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ROCH,Eugène : Le cimetière du Père-Lachaise(1832).
Saisie du texte et relecture : S. Pestel pour lacollection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux(09.IV.2009)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx :nc) de Parisou le livre des cent-et-un, Tome IV, publié à Paris: Chez Ladvocat en 1832.
 
Le cimetière du Père-Lachaise
par
Eugène Roch

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Un cri religieux, le cri de la nature
Vous dit : pleurez, priez sur cette sépulture ;
Vos parents réunis dorment dans ce séjour,
Monument vénérable et de deuil et d’amour.....
Où l’âge qui n’est plus attend l’âge suivant,
Où chaque grain de poudre autrefois fut vivant.

DELILLE.


Vers la fin de l’été, je me trouvais en proie à un accès de cettemélancolie profonde, qui est comme l’instinct d’un ressentiment secretcontre les hommes, le souvenir amer d’un passé vague, et une lassitudedes choses du moment. Livré à cette disposition, l’on aime à sortir del’enceinte des villes, à laisser derrière soi les formes trop positivesde la vie sociale, à s’éloigner de ce qui est faux, artificiel, endésharmonie avec la nature, enfin à fuir ses semblables....  –Et si, encore plein de cette humeur sombre, mais d’une tristesse déjàplus douce, vous gravissez une colline dont le sommet vous fassedominer sur la grande cité populeuse, sur le vaste Paris, alors votrerêverie se laisse entraîner à cette direction philosophique qui menaVolney méditer sur les ruines ! Vous admirez la puissance du temps, del’industrie, de la civilisation, dans cet amas surprenant de maisons,qui, sous leurs bases, dérobent à vos yeux des plaines, les rives d’unfleuve et de nombreux coteaux, de ces maisons que seize siècles ontapportées une à une, et jour par jour, l’une à côté de l’autre ! Vouslisez l’histoire sur le fronton des bâtiments royaux et sur la togenoirâtre des monuments ; vous interrogez la morale et les misèreshumaines, la religion et la politique, dans cette mêlée, qui sembleavoir cessé tout à coup, de dômes et de tours gothiques, de temples etd’églises, de palais et d’hôpitaux. Tout nourrit vos méditations : etce contraste de l’immobilité des édifices avec le mouvement de lafourmilière humaine qu’ils renferment, et ce bruit uniforme produit partant de cris divers, bourdonnement d’une ruche immense que l’on écoutesans en voir les habitants ; et ce rideau brumeux jeté sur le centre dela ville et qui ne se lève jamais en entier.... Oui, tout, jusqu’àcette fumée capricieuse, ici s’élançant en jets noirs et épais, làfuyant en ondes légères, dessinant sa mobilité sur l’azur, ets’envolant en vapeur diaphane....  – J’allais donc m’acheminervers Montmartre, le seul endroit où les étrangers et les Parisiens vontvoir se dérouler à leurs pieds le tableau de la capitale, lorsque je merappelai que, sur une colline de l’est, je pouvais contempler le mêmepanorama, sous un aspect plus pittoresque. Je me dirigeai aussitôt versle cimetière du Père-Lachaise.

En marchant rêveur, j’oubliais la distance qui s’abrégeait comme à moninsu ; il me restait encore à franchir une longue allée de boulevart :une jeune fille, une femme et un garçon accoururent au-devant de moipour m’offrir des couronnes qu’ils portaient en grand nombre sur desbâtons ; il y en avait de toutes blanches, de toutes jaunes, de toutesvertes, d’autres mélangées, et elles étaient tressées d’immortelles. Lavue de ces fleurs me rappela de riantes idées de l’antiquité ; combienon devait en vendre aussi dans les avenues des temples, là où il yavait tant de déesses à honorer. Cependant quelques couronnes toutesnoires me firent souvenir de leur destination, je regardai la jeunefille qui me les offrait, puis la muraille du cimetière qui longe leboulevart, et un sourire d’ironie erra sur mes lèvres.... Je ne tardaipas à remarquer combien se sont multipliées ces bouquetières, indiced’un autre accroissement sur lequel mes idées ne s’étaient pas encoreportées.

Les environs du Père-Lachaise sont peuplés de ces marchandes de fleurs,de guinguettes et d’ateliers des monuments funéraires.

Mieux peut-être qu’aucune autre circonstance, le nombre des marbrierstémoigne de l’augmentation effrayante dont je veux parler : une rueentière qui aboutit à la barrière d’Aulnay n’est bordée, des deuxcôtés, que de leurs magasins ; les pierres tumulaires, les grilles etles croix de tous les modèles et de tous les prix y sont étalées dansle même ordre et avec autant de coquetterie que les meubles d’acajoudans nos bazars ou dans les boutiques du faubourg Saint-Antoine ; desrangées d’urnes, petites, grandes et moyennes, garnissent les parois,et des tombes exécutées sur des proportions très-minimes forment, pourainsi dire, des collections de miniatures, à l’instar des montres debijouterie. Rien n’a été négligé pour donner de l’attrait aux annoncesde sépulture et d’exhumation ; un moyen de séduction est cherché jusquedans les enseignes : ici l’on d’adresse au tombeau de La Fontaine ;là, au tombeau d’Héloïse et d’Abeilard ; plus loin, au tombeau dugénéral Foy. Les entrepreneurs ont espéré que le fils qui marche lesregards baissés à la suite du fatal corbillard, pourrait les détournerun seul instant et conserver un souvenir. Il a fallu même une mesure depolice pour interdire à l’industrialisme la faculté de se mêler auxconvois et de faire ses offres de service dans l’enclos du cimetière ;désormais il ne se tient plus qu’à la porte des mairies où il guetteles déclarations de décès. Pour cette classe d’hommes, la vie n’estqu’une plante parasite de la mort.

Le nombre des décès trompe quelquefois les spéculations de cesmarbriers ; je considérais leurs ateliers avec une sorte de curiosité ;j’entendis l’un d’eux se plaindre de ce qu’il appelait sa morte saison.« Heureusement », ajouta-t-il, « nous attendons la chute des feuilles,l’automne approche, et quelques grosses têtes vont nous arriver. »

L’entrée de cette avenue directe du Père-Lachaise porterait dans l’âmela première impression de tristesse naturelle à l’approche d’un telséjour, si l’on n’y était préparé d’abord par le trajet de plusieursrues désertes ; mais, auparavant, le coeur se serre à l’aspect d’unevaste prison toute neuve et non encore achevée, avec ses hautesmurailles, ses nombreuses fenêtres à barreaux de fer, ses grosses tourset son redoutable aspect de Bastille. Une prison sur le chemin d’uncimetière ! quelle imprévoyance cruelle ! La partie morale desinstitutions de ce genre ne sera-t-elle donc jamais aperçue ? Une autreprison s’élève en même temps près de l’enceinte où se déploient lesjeux et les fêtes du nouveau Tivoli. Quel contraste ! Et dans laquellede ces deux maisons de captivité chercher la pensée du législateur ?Ici, est-ce dérision ? là, est-ce inhumanité ? Non, mais irréflexion etinsouciance partout.

Les portes des deux villes, c’est-à-dire du Paris mort et du Parisvivant, se regardent de près ; les gardiens de l’une et de l’autrepeuvent très-bien s’entendre, se répondre et fraterniser. La largeur dela chaussée et des contre-allées du boulevart sépare seulement labarrière d’Aulnay de l’entrée du cimetière.

