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ROLLAND, Henri : L’écolier (1841).

Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (25.XI.2009)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 2 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
L’écolier
par
Henri Rolland

~ * ~

L’ÉCOLIERn’est pas seulement un type, c’est un principe. L’école,c’est le creuset où s’élabore l’avenir d’une génération, où fermententtoutes les imaginations que la science éclaire de sa flamme vive, etdont elle fait ou un métal commun qu’on rejette, ou un joyau précieuxqui éblouit. Par le mot ÉCOLIER nousentendons tout ce qui reçoit unenseignement, depuis le bambin déguenillé qui épèle l’alphabet sous ledoigt d’un frère ignorantin, jusqu’au dandy de philosophie, qui, surles gradins d’un cours public, écoute avec une complaisance nonchalanteles dissertations filandreuses du professeur sur Locke, Hobbes ouSpinosa.

Il nous suffit d’avoir indiqué seulement les disciples des frères et del’enseignement mutuel ; leur carrière scolastique n’est pas assezétendue pour trouver une longue place ici. Après quelques éléments plusou moins incomplets de lecture, d’écriture et d’arithmétique, ilsrevêtent, pour la plupart, le tablier de cuir ou de serge, attribut desapprentis. Nous nous occuperons spécialement de cette jeunesse d’élitequi consacre ses plus belles années aux études sérieuses, et quifournit des écrivains, des médecins, des légistes à la société, desorateurs à la tribune, des hommes de talent et de savoir à la nation.

Le collége autrefois était un bâtiment triste et sombre, avec des mursépais et des fenêtres hérissées de barreaux. Au-dedans, un silence decloître, de vastes solitudes, des grilles au lieu de portes, desguichets derrière lesquels un oeil sournois observait, des corridorsténébreux où l’on voyait des ombres noires aux visages renfrognés seglisser le long des murailles. Puis, c’étaient des châtimentsterribles, une concurrence de sévérité qui fait hésiter les vieillardsentre les Oratoriens et les Bénédictins mais dont les Joséphistesemportent le prix. Maintenant la physionomie du collége est moinsaustère ; c’est une maison blanche et riante que les rayons du soleilinondent à pleines croisées ; ce sont des salles aérées, un jardin dontles arbres touffus tendent au-delà des murs leurs rameaux, comme desbras, au père de famille. Le correcteur, bourreau grotesque, acteurnécessaire du système pénitentiaire vieilli, a disparu. Ce n’est plusle régent en habit noir, aux sourcils froncés, à la physionomied’inquisiteur ; c’est un directeur aimable, empressé, quasi-galant,mielleux comme un prospectus, qui promet bien-être, soins paternels,nourriture saine et abondante. Certes, il y a progrès du passé auprésent, mais trop souvent cet extérieur séduisant n’est qu’un appât deplus : à l’intérieur, la spéculation siége ; la parcimonie ou l’incuriearrêtent la réalisation de réformes utiles.

Dans les colléges comme dans les institutions particulières, il y adeux sortes d’écoliers : le pensionnaire et l’externe. L’externe, c’estl’être envié, l’être heureux qui a un pied dans ce monde du dehors quele pensionnaire ne fait qu’entrevoir. A celui-là la liberté d’action,les dissipations, la vie extérieure, les plaisirs de la ville,l’intimité de la famille, les soins affectueux ; à l’autre, ladépendance complète, l’uniformité monotone des devoirs journaliers, lalimite d’horizon, l’isolement. Aussi le pensionnaire livré à lui-même,malpropre, chagrin par la répercussion de son malaise physique sur sonmalaise moral, ressemble aussi peu à l’externe, enfant gai, alègre,coquettement vêtu, que ces chiens mal soignés, de mauvaise humeur,assis tristement près du foyer, à la levrette fringante, folâtre, quibondit sur ses souples jarrets. L’externe devient un lien qui rattachele pensionnaire au monde dont on l’isole : c’est lui qui importe lesballes, les toupies, les jouets de toutes sortes, et surtout lesprovisions qui changent en régal le sobre ordinaire des colléges à deuxrepas du jour. C’est lui aussi qui introduit ces délicieuses brochuresque l’on dévore à l’ombre d’un dictionnaire, tandis qu’un livre esthypocritement ouvert au sommet d’un pupitre, et que la main sembletracer des caractères sur le papier.

