Corps
BLACQUEBELAIR, Henri (Lieutenant-Colonel).- A propos du NouveauManuel d’Équitation et de Dressage.- Paris :Berger-Levrault, 1912.- 19 p. ; in-8° .- (Extrait dela Revue deCavalerie). Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (04.I.2006) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaired'une collection particulière. APROPOS DU Nouveau Manueld’Équitation et de Dressage PAR le Lieutenant-Colonel Henri Blacque-Belair, ÉCUYER EN CHEF AL’ÉCOLE DE CAVALERIEDE SAUMUR ~*~ Le décret du 17 juillet 1876, portant règlementsur les exercices de la cavalerie, qui a servi de guide àcette arme depuis trente-cinq ans, posait en principe - comme sesdevanciers - que l’instruction militaire comprend deuxbranches principales : l’instruction équestre etl’instruction militaire proprement dite. Enrésumant en quelques pages succinctes les règlesdestinées à l’éducationéquestre des recrues et au dressage des jeunes chevaux, laCommission chargée d’élaborer leRèglement de 1876, dans sa hâte de mettre sur piedune œuvre indispensable à laréorganisation de la cavalerie, allait au pluspressé ; mais au cours de sesdélibérations, elle avait reconnu lanécessité de rédiger promptement untraité d’équitation destinéà compléter un enseignement qu’elleébauchait à peine après en avoirsignalé la haute importance (1). Malheureusement, cette pensée n’a pas eu de suite; or, si l’absence de méthode se faisaitdéjà lourdement sentir dans nos escadrons,à une époque où la durée duservice permettait d’y suppléer dans une certainemesure, on peut affirmer que le service restreint atransformé cette gêne en un véritablemalaise et déterminé une crise qui risquerait, sielle devait se prolonger, d’atteindre la cavalerie dans sesœuvres vives. L’avis des colonels est aujourd’hui unanime sur cepoint : tous déplorent l’absence d’unedoctrine équestre contenant des règles claires etprécises ; tous tombent d’accord pourréclamer d’urgence, un manuel de dressage quipuisse guider les officiers chargés de cette partie siimportante de l’instruction. Cette façon de voir n’a pas toujoursété celle préconisée parles chefs qui présidaient aux destinées del’arme. Le revirement actuel des idées surl’importance et le rôle del’équitation militaire est mêmené de l’excès d’un mal voulu,engendré par les théories contraires, hier encoreen honneur. Le procès intenté par les cavaliersaux écuyers est une très vieille querelle ;cependant, à aucune époque, on n’avaitosé, comme en ces quinze dernièresannées, afficher le dédain del’équitation. Si, à la fin dudix-septième siècle, les grands cavaliers qui senommaient Mottin de La Balme, d’Auvergne, de Bohan,s’insurgèrent contre le formalisme del’École, c’était dans ledessein très légitime de libérer leursmanoeuvres entravées par les figuresstériles des carrousels et les airs de la hauteÉcole ; mais - leurs ouvrages en témoignent -jamais ils ne songèrent à mutiler les principesqui sont le fondement de l’équitation ; encoremoins à s’en affranchir. Il n’est donc pas sans utilité, pouréviter dans l’avenir le retour d’unpareil danger, de retracer rapidement l’évolutiondes idées qui, depuis 1894, sous prétexte dedégager l’équitation militaire desformes académiques, en étaientarrivées à priver la cavalerie del’élément principal de sa force : lamobilité et la souplesse de la manoeuvre,qualités qui ne sauraient exister sansl’habileté du cavalier et la soumission de samonture. Les nécessités de la guerre moderne, en donnantà la rapidité de la mobilisation unrôle prépondérant, ont amenédans la préparation des troupes des modifications profondeset imposé à l’instruction une formeintensive inévitable, dans laquelle lesprocédés ont malheureusement plus de part que lesprincipes. La brièveté des heuresconsacrées à l’enseignement impose, eneffet, une délimitation précise entrel’utile et le superflu, ainsi que le rejet impitoyable de cequi n’est pas absolument indispensable à lapréparation immédiate de la guerre. Onconçoit qu’une telle méthode exige unegrande science des causalités, une grande prudence dans ladétermination des élémentsà conserver ou à éliminer ; etl’on voit le danger que