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ROMME, R. (18..-19..) : L'Art des Détectives modernes(1908) Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (05.I.2013) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque du n°3 - VIe série- 1.2.1908 deLA REVUE (ancienne Revue des Revues). L'Art des Détectives modernes par le Dr R. ROMME _____ Nous sommes en ce moment envahis par une littérature très spéciale,celle des romans judiciaires, des romans policiers comme on lesappelle Est-ce la conséquence de la campagne contre les apachesou plutôt, le résultat de la complaisance avec laquelle les grandsjournaux s'étendent sur les assassinats, les viols, les crimes detoutes sortes ? On ne saurait le dire. Toujours est-il que sur lesgrands boulevards, les kiosques disparaissent sous le monceau depublications multicolores, relatant les aventures authentiques despoliciers qui n'avaient jamais existé. Sous le couvert de la médecine légale, les choses de la police ont mêmepénétré dans l'austère littérature médicale. C'est ainsi quedernièrement, dans sa thèse de doctorat, M. Bercher établissait unparallèle des plus suggestifs entre le médecin qui cherche sondiagnostic et le détective qui suit une piste. A première vue cerapprochement paraît un peu bizarre. Et cependant cette analogie existeréellement. En effet, il arrive souvent, en médecine, qu'au lieu de produire unesérie de symptômes classiques, la maladie se manifeste par un ou deuxsignes d'une interprétation difficile. Cela suffit cependant à unmédecin perspicace et observateur pour faire le diagnostic exact del'affection qu'il a sous les yeux. La situation est la même pour ledétective quand sur les lieux du crime il trouve pour tout indice unbouton, un lambeau d'étoffe, un mouchoir démarqué. S'il a quelqueperspicacité, s'il est observateur, il arrive souvent à reconstituerles péripéties du drame et à mettre la main sur le coupable. Lecoq dansles romans de Gaboriau, Sherlock Holmes dans ceux de Conan Doyle, Dupindans la célèbre nouvelle d'Edgar Poë sont autant d'exemples de cespoliciers habiles. Ces types sont certainement pris sur le vif, car ilsuffit de feuilleter les publications médicales pour y trouver desfaits authentiques de ce genre. On nous permettra d'en résumerquelques-uns. I Dernièrement arrivait au bureau de poste de Lausanne, venant d'uneville italienne, une lettre chargée contenant mille francs. Quand ellea été ouverte par le destinataire, il y manquait quatre cents francs.L'enveloppe ne portait cependant nulle trace d'effraction. Aprèsenquête et en l'absence de toute indication précise, l'affaire allaitêtre classée, lorsqu'un détective demanda à voir l'enveloppe. Enl'examinant à la lampe il découvrit une petite bavure de colle sur untimbre qui avait été collé à cheval sur les deux pattes de l'enveloppe.Comme ce timbre portait le cachet du bureau de Lausanne, il devenaitévident que c'était dans ce bureau que la lettre avait été ouverte. Lechamp de recherches se trouvant ainsi circonscrit, l'agent coupable netarda pas à être découvert. Il y a quelques vingt ans, on trouva à Lyon, étranglée dans sa chambre,une femme de mauvaise vie. Elle portait à la partie intérieure du coucinq empreintes digitales, quatre à gauche et une, plus large, àdroite. L'agent qui suivait cette affaire, frappé de la disposition unpeu irrégulière de ces empreintes, essaya d'y appliquer ses doigts. Iln'y parvint qu'après avoir fortement fléchi son index. Il en conclutque le criminel devait avoir ce doigt mal formé. De fait un desprévenus avait l'index de sa main droite, mutilé dans un accident.Arrêté, il fit des aveux complets. Non moins curieuse est la façon dont s'y prit un agent pour retrouverun assassin qui dans son petit bourg belge, avait tué une femme. Dansla chambre de la victime on trouva, pour tout indice, sur une table, uncylindre de cendre de cigarette. L'agent, qui était fumeur, reconnutque cette cendre provenait d'un tabac algérien. L'article étant plutôtrare, la buraliste a pu donner le signalement d'un individu auquel, laveille, elle avait vendu un paquet de ces cigarettes. Deux heures plustard, le présumé assassin était arrêté : dans la poche de son veston ontrouva le paquet révélateur. Ces quelques exemples, qu'il serait facile de multiplier, montrentsuffisamment l'esprit d'observation et de pénétration dont le détectivefait preuve en maintes circonstances. Il en a toujours été ainsi et ilen est encore de même de nos jours. Cependant, on