Cette distinction des élèves en pensionnaires et externes est unedistinction de fait, de laquelle résultent deux nuances bien tranchées.Les professeurs établissent encore deux catégories, celle des élèvesforts dans leurs classes, des travailleurs, et celle des faibles, qu’onflétrit du nom  de paresseux (en style technique, les piocheurset les cancres) ; car la faiblesse est toujours considérée commeprovenant de la paresse et non de l’incapacité, vu que le directeurdéclare indistinctement à chaque parent que l’enfant a des moyens.Mais l’écolier n’admet pas cette classification : la paresse est unfruit savoureux dont il se gorge avec trop de délices pour en faire unecause de dégradation. Il établit la supériorité de la force brutale, dela force matérielle, de la loi du coup de poing, sur la forceintellectuelle qu’il méprise, le plus souvent par impuissance. Cettearistocratie est encore assez bien entendue, en ce que le partage de laforce appartient ordinairement aux plus avancés en âge, et partant enétudes, de sorte que la considération croît en proportion del’élévation des classes. Au reste, si l’insolence envers la roture peutêtre admise comme preuve de noblesse, cette aristocratie en estpossédée au plus haut degré, et l’égalité tant vantée du collégen’existe pas réellement. Ces patriciens superbes comprennent toute laplèbe qui les entoure sous la dénomination injurieuse de moutards oude mômes, et se livrent à leur égard à des extorsions  et àdesabus de pouvoir qui caractérisent un despotisme effréné.

Sous le rapport physique, généraliser la physionomie de l’écolier estdifficile ; néanmoins, suivant le point de vue ordinaire, nous luiaccorderons une expression espiègle, des yeux hardis, un sourireperpétuel sur les lèvres, un nez retroussé à la Roxelane, indice de lamalice et de l’effronterie ; des joues roses, des cheveux autrefois envergette, mais qu’on a soin maintenant de laisser croître, depuisqu’une ordonnance ministérielle a précisément ordonné le contraire. Lesvêtements sont une partie trop intégrante de l’écolier pour que nousn’en fassions pas mention. On comprend que nous allons parler del’interne de pensionnat, et non de l’interne du lycée, où la coupe del’habit est invariable.

L’écolier a d’abord la tête ombragée d’une casquette, laquelle estornée d’une visière démesurée que le possesseur taille en dentelle à safantaisie avec un eustache, pendant ses heures de loisir. La visièren’est perceptible que pendant les premiers jours de la possession de lacasquette, un prompt divorce fait justice de cet accessoire incommode.Un col de chemise chiffonné s’échappe inégalement de la cravate noirequi est jetée négligemment autour du col, et dont les bouts, après unnoeud préalable, retombent sur la poitrine. La blouse est l’habillementle plus ordinaire de l’écolier pendant les premières années desclasses, mais ce costume enfantin est bientôt remplacé par un de ceshabits ambigus qui participent à la fois de la veste et de l’habit. Lesmanches en sont courtes, étriquées ; l’étoffe, usée jusqu’à la trame,se contracte entre les coutures : elle est mouchetée de tachesmonstrueuses ; le collet est fripé, les parements sont graisseux(quelques-uns enserrent précieusement leurs avant-bras dans des manchesde percaline, mais on les flétrit du nom d’épiciers). A la boutonnièrepend une ficelle élégante qui soutient la clef du pupitre ou de la baraque. Vient ensuite le gilet, trop court, demi-attaché, faute deboutons, qui semble se séparer avec horreur du pantalon, tant estgrande la distance qui laisse entrevoir des bretelles de lisière, etdonne à la chemise un interstice favorable pour se produire : le giletest un vêtement de passage ; il disparaît avec les premières chaleursde l’été. Le pantalon témoigne de la croissance de son maître ; illaisse à découvert des bas-indigo qui se perdent dans des souliersinformes, au cuir inflexible, aux semelles épaisses, aux clous acérés.Des livres maculés, déchirés, sont artistement ficelés et pendent surl’épaule. Quelquefois on leur substitue un vaste carton vert bourré delivres, maintenu par une corde en bandoulière sur la poitrine. Il estinutile d’ajouter que les gants sont proscrits. Un écolier quis’aviserait d’en mettre serait appelé fat pour ce raffinement decoquetterie.

