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NETTEMENT,Alfred(1805-1869) : A nos Amis.-Paris : Impr. de Bailly, Divry et Cie, 1857.- 4 p. ; 22 cm.- (Extraitde « La Mode» du 6 Août 1848).
Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (13.IV.2006)
Relecture : A. Guézou.
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire(Bm Lx : R 119br.) de la Médiathèque

A nos Amis
par
Alfred Nettement

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Paris, le 10 janvier1857,

Aux lignes suivantes on reconnaîtra facilement la plume d'undes plus éminents écrivains de cetteépoque, M. ALFRED NETTEMENTqui, en 1848, dirigeait LaMode. On a pensé que ces lignes,tracées alors, plus vraies encore aujourd'hui, soit parl'intérêt que tous les amis politiques de M. deCalvimont lui portent en raison de l'accroissement de ses revers et deses épreuves dus à de si nobles motifs, soit parla rareté des grands vins qui les rend plusprécieux de jour en jour, seraient placées d'unemanière opportune sous les yeux de ces mêmes amis,dans le moment où la liquidation de M. de Calvimant vas'effectuer par leur bienveillant concours.

C'est un peu avant l'époque où cet article futpublié, que M. le comté de Chambord faisaitécrire à M. de Calvimont, en souscrivant pour unecertaine quantité de vin, souscription qui fut suivie parcelle de l'élite de la sociétéfrançaise, qu'ilconsentait à ce que son nom soit inscrit en têtede la liste des amis à la sympathie desquels on faisait ence moment appel. Pour que rien ne manquât auxmanifestations d'intérêt donnéesà M. de Calvimont, quand la révolution de lamême année 1848 convertit ses premiers embarras enmalheurs qu'il s'agit enfin de réparer, un autre membre del'auguste maison de Bourbon, le comte de Montémolin, luifaisait adresser, en 1854, une lettre pleine des expressions d'unehaute satisfaction,pour transmettre par ses mains à l'ami qui venait toutrécemment de lui apporter le plus utile concours en l'aidantà supporter ses sacrifices pour la cause des Espagnols, unprécieux témoignage de faveur, le brevet del'Ordre de Charles III.

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A NOS AMIS.

Nous arrivons à une situation qui doit imposer auxpropriétaires des meilleurs crus lanécessité de vendre eux-mêmes leursproduits. La fraude et l'altération des vins, ces deuxfléaux qui nuisent, par suite de la solidaritécommerciale, même aux maisons les plus honnêtes,portent une atteinte fâcheuse à la confiance queles intermédiaires pourraient d'ailleurs inspirer. Ilconvient donc que des rapports directs s'établissent entrele producteur et le consommateur. Les grands propriétairescontractent par là des obligations nouvelles. Il faut qu'ilsexercent une surveillance active sur l'exploitation de leurs vignes etsur les vins qui en sont le produit, et qu'ils nouent des rapportsnombreux dans tous les centres de consommation pour en assurer leplacement. Cette nécessité, qui à sesennuis en ce qu'elle exige plus de sollicitude et de soins, a aussi,ses avantages. Elle rend le mariage du propriétaire avec laterre plus, intime, elle l'oblige à la résidence,ce qui est utile aux localités et aussi auxpropriétaires, qui acquièrent de l'influence enéchange du patronage bienveillant qu'ils exercent. Elle faitde la propriété un véritable travail,dans un siècle qui supporte peu de sinécures.Enfin elle établit des rapports précieux entre lepropriétaire et des hommes qu'il estimaitdéjà et qu'il est heureux de connaîtrepar lui-même. C'est un bonheur pour lui que de penser que sesefforts et ses travaux seront appréciés par eux,et leurs éloges et leurs remercîments ledédommagent des peines qu'il a prises. C'est ainsi qu'onaugmente la richesse nationale en élevant la valeur de tousles produits, car pour réussir il faut travailler avecamour, et la propriététerrienne de l'Angleterre n'aurait pu obtenir lesprogrès extraordinaires qu'elle aréalisés dans le dernier siècle, pourl'amélioration des terres et celle des races ovine etbovine, si l'impulsion n'était point partie des grandspropriétaires eux-mêmes, et n'avait pasété suivie avec une sollicitudepassionnée.
  
