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CURMER, Louis (1799-1850) : Conclusionaux Français peints par eux-mêmes (1842).

Numérisationdutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (06.X.2009)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 8 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
CONCLUSION
aux Français peints par eux-mêmes
par
Louis Curmer

 ~ * ~

La publication des FRANÇAIS est terminée. Après troisannées d’un travail opiniâtre, l'éditeur se trouve heureux de pouvoiradresser ses remercîments au public bienveillant, qui, pendant cettelongue et pénible tâche, l’a si obligeamment soutenu, encouragé, aidéde toute manière ; aux littérateurs qui ont contribué à cette oeuvreavec un empressement et une supériorité de talent que la France seulepeut produire : aux artistes, dessinateurs et graveurs qui ont enrichile texte de leurs charmantes et consciencieuses productions.

Si la publication des FRANÇAIS s'esttimidement annoncée en quarante-huit livraisons devant faire un volume,il faut s'en prendre à la variation des événements, aux chances desopérations de cette nature, à notre temps enfin où l'on bâtit tropsouvent sur le sable, et où l'on n'ose songer à édifier quoi que cesoit de durable dans l’incertitude du lendemain. Le public a approuvél'idée, a favorisé l'exécution ; l'éditeur a élargi son cadre, et aulieu de laisser quelques portraits fugaces se perdre dans l'immensetourbillon quotidien qui engloutit toutes choses, il a cherché à réunirles physionomies les plus saillantes de cette époque, pour en faire unportrait des moeurs contemporaines, amusant pour le présent instructifpour l'avenir.

Rien alors n'a été épargné pour répondre à la puissante sympathie dontla publication était l'objet ; toutes les classes de la société ont étéexplorées, les salons les plus élégants, les bouges les plus honteux,les plus nobles sentiments de la nationalité, les plus sales instinctsdu vice, les plus touchantes émotions du coeur, les plus affreuxdébordements de la débauche, tout a été sondé avec la patience et larésignation de l'opérateur, qui conduit d'une main sûre le scalpel àtravers les tissus gangrenés de la plaie qui va être dénudée, mais quetoute la science du praticien ne guérira pas.

Ouvrez donc ce livre, cherchez-y tout ce que le coeur humain peutéprouver de sensations, tout ce que l'intérêt personnel, le dévouement,l'égoïsme, l'amour, la haine. la pudeur, la dépravation, l'athéisme, lacharité, l'ignorance, l'amour de l'étude, les bons et les mauvaisinstincts peuvent engendrer, vous l'y trouverez ; la société y est.reflétée tout entière, et si, dans ce miroir moral, quelques rayonsblessent les vues délicates, il faut s'en prendre non pas à l’oeuvre,mais aux originaux eux-mêmes

Etait-ce une publication opportune à mettre au jour, que cetteencyclopédie universelle, indiscrète à beaucoup d'égards, mais toujoursexacte et prudente ? Personne n’en disconviendra ; l’époque actuelleest une époque de doute, d'analyse, de scepticisme, les intérêts lesplus divers sont en présence, les éléments les plus antipathiquesfermentent dans le vaste creuset de la civilisation ; il a donc étéfacile de saisir toutes les facettes du coeur humain, de reproduiretoutes les nuances de ce prisme si éblouissant et si trompeur. On s'estmis à la besogne, et quels artisans ont commencé cette rude journée ?l'élite de la littérature, les observateurs les plus patients, les plusbrillants écrivains, les plus profonds scrutateurs des travers humains; car il est glorieux de le penser ; toutes les célébrités de ce tempsse sont empressées de s'inscrire dans cette galerie physiologique.