Un des mérites les plus saillants de l’écolier c’est l’effronterie : aumoyen de cette précieuse qualité il dément sans rougir une accusation,lors même qu’il est collé en flagrant délit : « vous causez,monsieur. » Il interrompt la phrase commencée avec un voisin, et répondavec énergie un Non où l’expression d’un étonnement hypocrite se mêleà l’accent de l’innocence injustement soupçonnée. Pour s’excuser d’uneinfraction à la règle disciplinaire, il sait aussi construire avecpromptitude une gausse dont un expert chercherait en vain le côtéfaible. Il est donc essentiellement menteur, et à tel point que lafranchise est considérée comme une preuve d’idiotisme, et le mensongecomme un accessoire nécessaire dont le succès a le double avantage dedétourner une punition et de duper un pion.

Car l’écolier se fait gloire de combattre le maître d’études. Onrespecte celui-ci dans les colléges, où c’est presque un fonctionnairepublic, où il s’étaie du formidable proviseur qui n’hésiterait pas àrenvoyer un élève indocile ; mais dans les pensions, l’exil du coupablediminuerait d’autant le revenu du directeur ; aussi l’écolier, fort decette considération, entretient soigneusement une lutte avec lepouvoir, lutte aussi haineuse, aussi acharnée que celle des Guelfes etdes Gibelins, lutte qui se poursuit de génération en génération, etfait couler des flots d’encre. L’élève y met son indocilité, sesdispositions hargneuses, ses moqueries tracassières, son oppositiond’inertie ; le maître y pèse de toute l’autorité qui lui est dévolue,et de sa prodigalité dans la répartition aveugle des pensums, des retenues et des mauvais points. Ce dernier est d’ordinaire un filsd’artisan, qui sort du collége avec des connaissances à peineébauchées, et un profond dédain pour les travaux manuels de son père.Avec cet immense orgueil qui est le privilége de l’ignorance, ils’assied au faîte par la pensée ; mais vient le jour où son incapacitése révèle, jour de déchéance où, simple soldat, il revêt les épaulettesde laine dans la milice de l’instruction publique : il devient pion.

Sa position varie suivant son caractère. S’il est ce qu’on appelle un pion bon-enfant, il est traité comme le soliveau de Phèdre, ce roiinerte que les grenouilles ses sujettes couvrent de boue et de fange :on le raille, on le berne, on le trompe, on le hue, on l’insulte ; iln’est aucun excès qu’on ne se croie permis dès qu’il y a indulgenceplénière et impunité. La classe alors est un foyer de désordre ; descauseries actives, des dérangements continuels, des querellescommencées avec la langue, terminées avec le poing, viennent jeter letrouble. Les avertissements bienveillants du maître sont accueillis pardes huées. L’écolier ne sait pas user il ne sait qu’abuser : aussi ilarrive ordinairement que le pion aigri fait succéder une rigueurinusitée à son humeur débonnaire : il devient chien.

Se montrer impertinent et raisonneur envers le maître, lui jeter auvisage des épithètes injurieuses, avoir avec lui une affaire,c’estun titre d’honneur pour un écolier. Celui qui ose affronterla tyrannie est généralement estimé de ses condisciples, il esttoutesles parties, de tous les jeux, il a de nombreux copains. Êtrecopain,c’est se joindre par une union fraternelle avec un camarade, et mettreen commun jouets, semaines, confidences, tribulations ; c’est uneamitié naïve et vraie, sans arrière-pensée d’égoïsme ou d’intérêt,qu’on ne trouve guère qu’au collége.

Les autres défauts capitaux de l’écolier sont la paresse et uneintempérance fabuleuse de langue ; il n’est pas de lazzaroni qui selivre avec plus de délices aux charmes du dolce far niente ; il n’estpas de nonne ou de perroquet disert, instruit par une vieille femme,qui aient un pareil épanchement de paroles ; ce sont deux hydres auxcent têtes que les pensums et les retenues terrassent vainement. Cen’est pas seulement la paresse qui trouve l’oubli des devoirs dans desdistractions frivoles ; c’est la paresse inerte, brutale, la paressequi fait de la machine humaine une horloge arrêtée, la paresse dusauvage qui tient dans une léthargie absolue les ressorts de la penséeet de l’action. Cet amour du babil que nous signalons, est untrop-plein qui déborde, ou plutôt une inondation immense devantlaquelle il faut se résigner et croiser les bras ; c’est comme leséconomies d’un muet qui a recouvré la parole.

