine, la Chine, la Corée sont des contrées oùle missionnaire a les mêmes devoirs à remplir, les mêmes difficultés àsurmonter, soit pour s’y introduire, soit pour prêcher l’Évangile. Onpoursuit en eux autant le prêtre que l’Européen : la persécution estaussi politique que religieuse. C’est cependant au sein de ceslointains royaumes que le christianisme pourrait produire les plusgrands bienfaits. En Chine, il se trouve encore à face du polythéisme,il a à lutter contre l’esclavage, l’infanticide, la prostitutionlégale, l’asservissement de la femme, tous les excès de la civilisationromaine. Que l’ange des premiers temps de l’Église protége lesmissionnaires chinois, et les couvre de son bouclier comme les anciensconfesseurs ! Dans la province du Su-Tschuen on a baptisé, depuis trente ans, plus devingt-deux mille adultes, et deux cent mille enfants de païens endanger de mort. Un des principaux obstacles que rencontre lechristianisme en Chine, vient de l’extrême orgueil littéraire desChinois, qui ne peuvent se faire à l’idée de voir un Européen s’aviserde vouloir instruire un disciple de Confucius ; d’un autre côté,l’humilité est une vertu qu’ils ne peuvent comprendre. Malgré cela, lesmissionnaires augmentent en nombre, et multiplient leurs efforts.Cependant, en embrassant cette profession, ils font les plus péniblessacrifices : quelques indigènes consentent à les partager ; les femmesne reculent pas devant ces formidables travaux : ce sont elles quis’introduisent dans les appartements intérieurs où l’on enferme lesenfants malades ; elles s’annoncent comme sages-femmes, se munissent deremèdes, et trouvent ainsi le moyen de baptiser les enfants moribonds.Elles sont exposées aux mêmes dangers que les missionnaires, et lessupportent avec le même courage : ce sont les saintes du martyrologemoderne. Retournons maintenant aux autres missions ; quittons le polythéismechinois moins brillant, mais aussi abject que celui des Grecs et desRomains ; laissons là les temples d’idoles, les prétoires où des jugesiniques envoient à la mort les adorateurs du vrai Dieu, et jetons uncoup d’œil sur l’Amérique. Le gouvernement ne proscrit point lechristianisme, les missionnaires n’ont ni persécution à craindre, niprotection à espérer ; leur ministère n’en est pas moins pénible. Ilest facile de concevoir les fatigues et les périls auxquels sontexposés les hommes apostoliques qui parcourent sans cesse les montagnesdu Kentucky et du Tennessée, ou les forêts de l’Ohio, du Missouri, del’Indiana et de l’Illinois. La charité et le zèle évangélique peuventseuls engager les missionnaires à s’exiler dans ces pays lointains.Chacun d’eux est chargé d’une paroisse de soixante, quatre-vingts oucent lieues d’étendue. Si le travail est rude, la moisson estabondante. Les sauvages témoignent encore aujourd’hui la mêmeinclination pour les missionnaires. On pourra s’en convaincre par larequête suivante : « Nous soussignés, capitaines, chefs de famille, et autres de la tribudes Ottawas, demeurant à l’Arbre-Courbé,sur la rive orientale du lac Michigan, prenons cette voie pourcommuniquer à notre père, le président des États-Unis, nos demandes etnos besoins. Nous remercions notre père, et le congrès, de tous lesefforts qu’il a faits pour nous amener à la civilisation et à laconnaissance de Jésus, rédempteur des hommes rouges et blancs. Nousconfiant dans votre bonté paternelle, nous réclamons la liberté deconscience, et nous vous prions de nous accorder un maître ou ministrede l’Évangile, qui appartiennent à la même société dont étaient lesmembres de la compagnie catholique de Saint-Ignace. Si vous accueillezcette humble demande de vos enfants fidèles, ils en serontéternellement reconnaissants et prieront le grand Esprit pour lesblancs. « En foi de quoi nous avons apposé nos signatures. « ÉPERVIER, POISSON,CHENILLE, GRUE, AIGLE, POISSON-VOLANT, OURS, CERF. » Cette demande est caractéristique ; malheureusement pour les sauvages,la politique des États-Unis n’est point de les civiliser, mais bien deles absorber entièrement. Chaque jour on recule la limite de leurfrontière, et on les transplante plus loin. C’est là une des grandesdouleurs du missionnaire de ces contrées ; souvent un pasteur habituédepuis plusieurs années à diriger le même troupeau, se le voitbrusquement enlever par un ordre du congrès ; la tribu est exilée, eton défend à son père spirituel de la suivre. Les sauvages obéissentavec douleur, ils murmurent, et on profite de