M. le comte de Calvimont Saint-Martial, représentant actuelde l'ancienne famille de ce nom, et propriétaire des crus siestimés de Cérons et de Virelade, dans leBordelais, avait prévu depuis longtemps ce qui arriveaujourd'hui. Dans cette prévision, il a refusédes offres très avantageuses qui lui avaientété faites par le haut commerce de Bordeaux.Après plusieurs années de soins donnésà ses vins, il est enfin en mesure de répondreaux désirs de ses nombreux amis, des personnes qui voudrontjouir de la sécurité que présententdes rapports directs noués entre le consommateur et leproducteur. Au lieu de nous étendre en éloges surla qualité supérieure des vins de M. deCalvimont, nous préférons transcrire ici laconsciencieuse appréciation qui en était faite en1840 par une revue spéciale, publiée alorsà Bordeaux sous le titre du Producteur, journal desintérêts spéciaux de lapropriété vignoble du département dela Gironde.

Après quelques détails historiques pleinsd'intérêt sur la famille de Calvimont,établie dans le Bordelais, le Périgord et leQuercy dès le XII° siècle,détails suivis d'une charmante description des deuxchâteaux de Cérons et de Virelade, le Producteur arriveaux détails vinicoles :

« Céronsfait des vins liquoreux d'un goût exquis.Généralement ils sont fort estimés.Mais le cru de madame la comtesse de Calvimont (qui est aujourd'huicelui de M. le comte de Calvimont, son fils) est incontestablement lepremier. Nous avons recueilli au sujet des vins de ce cru uneconversation que nous allons citer : Sur un bateau à vapeurqui se rendait à Blaye, M. G... disait à un baronallemand, et M. Ch..., qui se trouvait avec lui, que madame deCalvimont avait, en améliorant ses vignes, sous le rapportdes soins donnés à la culture, comme en faisantfaire un choix éclairé des meilleurscépages, tellement élevé son cru,qu'il était raisonnable de penser que ses vins pouvaientaller de pair avec les premiers crus de vins blancs.Déjà, ajoutait le baron, ils sont ainsiclassés en Allemagne, où ils se trouvent dans lesmeilleures caves. »

« Virelade,que nous avons déjà classé dans lesseconds crus de vins liquoreux, fait de fort bons vins blancs. Lechâteau appartient à M. le comte de Calvimont, etproduit sans conteste les meilleurs vins de la commune, soit en blanc,soit en rouge. Ses vins blancs, tout en ayant du corps, sont pleinsd'une excellente liqueur et d'une sève aromatiséeet très-flatteuse au goût. Si l'on n'a pas, en lesbuvant, des vins de premiers crus à leur opposer, on leurdonnerait volontiers ce rang ; on n'en désirerait pas demeilleurs. Il est vrai que la culture de ce vignoble est des mieuxentretenue ; les cépages qui le composent sont parfaitementchoisis ; ce sont les mêmes que nous avons nommésplusieurs fois dans nos précédentsnuméros, c'est-à-dire les espècesreconnues après une longue expérience pourfournir les meilleurs sucs. »

« Ordinairement les localités oùviennent les bons et grands vins blancs sont peu propres àfournir des produits de même sorte en rouge ; il n'en est pasainsi de Virelade. Nous y avons bu des vins rouges auxquels nous nepouvons pas donner de meilleurs termes de comparaison que ceux de nosvins de Graves, de Bordeaux, les plus recherchés, et nous enconnaissons que les Anglais ont achetés en vieuxjusqu'à 5 et 6 francs la bouteille, tant ils les onttrouvés agréables et flatteurs au goûtet à l'odorat. »

Il est à propos d'observer que les vins dont il est iciquestion sont ceux du cru de Château-Basque,dépendant de la belle terre de Virelade.

