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Naissancede MonseigneurHenri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné, Duc de Bordeaux,Filsde France, né à Paris, le 29 Septembre 1820,àdeux heures trente-cinq minutes du matin.-Caen : Chez A. Le Roy,Imprimeur du Roi, 1820.- 8 p. ; 20,5 cm. Saisie du texte etrelecture : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (24.X.2004) Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeet graphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : Pol. 8) NAISSANCE DE MONSEIGNEUR HENRI-CHARLES-FERDINAND-MARIE-DIEUDONNÉ, DUCDE BORDEAUX, FILS DE FRANCE, NÉ A PARIS, LE 29 SEPTEMBRE 1820, A DEUXHEURES TRENTE-CINQ MINUTES DU MATIN. MADAMELA DUCHESSE DE BERRYs’était promenée la veille,selon sa coutume, sur la terrasse du bord de l’eau, au jardin desTuileries. Rentrée dans son appartement, elle sentitquelquesdouleurs légères ; mais, trompée parson courage,elle ne crut pas que le moment fut encore arrivé. Toutes lespersonnes attachées à son service secouchèrentcomme à l’ordinaire. Sur les deux heures de la nuit laPrincesseéprouva de nouvelles douleurs qui lui firentprésager saprochaine délivrance. S.A.R. ayant sonné sesfemmes,elles accoururent ; ce fut alors que le travail de l’enfantements’annonça : il fut si heureux, qu’un quart d’heureaprèsl’enfant était arrivé. Il aété reçupar madame Bourgeois, femme de chambre ordinaire de la Princesse. Avecune présence d’esprit admirable, S.A .R. appelaaussitôtles personnes qui devaient servir de témoins ; mais lesgrandsdignitaires désignés par le ROI n’arrivantpasassezvite, la Princesse ordonna de faire entrer les gardes nationaux deservice. Le premier qui se présenta fut M. Lainé,marchand épicier et grenadier du quatrièmebataillon dela neuvième légion de la garde nationale, qui setrouvaitalors en faction à la porte du pavillon Marsan ; il futsuivi del’officier, du sergent et de plusieurs gardes nationaux du poste ; surces entrefaites M. le Maréchal Suchet, ducd’Albuféra,désigné comme témoin par le ROI,étaitaccouru. « VENEZ DONC, M. LE MARÉCHAL,s’écria, enle voyant, la courageuse Princesse, LE DUC DEBORDEAUX VOUS ATTEND. Vousvoyez, ajouta-t-elle, en lui montrant le noble rejeton encoreattaché à sa Mère, Mon fils et moi nefaisonsqu’un. » En effet, par une prévoyance et uncouragedignes d’admiration, la Princesse n’avait pas voulu que le cordonombilical fût coupé avant l’arrivée destémoins. Lesexe de l’enfant ayant été reconnu par M. le Ducd’Albuféra et les autres assistans, l’opérationfut faitepar M. Deneux, chirurgien-accoucheur de S.A.R. le ROI, MADAMEet lesPrinces étaient arrivés successivement, etpartageaientles joies ineffables de l’auguste Accouchée. La DUCHESSEDE BERRY était radieuse. LeROI, en mémoire de ce qui s’est passéà lanaissance de Henri IV, dont le DUC DE BORDEAUXdoitperpétuer lenom et le souvenir, lui a frotté les lèvres avecunegousse d’ail, et lui a fait boire quelques gouttes de vin deJurançon : l’un et l’autre, assure-t-on, avaientété envoyés par la ville de Pau, dansuneboîte adressée à Monsieur,et portantcettesuscription : « A Charles-Philippe-d’Artois ; Monsieur,pourêtre employé dans le château desTuileries aumême usage que dans le château du Roi de Navarre,àPau, en 1550. » Ainsi que le Béarnais, le petitPrince asupporté cette opération sans jeter un cri, nifaire lagrimace. Madame la DUCHESSE DE BERRY,témoin de ce quefaisaitle ROI, a dit, avec un sourire mêlé deregrets : Pourquoine sais-je pas l’air de la chanson de Jeanne d’Albret ? Je me sens lecourage de la chanter. S.A.S le DUC D’ORLÉANS,S.A.S.madame laDUCHESSE D’ORLÉANS, se sont reouvésàcettescène intéressante, et ont adressé,avec leurfamille, à l’AUGUSTE MÈREles plus affectueusesfélicitations. A une heure après midi,la famille royale atraversé lagalerie vitrée pour se rendre à la chapelle, etl’enthousiasme du public, réuni sous les fenêtresduchâteau, a été portéà son comblelorsqu’on a vu passer le ROI. La chapelle duchâteauétaitremplie de fidèles qui rendait grâces àDieu dubienfait nouveau qu’il vient d’accorder