Devant la façade de cette entrée qui s’enfonce en demi-lune, grandiosecomme serait une entrée du parc de Versailles, des fiacres, desdemi-fortunes, de brillants équipages s’arrêtaient : il en arrive àchaque instant. Ainsi chacun vient là un jour pour ne plus s’enretourner, il importe peu dans quelle voiture ; l’égalité commence del’autre côté du seuil. Personne n’entrait qu’à pied. Les visiteursopulents me parurent regarder avec moins de morgue les piétons plusmodestes : c’est que, dans ce lieu, le sentiment de la plus cruelleréalité impressionne l’âme et émousse sa fierté. Sans doute, au jourfatal, il existera encore une différence dans les vêtements ; le hêtreet le sapin succéderont à la toile et à la bure, une double enveloppede cèdre et de plomb remplacera la laine soyeuse et le cachemire ; maisqui habillera-t-on ainsi d’un bois vil ou précieux ?... Les vers de latombe pour qui l’on édifie de tous côtés, dans cette enceinte, lemarbre et le bronze, et les vrais habitants de ces palais mortuaires.

Je remarquai que chacun éprouvait, comme moi, ce sentiment subit quifait qu’on parle à voix basse et d’un ton grave, que l’accent devientmystérieux et réservé en entrant dans cet enclos si vaste, comme sil’on pénétrait dans la chambre d’un malade dont on craindrait detroubler le sommeil ; on obéit à une sorte de terreur et de retour sursoi-même ; il semble que, sous terre, des oreilles soient attentivespour vous écouter. Ah ! parmi tant de paroles qui sortent des boucheshumaines, combien peu en laisserait-on échapper, si l’on était certainqu’elles fussent recueillies par un témoin invisible ! L’homme parletrop d’un Dieu, et ne croit pas assez à sa présence ; il le nommepartout et ne s’en souvient nulle part.

Je tenais à la main plusieurs couronnes ; à quelle tombe destinais-jecet hommage ? Huit ans se sont écoulés depuis le jour où j’assistai aumariage d’un de mes amis, hymen funèbre, dernière consolation d’unemourante !... Il est une maladie, la plus cruelle de toutes, car ellesévit avec le plus d’ardeur contre la jeunesse, et dévore les organesde la respiration. Le médecin, en la reconnaissant, se détourne avectristesse, sans ressource contre ses ravages. Eh bien, le germedestructif, à son dernier degré de développement était dans le sein dela mariée. Le jeune homme, objet de son amour, et qui l’aimait d’unamour égal, n’avait pu être assez égoïste pour se refuser à ce vainsimulacre d’union ; combien il dut souffrir ! L’épouse ne permit pointqu’on omît, qu’on abrégeât aucune des cérémonies, dussent-elles, dansune église très-froide, précipiter les progrès du mal.... Je l’ai dit,c’était la dernière consolation d’une mourante. Nous la conduisîmes àla maison de son mari ; je pris sous le bras cette jeune malade, je luiaidai à monter l’escalier, elle le faisait péniblement ; hélas ! quellepensée me préoccupait ! la pensée que l’infortunée ne le descendraitjamais vivante. Lorsqu’elle entra dans l’appartement nuptial, un rayonde bonheur s’épanouit sur ses joues pâles, et y fit briller comme unespoir de guérison ; mais, l’instant d’après, plus de trace de cettelueur ! Elle se coucha, fit suspendre son bouquet, et étaler à sespieds ses habits de noces ; pendant vingt jours, elle les regarda ensouriant ; le vingt-unième, elle cessa de les voir... Je l’avaisaccompagnée à l’autel, je dus la conduire au champ du repos. Onl’inhuma sur l’éminence en face de l’ancienne grande porte. Il m’ensouvient, au moment de sortir, une larme coulait encore de mes yeux ;je me retournai, je vis distinctement l’endroit où reposait l’épousevierge, et je lui adressai un dernier salut.

Depuis cette époque, j’ai été assez heureux pour n’avoir à accompagnerdans ce séjour personne qui me fût cher ; toujours, dans le chemin dela vie, j’ai marché sans réfléchir à tout ce que la faux de la mortmoissonnait sur sa route. Si le souvenir du Père-Lachaise se présentaitfortuitement à mon esprit, je le voyais tel que je l’avais vu alors,avec des tombeaux déjà nombreux, mais dispersés, et entre eux des videset des places désertes.

Aussi adressai-je, en entrant, mes regards du côté où je devais déposermes couronnes. Combien j’étais simple ! et quel fut mon étonnement, jedirai presque mon effroi ! Je me représente ce que dut être, il y aquinze ans, la surprise de l’émigré qui en avait passé trente loin desa patrie, lorsqu’il chercha dans Paris ces jardins spacieux, cesterrains vagues, ces marais verdoyants qu’il avait laissés à sondépart, et où des masses d’édifices, des quartiers somptueux s’étaientélevés avec l’éclat et le bruyant étalage de la civilisation moderne.Mon étonnement ne fut pas moindre à l’aspect de cette forêt d’ifs et demonuments funèbres pressés, étagés, entassés dans le cimetière duPère-Lachaise, en si peu d’années. Que d’arbres et d’arbustes ! que debronze, de marbre, de granit, de pierres de tout genre ! que de grillesde toutes dimensions, de fûts, de colonnes, de pyramides, de statues,de mausolées et de formes sépulcrales ! que d’inscriptions, de nomspropres, de titres et d’armoiries ! que de croix, de larmes simulées etd’attributs ! que d’hommes, de femmes et d’enfants, tous inanimés, tousayant vécu ! Que la mort est féconde ! qu’elle est puissante ! qu’ellefrappe vite et que ses coups sont fréquents ! Que de conquêtes, que derichesses, quel empire ! « Non, m’écriai-je, ce n’est plus le simplechamp du repos, c’est la magnifique cité d’une population de cadavres. »

Mais quoi ! les vivants y usurpent la place des morts et leur disputentleur dernier asile ! Pieux voyageurs, je vous contemple agenouillésdevant ces sépulcres où sont façonnés les attributs symboliques dutrépas, où votre crédulité veut honorer des restes mortels, où un nomest écrit au-dessus de la porte. Levez-vous, regardez, c’est unmausolée vide ; le propriétaire de ce monument, encore dans la fleur del’âge, nage au milieu des délices. Ne savez-vous pas qu’il appartientau riche de la capitale d’avoir son hôtel à Paris, sa maison decampagne à Saint-Cloud, une loge au Théâtre-Italien, et une tombe auPère-Lachaise ?  ce sont des arrhes pour une habitation qu’iloccupera quand le terme sera venu. D’avance, il choisit l’expositionqu’il préfère aux rayons d’un soleil qui ne réchauffera point sacendre, une éminence ou un bas-fond, un voisinage selon ses goûts, lasolitude ou le grand monde et le quartier le plus brillant, car lePère-Lachaise a son aristocratie tumulaire et ses faubourgs. Toutefois,n’enviez point le riche que je viens de citer ; lorsqu’il bâtissaitavec tant de luxe, il était loin de prévoir qu’une révolution, en 1830,courberait sa tête avec tant d’autres. Depuis, j’ai visité son hôtel,ce n’était plus sa livrée dans la cour ; sa maison de campagne, cen’étaient plus ses enfants dans le parc ; sa loge, ce n’était plus sonépouse sur le premier banc ; partout un nouveau maître : sa tombe,voilà ce qui lui reste, elle ne saurait lui manquer.