Les dispositions querelleuses que l’écolier témoigne envers sessupérieurs, se retrouvent dans leurs relations mutuelles. On sait qu’iln’est pas de plus grand plaisir que celui de houspiller un nouveau,pauvre provincial engourdi que chacun s’empresse de tourmenter. Lataquinerie est l’arme du faible qui, par ses provocations, blesse dessusceptibilités, indè iræ, de là des combats grotesques. Dès que deuxcombattants se prennent au collet, on accourt, un cercle se forme,cercle animé d’où partent  des interpellations. – Tape dessus,va– soigne-le ; – des huées ou des applaudissements, suivant qu’un pochon bien appliqué vient nuancer un oeil ou foudroyer un nez. Lepion joue ici le rôle des dieux d’Homère, il intervient, et envoievainqueur et vaincu expier en pénitence victoire ou défaite.

La gourmandise a aussi une place d’honneur dans le coeur de l’écolier ;mais comme c’est un vice réclamé par les moutards, la honte deparaître gueulard, comme eux, en arrête la manifestation parmil’aristocratie. Elle consiste chez les petits à faire entre eux unéchange de provisions, à chipper quelques friandises, et à faire uneconsommation fanatique de croquets et de sucre d’orge, dits suçons.Ces derniers sont d’un puissant secours contre la longueur des soiréesd’études. Plus tard les instincts gastronomiques se modifient etviennent comparaître devant Félix, le dimanche, jour de sortie.

A tout ce que nous venons de dire, qu’on ajoute un grand amour pour lejeu, l’étourderie ordinaire de la jeunesse, un fonds de malicenationale, et l’on aura le caractère de l’écolier, chez qui, comme l’onvoit, les défauts l’emportent singulièrement sur les qualités ; mais dumoins il n’excluent pas la bonté du cœur, l’amour du bien au fond del’âme, et, combattus incessamment par les soins de la famille, ilsdisparaissent avec l’âge et les progrès du discernement.

Il est une manie que je n’oublierai pas de mentionner en parlant del’écolier, c’est celle d’élever des animaux. Quand la règle n’est pastrop sévère, on tient en cage quelques pierrots, quelques pies ; dansle cas contraire, on cloître des vers à soie dans sa barraque, et cen’est pas une tâche facile que de leur procurer des feuilles de mûrier,et de les empêcher d’être confisqués par les pions, mais si lebienheureux écolier s’épanouit sous la domination bénigne d’un pion bon enfant, une paire de souris blanches trouve un asile hospitalierdans son pupître. Il faut voir alors avec quel soin, avec quel amour ilchoie ses jeunes élèves ; quelle jolie petite calèche il sait façonneravec les couvertures de ses grammaires, pour y atteler son couplechéri, comme les bandelettes de cuir de sa casquette se transforment enharnais élégants, et avec quels yeux d’envie ses camarades dévorent sontriomphe ! Si ces béatitudes lui sont interdites, l’écolier se consoleavec les hannetons, les biches, les cerfs-volants et autreslamellicornes. C’est alors qu’il déploie avec un rare bonheur sesheureuses dispositions pour le dessin et l’histoire naturelle ; soitqu’il transforme ces malheureux coléoptères en prédicateurs dans leurchaire, ou bien encore en combattants bariolés de diverses couleurs etarmés d’allumettes, soit qu’il leur applique sur le dos un morceau decarton figurant quelque larve satanique : quelle est sa joie, quand lepion stupéfait recule devant ce promeneur qui prélasse sontravestissement au beau milieu de l’étude, et procure d’ordinaire àtoute la classe la faveur d’une retenue générale.

