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TURENNE, Colonel-comte Pierre Josephde (17..-18..) : Résumé de laquestions des haras et des remontes,suivi de quelques expériences et d'un nouveau système d'éducation deschevaux.- Paris : J. Dumaine, 1844.- VII-107 p. ; 22,5 cm. Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique delaMédiathèque André Malraux de Lisieux (11.IV.2016) [Ces textes n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contiennent immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : br726) RESUMÉ DE LA QUESTION DES HARAS ET DES REMONTES, SUIVI De quelques Expériences et d'un nouveau Système D'ÉDUCATION DES CHEVAUX. PAR LE COMTE JOSEPH DE TURENNE, Ancien Officier supérieur d'état-major. ____________________________ PREMIÈRE PARTIE. La Question des Haras est unequestion politique et militaire. La question des haras, question de la plus haute portée sous lesrapports politique et économique, a été longtemps peu goûtée et malcomprise. Ceci ne doit pas nous surprendre ; les hommes qui ont le goûtdu cheval ne réfléchissent pas toujours; les hommes d'étude et deréflexion sont plus rarement encore possédés par la passion des chevauxIl fallait qu'un événement considérable, inquiétant, vînt dissiperl'épais nuage d'indifférence qui l'enveloppait, pour que la questiondes haras apparût aux yeux avec toute sa gravité. Cet enseignement nenous a pas manqué. A la suite du traité du 15 juillet 1840, quelquesnuages s'élevèrent sur l'horizon politique, et le public européen putcroire un moment à la possibilité d'une guerre, qui était, certes, bienloin de la pensée des gouvernements. Les discours officiels, lesarticles de journaux, respiraient une ardeur toute belliqueuse. LaFrance s'émut. Or, comme le sentiment national peut aller, chez nous,beaucoup plus loin que ne l'entendaient ceux qui l'avaient réveillé, onvit tout à coup le remarquable spectacle de l'Europe, armant, pourquelques phrases de journaux, 900,000 hommes et 35 vaisseaux de ligne,elle qui, en face de notre gouvernement et malgré lui, avait disposé del'Orient, sans daigner remuer le petit doigt. Qu'on nous pardonne cetteréflexion, compensation stérile et pourtant consolante de noshumiliations. Or, le premier effet d'une apparence de guerre, même très vague et trèséloignée, fut de faire refuser la sortie des chevaux pour la France partoutes les puissances européennes. Ainsi il devint manifeste à tous lesyeux, que la France, qui ne possède plus les ressources nécessaires àses remontes, même en temps de paix, ne trouverait pas un cheval àacheter en Europe, le jour où des menaces sérieuses de guerreexigeraient 100,000 chevaux pour la mise en ligne de sa cavalerie, deson artillerie et de ses trains. Situation effrayante ; car lacavalerie est devenue l'arme indispensable et le pivôt du système deguerre moderne. Ce triste résultat avait été prévu, et lesavertissements n'avaient pas manqué. Nous-même, dans un premiermémoire, adressé au ministre de la guerre en 1823, et dans un secondécrit, lu en 1831 à la Société, pour la défense des intérêts matériels,présidée par M. le duc de Montmorency, nous avions signalé le dangerdans la forme même qu'il a prise en se manifestant. Nous disions dansce second mémoire : « Une double révolution, commencée il y a moins de deux siècles, s'estachevée, de nos jours, simultanément dans les mœurs et dans l'art de laguerre. Avant Louis XIV, les armées étaient peu nombreuses ; lacavalerie s'y trouvait en proportion très faible ; l'artilleriecomptait à peine. D'un autre côté, le cheval de selle, servant à tousles usages, faute de routes, était très commun. Ainsi, lesremontes les plus minimes étaient assises sur les bases les plus larges. « Sous Louis XIV, une double cause de perturbation affecta l'équilibremaintenu jusque-là entre la production et les besoins. L'ouverture d'ungrand nombre de routes, en procurant des facilités inconnues pour lestransports, occasionna la diminution des chevaux de selle ; et lesopérations militaires reçurent une grande extension. Les arméesdevinrent plus nombreuses ; et le rapport de la cavalerie aux autresarmes fut lui-même beaucoup augmenté. Quelques embarras semanifestèrent dans le service des remontes ; aussi, Louis XIVs'occupa-t-il des haras avec sollicitude, et plusieurs de nosprovinces doivent à sa prévoyance les races qu'elles possèdent encore. « Depuis ce prince jusqu'à nos jours, les progrès de cette perturbationont été constants. D'une part, l'ouverture de nouvelles routes et denouveaux canaux et le remplacement presque général des chevaux de sellepar des chevaux de trait affectaient gravement la production. D'uneautre part, la cavalerie prenait, sous la main du grand Frédéric, unetelle supériorité, que la proportion de cette arme n'a plus cessé decroître dans les armées. Toutefois, l'administration, par de sagesrèglements, et les particuliers, par un reste d'habitude et de goûtpour les chevaux, maintinrent, non sans peine, la production au niveaudes besoins. Il ne faut pas perdre de vue que, jusqu'à la premièrerévolution, la France trouvaittoujours, en temps de guerre, des ressources assurées dans les petitsétats d'Allemagne, placés sous son patronage et unis à sa fortunepolitique ; ressources qui, maintenant que ces mêmes Etats, convertisen royaumes et jetés dans une autre alliance, entretiennent des arméesnombreuses, SE TOURNERAIENT CONTRE NOUS si la guerre éclatait. « Mais c'est surtout depuis la révolution que tous les rapports ont étérompus et intervertis. En même temps que la suppression des haras et ladispersion des éléments qu'ils renfermaient, prononcée en 1790,portaient à la production un coup dont elle ne s'est jamais relevée, etque les efforts de l'industrie restreignaient incessamment l'emploi deschevaux, la consommation dépassait toutes les bornes connues. Sans nousarrêter à la peinture du désordre et du gaspillage des tempsrévolutionnaires, qu'il nous soit permis de jeter un coup d'œil rapidesur le système de guerre né de la sanglante lutte de la France contrel'Europe, système dont la réformation n'est plus au pouvoir des hommes. « Au lieu de ces théâtres d'opérations, resserrés pour ainsi dire à laportée de la vue, où deux armées de 8 à 10,000 combattants sechoquaient, il y a deux siècles, pour se séparer ensuite et perdre leurtemps en escarmouches, en surprises de villes, en sièges de petitesplaces et de châteaux, la guerre embrasse, de nos jours, des provincesentières et des frontières étendues. Des armées de 150 à 200,000hommes, couvrant cinquante lieues de pays, ne se meuvent pas, nesubsistent pas comme de simples divisions. Les opérations exigent despréparatifs immenses, des mouvements compliqués et un accord qu'il estimpossible d'obtenir sans une parfaite sécurité dans lescommunications. Un impénétrable rideau de cavalerie doit couvrir lefront d'une armée et dérober ses manœuvres à l'ennemi. Il faut que descorps volants éclairent les flancs et les derrières de sa ligne,couvrent sa marche, protègent ses convois, permettent de jeter un poidsdécisif sur les points capitaux d'une opération, de compléter un succèsou de couvrir une retraite. Ces nécessités de la guerre ont donné tantd'importance à la cavalerie, que, malgré la cherté de cette arme etl'épuisement financier des puissances belligérantes, on les a vues, àl'ouverture de chaque campagne, faire à l'envi des effortsextraordinaires, pour se présenter en ligne avec une cavaleriesupérieure , et porter successivement, jusqu'au quart de l'effectiftotal des armées, une arme qui, sous Louis XIV, n'y entrait que pour un dixième. « De son côté, l'artillerie a suivi une progression plus rapide encore.Nous sommes loin des temps où une armée se croyait invincible avectrois ou quatre petits canons qu'elle traînait à la guerre ! On seprésente maintenant avec trois ou quatre cents bouches à feu, dontl'approvisionnement, joint à celui de l'infanterie, exige un attirailimmense de caissons et de chevaux. Résumons le parallèle dans ses points extrêmes. Avant Louis XIV, desarmées où l'on