Les grands noms de l’ancien régime ne s’inscrivent plus sur la façadedes hôtels, comme les noms des Larochefoucault, des Crillon, desTalleyrand, des Choiseul, des Gontaut-Biron, que l’on voit encore. Cetusage, la mode l’a transporté au Père-Lachaise pour toutes les classesoù règne l’aisance ; partout ce sont des sépultures de famille ;elles viennent y étaler, d’avance, les unes leur obscurité, les autresleur orgueil, toutes leur néant. Il est, toutefois, de ces fondationsque les plus tendres affections ont consacrées. Là, on se donnerendez-vous après le trépas ; il est doux de savoir que l’on s’yretrouvera. La philosophie avoue également ces idées d’anticipation surla mort ; sans doute c’est une résolution qui peut ne pas être sansinfluence sur la moralité de la vie, que celle d’aller volontairementmarquer le but où une nécessité inexorable doit vous conduire, méditersur soi-même et essayer son cercueil.

Seul vers le soir d’un jour de mélancolie, on va ainsi désigner saplace ; seul, dis-je, en un jour triste, ou, suivant l’impulsion ducaractère français, en partie avec ses amis, et dans un jour de gaîté; on les consulte sur le lieu, les dimensions et le plan de l’édifice ;puis il devient, lorsqu’il est achevé, une sorte d’acquisition nouvelledont le propriétaire se plaît à faire les honneurs ; on en cause dansla joie des festins, où n’apparaissent, au lieu du crâne repoussant del’ancienne Égypte, que des images de marbre poli, de gazon et defleurs. Cette fréquentation familière du champ de repos semble adoucirle passage de la vie à la mort, et les rattacher l’une à l’autre parmille liens nouveaux ; elle rend la perte d’un objet chéri moins amère,son absence moins absolue et moins complète ; on se fait illusion plusaisément sur son sommeil prolongé, lorsqu’on est souvent près de sondernier lit de repos.

Ainsi s’agrandit chaque jour cette nouvelle ville, entrepôt de cendreset d’ossements. Bientôt il faudra numéroter les tombeaux, désigner lescarrefours, et nommer les rues. Là, peut-être, comme dans nos citésvivantes, on négligera le génie et la renommée pour l’opulence et leluxe.

Mais que tarde-t-on ? Il y a vingt-cinq ans à peine que l’on a dit à lamort : « Constatons tes progrès, élève ta cité, comme nous la nôtre, et comparons. » Eh bien, la ville neuve à côté des trente millemaisons de la vieille Lutèce, étale déjà ses trente-un mille monuments(1) !

Déjà une police complète y est nécessaire. On y voit régner toutel’activité de l’industrie ; les grandes avenues y sont sans cessetraversées par des architectes, des charpentiers, des serruriers, desmaçons, et une foule d’autres ouvriers : c’est bien une ville enconstruction. L’idéal s’évanouit devant le spectacle des chèvres, desroues, et des échafaudages ; car les tombeaux, humbles et resserrésdans l’origine, deviennent spacieux à leur base, croissent en hauteur,et ne s’arrêteront point sans doute au degré où ils sont parvenus. Onavait bâti une multitude de petites pyramides avant d’employer tantd’années, de bras et de pierres à construire le monument gigantesque deChéops.

Çà et là les aiguilles des pyramides qui sont au Père-Lachaises’élancent au-dessus des autres tombeaux. Peu s’en est fallu qu’unobélisque en marbre de Carrare n’attestât, par une élévation dequarante pieds, l’opulente vanité d’un tapissier du roi. Uneinscription aurait indiqué que M. Boulard lui-même avait fait le voyagede Gênes pour choisir le marbre le plus pur. Des fouilles en terre dequarante pieds de profondeur avaient eu lieu, et 400,000 fr., suivantle voeu du défunt, allaient être consacrés à ce monument, lorsque seshéritiers jugèrent que sa dépouille mortelle ne pouvait reposer nullepart plus dignement que dans la chapelle de l’hôpital de Saint-Mandé,élevé avec un million qu’il avait légué pour cette oeuvre philantropique.

La place destinée à ce phare de l’opulence industrielle n’est pasrestée vide, sur le devant, et à l’extrémité de la grande avenue dunord, une pyramide monumentale s’élève aujourd’hui pour une richefamille portugaise du nom de Dios Santos ; on arrive à sa base pardeux escaliers latéraux de quinze ou vingt marches, et un troisième,placé au centre, conduit au caveau qu’elle surmonte, et dont la moitiéseulement apparaît au-dessus du sol. Comparés à des constructions sidispendieuses, combien semblent déjà gothiques ces simples caveauxfermés d’une porte de bronze, et fastueux naguère à côté des premierssarcophages ! Aujourd’hui l’on bâtit des chapelles, et la plupart desmonuments adossés aux coteaux n’ont pas moins de deux étages, unrez-de-chaussée sur la route d’en-bas, et un autre supérieur pour celled’en-haut. Aussi un enfant, trompé sans doute par les dimensions de cesédifices, demandait-il avec autant de justesse que de naïveté, ens’arrêtant près de chacun d’eux : « Qui demeurait là ? »

Tels sont les progrès de l’ostentation dans les tombes, que déjà ellesuffit à la prospérité d’une entreprise spéciale des sépultures.

Par les soins de cette entreprise, le tombeau même de l’époux n’estplus délaissé ; l’on a observé que c’est celui qui atteste le plusd’abandon ; cette observation semble fondée. Un homme peut appartenir àune première femme par le culte du souvenir, et à une seconde par unedouce communauté d’existence ; une femme ne paraît point née pour untel partage. Lorsqu’elle se remarie, et il en est peu qui ne sedévouent à de secondes noces, l’anneau du premier hymen qu’elle répudieen emporte les dernières traces ; c’est l’anneau de Didon auquels’attachait la mémoire de Sichée. Mais que l’on demande quelles tombesrévèlent le mieux un amour qui survit à la séparation et le sentimentd’une âme toujours unie à l’objet qu’elle a perdu ; ne sont-ce pascelles où dorment des enfants ? on reconnaît vite où a passé le deuild’une mère ! Deuil à jamais ineffaçable ! C’est par lui surtout que lavoix du marbre sait nous attendrir. Qui n’a point lu les inscriptionsde la douleur maternelle ne devine pas tout ce que le coeur peutrenfermer d’éloquent et de sublime en quelques mots.

J’observais les mouvements d’une jeune femme parmi ces massifs où seréfugie le recueillement que la distraction exile des alléesprincipales. Cette femme aussi était veuve d’un jeune enfant ; avecquels soins je la voyais remplacer par des fleurs nouvelles les fleurssitôt fanées, appuyer d’un pied léger sur la bêche qu’elle craignaitd’enfoncer trop avant, répandre l’eau d’un petit arrosoir placéderrière un if, et sourire aux premières pointes de verdures, quedis-je ! sourire au visage de son fils, toujours riant pour elle !Trois pieds de terre ne semblent point lui en dérober l’aspect : ellen’est plus auprès de sa tombe, mais auprès de son berceau, il dort...tendre mère ! elle lui sourit, mais elle craint de l’éveiller.Étrangère à tout ce qui n’était pas cette douce préoccupation, ellen’en fut point distraite par l’empressement manifesté autour d’elle etoccasionné par l’arrivée d’un riche convoi.