présente cettemanière de faire, si, par suite d’uneétude insuffisamment approfondie, on négliged’étayer l’instruction sur lesfondements indispensables à toute oeuvre qui doitdurer. Il faut avoir le courage d’avouer que cette erreur aété commise dans la cavalerie le jouroù l’on a envisagél’enseignement équestre comme une instructiontrès secondaire, dont on pouvait impunémenttailler les branches ou couper les racines. Si le Règlement de 1876 ne contenait lui-mêmequ’un minimum de principes et de règles, au moinsen préconisait-il l’étudeméthodique et escomptait-il très sagementl’action bienfaisante du temps dans la marche alerte etcependant raisonnée de l’instruction. Par contre, l’instruction ministérielle du 10juillet 1894, en transportant, sous prétexte de faire vite,d’un bout à l’autre duRèglement et au petit bonheur, ce qu’elle appelaitnaïvement les principes utiles et les détailsindispensables (2) ; en classant les uns dans une premièrephase, qui ne contenait presque rien, et les autres dans unedeuxième phase, qui n’était jamaisétudiée, a ébranlé dans sesfondements l’instruction équestre, sansparaître se douter que c’étaità la source même de la cavalerie qu’elles’attaquait. Cette simplification extrême de l’instruction,cette précipitation voulue, cette absence de doctrine,entraînent, en effet, à leur suite, desprocédés de circonstances admissibles seulementavec des tempéraments exceptionnellement doués,capables de substituer, à l’oeuvre siprécieuse de l’ordre et du temps, uneprévoyance inlassable et une indomptableténacité. De tels caractères ne sontmalheureusement qu’une minorité, etl’absence de règles positives et prudentes, sielle permet de brillantes improvisations, n’en reste pasmoins un grand danger avec lagénéralité des instructeurs, parceque, après avoir ouvert la porte à toutes lesinitiatives, elle laisse pénétrer, enmême temps que celles-ci, toutes les incohérences,puis un jour toutes les ignorances, quand ce ne sont pas toutes lesinerties. La loi sur le service de deux ans, en réduisant encore letemps consacré à la pratique du cheval, amarqué une deuxième étape dans ledéclin de l’équitation militaire,à laquelle les modifications radicales apportéesle 1er septembre 1904, ont enfin porté le dernier coup. Supprimer n’est pas simplifier. Cependant, ledécret du 1er septembre 1904, renchérissant surla circulaire de 1894, paraît avoir confondul’inutile avec l’essentiel mêmelorsqu’il a rayé d’une plumeinconsciente tous les mouvements nécessaires pour former uncavalier, tous ceux qui sont indispensables àl’étude du maniement du cheval et àl’art plus difficile encore de son dressage. Il a de ce faitdésarmé les instructeurs, annihilétout enseignement, et tendu ouvertement la main aux théoriesexposées dans certaines sphèresélevées, sur l’inutilité dela cavalerie et le rôle futur de l’infanteriemontée. C’était l’époqued’ailleurs où les heuresdéjà trop brèves del’instruction se surchargeaient de conférencesagricoles, de promenades industrielles, de visites artistiques,où tout paraissait possible dans la cavalerie, saufd’apprendre à monter à cheval ! Le résultat était fatal - et prévud’ailleurs - et la faillite del’équitation a laissé le champ libreà l’exercice de labaïonnette….. Pour nier la valeur de l’instruction équestreclassique, on s’est appuyé sur lerésultat que donne l’équitation dite depiqueur, ou sur celle pratiquée par les cavaliers du premierEmpire ; et ces brillants paradoxes ont trouvé ducrédit, même auprès d’espritséclairés. Le simple bon sens n’indique-t-il pas pourtant, quel’équitation du piqueur n’emprunte satrès réelle valeur qu’à lacondition exceptionnelle de chevaux d’ailleursparfaitement choisis, montés par des hommes demétier, entraînés pendant de longuesheures ; qu’elle ne vaut surtout que par lesleçons incessantes, qu’elle puise dans la pratiqued’un terrain varié, souvent difficile, dans leschangements d’allures et de directions imposés aucheval lancé à la poursuite del’animal. Aucun de ces puissants auxiliaires ne subsiste dansl’équitation militaire enserrée dans untableau de travail normal ; que reste-t-il alors del’équitation