comptait 2 ou 3,000 hommes de cavalerie avec quelquescanons et un état social dans lequel le cheval de selle était d'unusage général ; et, en 1812, 1200 bouches à feu et 160,000 chevauxentrés en Russie (1), sous un ordre de choses où le cheval de selle,faisant en quelque sorte exception, a été remplacé dans tous les usagespar le cheval de trait et les machines. « Peut-être opposera-t-on la bataille de Lutzen, gagnée sans cavalerie.Eh bien ! à Lutzen, faute de cavalerie, on n'a pas profité de lavictoire. Il a fallu livrer dix autres sanglants combats ; et, endéfinitive, la campagne de 1813 s'est terminée pour nous à Leipzig,comme doit le faire toute guerre entreprise sans l'appui d'une bonne etsuffisante cavalerie. « M'objectera-t-on que le sol de la France, défendu par savaleureuse population et ses deux millions de gardes nationales, estinexpugnable ? Je répondrai que la France, non moins brave et plusheureuse que la Pologne, à force de sanglants sacrifices, pourrapeut-être conserver son indépendance. Mais qu'on veuille bien calculerce qu'il en coûterait à soutenir ainsi la guerre, sans les élémentsindispensables d'une bonne guerre ! les pillages, les incendies, lesdévastations, la cessation de tous les travaux, l'ébranlement de toutesles industries ; et qu'on dise si, sur un budget de treize centsmillions, il n'est pas possible d'obtenir une économie d'un ou deuxmillions, avec plus de convenance et moins de danger, que sur lesservices destinés à conjurer tant de désastres (2). » Nous avons fait cette citation, pour faire comprendre que ce qui nousest arrivé en 1840 n'a rien présenté d'anormal et qui ne pût êtreparfaitement prévu ; et comme on ne voit dans la marche del'administration des haras aucun acte qui ait directement tendu àconjurer le danger, on peut déjà conclure que, faute d'une directionintelligente et ayant de la portée politique, elle s'est rétrécie dansles proportions mesquines d'une petite administration spéciale. Quoi qu'il en soit, les événements de 1840 ne pouvaient pas s'accomplirsans exciter vivement les préoccupations des bons esprits, déjàéveillés par la situation équivoque de la France sous le rapportmilitaire. Une publication de M. le lieutenant général marquis Oudinot(3), appela la discussion sur cet important sujet. Le nom, les servicespersonnels de l'auteur, sa capacité, sa spécialité incontestée en toutce qui touche à la cavalerie, la clarté et la gravité du livre nepouvaient manquer d'exciter une vive impression, et l'opinion publiquefut enfin saisie. L'idée-mère de l'habile général, idée qui nous atoujours dominé nous-même, est que l'administrationqui consomme, peut seule agir d'une manière efficace sur la production; que le département qui est le plus grand et à peu près le seulconsommateur de chevaux, le seul intéressé à ce qu'ils soient bons,doit surveiller leur confection ; qu'ainsi, l'administration des harasne saurait remplir sa haute mission, qu'en passant sous la directionsuprême et sous l'inspiration du ministre de la guerre. Quoi qu'on ait pu dire, cette idée est toute logique. Elle a dû seprésenter d'elle-même, lors de la réorganisation des haras en 1806. Laguerre et ses préoccupations, les grands travaux des deux ministères dece département, l'agitation fébrile dans laquelle ils existaient, ontpu seuls faire transporter au ministère de l'intérieur, pour le momentde la création, un service qui opérait par des moyens civils, mais dansun but tout militaire. La composition du personnel le témoigne assez ;car, non-seulement, il fut composé dès le principe, d'officiers decavalerie et d'anciens écuyers du roi, mais Napoléon ordonna, par unedisposition expresse du décret de réorganisation, que lesfonctionnaires des haras fussent choisis de préférence parmi les militaires retirés qui, ayantservi dans les troupes à cheval, se trouveraient avoir lesconnaissances requises.On peut donc supposer sans hardiesse que, s'il lui eut été donné devoir poindre, avec la paix, le jour des régularisations et desperfectionnements, le service des haras aurait reçu une organisation ouau moins une direction militaire, comme les hôpitaux, les vivres, lesmanufactures d'armes et d'autres services, qui n'ont de militaire quele but. Nous ajouterons que le premier personnel des haras aurait vu cerevirement sans ombrage et même avec satisfaction. Ce n'est que depuisla paix, qui, en développant le système parlementaire, a donné uneprépondérance décisive aux bureaux, que le personnel des haras, devenutout civil, s'est révolté contre l'idée de recevoir une impulsionmilitaire. L'infirmité de cette administration vient de ce qu'elle est composéed'un petit nombre de personnes placées en dehors du mouvement desaffaires de leur temps. C'est, au milieu de l'océan orageux etbouleversé de la politique, une petite île fertile et heureuse, où unefamille patriarchale passe tranquillement des jours sereins, sans rienredouter des tempêtes qui l'environnent. Les haras bornent leurambition à cette situation modeste mais confortable. Il la considèrentcomme un droit prescrit entre leurs mains par une longue possession,comme une sorte de légitimité ; et ils frissonnent à l'idée d'admettredes étrangers au partage.Mais l'amour de cette petite patrie adoptive les égare ; car il estévident qu'il ne s'agit ici que de la direction supérieure, del'impulsion motrice et non des positions individuelles. Nous voulons,nous, que les hommes capables de cette administration atteignent deplus hautes destinées, et que le pays en obtienne de plus importantsservices. Nous demandons pour eux ce souffle vital, qu'ils ne sauraientpuiser dans un ministère auquel il manque l'intelligence de leur but etun intérêt à leur succès : et d'ailleurs nous ne voulons tuer nidéplacer personne. C'est donc sans à-propos et peut-être aussi sansprudence, que le chef de cette administration, répondant à M. legénéral Oudinot, a laissé échapper cette phrase significative : «Lorsqu'on dit franchement, dans un langage plus élégant et plus poli,mais non moins clair : Ote-toi de làque je m'y mette,on exclut tout soupçon d'arrière-pensée. » Indépendamment de ce que sonlivre dit expressément le contraire (4), la haute position sociale etle caractère élevé de cet officier général auraient dû préserverl'écrivain d'une phrase inconcevable par sa haute inconvenance, et quicache maladroitement des préoccupations peu généreuses et toutespersonnelles. Comme on devait s'y attendre, la question des haras une fois mise àl'ordre du jour, les brochures n'ont pas manqué. Nous avons lu laplupart de ces publications et nous essayons aujourd'hui d'en donnerl'analyse et d'en faire un résumé qui puisse servir d'élément aujugement à porter. Parmi les ouvrages écrits dans le sens d'uneintervention du ministre de la guerre, celui de M. le marquis Oudinotest le seul que nous examinerons, parce qu'à l'honneur d'avoir soulevéla question, il réunit le mérite de l'avoir circonscrite dans seslimites logiques et appliquables, Aussi est-ce celui qui a soulevé laplus vive opposition. Parmi les publications de l'opinion adverse, nousanalyserons 1° le rapport fait au conseil général d'agriculture par sacommission des haras ; 2° une brochure de M. le marquis de Torcy, ayantpour titre : Des remontes de l'arméeet de leurs rapports avec l'agriculture ; 3° un écrit intitulé: Les haras et les remontes, laguerre et les brochures,par M. Adolphe Dittmer ; 4° enfin une dernière brochure publiée par M.le marquis de Torcy, au nom du Comice hippique, sous ce titre : Au Pays et aux Chambres, le Comice hippique.Nous devons faire observer, au sujet de ces quatre publications, quiglorifient le statu quopar des assertions, des raisonnements et des calculs absolumentidentiques, qu'elles émanent évidemment de la même pensée, et que letravail de M. Adolphe Dittmer, quoique le troisième en date, doit êtreconsidéré comme le type des trois autres. On sait en effet que, soitembarras pour formuler l'avis qui lui était demandé , soit déférencepour M. le chef de la division de l'agriculture et des haras auministère