ne saurait nier quele nombre de crimes non découverts et restés impunis, n'augmented'année en année. De 1831 à 1835 ce nombre a été de 12.100. Soixanteans plus tard, de 1896 à 1900, pendant une même période de cinq années,ce nombre devient huit fois plus élevé et atteint le chiffrefantastique de 92.065 ! Si la perspicacité de nos policiers n'a paschangé, comment expliquer ce nouvel état de choses ? Il s'explique par ce fait que la « méthode » des criminels n'est plusce qu'elle était autrefois. On peut dire qu'elle est devenuescientifique, très scientifique même. Les criminels d'aujourd'huimanient fort bien le chloroforme, l'opium, la morphine. Le jour n'estpeut-être pas loin où renonçant à l'arsenic suranné, ils leremplaceront par des toxines microbiennes autrement sûres et autrementdifficiles à découvrir dans le cadavre. Maintes et maintes fois on aadmiré la perfection de l'outillage de certains cambrioleurs, celui parexemple des fameux rats d'hôtel. Certains faits montrent même que tousces malandrins se tiennent très soigneusement au courant de la science.Nos lecteurs n'ont probablement pas encore oublié l'histoire d'uncambriolage fait avec des capsules de dynamite. Mais tout dernièrementà Marseille, le coffre-fort d'une banque a été forcé en quelques heuresau moyen du chalumeau oxy-acétylénique, appareil inventé depuis un an àpeine par un ingénieur et destiné à opérer la section rapide desplaques de tôle. II Il va de soi que si le criminel est devenu scientifique, la police, deson côté, fait volontiers appel à la science. Les faits que M. Berchercite dans son travail, sont très suggestifs à ce point de vue. Ainsi, dans le temps, quand il s'agissait de découvrir un faux, un fauxpar grattage, on mettait sur l'endroit suspect une goutte d'eau.Celle-ci était immédiatement pompée, quand le papier avait été grattéet privé de son encollage ; elle restait au contraire pendant quelquetemps sur le papier si celui-ci n'avait pas été gratté. Ce procédé,assez primitif et peu sûr, avait en outre l'inconvénient de détériorerla pièce. Aujourd'hui on se contente de photographier le documentsuspect et, sur l'épreuve, les tracés de grattage se marquent par desdifférences de teintes tout à fait nettes. Un autre procédé, indiqué il y a quelques années par Bertillon,consiste à passer un fer chaud sur le verso de la pièce suspecte. Dansces conditions, le papier devient brun et sur ce fond uni lacaramélisation des substances gommeuses de l'encre, fait ressortir ennoir les traits grattés. Par le même procédé on arrive aussi à fairereparaître l'image latente de l'écriture, comme elle se produit sur lepapier blanc resté pendant quelque temps en contact avec une feuillesur laquelle on avait écrit. Comme le dit fort bien Bertillon, il nesuffit plus à un escroc d'arracher de son carnet les feuillesaccusatrices il faut encore qu'il songe à faire disparaître celles,d'une blancheur immaculée, du moins en apparence, qui leur faisaientface. La photographie rend encore des services quand il s'agit de reconnaîtreun faux par moyens chimiques. On sait qu'en pareil cas le faussaires'adresse aux acides et aux solutions caustiques qui effacent ce qui aété écrit à l'encre. Le changement de couleur qui se produit toujoursdans les endroits traités de cette façon, est le plus souventimperceptible à l’œil nu. Sur l'épreuve photographique il se révèle parune différence de teinte des plus marquées. Dans certaines affaires, tout tourne autour d'une lettre brûlée dans lacheminée et dont le contenu a pu être déchiffré sur le papiercarbonisé. C'est autrement difficile quand on trouve dans la cheminéenon plus une seule feuille, mais des monceaux de papier. Aujourd'huipour utiliser ces documents, on commence par les photographier. Puis onglisse entre les deux premières feuilles une large plaque de verreaprès les avoir soulevées au moyen d'un courant d'air provoqué par leva-etvient d'une feuille de carton. Aussitôt que la première feuillecarbonisée se trouve sur la plaque de verre, on l'imbibe avec unfixateur à dessin, qui la rend moins cassable ; il ne reste plus qu'àla déplier et à la photographier. On en fait autant avec les feuillesqui suivent et en quelques heures tous les documents se trouventreconstitués. Parmi les tâches qui incombent parfois au juge instructeur, une desplus difficiles consiste à reconnaître la nature des taches de sangqu'on trouve parfois sur les vêtements de l'assassin présumé. Autrefoison examinait ces taches