de piqueur lorsqu’elle necomporte ni forêt, ni débuché, nichasse ? Comme les veneurs, les cavaliers de Murat et de Lassalleétaient en selle du soir au matin. Dans une longue pratiqueet un emploi constant du cheval, ils trouvaient facilement leséléments d’une équitationsolide et pratique. On peut même admettre que, pendant lesguerres, certaines recrues, solidement encadrées entre desvétérans, reçurent la plus forteinstruction individuelle qu’on puisse souhaiter. Maisc’étaient là des exceptions et il yavait, dans l’instruction de ces cavaliers, des lacunesconsidérables, dont font mention les récits del’époque, et que la stratégie et latactique modernes souligneraient aujourd’hui cruellement. Le général de Préval, dont lesjugements firent autorité sous la Restauration dans toutesles questions d’organisation de la cavalerie, et qui avaitété lui-même mêléà tous les grands événementsmilitaires du siècle, écrivait ceslignes… : Faudra-t-il admettre que nos cavaliers, du pointde leur dépôt en France, où ils serontformés en hâte, jalonneront encore les routesjusqu’à Cadix, Raguse, Varsovie, et quel’on sera de nouveau réduit à lanécessité de mettre un homme qui n’ajamais monté à cheval, sur un cheval quin’aura jamais étémonté..… Et dans un rapport sur l’École de cavalerie, ildit encore : Les éléments del’ancienne cavalerie ayant étéusés, dispersés ou détruits, pendantles premières campagnes de la Révolution, et enoutre une foule de nouveaux corps ayant étécréés, ce ne fut encore que par uneÉcole de cavalerie qu’on rétablit lesbons principes. Ce furent les instructeurs, sortis de cetteÉcole pendant les années de paix, 1801à 1805, qui donnèrent à nosrégiments de troupes à cheval, cettesupériorité d’instructionthéorique et pratique, que vinrent ensuite affaiblir lacontinuité, l’étendue etl’intensité des guerres de l’Empire, lafréquence des remplacements,l’exagération des forces,l’impossibilité d’en bien choisir leséléments, et enfin lanécessité de les mettre promptement en action. C’est donc à son moral légendaire,à ses longues chevauchées, àl’appui d’une infanterie victorieuse qui luiservait de tremplin, à l’habileté deses chefs et au prestige du plus grand génie militaire destemps modernes que la cavalerie du premier Empire dut sessuccès. Mais elle n’offrait aucune valeuréquestre intrinsèque, et, à ce titre,elle ne peut, loin de là, servir d’exempleà une cavalerie anesthésiée par unelongue paix. L’on ne saurait oublier d’ailleurs quelorsque, en 1838, le général de Brack commandaitl’École de cavalerie, ce ne fut pas àun de ses anciens camarades de bivouac qu’il demanda de venirenseigner l’équitation aux jeunes officiers, maisau comte d’Aure, ancien Écuyer cavalcadour de laGrande Écurie (3). Par une singulière contradiction, au moment mêmeoù l’équitation de troupe tombait endésuétude, l’introduction du sport dansles moeurs françaises exerçant soninvincible attrait sur la jeunesse, développait legoût de l’équitationd’extérieur chez les officiers et assurait ainsiparmi eux - très heureusement, d’ailleurs - lesqualités d’entrain et d’audace qui sontle ressort même d’une cavalerie. Malheureusement les raids, les concours hippiques, les championnats enhauteur et en largeur, en même temps qu’ilsrévélaient chez le cheval des moyensjusqu’alors ignorés, ou inexploités,mettaient en vedette des spécialistes dont les prouessessurprenantes, accomplies à l’aide deprocédés égalementspéciaux, souvent justifiés par lesuccès, ne prétendaient à rien moinsqu’à révolutionnerl’équitation ancienne. En l’absence detout enseignement réglementaire, il était eneffet humain que chaque champion songeât àexpliquer la cause de ses succès etprétendît substituer sa méthode auxtrente et un paragraphes du Règlement (4) - jugésexcessifs et d’ailleurs frappésd’interdit - qui constituaient primitivement le dogme de lacavalerie. Certes, le goût des entreprises hardies, qui est la marque dela décision, de l’esprit d’initiative etdu courage, est indispensable à la vie de l’armeet ne saurait être trop encouragé ; maisl’emploi du cheval dans l’exécution deces tours de force ne résout pas le problème