du commerce, qui n'est pas étranger à la composition duconseil général d'agriculture, la commission a appelé M. Dittmer dansson sein : et la parfaite concordance qui règne entre la brochure et lerapport ne permet pas de méconnaître sa part dans la rédaction decelui-ci. La première brochure de M. de Torcy n'est qu'une paraphrasespirituelle du même document. Enfin, nous voyons l'administration desharas représentée dans le comice hippique par deux de ses inspecteursgénéraux au moins. Aussi y a-t-il un accord si parfait entre ce dernierécrit et les autres, qu'ils semblent tous sortis de la même main, pourse servir mutuellement d'autorité et se prêter secours. Ainsi, pour nepas nous répéter quatre fois, nous les réunirons tous dans uneréfutation qui leur sera commune. Mais avant d'entrer dans cette discussion, nous jetterons un coup d'œilrapide sur l'histoire de la production chevaline en France, afin defixer le point de départ de l'administration actuelle, et de mieuxapprécier l'influence qu'elle a exercée sur cette production. Nousterminerons par l'exposé, devenu par la plus facile, de nos propresidées sur cet important sujet. Coup-d’Œilhistorique. La France possédait, avant 1790, les races de chevaux les plusestimées. Il est douteux que ces races aient coûté à beaucoup prèsautant de peine à créer, qu'on s'en est donné en vain, depuis quelquesannées, pour arrêter leur complète décadence. Sans remonter à la nuitdes temps et à l'époque des races primitives, venues d'orient commetoutes les races de chevaux, sans nous arrêter aux chevaux numidesamenés dans les Gaules par les Romains, nous dirons que des chevauxarabes, ramenés d'Asie par les chevaliers croisés, furent la souche desbelles races de Limousin et d'Auvergne ; et que la reconnaissance despeuples a conservé le nom d'un sire de Royère, l'un des premiersimportateurs. De ces races est sortie celle du Morvant. Nos chevaux desPyrénées et du midi doivent leur origine à la race que les Mauresavaient transplantée en Espagne. Notre race normande qui, transplantéeen Angleterre par Guillaume le conquérant, y a acquis tant de méritepar son mélange avec le sang arabe, est issue du Danemark. La Bretagne,les Ardennes possédaient de toute antiquité des races indigènes. Toutesces races s'étaient en quelque sorte perfectionnées d'elles-mêmes, sousl'influence heureuse d'un climat varié, qui assurait à la France toutesles espèces de chevaux réclamées par les divers services. Pour juger detoute la puissance de notre climat sur la production des chevaux, ilsuffit d'un fait assez rapproché de notre temps. Ce fut Louis XIV, quientreprit de fonder une race dans le Gers. Il établit un haras auchâteau de Rieufort, et y plaça 6 étalons danois, 25 normands, 4 ou 5navarrins ou espagnols. Tous ces chevaux réussirent à l'exception desespagnols ; et malgré la diversité de sang, il en sortit une race dechevaux de guerre excellente et parfaitement uniforme. On ne saurait trop répéter que, sous le rapport de la souplesse, de lalégèreté, de l'énergie et de la liberté des allures, du fond et de ladureté au travail, comme sous celui de la ligure et de l'élégance , nosraces françaises ont possédé et conservé jusqu'à la révolution uneréputation européenne de supériorité. On se disputait nos chevauxfrançais. Nous avons nous-même retrouvé des généraux du grand Frédéric,dans toute la ferveur de leur admiration pour des chevaux limousins,qu'ils avaient eus de prise, pendant la guerre de sept ans ; etlorsqu'après la campagne de 1792, on licencia les escadrons deBerchiny, qui avaient émigré| avec leurs officiers, leurs chevauxlimousins furent vendus 1200 fr. pièce, prix énorme dans ce temps là,surtout pour des chevaux de troupe. C'est vainement qu'on voudraitconclure de quelques passages de Bohan, de Melfort, de Bourgelat, quenos races étaient dégénérées. On ne peut pas plus conclure de quelquesplaintes, dictées par des vues de perfection impatientes de seréaliser, que nos races fussent en grande souffrance, qu'il ne faudraitconclure des sermons de Bourdaloue que la foi, la probité, les mœursfussent, de son temps, aussi affaiblies que de nos jours. Que Messieursdes Haras le sachent donc bien, cette réputation de supériorité de noschevaux, demeurée intacte dans l'esprit des hommes de guerre, est néedes qualités qu'ils avaient autrefois et de ce qui en a surnagé malgréleurs fautes. Et plût au Ciel qu'ils n'eussent pas tenté de les améliorer. Pour résumer cette première période de l'histoire de nos haras, nousdirons que 3,300 étalons royaux, provinciaux ou approuvés étaientconsacrés, avant 1790, à la production chevaline ; et que cesressources importantes, bien qu'inférieures encore à l'ensemble desbesoins, mais employées avec sagacité, suffisaient à tous les servicesd'une cour brillante, du luxe et de l'armée ; car, excepté dans des casextraordinaires et fort rares, la France n'achetait pas les chevauxétrangers qui ne valaient pas les siens. Les haras coûtaient alors800,000 fr. à l'Etat. La suppression des haras en 1790 et les réquisitions de 1793 et 1794,dispersèrent toutes ces richesses. A peine quelques débriséchappèrent-ils au naufrage. Les éleveurs qui avaient pu en conserverquelques-uns ne cessèrent pas, néanmoins, de les mettre en œuvre ; etles races s'étaient déjà un peu rétablies, quand la création del'empire en 1804, événement qui présageait celle d'une cour, ranimaleur courage. C'est avec ces restes de nos anciennes ressources, que legouvernement essaya, en 1806, de rétablir les haras, et, par eux, notreproduction chevaline. Deux conditions étaient à remplir pour atteindre ce but. Il fallaitrendre féconds les éléments qui surnageaient encore, en y mêlantincessamment un sang pur, au moyen d'étalons choisis avec soin etdiscernement. Il fallait, en second lieu, créer un systèmed'encouragement tel, que les propriétaires y trouvassent un justesalaire, par la vente de leurs produits. On satisfit à la première de ces conditions, par la création de dépôtsd'étalons, qui mirent à la portée des plus pauvres cultivateurs, desressources que de plus riches réussissent rarement à se procurer. Leschevaux de sang propres à la reproduction furent recherchés avec leplus grand soin. Ceux surtout que l'expédition d'Egypte avait ramenésen France furent requis, sans égards pour les droits de leurspossesseurs et la répugnance qu'ils montrèrent partout à s'en séparer.Quant aux juments, on partit de ce principe posé par tous les auteurs,qu'on ne saurait opérer avec fruit sur les juments étrangères ; que lesmères nées dans le pays sont seules en rapport organique avec lescirconstances de lieux et de climats ; que la part de la mère dans laproduction est trop prépondérante, pour que cette condition ne soit pasindispensable à une heureuse gestation ; enfin, que la puissance deproduction de l'étalon est à celle de la jugement comme trente est à un. On satisfit à la seconde condition : 1° Par la distribution de primes d'encouragement ; 2° Par l'achat, à un prix avantageux, pour les établissements publics,des plus beaux sujets présentés chaque année aux concours. 