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FRÉMY, Arnould (1809-189.) : La Revendeuse à la toilette(1840). Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (21.XI.2009) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 1 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. LaRevendeuse à la toilette par Arnould Frémy ~ * ~UNEfemme passe, puis derrière elle un jeune homme provincialement gaucheet timide ; cette femme est de celles qui méritent d’êtreaudacieusement escortées et suivies, mais suivies sans réflexiond’abord, puis d’instinct et comme on suit d’un oeil distrait les élanscapricieux de la demoiselle ou l’essor fantasque du papillon. Ellevoltige, se cadence en marchant plus qu’elle ne marche ; sa taillesouple et sinueuse tient à la fois de la guêpe et de la couleuvre ; sonpied est mignonnement relié dans un brodequin en maroquin cuivré. Sivous vous approchez d’elle, vous respirez le patchouli et le musc :certes, en voilà plus qu’il n’en faut pour éblouir, exalter un jeunehomme sensible et clerc d’avoué, qui n’a encore risqué près d’une femmeaucune témérité en plein air ; en un mot, ce qu’on est convenud’appeler, dans les familles de départements, un bon sujet, etdans le monde dissolu des nymphes de l’aiguille et des tapageurs de laGrande-Chaumière, unjobard. Mais voici que tout à coup ce jeune homme métamorphose ses moeurs etamende la coupe de ses habits : il devient gant jaune, casseintrépidement l’angle de son faux col et se permet à la boutonnièrel’oeillet rouge républicain. D’où viennent ces équipées subites demaintien et de costume ? C’est qu’il a rencontré sur un trottoir etsuivi de toutes les fibres de son être, une de ces inconnues parfuméesdont la rencontre devait équivaloir pour lui à une révolution complètede vocation et de destinée. Il la revoit et la rencontre sans cesse,elle flotte et se balance dans les brillants atomes de son cerveau, ilcaracole avec elle au bois de Boulogne et bâille dans sa loge audernier ballet de l’Opéra. Tout cela est daté du poêle de l’étude et seconfond même quelquefois avec la grosse d’un jugement en séparation decorps. Au bout de quelques mois de passion sans espoir, ce jeune hommedépérit et s’étiole ; il est perdu pour la procédure ; bientôt safigure, devenue convulsive et plombée, s’encadre d’un magnifiquecollier moyen âge ; il sera peut-être vaudevilliste, écrivaindramatique, mais assurément son avenir d’avoué est manqué : tout celapour avoir rencontré au détour d’une rue une impossibilité desentiments, une inclination musquée ou vanillée ; le musc a engendrébien des gens de lettres ! Actuellement la scène change et se passe aux carreaux d’un magasin àprix fixe : les étoffes en tous genres roulent, ruissellent etbouillonnent à l’étalage, taffetas, lévantines, cachemires, mousselinesbrochées, crêpes roses, foulards chinés, peckinets, gros de Naples,satins jaspés, valenciennes, malines, mousselines-laine,mousselines-coton, etc... tout cela chiffré, numéroté au grand rabais,rien n’a été oublié pour allumer les imaginations féminines, dénaturerl’innocence d’un jeune coeur et implanter les désirs, les rêves,l’envie, l’ambition, ces monstres de la coquetterie aux dents dediamants qui rongent et dévorent la jeunesse et l’inexpérience d’unejolie femme. Un cabas, des cheveux en bandeau et un solfége de Rodolphe stationnentderrière les carreaux du magasin : que ne pouvez-vous percerl’enveloppe discrète de ce jeune madras, vous verriez ce coeur naïfchatoyer, miroiter comme les étoffes qu’il reflète ; vous le verrieztour à tour chiné, jaspé, glacé, gaufré, incessamment traversé par desdésirs gris de perle, des fantaisies à franges, des volants, desespérances couleur du temps, aux ailes de dentelle et d’azur. Ellesoupire