à la France ; Lesacrifice de la messe a étécélébré; ensuite le jeune PRINCE a étéprésentépour être ondoyé, et le ROI lui adonnéles noms deHENRI-CHARLES-FERDINAND-MARIE-DIEUDONNÉ, DUC DE BORDEAUX.Après la cérémonie de l’ondoiement un Te Deum aété chanté en action degrâces. Au retour de la messe, S.M.accompagnée de LL.AA.RR.MONSIEUR,MADAME et MONSEIGNEUR le DUC D’ANGOULÊME,s’estarrêtée sur le balcon de la galerievitrée. Lepublic, dont le concours était immense, s’estapprochéjusqu’au bas de la galerie, et les plus vives, les plus joyeusesacclamations ont, pendant long-temps, fait retentir les airs. Alors leROI a fait un signe de la main pour annoncer qu’ilvoulait parler. Lesilence le plus profond a régné de toutes parts,et S.M.a prononcé ces touchantes paroles : « Mes amis, votre joiecentuple la mienne ; il nous estnéun enfant à tous… » Ici de nouvelles acclamations ont interrompu le ROI ;bientôtlemême silence s’est rétabli, et S.M. a repris : ……. « Cet enfant deviendra un jour votre père : ilvousaimera comme je vous aime, comme vous aiment tous les miens. » On peindrait difficilement l’émotion et l’attendrissementqueces paroles du ROI ont inspirés au public. S.M.s’étantbientôt retirée, a étésuivie desmêmes acclamations qui l’avaient accueillie. Dans l’après-midi, MONSIEURa présentéplusieursfois à la foule immense qui environnait les Tuileries,l’AUGUSTEENFANT appuyé entre ses bras. MADAME,duchessed’Angoulême, en a fait autant, Madame la DUCHESSE DE BERRYafaitapprocher son lit de sa fenêtre, s’est soulevéedoucementet s’est montrée au peuple attendri jusqu’aux larmes, enserrantsur son sein celui qu’elle appelle son HENRI. A trois heures le pavillonMarsan a été ouvert aupublic: chacun a pu entrer et voir le jeune PRINCE que sanourrice tenaitentre ses bras. Plus de quinze mille personnes ontétésuccessivement admises à traverser les appartements. Il serait impossible de peindre à ceux qui n’en ont pasété témoins la profonde sensation dejoie que lanaissance du Duc de Bordeaux a produite à Paris.Dès lapointe du jour les Tuileries et toutes les rues qui y aboutissentétaient remplies d’une foule immense ; chacun sefélicitait, s’embrassait et adressait tout haut desremercîmens à la Providence. Des seuls cris dejoies et deloyauté se faisaient entendre. Une autre partie de la population s’était portédans leséglises, et adressait des prières au ciel. Lescurés de Paris et les bureaux de bienfaisance ontreçudes aumônes considérables de personnes charitablesqui ontvoulu que les pauvres pussent participer à la joiepublique. Aussitôt après l’heure du marché, lesdames et lesforts de la halle se sont rendus en corps à la paroisse deSaint-Leu et y ont fait chanter un TeDeum. C’est le premier qui aitété chanté après celui desTuileries. Le soir il y eu illumination générale ; dans lesquartiers les plus pauvres on voyait des lampions jusqu’auxfenêtres des cinquièmes étages. Afin de satisfaire àl’empressement du peuple,répandudans le jardin des Tuileries, S.A.R. Madame la duchesse de Berry,plusieurs fois dans la journée, a fait rouler son litprès de la fenêtre, et s’est montréeàtravers les carreaux de la vitre, à la foule avide qui sepressait sur cette partie de la terrasse pour la contempler. Ilétait très-facile de distinguer les traits deS.A.R. Elleprenait tour à tour des mains de madame la vicomtesse deGontaut, placée à côté deson lit, le royalenfant et la jeune MADEMOISELLE, et lesprésentait aupeuple. Cespectacle touchant a fait éclater les acclamations unanimesetréitérées de Vivele Roi ! Vive leduc deBordeaux ! Vive la duchesse de Berry ! Ces marques dedévouement et d’amour de la part du peuple sesont renouvelées à quatre heures,lorsqu’après unentretien d’une heure avec S.A.R. Madame la duchesse de Berry, le Rois’est aussi montré près de la croiséedel’appartement des augustes enfans : on voyait S.M. tenant dans ses brasle duc de Bordeaux ; S.M. le berçait en le couvrant debaisers.S.A.R. MONSIEUR tenait sa petite-fille. Les acclamationsdu peuple ontcessé un moment, lorsqu’on a vu que Sa Majestéallaitparler. « Vous