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Contes, légendes et superstitionspopulaires publiés dans Le Pays normand,revue mensuelle illustrée dirigée par Léon Le Clerc (Honfleur :Imprimerie-Librairie Satie, 12 rue de la République, R. Sescau,successeur) de 1900 à 1902.

Pimpernelle ; Bère est su ; Le Coucou ; La Légende Sainte-Adresse ; La Demoiselle de Tonneville.

Saisie du texte : S. Pestel et O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.XI.2000, m.a.j. 23.V.2012).
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées. Les illustrations ne sont pas reproduites.
Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148 1-2 )

Contes, légendes et superstition populaires

~*~

PIMPERNELLE
Conte populaire

Il y avait une fois, comme on dit toujours, une fois, un soldat quirevenait chez lui. Il n'avait qu'un sou et s'appelait Pimpernelle ;c'est le nom d'une très jolie petite rose très épineuse. C'était aussiun militaire très aimable, de bon coeur, sans souci, mais un peu malin.Il cheminait par la grande route, au soleil, et chantait une chanson derégiment où l'on disait beaucoup de mal de la misère et de la mort ; ilétait fier et comme l'on dit chez nous il battait glorieux.

C'est pour cela, sans doute, que l'une et l'autre en veulent au soldat.Vint à passer un homme, plein de beauté et de grâce, avec trois autresqui paraissaient être à la fois ses amis et ses serviteurs : c'étaitNotre Seigneur et les apôtres saint Jean le bien-aimé, le porte-clefssaint Pierre et le grand convertisseur saint Paul. Les quatre voyageursétaient couverts de poussière ; ils demandèrent l'aumône au soldat etPimpernelle partageant son sou, chacun eut un liard. Alors Jésus-Christvoulut le récompenser de tant de charité. - Mon ami, tu es pauvre et tues aumônieux ; tu sera récompensé. Je suis le Seigneur Jésus-Christ etje te donne à choisir entre le Paradis et le pouvoir de faire entrerdans ton sac tout ce que tu souhaiteras. Pimpernelle avait encore defortes attaches à la terre ; la campagne était verte, le soleilrayonnait, partout des fleurs, les oiseaux s'égosillaient à chanter. Ilprit le dernier don. - Va en paix, dit le Seigneur, et qu'il soit faitcomme tu le veux.

Pimpernelle arrive à la ville prochaine. Les enseignes et les bouchonslui disaient : « Beau soldat, soldat altéré, venez ici ; venez ici,beau soldat mon ami. » Mais il avait encore plus faim que soif et il nese décidait pas à entrer, quand il aperçut un succulent gigot de moutonà l'étal d'un boucher et sans bien penser à la promesse du Seigneur, ilse dit à lui tout seul : « Oh ! si je le tenais dans mon sac ! » Tout àcoup, il sentit son sac plus lourd et flaira l'odeur de la chairfraîche. Alors Pimpernelle eut la foi.

La petite et joyeuse voix des enseignes et des bouchons chantit samusique ; la bouteille de vin du cabaretier, la tourte du boulangersuivirent la même route, et Pimpernelle se délectit de boire et demanger . L'histoire ne dit pas comment le boucher, le cabaretier, leboulanger furent payés, mais Notre-Seigneur ne peut faire que bien leschoses. En bon militaire, la halte faite, Pimpernelle se remit enroute, sifflant la marche de son régiment. Il arrivit le soir à uneville et le plus près de son village, où il allait surprendre parentset amis. A l'auberge où il entrit, il n'y avait pas de place. - « Nousn'avons, dit l'aubergiste, qu'une chambre où nous n'osons mettrepersonne, car il y revient. »- « Qu'est-ce que cela fait, ditPimpernelle, j'ai couché en plus mauvais lieu. » On le mit dans lachambre hantée et l'on cru que c'était un homme mort.- « Mais ce n'estqu'un soldat, avait dit l'aubergiste, un mauvais gueux comme vous levoyez.» Pinpernelle avec son souhait fut servi à bouche que veux-tu etil dormait déjà de ce bon petit sommeil qui suit la fatigue et un bonrepas, quand il entendit du bruit dans la cheminée. On trimballait lacrémaillère.- « Bon, cela commence, dit-il, j'ai bien envie de voircomment cela finira. »