3° Par les courses de chevaux. Quelque rares et imparfaits que fussent les éléments, les progrès de larégénération furent rapides et les succès incontestables. Lorsqu'en1813, les désastres inouïs de la campagne de Russie obligèrent àrecourir à ces réquisitions funestes, qui avaient déjà anéanti nosraces vingt ans auparavant, la France put fournir 40,000 chevaux detoutes les armes ; et l'on est étonné que, l'année suivante, elle aitpu fournir encore 24,000 chevaux, dont les revers de Leipsick rendirentla levée nécessaire (5). Les faits néanmoins sont notoires. Dans unepériode de huit ans d'une guerre meurtrière, la France, obligéed'alimenter une consommation extraordinaire de chevaux, a vu néanmoinsses races chevalines se relever, au point que les chevaux de luxe etles chevaux d'officiers étaient communs et d'un prix inférieur des deuxtiers à ce qu'ils sont aujourd'hui. Ces résultats, obtenus avant qu'onfût entré en jouissance de la troisième génération issue des étalonsroyaux, prouvent, ce nous semble, en faveur du système simple etlogique adopté par le gouvernement (6). La paix de 1814, qui rouvrait toutes les autres sources de laprospérité publique, arrêta complètement cet essor de régénération. LesBourbons et les personnes rentrées avec eux avaient pris en Angleterrele goût des choses anglaises. La France était ouverte de nouveau à l'avide curiosité de nos voisins.Ils y vinrent en grand nombre et amenèrent avec eux des chevauxremarquables par leur figure et plus encore peut-être par l'art et lesoin infini avec lesquels ils étaient tenus. Nos jeunes élégants s'ylaissèrent prendre et attribuèrent souvent au cheval ce qui appartenaitau talent du groom. Le goût des chevaux anglais prévalut. Des sommes de4, 6 et 10,000 fr. devinrent fréquemment le prix d'un cheval anglais ;et l'on peut être assuré, qu'à partir de ce jour, toute somme de 2,000fr. et au-dessus, consacrée à l'achat d'un cheval, fut portée enAngleterre, au grand détriment de notre agriculture. De leur côté, lesmarchands en renom ne tardèrent pas à reconnaître, qu'eux seuls pouvantfaire le commerce des chevaux étrangers, ils avaient intérêt dedéprécier et détruire les races de chevaux français, dont la ventepouvait toujours se faire sans leur coûteux intermédiaire. Nos chevauxcessèrent d'être demandés pour le luxe, pour la cour, pour les hautsfonctionnaires. La seule Normandie, à cause de ses croisements avec larace anglaise, vendit encore quelques sujets. Mais tout le bénéfice del'éducation passait aux mains des maquignons, qui, faisant la loi auxcultivateurs, en obtenaient à vil prix des élèves auxquels leurcharlatanisme savait donner, avec le nom d'anglais, une valeur tripleet quadruple du prix d'achat (7). Enfin, soit séduction, soitisolement, les officiers de l'armée eux-mêmes, obligés de se monterchez les marchands, ont fini par ne plus avoir que des chevauxétrangers ; de sorte, que tout débouché resta fermé à nos chevaux deprix. Les conséquences de ce nouvel état de choses furent aussi promptes quefunestes. Les éleveurs, une fois déshérités de la vente des chevaux deluxe, obligés de garder à leur charge leurs plus beaux produits, ou deles donner à vil prix, perdirent tous les bénéfices de leur industrieet furent jetés forcément dans des voies parcimonieuses, incompatiblesavec toute bonne production. Il ne leur resta plus que la vente ducheval de remonte. Mais on ne saurait faire des chevaux en vue de laremonte. Le produit, puisant son type dans les branches ascendantes,apporte nécessairement les imperfections d'une de ces branches. Il y adonc trois chances contre une, que le produit de deux animaux del'espèce mitoyenne où se prennent les remontes, reproduira les formescommunes et les imperfections de ses ascendants et restera au-dessousdu cheval de remonte. Il faut donc viser plus haut, pour faire lecheval de remonte. Il faut des juments d'une certaine distinction, desétalons de prix, un saut plus coûteux (puisque les haras le vendent),et des soins plus multipliés. Avec ces soins et ces dépenses, onobtiendra, sur dix élèves, un ou deux chevaux de prix, quatre ou cinqchevaux de remonte. Le reste périra de maladie ou d'accident, ou nevaut pas 200 francs. Si donc le cheval de luxe, n'ayant pas d'emploi,reste sur les bras de l'éleveur, ou si celui-ci est obligé de le donnerà vil prix, il est en perte sur tous ; il vend ses juments et sespouliches, pour les remplacer par de plus communes ; il vend sespoulains, en bas âge, aux Prussiens, aux Autrichiens, aux Piémontais,aux Espagnols, qui nous enlèvent ainsi les dernières espérances de nosraces ; il élève des mulets ou des bœufs. Et la race, mutilée dans sespoints extrêmes, est poussée rapidement vers son entière décadence. Ceux qui prétendent qu'on peut faire des chevaux pour la remonte, selaissent égarer par ce qui se passe pour les autres races d'animaux.Avec un taureau et une vache avec un bélier et une brebis, quels qu'ilssoient, on fait un bœuf ou un mouton. Ces animaux peuvent être plus oumoins parfaits de formes ; on n'en fait pas moins de la viande et de lalaine, et leur destination est remplie. Il n'en est pas de même ducheval ; on ne le mange pas ; on ne le tond pas. Tout son mériteconsiste dans sa force, sa légèreté, sa souplesse, dans l'énergie et laliberté de ses allures, qualités qu'il doit à certaines conditions deconformation et d'origine, et sans lesquelles il n'a plus aucunevaleur. Cela est surtout vrai pour le cheval de selle. Car, un élèvecarossier, qui devient trop gros, peut faire un cheval de gros trait ;s'il est trop bas ou trop léger, un cheval de poste ou un cheval degrosse cavalerie ; s'il est trop lourd ou trop lent, ou même décousu,un cheval de labour. Mais, pour le cheval de guerre, il faut qu'ilremplisse rigoureusement les conditions du service auquel il estdestiné : et lorsqu'il est manqué, il ne lui reste plus d'autredébouché que la cariole du messager, ou la blatière du moulin. Il n'est personne ayant élevé des chevaux, qui ne sache très bien, s'ils'est rendu exactement compte de ses déboursés, qu'il n'est paspossible d'élever un cheval, quel qu'il soit, dans les conditionsactuelles de l'éducation, sans une dépense de 4 à 600 francs, selon leslocalités. Or, comme la moitié, au moins, restent au dessous de 200francs, le déficit éprouvé sur ceux-ci augmente démesurément la dépensede ceux-là. Le cheval de luxe, quand il réussit, rétablit seul labalance. Ainsi, il faut qu'il trouve toujours un prix proportionné àses qualités, 3, 4, 6000 francs, s'il les vaut. Assurez à vos éleveursces gros bénéfices, tous voudront y participer ; et ils vous feront enquantité des chevaux excellents. La vente, à bon prix, d'un cheval deluxe, fera faire vingt chevaux de remonte. En réfléchissant à ses succès antérieurs, l'administration des harasaurait reconnu que la cause était précisément celle que nous leurassignons. Car la guerre, malgré l'exagération de ses consommations, ouplutôt à cause de cette consommation, était plus favorable à nos racesque les temps qui l'ont suivie, parce qu'elle assurait le marchéintérieur à nos produits. Les chevaux du continent n'ont jamais étédangereux pour les nôtres, parce qu'ils n'obtiennent de faveur qu'enraison de leur mérite ; mais les chevaux anglais, ayant une vogue toutede mode et indépendante d'une appréciation raisonnée, devaient leurfaire une concurrence mortelle. Avant 1814, l'Empereur, ses frères, sesgénéraux, les grands dignitaires de l'Etat, les amateurs de toutes lesclasses, se montaient dans nos herbages. Les chevaux se vendaient àtout prix. Les bénéfices réels ou apparents de l'éducation excitaientune grande émulation. Les cultivateurs ne reculaient devant aucunsacrifice, dans l'espoir d'un gros lot à cette espèce de loterie. Lesjuments de race, les pouliches se gardaient soigneusement pour laproduction ; et ceux qui étaient assez heureux pour les posséder, neconsentaient à s'en défaire qu'avec une répugnance extrême. Nous avonssuivi, en 1810, les principales foires de l'Auvergne et du Limousin. ALimoges, à la Saint-Loup, les officiers des écuries de l'Empereurachetèrent cinq chevaux à 5000 francs pièce. Le roi de Westphalie, deuxchevaux pour ses haras, ensemble 12,000 francs ; deux poulains d'un anfurent achetés, pour Pompadour, au prix de 3,400 francs ; la mère d'uncélèbre étalon fut vendue, à l'âge de vingt-quatre ans, 500 fr. ; unepouliche de sept à huit mois, 960 francs. Indépendamment de ces ventes,qui nous ont frappés, il s'en fit un grand nombre d'autres à un prixmoindre. Tels étaient déjà les progrès de l’amélioration, que nousavons pu acheter pour 600 francs un cheval dont se ferait honneuraujourd'hui un officier général, et qu'on trouvait un grand nombre decharmants chevaux d'officiers de cavalerie légère au prix de 5 à 600francs. Peu après, dès l'année 1816, les choses étaient déjà bienchangées. Un très beau cheval, qui avait obtenu la première prime deschevaux entiers, et dont M. de Boisseuil (8) avait promis 2,400 francs,nous fut cédé pour 