dela conduite du cheval. L’obstacle, quel qu’il soit,n’est qu’un incident, par suite une applicationmomentanée d’un art dont le domaine est autrementvaste et dont les principes supérieurs ne sauraient serapetisser à une conception si spéciale et siétroite de l’équitation. Sil’absence d’une méthode àl’usage de la troupe a jeté le trouble dansl’instruction, le nombre et la diversité desthéories de dressage répandues en cesdernières années parmi les officiersn’ont certainement fait qu’ajouter à laconfusion générale. Il n’est pas jusqu’àl’École de cavalerie qui n’ait vu sonenseignement contesté ou discrédité. A côté de l’enseignementsupérieur, indispensable à tout officier decavalerie, enseignement qui s’est donné et qui sedonne toujours à Saumur, il y avait jadis un enseignementprimaire, puisant sa valeur et son autorité aux sources lesplus pures et dont le but était d’apprendre auxjeunes officiers leur métier d’instructeur. Cetenseignement avait été donné de touttemps à l’École par toutes ses forcesréunies. Tandis que l’écuyers’occupait exclusivement au manège, àl’extérieur et au dressage, del’enseignement de l’équitation fine ethardie spéciale aux officiers, l’instructeurmilitaire, en même temps capitaine commandant, exploitait,pour l’instruction rapide des recrues, pour le dressage deschevaux de l’escadron, les connaissances et les aptitudescavalières de ses élèves.Séparés seulement par une intelligenteapplication de la division du travail, ces deux instructeurs secomplétaient merveilleusement et ce fut longtempsl’honneur de l’enseignement de Saumur que de lesvoir, travaillant à des heures différentes, sansaucune entente préalable, partant des mêmesprincipes, poser les mêmes conclusions, uniquement parcequ’ils avaient reçu jadis, des mêmesmaîtres, la même doctrine et la même foi. L’instruction de 1904, en vidant le trésor duRèglement, a condamné au silence absolu ceux quiétaient chargés del’interpréter et a tari, pour de longuesannées, la source même des instructeurs. L’enseignement supérieur donné auManège n’était ni outillé niarmé pour se substituer aux disparus, et pour donner, dujour au lendemain, un enseignement primaire que le Règlementparaissait d’ailleurs juger superflu. L’École de cavalerie possède unedoctrine, mais, à proprement parler, elle n’a pasde méthode d’équitation (5). Elle a unetradition très ancienne et très riche, mais riende moderne et de réglementaire,c’est-à-dire rien qui fortifie l’essenceet confirme la valeur du dogme. Ce sont les leçons de La Guérinière,du comte d’Aure, de Baucher, du généralL’Hotte ; ce sont les idées de tous ceux qui ontpensé et parlé sainement surl’équitation qui sont en honneur àl’École et professées sous lecontrôle et la responsabilité del’Écuyer en chef. On peut donc affirmer que les résultats acquis sont lesfruits d’un remarquable enseignement traditionnel, ainsi quede la conscience et du travail des écuyers ; maisc’est un enseignement oral, exposé comme telà de fausses interprétations, aux fluctuations,aux misères du byzantinisme. Or, le péril estgrand de livrer à des jeunes gens, dont l’espritn’a pas toujours la maturité voulue pours’élever jusqu’aux idéesgénérales, des formules vagues, desidées imprécises qui peuvent, sur leurslèvres, devenir une arme à deux tranchants. Saumur fait des cavaliers remarquables. Sous l’influenced’observations fréquentes, de conseilsjournaliers, l’écuyer imprime àl’élève sa propre valeur, sonhabileté, son tact ; mais au lieu de procéder parsynthèse, de poser les principes, puis d’en fairejaillir les conséquences, son enseignement estdemeuré longtemps l’énoncéininterrompu de recettes et de procédés ; uneréponse à d’innombrables cas deconscience plutôt qu’un large exposé deprincipes clairs, précis et transportables. Or, le jeuneofficier livré à lui-même, sansdocuments, ne se souvient pas, et reste incapable de reconstituer, parl’analyse, les méthodes-employées parson maître ; de remonter des effets aux causes ; dedémêler au milieu des exercices, des conseils etdes affirmations de chaque jour, l’idée initialeet génératrice. Voilà pourquoi ilreste souvent un instructeur