Tout le monde accourait à cette rencontre ; chacun, pour éviter unemultitude de détours, escaladait les tertres, souillait d’un piedfangeux les pierres tumulaires, et faisait fléchir les grilles noires,faibles remparts des demeures sépulcrales. Les personnes mêmes qui, unmoment plus tôt, avaient paré avec un soin religieux le dernier asiled’un parent ou d’un ami, imprimaient leurs pas sur la terre fraîchementamoncelée, que la piété filiale n’avait pas encore eu le couraged’enceindre d’une clôture, ou faisaient tomber, en passant, quelquescouronnes de fleurs blanches, la plus légère des offrandes. Tant il estvrai que le cyprès même de la tombe n’est sacré que pour celui qui l’aplanté ! Cette profanation irréfléchie se renouvelle toutes les foisqu’une pompe solennelle accompagne un cercueil.

Au reste, il suffit de parcourir, au sein de ce séjour, le tempscompris entre un lever du soleil et son coucher, pour connaître lesextrêmes si opposés que renferme la capitale.  De même quedans les forêts, au déclin de l’automne, il tombe à chaque instant desfeuilles de tous les arbres, de même on enlève à Paris, chaque jour,des dépouilles mortelles de toutes les classes. Cette population d’unmillion d’âmes rejette continuellement hors de son sein quantité de sespropres débris ; elle-même, en masse, ne cesse de s’avancer vers lestrois enceintes privilégiées pour l’engloutir ; au midi, vers leMont-Parnasse ; au nord, vers l’ancienne colline de Mars ; et à l’est,vers les coteaux de Ménil-Montant ; le temps n’imprime pas à son vastebalancier un seul mouvement qui ne la pousse tout entière vers cestrois directions.... Eh ! c’est sur les chemins qui conduisent à un telbut que retentissent, du matin au soir, les cris de l’allégressepopulaire, le bruit d’une musique toujours animée, les chants et lefracas des noces de faubourg ! Le corbillard et le carrosse de mariagesortent par les mêmes barrières, se rencontrent fréquemment, etquelquefois même les deux cortéges sont obligés de se mêler :rapprochement singulier des phases de l’existence !

Ces contrastes m’occupaient encore, et déjà je me trouvais au milieu decette brillante division du cimetière où sont venues se grouper lesgrandes notabilité de l’empire, et que l’on pourrait appeler le quartier des Maréchaux. Tout à coup le roulement d’un tambour funèbreparvint jusqu’à moi ; une décharge de mousqueterie se prolongea enéchos répétés ; je crus voir soudain les ombres illustres dont j’étaisentouré tressaillir et s’élancer au-devant d’un frère d’armes en luidemandant le nom de son dernier champ de bataille ; je m’avançai commepour les suivre, et j’aperçus presque aussitôt le peloton de gardenationale qui venait de rendre les derniers honneurs militaires aucercueil d’un sergent de sa compagnie. Jamais les détonations d’armes àfeu ne furent si fréquentes au cimetière de l’Est ; il n’est pas dejour que l’on n’enterre avec le même fracas quelque paisible citoyen.

Deux autres corbillards avaient franchi le seuil en même temps, etplusieurs suivirent à de courts intervalles.

Quoique à toutes les heures du jour les portes du cimetière duPère-Lachaise soient ouvertes, c’est le matin surtout que les convoisse succèdent. Dans la nuit, à une heure constamment fatale, quicommence lorsque les étoiles ont franchi leur zénith, et déclinent versl’occident, la mort a fait sa ronde, et planté çà et là ses drapeauxnoirs sur diverses habitations ; puis, dès que Paris est sorti dusommeil, et que de lourds chariots ont parcouru les rues pour lespurger des immondices entassés sur la voie publique, des chars de deuils’avancent par les mêmes routes pour débarrasser aussi les douzequartiers des corps exposés sur le seuil des maisons. La plus grandepartie s’acheminent vers le cimetière de l’Est.

A chaque instant on voit le cocher funèbre en franchissant le seuil ;jamais ému, d’une physionomie parfaitement uniforme, soit qu’il entreou qu’il sorte, il tient machinalement les rênes ; et sa figure, qui neporte que l’empreinte de l’habitude, est tellement insignifiante qu’iln’a pas même l’air ennuyé ; on en pourrait dire presque autant del’attelage. Des hôtes nombreux qu’il amène, l’un est suivi d’un longcortége dont la bienséance lui procure une dernière fois les hommagesimposteurs, et sur un char parsemé de larmes d’argent, les seules quel’on voie bien souvent à ces riches convois, va prendre place, àdroite, dans la Chaussée-d’Antin du Père-Lachaise. L’autre suit, àgauche, un chemin plus solitaire ; ce dernier arrivant est venu seul,les vivants l’ont quitté aussitôt que la vie... Vainement je cherchederrière le corbillard son unique ami ; le concierge a empêché le chiende franchir le seuil, et l’a contraint de s’éloigner ; le fidèle animaltémoigne sa douleur par ses hurlements, se retourne, s’arrête, revient,rôde autour des murs, erre dans la campagne, et, comme un être qui n’aplus d’ami, plus d’asyle sur la terre, ne sait où se diriger, ni surqui reporter son attachement.

Cependant, son maître transporté dans une excavation où l’on descendpar un grand nombre de degrés, prend bientôt place à côté de celui quil’a précédé ; là, sans distinction des sexes ni des âges, les corpssont mis par rangées, à peine séparés les uns des autres par un pied dedistance. Cette fosse commune que la mort ne peut combler qu’à l’aided’un temps assez long, est toujours béante ; on ne la regarde pas sanseffroi. Agenouillée près du bord, une jeune fille vêtue de laine noire,la tête sur son sein, et les mains jointes, prie avec ferveur ; lapauvre enfant a doublé ses veilles et en a épuisé le produit, avant derecourir pour sa mère à l’asyle de la Charité ; elle prie, et d’un airconsterné, se demande vers quel endroit elle peut adresser des regardsconfiants. Après elle, car je la contemplai jusqu’au moment où elles’éloigna, je vis venir un homme d’une contenance assurée, mais levisage vivement ému, c’était un militaire ; long-temps prisonnier loinde sa patrie, son absence avait contraint sa jeune épouse d’allermourir sous le toit de la pitié ; le malheureux regarde comme s’il lacherchait, comme s’il pouvait la voir... Il a des larmes à répandre, etne sait quelle place en arroser ! L’objet de sa tendresse est enfouidans ce pêle-mêle de cadavres : nul sanglot ne s’est fait entendrelorsque la pelle du terrassier l’a rendue invisible, et nulle voix n’abéni sa dépouille... Il n’y a point de prêtre à l’enterrement despauvres.