au microscope et on se prononçait d'aprèsl'aspect des globules rouges, aspect qui est très particulier pourchaque espèce animale. Ce procédé était d'un grand secours quand latache était récente, mais dans le cas contraire, quand le sang étaitresté plus ou moins longtemps sur le vêtement, les globules étaientdéformés et l'examen microscopique ne donnait aucun résultat.Aujourd'hui on procède autrement. On lave la tache et on verse quelquesgouttes de cette eau de lavage ans un tube contenant du sérumspécifique provenant d'un lapin qui avait été inoculé avec du sangd'homme. Si l'addition de l'eau de lavage produit dans le sérum unléger trouble ou un dépôt très fin, on peut être absolument sûr que lesang qu'on examine, provient d'un homme. III Ce serait avancer une banalité que de dire qu'un détective, qu’un juged'instruction doit être psychologue. Mais il y a psychologie etpsychologie et, aujourd'hui, il est question de mettre à contribution,dans l'interrogatoire des inculpés, certaines méthodes de psychologieexpérimentale. Celle qui a été récemment proposée et mise en œuvre parle professeur Münsterberg, est basée sur le phénomène de l'associationd'idées. Voici en quoi consiste son procédé : Sur une feuille de papier on écrit une série de mots, les unsdifférents, d'autres ayant un rapport direct ou indirect avec le crimecommis. On présente cette liste à l'inculpé, en lui demandant deprononcer à haute voix les mots qui, par association d'idées, luiviennent à l’esprit à la lecture de chaque mot inscrit. On constate quepour les mots indifférents la réponse vient presque tout de suite. Aumot : « encre », par exemple, l'inculpé mettra une fraction de secondepour répondre : « papier », « plume », « écrire », ou quelque chosed'analogue. Ses réponses se succéderont encore avec la même vitesse auxmots significatifs, s'il est innocent. Au mot « couteau », il répondra,sans hésiter, « sang », « couper », « coeur ». Mais s'il est coupable,il évitera soigneusement les mots ayant quelque rapport avec son crime,ou bien il ne les prononcera qu'après réflexion, en hésitant, avec duretard. Ce retard sera parfois médiocre, mais il existera toujours. Aussi, pourle calculer très exactement, le professeur Münsterberg a-t-il inventéun petit appareil électrique qui se place entre les lèvres de lapersonne qu'on interroge. Il est construit de telle façon que lemoindre mouvement des lèvres, fait pour parler, rompt le courant quicommande, d'un autre côté, un mouvement d'horlogerie dont l'aiguilletourne sur un cadran divisé en dixièmes de seconde. Un coup d'œil surle cadran permet alors de voir le temps que l'inculpé met à répondreaux mots indifférents ainsi qu'à ceux qui peuvent avoir quelquesignification précise. IV L'identification des criminels a fait également de très grands progrès. L'idée d'utiliser à cet effet les empreintes de pieds, ne date pasd'hier. Au commencement on se contentait de les dessiner. Plus tard ons'avisa d'en faire le moulage au plâtre de Paris, à la gomme laque, àla paraffine, à la cire, et bien des fois ce procédé rendit de grandsservices comme on peut en juger par l'exemple suivant que j'emprunte auprofesseur Lacassagne : Vers 1855 on jugeait un incendiaire, du nom de Petit. Il niaiténergiquement et allait être acquitté, quand un des témoins fitobserver à la Cour que dans l'empreinte qu'on avait prise du pas del'incendiaire, existait un petit vide dans la plante du pied. On fitimmédiatement déchausser l'accusé et on lui ordonna d'appliquer sonpied sur la moulure. A l'endroit précis où se trouvait le vide, Petitavait sous le pied une verrue qui s'adaptait à merveille. Il futcondamné à mort et exécuté à Rouen. Mais c'est sous l'impulsion de Bertillon que l'identification descriminels est devenue une véritable science, et une science fortexacte. De jour en jour on la perfectionne et parmi ses acquisitionsrécentes, une des plus curieuses est certainement la dactyloscopie,c'est-à-dire l'identification par les empreintes digitales. Les petites lignes qui sillonnent la pulpe des doigts et des orteils,offrent en effet ceci de particulier qu'elles sont aussicaractéristiques, aussi personnelles que la forme du nez et del'oreille ou que la couleur des yeux. Elles sont à tel point immuablesqu'elles se reproduisent telles quelles, même après les brûlures.Depuis la formation de la main avant la naissance jusqu'à l'extrêmevieillesse, et même sur le cadavre quand la putréfaction a fait tomberl'épiderme, elles