médiocre, alors mêmequ’il est un cavalier hors ligne. Il paraît donc indispensable, si l’on veut obtenirde la cavalerie un meilleur rendement, de faire cesser au plustôt cet état d’incertitude en luidonnant une règle sans laquelle le travail le plusconsciencieux demeure sans résultat. Tel est le but du Manuel d’Équitation et deDressage qui va être donné à lacavalerie. * * * Trois grands principes ont présidé àl’élaboration de ce Manuel : Le premier principe affirme que si le cheval n’est pas tout dans la cavalerie, par contre tout n’est rien sans lecheval. Quelles que soient, en effet, la valeur du chef et l’audacede sa décision, si l’agentd’exécution n’est pas le serviteurintelligent et rapide de sa pensée, il n’y a riende fait. Aussi bien que le coeur, la tête et chaque bras ducavalier doivent être trempés pour la lutte etpréparés aux missions les pluspérilleuses. Le sort d’une bataille peutdépendre d’un ordre bien ou mal transmis,d’un renseignement parvenu ou perdu : autant dire de lamaladresse ou de l’audace d’un simple cavalier. Le succès d’une charge tient autant au calme età l’ordonnance d’une marched’approche, qu’à la bravoure età l’habileté du chef de peloton.C’est donc à vulgariserl’équitation, à la fairepénétrer dans la masse, à donnerà la troupe le goût du cheval et la connaissancede son emploi, que doivent tendre, avant tout, les méthodesd’instruction et les efforts des officiers. Le deuxième principe est que, plus la durée duservice est restreinte, plus il est indispensable de donner aux hommesune monture facile et obéissante. Or, la meilleure manière de dresser un cheval - etpeut-être la seule, - c’est de bien monterà cheval. C’est à tort qu’oncroit pouvoir trouver dans une progression les recettes infaillibles del’obéissance. C’est uniquement parl’à-propos et la justesse de ses aides quel’homme soumet le cheval à sa volonté. Loin de réduire le rôle del’équitation, la loi de deux ans n’adonc fait qu’en rendre la nécessitéplus impérieuse. Le troisième principe affirme que l’instructionéquestre, qu’elle s’adresse àl’homme ou au cheval doit demeurer, pour êtreféconde, méthodique et respectueuse des loisnaturelles et qu’elle exige par conséquent dutemps et des maîtres. Le temps. - L’équitation est, en effet, un toutcomplet et intangible. Elle constitue un corps de doctrine quipossède de nombreuses branches que l’on ne peutnégliger ou sacrifier impunément. Étudier les ressources qu’offrent les aides ; segymnastiquer pour discipliner ses réflexes (6) ; puis,à l’aide de cette connaissance et de cettemaîtrise de ses forces, faire comprendre au cheval parpuissance, ou par diplomatie, les mouvements, les directions, lesattitudes qu’on veut lui faire prendre,c’est-à-dire le dresser ; enfin, le manier, legouverner définitivement, c’est-à-direfaire du cheval le serviteur de toutes nos volontés dans sonemploi à la guerre, telles sont les trois groupesd’opérations à exécuterà l’aide du seul langage des rênes etdes jambes. Problème plus facile à énoncerqu’à résoudre ! Le paysan est rarement cavalier de naissance ; les travaux de force luisont habituels ; il est souvent épais, gauche,contracté, brutal dans ses mains, inhabile de ses jambes ;il n’est pas maître de ses aides ; ses actions sontcontraires, violentes, incertaines. Le cheval, de son côté, est un êtrevivant avec ses forces physiques et morales ; il a des muscles, unsystème nerveux, osseux, cérébral,sanguin ; il a son intelligence, sa volonté, sesrévoltes ; le tout soumis à undéveloppement que régissent les lois de lanature, elles-mêmes sujettes à des variations età des contradictions dont les causes et le sens nouséchappent le plus souvent. Il y a donc ici deux êtres vivants en présence, etl’équitation n’est autre chose,précisément, que la rencontre,l’entente plus ou moins rapide, plus ou moins parfaite, deces deux forces physiques, de ces deux volontés, qui,parties de très loin, marchent l’une au-devant del’autre sans se connaître et sans se comprendreencore. Il n’est donc pas de lois humaines, pas de forceries animalesqui puissent hâter l’éclosion desrésultats rationnellement gradués. Le