Je demandai au vieux soldat si notre dernière révolution était signaléeau Père-Lachaise par quelques monuments ; il me conduisit du côté del’ancienne porte d’entrée, et me montra de loin les trois couleursondoyantes. J’approchai, le front découvert : un simple treillaged’osier, deux rectangles parallèles avec une bordure de buis, un seuldrapeau et deux croix de bois ; sur l’une, ces mots : A la mémoire dePierre Robin, âgé de 67 ans, une des victimes du 28 juillet 1830. Deprofundis ; sur l’autre : Ici repose une Victime inconnue du 28juillet 1830. De profundis. Combien ces mots me touchèrent ! Victimeinconnue, et elle dort dans un enclos fraternel ! les mêmes soinshonorent les deux tombes ! Oh ! sans doute, on les trouva morts loin detous les autres, au détour de quelque rue ; peut-être ne s’étaient-ilsjamais vus auparavant ; peut-être avaient-ils  partagé cequ’on se prêtait dans ces cruelles journées, de la poudre et des balles; le combat les rendit frères ; ils tirèrent peut-être long-temps avantd’être aperçus, et peut-être au même instant le plomb royal lesrenversa tous deux ! Honneur aux parents de l’un qui voulurent devenirceux de l’autre ; ce fut une pensée vertueuse et une oeuvre patriotiqueque de ne pas les séparer. Et quelle était cette victime inconnue ?peut-être un père que ses enfants attendirent en vain, un fils que sonpère chercha sans le trouver ; combien il y en eut ainsi que leurfamille ne devait point revoir !...

Mais, paix aux amis et aux ennemis dans cet asyle où ils reposentégalement, où l’illustre Ney et déjà plus de cent trente des juges quile condamnèrent, dormiraient du même sommeil si la famille de ceguerrier n’avait mis ses restes à l’abri des révolutions dans sespropres domaines ; où les peuples les plus long-temps divisés del’Europe ont des représentants ; où des fils errants de toutes lesnations ont trouvé une tombe hospitalière. Au milieu du groupe de nosgrands capitaines et de nos grands orateurs, je ne peux lire sans unevive émotion, sur le marbre d’un patriote grec, une inscription écritedans la langue d’Homère et avec ces mêmes caractères dont fut tracée,il y a deux mille deux cents ans, la plus sublime des épitaphes : «Passant, va dire à Sparte que nous reposons ici pour avoir obéi à sessaintes lois. » N’avez-vous point vu, comme moi, l’étranger reconnaîtrele nom d’un compatriote, s’arrêter pensif, et s’émouvoir à l’idée duvoyageur surpris par un trépas inattendu, gisant loin du dernier séjourqu’il s’était peut-être préparé d’avance sur sa terre natale ?

Ah ! celui là seul qui sommeille en ce lieu sur un sol étranger n’apoint de part aux larmes, aux sanglots, aux milliers d’offrandes dulendemain de la Toussaint ; c’est la fête des morts, c’est une fêtepublique. C’est dans ce jour qu’il faut voir aborder au Père-Lachaiseune population de tous les âges et de tous les sexes ; ici, une famillepresque complète ; là, un orphelin tout seul ; ailleurs, un frère etune soeur déjà sérieux avant l’époque de la raison, orphelins aussi etfrêles appuis l’un de l’autre dans un monde si rempli d’écueils. Ilsemble que, pendant toute l’année, la douleur s’amasse pour ce joursolennel ; alors il n’est pas un coin retiré du cimetière qui nedevienne l’écho d’un gémissement ; pas un endroit du sol où chaquepersonne agenouillée ne presse un être muet qui était venu avant ellerendre hommage à une poussière humaine dont la sienne a pris la place.La douleur et l’attendrissement planent sur ce grand espace, etmontrent combien, en général, la nature a doué l’homme de bonté. A voirun tableau si mouvant, une multitude si pressée dans un tel lieu, oncroirait que le juge suprême a dit la parole de Massillon ; « Morts,levez-vous ; » que les tombes se sont ouvertes pour rendre leursdépôts à la lumière et à la vie.

Cet immense concours ne se renouvellerait pas de l’année, si la terren’avait point à recevoir, à de longs intervalles, le dépôt sacré de ceshommes qui ont toute une nation pour famille, et, à leur départ de lavie, une population entière pour cortége : ainsi vinrent accompagnésFoy, Manuel, et Benjamin-Constant.

Au milieu de cette splendeur du trépas, c’est vers ces trois tombeauxque se précipite d’abord la jeunesse ; dans Foy, Manuel et BenjaminConstant furent personnifiées l’éloquence de l’âme, l’éloquence de laraison, l’éloquence de l’esprit. Debout sur son vaste piédestal, lepremier de ces orateurs semble attendre que tout se réveille autour delui pour céder de nouveau à sa puissante inspiration. Ce sera, certes,un fait transmis à la postérité que celui de l’élan unanime de laFrance se chargeant du douaire de sa veuve et de la dot de ses fils. Lanation acquitta cette dette par l’offrande de plus d’un million, maiselle n’étendit point sur le catafalque du soldat républicain le derniermanteau de la pairie héréditaire.

Comment le million de la reconnaissance a-t-il pu se souvenir en obolepour Manuel... ? l’obole aurait manqué si le pauvre chansonnier n’eûtfait la quête ; cependant

Bras, tête et coeur, tout était peuple enlui !

De simples pierres recouvrent ses restes et ceux de Benjamin Constantjusqu’au jour du Panthéon.

Sans l’éclat de ces trois renommées, notre époque ne laisserait pointde vives traces au Père-Lachaise ; on s’y croirait encore dans ledomaine de l’Empire, tant le faisceau de gloire formé par la réuniondes grands dignitaires de la couronne impériale sur une même éminenceéclipse toute autre splendeur ; tant la magnificence de leurs mausoléesatteste la vérité de ce mot de Napoléon confirmé par le peuple etl’armée : « J’ai trop enrichi mes maréchaux. »

A gauche, sur le bord de la grande avenue montante qui entoure lapartie de l’est du cimetière, on rencontre, assez loin du groupeprincipal, adossés à la terre et déjà dégradés, les tombeaux en marbrenoir du maréchal Kellermann et de son épouse ; Kellermann ! voilà lenom qui rappelle Valmy, son coeur y repose ; Valmy rappelle Jemmapes. Cefurent deux victoires presque jumelles, des victoires du soldat-peuple,des républicains pieds-nus ! Qui aurait pensé qu’elles dussent devenirun jour les cariatides d’un nouveau trône ?

En continuant de monter, l’on admire bientôt la sépulture de la familledu prince d’Ekmuhl, puis celle de la famille du duc de Tarente et lemausolée de cet intrépide duc Decrès qui eut un singulier et déplorabledestin ; ce fut de survive à l’explosion de son vaisseau, le GuillaumeTell, avec lequel il avait sauté, et de mourir victime d’une mineplacée dans son lit même, où un misérable qui le volait avait cachéplusieurs livres de poudre, auxquelles il mit le feu ! Plus loin, laplace où fut la pierre qui porta cette inscription :

 « CI GÎT LE MARÉCHAL NEY, DUCD’ELCHINGEN, PRINCE
 DE LA MOSCOWA, DÉCÉDÉ !... LE 7 DÉCEMBRE 1815. »



Presque à égale distance du doyen des maréchaux, du brave Serrurier,s’élèvent, majestueuses, les deux pyramides de marbre blanc quirecouvrent ses compagnons Suchet et Masséna. Peu de monuments sontaussi somptueux : la première, enrichie des plus belles sculptures etdont le principal ornement est le nom du duc d’Albuféra, avec des nomsde batailles livrées dans toutes les contrées de l’Europe ; l’autre,sur laquelle sont gravés ces titres éloquents : Rivoli, Zurich, Gênes,Essling !

