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JOLIMONT, Théodore de (1787-18..) : Monologiedu mois d'Avril, poissons d'avril.- Moulins : imprimerie de P.ADesrosiers, 1843.- 27 p. ; 24,5 cm. - (Polyanthéaarchéologique ou curiosités, raretés, bizarrerieset singularités de l'histoire religieuse, civile, industrielle,artistique et littéraire, dans l'antiquité, lemoyen-âge et les temps modernes recueillies sur les monuments detout genre et de tout âge et publiées en différentsopuscules ; 2). Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la Médiathèque AndréMalraux de Lisieux (10.X.2004) Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire d'un collectionparticulière. POLYANTHÉAARCHÉOLOGIQUE, ou CURIOSITÉS, RARETÉS, BIZARRERIES ET SINGULARITÉS DE L'HISTOIRE RELIGIEUSE, CIVILE, INDUSTRIELLE, ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE. DANS L'ANTIQUITÉ, LE MOYEN-AGE ET LES TEMPS MODERNES, Recueillies sur les monuments de tout genre et de toutâge, ET PUBLIÉES EN DIFFÉRENTS OPUSCULES par T. de Jolimont Ex-ingénieur, membre desAcadémies de Caen, Dijon, etc. ; de la Société des antiquaires de Normandie, de celle d'émulation de Rouen, dela Société des gens de lettres de Paris, auteur de plusieurs ouvrages sur les moeurs et antiquités du Moyen-âge, etc. Monologiedu mois d’avril. Poissons d’avril. I. Il faut ici, comme certainssavants, grands explorateursd'étymologies nébuleuses, rechercher, d'abord, de quelidiome antique est dérivé le nom françaisdonné au mois que quelques poètes ont appelé leplus beau de l'année, sans doute, quand il n'en est pas le plustriste, le plus humide et le plus crotté (1); S'il faut, dans l'esprit de cette sentence classique etpasséeen proverbe, qui proclame heureux celui qui, en toutes choses, a puconnaître l’origine et les causes premières (felix quipotuit rerum cognoscere causas) ; s'il faut, je lerépète, faire ici de l'érudition avecl'érudition de nos devanciers, je dirai que dans leurs profondesinvestigations, et à l'aide de quelques complaisantessubstitutions et transformations de lettres, ils ont découvertque le mot AVRIL était parfaitement formédu mot latin april, aprilis ou aperelis, qui lui-mêmeétaitné d'un autre mot latin, aperire, qui veut dire ouvrir ; desorte que le mot avril seraità peu près synonyme deporte , entrée, ouverture. En effet, disent toujours les savants, en appelant àleursecours une ingénieuse métaphore, c'est dans le moisd'avril que la nature ouvre son sein pour reproduire tous lestrésors qu'elle renferme ; le mois d'avril est la porte duprintemps, l'entrée au solstice d'été, et sembleprésider, ainsi que le dit Virgile, à l'ouverture dechaque année nouvelle. Il est constant, d'ailleurs, qu'à diversesépoques dansl'antiquité, et même en France, avant le règne deCharles IX, l'année commençait au mois d'avril ; ce qui,en dépit d'une foule d'excellentes raisons, que je ne veux pointcombattre et qui ont prévalu, paraîtrait plus naturel etplus raisonnable que de la faire commencer quand tout finit et meurt. Je suppose donc que le lecteur voudra bien admettre avec moi,jusqu'à ce qu'on ait trouvé mieux, l'étymologietant soit peu équivoque du mot avril (2), et que fort satisfaitsur ce point assez futile , il n'est pas moins curieux de rechercherencore ce que peut lui apprendre d'intéressant la monologie dumois d'avril. II. Chez les peuples de l'antiquité, et longtemps encore aucommencement de notre ère, on célébrait au moisd'avril le retour du printemps et la fertilité de la terre, pardes fêtes allégoriques en l'honneur du laboureur et del'agriculture. Dans beaucoup de localités on retrouve encoreaujourd'hui des souvenirs et des restes de ces fêtes, et lescérémonies religieuses, chez les catholiques, de laSaint-Marc et des Rogations, sont une sorte de consécration desusages antiques. Les Grecs et les Romains invoquaient Cérès pourobtenird'abondantes moissons ; Cybèle pour qu'elle renditfécondes les jeunes épouses ; car alors, sans doute, unenombreuse lignée n'était point une calamité, et laphilosophie ou l'économie sociale de ce temps nepréconisait pas probablement comme un bonheur lastérilité dans les ménages. On sacrifiait à