L’écolier est un sujet d’études curieuses : ses sentiments, sespassions n’ont pas encore appris à se cacher sous un masque, elles sedissimulent mal sur ce visage inhabile. Vous voyez à nu toutes cesdispositions de jalousie, d’envie, de sot amour-propre que l’homme dumonde ne laisse pas transpirer au dehors. L’émulation tant vantée del’instruction commune sert admirablement à développer ces instinctshonteux. Dans une lutte d’intelligences rivales, le vainqueur a enpartage un orgueil misérable, le vaincu une basse envie qui cherche àrabaisser le talent de l’adversaire, ou à attaquer comme entaché departialité l’arrêt du juge. Ce sont ces considérations qui font dupiocheur un être peu aimé. On rit de ses angoisses dans l’incertituded’une lutte, de son dépit après la défaite, de sa méfiance comique quiguette les regards plagiaires des voisins ; on est enchanté qu’il soitvexé et qu’il bisque. On trouve odieux son égoïsme ; et pour ne pasavouer une infériorité humiliante, on convient entre soi : « que lessuccès de collége sont loin d’être décisifs pour évaluer la portéeintellectuelle ; que tel ou tel est très-fort en thème et n’est qu’unsot ; et qu’en définitive, ces météores éclatants qui ont brillé dansl’enceinte du lycée vont s’éteindre dans quelque petite ville deprovince, ou déposent leur auréole lumineuse pour prendre en mainl’aune héréditaire. »

Je ne terminerai pas ce portrait général de l’écolier sans signaler laposition précaire des boursiers pauvres diables, auxquels le pion secroit en droit de demander un travail plus soutenu, une conduite plusrégulière que celle des autres, pour mériter la faveur dont ils sontgratifiés. En pension, les boursiers n’existent pas, mais, par unemanoeuvre intéressée, les directeurs donnent une éducation gratuite àdes enfants sans fortune, bien entendu que ces actes de bienfaisancesont étalés avec ostentation et répétés cruellement aux oreilles deceux qui en sont l’objet, s’ils ne la récompensent pas par des succèsaux cours publics.

L’écolier se lève à cinq heures en été, à cinq heures un quart en hiver; la cloche l’arrache au sommeil, aux songes où il rêvait de lafamille, aussi la cloche est peu populaire. Après la révolution dejuillet une réaction militaire s’opéra dans les colléges, laproscription de la cloche fut obtenue, et le tambour l’a remplacée,mais non dans les pensions, ni dans les pensionnats de demoiselles.L’écolier reste couché, en la maudissant, jusqu’à ce que les vibrationsen soient éteintes ; alors il se lève les paupières gonflées, bâillantet se tirant les bras, il s’habille à la hâte, et pour gagner les quartiers traverse demi-vêtu des corridors où un vent glacialcircule. Après la prière on procède à des mesures hygiéniques depropreté, dont l’écolier use avec modération surtout en hiver où l’eaudes ablutions est glacée. Après le laps de temps accordé, chacun prendplace devant son pupitre, et en exhume les livres nécessaires ; le pions’asseoit magistralement dans sa chaire, qui domine les tables, et d’oùil peut surveiller les élèves. Le matin est ordinairement consacré auxleçons ; chacun tour à tour, après un travail de mémoire plus ou moinslong, vient les réciter au maître sur un ton monotone et chantant, avecdes hésitations, des répétitions, des ânonements entremêlés d’un euh !euh ! fort divertissant pour le patient qui suit sur le livre. Qu’onjuge de la position d’un homme contraint d’écouter pendant plusieursheures des lambeaux de latin ou de grec, épiant chaque élève pour nepas se laisser tromper par les ruses usitées en pareil cas, telles que,lire sur son voisin, coller la page sur la chaise ou dans unecasquette, se faire aider d’un souffleur, écrire la leçon sur sesongles et ses doigts ; et qui, la tête allourdie, ne quitte cette tâcheque pour retomber dans une récréation bruyante où il doit jouer le rôlede surveillant. A cette récréation le déjeuner vient faire une agréablediversion. Chacun est mis en possession d’un énorme morceau de pain(heureux celui que le hasard gratifie du croûton, morceau parexcellence, pétitionné par tous les gourmets) ! Les élèves dont labaraque est approvisionnée, creusent dans leur portion un sépulcreénorme où s’ensevelissent les confitures ou le beurre salé ; puis tousse divertissent en hâte comme des gens pressés de jouir. De nouvellesheures de travail succèdent à court moment de plaisir, et se prolongentjusqu’au dîner qui a lieu au milieu de la journée. Nous ne parleronspas de la parcimonie, de la négligence qui président ordinairement à lapartie culinaire dans une pension, chacun peut consulter ses souvenirset se rappeler l’abondance, eau rougie dans sa plus simple expressionet dont le nom est la critique amère, les potages lymphatiques, lesharicots nageant dans une sauce limpide :