ne changent pas de nombre, de dessin ni dedisposition. On conçoit donc la valeur qu'elles présentent au point devue de l'identification de l'individu. Cette signature du criminel se déchiffre tout de suite quand l'assassina eu l'imprudence de laisser la trace sanglante de ses mains sur lesmurs, les meubles, les linges. On les photographie, et tout est dit.Mais quand le crime a été commis sans effusion de sang, les traces desmains de l'assassin sont invisibles, et cependant elles doivent existersur les meubles qu'il a fouillés, sur les objets auxquels il a touché.Il s'agit donc de rendre visibles ces empreintes latentes. On y arrivede plusieurs façons. Grâce à la couche de sueur qui recouvre les mains, ces empreintesinvisibles sont toujours grasses. Aussi, en vertu d'une réactionchimique, un badigeonnage au nitrate d'argent les fait-il ressortir ennoir plus ou moins foncé sur les murs, les meubles et les boiseries.Sur le verre, un carreau de fenêtre par exemple, on les fait apparaitreau moyen de l'acide fluorhydrique. S'agit-il de papier, on le saupoudreavec du graphite : la mine de plomb s'attache aux empreintesgraisseuses des doigts, et elles se dessinent en noir sur fond blanc.Si le papier est foncé, on remplace le graphite par de la poudre demagnésie, et les empreintes apparaissent en blanc sur fond noir. Lesempreintes une fois révélées, on les photographie. Pour identifier les cadavres rendus absolument méconnaissables par unlong séjour dans l'eau, le professeur Minovici a imaginé un procédéfort curieux qui consiste en ceci : On commence par rendre au-cadavre son regard. Les globes oculairesmanquent-ils totalement, on place, dans les orbites vides, des yeuxartificiels. Si les yeux sont simplement affaissés, on injecte danschaque œil une petite quantité de glycérine qui a pour effet de rendreles yeux saillants et de faire apparaître l'éclat, le brillant de lacornée. On s'occupe ensuite de la revivification de la face. Pour fairedisparaître l'aspect bouffi et violacé qu'elle présente chez les noyés,on l'enduit de vaseline, puis d'une couche de poudre de talc et onprocède à un léger massage. Si cela ne suffit pas, on pratique avec unbistouri, dans la bouche, une incision allant d'une pommette à l'autreet, avec un tampon d'ouate, on exerce sur le visage des pressionsdestinées à expulser les gaz qui infiltrèrent les tissus. Il ne resteplus qu'à colorer les lèvres avec une solution de carmin. Laphotographie reproduit alors très exactement les traits que la victimeavait de son vivant. Journellement les nouveaux procédés d'identification rendent desservices, et à ce point de vue rien n'est aussi curieux que le procèsdont parle le professeur Lacassagne dans son Traité de médecine légale : Une noble polonaise, la comtesse Kwilecka, était accusée desubstitution d'enfant à l'effet d'obtenir l'héritage d'un majorat. Lesayant droit à cet héritage prétendaient que la comtesse avait simuléune grossesse et que l'enfant qu'elle donnait pour sien, aurait étéacheté à une nommée Cécile Meyer. L'affaire, qui se jugeait à Berlin, était tellement embrouillée crue laCour décida de nommer une commission composée de deux médecins et d'unpeintre. Elle devait examiner au point de vue physiologique le jeuneKwilecki, l'enfant contesté, en le comparant d'un côté avec les membresde la famille Kwilecki, et de l'autre avec ceux de la famille Meyer.Cette expertise peu banale aboutit à faire reconnaître comme réelle, lamaternité de la comtesse. En effet par la conformation de ses oreilles,par la forme de ses sourcils et la racine de son nez, par la couleur deses yeux, le jeune comte ressemblait étonnamment à l'accusée, sa mère ;il avait en outre le même menton que deux autres jeunes filles de lacomtesse, ses deux sœurs ; enfin aucun de ses caractères anatomiques nese retrouvait dans la famille Meyer. La comtesse fut acquittée. Les quelques exemples que nous avons cités montrent suffisammentl'intrusion de la médecine et des sciences exactes dans la policejudiciaire. L'art du détective n'est donc plus ce qu'il étaitautrefois. En tout cas il n'est plus ce qu'il était au temps despasseports, à l'époque où le poète Joséphin Soulary a pu dicter sonsignalement en termes que voici : Taille haute. Age : quarante ans. Né dans Lyon. Visage ovale, Cheveux et barbe grisonnants. Front élevé. Teint pâle. Yeux gris bleu. Bouche au coin moqueur. Nez original. Menton bête. Signe particulier : du cœur. Nature du crime : poète. R. ROMME. |