la moindre occasion pourles traiter en prisonniers de guerre. C’est une manière détournée de seprocurer des esclaves. On a vu des missionnaires mourir de chagrinaprès une séparation de ce genre. Le bien que le christianisme a opéréparmi les sauvages est immense : c’est à lui qu’ils doivent d’entrer encommunication avec les nations civilisées dont la domination s’étendtous les jours sur leurs terres. La religion seule pourra établir lapaix avec le sauvage et l’Européen, car jusqu’ici la politique n’a putrouver d’autre moyen que l’extermination. Rien n’est touchant comme la manière dont s’opèrent les conversions desIndiens ; un motif poétique les détermine toujours, c’est ce qui faitla force du christianisme chez ces populations à l’imagination vive.Chez les Pottwatomies, un enfant venait de mourir. Les parents avaientpratiqué une petite ouverture à sa fosse pour donner passage à l’âme ;la mère désolée garda la tombe pendant deux jours, pour découvrir sil’objet de sa tendresse avait rencontré quelque âme généreuse dansl’autre monde, ou bien s’il y était malheureux : voici à quels signeselle prétendait le reconnaître. Si elle voyait un joli oiseau, ouquelque bel insecte, l’augure était favorable ; si, au contraire, ellerencontrait un reptile dégoûtant, ou un oiseau de proie, alors toutétait perdu pour son enfant. Heureusement les jours étaient sereins, leprintemps semait dans l’air ses papillons, comme autant de fleursailées, la mère était contente, lorsque tout à coup le missionnairevint à passer, portant entre ses mains un bouquet de quamoclits, quisont réputés fleurs heureuses. Aussitôt la jeune femme se jeta à sespieds et demanda le baptême. Elle est morte religieuse à Vincennes(États-Unis). Ne dirait-on pas un épisode oublié par l’auteur d’Atala ou du Génie du christianisme ? Nous voudrions terminer ici notre course et nous arrêter sur lesconfins d’un monde, mais le missionnaire nous appelle à l’extrémitéd’un monde nouveau. Aux îles Sandwich, dans la Nouvelle-Zélande, ausein des archipels de l’Océanie, nous retrouvons encore notre héros.Une vive opposition a accueilli l’arrivée des missionnaires dans cettepartie du globe, tant de la part des missionnaires protestants que decelle des gouverneurs, qui voyaient en eux des agents politiquesenvoyés par la France. Les religieux de Picpus avaient été chassés deplusieurs localités : grâce à l’intervention du gouvernement, qui,cette fois, a été énergique, les missionnaires catholiques ont étéréintégrés dans leurs missions, et il ne leur reste plus maintenantqu’à lutter contre l’insuffisance de leurs moyens de propagation etcontre l’hérésie. Celle-ci du moins ne recule devant aucun moyen. AKokianga, les naturels, excités par les prêtres protestants, ont essayéde brûler tous les objets du culte catholique et de massacrer l’évêque.Les missionnaires étaient arrivés depuis dix jours seulement, ilssavaient à peine quelques mots de la langue du pays. Heureusement Dieupermit que deux ou trois catholiques se trouvassent sur le lieu del’émeute, pour détourner les naturels de leur projet. Après unediscussion d’environ deux heures et demie, qui eut lieu au moyend’interprètes entre les missionnaires et les chefs sauvages, ceux-cireconnurent l’injustice de leur tentative et vinrent toucher la main del’évêque en signe d’amitié. Maintenant tout s’accorde à démontrer quele saint ministère s’exercera librement dans la Nouvelle-Zélande, etqu’il n’y aura d’autres combats que ceux de la parole. Aux îles Sandwich, les difficultés pour pénétrer dans le pays ont étéénormes. Pendant plusieurs années, les missionnaires catholiques,d’après les instigations des ministres protestants, ont été constammentchassés du territoire. Une persécution même a été organisée contre lesfidèles des îles Sandwich ; plusieurs catholiques sont morts dans lesprisons, ou par suite des travaux rigoureux auxquels on les avaitcondamnés. Les missionnaires, expulsés violemment, ne se sont pointdécouragés. Après des efforts inimaginables, ils ont été admis aux îlesSandwich, grâce à la protection que leur ont accordée plusieursofficiers supérieurs de la marine française en mission dans cesparages. Cette protection est non-seulement une bonne action, maisencore un acte d’excellente politique. Notre commerce peut être appeléd’un jour à l’autre à jouer un rôle important dans ces contrées. Or,qui pourrait mieux que les missionnaires lui aplanir les voies ? Sanscesse en communication avec le