et moi,a dit le Roi, en s’adressant aupeuple,et en embrassant le petit Prince, nousl’aimerons toujours bien !» Et après de nouvelles caresses : « Adieu, mesamis, je vous porte dans mon coeur. » S.A.R MADAMEestentrée un moment après, et les plus transportsontéclaté de nouveau, lorsque cette princesseprenant lespetites mains de MADEMOISELLE, lui faisait envoyer desbaisers aupeuple. A ces cris d’allégressese mêlaient les parolesles plustouchantes, les voeux les plus ardents ; et la pureté duciel, ladouceur de la température, fournissaient à chaqueinstantl’occasion de parler de la protection visible de la Providence, et deses desseins sur la famille de nos rois ; ces sentimensétaientexprimés avec tout l’éloquence du coeur, etrépétés à haute voix commesi les personnesaugustes à qui ils s’adressaient avait pu les entendre. Le Prince qui nous fut promisest né. Il continuera cetteraceauguste, sous le sceptre de laquelle la France marche depuis tant desiècle à tous les genres de gloire, deliberté etd’illustration. Pour apprendre les vertus qui font les rois et leshéros, il n’aura qu’à lire l’histoire de sesancêtres ; soit qu’il faille défendre l’Etat, etversersur un champ de bataille son sang pour la France, soit qu’il faillegouverner dans la paix, protéger les libertéspubliques,encourager les arts, et maintenir le royaume des lis à latête de la civilisation européenne, c’est dans sadynastiedepuis Saint-Louis jusqu’à Louis XVIII qu’il trouvera desexemples et des modèles. Il sera juste, car il est untémoignage vivant de la justiceéternelle ; il sera clément, car il est l’oeuvrede laclémence divine ; il sera fort, car il estlui-même unmiracle de la toute-puissance de Dieu ; il sera sage, car l’esprit deSaint-Louis veille sur son berceau ; il seragénéreux etbrave ; il aura toutes les vertus d’un héros, car la morthéroïque de son père sera laleçon de toutesa vie ; enfin il sera grand des souvenirs de HENRI etde FERDINAND ;il sera grand des exemples et des pensées de sa royalemère ; il sera grand de toutes les espérancesreligieusesqui se sont réfugiées en lui ! Nous terminerons cette courterelation par quelques traits particuliers. On sait que dans les premiers mois de sa grossesse Madame la duchessede Berry vit en songe Saint-Louis qui lui annonçait lanaissanced’un fils. Et depuis ce moment elle n’a pas douté un seulinstant qu’elle ne dût accoucher d’un enfant mâle.Elles’exprimait, à cet égard, avec une confiance etunecertitude qui parfois allait jusqu’à alarmer son augustefamille, dans la crainte de la commotion morale qu’elle ne pouvait pasmanquer d’éprouver, si son espoir venait àêtretrompé. Un jour monseigneur le comte d’Artois cherchaitàla préparer àl’événement opposé à ses voeux. « Monpère, lui dit laPrincesse, en l’interrompant, Saint-Louis en sait plus que vouslà-dessus. » Une femme bonne royaliste, maisun peut superstitieuse, avaitassisté dans la matinée à l’Officedivin enactions de grâces pour l’heureuse délivrance deMadame laDUCHESSE DE BERRY. Elle avaitpartagé vivementl’émotionde tous les assistans. En se retirant elle disait tout haut :«Ah ! que c’est heureux ! ah ! que c’est heureux ! Il est cependantdommage que notre petit DUC soit né un vendredi.»Unecclésiastique qui la suivait l’entendit : «Rassurez-vous, bonne femme, lui dit-il, Jésus-Christ estmort unvendredi pour le salut de tous les hommes, et Monsieur le DUC DE BORDEAUX naît un vendredi poursauver la France. » Les marchés étantles seuls endroits de Parisfréquentés au moment où le canon sefit entendrevendredi matin, il s’est passé dans ces quartiers de lavilleplusieurs scènes touchantes dont nous aimons àrapporterles détails. Sur la place de la Fontaine desInnocens, au bruit du premier coup decanon, toutes les ventes cessèrent, uneimmobilitégénérale saisit toutes les personnesprésentes ;chalans et marchands se regardaient avec une impatience difficileà décrire ; pendant les sept ou huit secondes quis’écoulèrent entre le douzième et letreizième coup, l’anxiété futextrême ;chacun semblait retenir sa respiration pour