et mesure d’un oeil désespéré la distance sociale qui sépare sontablier de serge noire et son cabas, de ces points d’Angleterre, de cesmantilles encadrées de fourrures. Tous les matins, en se rendant aumagasin ou au Conservatoire, elle est ainsi pendant un quart d’heureduchesse ou grande coquette, – à travers les vitres. Le reste de sontemps est consacré à border des souliers, ou à filer des sons à laclasse de M. Ponchard. Pauvre fille qui ne voit ces trésors du luxe quederrière le prisme magique des carreaux ! Elle n’a pas comme la grandedame la faculté de pouvoir tout déployer, tout bouleverser sur lecomptoir, suffisamment excusée par un chasseur en drap vert et deschevaux gris-pommelé qui piaffent et font de l’écume à la porte. – Ilfaut être riche pour être en droit de ne rien acheter. Que dirait cependant ce provincial au coeur vierge, qui erre sous lesgouttières de ce balcon, éperdument épris d’une persienne cachée sousles toits ? que diriez-vous surtout, ô vous Olympe, Amanda, Modeste,Virginie, si quelqu’un venait vous annoncer que non pas l’annéeprochaine, ni dans l’avenir, ni dans un siècle, mais aujourd’hui, cesoir, si vous voulez tout ce que vous avez dévoré des yeux ce matin àtravers les carreaux de Burty ou de Gagelin, tout cela vous sera donné,offert, et rien n’y manquera, pas même votre innocence : la redingoteen gros de Naples, le châle garni de dentelles, la capote de crêpeblanc, l’éventail rococo, coloré d’après Watteau, le mouchoir bordé dejours, les brodequins de maroquin anglais, une toilette ravissante,accomplie, irrésistible, vous dis-je, avec laquelle vous pourrezusurper les titres d’une lady, si vous ne préférez être ce soir une desreines des quadrilles du Ranelagh ? Et toi, jeune homme fasciné par une séduisante rencontre, crois-moi,jette Faublas par la fenêtre, et ne songe plus à soudoyer les portiers.Cette femme que tu as vue rayonner à toutes les premièresreprésentations, ou bien se balancer nonchalamment comme une fleurmatinale sous les arbres des boulevards, dont tu as espionné lesmoindres mouvements, enregistré les plus légers faux pas, apprendsqu’elle appartient tout entière, corps et biens, à cette autre femmequi est plus que sa création, sa modiste, ou son ange gardien,puisqu’elle lui dispense ses charmes, ou du moins le moyen de les fairevaloir, Metternich de la mode et de l’amour, caméléon femelle, sphynxaux mille ruses, argus aux mille regards ; c’est elle qui régitincognito le cours et le mouvement de la bourse galante ; qui y crée lahausse et la baisse, qui serpente, se glisse et s’insinue partout,puissance incalculable, banque souveraine, domination cachée maisirrésistible dans ses effets, enfin créature merveilleuse, incomparableet vraiment unique, vous l’avez nommée, reconnue, saluée sans doute ;c’est la Revendeuse à la toilette. La plus jolie femme de la Chaussée d’Antin est étendue sur sa causeuse,elle souffre et se plaint ; elle a, comme beaucoup de femmes de cequartier fragile et sensuel, des crispations nerveuses et presqueautant de créanciers que de nerfs. « Je n’y suis pour personne, Rosalie, vous entendez, pour personneabsolument. » Cette consigne est à peine donnée à la camériste, qu’on sonne à laporte : « Madame Alexandre. » Le moyen d’empêcher madame Alexandre d’entrer ? Madame n’a besoin derien, elle est parfaitement assortie, encombrée même de robes et dechâles sinécuristes, qui sommeillent sous les sachets de ses armoires ;n’importe, il n’y a pas de force humaine qui puisse empêcher madameAlexandre de dénouer ses cartons, d’ouvrir ses coffres et de chamarrerles fauteuils, les meubles, le lit et les chaises, de dentelles, defourrures, de châles, de rubans, de crêpes de toute espèce. Résistezmaintenant, si