En levant la tête, il vit un petit diable, gros comme un fort criquet,qui le regardait d'un oeil vert et semblait guetter l'ennemi : « Toi,tu vas passer dans mon sac, tu y trouvera une paire de souliers que tuvas décrotter. » Le diablotin fit bien une grimace mais il obéit,toujours par la grâce de Dieu et de Notre-Seigneur. Un autre ose encoreparaître : « Toi, saute dans mon sac et tu vas bourrer ma pipe. » Et lepetit démon fit la chose comme s'il n'avait fait que cela toute sa vie.Un troisième diable se montrait encore : « Va dans mon sac et m'ychante une chanson d'enfer pour me désennuyer d'être tout seul ; cen'est pas ma coutume. » Mais à cette musique, voilà qu'il arrive uneenfilée de diables le long de la crémaillère, que c'en était gênant :Fichez-moi tous le camp dans mon sac, tas de canailles, crapules etmauvais sujets, et je vais vous hacher menu comme chair à pâté. » Aujour, il descendit dans la salle de l'auberge, où il fit voir ce quepersonne n'avait jamais vu : des diables dans un sac. Il se rendit chezun forgeron et deux forts compagnons écrabouillèrent le sac surl'enclume. C'était bien drôle les cris des diables, le craquement desos ; mais chose singulière, il ne coulait pas de sang ; on dit que lesdiables n'en ont pas. Quand on ouvrit le sac il ne restait rien qu'undiablotin de vivant qui demandit grâce à Pinpernelle, qui la donnit, etce diable lui dit qu'il y avait une cuve pleine d'or sous l'escalier del'auberge. Pimpernelle n'en voulu pas prendre un seul louis. Du resteil n'avait pas beaucoup de mérite à cela puisqu'il pouvait tout faireentrer dans son sac. C'était comme le Juif-Errant qui avait toujourscinq sous dans sa bourse.

Lorsque Pimpernelle mourut - il n'avait pas pensé à enfermer la mortdans son sac - il s'en alla vers le paradis. Arrivé à la porte, iltrouva saint Pierre, et avec politesse et bonne grâce il demandal'entrée. Saint Pierre lui rappela qu'il n'avait pas opté pour leparadis, et lui dit qu'il était fâché de ne pouvoir ouvrir à un sibrave homme. Primpernelle alla frapper à la porte de l'Enfer. Aussitôton le reconnut et on cria de tous les côtés : « C'est Pimpernelle ! »Les diables avaient tellement peur de lui que personne n'osa luiouvrir. Un diablotin glissa sa tête sur la porte et Pimpernelle lecloua à terre par l'oreille, lui faisant pousser d'horribles cris.Pimpernelle aurait pu les mettre tous dans son sac et régner seul dansl'Enfer, en faisant bombance toute l'éternité, mais il avait son idée.Il alla retrouver saint Pierre. Le vénérable portier à barbe blancheétait à son poste. Impossible de tromper sa consigne. Pimpernelle fitobserver à saint Pierre que son sac n'était pas un homme et il obtintde le jeter dans le Paradis. « Je me souhaite dans mon sac, » s'écriaPimpernelle. Saint Pierre fut tenté de se fâcher, mais ce qui est dansle Paradis n'en sort pas…..

Je m'en allis par quemins
J'trouvis une enfiée d'boudins.
J'en fis part à tous mes amis,
Et tui, tui, tui,
Mon p'tit conte est fini. 


BÈREEST SU
Petit conte populaire

Unperroquet dans sa cage servait de vivante enseigne à une auberge decampagne. Comme il était fort bavard, des mauvais plaisants s'avisèrentde lui apprendre à dire : « Bère est su ! » [Le cidre est sur].

Charmé de cette nouveauté, Jacquot ne répéta plus autre chose. Du matinjusqu'au soir et à tout venant, il gémit, glapit, hurla : « Bère est su! Bère est su ! »

Comme bien l'on pense, l'effet d'une telle réclame fut désastreux ; lesclients prit de méfiance rebroussèrent chemin. Alors l'aubergiste necontenant plus sa fureur, s'empara du perroquet et le jeta dans lamare. Aux cris poussés par la victime, l'homme eut vitre regret de saviolence ; il repêcha l'animal et le porta à la cuisine pour qu'il sesèche près du feu.

Notre perroquet oubliait ses émotions à la douce chaleur de la flammelorsqu'on amena à ses côtés un agneau qui lui aussi - maisaccidentellement -  venait de tomber dans l'eau.

Alors l'oiseau de s'écrier : « As-tu dit itou que l'bère est su, té,petit ? »

L.L.C.

LECOUCOU
Superstition

D'après un dicton populaire dans nos campagnes, la première fois qu'onentend le coucou chanter, si l'on a de l'argent en poche, on est assuréd'en avoir toujours pendant l'année.