1,000 francs. M. de Boisseuil, faute de fonds,n'avait pu consommer le marché ; et le propriétaire, ne sachant qu'enfaire, l'avait fait castrer et nous le vendit. Ce charmant cheval, quenous vendîmes à regret au colonel des chasseurs de la garde, étaitd'une bonté et d'une vaillance à toute épreuve et fut longtemps un desplus beaux chevaux de la garde et de Paris ; et telle était sa grâce etsa coquetterie, qu'il faisait arrêter, sur les promenades, jusqu'auxfemmes et aux enfants. En 1823, ayant été désigné pour l'état-majorgénéral de l'armée d'Espagne, nous parcourûmes ces mêmes pays, depuisArgenton jusqu'à Aurillac, sur une étendue de cinquante àcinquante-cinq lieues, sans pouvoir y trouver un seul cheval de guerre.On nous offrit, à Uzerche, pour 400 francs, le cheval qui avait obtenu,cette année, la première prime deschevaux de 5 ans. Iln'avait que 4 pieds 3 pouces. L'administration des haras a-t-elle apprécié la gravité de cettenouvelle situation et les désastres qu'elle devait produire? On seraittenté d'en douter ; car nous ne connaissons d'elle aucun document, d'oùressorte la preuve qu'elle a tenté de la combattre. Peut-êtrel'a-t-elle fait dans ses communications intimes avec le ministre del'intérieur. Eh bien !nous lui poserons ce dilemne : « Si vous nel'avez pas fait, votre position était fausse, puisqu'elle ne vouspermettait a même pas l'intelligence d'un si grave péril ; si vousl'avez fait, et que vous l'ayez fait en vain, votre position était plusfausse encore, puisque vous ne trouviez pas cette intelligence dans lechef suprême, qui devait diriger et encourager votre zèle. Si vousaviez relevé du ministre, pour qui la question des chevaux est unequestion vitale, il vous aurait compris à votre première plainte ; ilaurait obtenu du roi et des princes dès le début, ce qu'ils accordèrentavec empressement, lorsqu'il était déjà trop tard, qu'ils se montassentdans nos herbages, qu'on ne les vît plus sur des chevaux anglais ; etqu'ils témoignassent le déplaisir qu'ils éprouveraient de n'être pasimités en une chose toute patriotique. Il aurait obtenu des chambresdes mesures restrictives contre l'invasion des chevaux étrangers, queson collègue de l'intérieur, occupé d'autres soins, n'a même pas songéà leur proposer. Il aurait au moins assuré à nos éleveurs la fournituredes chevaux d'officiers ; et il est peu probable que l'exemple du roi,des princes, de la cour et de l'armée, n'eussent pas suffi pourdétruire un engouement funeste dans l'esprit d'une jeunesse qui, aprèstout, n'est pas insensible aux intérêts nationaux. » L'administration des haras, au lieu d'entrer dans ces voies de lutte etde combat contre une mode désastreuse, sembla douter d'elle-même et semit à la suivre dans tous ses caprices. Elle abandonna ses étalonsarabes et français ; elle les remplaça par des étalons anglais choisissans discernement et avec parcimonie ; enfin, elle se fit l'adeptepassionnée de cette hérésie, également déplorable et ridicule, que leschevaux français manquent de sang ; et qu'il faut aller chercher lesang en Angleterre : car il fut un temps où, dans sa ferveur, elle nereconnaissait même plus l'arabe comme type améliorateur. Ici nous demandons la permission d'exposer notre opinion sur ce qu'ondoit entendre par le sang. Toutes les races de chevaux viennent de l'Orient : ceci estincontestable. Mais le cheval arabe, transporté dans des pays fortdifférents de son berceau primitif, s'y est modifié selon lescirconstances particulières de ces pays, et a formé des sous-races. Les sous-races ainsi modifiées, ont dégénéré depuis, ou ont atteint undegré de perfection plus ou moins marqué. Dans le premier cas, il estreconnu que le retour au sang primitif, après un certain laps de temps,peut seul arrêter la dégénérescence. Dans le deuxième cas, l'expériencea fait connaître que ce retour au sang primitif est toujours utile. Iln'est pas besoin de faire observer que certaines sous-races,appropriées à des usages particuliers et devenues des spécialités, nepourraient retourner vers le type primitif, sans perdre leurs qualitéspropres. Telles sont nos races de trait. En ce qui touche le cheval de selle, lorsqu'une race possède à un degrééminent la force, la rusticité, l'agilité, la souplesse, le courage,n'est-il pas évident que cette race est pleine de sang, puisque le sangpeut seul avoir produit ces qualités précieuses ? Or, ce sontprécisément ces qualités qui distinguaient et qui avaient placé si hautdans l'estime de l'Europe nos espèces françaises, celles surtout duLimousin, de la Navarre et de l'Auvergne. Ces espèces n'étaient doncpas dépourvues de sang ; elles en étaient pénétrées ; elles sel'étaient assimilé ; et cela est si vrai, qu'à l'époque où il y avaitencore des chevaux limousins, on avait reconnu que l'arabe de naissancefaisait toujours bien avec les juments limousines ; mais que le filsd'arabe faisait ordinairement plus beau que son père. On peut doncaffirmer que nous possédions là le sang arabe dans sa pureté, et sansautre altération que quelques modifications inévitables résultant duclimat. Le climat exerce en effet une grande influence sur ledéveloppement des êtres ; et on a observé , par exemple, qu'un poulainlimousin, transporté dans les pâturages de l'Auvergne, y prend plus decorps et fait un cheval auvergnat ; tandis qu'un poulain d'Auvergneamené en Limousin, s'y affine et devient un cheval limousin. Ce fut donc, selon nous, une pensée déplorable que celle de substituerau sang primitif de ces belles races le sang anglais, qui n'y pouvaitintroduire que de dangereuses altérations. Les éleveurs, qui nepouvaient plus vendre leurs produits, s'y laissèrent prendre, dansl'espoir que l'introduction des formes anglaises pourrait leur rendrequelque faveur. Mais les connaisseurs s'en affligèrent ; et nous avonsvu M. de Fargues, directeur du dépôt d'étalons d'Aurillac, désolé, à lavue d'un de ces étalons anglais qu'on lui avait envoyé, de l'obligationoù il allait se trouver de l'employer à la monte. Le motif qu'on allègue pour justifier cette préférence, est que cesétalons ont fait preuve de supériorité dans les courses. Nousprouverons, en parlant des courses, que cette prétendue preuve n'asouvent aucune solidité. Mais puisqu'il s'agissait d'épreuve, que nesoumettait-on ces étalons anglais, avant de nous les imposer, àl'épreuve que soutiennent journellement les chevaux de ces provincesmontueuses : je veux parler de la chasse au sanglier à travers lesforts, les halliers, les rochers et les précipices? Cette épreuve estplus significative que des courses de trois ou quatre minutes, ausuccès desquelles l'art des préparations contribue peut-être autant queles qualités intrinsèques des concurrents. Au reste, dans l'épreuvemême des courses, nos chevaux limousins, bien qu'ils ne fussent paspréparés avec le même art que les coureurs anglais, ne restaient pas enarrière de leur réputation ; et nous n'avons pas entendu citer unsecond exemple des deux tours du Champ-de-Mars, fournis une premièrefois en quatre minutes trente-cinq secondes par une jument appartenantà M. de Labachellerie, et une demi-heure après, en quatre minutesvingt-trois secondes ; non plus que d'une course, gagnée par une jumentpleine de cinq mois appartenant au même propriétaire, et que cet effortexcessif n'empêcha pas de mener à bien son poulain. On nous dit aujourd'hui (le Comice hipp., p. 45) : « Le pur sang arabeconviendra mieux dans quelques parties de la Bretagne, les Pyrénées,l'Auvergne et le Limousin. » Pourquoi donc, dirons-nous, l'avez-vousrejeté et remplacé par un sang anglais, que vous ne payez même pasassez pour l'avoir pur ? Deviez-vous entrer si légèrement dans unsystème dont le succès ne reposait sur aucune probabilité et quipouvait avoir pour résultat l'abâtardissement de ces belles races ? Mais ce n'était point assez sans doute de cette substitution adultèredes étalons anglais à nos types français et arabes, par une réorganisationdu 16 janvier 1825, le haras de Pompadour fut supprimé et remplacé parun nouveau haras créé à Rozières. Ainsi, non