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BALZAC, Honoré de (1799-1850)Paris en1831(1831).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (20.VIII.2015)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire d'unecollectionparticulière de l'ouvrage LesParisiens comme ils sont : 1830-1846 dans l'édition donnéepar André Billy à  Genève chez La Palatine en 1947.


Paris en1831
(La Caricature,10 mars 1831)
par
Honoré de Balzac
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Le paradis des femmes,
Le purgatoire des hommes,
 L'enfer des chevaux.
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PAYS des contrastes, centre de boues, de crotte et de merveilles, dumérite et des médiocrités, de l'opulence et de la misère, ducharlatanisme et des célébrités, du luxe et de l'indigence, des vertuset des vices, de la moralité et de la dépravation ;

Où les chiens, les singes et les chevaux sont mieux traités que leshumains ;

Où l'on voit des hommes remplir les fonctions de chevaux, de singes etde chiens ;

Où certains citoyens seraient bons ministres, et où certains ministressont mauvais citoyens ;

Où l'on va le plus au théâtre, et où l'on dit le plus de mal descomédiens ;

Où il y a des gens raisonnables et d'autres qui se brûlent la cervelleou vont en ballon ;

Où les républicains sont plus mécontents depuis qu'ils ont la meilleuredes républiques ;

Où il y a le moins de moeurs et le plus de moralistes ;

Où il y a leplus de peintres et le moins de bons tableaux ;

Où partout il y a des remèdes à tous maux, des médecins fort habiles,et cependant le plus de malades ;

Où il y a plus de Carlistes que lorsque le souverain s'appelait CharlesX ;

Où il y a plus d'étrangers et de provinciaux que de Parisiens ;

Où il y a le plus de religion, et où les églises sont vides; Où il y aplus de journaux que d'abonnés ;

Où l'on voit encore, sur plusieurs monuments, un coq, un aigle et unefleur de lis ;

Où il y a la meilleure police du monde et le plus de vols ;

Le plus de philanthropes, de bureaux de charité, d'hospices, etcependant le plus de malheureux !

Paris est un sujet d'envie pour ceux qui ne l'ont jamais vu ; debonheur ou de malheur (selon la fortune) pour ceux qui l'habitent, maistoujours de regrets pour ceux qui sont forcés de le quitter.

Aussi, Paris est-il le but de tous. Chacun y accourt, et chacun pour unmotif particulier.

Le provincial oisif et opulent y vient pour respirer et prendre l'airdu bon ton, en même temps que servir de dupe à l'exploitation del'inexpérience départementale ;

L'étranger millionnaire, pour en voir les curiosités, en boire les vinsdélicieux, dîner aux Frères Provençaux , et savoir comment sontfaits les souliers des danseuses de l'Opéra ;

L'étudiant, pour faire son droit en faisant les délices des grisettes ;

L'homme studieux, pour apprendre ;

Le talent, pour se faire admirer ;

L'ambitieux, pour parvenir ;

La jeune villageoise, pour se dégourdir ;

Le député, pour voter ;

Le filou supérieur, pour faire parler de lui ;

L'écrivain, pour sefaire lire ;

Le lieutenant, pour devenir capitaine ;

La beauté, pour intriguer ;

Le génie, pour briller ;

L'homme à projets, pour exploiter ;

L'industriel, pour s'occuper ;

Tous y trouvent ce qu'ils étaient venus chercher, et c'est du choc detous ces divers intérêts, c'est du contact de toutes ces sortesd'industries, de ces nombreux talents dans mille branches diverses, detoutes ces imaginations appliquées au travail, aux recherches, auxdécouvertes, que naissent cette activité, ce mouvement continuel defabrication, ces prodiges de l'art et de la science, ces améliorationsjournalières, ces conceptions savantes et ingénieuses ; enfin cesadmirables merveilles qui saisissent, étonnent, surprennent, captiventet font généralement considérer Paris comme sans égal dans l'Univers.Réceptacle général de toutes les créations étrangères, un hommageuniversel est un juste tribut payé à son opulence : aussi, lesproductions animales, végétales, minérales, aquatiques et industriellesde toutes les parties du globe y arrivent-elles en poste poursatisfaire aux énormes besoins de sa consommation, et son luxeaccapare, dévore et anéantit en un seul jour, le fruit des travaux de plusieurs peuples, pendant nombre d'années.

Ce besoin continuel de tout ce qui approche et entoure, cettefréquence de rapports entre toutes les classes de la société, constituecette aimable politesse qui caractérise les Parisiens et contribue aumaintien de la cordiale familiarité qui existe entre tous leshabitants de la grande ville, sans distinction de rangs ni deconditions, même les jours où ils ne s'embrassent pas réciproquementdans les rues, comme en 1811, en 1815 et en 1830. Tous sont confonduségalement dans la foule : chacun s'en distingue ensuite par sesfonctions, son talent ou sa fortune. Mais au milieu du rapidetourbillon de la vie sociale qui les entraîne ensemble au plaisir ouaux affaires qui les réunissent et les rassemblent, il n'existe pointde différence humiliante pour celui qui n'a ni titre, ni fortune. Tousles hommes sont égaux. Malheur à celui qui, ébloui par sa position,manquerait envers un inférieur aux règles de la politesse établiespour tous ! La provocation légale de l'offensé l'obligerait bientôt àune éclatante réparation, et si la lâcheté l'empêchait d'y satisfaire,ni son rang, fût-il le premier, ni sa fortune, fût-elle considérable,ne pourraient le mettre à l'abri du mépris.

A Paris, séjour de la cour, des richards et des grandeurs, où l'onsacrifie tout au présent, les titres ne sont rien pour la foule ; lemérite, peu de chose, et l'argent, tout ! C'est la meilleurerecommandation et la plus sûre prérogative ; il équivaut au talent, augénie et à la considération ; il n'efface aucune de ces qualités, ilest vrai, mais il procure les mêmes résultats, et c'est ce qui fait ledélice du riche qui ne s'inquiète point d'où lui vient le bonheur qu'il achète. Voilà la première condition pour êtreheureux dans la capitale du monde ; et la seconde, que du reste on yobserve religieusement, c'est l'égoïsme. En effet, il est tout-à-faitindispensable au Parisien dont il est le sauf-conduit ; car, eût-ontous les trésors du Pérou, on serait bien vite dépouillé, si l'on avaitl'intention charitable de soulager tous les malheureux, dans cettebienheureuse ville de Paris, où l'on ne peut faire un pas sans êtreassailli par de misérables infirmes, faisant parade de leurs plaies ;par des mendiants ingambes, qui écorchent les oreilles du bruit deleurs chants ou de leurs instruments barbares ; par les industriels enplein vent qui échangent un paquet de cure-dents, ou vous donnent uncoup de balai dans les jambes, contre une aumône, par les intrigants,qui soutirent par subterfuges, et par les voleurs patentés qui vousdérobent votre montre, pendant qu'ils vous avertissent complaisammentque vous allez perdre votre mouchoir.