Bacchus, protecteur des vignerons ;àJupiter, le père des humains, dont on lavait soigneusement lastatue, en la couvrant de myrthe et de fleurs nouvelles ; àVénus, la déesse de la génération, desplaisirs et des amours : c'était à elle que le moisd'avril était particulièrement consacré. Le 1er de ce mois, les dames romaines avaient grand soin de semettreen un bain mélangé d'essence, et de brûler forceparfums sur l'autel de Cypris, après avoir pris une ampleportion de lait mêlé de miel et de pavots ; amalgamemystique auquel était attachée la croyance d'heureuxeffets. Elles portaient encore leurs offrandes dans les temples de laFortunevirile, qui leur inspirait l'art de déguiser leursdéfauts et de perfectionner les charmes du corps et de l'esprit; les jeunes filles aussi ne manquaient pas de sacrifier àErycine, et ne demandaient à la complaisante déitéque la beauté, les moyens de plaire et de séduire, etsurtout le bonheur d'avoir promptement un époux. L'hypocrisie, le faux semblant et le mépris dessentimentsnaturels, n'avaient donc point encore envahi la société ;sage époque, où l'on ne croyait pas que l'innocencevirginale fût incompatible avec la connaissance précocedes lois et des devoirs de l'hymen, où la premièreéducation apprenait d'abord à la jeune fille àquoi la destine la nature et la société ; autres tempsautres moeurs : pruderie, petits mystères, petitesprécautions, petits scrupules pour de bien petits motifs ; quipourrait nous démontrer ce que la morale y a gagné ? On me pardonnera ces réflexions austères etfugitives ;elles viennent spontanément à la pensée et ne sontpas hors de propos. A quoi servirait l'étude des temps, si cen'est à comparer et à commenter ? Indépendamment des fêtes de Cérès,qu’ontappelait Eleusines et qu'oncélébrait en certainescontrées, comme à Athènes, au mois d'avril, auretour d'une période de quelques années, et de plusieursautres fêtes non moins solennelles qu'il serait trop long dedétailler ici, Tite-Live et Strabon parlent de l'usage presquegénéral de consacrer aux dieux tout ce qui prenaitnaissance le premier avril, ce qu'on appelait le voeu du printemps, ver sacrum. Chez divers peuples, le mois d'avril était encorel'époque de quelques autres fêtes qui n'avaient pastoujours pour but le culte de la rénovation des êtres etles joies symboliques de l'agriculture et des amours, mais qui serattachaient à des usages locaux ou à des faitshistoriques. Telles étaient les fêtes Hibristiques enusage à Argos, où les femmes, en mémoire ducourage qu'elles avaient montré dans la défense de leurpatrie contre les entreprises de Cléomène, roi de Sparte,avaient le droit de revêtir des habits d'homme, et d'insulter etde frapper même leurs maris, comme un reproche perpétueldu peu d'énergie dont ils avaient fait preuve en cette occasion.Enfin, qui n'a pas lu quelque relation de la pompe avec laquelle, detemps immémorial, l'empereur du céleste empire, l'empirede la Chine, fait aux premiers jours du printemps l'ouverture destravaux agricoles, en traçant lui-même un premier sillonavec une charrue d'or ? Mais il est bon, je pense, de ne pas prolonger davantage toutecettehistoire ancienne du mois d'avril ; érudition de collégetant soit peu surannée de nos jours, et nécessairecependant au complément de cet opuscule. III. Chez les modernes, le mois d'avril a perdu toutes sesillustrationsemblématiques et religieuses ; ses solennitésséculaires ont disparu, et si quelque motif lui donne encorequelque droit à notre attention, c'est que, par suite desmodifications successives des moeurs et des usages des peuples, ontsuccédé dans ce mois (on ne sait trop à quelleépoque, ni à quel sujet), au culte sérieux desbienfaisants mystères de la nature, des jeux frivoles et despasse-temps joyeux ; sans aucune analogie avec les traditionssacrées, et que d'assez longues et vieilles habitudes onttransmis jusqu'à nous sous ce nom assez peu motivé de Poissons d'avril. Ces passe-temps, auxquels beaucoup d'autres, comme moipeut-être,ont naguère encore, dans la jeunesse, pris quelque plaisir, etque les préoccupations incessantes de notre époque et lepédantisme glacé, récemment introduit dans nosrelations de société, ont peu