temps desclasses, le temps nécessaire au dressage sont despériodes qui doivent être respectées,sous peine d’un double et criminel avortement. Les maîtres. - Les aptitudes physiques et lesqualités morales jouent un rôle siprépondérant en équitation,qu’on ne saurait nier que celle-ci ne soit un artvéritable. Mais cet art, comme tous les autres,possède une ossature scientifique puisque la psychologie,l’étude des facultés intellectuelles ducheval et les lois de la mécanique animale en forment lesassises. La pratique et le savoir sont donc égalementnécessaires, mais un enseignement méthodique peutseul les mettre en valeur. Une doctrine sans maître estvouée d’avance à lastérilité. Quelle que soit la qualité de la méthode, il estdonc indispensable que l’officier soit non seulement unexécutant excellent, mais encore qu’il soit un instructeur, c’est-à-dire qu’ilpossède du bon sens, l’esprit deméthode, la passion de son métier, et enfinbeaucoup de science, car on n’est jamais en étatd’exposer des principes si on ne les possèdesoi-même à fond (7). Telles sont les considérations d’ordregénéral qui ont présidéà l’élaboration de ce travail. * * * Quant à la partie technique, il n’a pas paru - aumoins dans les grandes lignes - qu’il y eût lieud’innover. L’équitation n’est pas néed’aujourd’hui, et ceux qui en étudientl’histoire constatent chaque jour que ce que l’oncroit être des inventions nouvelles n’est que desreprises ou des redites. La longue série de cavalierscélèbres qui, depuis de La Brouejusqu’à nos jours, ont illustré lacavalerie française, les succèséclatants que ne cessent de remporter, chaqueannée, nos cavaliers, dans toutes leurs entreprises, sont lapreuve de la haute valeur d’un enseignement devant lequels’inclinent toutes les cavaleriesétrangères. La Commission a donc cru ne pouvoir mieux faire qu’en puisantchez les maîtres de l’Écolefrançaise la substance de sa doctrine. Ce sont les conseils de Pluvinel, de LaGuérinière, du comte d’Aure, deBaucher, des généraux de Bellegarde. Faverot deKerbrech, de Benoist, L’Hotte, de Beauchesne ;c’est la théorie toute moderne du Dr Le Bon surles lois de l’association ; celle du Dr Lagrange sur laphysiologie des exercices du corps ; ce sont les principestraditionnels enseignés par le corps des Écuyersde Saumur et par ses plus brillants élèves, donton retrouvera le développement dans le Manuel (8). Tout en respectant les règles fondamentales del’équitation classique, on s’estefforcé d’en éliminer tout ce qui nes’adaptait plus aux conditions nouvelles del’emploi du cheval et de la guerre moderne,d’écarter toutes les subtilités, et derester dans le domaine de la pratique la plus large et la plus simple. Ce travail comprend trois grandes divisions, qui correspondent auxtrois grands buts de l’équitationénumérés plus haut :Éducation du cavalier - Éducation du poulain -Emploi du cheval dressé. La première partie, qu’on peut appelerl’équitation subjective, traite del’instruction de l’homme aux diversdegrés de la hiérarchie. La nécessité de simplifierl’éducation de la recrue pour hâter sonentrée dans le rang, et l’obligation de poussertrès loin le dressage du cheval, ont amené laCommission à modifier les anciens errements, afin deconcilier des intérêts opposés. L’instruction équestre, tout en restant une dansses principes, comporte dorénavant des nuancestrès marquées, suivant qu’elles’adresse au cavalier de rang, au gradé et aucavalier rengagé appelés à prendrepart au dressage, ou à l’officierchargé de professer. Ces enseignements prennent le nomd’équitation élémentaire -secondaire - ou supérieure, suivant lescatégories auxquelles elles s’adressent. Afin d’alléger le Manuel, il n’a pas crunécessaire de remettre dans le Chapitre Ier,consacré à l’équitationélémentaire, les leçonsdestinées à l’instruction des recruesqui font l’objet des Titres I et II du Règlementd’exercices, mais on a tenu à y faire figurer lesdirectives qui doivent inspirer l’instructeur dans la marchede son enseignement journalier. L’équitation secondaire traite tout ce quiintéresse la conduite du cheval. Elle comportel’étude détaillée des aidesnaturelles, ainsi