Près de l’Enfant chéri de la Victoire, on cherche le maréchalLefebvre ; lui-même avait choisi sa place dans une visite auPère-Lachaise : « Souvenez-vous, avait-il dit, que si je meurs à Parisje veux être enterré là, près de Masséna. Nous vécûmes ensemble dansles camps, dans les combats ; nos cendres doivent obtenir le mêmeasyle... » Le catafalque est magnifique, deux Victoires ailéessoutiennent une couronne sur sa tête, d’une parfaite ressemblance ; unserpent, gage d’immortalité, s’enroule autour de son glaive ; sur lefronton, le nom de Lefebvre sans épithètes, et derrière, des trophéesavec ces mots :

SOLDAT,                   FLEURUS, AVANT-GARDE.
MARÉCHAL,            PASSAGE DU RHIN.
DUC DEDANTZIG,  ALTENKIRCHEN.
 PAIR DEFRANCE,  DANTZIG.
                                   MONTMIRAIL.


Tel est le gage éclatant de la douleur d’une épouse qui crut pouvoir sepasser désormais du plus brillant accessoire de la parure d’une femme,et y consacra le produit de ses diamants. Le monde s’est souvent occupéde saillies peu conformes à son langage, il sera bien de parler aussidans le monde de ce dernier trait non moins étranger à ses habitudes.

Mais la foule s’arrête devant une tombe imposante en forme de chapelle,la cendre de Cambacérès y est renfermée ; il y a dans ce nom, lamémoire de deux grandes époques ; les titres à la reconnaissance de sesconcitoyens ne lui manquent pas, mais le plus beau, sans doute, c’estque le Code Napoléon n’aurait pas été appelé à tort le CodeCambacérès. Près de ce mort illustre, j’en cherchais un autre qui enest éloigné, je rétrogradai, je franchis les deux routes circulaires,dont l’une règne au-dessus de l’autre, et un peu plus bas, dans unterrain où il domine seul, je me trouvai en face d’un superbe mausolée; il n’est ni de marbre, ni de granit, ni de porphyre ; on l’a faitd’une pierre grisâtre, convenable à l’aspect d’un monument funéraire ;la carrière d’où elle fut tirée, je l’ignore, mais l’orgueil nationalde M. de Chabrol de Volvic pour les minéraux de France est connu, et cemonument sera la sépulture de sa famille. Au-dessus d’un caveauspacieux, dont l’ouverture n’est que le cintre d’un arceau, pose à dixpieds de terre un sarcophage orné de figures en bas-relief, etrecouvert d’un ciel soutenu par des colonnes. Dans ce sarcophage estrecueillie la dépouille mortelle du beau-père de l’ancien préfet deParis, de Lebrun l’architrésorier. Cambacérès et Lebrun ! l’illusion durapprochement de ces deux noms fit que j’en cherchais un autre encore ;voilà, me disais-je, le second et le troisième consuls de la RépubliqueFrançaise : le premier consul, où repose-t-il !!... L’univers le sait.

Quelles pages d’histoire mêlées dans ce cimetière ! là, depuisvingt-cinq ans, nos révolutions viennent s’éteindre et rendent ceterrain brûlant ; nulle part je ne saurais remuer des cendres bienrefroidies. Déjà quinze mois se sont écoulés depuis l’embarquement deCherbourg, et je lis dans une inscription latine, gravée par les soinsdu corps municipal de Paris :

 « AU CITOYEN, AYANT BIEN MÉRITÉ DE LAPATRIE, PARCE
 QUE LE PREMIER IL FIT NAÎTRE PARMI SESCONCITOYENS LE
 DESIR DE RÉTABLIR LA MONARCHIE LÉGITIME.»


C’est presque au fond de l’une des deux avenues qui traversent dans salargeur le Père-Lachaise, bien loin de l’endroit où repose le maréchalNey, qu’il faut chercher la tombe de M. Bellart où ces lignes sontécrites.

Pourquoi de l’autre côté de l’allée, sur la haute pierre monumentale ducomte Desèze, le détail de ses emplois ? Pour moi, je n’y laisseraisque son nom et les tours du Temple qu’on y a sculptées. Rien desuperflu, rien d’aride, surtout lorsqu’un mot, un rapprochement, uneforme quelconque, expriment l’idée d’où le sentiment doit naître.J’aime ces deux mains de bronze qui se joignent entre deux tombeaux, etdont l’une appartient à une femme, puisqu’un bracelet, gracieux emblèmede parure, entoure l’un des poignets. J’aime encore ces trois colonnesjointes par leur base et leur sommet, au centre de la demeure où lebon, le patriote Alexandre de Lameth attend ses frères.

C’est ainsi que dans les jours d’affluence, on s’approche en groupesnombreux des tombes remarquables, que l’on se redit l’histoire deshommes célèbres que tous les chemins de la gloire, quelque diversqu’ils soient, ont conduits au même but.

J’ai parcouru la partie la plus opulente du Père-Lachaise, celle, ai-jedit, que l’on pourrait nommer le quartier des maréchaux ; mais nem’arrêtai-je pas avec des sensations plus délicieuses au milieu de cesbosquets, dont le tombeau de Delille est devenu le centre, et que je meplairais à consacrer par la désignation de corbeille des arts. Lehasard seul n’a point groupé en cet endroit les tombes de Delille,Grétry, Bernardin de Saint-Pierre, Charles, madame Dufresnoy, madameDugazon, mademoiselle Rancourt, Fourcroy, Haüy, Thouin, Breguet, Parny,Joseph Chénier, Bellangé, Brongniart (l’architecte même duPère-Lachaise), Mercier, Ginguené, Gaveaux, Talma, Géricault, madameBlanchard, Berwick, Méhul, Persuis, Nicolo, et une foule d’autres.Certes le choix et la sympathie ont présidé à cet assemblage de noms,dont aucun ne passe devant l’esprit, sans toucher une fibre du coeur, ousans émouvoir l’imagination. Il en est aussi d’épars dans d’autresparties du cimetière : l’amitié et la reconnaissance n’ont garded’oublier Monge, l’abbé Sicard, madame Cottin, Béclard, Percy,Chaussier, Girodet, Picard, Désaugiers, et combien encore que je suiscontraint d’omettre !

Cependant les nombreux adeptes d’une secte nouvelle me demandent latombe de leur maître ; elle est là ; je ne m’en approche pas ; jecrains de fouler un dieu !... Il y a témoignage de la foisaint-simonienne sur une tombe du Père-Lachaise : une femme, MarieSimon, est morte dans cette croyance ; heureuse si cette formule de ladoctrine put lui dévoiler une vie future et la consoler du trépas : Dieu est tout ce qui est... Tout est en lui, tout est par lui, rienn’est en dehors de lui ! Ses coreligionnaires, en la quittant, lui ontdit pour dernier mot : « ESPÉRANCE ! » et l’ont laissé gravé sur satombe.

Un charme touchant, que l’on goûte surtout auprès des tombes que nerecommande point un nom célèbre, c’est le charme des épitaphes. Amesure que les monuments deviennent plus somptueux, ces expansions dela douleur deviennent plus rares. La magnificence semble un hommagesuffisant à la mémoire du défunt, et une épitaphe détournerait l’espritde l’admiration du monument. Aussi n’en cherchai-je point d’expressivedans ce contour en forme de lyre, où la mode et la vanité attirent laplupart des constructions nouvelles ; rapprochons-nous du quartier despauvres, de la fosse commune et des concessions temporaires ; lesautres ont été faites à perpétuité ; c’est de là qu’œil faut partirpour suivre les progrès du luxe funéraire. J’y trouve un sol plushumide, un branchage plus épais, des allées plus embarrassées, despierres dégradées, des urnes par terre, des croix brisées, la mousse etle sable sur les inscriptions ; çà et là, cependant, quelques marquesde culture et de souvenir religieux. On sent que toute cette enceinteest livrée à l’abandon ; les corps ne devaient y trouver qu’unehospitalité de six ans ; mais les agrandissements successifs duPère-Lachaise n’avaient point fait sentir jusqu’à ce jour le besoin de relever, c’est le mot du cimetière. L’heure de la nécessité estarrivée ; quoique les maisons fuient le voisinage de l’enclos desmorts, les propriétaires des terrains contigus savent tirer parti de la convenance lorsqu’elle se présente ; et, en ce moment, le trésor dela ville, épuisé, ne peut satisfaire aux exigences d’un jardinierpossesseur de trois quartiers de terre (2).