Apparent rari nantes in gurgite vasto ;

et toutes les plaisanteries sur les divers plats au répertoire ; maisnous dirons en passant combien nous semblent odieuses ces spéculationsqui attaquent le bien le plus précieux, la santé ; et combien seraientnécessaires des mesures qui garantiraient aux internes une nourrituresimple, mais saine. On nous dira que l’Université envoie un inspecteurdans les établissements pour juger du personnel, de l’ordre intérieur,du bien-être matériel, de même qu’elle envoie un examinateur pours’assurer du progrès intellectuel, et des avantages du mode adoptéd’enseignement ; mais à cela nous répondrons que l’on donne au dernierdes machines dressées par demandes et par réponses ; qu’au premier onfait goûter le bouillon de madame, et boire le vin des demi-bouteillesaccordées journalièrement aux maîtres, que devant tous deux on joue unecomédie.

Après le dîner, un intervalle d’étude sépare du repas de quatre heures,fidèle reproduction de celui du matin : du pain, de l’eau ; et lacloche rappelle de la récréation au travail, jusqu’à la fin de lajournée. L’approche de la nuit fait allumer des quinquets, dont je nesaurais peindre la malpropreté, la piètre et fumeuse lueur. C’est lemoment où les poëtes de collége trouvent leurs inspirations, car lesoir, ce silence du dehors et du dedans, la fatigue du jour quiconcentre la pensée, ont le singulier privilége de donner une certaineexaltation aux idées. Vient enfin l’heure du sommeil, heure favoriteoù, après un souper indigeste, l’écolier reprend la possession delui-même. Tapi sous les draps, on trouve une chaleur bienfaisante, quel’on ne peut se procurer dans la journée avec un poële de fonte auxflancs vastes comme ceux du cheval de Troie, où quelques bûchettesnoircissent sans se brûler à la flamme. On peut penser, s’absorber dansses rêves et ses souvenirs, sans qu’un pion crie à l’inaction, et lesommeil vient continuer en songe ces douces pensées.

Les jours se suivent ainsi avec une régularité désespérante, mais ledimanche ouvre miséricordieusement les portes aux captifs que despensums ou des retenues n’ont pas atteints. Le coeur tressaille lorsquel’exeat contresigné dit : Sesame, ouvre-toi ; et que debout sur leseuil, on met le pied dans cette rue animée où tout un monde bourdonne,où l’on va se mêler à la foule pendant quelques heures de liberté.Aussi la retenue est une grande puissance du maître : c’est un freinà l’indocilité, un aiguillon à la paresse ; aussi pour conquérir cetteprécieuse sortie on subit toutes les exigences, et pourtant elleentraîne une triste mais naturelle conséquence : la rentrée.

Le jeudi est au dimanche ce que le reflet est à la lumière, car la pâleliberté qu’il donne est illusoire. Elle consiste à circuler dans lespromenades publiques, en rang, deux à deux, captifs au milieu de cesgens libres. Des marchands de gâteaux, de massepains, de fruits, lesescortent avec les prières les plus pressantes, les insinuations lesplus adroites, mais la règle défend d’acheter, et le pion fixe sur tousson oeil d’Argus comme un douanier vigilant : personnification humainedu châtiment qui attend la chute.

Outre ces jours réservés, et les fêtes religieuses, les écoliers ontencore leurs fêtes particulières. La Saint-Charlemagne qui convie à unbanquet annuel l’élite des lycées : la distribution des prix, épiloguede l’année scolaire, préface des vacances, et à ce double titreaccueillie avec transport. On a trop souvent tourné en ridicule lepédantisme des maîtres, la partialité qui s’y déploie, l’improvisationméditée à l’avance, la solennité de la cérémonie, l’inévitable comédiede Ducerceau, l’orgueil des parents et des lauréats, le désespoir et lamorne attitude des vaincus pour que nous voulions nous y appesantir ;nous dirons seulement qu’on avait voulu en faire moyen d’émulation, etque les directeurs en ont fait une réclame pour leurs établissements.

