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DUCANGE, Victor-Henri-Joseph Brahain, pseud Victor (1783-1833): Une demoiselle de Paris, en 1832 (1832). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (05.VI.2008) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc)de Paris ou le livre des cent-et-un, Tome huitième,publié à Paris : Chez Ladvocat en 1832. Unedemoiselle de Paris, en 1832 par Victor Ducange ~~~~CHAPITRE I. Qu’elle est jolie !... Vous la connaissez, j’en suis sûr. Plus d’une fois, sans doute, il vous est arrivé, par un beau jour dejuillet ou d’août, entre quatre et cinq heures, d’aller vous mêler à lafoule élégante que la mode appelle, et que la fraîcheur d’un belombrage retient dans les vastes allées de la royale demeure. Ou bien aussi, par une douce soirée, un beau ciel de nuit azuré, vospas appesantis par le poids du jour, heurtés, interrompus par un essaimde beautés, ont, trente fois dans une heure, mesuré la distance entrela rue Laffite et la rue Taitbout, au milieu d’un double rang de femmeséblouissantes, de lanternes où le gaz rayonne, et des bouffées de tabacde nos modernes élégants : enfin, sans métaphore, vous vous êtespromené le matin aux Tuileries, ou le soir à Coblentz ? Eh bien ! là, dans l’un ou l’autre de ces riants parterres de jeunesdemoiselles à la blanche parure, de jolies femmes coquettes, dedélicieuses mamans, si votre oeil exercé, observateur, curieux de fraisvisages et de tailles mignonnes, a scruté ces groupes diaprés, émailléscomme les fleurs ; s’il a fouillé ces charmilles de femmes toutesparées et toutes belles… vous l’avez vue. - Qui ? - La demoiselle de Paris ; et, devant cette fraîche et légère figure,moitié grâce et moitié sylphide, dont la forme est si moelleuse et sileste, dont les traits délicats sont pétillants d’esprit, dont lesourire est si fin et le regard si piquant, vous avez suspendu vos pas,et, saisi de ce charme subit qui s’empare de vous à l’insu devous-même, sans réfléchir, vous avez dit :… Qu’elle est jolie ! Ce mot s’entend toujours… Elle a rougi de plaisir… Sa belle maman asouri ; et, prudente, mais avisée, de ses doigts affectueux, la bonnetante, aux aguets, a relevé soudain autour des jolies épaules de lajeune étourdie, le barège voltigeant et fugitif sous lequel le zéphyrbadinait. C’est un ange, un lutin, un amour… tout ensemble, que cettedemoiselle-là ! Combien, sous ses longs cils et sur ses fines lèvres,on voit briller d’esprit, de malice, de gentillesse !... Elle adix-sept ans… et tous leurs charmes… Ne rêvez rien de plus joli, et… sivous promettez d’être discret, je vous dirai son nom… ne me trahissezpas !... On l’appelle Amanda. CHAPITRE II. Elle est à marier… Vous voilà près déjà de voler aux genoux de sa charmante mère, et desolliciter la protection de la tante… Attendez donc ! vous avez à peineadmiré la moitié de ses charmes ; vous ne connaissez encore que saforme élégante, son spirituel regard et sa jolie parure. Oh ! que cen’est pas tout ! Une demoiselle de Paris a bien d’autres attraits ! Amanda est un diamant taillé, poli, façonné par l’exquise éducation dujour et du beau monde. Dans le pensionnat renommé dont elle était lagloire et la plus jolie fleur, elle a moissonné toutes les couronnes,et remporté tous les prix de grâces, de chant, de danse, de poésie,d’éloquence, et de l’art de parler des yeux et du visage, ainsi que dela langue, car en tout pensionnat de haute renommée, on joue la comédie. Pour tout dire en un mot, Amanda est la merveille du jour. Elle saittout Walter-Scott, Byron, Cooper, Hugo, Sainte-Beuve, et Lamartine ;son esprit a fleuri au vent du romantisme. Elle a peu lu Racine, pointdu tout Fénelon, et son front, ceint de perles, rougit et se détourneau langage grossier du Malade imaginaire. Mais Amanda, nourrie de lamanne féconde des modernes