qu’une brève nomenclature desaides artificielles. Ce chapitre a été rédigéd’après les principes de l’ancienneÉcole de Versailles, transmis àl’École de Cavalerie par le comte d’Aure; il constitue en quelque sorte l’arsenal des forces misesà la disposition du cavalier, destinéesà lui permettre de vaincre ou de tourner lesdifficultés usuelles que fait naîtrel’emploi du cheval (9). Le chapitre consacré àl’équitation supérieure ne donne,à dessein, qu’un aperçugénéral de son but et de ses moyensd’action. Les difficultés auxquelles elles’adresse, s’opposent à toutecodification, et la note d’art qui en est la maque heureuse,ne peut se mettre en formule. La richesse de la traditionfrançaise, dont Saumur reste le conservatoireautorisé, et la réputation universelle de sonenseignement, sont d’ailleurs des garanties plus quesuffisantes de sa valeur. La seconde partie traite de l’équitationobjective, c’est-à-dire del’éducation du cheval. Elle comprendelle-même deux subdivisions où sontexposés les procédés les meilleurspour acclimater et débourrer le poulain, ainsi que lesrègles qui président à son dressage.Elle étudie la constitution mentale du cheval, les loispsychologiques qui peuvent servir àl’établissement d’un langageéquestre indispensable entre le cavalier et le cheval ; elledétermine enfin les exercices gymnastiques qui permettentpar la suite au cheval, de répondre aux exigences del’homme. Un tableau synoptique détaillé rappelle lesdiverses phases de cette éducation et les exigences quicorrespondent généralement à chacunede ces périodes. Il ne figure d’ailleurs qu’à titre desimple indication et doit êtreconsidéré uniquement comme un type de dressageprogressif et rationnel. Enfin, la troisième partie suppose l’homme et lecheval instruits et donne au cavalier les règles del’équitation courante, et les principes admis dansl’armée pour l’emploi du chevalà l’extérieur. Telle est, rapidement exposée, la philosophie de ce Manuel. Les développements qu’il comporte sont tropsuccincts pour avoir la prétention de donner la solution detous les problèmes, si nombreux et si délicats,que révèle seule au cavalier la longue pratiquedu cheval. Son but plus modeste - mais suffisant pour l’heure- est de remettre de l’ordre dans les idéeséquestres actuelles, de faciliter les recherches desinstructeurs en leur rappelant les vérités et leslois traditionnelles qui ont servi de règles aux grandscavaliers, anciens ou modernes, dont s’honore la cavaleriefrançaise. Tel qu’il est néanmoins, son cadre reste assezprécis pour guider les chefs de corps responsables dansleurs exigences, et les officiers dans leur travail. Il est enmême temps suffisamment large, - et c’estlà un point essentiel, gage du progrès, - pourpermettre à toutes les initiatives de se manifester età tous les talents de se développer. Il reste entendu que la pratique est, plus que jamais, le grandmaître en équitation. Seule, elle donne au chevalcette condition et par suite cette attention qui est la base de sasoumission ; au cavalier, l’aisance et, par suite, lamaîtrise de soi, sans laquelle il n’y pasd’habileté. Seule, elle permetd’atteindre, après mille difficultésvaincues, à un point assez élevé,d’où, pourtant, le véritable homme decheval apercevra moins la route parcourue que le sentier qui lui resteà gravir encore, s’il veut s’acheminervers les sommets de l’art. Saumur, 1911. NOTES : (1) Je tiens cette affirmation du généralL’Hotte lui-même, et legénéral Donop, secrétaire de laCommission de 1882, me l’a souventconfirmée. (2) Comme si un « détail » pouvaitêtre indispensable et un « principe »simplement utile. (3)Le général du Brack ne put obtenir alors lanomination du comte d’Aurecomme écuyer en chef, mais il l’invita deux foisà venir à Saumur et lereçut avec les plus grands égards. (4) Sur 638 que contenait le Règlement de 1876. (5)Une doctrine est un ensemble de principes établis parl’expérience etjustifiés par le raisonnement. Une méthode unitaux principes lesprocédés d’exécution etrègle l’ordre de leur emploi. Siprofondémentvrais que soient les principes exposés par LaGuérinière et d’Aure, ilsne peuvent