Nous avons décrit la physionomie ordinaire de l’écolier, nous avonsfait l’historique de sa journée, mais l’on doit comprendre que soncaractère et ses habitudes, à une époque de progrès et dedéveloppements, doivent se modifier et s’altérer à mesure que sonaccession au monde devient plus immédiate. Ce sera donc compléter letableau, que de suivre année par année ces modifications, ceschangements dont nous avons été obligés de confondre les nuances dansun portrait général.

En neuvième et huitième, c’est le bambin en blouse qui le matintraverse la rue avec un panier d’osier, dans lequel reposent deuxtartines tendrement accolées, et dont le couvercle béant donne passageau goulot d’une bouteille d’eau, ou d’eau rougie. Je signale le panierd’osier au premier chef parce qu’il joue au grand rôle dans cespremières années. Il est l’agent nécessaire des dînettes, lethermomètre des amitiés de cet âge. Dans ces classes, le maître estdespote avec impunité, il impose par le regard, par la voix, il faittrembler toutes ces petites créatures ; la férule (que quelquesvieillards regrettent à tort) se retrouve pour meurtrir ces mainsdélicates. Mais, quand vient le soir, pénitences et bonnets d’âne,Chapsal et Lhomond, Epitome et Selectæ tout est oublié, les élèvessortent en essaims bourdonnants, font en passant la nique àl’épicier, lui volent ses pruneaux et crachent dans ses barils desardines. Ils rapportent à leurs familles le billet de contentement etquelquefois (ô decus !) la médaille.

La septième est la porte par où l’on entre au collége ; les septièmessont les plébéiens du lycée ; ce sont eux que l’on voit à la tête desphalanges, salis, déchirés, crottés, noircis d’encre, pliant sous lefaix de livres innombrables. Le septième est le bouc émissaire d’Israël; les élèves le traitent avec une dédaigneuse pitié, les pions lerudoient, les professeurs le criblent de pensums et de devoirs, car,par la manoeuvre la plus inintelligente, les devoirs s’éclaircissent enproportion des progrès et de l’avancement. Les connaissanceslittéraires du septième se bornent à Berquin et à Robinson Crusoé, etil reçoit en prix Numa Pompilius ou les Aventures de Télémaque.

S’il est quelqu’un de plus orgueilleux que le premier c’est certesl’avant-dernier. Le sixième en est la preuve. Nous parlions tout àl’heure du dédain des grands envers les septièmes, de sa part il y amépris, il y a l’arrogance ridicule d’un subalterne envers le nombrerestreint de ses inférieurs. Pourtant le sixième diffère à peine duseptième, comme lui il manipule des boulettes, il édifie des cocottes,et couvre ses cahiers de bonshommes ; comme lui il accueille avectransport les livres neufs, proscrit la blouse, mais reste fidèle à lacollerette, partage les amours de Némorin pour la gracieuse Estelle, etles terreurs de Robinson dans son île.

La première communion est ordinairement du domaine de la cinquième etrépand sur cette année un parfum de béatitude. On s’isole desconversations profanes, on se montre au doigt comme un phénomèneétrange l’écolier de philosophie que le bruit public accuse d’unemaîtresse ; on rougit, on balbutie quand sous le doigt en expliquantQuinte-Curce, se rencontre un mot tel que pellex ou scortum. LeMois de Marie, le Pensez-y bien, les Histoires édifiantes ajournent lesromans et les pièces de théâtre.

En quatrième, le voile officieux que la religion avait jeté sur lesyeux, est soulevé peu à peu ; l’oreille s’habitue aux propos obscènes,la pensée s’enhardit au désir. Ceux qui ne suivent pas ce progrès sontqualifiés d’innocents, et il n’est pas de mauvaise plaisanterie qu’onépargne à leur naïve simplicité. C’est l’âge des amours pour de joliescousines, ou pour les femmes de trente ans ; amours bucoliques, s’il enfût, semés de soupirs et d’extases. La poésie vient prêter ses ailes àces inspirations platoniques. Les satires contre les pions écrites avecles secours de toutes les divinités mythologiques font place à desstrophes mystiques, à des stances élégiaques :

        Oh !c’est toi, toi, sylphe, ange avec un nom de femme,
        (Que surmon chemin comme un joyau j’ai trouvé),
        Étoiledans ma nuit ! que reflète mon âme......
               Oh !c’est toi que j’avais rêvé !!....