à peu proscrits,étaient alors assez redoutés des gens crédules,des esprits simples, des nouveaux venus, que les plus rusés seréjouissaient de mystifier de toutes manières en lesfaisant aller, agir en tous sens, les renvoyant de Pierre àPaul, toujours sous de nouveaux prétextes, pour rire ensuiteà leurs dépens et leur faire goûter à toutessauces ce qu'on est convenu d'appeler le Poisson d'avril. Le premier jour d'avril surtout, est le jour consacréauxpièges de toutes espèces tendus à la bonne foi,à la simplicité ; toutes les ruses sont bonnes, et l'onferait un livre fort récréatif des nombreux récitsque fournissent sur le Poisson d'avril les chroniques joyeuses. Celui-ci, que signalent certaines habitudes paresseuses et peumatinales, réveillé en sursaut bien avant l'aurore, estarraché aux douceurs d'un sommeil profond ; on le connaîtcurieux, on l'entraîne aux champs ; là, le cou tendu, labouche béante, on lui fait, pendant deux heures, humer lebrouillard, pour voir, chose remarquable, lui dit-on, le passage del'équinoxe sur un nuage. Celui-là, fort sensible aux sonsargentins des écus, est averti de se rendre en un lieuindiqué pour toucher une somme importante qui lui arrive de lamanière la plus inopinée ; le piège est vulgaireet commun ; mais qui résiste à cette amorce ? Il sehâte d'arriver, et tout essoufflé, la mine béate,l'avis en main, il réclame avec empressement la sommeannoncée ; mais l'adresse est fausse, les titres ne sont pas enrègle, que sais-je ? Des malins compères s'entendent pourmultiplier les courses et les démarches ; il faut despourboires,des rançons de toutes espèces ; il vide sa bourse, nereçoit rien, et sous peine de passer pour un rustre, il doit,après tout, convenir de la meilleur grace du monde, que laplaisanterie était fort piquante. Ici c'est un tendre et mystérieux rendez-vous, quiprometà certain mari peu scrupuleux sur la foi conjugale, le plus douxet le plus inattendu tête à tête. Enivréd'espérance, parfumé d'eau de rose, après vingtprudents détours habilement ménagés, il parvientau discret boudoir où l'attend le bonheur. Que trouve-t-il ? Safemme ! Elle ne peut se passer d'un cachemire qu'on lui refuse depuislongtemps : l'occasion est belle, le cas est grave, et milleécus, c'est modeste, paient cette étourderie. Là,c'est un jeune pastoureau, d'ordinaire fort éloquent sur lechapitre de ses succès galants et de ses prouesses en escrime,mais dont la brillante réputation n'a guère pour garant,que ce qu'il appelle ses indiscrétions ; sur les perfides avisde joyeux amis, il se rend en triomphateur où il se persuaderecueillir une ample moisson de plaisirs. Mais l'heure s'écoule,l'isolement règne autour de lui, la beauté sensible faitdéfaut ; peut-être va-t-il prendre son parti, quandtout-à-coup se présente un de ces spadassins, fermes surla hanche, avec lesquels il n'y a point de quartier ; notre Faublas estpris au trébuchet. Heureusement d'officieux témoins nemanquent pas d'arranger l'affaire, et le mystifié, fort contentd'en être quitte pour une brèche à sa vanitéet le déjeuner d'usage, jure un peu tard qu'on ne l'y reprendraplus. On fait accroire à cet autre que je ne sais quelmonarque de laChine ou de l'Indoustan, sur le bruit de son mérite, vient de lecréer mandarin ; il ne peut se dispenser d'une visite auxambassadeurs qui lui apportent la nouvelle, et nouveaubourgeois-gentilhomme, on procède burlesquement à saréception. Ce dernier trait, tout historique et que l'on peut regardercomme leplus célèbre et le plus complet des poissons d'avril,est relaté très en détail dans un petit ouvrage,fort rare, intitulé laMandarinade (3), dont lehérosest un estimable ecclésiastique, nommé l'abbé deSaint-Martin, et qui vivait à Caen, ville de Normandie, vers lafin du siècle dernier. Connu par son genre de vieextraordinaire, la singularité de ses ouvrages et plus encorepar son extrême bonhomie, on trouva plaisant de persuaderà cet homme, aussi bon que crédule, qu'un livretrès bizarre qu'il venait de publier sur le moyen de vivre ensanté au-delà de cent ans, était parvenujusquesous les yeux du roi de Siam, qui, charmé, lui assurait-on,d'une découverte aussi précieuse, avait résolu