Je parcourais donc cette région, la plus basse du Père-Lachaise, avecl’intérêt qui s’attache aux biens qui sont près de disparaître ;l’impression des mots attendrissants qu’elle renferme, se confonditavec celle que j’avais éprouvée en d’autres endroits, et j’oubliai lesplaces des inscriptions les plus touchantes. Pour moi, il n’y avaitplus qu’une seule mère exhalant ses plaintes, puisqu’une même âmesemble animer toutes les mères ; plus qu’un seul enfant livré autrépas, puisque tous les enfants ont le même charme pour le coeurmaternel, et que leur trépas y cause le même déchirement.

A travers les rosiers, les thuyas, les autres arbustes et les fleurs,ornements touffus d’un petit tertre, vous trouverez cet enfant, sous lenom de Louise Angéline, et vous surprendrez un secret attendrissant ;ah ! laissez retomber les branches après vous, une simple planche desapin vous le dit :

De ces tristes rameaux l’ombragesolitaire
Cache aux yeux des mortels le trésord’une mère.

Pauvre enfant ! Si tu as vécu assez pour bégayer ces premiers mots quideviennent des souvenirs ineffaçables, tu fus la fille de madame de Montic ;

Attends !
Te penchant vers ta mère, avec un douxsourire,
Tu répétais ce mot qui charmait sonamour ;
C’était le seul, hélas ! que tu puisseslui dire ;
Ta mère te sourit et redit à son tour :
Attends !

Déjà !... Cécilia Philibert, après un jour de quatorze mois, une nuitsans fin !

Du paisible sommeil de la douceinnocence,
Dans ce triste berceau, tu dors, ô monenfant !
Écoute ; c’est ta mère. O ma seuleespérance !
Réveille-toi ; jamais tu ne dors silong-temps.
(Décédé le 3 décembre 1823.)

Et toi, Alexandrine Juillet, à quatre ans, que ton premier mensongeest cruel ! que le dernier mot de ta mère est déchirant :

« Près de mourir, elle nous disait : Nepleure pas,
papa ; ne pleure pas, maman ; je me sensmieux....
Et elle mourut... ! »
(Décédée le 13 mars 1829.)

Attends, Pauline Bertereau, attends, pour mourir, que tu aies jouéavec les premières fleurs du mois de mai :

Ange chéri, dont la vie éphémère
A passé comme un vent léger,
Prends pitié des pleurs de ta mère ;
Et, si Dieu voulut l’affliger,
Demande-lui de protéger
Ceux que tu laisses sur la terre.
(Décédée à l’âge de 6 ans, le 15 mai1824.)

Les printemps se multiplient pour Joseph-Alphonse de Guille, mais ilne comptera pas le treizième :

Va compléter la céleste phalange,
Alphonse, Dieu t’appelle ; il luimanquait un ange.
(Décédéle 3 décembre 1826.)

Nom chéri, joli nom de Georgina Mars, que ne protégeas-tu contre lafaux les dix-neuf ans de celle qui te portait. Qu’il attende... qu’ilattende bien long-temps le marbre tumulaire qui est près de celui oùGeorgina repose :

Vertus, grâces, talents, tout dort souscette pierre.
O vous qui visitez cet asile de pleurs,
Sur son tombeau jetez des fleurs ;
Gardez vos larmes pour sa mère.
(Décédée le 29 juin 1828.)

Et cependant cette mère a dit, comme celle qui ne s’est point nommée :

Dors, machère Camille,
Puisque du sort c’est l’immuable loi ;
A tonréveil, ma fille,
Je seraiprès de toi.

Sur deux obélisques de marbre blanc veiné, délicatement sculptés, deuxmots seulement :

« Adieu Hélène ! adieu Clémence ! »

Cherchons... il est une bien douce confidence... là... quelque part...dans un creux formé par les inégalités de terrain, un piédestal enmarbre noir surmonté d’une petite urne de marbre blanc ; ce n’est passans quelque peine qu’on la trouve, tant elle se dérobe parmi lefeuillage épais des acacias et des sureaux, tant l’amour fut mystérieuxen y gravant ce message : Le premier au rendez-vous.

Une épouse est morte à trente-quatre ans :

Sur terre elle était exilée,
Dieul’appela ;
Son ame au ciel s’est envolée,
Son corpsest là.
(Mme BOURGAIN, décédée le 12 octobre1827.)

Une fille a écrit ces mots touchants :

« Ici repose ma meilleure amie, c’étaitma mère,
Louise DUGAZON 1821. »

Et un fils :

« Passant, donne une larme à ma mère, enpensant à la tienne. »

Enfants et maris ont peut-être uni leurs sentiments dans ces deux versgravés sur la tombe de madame de Montmenard :

Dors en paix dans le ciel, objet denotre amour,
Attends-nous aujourd’hui, demain.... cen’est qu’un jour.

L’amitié vient à son tour écrire sur la pierre d’Augustin Despréaux,mort à l’âge de soixante-quatre ans, cette courte et complète oraisonfunèbre :

 Repose en paix dans ta sombre demeure,
Ton coeur jamais ne se reprocha rien ;
Repose en paix : sur toi l’amitié pleure;
Repose en paix : tu n’as fait que lebien.
(Décédéle 19 juin 1824.)

Et sur la tombe de madame de Lamarck, soeur naturelle du roi de Prusseactuel :
 
« Qui l’a connue la pleure. »

Et sur la modeste croix de bois des fosses communes, cette histoire sisimple de la vie d’une femme, de madame Vériot :
    
« Elle vécut bien, elle aima bien, ellemourut bien. »

Et enfin, tout en haut ou tout en bas de l’échelle de la vie, une femmede quatre-vingt-un ans sourit en prononçant ce qu’il y a de plus cruelet de plus vrai dans la mort, qui est elle-même la plus cruelle desréalités :

« Un jour on dira de moi ce qu’on a ditdes autres :
Marie-Anne Pallet est morte, et l’onn’en parlera plus... »
(Décédée en 1823.)

Parmi tous ces accents de l’âme, on n’en  trouve point quis’élancent du coeur des épouses, tant elles semblent craindre, alorsqu’elles sont dégagées du premier serment de l’autel, d’en graver unsecond sur la tombe. Ah ! n’oublions pas, du moins, cette femme éploréequi tend les bras à son enfant, et s’écrie : « Mon amour pour mon filsa pu seul me retenir à la vie. » Allons la contempler sur le tombeau de Labédoyère. Nous saluerons, en passant, un proscrit de la mêmeépoque, Régnault Saint-Jean-d’Angély, qui ne put vivre loin de sapatrie, obtint de la revoir, arriva, le 10 mars 1819, à Paris, à sixheures du soir, et mourut six heures après : M. Lucien Arnault arenfermé, dans quatre vers, ce triste événement, et on les voit écritssur le monument funèbre :

Français, de son dernier soupir
Il a salué la patrie :
Le même jour a vu finir
 Ses maux, son exil, et sa vie.