peuple, connaissant ses besoins, sessympathies, ses penchants, ils peuvent employer en faveur de leurscompatriotes cette influence qui leur vient de la religion, et leurépargner un apprentissage toujours dangereux dans des relations avecdes nations encore à demi barbares. Les Anglais, qui savent ce qu’ilsfont, favorisent par tous les moyens leurs missionnaires. C’est ici lecas de dire quelques mots de cette propagande protestante que nosapôtres rencontrent partout sur leur chemin, et qui se montre aussiardente à les persécuter, que l’idolâtrie. Les associations bibliqueset les missions protestantes ont commencé leurs travaux depuis plus detrente ans ; elles disposent de revenus princiers, elles ont des agentspartout, et cependant la faiblesse des résultats obtenus est toujoursla même. La société biblique de Londres reçoit annuellement 2,000,000de francs de souscriptions. Elle a fait imprimer douze millions deBibles en cent quarante-trois langues ; mais la publication de ce livresacré, si elle n’est accompagnée d’instructions convenables, doitproduire plus de mal que de bien. Outre le protestantisme orthodoxe, ily a une foule de sectes qui répandent la Bible. L’Angleterre en comptedix, les États-Unis cinq ; il y en a en France, en Suisse, en Allemagne; le nombre des missionnaires entretenus par ces sociétés sur toute lasurface du globe est de deux mille huit cents ; ils reçoivent desappointements de 2 à 300 livres sterling par an, ils sont mariés, laplus grande partie est d’une intelligence très-étroite. Où est doncleur sacrifice ? ils sont mariés : la famille n’est-elle pas uneseconde patrie ? où sont leurs souffrances ? ils se contentent de fairecirculer des Bibles sous la protection du canon britannique. Les sociétés bibliques se trompent : en croyant faire de l’apostolat,elles ne font que du journalisme. Elles font tirer la Bible et larépandent comme elles répandraient un pamphlet électoral ; mais cemoyen, qui pourrait être bon dans un pays comme l’Angleterre ou laFrance, est nul quand il s’agit de peuples barbares. Il faut d’abordleur apprendre à lire, puis à penser, puis à discuter. Or cetteéducation ne s’improvise pas. D’ailleurs on n’agit sur les peuplesqu’au moyen d’une idée de renoncement : l’histoire de toutes lesreligions nous le démontre à chaque page. Le néophyte aime que l’on sedonne à lui tout entier ; il veut que l’on souffre de sessouffrances, qu’on subisse ses privations, qu’on vive de sa vie, etqu’on ajoute même si c’est possible quelque chose de plus terrible à sapropre existence, afin d’avoir l’air de faire un sacrifice même pouravoir le droit de prêcher la vérité. Il faut que le prêtre se distinguedu fidèle. Le célibat des missionnaires répond à cette nécessité. C’estla preuve évidente qu’ils ont renoncé à tout pour être complètement àce Dieu qu’ils annoncent. C’est par ce côté surtout que l’apostolatcatholique est puissant, parce qu’en effet le célibat est le plus grandsacrifice qu’un homme puisse s’imposer. Il est impossible deméconnaître le prêtre dans le missionnaire catholique, tandis qu’il estimpossible de le rencontrer sous le frac noir du ministre protestant.L’idéal de l’évangéliseur hérétique est ce Pritchard, missionnaired’Otaïti, auquel l’Arthémisevient de faire réparer les torts qu’il avait eus à l’égard de nosprêtres, et qui est à la fois consul anglais, capitaine d’artillerie dela reine d’Otaïti, missionnaire, et qui, dans une occasion récente,vient de pendre un homme de sa propre main, l’île manquant d’exécuteur.C’est la première fois qu’on a vu un prêtre se faire bourreau. Quelle différence entre cette existence toute politique et celle de nospauvres missionnaires, obligés de souffrir toutes les privations pouréconomiser de quoi bâtir une église, qui sont heureux lorsqu’ilspeuvent acheter un modeste tableau pour l’orner, qui reçoivent 500francs par an pour être à la fois maîtres d’école, ingénieurs, prêtres,médecins. Relégués à l’extrémité du monde, leur seule consolation estdans leur ministère, leur seul bonheur est de saluer de temps en tempsun vaisseau qui vient de France. Les marins retrouvent leur Dieu, lesmissionnaires leur patrie ; on construit un autel sur la frégate, leprêtre prie pour son pays. On déploie le pavillon national, qui estcelui du catholicisme, au sommet de l’église, si elle est achevée ; onfait flotter des banderoles autour de l’enclos des missionnaires,l’équipage descend à terre, on se réunit dans un banquet. C’est laFrance