dedéputer à l'auteur des ambassadeurs extraordinaires,chargés de lui offrir le titre de son premier médecin etde le recevoir mandarin (4). Onconçoit qu'il fallut avoirrecours à des mascarades analogues, à des piècesrevêtues d'un caractère apparent d'authenticité, etmême à une autorisation du roi de France qu'on feignit desolliciter en faveur du nouveau récipiendaire. Ces mesuresfurent si bien prises, la comédie si bien jouée, que lehéros de la pièce, enthousiasmé d'ailleursd’untel honneur, consentit à tout ce qu'on voulut, accepta toutesles épreuves et tout le grotesque cérémonial qu'onlui fit subir. La réception fut des plus comiques, et cettelongue et curieuse mystification, dont toute la ville futtémoin, à laquelle prirent une part active lespersonnages et les magistrats les plus éminents, futcomplète ; plus de deux ans après, l'abbé deSaint-Martin était encore dans l'erreur. On ne parvint qu'avecpeine à le désabuser ; il se croyait toujours mandarin. Nos aïeux, on le sait, prenaient grand plaisir às'intriguer de la sorte. Personne n'oubliait le jour des attrapes, lesuns pour en faire, les autres pour s'en garantir ; et chacun, sur lequi vive, se défiait des amorces trompeuses. Aujourd'hui quenous sommes plus sages ou plus sots, ces badinages seraient malaccueillis : cela cadrerait mal avec la suave gravité de notreadolescente aristocratie, et le bon ton de notre progressiveépoque a proscrit la franche gaîté du vieux temps :monsieur Jovial est un type qui a disparu : Tartuffe a pris sa place ;on rumine, on ne rit plus (5). IV. Je sais que certain observateur au langage caustique, viendranous direqu'il est maintenant des poissons d'avril d'autre sorte, qu'il en estde tous les mois et de toutes les saisons ; qu'on peut avec aussi bondroit dire poisson de juilletou de septembre que poisson d'avril;il nous citera mainte bonne niche, mainte tricherie, mainteespièglerie à l'ordre du jour, moins risiblespeut-être et moins naïves, mais d'un effet plus sûr.Eh ! vraiment, ajoutera-t-il, en doutez-vous ? Les poissons d'avrilsont plus que jamais en honneur, non point les amusements frivoles quidésopilaient si bien la rate de nos grand'mères, mais cespoissons d'avril perfectionnés, qui ont passé des moeurset des réjouissances du peuple dans les habitudes du mondeélevé ; non point ces poissons d'avril qui pour desvétilles faisaient trotter menu de gauche à droite, del'est à l'ouest, de la ruelle au cabaret, quelques badauds quise laissaient leurrer, mais bien ces poissons d'avril qui font valeterd'une manière non moins pittoresque, d'autres novices, courantà perdre haleine, du palais Bourbon au Luxembourg, du Luxembourgaux Tuileries, des Tuileries aux ministères, desministères à la Bourse, de la Bourse àl'Académie, de l'Académie chez tels et telsfonctionnaires : tous, la main tendue, avides de recevoir le hochet etle bonbon dont on leur fait un appât ; non pas poissons d'avrilde hobereaux et de vilains, mais beaux et grands poissons d'avril derois, de diplomates, de ministres, de très hauts et trèspuissants députés, d'illustrissimes académiciens,etc. , etc. ; traquenards fameux, attrapes mutuelles où l'onescamote à l'envi, les empires, les pouvoirs, les emplois, lesmillions, la gloire, un méchant fauteuil , les droits et leslibertés. Oh ! oh ! tout doux , mon imagination vagabonde ! cetteinnocentephilippique, à propos de poissons d'avril, pourrait effaroucherplus d'un lecteur mal disposé, plus d'un esprit timide. Maisalors je leur répéterai, comme ci-dessus : A quoi sertdonc l'étude des temps et des choses, si ce n'est à lescomparer et les commenter ? Et l’histoire n'est pour moi qu'unelongueénumération chronologique de poissons d'avril :incrédules, prenez et lisez ! Sans nous arrêter, du reste, en de si hautesrégions, quide nous n'a pas goûté ou ne goûtera pas quelquejour, de ces poissons d'avril d'espèces si variées, siséduisantes, qui, dans la vie commune, surgissent sous nos pasà tous, et nous mènent presque toujours, le plusgaîment du monde, de déceptions en déceptions ? Tels, entre autres, ces poissons d'avril désastreux quisurprennent, à certain jeu, le spéculateur mal avisé, pour lequel letélégraphe