chefs-d’oeuvre, a l’oreille exercée auxaccents ingénusde Marion Delorme, et les yeux à l’épreuve du pudique amour d’Antoni. A toutes ces qualités d’un esprit si brillant et si bien cultivé,joignez que l’aimable enfant, comme toute fille jolie, possède surtoutle secret divin d’ajouter à la beauté le sel de la parure, le fard dela coquetterie… Et si vous n’avouez qu’avec autant d’attraits,d’esprit, de grâces et de sentiment, elle n’est la plus parfaite desdemoiselles à marier, vous ne méritez pas que son piquant sourire, queson charmant regard, en parcourant l’essaim de ses adorateurs, parhasard, fortune, distraction ou caprice, rencontrent votre coeur… Mais ne le laissez prendre !.. Il faut vous avertir. CHAPITRE III. Amanda va se marier… - Dieu !... quoi ?... Ciel ! - Ne vous pressez donc pas de vous désespérer ! C’est un petit cousinqui s’en vient l’épouser. - Ah !... - Il arrive, pour cela, tout frais de sa province. - Eh !... - La malle-poste l’amène. - Oh ! oh !... De Gonesse ou de Pontoise ? - A peu près : d’Avallon. - Heureux petit cousin ! Cousin prédestiné ! - Eh, mais !... peut-être… Vous pensez voir un Dumolet ?... En est-ilencore ? N’allez pas non plus, je vous prie, vous figurer, paranalogie, à cause de la parenté, un héros de la nouvelle fabrique, unjeune homme superbe et funeste, à la Bocage, quelque peu blême, etfauve, jurant Saint-Christophe ! Notre-Dame ! n’entrant chez vous quepar la fenêtre, jamais par la porte, et la rapière au poing, sans guideet sans lanterne, cherchant au clair de la lune, entre le destin et lafatalité, un être inouï, une étoile, un néant, un abîme, une femme!!... à l’usage d’une existence d’homme. … Tel n’est pas, en général, le citoyen d’Avallon, ni en particulier leprétendu d’Amanda. Le cousin provincial n’a point, sur l’épaule, un corde chasse, comme Hernani ; il n’a point, dans sa poche, un bon couteaucomme Antoni ; même, hélas ! s’il faut tout dire, il n’est (passez-moile mot, puisque la chose est de bonne compagnie) bâtard ni vagabond.C’est un simple jeune homme, candide, honnête, poli ; ayant connumonsieur son père, ayant chéri madame sa mère ; doué de peu d’esprit,mais de bon sens beaucoup ; de figure… ronde et gaie, rasé jusqu’àl’oreille ; élevé comme on peut l’être dans un fond de province,classiquement instruit jusqu’à sa rhétorique, révérant fort Boileau,s’inclinant, par respect, au grand nom de Corneille, trouvant belleAndromaque, citant le Qu’ilmourût, sans remarquer qu’on rit de sa naïveté ; bref, ungarçon si simple qu’il ôtait son chapeau même devant une femme, etcroyait que l’amour parle et s’exprime encore comme aux temps desamants de Tibulle et d’Ovide, par la timide rougeur, le craintif regardet le tendre respect… IL était loin du siècle, le cousin d’Amanda. Maisil faut observer que le progrès des moeurs ne peut, dans une ville deprovince, égaler, en vitesse, le rapide essor de Paris… Le voilà. D’ailleurs, pour se consoler d’être peu romantique, et se faire excuserd’être enfant légitime, le petit cousin prétendant, vu son extrait debaptême dûment homologué, apportait en malle-poste, pour le tout mettreaux pieds de sa belle cousine, vingt mille écus de bonnes rentes,parfaitement classiques, en beau bien paternel, un coeur novice, et sonpremier amour. Considérant le premier point, il fut reçu comme un prince… un princequ’on reçoit bien. CHAPITRE IV. Qu’elle est jolie !... Ce fut aussi tout d’abord, et, dès en arrivant, le cri du petit cousin; et tout le premier jour, il le passa, à deux genoux, devant laravissante Amanda, balbutiant : Je vous aime !... et, tout ébloui,mille fois, dans sa candide extase, il s’écria : Dieu ! que lesdemoiselles de Paris sont belles !... même en comparaison desdemoiselles d’Avallon. Certes, l’enfant disait vrai. On fêta le prétendu : c’est l’usage. On lui dit les