ne point perdre le signaldu bonheur de la France : lorsqu’il eut retenti, la joie et le plaisirne connurent plus de bornes ; les embrassemens, les serremens de mainset les cris de vive le Roi ! vive laDuchesse de Berry !empêchèrent d’en entendre davantage. Un grandnombred’habitans de environs de Paris se hâtèrent devendre aurabais les denrées qui leur restaient encore, afind’êtreplutôt de retour dans leur communes pour y porter la nouvelledela naissance d’un Bourbon. Nousreviendrons ce soir, disaient cesbraves gens, voir les illuminationsavec nos femmes et nos enfans.L’un de ces bons paysans s’écria au moment de l’ivressegénérale : C’est unDuc de Bordeaux ! qui l’aimemesuive ! et pour régaler tous ceux qui seprésentaient,il dépensa en moins d’une heure le double de ce qu’il peutgagner en un mois. Les dames de la Halle ontremarqué que le DUC DE BORDEAUXestvenu au monde le jour de saint Michel. Tant mieux, disait l’uned’elles, il terrassera les méchans. La joie n’a éténi moins vive ni moins franchedans lescasernes. Tous les soldats, au bruit du canon, se sontlevés,ont illuminé leurs chambrées, et dansédesfarandoles aux cris de vive le Roi !vive le Duc de Bordeaux ! Ilsont été admis, dans la matinée, commetout lepublic, à voir le PRINCE nouveau-né ; etplusieurs onttémoigné leur enthousiasme par des mots vraimentfrançais : quelques uns ont étérecueillis. Un vieux grenadier de la garderoyale qui s’est approché duberceau, s’est agenouillé et s’estécrié : Je tebénis, Fils de France, et je signe pour toi six en de plusd’engagement. Un autre grenadier,nommé Archambault, a trouvéun moyenbien délicat et dans ses habitudes militaires, detémoigner sa reconnaissance et son dévouementà laPrincesse qui lui montrait son enfant : Ah ! Madame, lui dit-il, que ne peut-il nous passer en revuedès aujourd’hui ! Un autre, c’était unlancier, en saluant le berceau royal, apris un accent noble et prophétique, et s’estécrié : vive notreColonel ! Un cuirassier, vieilli sous leharnois, s’exprimait avec toutel’énergie d’un soldat en voyant la belle constitution del’enfant : tout à coup il s’aperçoit que S.A.R.MADAMEest derrière lui : il se retourne et paraît confusde cequi lui est échappé : Monami, lui ditMonseigneur leDUC D’ANGOULÊME, avec cet accentqui est si bien entendu desbraves, tout est permis aujourd’hui. On acélébré dans tous les spectacles,par descouplets qui on été applaudis avec transport,l’heureuxévénement du jour. Il y a eu relâche auFrançais ; la Comédie et l’Opéraréunis ontjoué Athalie avec leschoeurs de la salle Favart. Il estinutile de dire que toutes les allusions qui naissent du sujet de cetteadmirable tragédie, comparé à lacirconstance, laconservation miraculeuse de l’enfant enqui tout Israëlréside, le prodige qui aranimé le flambeauéteint de David, le récit de l’horrible massacreauquela échappé l’unique espoir de sonpeuple, et unefoule d’autres passages, qu’il nous est impossible de citer, ontexcité un enthousiasme qui s’est constammentmanifestépar les cris de vive le Roi ! viventles Bourbons ! vive la Duchessede Berry ! vive le Duc de Bordeaux ! Parmi les couplets qui ont été chantéssur lespetits théâtres, et qui tous ontétéaccueillis avec enthousiasme, parce que les sentimens qu’ilsexprimaient se trouvaient dans tous les coeurs, nous citerons lessuivans : AIR : Du premier pas. C’est un Bourbon, France, quivient de naître ; C’est de tes Rois l’auguste rejeton, Dès le berceau, ce faible enfant doit être L’espoir du brave et la terreur du traître…. C’est un Bourbon ! C’est un Bourbon qu’appelaient tes alarmes ; Le ciel t’exauce et t’en fait l’heureux don. Il soutiendra la gloire des armes ; Des malheureux il sèchera les larmes…. C’est un Bourbon ! C’est un Bourbon ! heureuse mère, oublie Et ton veuvage et ton triste abandon : C’est ton époux qui renaît à la vie ; Ce noble enfant le rend à la patrie…. C’est un Bourbon ! C’est un Bourbon ! lègue ton diadème, Heureux Monarque, à cent Rois de ton nom. Comme Henri, grand roi, comme toi-même, Il régnera sur un peuple qui l’aime…. C’est un Bourbon ! |