n'agite pas seslongs bras ; gobe-mouche inféodé, toujours habilementexploité. Ces poissons d'avril, plus anodins, que vous ménagequelquefois,je le dis à regret, et les cas sont rares, j'aime à lecroire, tantôt l'innocence, aux longs cils noirs, au regardadouci, au maintien décent, fleur en bouton qu'on vous pressede cueillir ; tantôt, un miracle de graces et de talents quevantent à haute voix tous les échos d'alentour, et dontle père, honorable industriel, a, depuis un an, triplé sadépense et préparé son bilan ; tantôt, cetteveuve à l'allure agaçante qui ne compte, dit-on, quevingt-cinq printemps, fut la perle des épouses , et dont lesrigueurs bien connuesdésespèrent dix rivaux. Dieu saitque je ne veux pas médire ! mais en ce cas, amateurs, jeunes ousurannés, que sollicite un désir d'hymen... gardeà vous ! Ces poissons d'avril horriblement décevants qui nousescamotentl'héritage d'un ingrat célibataire qu'on n'avaitcessé de bourrer de petit soins, et à qui surgit inextremis je ne sais quelle nièce inconnue, ou je ne saisquelfils adoptif ; Ces poissons d'avril littéraires ou dramatiques quiruinentl'espérance de vingt créanciers qui onthypothéqué leurs droits sur le succèsincontestable d'un chef-d'oeuvre escompté d'avance ; mais lepublic a jugé, le livre est refermé, la toile esttombée... Néant ! Ces poissons d'avril qui font grincer les dents,maugréer etmaudire, et que dame Justice n'épargne guère auxincorrigibles plaideurs ; Ces mille et un poissons d'avril, enfin, ces mille et unpiègestendus sous les fleurs, toujours renaissants pour de nouvelles dupes,sous des formes mille fois variées ; ces mille et unetromperies, tours de passe-passe, fort plaisants, ma foi, qui font sibien ricaner dans l'ombre les rusésMéphistophélès, dont les griffes crochuesharponnent jusqu'au vif les innocents tourlouroux des phalangesindustrielles ; ces poissons d'avril, pour en finir,désignés plus ou moins clairement, dans le glossaire del'idiome satanique des faiseurs d'affaires, sous le nomd'associations,sociétés plus ou moins anonymes ,compagnies, commandites, spéculations à primes,exploitations universelles, fabrication au rabais, brevets d'invention,privilèges, action en participation, ventes de fonds,liquidations, consignations, canaux, vapeur, chemins de fer, houille,asphalte , etc., etc. Approchez, grands et petits, tout lemonde enaura ; les premiers venus sont le mieux lotis. Vive donc le poissond'avril au dix-neuvième siècle, et rira bien qui rira ledernier !.... Cependant, si dans le meilleur des mondes et sous la meilleure desrépubliques possibles (6),la crainte d'être pris pourdupes doit à bon droit nous rendre moins crédules,souvenons-nous qu’on peut aussi se repentir d’avoirétédéfiants ; pour preuve, qu’il me soit permis derappelercette historiette que tout le monde connaît, mais qui doittrouver place dans l’histoire des poissons d’avril. Un jour, et ce devait être un premier d'avril, certainplaisant,placé sur le Pont-Neuf, offrait de la meilleure grace du mondeà tous les passants, d'échanger des écus de sixlivres tous neufs contre des pièces de vingt-quatre sous (monnaie du temps) ; il avait parié qu'en un temps donnéil ne dépenserait ainsi qu'une somme très modeste ;beaucoup s'approchent, sourient, touchent les écus, lespèsent, les font sonner, mais s'en vont en hochant la tête: « Ils sont faux, disent-ils ; à d’autres ! est-ceque cemonsieur croit faire des dupes ? » Le plus grand nombre nedaignait pas même s'arrêter. Une femme seulement,c'était pure curiosité, après beaucoupd'hésitation, risque ses trois pièces de vingt-quatresous. Ce fut tout ce que notre homme recueillit ; il gagna sa gageureet garda ses écus. Le lendemain, tout Paris sut lavérité du fait, et plus d'un quidam regretta de n'avoirpoint conclu l'affaire. Cet avis en vaut mille. V. S'il est facile de remplir sa mémoire desfacétieuxpoissons d'avril du temps passé, et de gloser tout à sonaise sur ceux plus sérieux des temps modernes, il est beaucoupmoins aisé de connaître l'origine véritable despremiers poissons d'avril, et de l'usage singulier de ces intriguesinnocentes, objet principal de mon travail. En vain j'aiinterrogé Aristote, Pline