vous pouvez, à ce coup d’oeil prestigieux : voyez cettemantille, voyez ce cachemire et cette garniture ! Tout cela estdélicieux, d’une fraîcheur parfaite et n’a jamais été porté. « Mais, dit la malade, debout devant sa psyché en renfonçant lesbouillons de ses cheveux blond-cendré sous un chapeau en gazetransparente, c’est que je me trouve pour l’instant tout à fait sansargent... - Eh ! qu’importe, ma toute belle, vous savez, entre nous, – un petitbon à deux mois. – Cela vous va-t-il ?... Du reste, ce chapeau voussied à ravir. – Ne vous occupez de rien, j’ai sur moi du papier timbré.– Je baisserais un peu les anglaises. – Et puis, vous savez le vieuxprince de..., qui a la goutte et des chevaux qui vont comme le vent, ilvous adore. – Nous disons donc un bon à six semaines, cela m’arrangeramieux. – Mais êtes-vous jolie comme cela ! Ah ! friponne, la petiteN... de l’Opéra en mourra de dépit. – Amour que vous êtes, allez !voulez-vous signer ? » Madame Alexandre sort de cette maison pour se rendre dans un entre-solvoisin, chez M. Alphonse gant jaune, l’un des dîneurs, l’un desdébiteurs, veux-je dire, du café de Paris. Eh quoi ! dira-t-on, du poude soie rose, de la blonde, des cachemires et des marabouts chez unhabitué du café de Paris ! Patience, lecteur, écoutez cet autrecolloque. « Bonjour, Alexandre, comment te portes-tu, ma petite, ma grosse, mabonne, ma vieille ?... - Pas trop mal ; monsieur Alphonse. Je sors de chez une de ces dames ; ellem’a chargé de vous demander ce que vous préfériez d’une pèlerine bordéede grèbe ou de chinchilla ? - Mon Dieu, à te dire vrai, cela m’est égal... Chinchilla ! chinchilla! on dirait un nom de jument. Ah ! à propos... Adieu, au revoir,Alexandre, tu sauras que je n’entre absolument pour rien dans ladépense de ces dames. - C’est bien ainsi que madame l’entend ; elle m’a seulement chargée devous demander votre goût, vous avez le goût si excellent ! Et puis ellea appris que M. de... vous savez, ce gros blond qui joue si gros jeu, aparié que ce soir, à l’Opéra, mademoiselle Anastasie éclipserait toutesles autres femmes. - En vérité ? l’imbécile ! combien cette garniture de chinchilla ? - Vous savez, ce qu’il vous plaira, je n’ai pas de prix avec vous, jene vous demande qu’un petit bon... à deux mois ou à six semaines, sicela vous arrange mieux, j’ai sur moi du papier timbré. » Du temps de Turcaret, la Revendeuse à la toilette s’appelait madameJacob ou madame la Ressource ; elle s’appelle aujourd’hui madameAlexandre. Son nom a changé, mais le métier proprement dit est toujoursle même ; il exige un tact infini, du machiavélisme assaisonnéd’aplomb, de bonhomie et de rondeur, de l’audace et de la souplesse,enfin de la haute diplomatie. On peut blâmer sans doute la Revendeuse à la toilette, lui faire sonprocès au nom de la morale et de la société ; il me semble pourtantqu’il y a plusieurs manières d’envisager sa profession. Que fait-elleaprès tout ? Elle rend d’éminents et incontestables services à unecertaine classe d’individus, qui sans elle ne trouverait nulle part nicrédit, ni fournisseurs, ni toilette, ni avances. C’est une espèce deprovidence à domicile qui a bien sa partie faible sans doute, mais quia aussi son côté utile et méritoire. Elle vous endette gaiement, vousruine de même ; quelquefois aussi elle vous sauve, vous rachète ; iln’y a guère de fortunes de femmes sans dettes et sans usure. Ainsi, une Revendeuse à la toilette surprend une femme à la mode lematin chez elle, enveloppée dans son peignoir, et noyée dansl’affliction : pauvre femme ! Elle a vu s’envoler hier son trésord’attachement, un sentiment de 500 francs par mois ! La Revendeuse à latoilette entre au milieu de ses jérémiades. « Séchez vos larmes, mabelle, voici de quoi