honneurs de lademoiselle à marier : c’est la règle ; et jusques au bonsoir de cetteheureuse journée, tout fut enchantement pour le petit cousin. Le lendemain, la demoiselle montra tous ses talents… Fauvettes etrossignols n’ont jamais eu de ramages aussi légers, aussi brillants quele chant d’Amanda… C’était le zéphyr, lui-même, qui voltigeait, avecses doigts, sur le clavier d’ivoire… Noblet et Taglioni ont moins degrâces dans leurs bonds, moins de volupté dans leurs pas… Enfin, jamaiscrayons moelleux, pinceaux délicats, obéissant à des mains plus habileset plus savantes, n’avaient su mieux saisir et confier au vélin lessecrets de la nature…. Il y en avait pourtant quelques-uns, de ces secrets de la nature,que le cousin modeste aurait trouvés mieux placés sous un voile pudiqueque sous les regards d’une demoiselle… Mais on lui dit qu’à Paris l’onn’y prenait point garde ; que ce sont objets d’arts, choses d’étude, etque tout le monde voit cela… Habitude fait loi : va pour les objetsd’arts, pour les choses d’étude : le cousin resta dans l’ivresse. Quant au code du ménage, on n’en parla point ce jour-là. Le lendemain, on fut au bois ; le temps y invitait. On roulait dans un char ouvert. La gaze et le barège, gonflés, arrondispar le vent et la course autour du front d’Amanda, lui formaient, commel’écharpe d’Iris, une auréole de pourpre et d’argent. La jeune filleétait une déesse. Trente cavaliers, jeunes, hardis, bien tournés, au poil hérissé sur lalèvre, à la barbe gauloise, fermes et moelleux sur l’étrier, légèrementet tour à tour passaient, galopaient, voltigeaient aux portières de lacalèche ; venaient, en paladins, caracoler autour des dames, échangerun mot, jeter un bouquet ; puis emportaient, à travers le vent et lapoussière, un salut, un coup d’oeil, un sourire d’Amanda, dont leregard animé du vermillon de ses joues poursuivait, dans la carrière,les fougueux destriers et leurs cavaliers intrépides… - Maman ! voilà le jeune duc. - Salue donc le chevalier. - Bonjour,Arthur ! - Vois donc ! vois donc comme Alfred se tient bien ! - Ah !maman, le joli chanteur à la mode : invite-le à dîner. - A propos !Isidore ! avez-vous encore votre alezan ? - Répondez-donc, ma tante, lebaron nous salue… - Ah !... ciel !... Arrêtez !... Pardon, maman…Albert, mon éventail est tombé… Pas un beau cavalier ne passait sans avoir le salut d’Amanda. Eh, eh ! songeait le cousin, il me paraît que ma cousine connaîtbeaucoup de beaux messieurs !... Oh ! c’est sans doute encore un usagede Paris… Nous sommes trop sauvages en province… Et d’ailleurs, quandon est si belle, peut-on passer inaperçue ?... Cependant le cousin devenait un peu pensif… mais il aimait toujours :Elle était si jolie ! CHAPITRE V. Le lendemain, il y avait bal. Un bal de Paris !... Quand on eut allumé, quand les salons furentpleins, le cousin d’Avallon se crut au sein de l’Olympe, et pensa voirla cour de Vénus… Néanmoins, les messieurs tout noirs et sans linge,quoique fort bien tournés, dérangeaient quelque peu son illusionmythologique, et, pour la circonstance, il les trouvait funèbres… MaisAmanda ! oh ! Amanda !... c’était Flore, Aglaé, Terpsichore, toutes lesMuses, toutes les Grâces, toutes les Nymphes, sous les traits d’unesylphide, d’un lutin, d’un amour… C’était une demoiselle au bal. Tous les élégants cavaliers du bois, et beaucoup d’autres, avaient prisdès long-temps leur tour de contredanse et leur rang d’inscription. Lepetit cousin venait un peu tard : il invita… - La dix-septième. - Dieu!... - Toutes les autres sont retenues. Ne danser qu’une fois avec elle !... la dix-septième ! Mais ne lavoyait-il pas chasser, balancer et faire le moulinet avec les plusbeaux danseurs de Paris ?... Qu’elle était légère, et piquante, etjolie ! on eût pu croire, à ses charmants sourires, à ses coquetsregards, qu’elle avait