et Sénèque, en vain j'aiconsulté chroniqueurs et romanciers du moyen âge, etfeuilleté maint in-folio, le tout, il faut l'avouer, presqu'enpure perte ! Suivant les uns, cet usage remonte au temps d'un certainduc de Lorraine que Louis XII faisait garder à vue dans lacitadelle de Nancy. Un beau jour, juste le premier avril, il sauteà pieds joints dans la Meuse et s'échappe à lanage, ce qui fit dire aux Lorrains que c’était un poissonqu’onleur avait donné à garder. Selon d'autres, lespêches du mois d'avril sont souvent stériles, et plus d'unfriand, pendant ce mois, voit manquer sur sa table ou sur celle de sonamphitrion le mets délicat sur lequel il avait compté ;d'où serait venue la coutume de dire : Manger du poissond'avril, donner un poisson d’avril, etc. (7). Si l'on en croit desétymologistes plus profonds, nos jeux populaires du premieravril seraient une dégénération des pieusesreprésentations de la passion de notre Seigneur, et une parodiede la promenade dérisoire qu'on lui fit faire en le renvoyant deCaïphe à Pilate, et dans ce sens, poisson d'avril ne sedirait que par corruption pour passiond'avril. C'est bien la peinede se faire savant, de passer sa vie à avaler lapoussière des bouquins et à déchiffrer desgrimoires, pour n'avoir à dire ici que de pareilles rapsodies.J'en suis désolé, mais la science fait défaut. Jene doute pas cependant que plus tard, demain, peut-être en cemoment même, un antiquaire, plus heureux ou plus patient que moi,ne découvre la bonne, la véritable origine ; enattendant, chacun peut choisir dans ce qui vient d’êtredit, cequi lui conviendra le mieux, ou en inventer comme j'aurais pu le fairemoi-même, si j'avais moins de conscience. VI. Ce serait trop long et dépasser le cadre destinéàcette petite notice, que d'épuiser tout ce que l'histoire despeuples modernes pourrait encore fournir de curieux sur les coutumessingulières et les cérémonies religieuses ouprofanes en usage au mois d'avril, soit que ces peuples en aienthérité de l'antiquité la plus reculée, soitque la cause s'en rapporte à quelques faits de leurs annalesparticulières ; et cette surabondance même deviendraitétrangère à notre objet principal. Il suffira, jepense, de raconter ici, comme un des specimens les plus dignes deremarque, ce qui se passe chaque année, le 1er d'avril, dans lepalais des descendants de Mahomet : la fête des Tulipes. On saitquelle vénération les musulmans portent à cettefleur qui est née dans leur climat, les hommages presque divinsqu'ils lui rendent, et qu'un présent de tulipes rares est unedes plus grande, marques d'estime qu'ils puissent accorder. Le premier d’avril donc, jour mémorable, jour brillantetfortuné pour les vrais croyants et plus encore pour lesépouses du sultan, on construit dans la grande cour dusérail de vastes et magnifiques galeries sous lesquelles estrangée sur de nombreux degrés disposés enamphithéâtre, une prodigieuse quantité de carafesgarnies des plus belles et des plus rares tulipes,entremêlées de vases précieux, de lampes, deflambeaux et de globes de verre de différentes couleurs. Tous ces riches échafaudages sont surmontés decagesd'or, où des milliers de serins et d'oiseaux diverscélèbrent, par leurs mélodieux gazouillements,l'heureux réveil de la nature. A l'entrée de la cour s'élèvemajestueusement lesomptueux pavillon de Sa Hautesse, devant lequel, sur de riches tapis,sont déposés les présents magnifiques offertsà leur maître par les courtisans et les officiers dupalais. Lorsque tout est prêt, les eunuques font sortir avec leurpolitesse accoutumée, c'est à dire a coup de fouet, tousceux qui sont inutiles ou de trop, ouvriers et curieux. Leprogrès est encore peu sensible à constantinople. Cheznous, on le sait, c’est plus poliment qu’on vous metà la porte.Les clôtures extérieures se ferment, et les femmes dusérail, les célestes houris, plus fraîches et plusvermeilles que les tulipes, plus resplendissantes que les flambeaux,plus brillantes, plus vives, plus sveltes que les fauvettes et lesserins, plus suaves que les parfums (style oriental), viennent animerce nouveau paradis, où l'art et la nature réunis charmenttous les sens à la fois. L'air retentit des plus