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NYS, Raymond de (18..-19..) : Le petit café des « Bons Gros »(1923)
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (09.II.2013)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)

Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque du n°4 du 15 février 1923 du Magasin pittoresque : revue illustrée desfamilles publiée à Paris sous la direction de Georges Hoffmann..


Le Couronnement du plus bel homme de France. Fresque de E. Tap pour le Petit Café des Bons Gros.

Le petit café des « Bons Gros »

par

Raymond de Nys
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C'est, à l'ombre du clocher deSaint-Ambroise, à l'endroit précis où la vieille rue de laFolie-Méricourt s'amorce au boulevard Voltaire, un petit café pareil àtant d'autres et qui ne se remarquerait point, n'était son enseigne. Engrosses lettres noires, sur le mur blanchi à la chaux, on lit : « AuxCent Kilos ». Et cette légende est reproduite en lettres d'or sur lesfausses boiseries de la porte, sur les simili-marbres qui décorent ladevanture et jusque sur les vitres même. Ce petit café dédaigne-t-illes petits clients ? Ne lui faut-il que des Falstaffs ou des Gargantuas? Non. Mais à certaines    heures, une fois par mois, aumoins, il est le rendez-vous attitré des « Gros Ventres » de Paris :c'est le Siège social du Club des Cent Kilos, - société amicale et...sportive.

Au comptoir, c'est un Cent-Kilos, - l'ami Raffanel, - qui verse auclient le « petit noir » ou le « coup de blanc ». Il y a dans son gestela condescendance sans apprêt, une sorte de sympathie apitoyée pour leclient qui atteint à peine la moitié de son poids.

- Vous n'avez pas la prétention d'en être ? nous demandait-il, l'autrejour, quand nous sommes allés visiter le lieu de réunion des Bons Grosmis à la mode par le livre d'Henri Béraud.

Nos soixante kilos se firent tout petits.

Bienveillant, l'ami Raffanel nous confiait :

- Les statuts exigent le poids minimum de 100 kilos. Mais aucun de nosadhérents n'est à la limite permise : ils tiennent tous à honneur de ladépasser largement.

Puis, fièrement, il ajoutait :

- Nous allons avoir une recrue de choix : Henri Béraud, le prixGoncourt de cette année, m'a écrit pour poser sa candidature. Vousdevez le connaître, croyez-vous qu'il fasse le poids ?

- Il le fait.

Nous avons vu la lettre où Béraud sollicite son admission. Voicicomment l'ami Raffanel lui répondit (nous citons textuellement) :

Cher Monsieur Henri Bérault.

Le Club des Cent Kilos, très heureux d'apprendre votre attribution duPrix Goncourt, vous envoie par la voie de votre serviteur et Trésorierdu Club des Cent Kilos, Raffanel, dont vous dites si bien mon nom dansvotre livre, au passage du banquet des Cent Kilos, rue de laFolie-Méricourt.

Je vous remercie personnellement des titres élogieux dont vous faitesde mon établissement.

Mais je serais cependant plus heureux le jour où vous me rendrezvisite. J'apprends par la voie des journaux que vous êtes en Grèce,j'espère que cette lettre vous atteindra.

Torts les membres du Club ont acheté votre livre qui leur plaîtbeaucoup et me demandent un tas de renseignements sur vous, que je suisd'ailleurs incapable de fournir. Ils me disent que je dois vousconnaître.

J'ose espérer, cher Monsieur Henri Bérault, sitôt votre retour à Paris,vous me ferez le plaisir de venir me serrer la main et faire ainsivotre connaissance, et vous, de votre côté, des membres de notre Club,où on ne parle que de vous actuellement.

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M. Niel, le plus gros des Cent Kilos.L'adhésion d'Henri Béraud donne aux « Cent Kilos » le fleuronlittéraire qui leur manquait. Mais, nous l'avons dit, leur amicale estaussi une société sportive. Ils comptent parmi eux Paul de Villiers,champion de lutte de Paris. Leur président, M. Alzas, qui porteallègrement ses 123 kg., répond au surnom pittoresque et buveurd'obstacles de « Bibendum ». Il est, de plus, capitaine des pompiers dela Commune libre de Montmartre.

Tous ces bons gros sont en effet de joyeux drilles, qui s'en voudraientde laisser échapper une occasion de rire et qui, loin de paraître desmartyrs, exciteraient plutôt l'envie par leur bonne humeur et leurembonpoint.

Quoi qu'en dise l'ami Raffanel, ils ne sont pas tous de la taille ducamarade Niel, dont les 182 kilos représentés ici sont peut-êtreaujourd'hui aggravés de quelques autres.

Niel était cocher-livreur. Mais jamais sa voiture ne pouvait prendre lamême charge de marchandises que les autres. On devait, aussi, luichoisir avec soin des itinéraires d'où fût exclue la plus petite côte àgrimper : il eût, sans cela, crevé les chevaux. Il a, depuis quelquetemps cessé de travailler il n'est même plus assidu aux réunions duClub.

Il y avait ainsi, autrefois, à Bordeaux, un cocher de fiacre tellementénorme que son obésité était devenue une infirmité véritable. Ilfallait, le matin, que ses camarades le juchassent sur son siège ; ilsl'en descendaient, le soir, au retour à l'écurie. Un jour, il survintsoudain un orage d'une violence extrême qui fit en un clin d'œilréfugier chacun sous l'abri des portes et des auvents voisins. Personnene prit le temps d'aller secourir le pauvre gros qui ne pouvait toutseul quitter son siège, Il resta sous l'averse, et ses gestes defurieuse protestation ne lui évitèrent pas d'être trempé jusqu'aux os.