contente d'avoir préparél'abâtardissement de notre plus précieuse race, l'administration desharas en répudiait brutalement le type comme type reproducteur. Cen'est pas nous qui ferons un reproche à cette administration d'avoircréé un troisième haras, quoique ce ne fût ni le temps ni le lieu ;elle a si peu créé ! La Lorraine est couverte d'un nombre infini depetits chevaux tellement dénués de taille, de formes et de qualités,qu'on n'en attèle jamais moins de six sur une charrue. Toutefois, levoisinage de la belle race de Deux-Ponts, placée dans des localitésassez semblables, pouvait justifier l'espoir de créer dans ce pays unerace principalement propre aux remontes de l'armée. Cependant lacréation du haras de Rozières, dès le début de l'entreprise, était uncontre-sens ; car il ne pouvait opérer comme dépôt d'étalons, lesétalons de sang qu'exige un haras n'étant pas d'une applicationpossible à une race, qui n'avait presque du cheval que le nom, et quidemandait à être ébauchée et à prendre de la taille, une carcasse etdes formes dans des croisements judicieux avec des étalons de secondeespèce un peu étoffés. Ce ne pouvait être qu'après cette préparation,après que deux générations, en s'améliorant, auraient élevé cette raceà la dignité de cheval, quele haras de Rozières aurait trouvé àutiliser ses ressources. Comme haras, sa création fut encore plusdéplacée, puisque le pays n'offrait pas et ne pouvait pas offrir devingt ans un seul sujet digne d'être élevé pour la production. Aussi leharas de Rozières a-t-il si peu influé sur la race du pays, que lesnombreux régiments en garnison dans ces contrées, autorisés, à cause del'éloignement des dépôts de remonte, à faire des achats directs, n'onttrouvé, dans l'espace de cinq mois, que DEUX chevaux àacquérir (9). Il eut donc été préférable et cent fois plus utile derépandre dans ce pays des étalons d'Auvergne, du Morvan, des Ardennes,du Cotentin, de Deux-Ponts qui eussent préparé cette race à uneamélioration plus radicale. Mais lui avoir sacrifié le beau haras dePompadour ! Ce fut là, nous osons le dire, un acte de déraison avoué,puisqu'on l'a depuis rétabli (10), et qu'on ne justifia pas, dans letemps, en disant que Pompadour ne possédait plus rien qui méritâtd'être conservé, puisque cette déchéance était le fait del'administration. En consultant le seul document de cette administration qui nous soitconnu, notre étonnement s'accroît encore. Dans une apologie publiée en1828 (11), nous lisons en effet : « Les deux haras du Pin et deRozières avaient été destinés à créer le type d'une NOUVELLErace française, et à libérer la France du tribut qu'elle paieannuellement à l'étranger pour les étalons de tête de nosétablissements. « … L'administration n'ignorait pas qu'un heureux ou mauvais résultatdépendait de la marche qu'elle adopteterait, et profitant des fautes denos voisins, qui ont reconnu que leur race de pur sang commençait à dégénérer sous le rapport dela force des membres, elle avait conçu le projet DEFORMER UNE RACE PLUS FORTE,et par conséquent a plus utile au pays. » Pour bien comprendre cette dernière citation, il faut se rappeler qu'ilfut un moment où la mode vint tout à coup des chevaux à grosses jambes.On ne jurait que par les membres, on ne parlait que de forts membres.L'idéal du cheval de luxe était un cheval de carrosse qui devait fairetrembler la terre sous son poids. L'administration des haras, quis'était mise à la remorque de la mode, ne pouvait manquer d'adopter lesgros membres. De là ce projet un peu ambitieux de créer une nouvellerace plus utile au pays. Car, de deux choses l'une : ou, mettant àprofit les treize années qui lui avaient été données, elle avait faitprospérer les belles races confiées à ses soins, et alors à quoi boncette création d'une nouvelle race ; ou elle les avait laissé périr, etalors comment justifier cette prétention de créer chez qui n'avait passu conserver. Dans les autres détails de son service, l'administration des Haras n'apas montré plus de fixité et de suite. Ainsi les primes ont été, tantôtréduites, tantôt augmentées, puis enfin déplacées : car, destinées dansle principe à récompenser les plus beaux produits, elles ont fini parêtre transportées aux juments poulinières, afin de déterminer leséleveurs à les conserver à la production. Et quelles primes encore ! En1819, nous avons acheté une charmante jument qui avait obtenu, dans laCorrèze, la première prime des poulinières. Cette prime montait à Soixante francs.On peut bien penser que cette munificence n'empêcha pas le propriétairede vendre sa jument, aussitôt qu'il en trouva un billet de 1000 fr. Siles chevaux français se fussent vendus leur prix, cette jument,conservée à la monte, aurait donné dix chevaux de mille écus. Lesachats de poulains furent négligés, et le maximum de leur prix réduit à800 fr. Les courses elles-mêmes eurent leurs vicissitudes. Suppriméespeu après leur établissement, elles furent ensuite rétablies, puisdotées, d'année en année, de sommes plus considérables. Ces essais, ces tergiversations ne remédiaient pas au mal. Lesmécomptes de l'administration la déterminèrent en 1829, à appeler lessociétés d'agriculture en consultation. Elle leur soumit toutes lesparties du service et entre autres, la question de savoir s'il neconvenait pas de supprimer ses établissements et de vendre ses étalonsaux particuliers. C'était finir une vie misérable par un suicide. Laréponse n'était pas douteuse. De toutes parts on demanda sa suppression; et nous, qui avons combattu cette sentence, nous n'avons pas oubliécombien peu d'adhésion nous rencontrâmes. On voit par ce qui précède que l'administration des haras, qui reprocheassez mal à propos, comme nous le démontrerons au ministère de laguerre peu de fixité dans son système de remontes, n'était paselle-même très affermie sur ce qu'elle avait à faire. Dominée par des difficultés, qu'elle n'avait pas créées, il est vrai,mais qu'elle n'avait pas su conjurer, et cherchant le remède où iln'était pas, elle éleva pour lors des plaintes contre l'administrationde la guerre qu'elle accusa d'acheter ses remontes à l'étranger. Lereproche était doublement injuste ; car, en principe, comme nousl'avons vu , la remonte n'ayant qu'une médiocre influence surl'éducation, on ne pouvait pas imputer le trouble de la production àdes achats qui n'étaient eux-mêmes que la conséquence de ce trouble. Enfait, il n'était pas vrai que le Ministre eût jamais conclu de marchépour l'achat de chevaux étrangers. Ce fut même pour éviter lesinconvénients de ces achats, qu'à la demande d'un grand nombre dedéputés et de l'administration des haras elle-même, le ministreinstitua les dépôts de remonte. Dès 1818, deux de ces dépôts avaientété créés à Caen et à Clermont, pour recueillir les chevaux élevés dansles contrées environnantes. Mais les éleveurs, tombés en la dépendancedes maquignons pour la vente de leurs chevaux, n'osèrent pas y menerleurs remontes, dans la crainte de perdre le placement de leurs autresproduits. Les marchands conservèrent ainsi le monopole et continuèrentde faire entrer les chevaux étrangers dans leurs livraisons. Telleétait la domination de ces hommes et l'abus qu'ils en faisaient, qu'uncertain Mayenhobe livrait à Clermont une remonte de chevaux allemands qu'il avait fait arriver par Poitiers,tandis que les écuries du pays étaient pleines d'excellents chevauxqu'il laissait sur les bras des éleveurs ; et que le Ministre del'intérieur ne dédaigna pas d'écrire officiellement à celui de laguerre, pour lui signaler lesintrigues des sieurs Dajon et Aumont de Caen, qu'il accusait d'exercerune domination absolue sur les éleveurs, et d'avoir causé ladétérioration des races de Normandie. L'expérience avait trop bien prouvé l'impossibilité d'écarter leschevaux étrangers par les divers modes de remontes employés jusque-là,pour que le département de la guerre ne combattît pas les efforts de lamalveillance contre le seul système qui pût atteindre ce but. Dans cedessein, sept nouveaux dépôts de remonte furent créés en 1825, afind'étendre l'action du nouveau mode dans les divers lieux de production,avec ordre de n'acheter que des chevaux élevés dans le pays, de lesacheter des propriétaires mêmes, de repousser l'intervention descourtiers, enfin de n'admettre les juments que dans la proportion d'unhuitième. Il fallut bientôt se relâcher sur cette dernièreprescription, qui a été reconnue inexécutable. On augmenta en mêmetemps les prix de 50 fr. par tête de cheval, et néanmoins, dès 1826,plus de 1600 chevaux, sur les 3,694 fixés par le budget, restaient àfournir. Le déficit augmenta d'année en année, et la moitié des sommesdestinées aux achats demeura sans emploi, malgré les efforts et le zèleincontestable des chefs des dépôts. Les faits étaient pressants et sans réplique. L'administration desharas proposa alors au ministre de la guerre, comme moyen d'effectuerla remonte en France, de baisser la taille d'un pouce, et d'augmenterle prix d'achat de 100 fr. pour toutes les armes. Ainsi un cheval dehussard, devant porter, outre son cavalier, ses armes, son bagage, etsouvent deux rations de vivres et de fourrages, n'aurait plus eu quequatre pieds cinq pouces et demi, et aurait coûté à l'Etat 490 francs !