Si nous voulions entrer dans les détails d'exécution, il nous seraitfacile de dire avec quelle patience de bénédictin M. de BALZACcisèle ses portraits, combien de fois il remet sur le chantier sontravail, et combien de fois aussi, quand on croit tout terminé, ilreprend encore son oeuvre pour lui faire subir les épreuves du laminoirle plus strict, ne livrant ainsi sa pensée à la lumière du jour quelorsqu'il la trouve complète et irréprochable. La féconditémerveilleuse de M. J. JANIN étonneraitl'imagination ; nous dirions, par exemple, comment son secrétaire,entrant chez lui sans jour désigné, passe huit heures à écrire sous sadictée sur un sujet donné sans une seule rature et à travers lesconversations les plus entraînantes ; comment une phrase, interrompuepar la visite de la danseuse qui va enivrer tout un monde de sessuccès, est reprise sans hésitation, sans même le rappel du mot oùl'interruption a eu lieu. Prodige de la pensée humaine, qui suit saroute sans écueils, sans obstacles, comme la souveraine pensée guide lemonde à travers les siècles vers sa destinée future. La plume de TIMONdévoilerait ses plus secrets mystères, et l'esprit aurait peine àconcevoir le prodigieux travail qu'exige cette facilité séduisante quidomine le lecteur malgré lui, et l'éblouit par la vivacité dessaillies, la profondeur des aperçus, la netteté de la forme. M. BERTHAUD,le poëte des instincts populaires, ramènerait à lui les plus ardentspartisans de l'aristocratie par la chaleur et la fécondité de saparole; sou élaboration jaillit en effet comme les feux d'un volcan etpénètre avec la puissance du fluide électrique : on est heureux deretrouver dans le courageux lapidaire qui sait extraire de sibrillantes pierreries des plus fétides bourbiers, toute l'élévation dugénie, toute la délicatesse des plus exquis sentiments. Mais où nousarrêterions-nous s'il nous fallait redire toutes les émotions que nousavons éprouvées au contact de cette brillante et énergique littérature,surgie de tous les rangs, depuis l'élève de rhétorique jusqu'àl'académicien, depuis la modeste ouvrière jusqu'à la grande dame présentée à la cour ?Assurément, l'histoire de ce livre enfanterait le plus beau livre decette époque, et elle ne serait pas la page la moins glorieuse dans lesfastes de notre nationalité ! Comprend-on en effet qu'a point nommé unessaim de littérateurs d’un talent et d'une verve incontestables sesoit rué dans tous les sens sur ce bon peuple de France, et l'aitanalysé, disséqué avec toute la patience et toute la précision du plusrigide observateur ? Chaque classe de la société a trouvé son peintre,peintre bien souvent inconnu jusqu'alors, mais que ce point de départ aconduit avec bonheur aux rangs élevés de la littérature ; et c'est làun des plus glorieux résultats de notre publication ; la voie de lacélébrité est si épineuse, que nous sommes heureux et fiers d'avoiraplani quelques-unes des aspérités qui hérissent ce rude sentier.

 Nous devons des remercîments particuliers à M. Ém DELA BÉDOLIERRE, aussi habile àfaire passer dans notre langue, qu'il manie avec une rare facilité, lesbeautés des langues étrangères dont il a fait une étude spéciale etapprofondie, qu'à saisir les travers, les habitudes sociales de notreépoque ; il nous a offert le trop rare exemple d'une de cesintelligences qui unissent à la puissance de l'imagination un savoirimmense, un jugement sûr et une expérience laborieusement acquise.