sur des bords étrangers : …… Parvam Trojam simulataque magnis Pergama. Le lendemain le vaisseau remet à la voile, et le missionnaire perd devue la patrie qui s’efface à l’horizon. Les maristes et les frères de Picpus évangélisent l’Australie etl’Océanie. Cette contrée, divisée en trois parties, comptent tout cetassemblage de terres, d’îles et d’archipels qui s’étendent entre lequatre-vingt-onzième degré de longitude orientale, et le cent cinquièmede longitude occidentale. Au nord l’océan indien, le détroit deMalacca, l’île Formose et la mer de Chine ; à l’est l’Océan, qui vabaigner les côtes de l’Amérique méridionale ; au nord et au sud l’Océanencore, voilà les limites qu’on assigne à l’Océanie, Bornéo, laNouvelle-Guinée, Sumatra, Java, Luçon, Mindanao, Célèbes, le groupe dela Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Hollande, l’archipel de Manille, desCarolines, des Mariannes, de Sandwich, de Haïti, composent l’Océanie.Voilà la part des Picpusiens ; les maristes ont l’Australie,c’est-à-dire la partie centrale. Les efforts des Picpusiens ont étécouronnés de succès ; les îles Gambiers sont entièrement catholiques :ils ont trois missions florissantes aux Marquises, et partout le nom ducatholicisme est connu. Mais par combien de travaux, de fatigues, desouffrances, ces résultats ont-ils été obtenus ! Figurez-vous d’abordquelles difficultés doit rencontrer un homme qui veut étudier la langued’un pays, sans grammaire, sans dictionnaire, sans aucune connaissancemême des signes extérieurs. Voici par quel effort surnaturel depatience les missionnaires se sont tirés d’embarras. Accompagnés d’unenfant, ils lui montraient tous les objets qu’ils rencontraient, en luien demandant par gestes le nom. L’enfant désignait l’objet dans salangue naturelle, et le missionnaire notait le mot sur un calepin. Onconçoit combien devaient être vicieuses les indications ainsi obtenues.Chaque nom devait amener des rectifications sans nombre. A force depatience, d’observation, de recherches minutieuses, les missionnairessont non-seulement parvenus à connaître tous les idiomes de ce pays,mais encore à en faire la syntaxe. Aujourd’hui, il n’est pas de petitroyaume océanien qui ne possède les livres sacrés traduits dans salangue, et même des livres originaux sur des sujets de piété ou deprière. Le christianisme a doté ces peuples d’une littérature. Mais cen’est pas tout encore : il fallait s’établir dans le pays, bâtir deséglises, des écoles, des maisons pour les missionnaires. Comme dans lespremiers temps du catholicisme, le prêtre devint architecte : aidés dequelques-uns de ces ouvriers pieux que les Picpusiens ont la louablecoutume d’adjoindre à leurs missions, les apôtres de l’Océanieélevèrent peu à peu toutes les constructions qui leur étaientnécessaires. L’usage des arts de l’Europe pénétrait en même temps parmiles sauvages, ils se convertissaient et se civilisaient à la fois. Ence moment le voyageur étonné qui débarque dans ces îles lointaines voitpartout des ateliers, des églises, des maisons, comme dans les villesde sa patrie ; il entend chanter les prières qu’il chantait dans sonenfance, il voit partout s’élever la croix qui doit s’incliner sur satombe. C’est aux missionnaires catholiques qu’il doit ces émotionsdouces et imprévues ; eux seuls peuvent mettre en pratique ces parolesdu Christ : Sinite parvulos veniread me. Aussi les enfants les entourent, les hommes les saluent,les mères leur sourient, et tous les aiment, parce que tous leurdoivent quelque chose, et parce qu’ils se sentent aimés. Pendant queles prêtres catholiques se consacrent ainsi corps et âme à leurtroupeau, que font les ministres protestants ? ils distribuent desBibles. Il est vrai que les indigènes en tapissent les murs de leurscabanes ou en font des semelles de souliers. Le costume des Picpusiens est blanc, le noir, parmi ces peuples, étantconsidéré comme une couleur funeste. Sur cette soutane blanche flotteune pélerine. Deux cœurs rouges sont tracés sur la poitrine, où sebalance un scapulaire. Un cordon blanc à trois glands qui pendent leursert de ceinture. Bien des fois le cœur de nos marins s’est ouvert envoyant ce costume, qui représente la France, briller tout à coup surune plage éloignée. Le missionnaire de l’Australie a lui aussi une rude tâche à remplir.Dans la Nouvelle-Galles du sud, dans l’île de Norfolk, sur la terre deVan-Diemen, son ministère doit s’exercer vis-à-vis des barbares, etvis-à-vis du déporté