(12) L'administration des haras va plus loin aujourd'hui, et elle pose d'unemanière absolue ce double principe, que le ministre de la guerre doit prendre l'engagement formelde faire toutes ses remontes en France, et qu'il doit les payer au prixdu commerce. Nous avons même lu dans son journal, que si un cheval detroupe vaut aujourd'hui 1,000 à 1100 fr., il faut faire la remonte à ceprix. Nous ne pouvons accepter ces nouvelles prétentions des harasqu'avec restriction, parce que nous voyons les choses de plus haut. Ledevoir du ministre de la guerre est bien de faire la remonte en France autant que possible,c'est-à-dire autant que, pour le prix alloué par le budget, il trouveraun nombre suffisant de chevaux. Or, par de bons chevaux, il fautentendre de bons chevauxconstitués de façon à pouvoir marcher et combattre. Nous voyons passersous nos fenêtres, plusieurs fois par jour, le 7e régiment de hussards,régiment de nouvelle formation, et organisé avec le plus grand soin ;et nous ne craignons pas d'affirmer qu'il s'y trouve un grand nombre dechevaux trop faibles pour soutenir le choc d'une charge, et un grandnombre d'autres, qui ne sont que des chevaux de labour manqués, tropdépourvus d'allures pour la fournir. Ainsi la tolérance, sur ce point,a atteint ses dernières limites. Nous espérons donc qu'on ne verrajamais de ministre de la guerre assez peu soucieux de ses devoirs, pouroublier que, dépositaire des forces du pays, sa mission est de luidonner par toutes les voies possibles, et avant toutes choses, unearmée qui, non-seulement sache mourir, mais qui puisse vaincre pour lui; qu'il doit aux enfants de la France, qui versent leur sang pour elle,les moyens de rendre ce sacrifice utile et glorieux ; et que ce seraitles vouer à une mort sans but et sans gloire, que de les présenter surun champ de bataille, montés sur des chevaux impossibles à manier, etavec lesquels ils ne pourraient ni aborder l'ennemi avec honneur, nil'éviter avec sécurité. En ce qui touche le prix de la remonte, il est hors de doute que ledépartement de la guerre doit subir les prix du commerce ; mais il nel'est pas moins que les prix du commerce, en toutes choses, sont, deleur nature, essentiellement variables, et se règlent sur l'abondanceou les qualités de la denrée. Or, nous demanderons comment il se faitque tous les autres produits de l'agriculture ayant baissé de prixdepuis trente ans, les bons chevaux seuls aient plus que doublé ? Ce n'est pas qu'on en fasse moins, puisque les statistiques prouventque leur nombre a augmenté dans une proportion sensiblement plus forteque la population. La cherté vient évidemment de ce qu'on en fait moinsde bons. Il naissait, il y a trente ans, 169,000 poulains annuellement; il en naît aujourd'hui 250,000 ; et cependant les 169,000 naissancesde 1812 suffisaient, en grande partie, aux exigences d'une guerremeurtrière et continuelle, tandis que les 250,000 naissances de 1842 nesuffisent pas à fournir les 8 ou 9,000 chevaux de notre pied de paix.Le reste se compose-t-il des chevaux réclamés par les divers usages etservices civils ? Oui, pour une petite portion, portion insuffisantecependant, puisqu'on en importe 20,000 par an. Remarquons en outre quele rapport du nombre des chevaux à la population générale, qui n'étaitautrefois que du treizième, est aujourd'hui du douzième ; rapportexcessif, vu l'état des mœurs et de l'industrie, qui, en multipliantles machines, a décuplé les forces, et rendu, en beaucoup de cas, leschevaux inutiles. Si donc, malgré le secours des véhicules et desmachines, cette énorme production ne suffit ni à l'armée ni aucommerce, et ne dispense pas le pays d'une importation annuelle de20,000 chevaux, n'est-il pas cent fois évident que nos produitsprésentent moins de forces utiles, moins de travail effectif, etconséquemment ont diminué en qualité. Messieurs des haras, du conseilgénéral d'agriculture, du comice hippique, du Jokey-Club, qui vivent àParis, où on ne voit que des chevaux d'une figure ou d'une puissance enquelque sorte exceptionnelles, croient sans doute que les choses sontpartout de même. Mais les hommes qui connaissent l'état de nosprovinces, qui ont vu et exploré nos campagnes, savent que, pour lesdeux tiers au moins, notre immense population chevaline est tombée audernier degré d'abâtardissement, et que le prix moyen de ces chétivesespèces ne dépasse pas 150 fr. Les chevaux sont chers, parce qu'il fauts'élever dans les classes supérieures pour obtenir les qualités qu'onrencontrait autrefois dans les classes intermédiaires : parce que notrerichesse est plus nominale que réelle; parce que les divers services netrouvent à s'alimenter que dans le tiers environ de la populationchevaline. Ceci posé, nous pensons que la mission de l'administration des harasétait d'étendre son action régénératrice sur ces espèces, chétives etmisérables aujourd'hui, mais qu'un système d'amélioration bien conçu,et surtout suivi avec persévérance, pourrait élever, en deux ou troisgénérations, au niveau de leur espèce. La pensée de son fondateur n'apu être différente. C'est pour cette œuvre de réhabilitation qu'elle aété instituée ; ou sa création n'eût eu rien de rationnel et d'utile.Comment donc les haras ont-ils pu voir avec indifférence, pendanttrente-huit ans, notre sol couvert de la lèpre ignoble et hideuse dedeux millions d'haridelles, sans rien tenter pour la guérir ? Ces 2millions de chevaux ne représentent pas un capital de 300 millions. Or,comme un bon cheval ne coûte pas plus à élever qu'un mauvais,n'était-ce pas une tâche capable de soutenir son zèle, que celle dedébourrer ces espèces informes, d'en faire de véritables chevaux, dequadrupler leurs forces, leur travail et leur valeur ? « Les haras, ditM. le marquis de Torcy, doivent agir dans un but d'amélioration, nondans un intérêt de production » N'était-ce donc pas se mettre d'accordavec ce principe, que de faire faire du bon, là où on ne fait que dumauvais ? Etait-il un plus beau problème à résoudre, un plus grandservice à rendre à l'agriculture, qui s'épuise en une production sansutilité et sans rémunération ; à l'armée à qui on eût préparéd'abondantes remontes ; au pays qui y eût trouvé des éléments derichesse et d'influence ? Eh bien ! cette pensée si nationale, non-seulement l'administration desharas ne l'a pas eue, mais elle s'est défendue, elle se défend encorede l'avoir. « L'administration, disait M. Sirieys de Mayrinhac (13), n'a jamais cessé de reconnaîtreque cette quantité d'étalons était trop restreinte pour les besoins del'industrie agricole, et ne suffisait point, dans l'intérêt de l'Etat,pour l'amélioration des races : aussi tous ses efforts ont-ils étédirigés vers son accroissement. Ici, cependant, il est utile de placerune observation essentielle, qui fera apprécier les principes qu'elleavait adoptés. Jamais elle n'aformé le gigantesque projet