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Le Vice-Président des Cent Kilos est un type dans le genre de Fatty. Ils'appelle Maas et pèse 140 kilos, - ce qui ne l'empêche pas d'être unouvrier très actif dans une grande usine d'autos. Impossible d'imaginerboute-en-train plus joyeux.
   
L'as de la troupe, pour la prestance, est certainement M. Hoffmann, queles reines de Paris ont, il y a quelques mois, élu le plus bel homme deFrance. C'est un grand garçon dont la taille dépasse deux mètres, etdont le visage très doux s'éclaire d'un regard rieur et bleu. Bienqu'il pèse 105 kilos, il n'est pas le moins du monde obèse. Lors de ladernière fête sportive, donnée par les Artistes de Cafés-Concerts auVélodorme Buffalo, il gagna même la course à pied réservée aux CentKilos.

L'admirable et cocasse épreuve ! On vit, entre deux numéros fournis pardes divettes-cyclistes ou des comiques-pédestrians, une vingtaine degros hommes vêtus d'un maillot de bain et d'un pantalon de ville,coiffés du haut-de-forme, se ranger sur la piste aux ordres du starter.Au coup de pistolet, tous prenaient le trot. Hélas la plupart netinrent que vingt mètres. Hoffmann fut premier avec près d'unedemi-heure d'avance sur les derniers ; car les plus gros, lestout-derniers se remorquaient deux par deux : et le trajet n'était qued'un kilomètre... Il y eut, ainsi, une course cycliste, qui fut gagnéepar le lutteur Paul de Villiers. Et c'est au Président des Cent Kilosque fut dévolu l'honneur de donner le départ pour un tour d'honneur auvétéran cycliste Charles Terront, le premier vainqueur de Paris-Brest.

Aux fêtes cyclistes de cette année, aux grandes réunions de Vincennes,de Buffalo et du Parc des Princes, on verra revenir sur la piste les «Obèses » et, leur bécane-martyre. Ce ne sera certainement pas le numérole moins applaudi du programme...

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Alzas Bibendum, président du Club des Cent Kilos,...Les fêtes dans la rue - qu'elles soient celles de la Mi-Carême oucelles qu'organisent la République ou la Commune Libre de Montmartre,ne seraient pas complètes si les « Cent-Kilos » n'en étaient pas. Onleur réserve généralement des steeple-chases dans les escaliers quigravissent la Butte ou bien encore des courses au tonneau : il s'agitde rouler une futaille vide jusque devant le Sacré-Cœur et de lui fairedévaler un autre versant de la colline, tout en s'efforçant de lasuivre. On imagine les péripéties burlesques auxquelles donnent lieuces championnats peu communs...

Les Cent-Kilos ont pour président d'honneur un des hommes les plussympathiques du Parlement, M. Henri Paté, haut-commissaire àl'éducation physique qui, d'ailleurs, a les titres requis pour êtremembre titulaire du Club. Bien d'autres auraient pu, pourraient encoreoffrir aux « bons gros » de la Folie-Méricourt leur patronage imposant,- depuis le Président Fallières jusqu'au Sénateur Mascuraud et à M.Herriot, maire de Lyon et député du Rhône. L'un des plus dignes serait,certes, M. Chéron, ministre de l'Agriculture, dont la bonne humeurserait à l'unisson de celle des plus gais. Il leur expliquerait avec larondeur qui est sienne une des raisons probables de leur embonpoint.C'est que les Cent-Kilos ont dû être, jadis, des enfants bienobéissants. On leur disait
    
- Voyons, André ! tu ne manges pas de pain... mange une bouchée de painaprès chaque bouchée de viande...

Les futurs obèses obéissaient.

- Nous mangeons trop de pain ! nous disait M. Chéron le soir où lesboulangers de Paris venaient de fermer leurs boutiques. C'est pour celaque je suis devenu moi-même si gros...

- Oh ! monsieur le Ministre,- pouvez-vous dire ?...

- Si ! si ! Je me vois... C’est que j'étais un enfant bien obéissant ;et comme je mangeais beaucoup de fricot, il me fallait beaucoup de pain!...

Les Cent Kilos pourraient sans doute en dire autant. Ils se tiennent,nous pouvons en être sûrs, très bien à table et ce n'est pas eux quiiraient faire, entre deux plats, un tour de danse, comme la mode estvenue de le faire... D'abord, le plancher du café Raffanel ne tiendraitpas. Il faut déjà que la cave soit voûtée comme elle l'est poursoutenir une table autour de laquelle viennent périodiquement s'asseoirdes convives qui, ensemble, pèsent largement plusieurs tonnes...

Ce n'est que sur la peinture d'E. Tap, représentant le couronnementd'Hoffmann, et qui surmonte le « zinc » du petit café, que les Centkilos ont des ailes...

Ni anges, ni bêtes - ils ont tous de l'esprit -, ils ne sont pas, nonplus, les martyrs que Béraud a voulu dire. Ou, du moins, ça ne se voitpas...

Raymond deNys.