doux concerts,bientôt elles forment mille jeux, mille danses voluptueuses ;dociles aux moindres voeux du sultan, toutes rivalisent, pour luiplaire, de séduction, de graces et d'agaçantescoquetteries ; heureuse celle sur qui vient tomber, même pardistraction, un coup d'oeil du grand monarque de la sublime Porte. Lafête se termine enfin, et le gracieux Kislar Aga (8) vientoffrir de la part du grand seigneur des bijoux et des colifichetsà celles de ses femmes qui out eu le bonheur de lui donner leplus de plaisir ou le rare talent de le distraire quelques minutes del'ennui qui le dévore. VII. Il eut manqué quelque chose à lacélébrité du mois d’avril, s’iln’eûtété l’objet des inspirations fréquentes desfavoris du Parnasse. Les poètes anciens et modernes ont touschanté le mois d'avril comme le temps de la verdure, des fleurset des amours ; Ovide et Virgile ont célébré sesmystères. Et qui ne connaît pas les tendres sonates, lesgalantes ballades, les sentimentales bucoliques que le doux avril asouvent dictées à nos Bertaud, nos Deshoulières,nos Desportes, nos Ronsard ? Célébrezson triomphe, habitants des campagnes ! s'écrie dans son enthousiasme notre chantre des Mois, Il rajeunit le thym surle front des montagnes Blanchit dans les vergers les tendres arbrisseaux Epaissit le gazon qui borde les ruisseaux, De la reine des fleurs parfume la corbeille Et prépare le miel que vient cueillir l'abeille. (9) Dans un ballet des saisons joué à Versailles enprésence de Louis XIV, le mois d'avril personnifiés'exprime ainsi : J'anime toute la nature, Des plus affreux hivers j’écarte le frimas, J'amène les beaux jours, les fleurs et la verdure, La terre à mon retour reprend tous ses appas, Les ris, lesjeux, la charmante jeunesse Accompagnent tous mes pas ; Lesplaisirs me suivent sans cesse Tout languitoù je ne suis pas. Que la terre embellie étale mes bienfaits, Que la brillante Flore et le jeune Zéphire Parfument en tous lieux l'air que chacun respire. Ces banalitéspoétiques, pastorales et champêtresà l'usage des petits-maîtres parfumés d'ambre, deslangoureuses marquises et des grisettes métromanes dusiècle passé, sont aujourd'hui peu goûtées,et il faut sans doute aux Victor Hugo, aux Lamartine, aux Marcellus,aux Viennet qui depuis ont envahi le Permesse, et à leursadmirateurs, des sujets plus saisissants, des épopéesplus impressionnables, des tableaux moins naturels. Pour morceau final et complément de cette monologie unpeubavarde du mois et du poisson d'avril, et ne rien laisser ignorer detout ce qui peut avoir rapport à ce grave sujet, je dois placer,ici un conte ingénieux dans lequel l'un de nos poètes,qui s'est exercé avec succès dans,le genre naïfcréé par La Fontaine, raconte fort agréablementl'origine du poisson d'avril : Pour corriger, il fauts’y prendre bien. Sans cet art là, beaux discours n’y font rien; Rien n’y fait la douce éloquence. Et pour réussir, je prétends Que savoir le faible des gens Sera toujours la suprême science Que d’hommes a qui la raison Ne peut jamais rien faire entendre ! J’en connais un : le brusque-t-on ? C'est un lion Sachez-le prendre, Par l'endroit faible, il deviendra mouton L'entêtement, peut-être, n'est pas vice ; Mais quel défaut ! Un Picard entêté Etait malade, et l'exercice Devait lui rendre la santé. Mais comment faire ! il avait projeté, Par goût, peut-être par caprice. De ne bouger. Or, un projet, Une fois entré dans sa tête, Plus n'en sortait. Je l’ai mis là, répondait-il, c'estfait : Le médecin n'est qu'unebête. Que répondre à cela ? Lecteur, Il faut vous dire que notre homme Etait le plus friand mangeur Qu'on ait vu de Paris à Rome. Friand surtout de fin poisson. Un jour arrive en sa maison Un inconnu qui lui dit à l'oreille : Monsieur, grande nouvelle ! on pêche pris d'ici Un gros poisson inconnu jusqu'ici, Mais d'un goût.... c'est unemerveille : Jamais poisson n'eut une chair pareille. Ah Dieu ! pourriez-vous bien, dit-il, m'en procurer ? - La choseest un peu difficile, Il en vient ce mois-ci, dit-on ; mais dans la ville Il faudral'empêcher d'entrer ; Car s'il entre une fois, c'est une affaire faite. Les princes en ferontl'emplette ; Le roi peut-être aussi va-t-il