d'entretenir assez d'étalons pour fécondertoutes les juments destinées à la reproduction. Dans sonsystème, elle avait conçu qu'elle devait s'arrêter là où lesentreprises particulières pouvaientprospérer sans son aide.Elle savait que les propriétaires sont à même d'élever et d'entretenirdes étalons d'une valeur de 800 francs à 1,000 francs, mais elle étaitconvaincue qu'il est hors de la prudence qui doit diriger uncultivateur français de posséder à ses risques et périls un étalon d'unplus haut prix ; c'est d'après la connaissance de ces faits, qu'elleavait posé les bases de sa conduite. En bornant à 12 ou 1,300 le nombredes étalons, etc. » Est-ce là le dernier mot de l'administration desharas ? Elle n'ignore pas que, pour alimenter une production de 150,000naissances, ses devanciers entretenaient, avant 1790, 3,300 étalons. Cenombre n'excédait pas les besoins, puisqu'il ne dispensait pas, danscertaines circonstances, rares, il est vrai, de recourir à desimportations ; et elle fixe à 12 ou 1,300 le chiffre normal des étalons(14) réclamés par une production de 250,000 naissances qui, selon M.Ad. Dittmer, exigeraient 600,000 saillies (p. 11) ! Elle regrette(quant à leurs effets du moins) les conditions propices des tempsanciens, les grandes propriétés, les grandes existences sociales, desimmunités et des privilèges importants, une législation toutefavorable, qui, cependant, n'ont jamais porté les étalons approuvés audelà de 300 ; et quand sa propre expérience lui a appris qu'elle nepeut compter sur une coopération plus large, et que 300 ou 350 étalons,presque tous de trait, sont le dernier effort de l'industrie, elle sedécharge sur celle-ci de cette immense production, qui est cependant lapartie virtuelle et substantielle de son travail ! Le mal n'est pas nouveau, dit-on. On a dépensé 100 millions, sous LouisXIV, en achats de chevaux. Cela est vrai ; et nous ne nions pas que lasomme ne soit forte. Cependant, comptons : Le règne de Louis XIV durasoixante-quinze ans et fut une longue suite de guerres. Louis XIV, aveccette somme, fournit à toutes les nécessités de ces guerres ; et deplus, il fonda les haras et les laissa, après lui, dans un état deprospérité qui n'a jamais été surpassé.
Ainsi, sous le patronage de l'administration des haras, la France adépensé, pour son service hippique, en vingt-huit ans de paix,252,800,000 francs ; et de tout cela, il reste 900 étalons etl'obligation d'une importation annuelle de 20,000 chevaux. Concluons donc et disons : Oui, le ministère de la guerre doit payerles prix du commerce ; mais l'administration des haras avait reçu lamission d'amener la baisse de ces prix, en élargissant sans cesse ledomaine des remontes par l'amélioration qu'elle devait réaliser. S'ilen était autrement, si un cheval de remonte devait se payer aujourd'hui1,000 fr., demain 1,500 fr. ; si l'administration des haras s'avouaitdécidément impuissante à arrêter cette hausse progressive, il neresterait plus aucun motif, aucune sanction logique de son existence ;et la seule solution raisonnable du débat serait sa suppressionimmédiate, et l'affectation de son budget à l'accroissement des fondsdestinés à la remonte. Nous n'écrivons pas ceci par esprit d'hostilité contre l'administrationdes haras dont nous ne connaissons plus aucun membre ; par esprit departialité pour les fonctionnaires de la guerre à qui nous ne sommespas moins étranger ; dans des vues personnelles ; nous sommes arrivés àl'âge où les carrières se ferment, où les ambitions se taisent, et nousavons nous-même imposé silence à la nôtre et brisé notre avenir, quandon l'a fait dépendre du sacrifice de nos convictions et de nosaffections politiques. Nous ne sommes dirigés que par la raison desfaits à notre connaissance, par nos études, nos méditations, et uneappréciation consciencieuse des causes du malaise actuel et des dangersimmenses qu'il présente. C'est donc avec une conviction toujours plusvive et plus profonde, que nous répéterons ici à l'administration desharas : « Vos disgrâces viennent de la position fausse dans laquellevous êtes placés. Vous avez vécu dans une alternative d'anxiété et dedécouragement, tournant sans cesse dans un cercle rétréci d'essaishasardeux, comme un malade qui, tour à tour, s'agite et se sentdéfaillir. Vous eussiez évité vos mécomptes et nos misères, si au lieud'une direction dépourvue d'affection et de lumières et déléguée par unministre indifférent à un fonctionnaire subalterne, vous aviez reçul'inspiration et le mouvement du chef à qui l'Etat a remis la garde deson honneur et de son indépendance, qui ne peut se passer de votreconcours, a qui eut ressenti vos alarmes, souffert de vos malaises, eta qui, profondément intéressé à vos succès, n'eût jamais fait «attendre le remède. Vous n'eussiez pas été entraînés à des changementsdont vous n'avez même pas attendu les fruits, à des créations qui n'ontpu couvrir les débris semés sur votre route. Vous auriez conservéau pays toutes les richesses qu'il vous avait confiées ; vous lesauriez rendues fécondes ; et les progrès que vous avez faits pendantles huit premières années de votre carrière, font plus vivementregretter ceux que vous auriez pu faire pendant les trente ans qui lesont suivies. » NOTES : (1) La cavalerie seule présentait plus de 80,000 chevaux lors dupassage du Niémen. Les renforts arrivés postérieurement, l'artillerie,les parcs, les trains, les états-majors, et les équipages ont plus quedoublé ce nombre. (2) Ce mémoire fut écrit pour réfuter une opinion de M. Mathieu deDombasle, qui, se fondant sur le peu de saveur de nos chevaux de selle,n'avait pas hésité à conclure que lecheval de selle était le moins utile et celui dont la France pouvait lemieux se passer. Nous l'adressâmes au Cultivateur, qui ne voulut pasl'insérer, et l'envoya au Journaldes Harasdont nous ignorions l'existence. Quelques temps après, nous reçûmes àla campagne les épreuves de la première feuille, sans savoir d'où ellesvenaient. Le temps s'écoula dans cette ignorance ; et les circonstancesayant changé, nous renonçâmes à cette publication qui avait perdu deson opportunité. (3) Des Remontes de l'armée, de leurs Rapports avec l'administrationdes haras. (4) Voyez toute la page 75. (5) Les états officiels ne s'élèvent pas jusque là. Mais il fautobserver qu'ils ne font mention que des chevaux de troupe ; et que leschevaux des officiers et de divers services accessoires doivent êtrecomptés en sus. (6) Les haras d'aujourd'hui, qui font bon marché de leurs devanciers,nient ces succès de l'administration d'alors. Mais, peu importe, il estnotoire qu'un officier se montait parfaitement pour 6 ou 700 fr., etque les chevaux ne manquaient pas. Si les haras n'y étaient pour rien,cela se faisait sans eux. (7) Qu'on nous permette de citer à ce sujet une anecdote que noustenons de M. le général Wattiez Saint-Alphonse. Cet officier généralavait élevé chez lui un très joli cheval dont il fut longtemps àpouvoir se défaire. Enfin, il le vendit à un maquignon qui ne voulutjamais lui en donner plus de 600 fr. Quelques temps après, il retrouvason cheval entre les mains d'un officier de la garde, qui l'avait payé3,000 fr., et qui se croyait très certain de posséder un cheval anglaispur sang. (8) Directeur du haras de Pompadour. (9) Rapport de la commission des remontes. (10) Maintenant on se fait dire : « L'administration a fort sagementdéveloppé à Pompadour, l'élève d'étalons arabes de pur sang ». Rapportde la commission du conseil général d'agriculture. (11) Observations sur l'administration générale des haras, par M.Sirieys de Mayrinhac. (12) Des augmentations successives ont porté ce prix à 500 fr. pour lacavalerie légère, et à 750 fr. pour la cavalerie de réserve. Avant1830, les chevaux des gardes du corps se payaient 800 fr. (13) Observations sur l'administration générale des haras, page 11. (14) L'administration n'en a plus que 900 aujourd'hui, est-ce là encoreun progrès ? Les efforts des conseils généraux ont élevé le chiffre desétalons approuvés à 350, presque tous de gros trait. | ||||||||