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BIZARD, Dr Léon(1872-1942) et CHAPON, Jane(18..-19..) : La Prison deSaint-Lazare sous la Révolution(1935). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (28.IV.2016) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx: 6671-173) du numéro 173 (Novembre 1935) des Œuvres Libres,recueil littérairemensuel publié par Arthème Fayard à Paris. La Prison de Saint-Lazare sous la Révolution (1) Variété inédite par LE Dr LÉON BIZARD ET JANE CHAPON ~*~ CHAPITRE I LE PILLAGE DE SAINT-LAZARE LE 13 JUILLET 1789. On était en juillet 1789. L’antique et célèbre enclos de la léproserie de Saint-Ladre-lez-Paris –devenue au XVIIe siècle le chef-lieu des Prêtres de la Mission, centreoù convergeaient toutes les belles œuvres charitables fondées par saintVincent de Paul – continuait la même existence claustrale de chaquejour où les mêmes heures rappelaient les mêmes devoirs, les mêmesobservances. Cette apparente tranquillité n’empêchait nullement les bruits de lacour et de la ville de franchir les épaisses murailles du couvent deSaint-Lazare et de venir troubler dans leurs exercices les Pères qui,retirés du monde, n’avaient voulu jusqu’ici rien connaître hors duservice de Dieu. Ils ne pouvaient ignorer cependant l’intense bouillonnement des idées –conséquence inévitable de cette philosophie si caractéristique duXVIIIe dont Fontenelle et Condillac avaient semé les germes à la foisabstractifs, sensoriels, métaphysiques, politiques et philosophiques –qui allaient bouleverser un peuple et le monde. Montesquieu avec son Esprit des lois avait déjà, dans un raccourci substantiel, emprunté àl’un la justesse des idées générales, à l’autre ses applicationsparticulières, d’où la naissance d’un grand nombre delégislateurs-philosophes avec chacun leur doctrine du bonheur ayantcomme base la liberté, le libre arbitre dans la décision, l’égalité desbiens, la fraternité humanitaire, tout le fonds du systèmerévolutionnaire que devaient bientôt renforcer l’athéisme d’un Diderot,le sentimentalisme d’un J.-J. Rousseau et les attaques moqueuses d’unVoltaire contre le catholicisme. Il y avait deux mois que s’était effectuée l’ouverture des ÉtatsGénéraux et que s’était fait entendre la voix du sévère mais justeMonseigneur de Beauvais, évêque de Senez, prédicateur du roi en sonpalais de Versailles et des « célèbres » retraites du couvent deSaint-Lazare. Avec sa noble et belle franchise, M. de Senez, avaitprononcé, en les martelant, ces dures paroles : « … SIRE, mon devoirde ministre d’un Dieu de vérité m’ordonne de vous dire que vos peuplessont malheureux, que vous en êtes la cause et qu’on vous le laisseignorer !... » et plus loin il ajoutait ces mémorables paroles… « L’amour d’un peuple est un sentiment libre qui n’est dû qu’auxbienfaits et à la vertu… Alors quand le prince paraît en public, s’iln’entend plus les acclamations de ses sujets, c’est que LE SILENCE DECE PEUPLE EST LA VIVANTE LEÇON DES ROIS… » Dès lors nombre de libelles circulèrent et la censure les laissaitpasser impuissante. Elles émanaient, disait-on, d’un membre de Club dela Bouche de Fer installé alors dans le cirque construit surl’emplacement du bassin central actuel du jardin du Palais-Royal. C’estde ce club que partaient les mots d’ordre, les affiches, les écritssatiriques qui poussaient les citoyens à l’affirmation de leurs droits– sinon de leurs devoirs – et l’appel à la désobéissance. Il se murmurait que le prince d’Orléans – le futur « Egalité » –n’était pas étranger à ces controverses, à ces appels au désordre. Pourconquérir la popularité à tout prix il mettait avec ostentation lesjardins de son palais à la disposition du peuple mécontent, en laissaitnuit et jour les grilles ouvertes, les Gardes Françaises qui avaientdéserté leur caserne y trouvaient un inviolable asile sous les galeriesaux 180 arcades ; ils y coudoyaient les badauds en quête de nouvelleset des agitateurs prompts à profiter des moindres événements pourassurer leur ambition politique. Quatre-vingt-neuf ! ironisait le journaliste d’Harleville, doit être l’« ère du cercle social !... Qu’est-ce que le cercle social ? C’est lesceau