Vers que l’on cache aussi bien aux camarades qu’aux maîtres, car lalittérature latine a seule droit de cité au collége.

En troisième ces passions douces tournent au brutal. Pigault-Lebrunet Paul de Kock sont feuilletés avec transport, les passages équivoquessont disséqués jusqu’à l’os, les réticences sont complétées avec uneprodigieuse fécondité d’imagination. Quelques tentatives sont faitespour fumer des feuilles de tabac roulées dans le papier-chandelledistribué au collége, et je ne dirai pas où on les fume pour absorberl’odeur par un système homéopathique (similia similibus). Précautioninutile du reste ! car de funestes résultats décèlent infailliblementle coupable.

Le seconde est petit-maître, il se fait friser le dimanche quand ilsort et met des gants. Faublas et Casanova courent sous son chevet ;ces lectures dangereuses troublent son imagination et brûlent ses sens,aussi il en est dont on peut dire comme de Jehan de Frollo : « sesdébordements, horreur dans un enfant de seize ans ! allaient souventesfois jusqu’à la rue de Glatigny. » Une dame galante, quand les doguinsou les perruches ne sont pas à la mode, se charge quelquefois de sonéducation, ou bien quelque grisette découplée à qui il prometsérieusement mariage pour sa majorité. C’est alors qu’on voit écloredes satires mordantes sur la fragilité des femmes. C’est aussi à cetteépoque qu’indigné de voir la France indigente de poëme épique,l’écolier se met résolûment à l’oeuvre pour en doter la nation.

La Rhétorique est divisée en deux sections : les vétérans et les nouveaux. Les vétérans sont sordides et négligés comme des savants ;ce sont des élèves consciencieux mais routiniers ; pauvres diablesconfinés dans les colléges, à qui le monde n’a pas envoyé sesrayonnements ; qui ont pour maîtresse Didon et Lavinie, lisent La Harpeet les Modèles de Littérature, écrivent sur leur bannière : Racine, etrompent des lances contre Victor Hugo. Entre eux et les nouveaux il y aschisme. Ceux-ci poursuivent de leurs huées le pédantisme de cesembryons de savants, et leur zèle courtisan. Le nouveau a des principesde moustache, des gants blancs, des éperons, un cigare qu’il jette surle seuil du collége. Au lieu de lire Horace et Virgile et de s’occuperde discours latins, il se forme le style dans la lecture des romans, etapprend l’éloquence dans les journaux qui rapportent les séances de lachambre. Les moins hardis font des vaudevilles.

Le philosophe ne s’avoue membre du collége qu’en rougissant ; il s’yrend en amateur, et change les classes en promenades par un beau jourde printemps ou d’automne. Il a deux routes à suivre : ou bien, fils defamille, dandy, il siége aux stalles de l’Opéra et chevauche au bois deBoulogne ; ou bien il prélude à la vie d’étudiant en copiant sesallures négligées, sa pipe chargée de caporal, et ses assiduités à laChaumière. Il est libre et flâneur émérite, mais l’examen jette del’ombre sur ses joies : son admission au baccalauréat clôt sonexistence d’écolier et notre sujet, et nous ne le prolongerons pasjusqu’à la biographie de l’étudiant, car ce serait de la témérité aprèsle portrait minutieux qu’une plume exercée a peint, comme chacun sait,avec un rare bonheur et une merveilleuse fidélité dans les pages de cerecueil.

Voilà quelles sont les différentes physionomies de l’enfant et du jeunehomme dans nos écoles et nos lycées. Mélange de vices et de qualités,et comme la statue du Scythe Babouc, formé de pierres précieuses etd’argile. Nous l’avons dépeint d’après des souvenirs récents, et si lacritique vient mettre en pièces le moule de notre pensée, en accuserles formes irrégulières et nous crier :

        Tuchantes faux à rendre envieuse une orfraie,

nous lui répondrons comme le Gracieux à Laffemas :

        Maître,le chant est faux, mais la chanson estvraie.                  

HENRI ROLLAND.