entrepris de faire la conquête de tous lescavaliers… - La valse, messieurs ! - Ciel ! la valse ! répéta le cousin ; on valse donc à Paris ? Ah ! dumoins, mademoiselle, ma cousine, avec moi seul, je vous en prie ! - Impossible, mon cousin ; j’ai mon valseur pour tout l’hiver ; M.Amédée : c’est le plus fort de Paris. Le signal est donné ; l’archet résonne, un cercle étroit s’ouvre avecpeine, et vingt couples charmants, deux à deux enlacés avec grâce,souplesse et volupté, partent, se suivent, s’atteignent, se croisent etse défient sur le parquet glissant… Le cousin n’en suit qu’un duregard… le plus joli, le plus ardent… et contemple à loisir comme onvalse bien à Paris. Bientôt tous les autres couples s’arrêtent ; Amanda et son beau danseurrestent seuls dans l’arène, qui s’élargit pour eux. Animés,infatigables, de plus en plus légers, c’est alors qu’il faut les voir !ils ne dansent plus, ils tourbillonnent, ils volent : la sauteuse atriplé la mesure. On les admire, on les excite… Unis, serrés, les piedsentre les pieds, les genoux s’effleurant, ils semblent ne plus formerqu’un seul être, et n’avoir plus qu’un même souffle, un même élan, tantleur mouvement rapide est égal, tant leurs bonds sont d’accord, tant laflexible taille de la légère Amanda obéit aisément au bras nerveux quil’étreint et l’enlève, à la main qui la presse, la ramène et la guide…jusqu’au moment où, palpitante, enivrée, les joues en feu, et le seinhaletant, la valseuse, étourdie, tombe enfin sans haleine, riante etfolle, dans les bras du danseur, qui, fier de la victoire, la rapporteà sa mère, enchantée des bravos… C’était charmant, divin, éblouissant àvoir !... En effet, le cousin semblait tout ébloui, et disait toutsérieux ; Peste ! que les demoiselles de Paris valsent bien !... Oh !il n’avait rien vu ; il n’était pas au bout, le cousin d’Avallon ! - Le galop, messieurs ! Pour le coup, le cousin bondit sur sa banquette… Il court, il vole versla maman : elle était entourée d’un cercle d’adulateurs. - Madame, est-ce une erreur ? Ai-je bien entendu ? Quoi ! réellement…le galop ? - Le galop, certainement, mon cher petit cousin ; c’est le triomphed’Amanda ; elle y excelle, elle s’y surpasse : aussi, pas un bal commeil faut où je ne sois priée, où ma fille ne le danse : c’est la fureurcet hiver : vous allez voir… Tenez !... on se range… on fait silence…Voilà son cavalier, le danseur à la mode, le seul qui soit de sa forceau galop… Voyez ! voyez ! on applaudit d’avance… Ils partent !... onbat des mains… C’est charmant ! charmant !... Mais applaudissez donc mafille, petit cousin. Le cousin ne dit mot, mit ses mains dans ses poches, et regarda auplafond… Quelque chose, aurait-on dit, blessait sa vue, embarrassait sacontenance… Je ne sais vraiment ce que ce pouvait être, car le couplegalopant… galopait à ravir… Le prétendu d’Avallon aurait peut-êtrepréféré que sa fiancée figurât le menuet d’Exaudet… un peu moins prèsde son cavalier… Qu’on est ridicule en province ! ne s’avisait-il pasde grommeler dans son coin (tout bas) : La police interdit, auxguinguettes, certaine danse… dont la pudeur proscrit jusqu’au nom : ladécence qu’on exige du peuple est-elle donc bannie des salons ?... Leméchant trait du petit pédant sentait un peu le provincial. Pourtant ilajoutait, avec quelque bon sens : Après tout, si c’est l’usage deParis… si c’est la mode de galoper, comme… alors… au fait… et puis, lesdemoiselles de Paris galopent si joliment !... Cependant… On ne se coucha qu’au jour ; et sur son traversin, le cousin d’Amandane trouva point de songes couleur de rose… Mais il aimait encore… Et lelendemain matin, elle était si charmante, devant son piano, en petitetablier de pourpre sur une robe de neige… Oh ! demoiselles de Paris !que vous êtes jolies ! le matin comme le soir, et le soir comme lematin. CHAPITRE