briller, et restaurer aujourd’hui même votreposition. Vous redoutez les échéances, le papier timbré vous fait peur,eh bien, je vous loue une toilette complète, je vous loue des plumes,du velours, des bijoux, des dentelles, pour une semaine, pour un mois ;abonnez-vous pour un semestre de coquetterie et d’atours. » Trouvezdonc une créature plus arrangeante que celle-là ! C’est du génie, surma foi ! que de savoir compatir ainsi à 15 ou 20 pour cent auxinfortunes et aux étoffes fanées d’une jolie femme. Hélas ! pourquoitous les métiers n’ont-ils pas leur madame la Ressource ? pourquoi lepeintre ou le poëte ne jouissent-ils pas des mêmes priviléges ? Mais lesystème même de l’usure est déplorable. On escompte une jolie figure,mais on ne prête rien sur une tête de génie : le mont Parnasse estencore à chercher son Mont-de-Piété. Ne confondons pas cependant la Revendeuse à la toilette avec lamarchande à la toilette. Cette dernière race reste perdue dansl’innombrable et banal troupeau des industries ordinaires et nomades ;elle vend, brocante, fait de la friperie en détail ; elle a ses entréeschez plusieurs femmes du monde qui satisfont, grâce à elle, leur goûtsde changement ; mais c’est là du négoce subalterne : elle parle de saconscience et de ses moeurs ; elle a, je crois, de la probité et unepatente. La Revendeuse, elle, n’a rien de tout cela, et ne dépasse guère lasphère équivoque des coquettes à prix fixe ; mais en revanche la natureéquitable lui a donné ou prêté, si vous voulez, sans intérêt, du génie.Or ce génie éclate dans toutes les actions de sa vie, mais surtout danscelle de racheter ; car la Revendeuse rachète, et c’est même là une desplus importantes ramifications de son négoce, et en même temps une desplus heureuses propriétés qu’elle possède aux yeux de sa clientèle.Admirez son talent ! Elle vous présente sur son poing fermé enchampignon un objet quelconque, soit un chapeau rose. A l’entendre, ons’agenouillerait devant les fleurs qui le décorent, on se pâmeraitd’admiration devant les rubans, les plumes, le crêpe et la dentelle.Tout cela est d’un goût, d’une fraîcheur incomparables ! Cependant qu’il s’agisse de lui revendre ce même chapeau séance tenante; dans le fait seul de passer des mains de la revendeuse vendante danscelles de la revendeuse achetante, ce chapeau aura vieilli d’au moinsdix ans, perdu cent pour cent de sa jeunesse ; les rubans, tout àl’heure frais comme la rose, sont maintenant effroyablement fanés,éclipsés, décolorés. Qui est-ce qui oserait mettre un pareil chapeau ?A midi, on ne portait que du rose et toujours du rose, la couleur parexcellence ; mais à midi un quart : « Qui est-ce qui porte du rose ?grand Dieu ! Si c’était du jaune, du lilas, du coquelicot, du gris desouris, de l’oeil de mouche effrayée, je ne dis pas, mais du rose, fil’horreur ! c’est la nuance du croque-mort. » Il est certain qu’il y a dans le geste, la pose et l’épithète de lavéritable Revendeuse à la toilette quelque chose qui lustre, embellitet magnétise ce qu’elle vend, et en même temps déprécie et dégomme cequ’elle rachète. Elle est incomparable sur ce point-là : elle fait dece qu’elle touche de l’or comme Midas, et suivant la pierre de touchede son commerce. Un cachemire sort de son carton, indien, et il yrentrera pur et simple lyonnais. Quand il fera une nouvelle sortie, ilredeviendra légitime et authentique enfant des plaines de Sirinagur.Singulière femme qui possède ainsi le don de distribuer unenationalité, une religion, un baptême, aux tissus nomades et auxétoffes judaïques qu’elle colporte ! Elle vend tout, rachète tout ;elle vous vendrait même la mule du pape si vous consentiez à lui enpayer les intérêts. Où loge-t-elle ? où sont situés ses magasins et ses dieux