Mais encore un adieu aux concessions temporaires, à cette pierre sisimple, si peu au-dessus de terre, sans grille, sans culture àl’entour, qui attend chaque jour, pour disparaître, l’approche duterrassier ; dessus il est écrit :

PAUVRE MARIE,
A 29 ANS !


Fut-elle jolie ? peut-être... fut-elle bonne ? sans doute... Et quiétait-elle ? Non pas soeur, non pas épouse, non pas mère,... plutôtorpheline. Qui la conduisit en ce lieu ? Un protecteur, un ami, unhomme sensible ? Ah ! toute son histoire est dans l’imagination, dansle coeur, dans l’âme des passants ; combien se sont arrêtés ici, ontrêvé, puis répété : « Pauvre Marie, à 29 ans ! »

Une fois que l’esprit est entré ainsi en intimité avec la mort, ildevient difficile de s’arracher du milieu des tombes ; on en évitecent, et cent autres vous retiennent ; involontairement, vous vouspenchez vers une urne, un cippe, une croix, une fleur ! Tous les morts,sur votre route, sont des passants auxquels vous avez une question àfaire, ne fût-ce que celle de leur nom. Voilà comment, de station enstation, je fus ramené auprès d’un monument modeste devant lequelc’était un devoir pour moi de m’arrêter ; j’y lus avec émotion leslignes suivantes :

« A Lallemant, mort le 13 juin 1820,l’École de droit,
l’École de médecine, le Commerce, et l’École des
beaux-arts. »

C’est en effet le 12 juin 1820, que je relevai ce malheureux jeunehomme, atteint par derrière de la balle d’un garde royal, et que nousle reconduisîmes, dix ou douze, à sa mère qui ne l’attendait passitôt... Cette époque et ce nom me rappellent des jours de captivité ;ma plume était cependant restée bien au-dessous de mon indignation : jelui avais dit, du moins :

Toi, dontla cendre ici repose,
Dors en paix, Lallemant, dors dans ledoux espoir
Qu’un jour, ceints de lauriers, lessoutiens de ta cause
Sur tatombe viendront s’asseoir !

Et ils y sont venus... trois journées de juillet ont justifié ce versque j’adressais à la Liberté :

Des chaînes aujourd’hui !... descouronnes demain !...

... J’errais ainsi depuis quelques heures dans cet Élysée. Je pusremarquer plus d’une fois que si les visiteurs s’empressent au-devantdes pompes funéraires, à défaut de ce spectacle, ils n’accourent pasmoins au-devant du plus humble convoi. Ils regardent surtout avec uneavide curiosité descendre la bière dans son étroit encaissement, et nes’éloignent qu’après que le sol déjà nivelé, semble ne plus rientémoigner du dépôt qu’il recouvre... Tant nous sommes inquiets desavoir comment la terre s’empare de sa proie !... Et moi, pensais-je,je disparaîtrai de même aux yeux des vivants, et de même tout ce quivit autour de moi : ce prêtre qui, sur le bord de cette fosse, adresseavec confiance des paroles d’intercession à un Dieu qui est l’hôte desa pensée ; ce fossoyeur impatient des longs adieux ; ces deux cicerone dont le privilége est affiché sur les portes d’entrée pourempêcher les jardiniers d’usurper leurs bénéfices ; ces gardiens quiparcourent seuls, au milieu de la nuit, du silence et de l’obscurité,les détours de ce lugubre labyrinthe ; ce concierge qui a renvoyé lechien du pauvre ; sa fille grande comme le plus jeune de ces cyprès quis’élève parmi les tombes, et joue encore entre les ifs après le coucherdu soleil... En ce moment, je montai les marches de la chapelle bâtierécemment sur la plus haute éminence. Adossé contre la porte, jedécouvrais Paris tout à nu et le Panthéon en face de moi : « Et toiaussi, m’écriai-je, superbe cité, tu es au bas de cette colline pour lagravir peu à peu... Tout entière avec tes tours jumelles couronnées detant de siècles, avec ton temple restauré, où la patrie reconnaissanteappelle quatre morts qui vont bientôt s’y acheminer, tu agrandiras unjour cette enceinte, et la vie aura fui loin de tes barrières... » Mesidées s’exaltaient ! de la force d’une imagination puissante, jesoulevai, pour les mettre debout, et la grande ville et la colline ; jevis un être immense et monstrueux : des millions de pieds s’agitantsous une tête de mort.

Non, dans le monde entier peut-être, une autre chapelle mortuaire n’apoint la situation sublime de celle de ce coteau : les portess’ouvrent, et du pied de l’autel le prêtre s’avance ; arrêté sur leseuil, son regard domine la reine des cités aussi loin qu’elle sedéroule en tous sens. C’est une des plus grandes agglomérationssociales, c’est la capitale du monde civilisé au pied du Calvaire, aupied de la croix du supplice. Pour une âme soumise à la foi de sareligion, ce ministre du sacerdoce, précédé du signe rédempteur, nefigure-t-il point le christianisme, appelant depuis vingt siècles tousles hommes à la mort par l’espoir consolant d’une seconde vie sans fin?... Mais, dans nos âges modernes, les vérités nues et sévères parlentplus haut que les douces illusions des croyances sacrées.

Je quittai le cimetière du Père-Lachaise : une impressionindéfinissable dominait ma pensée ; elle s’égarait à l’infini dans cesgrands mystères de la nature : le néant que dément notre intelligence,la création dont il est la base, et l’éternité écrite partout... Puis,en approchant du séjour des hommes, je redescendis aux petites passionshumaines ; je me représentai rapidement tout ce qui se trouve confondudans nos sociétés, les cris de la joie et du désespoir, les hurlementsde la fureur, les sifflements de la calomnie et de la vengeance, leshymnes de l’ambition, les chants de triomphe du crime, les acclamationsde la servitude et le rire si varié de la folie... Misérables humains,rappelez-vous donc quelquefois que vous n’êtes en route, sur cetteterre, que pour arriver à un commun abîme.

Omnes eòdem cogimur : omnium
Versatur urna : seriùs ociùs
Sors exitura.
(HORAT.)


EUGÈNE ROCH.


NOTES :
(1) Voici le nombre progressif des pierres tumulaires depuis 1804.
On a placé en 1804....... 113.    en1810......  76.
                 en 1805.......   14.    en1811......  96.
                 en 1806.......   19.    en 1812...... 130.
                 en 1807.......   26.    en1813...... 242.
                 en 1808.......   51.    en1814...... 509.
                 en 1809.......   66.    en1815...... 635.
En tout, 1827. – En 1830, on en compte 31,000.
(2) Ce jardinier demande, dit-on, 60,000 francs ; il est vrai que laville tire un parti fort productif du terrain. Le prix, pour lesconcessions perpétuelles, est de 125 francs le mètre ; la sépulture nepeut pas comprendre moins de deux mètres superficiels, c’est-à-diredeux mètres de long sur un de large, pour une personne au-dessus desept ans, ni moins d’un mètre superficiel pour les personnes au-dessousde cet âge. Quant aux concessions temporaires, le prix est de 50 francspour chaque : elles peuvent être successivement renouvelées tous lessix ans.