quelquefois pire que le barbare. Il faut qu’ilaille le chercher dans sa caserne, qu’il l’accompagne dans l’intérieurdu pays jusqu’au lieu de sa destination, qu’il le suive dans le champqu’il arrose de ses sueurs infécondes, dans les vastes forêts où ilguide ses troupeaux. Il célèbre les saints mystères dans la cabaned’écorce, sous l’arbre à gomme de la vallée, sur les hauts sommetscouverts de neige. Le criminel vient décharger le poids de saconscience, en confiant à l’oreille du prêtre le récit de ses folies etde ses malheurs. Il voit venir dans son accoutrement honteux, et chargéde ses chaînes bruyantes, le prisonnier au visage sombre, sorti du fonddes bois ; heureux encore lorsque son cœur ne se déchire pas enconsolant les dernières heures du condamné qui attend la mort dans unfétide cabanon ! Insisterons-nous maintenant sur l’importance politique, morale, et mêmelittéraire du missionnaire ? Un pareil travail serait superflu. Tout lemonde comprend combien le séjour des prêtres dans des pays lointainspeut devenir profitable aux intérêts de la France. Louis XIV avaitcompris cette vérité, lui qui avait revêtu plusieurs missionnaires dutitre de consuls. La restauration a suivi cet exemple, dont les bonsrésultats sont frappants. Si notre influence dans le Levant a été silongtemps toute-puissante, c’est en grande partie aux missionnairesqu’on le doit. Cela est si vrai, que la chambre de commerce deMarseille, qui a eu le monopole du commerce avec la Turquie, l’Égypteet la Syrie, votait annuellement une somme considérable pour venir ausecours des missions. Ce que ces établissements avaient fait dans leLevant, ils pourraient aujourd’hui l’accomplir partout où ils setrouvent, si le pouvoir s’associait à leurs efforts. Il serait digne dela France de mettre le commerce et la civilisation sous la protectiond’une religion qui doit être le signal de l’affranchissement pour tousles peuples. Les services que les missionnaires pourraient rendre à lapolitique ne sont pas moins grands que ceux dont les lettres leurseraient redevables. Les missionnaires font connaître à l’Europe deslangues nouvelles, ils nous donnent des notions exactes sur tous lespays qu’ils parcourent ou qu’ils habitent. Malheureusement ces travauxrestent enfouis dans les archives des séminaires de leur congrégation,ou reçoivent dans les Annales de lapropagation de la foi une publicité que les savants et les gensdu monde ignorent complétement. Le gouvernement devrait se mettre enrapport direct avec les missionnaires ; il pourrait recevoir et mettreen lumière une foule de documents dont manque la science moderne. Laplupart des notions que nous avons sur l’état des contrées récemmentdécouvertes nous viennent de l’étranger. Nous semblons prendre à tâched’oublier que nous avons là des compatriotes qui savent que Dieucommande d’aimer la patrie, et qui sont prêts à lui être utiles dans lamesure de leurs forces et de leur position. Vivrions-nous encore àcette époque de préjugé inique où l’habit du prêtre semblait ôter laqualité de Français ? En finissant, nous nous demandons quel sera celui qui pourra lire sansêtre ému le récit de ce merveilleux héroïsme du missionnaire ? Dans lessables de l’Arabie, dans les villes saccagées de la Perse, sous lesnopals de l’Inde, dans les jonques chinoises, partout enfin, dans lasolitude comme au milieu des cités, devant le bourreau comme au chevetdes malades, son amour de la vérité ne se dément pas un seul instant.Quand le fer de l’exécuteur ne tranche pas sa vie, il meurt de maladiescontractées à la suite de son existence nomade. Pour le missionnaire,il n’y a pas de vieillesse, heureux quand il succombe en pays chrétien,et qu’à défaut de l’absolution du prêtre il peut recevoir celle de lacharité. Le catholicisme, que l’on dit mort, donne cependant encore, dece côté-là du moins, de véritables signes de vie. Il ne faut pasdésespérer d’une religion qui fait encore des martyrs. Le catholicismevient de s’ouvrir un monde nouveau, et partout la barbarie s’évanouitet disparaît devant lui. Félicitons-nous de voir notre pays jouer un sibeau rôle dans le mouvement civilisateur que l’Évangile imprime àtoutes les parties du globe. Que chacun apporte son denier à l’œuvredes missions, qui est celles de la liberté humaine. A côté de notrerenommée militaire, nous sommes fiers de pouvoir placer notreillustration religieuse. La France mérite qu’on lui pardonne un peu degloire en faveur de tant de charité ! TAXILE DELORD. |