lares ? quipeut le dire ? Elle n’a guère, à proprement parler, d’autre domicileque les trottoirs et les escaliers qu’elle arpente du matin au soiravec son immense boîte en bois attachée avec une lisière ; elle loge enchambre, rarement en boutique. On lui suppose généralement denombreuses connivences avec la police, mais il n’en est rien. La policevend quelquefois, mais ne rachète jamais. Elle jouit ainsi que lesmaisons à parties, d’une sorte de tolérance anonyme. Son intérieur estsimple et a même un certain cachet de dissimulation. On n’y remarqueque des armoires ; on devine qu’elle ne vit et n’agit qu’au dehors.Ordinairement elle est à la tête de plusieurs noms, dont elle changecomme ses clientes de chapeaux. Quant à son signalement physique, il est simple et fort répandu dans lacirculation parisienne. Représentez-vous une grosse et large commère entre quarante etcinquante ans, un nez barbouillé de tabac avec un tablier noir à poche,un tartan qui lui lèche les talons, une robe en taffetas puce, unchapeau de paille à gouttières, sensiblement incliné vers l’oreille, uncarton de bois au poignet, l’autre poignet sur la hanche, un faux tourdéfrisé qui pleure sur une de ses paupières, une montre d’or àl’estomac, des perles en poire aux oreilles, des bagues à toutes lesjointures, une bouche en coeur, des yeux louches, des dents larges commedes dominos, et des socques articulées ; – c’est elle. Elle parle tous les patois, mais surtout ceux du midi ; elle décore enpremière ligne cette classe d’industriels aux bénéfices cachés, auxmanoeuvres inconnues, les prêteurs sur gages, les bijoutiers ambulants,les tailleurs du Havre ou de Haïti qui troquent le vieux drap contre ledrap neuf, les racheteurs de reconnaissances du Mont-de-Piété,négociants souterrains et rusés qui laissent quelquefois à leurshéritiers un million de fortune en monnaie de Monaco et en billetsprotestés. Certes, si l’on voulait prendre les choses sous un certain point devue, on pourrait adresser de grands reproches à ce genre d’industrie,coupable à la fois par son origine et les menées qu’elle emploie dansson exécution. Nous devrions peut-être rembrunir un peu le fond dutableau, pour indiquer dans le lointain certaines figures de femmeavilies et perdues par le vice, avec l’indélébile cachet de la honte etdu désespoir au front. Il est certain que plus d’une innocence atrébuché à ce piége de dentelles et de rubans placé sans cesse sous sespas. Ces commerçantes sont après tout des conseillères sataniques etinfatigables qui agissent impitoyablement sur les parties faibles de lanature de la femme, la vanité et le désir de briller ; ellesl’enlacent, l’enveloppent dans leur irrésistible filet, et la prennentchaque jour à de nouveaux hameçons. C’est en général par cette pente decachemires usuraires, de dentelles et de parures, qu’une femme setrouve insensiblement poussée vers ce dernier pied à terre du vice etde la tristesse, qui devrait avoir à la fois pour fondatrice et pourportière la plus considérable et la plus enrichie de toutes lesRevendeuses à la toilette, je veux parler de l’hôpital. Mais que voulez-vous ? jusqu’à nouvel ordre, les moeurs françaisesglisseront et voltigeront sur l’épiderme des grandes questions ; nousavons des philosophes moraux et des socialistes, nous applaudissons àleurs justes récriminations, mais nous ne nous empressons guère desouscrire à leurs réformes. C’est pourquoi, avant d’être un grand abus,un scandale avéré, une grave immoralité sociale, la Revendeuse à latoilette n’est et ne sera longtemps encore sans doute pour le public,c’est-à-dire pour les gens qui ne lui ont jamais souscrit de billets,que ce qu’elle était du temps de Lesage et de Regnard, un personnage decomédie. ARNOULD FRÉMY. |