Suivantun philosophe de nos amis qui ne croit guère à l'influencemystérieuse du coucou en cette occurence, voici quel serait le sens dece dicton, moins naïf qu'il ne paraît tout d'abord. Il s'appliquenaturellement qui étant au champs entend aux premiers jours duprintemps le chant monotone de l'oiseau en question. Or, si, à cemoment où le cultivateur n'a pas encore pu tirer parti des produits desa ferme, il a de l'argent dans sa poche, c'est qu'il a été économe,qu'il a su amasser largement de quoi passer son hiver et qu'il a encoredes ressources. Dès lors, il y a tout lieu de penser qu'un homme aussiavisé saura bien faire ses affaires et que pendant tout le surplus del'année, l'argent ne lui manquera pas.

Ce sera le résultat du travail, de la bonne conduite et de l'économie, mais le coucou n'y sera pour rien.


LA LÉGENDE DE SAINTE-ADRESSE

Sainte-Adresse serait une sainte imaginaire si nous en croyons la légende suivante :

« Un jour que la mer était en grande fureur, un vaisseau vint à dériververs la côte de Saint-Denis, chef de Caux. L'équipage, le pilote, àgenoux, implorèrent la protection de Saint Denis lorsque le capitaine,s'emparant du gouvernail, s'écria : « A la manoeuvre ! Si quelque chosepeut nous sauver maintenant, c'est l'assistance de Sainte-Adresse,sans quoi nous sommes infailliblement perdus. » depuis ce temps SaintDenis fut dépossédé de son protectorat ; Sainte Adresse devint lapatronne de l'ancien village que Le Havre a englobé aujourd'hui. »

Cette légende indique tout au moins le goût assez prononcé des normandspour les saints imaginaires ; en voici quelques-uns inventés par lafantaisie de nos pères : Saint Foutin ; Saint Planplan qui se contentede rian ; Saint Lâche quiboit et mange tout en laissant le reste aux pauvres ; Saint Va et SaintVient, Saint Attire-à-Li, invoqués pour les promptes solutions.


LA DEMOISELLE DE TONNEVILLE
Légende populaire

Il y a quelque cent ans vivait noble demoiselle de Tonneville, et lesouvenir de la dure et méchante femme survit au temps. Malheur aupaysan qui n'apportait pas sa dîme au jour fixe. Son argent suait lasueur du paysan, mais il n'en glissait que mieux entre ses doigts. Elleavait refusé les partis les plus riches de la Basse-Normandie etn'avait pas même honoré d'une réponse les braves officiers du roi, engarnison à Cherbourg. Son plaisir était d'errer dans la lande deTonneville qui faisait à son manoir une ceinture de stérilité et demalédiction : « Que Dieu me laisse ma lande et qu'il garde son paradis! » Par une belle soirée d'automne, elle entendit des chants au loin,c'était le 19 octobre, et c'étaient les pèlerins qui se rendaient àBéville, au tombeau du bienheureux Thomas. Elle les regarda passer sansoffrir l'hospitalité aux vieillards : « Que leur bienheureux lessoutienne ; voilà une belle occasion pour faire des miracles ! » Etpourtant lorsqu'ils eurent disparu, elle demeura rêveuse : « Ces genssont heureux, dit-elle, parce qu'ils croient et moi je ne crois pas.Bienheureux Thomas, si tu descends sur la terre et que tum'apparaisses, chassant devant toi mes chevaux que seule je puisapprocher, je croirai en toi ». A peine avait-elle achevé qu'elle vits'avancer d'un pas tranquille ses cavales indomptées, et un homme qui,au lieu de fouet, portait un lys dans sa main. C'était Thomas Hélye. IIrevenait sur la terre pour essayer de sauver les âmes, lui qui, commenous l'apprend un chroniqueur, son contemporain, c'est-à-dire du XIIIesiècle :

Ardent d'amour, de charitez
Des pêcheurs si grand pitez
Avait que tant iert gardant
Ses ouailles.....,
Ou de péchiés ou de folie.


D'abord interdite, elle s'écria : « Quel sortilège te vaut l'honneur det'être rendu à mon appel. » Elle dit et le saint disparut. Alors ellecria : Holà ! quelqu'un pour conduire mes chevaux. » Un digne serviteurd'une telle maîtresse répondit : « Thomas n'avait qu'une fleur de lys :je prendrai une branche de genêt et nous verrons, si pour conduire deschevaux, je ne vaux pas un saint. » Il partit et ne revint pas.

La noble demoiselle mourut très vieille. Quand on tinta son trépas il yeut dans tout le pays comme une muette action de grâces. Les porteursenlevèrent la bière, mais arrivés à la grande porte, le cercueil setrouva si lourd qu'ils furent obligés de le déposer. On y attela tousles chevaux du village, ils tombèrent épuisés. Alors on enleva lapierre du seuil et on y creusa la fosse. Ainsi celle qui fut siorgueilleuse est maintenant foulée aux pieds de tout venant.