VI. Le lendemain, pour se reposer du bal, on allait au théâtre. Lesplaisirs se suivaient par ordre progressif… Bon ! songea le cousin ;jusqu’ici je n’ai vu, de ma belle cousine, que les grâces, les talents,et l’esprit un peu coquet. Les qualités de l’âme sont l’essentiel… Lacomédie, m’a-t-on dit au collége, est l’école des moeurs… et le miroirdu coeur… Nous allons voir un drame ! O Dieu ! fais donc ce soir que lecharmant visage de ma vive cousine soit le miroir de son âme ! Le soir vient ; on dîne à peine ; depuis longtemps l’impatience éclateau front d’Amanda ; elle adore le spectacle… L’heure sonne… Partons,maman !... On s’enveloppe d’écharpes, on jette des châles dans lacalèche, on vole… Enfin, on est au temple de Thalie, et le dernier coupd’archet fait lever le rideau, au milieu d’un long murmure d’attente etd’intérêt. La pièce était nouvelle, de l’auteur à la mode, et le sujet du poëme undes chefs-d’oeuvre de l’époque : on attendait merveille. Au premier acte, pourtant, chétif se montrait le drame ; rien qu’unpetit adultère, encore en perspective : c’était maigre pour le temps ;cela donnait peu d’espoir. - C’est froid, disait Amanda ; l’auteur faitmieux habituellement. - Attends, ma fille, attends ; laisse-lecommencer ; il est si riche d’intérêt ! Au second acte, un inceste… A la bonne heure ! on s’en doutait. -L’intérêt va venir, mon cousin. Au troisième acte, deux adultères… On commençait à pleurer, on ouvraitles flacons… - Vous n’êtes pas ému, mon cousin ? Au quatrième acte, trois incestes… Les loges s’inondaient de pleurs,les trépignements du parterre se mêlaient aux bravos des galeries, lemouvement onduleux des chapeaux et des plumes manifestait l’émotion desdames ; trois jolies femmes s’évanouissaient ; Amanda sanglotait… -Vous n’admirez pas, mon cousin ? Au cinquième acte, confusion générale, mélange inextricable d’adultèreset d’incestes ; pères, mères, époux, femmes, filles, gendres, enfants,amis, voisins, valets, tout le monde en est, je crois même lesouffleur. Le cintre allait crouler sous les applaudissements. Lemonstrueux délire de ces folles passions, de ces hideuses orgies de ladébauche, des visages plâtrés des acteurs, avait passé sur les traitsfrémissants, convulsifs des spectatrices de tout âge, des jeunes filleset des mères, des épouses et des fiancées… La moitié de la salle étaitdans l’ivresse ; l’autre… stupéfaite…. On voyait les nerfs d’Amandatressaillir autour de sa bouche… hélas ! encore parée des grâcesenfantines ; ses jolis yeux de demoiselle, que le pur éclat de son âgeeût seul rendus si beaux, étaient inondés de pleurs ; et son sein jeuneet frais, qu’un amour innocent, peut-être, n’avait pas même agité,palpitait sous les brûlantes impressions du vice, jeté nu sur la scène. Le petit cousin était pourpre, et sa pudeur de jeune amant, en présencede sa fiancée, ruisselait en sueur de son front. On essuyait ses yeux, on mettait les châles, on exprimait ses émotions. - Ah ! maman ! quel intérêt ! quelle vérité ! quel amour de femme ! quec’est nature !... Regarde donc comme j’ai pleuré ! - Vous voyez, petit cousin, comme ma fille est sensible, nerveuse,impressionnable… Pauvre Amanda ! elle comprend tout cela ; n’est-cepas, mon enfant ? - Ah ! maman ! quelle soirée charmante ! Nous reverrons cette pièce. ……………………………… Le lendemain, au déjeuner, le petit cousin ne paraissait point…. C’estqu’il dort. - Montez chez lui, Joseph ; appelez-le… - Madame, la chambre de monsieur était ouverte, ce billet sur la table… - Et lui ?... Le billet répondit… Le petit cousin était sur le chemin d’Avallon… - L’impertinent !... - Ne te fâche donc pas, maman ! c’est un petit sot… N’aie pas peur queje manque de mari, va ! Je le crois bien, vraiment ! Elle est si jolie, Amanda ! Ce soir-là sa charmante mère la mena voir… Un de plus. VICTOR DUCANGE. |