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BALZAC, Honoré de (1799-1850)Le Dimanche(1841).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (20.VIII.2015)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire d'unecollectionparticulière de l'ouvrage LesParisiens comme ils sont : 1830-1846 dans l'édition donnéepar André Billy à  Genève chez La Palatine en 1947.


Le Dimanche

(La Caricature,31 mars 1841)
par
Honoré de Balzac
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DIEU, comme l'assure la sainte histoire,travailla pendant six jours et se reposa le septième. Et tous lescatholiques, apostoliques, romains, qui n'ont pas créé le monde, quimême ne font pas grand'chose dans la semaine, se reposent le septièmejour catholiquement, apostoliquement, romainement. Or, ce jour dedélassement est le dimanche, et, comme chacun a le droit de se délasserà sa manière, c'est assez ordinairement celui où bon nombre dechrétiens se fatiguent le plus.

Ce jour de fête hebdomadaire :

Les dévotes vont promener leurs chiens ; de là, elles vont à l'égliseentendre la grand'messe, le sermon et les vêpres ; après quoi, ellespassent charitablement le reste du jour à dénigrer le prochain.

L'étudiant récompense la grisette pour sa constance de toute lasemaine, en allant reverdir sa fidélité dans les bois de Boulogne, deRomainville ou de Montmorency.

Les boutiquiers délogent dès le matin, et, les uns en citadines ou entapissières, les autres en coucous ou à pied, ils se répandent dans labanlieue, et vont faire la fortune des restaurateurs de Versailles etde Saint-Cloud, de Montmartre et de Viroflay.

Protégé par Mademoiselle Françoise, le troupier dépose son briquet à laporte du Musée, et interprète militairement tous les faits et gestes deM. Ajax ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Fort décontenancé de n'avoir ni réprimandes ni flagellations àadministrer, le vertueux maître d'école bat son habit.

Le bourgeois, avec sa femme sous un bras, son épagneul et son parapluiesous l'autre, va voir les animaux au Jardin des Plantes.

L'homme du peuple emplit ses poches de tout ce que la maison renfermede monnaie, emmène madame son épouse et ses enfants à la barrière ; là,il se satisfait à dix sous la pinte, rentre chez lui après quelqueaventure, bat sa femme, casse les meubles, puis s'endort très-contentde sa journée.

Le bureaucrate que ses fonctions retiennent toute la semaine de dix àquatre heures, et qui ne peut voir ses amis que le soir, fait sesvisites afin de ne pas avoir l'air d'un oiseau de nuit. Sur les midi,il sort en habit noir, linge blanc, bottes éblouissantes, court lesquatre coins de Paris sans rencontrer personne, et rentre crotté,contrarié, éreinté.

Celui qui observe le plus religieusement le repos prescrit par les loisapostoliques et romaines, c'est l'homme aisé. Pour lui, le dimanchedure toute la semaine, et, le septième jour, il est condamné àl'inaction. En effet, tout le monde s'amuse ou en a l'air, tout le monde a une chemiseblanche et un habit propre ; l'homme comme il faut peut-il faire commetout le monde ?Aussi, aux Tuileries, point de fashionables, ni detoilettes de bon ton, le dimanche. Au bois de Boulogne, pointd'équipages élégants, ni de fougueuses cavalcades ! Pour eux, point despectacles, point de fête le jour où le plus grand nombre en profitent.Si la nécessité les force, par hasard, à sortir, leur mise simple paraffectation les distingue des endimanchés. Enfin, pour ceux-là, lerepos, c'est l'ennui !

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Malheur aux citadins qui, par un beau temps, restent dans Paris ledimanche. Rien n'est plus triste ordinairement ; le matin, il n'y a demouvement que celui du départ pour les environs ; le jour un silencemonotone remplace le bruit habituel, et, le soir, toutes les boutiquesfermées, les rues sombres et désertes, attestent l'absence de laplupart des habitants.

Cependant, comme le jour du dimanche n'est pas plus long que lesautres, ainsi que tous les autres, il finit à minuit, et, vers cetteheure, renaissent l'agitation, la cohue et le bruit, fractionsintéressantes des charmes de la grande ville. Affluant de tous lespoints circonvoisins vers un centre commun, des milliers de groupesdébouchent par toutes les barrières, et emplissent les rues de leursflots tumultueux. Les voitures se croisent, les piétons chantent, les ivrognes jurent, les enfants pleurent, et tous,également harassés, regagnent leur logis du plus loin qu'ils ont pualler.

C'est ainsi que les Parisiens entendent le repos du septième jour.