plus constituer une méthode parce que, avec letemps, lesprocédés qu’ils indiquent ne sont plustoujours exacts. (6) On nomme réflexes les réactions nerveuses inconscientesou involontaires quirésultent chez l’homme d’une impressionextérieure. (7) « A tous lesdons de l’homme de cheval, l’instructeur doitajouter une endurance àtoute épreuve, del’élévation et de la fermetédans le caractère, etrester toujours un exemple de correction, de tenue etd’exactitude, Saparole, mise au service d’un réel savoir, esttoujours mesurée, et toutécart de langage sévèrement banni : unhomme qui n’est pas maître desoi n’est pas digne de commander àd’autres hommes. L’instructeurdoit être bienveillant pour engendrer la confiance, fermepour exigerce qu’il faut obtenir, prudent pour éviter lesaccidents, audacieuxpour faire de l’audace une habitude, patient pour parerà la lenteurdes progrès, opiniâtre pour dominer lesévènements. Suivant lescirconstances de temps et de lieux, il établit dans sontravail uneprogression logique, conforme aux préceptes desrèglements ; assure lasuccession régulière des étapesqu’il a choisies et tient éveilléel’attention des cavaliers par lavariété d’un enseignement auquelchaque jour apporte un élément nouveau etprévu. Son bon sens luimarque les limites dans lesquelles il est sage de maintenirl’instruction et aide au choix desprocédés simples et féconds. Lesexplications qu’il donne à cheval sontréduites au strict nécessaire,formulées avec précision et prononcéesde telle sorte, et en telleplace, que chaque cavalier les entende. Il n’en donne jamaispendantles allures vives. Par contre, il ne laisse passer sans les relever,aucuns des défauts individuels ayant trait à la position ou à la conduite du cheval ; ce n’est que parl’incessante critique des mêmeserreurs que l’on parvient à corriger la nature. En résumé, l’instructeur doitdécomposer chacune des difficultés en autant departies qu’il est nécessaire pour les surmonter. Conduire méthodiquement son travail en sériantses exigences. Se rappeler que le progrès n’est pas laconséquence du mouvement, mais de la manièredont le mouvement est exécuté. L’ensemblede ces prescriptions constitue l’esprit deméthode. L’esprit deméthode est le squelette de l’instruction, iln’en est pas l’âme. L’instructeurdoit, dans la fertilité de son esprit et l’amourde son métier, trouverles idées à introduire, les paroles àemployer pour frapperl’imagination, amuser, persuader, entraîner. Une bonne instructionest menée avec gaîté et entrain ; labonne humeur des cavaliers, lafranchise de leur regard, leur zèle intelligent,l’attrait qu’ilsmarquent pour le cheval, sont le témoignage de leurconfiance et legage de la rapidité de leurs progrès. Encore plus haut, planantau-dessus de toutes ces vertus que doit posséderl’instructeur, il enest une qui prime toutes les autres et doit illuminer son enseignement: c’est la foi qu’il a dans son rôle. Transformer une classe derecrues en une troupe de cavaliers et mordants ; façonnerleur cerveau,faire naître en eux l’esprit du devoir,d’abnégation, de sacrifice,c’est-à-dire l’esprit militaire,c’est bien là une mission digne decaptiver toutes les forces et toutes les ardeurs d’uneâme de chef. »(Cours d’équitation professé auxécuyers de l’École de cavalerie,Saumur, 1911). (8) Le Manuel contient en particulier de nombreusespages empruntées au remarquable coursd’équitation professé par lecommandant Détroyat alors qu’il étaitcapitaine Écuyer de l’École decavalerie. (9) Il est probable que le chapitre des Rênes susciterade vives polémiques parmi les hommes de cheval. Avantd’entamer toutediscussion il y aura lieu de lire attentivement, dans le Coursd’équitation du comte D’AURE :quatrième leçon, chapitre V, lesparagraphes intitulés : Des aides de la main ; Applicationspratiquesrelatives à l’action du mors ; Accord des deuxrênes ; De l’action dela main sur l’arrière-main (pages 116 à131). On ne doit pas oubliernon plus qu’adopté officiellement pardécision du ministre de la Guerreen date du 9 avril 1853 le cours du comte d’Aure est toujoursréglementaire puisque aucune autre décisionn’en a encore abrogél’usage. |