Nous pourrions encore lever les portières de l'atelier, et écrire despages bien curieuses sur la carrière de nos artistes les plus célèbreset les plus populaires. Qu'il nous suffise de dire que la bienveillancechez eux est compagne du talent, et que si la France est fière del'artiste, le contact de l'homme privé est rempli de charme etd'aménité. Il existe des ateliers de peinture où l'on a peine àcomprendre tout ce qui s'y dépense d'esprit, de verve, de franche etloyale gaieté ; ce sont autant de foyers où se conserve avec amour cefeu sacré du génie dont les rayons vivifient chaque jour les plusobscurs recoins de notre beau pays. GAVARNI,par exemple, modèle d'élégance et de distinction, spirituel entre tous,trace sans étude, et de mémoire, ses plus frappants portraits,privilége merveilleux du talent le plus délicat et le plus profond dece temps-ci. CHARLET, non moins habile àtenir la plume qu'à préciser les contours d'un original imaginaire,trouve dans ses souvenirs l'exacte ressemblance du modèle reproduit parl'écrivain, avec une facilité et une verve que l'âge ne faitqu'allumer. Parlerons-nous de MM. TONY JOHANNOT,E. LAMI, BELLANGÉ,tous noms célèbres dans la peinture contemporaine, et qui sont inscritsau livre de vie ; de MM. PAUQUET, MEISSONNIER,DAUBIGNY, TRIMOLET,et tant d'autres jeunes peintres qui sont venus à nous avec confiance,sûrs d'un bon accueil et auxquels il ne manque que la sanction desannées pour être placés au premier rang ? Tant de noms illustres déjàexigeraient une plume à la hauteur de leur talent, et nous sommes loinde nous croire capable de les célébrer dignement. Mais ce que nous nepouvons passer sous silence, c'est le soin avec lequel chacun a étudiéle caractère qu'il devait représenter. Tous les types de provinces sontdes figures d'habitants de chaque contrée pris sur nature. Pour endonner un exemple, les deux Indiens représentent deux serviteurs de M.de Saint-Simon, ramenés par lui de Pondichéry. Les Créoles nègre etmulâtre ont été dessinés dans le pays par un jeune peintre gui a désirérester inconnu. Les Bretons, les Normands, les Gascons, les Picards, ettant d'autres encore ont été l'objet de voyages spéciaux, d'études surnature, car nous avons eu soin, pour les textes comme pour les dessins,de choisir autant que possible des indigènes de chaque province.L'homme de Concarneau est le portrait d'un fermier du peintre ; la vuedu manoir est celle du lieu natal de l'auteur du Breton ; et ainsi dechaque dessin qui n'a jamais obtenu la moindre concession à laprécipitation ou au hasard.

Nous ne pouvons clore cette rapide esquisse sans rendre un éclatanthommage aux soins persévérants de M. PAUQUET.Nous pouvons dire avec assurance que tous ses dessins sont desportraits ; il a inspecté les prisons, visité les plus sales repairesde la misëre et de la débauche, et aussi les plus élégants rendez-vousde la fashion, et chacun de ses dessins peut être consulté en touteconfiance, c’est la nature, c’est la vérité !

Le mouvement intellectuel produit par la publication des FRANÇAISa dépassé tout ce que l'on pourrait croire si la France n'était enquelque sorte le centre lumineux qui vivifie toutes les facultésintellectuelles dit monde pensant.

L’Angleterre, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont traduit les textesdes FRANÇAIS. Les Belges peints par eux-mêmes,les Hollandais peintspar eux-mêmes, les Russespeints par eux-mêmes, ont pris naissance au même berceauque les Enfants peintspar eux-mêmes, les Animauxpeints par eux-mêmes, et ces éphémères Physiologiesaussitôt, mortes que nées, mais dont l'éclat passager a démontrécombien était féconde la source ouverte par notre publication.

Dirons-nous enfin le chiffre énorme des manuscrits qui nous ont étéenvoyés, et nous croirait-on, si nous portions à trois mille le nombredes textes lus et examinés, et parmi lesquels ont été triés les quatrecents qui composent le livre, ce serait l'exacte vérité. Les neufvolumes comprennent la matière de cinquantevolumes ordinaires : il est peu de sujets de moeurs quin'y aient été traités ; les volumes de province contiennent à eux seulsune histoire morale de la France entière, et les tables des matières,faites avec tout le soin possible, facilitent, les recherches dulecteur. Nous croyons donc avoir rempli avec conscience toutes lesconditions d'une publication aussi compliquée dans ses détails, aussiimportante dans son ensemble

Une oeuvre de cette nature ne peut disparaître en un jour, nous avonsfoi dans sa durée. Sous l'apparence d'une légèreté qui n'est que dansla forme, les esprits sérieux ont trouvé de graves sujets deméditation, et nous pensons avoir justifié le titre d'Encyclopédiemorale du dix-neuvième siècle dans toute soit étendue et sa rigueur.

Qu'il nous soit permis de rendre un affectueux témoignage dereconnaissance à MM. nos correspondants qui nous ont honoré de leursavis, de leurs encouragements et de leurs critiques. La bienveillantepersévérance du plus grand nombre a été extrême, et nous ne saurionstrop les en remercier. Puissions-nous, en finissant cette publication,avoir convaincu MM. les souscripteurs que suivre avec constance desoeuvres importantes, c'est favoriser le développement du mouvementintellectuel, encourager les artistes, et faciliter les progrès qu’unéditeur abandonné à ses propres forces ne pourrait jamais réaliser.

                             L. CURMER