Le même journal dit encore :

« Les premiers crus de vins liquoreux se vendent parfois enprimeur jusqu'à 1,000 francs le tonneau ; ce prix augmentesuivant l'âge, et après six ou sept ans ils sontsouvent cotés à 2,000 francs et quelquefoisà 3 et 4,000 francs. Les seconds crus ont valu, dans lesbonnes années, 700 francs et plus. Nous en connaissons de1834, chez le propriétaire, que l'on n'aurait pointà moins de 2,500 fr. le tonneau. » (Producteur bordelais,mai 1840.)

L'exactitude de cette appréciation se trouve, pour ainsidire, officiellement constatée à Paris. En effet,M. de Calvimont ayant rencontré une occasion de faireestimer une pièce de chacun de ses vins par un des hommesles plus compétents dans cette matière etemployé en qualité de dégustateur parl'administration de la ville de Paris, a saisi cette occasion avecempressement. A la suite de cette estimation, parfaitement conformeà l'opinion du journaliste, un des premiers restaurateurs deParis, M. Thomas (ancien café Desmarres), etaprès lui d'autres maisons de commerce égalementimportantes, se sont pourvues d'une abondante provision de ces vins.Ces faits prouvent qu'à Paris comme à Bordeaux iln'y a qu'un même jugement sur leur excellentequalité.

Nous pourrions citer à l'appui de cetteappréciation une anecdote connue d'un grand nombre decommerçants bordelais qui furent témoins du faitet que nous tenons du principal d'entre eux. Notre ami M. Meyer, consulde S. M. le roi des Deux-Siciles à Bordeaux, donnantà dîner à vingt-cinqnégociants allemands, fit apporter d'abord une bouteille desmeilleurs crus de madame de Lur-Saluces, qui jouissent d'une silégitime célébrité, et desa récolte de 1840. Immédiatementaprès ce vin, qui fut trouvé excellent, il servitun autre vin de la même année, provenant des crusde M. le comte de Calvimont, et ce vin fut proclamé toutd'une voix supérieur encore, tant il avait acquis de saveuret de qualité, puisqu'il put cette fois êtrepréféré aux crus de madame deLur-Saluces, que rien jusqu'alors n'avait égalés.C'est faire d'un seul mot le plus bel éloge des vins de M.de Calvimont.

Après avoir répété ce quedisent les connaisseurs sur ces excellents vins, pourquoin'ajouterions-nous pas un de ces mots qui vont au coeur de nos amis, etqui sont plus de notre compétence que les dissertations surles crus ? Nous savons bien qu'en matière d'achat et devente, les opinions politiques ne sont pas tout, mais nous sommes deceux qui pensent qu'elles doivent être acceptéespour quelque chose ; quand on fait une bonne affaire, mieux vaut lafaire avec un ami politique. On dit que le pavillon couvre lamarchandise, c'est-à-dire qu'il la protège.Voilà qui est bien dit, surtout dans cette occasion. Le vinque nous recommandons à nos amis sort des caves d'un hommedont la bourse fut largement ouverte aux infortunes espagnoles, et quileur donna son temps, sa santé, comme sa bourse ; car pourse vouer à cette oeuvre, il a renoncé, pendanttoute sa durée, à ses affaires, ses habitudes,ses relations, et depuis quelques années il adéposé une plume qui avait fait ses preuves dansla littérature comme dans la politique. Aprèsavoir montré antérieurement sondévouement aux infortunes vendéennes, enqualité de commissaire de la Société debienfaisance fondée à Paris en 1832,il est devenu à Bordeaux le promoteur infatigable de cettecroisade de charité internationale ; il a luttécorps à corps contre des difficultésinsurmontables, il a fait l'impossible ; la Guienne aécrit quelque part qu'il avait fait des miracles: conduite généreuse, honorableabnégation qui a étéappréciée par les pressiers et les plus illustresde nos amis.

A. N.


Cet article de M.Alfred NETTEMENT est extrait de la Mode du 6août 1848.
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Impr. BAILLY, DIVRYet Ce, place Sorbonne, l.