s'en emparer. - S'en emparer ! ô ciel comment s’y prendre Quel stratagème ? – Il en est un certain : C'est d'aller vous-mêmel'attendre. - Où l'attendre ? - Surle chemin. Oh ! j'irai. Quand vient-il ? - Demain, Après demain. Quant au jour, on l'ignore ; Mais c'est dans ce mois. - Oh !j'irai, Et palsambleu j'en goûterai. Il tint parole ; dès l'aurore, Au devant du poisson il court le lendemain, Avril était venu, la feuille allait éclore, Les champs n'étaient pointsans appas, Mais de leur renaissance il ne s'occupait guère. Ce n'était pointlà ses affaires, C'est le poisson qu'il appelletout bas, Et le poisson n'arrive pas. Suivant toujours la mêmeroute Le jour d'après,dès le matin, Il vient encore, encore en vain. Deux fois, trois fois de même ; il enrageait sansdoute, Mais l'espéranceabrégeait le chemin. Longtemps ainsi dura lapromenade. Pas le moindre poisson ; mais l'exercice enfin Avait guéri toutà fait le malade, Quand sur sa route un jour parut son médecin. Oh ! oh ! dit celui-ci , vous avez bon visage ! Qu'attendez-vous sur ce rivage? - Un poisson fort exquis, dit-on Mais on l'aura mangé, je commence à lecroire. - Un poisson, j'en connaisl’histoire ; C’est un poisson d'avril : il est de ma façon. Vous ne m'en voudrezpoint j'espère, Pour vous l'avoir servi ; car c'est par ce mets là Que votre guérisons'opère. Du poisson il se consola. Grand merci de ce bonoffice, Lui dit-il ; sans cetartifice, On eût en vaintenté ma guérison. On sait que l'homme, ensa vieille saison, Est souvent un enfant qu'il faut tromper de même, Et qu'un innocentstratagème Peut sur lui plus que la raison. Cy finissent les dits etnotables enseignements tout au long et sans rien requérir mis en lumière parvotre serviteur, touchant les origines et curiosités des poissons d'avril : si daventure le lecteur parvenu bénevolementjusqu'à l'EXPLICIT maugrée tant soit peu sur l'insuffisance, incertitude et vanité du présent poisson scientifico-littéraire, l'auteur tres humblement lui recorde qu'icelui ne pouvait être autre chose que poisson d'avril. le 1 avril de l'an de grace 1843. Notes: (1) Avril le doux, s'ils’ymet, est le pire de tous. (Vieuxdictonpopulaire). (2) Quelques-uns, Ovide entreautres, font dériver le mot aprilisd'un mot grec qui voudrait dire Vénus ou puissance deVénus, parcequ'elle exerçait dans ce mois tout son empire : Que n'ose pas l'envieô Vénus : des jaloux Vous disputent ce mois qui n'appartient qu'à vous. …………………………………………………… On veut, que du retour des beaux jours du printemps, Avril ait pris son nom : mais l'aimable immortelle Revendique ses droits sur la saison nouvelle. Vénus, ame puissante, anime l'univers. Son empire s'étend sur les êtres divers, Et de la terre aux cieux sa ceinture féconde De vie et de bonheur environne le monde. Fastes d'Ovide, traduction de F. deSaintonge. Paris 1804, V. 2, p.II. (3) LaMandarinade, ou Histoiredu Mandarinat de l'abbé deSaint Martin. Caen, 1686, in-12 avec portrait.(4) Précisémentà cette époque, il venaitd'arriver un France desambassadeurs siamois qui firent grand bruit, ce qui rendit pour le bonabbé le fait plus vraisemblable. (5) Il y a à peuprès un siècle, dit RichardSteele, l'auteur du Spectateur,ces plaisirs du mois d'avril étaient fort en vogueenAngleterre, « où chacun se mettait en tête de donnerle plus de bayesqu'il pouvait, ce qui faisait que l'on riait plus en ce jour qu'enaucun autre temps de l'année ». Il ajoute qu'un individude saconnaissance se vantait d'avoir chaque année, le premierd'avril, faitplus de cent dupes, et cela depuis plus de dix ans. Tome I, p. 217. (6) Expressionfacétieuse dont se servit le vieux Lafayette,lorsqued'une fenêtre de l'Hôtel de Ville de Paris, aprèsles trois joursrévolutionnaires de juillet 1830, il présenta au peuple,assemblé surla place, le duc d'Orléans, qu'on n'avait point encorenommé roi, endisant : Voici la meilleure desrépubliques. Ce fait restera comme une des plus notablescuriositéshistoriques. (7) Un vieux proverbe qui dit : Se faire en avrilpoissonnier, Semblerait justifier cette étymologie.Ou hors d’âge apprendre un métier, On n’y profite d’un denier ? (8) Capitaine à la portedu sérail. (9) Roucher, poème des Mois. |