des lois de la nature : amour ! égalité !... C’est l’année etl’anneau de la fraternité toujours entière !... toujours pure ! Pointde commencement… ni fin !... Éternité !... » Hélas ! les événements allaient se charger de donner aux hommes quivécurent pendant les années qui suivirent le plus sanglant des démentis. ~~~~~~~~~ En ce bel et chaud après-midi du dimanche 13 juillet si serein et sipareil à d’autres dimanches, les Révérends Pères Lazaristes, quivenaient de chanter vêpres, priaient encore et se signaient sur leseuil de leur belle église gothique. En attendant que la sonnerie de la cloche d’argent les réunît dans leurréfectoire, au lieu de se disperser dans le vaste Enclos, ils sedirigèrent vers le Belvédère (2) formant terrasse, d’où l’on pouvaitadmirer le vaste panorama de Paris. Une grande inquiétude se lisait sur leurs visages. La veille – après lanouvelle de l’exil du ministre Necker – la foule s’était ruée chez lesarmuriers, pillant leurs boutiques, puis, forçant l’hôtel desInvalides, s’était emparée de toutes les armes du musée. Un Père, qui venait de rentrer après un prône à Saint-Eustache,racontait avec émotion que de violentes harangues avaient étéprononcées le matin même dans les jardins du Palais-Royal par un hommetrès jeune encore, du nom de Camille Desmoulins. Un ouvrier boulanger,poète à ses heures, lui avait donné la réplique en déclamant que : … Quel quesoit le berceau d’un Empire La majesté d’unpeuple y fait celle des rois… Ces diatribes enflammées avivaient la surexcitation du peuple quimenaçait dans sa colère de se répandre sur tous les points de lacapitale. Paris bouillonnait tel un volcan qui va entrer en éruption. Soudain les religieux s’arrêtèrent comme figés dans un silenceémouvant. Au loin le tocsin résonnait d’église en église. On entendait,haché par le vent, son tintement sinistre. Bientôt des roulements detambour se répercutèrent dans le calme de la campagne, devenant deminute en minute plus distincts, pendant que des bruits prolongés, deschants hurlés par des voix rauques et avinées, accompagnaient le sourdpiétinement d’une nombreuse troupe en marche : Ça ira, ça ira, les Lazaristes à la lanterne ! Dansons la capucine, Ya pas de pain chez nous, Yen a chez eux, Ce qu’on n’donnera pas, on le prendra !... Ah ! ça ira, ça ira, les Lazaristes à la lanterne!... Cependant la nuit tombait et ce fut à la lueur des torches que lesénergumènes se présentèrent devant le couvent Saint-Lazare (3). Ils somment le Père portier de leur ouvrir immédiatement et, cet ordren’étant pas exécuté assez vite à leur gré, ils enfoncent les lourdsvantaux de chêne. Le procureur de la maison, voulant essayer de parlementer, leur offretout l’argent dont il peut disposer s’ils consentent à se retirer : - Nous voulons entrer, répondent-ils, nous aurons votre argent et lereste… Et la horde, grossie sans cesse de ces individus avides de crimes et derapines qu’on retrouve dans tous les mouvements populaires, commandéepar un chef que distingue une tresse noire portée en brassard, se fitconduire au réfectoire. Les Pères leur distribuent à boire et à manger en abondance, espérantainsi s’en débarrasser, mais l’ivresse ne fait qu’exalter leur fureur.Les Lazaristes débordés ne peuvent opposer aucune résistance. Seulel’église est respectée. Le Père qui avait mission de ne laisserpénétrer personne sut trouver les mots capables d’imposer la crainte àcette foule superstitieuse. Alors le pillage du couvent commença. Les bandes exaltées se ruèrent, brisant et pillant « pour le plaisir… »Aussitôt, presque en même temps, les vitres des mille cinq centscroisées, les mille portes fermant les dortoirs et les chambres volenten éclats ! Meubles, vaisselle, argenterie, tableaux, reliques de SaintVincent, livres, vêtements, matelas, bois de lit, paillasses mêmes,sont lancés à la volée par les fenêtres. Puis une sorte de dévastationméthodique s’accomplit ; pour rendre la maison encore plus inhabitable,ils dégradent tous les lambris, écornent jusqu’aux angles et cordonsdes murs ; les poutres des galetas et greniers sont frappées à coups demaillets et les ardoises des toitures jetées dans les cours. Pénétrant dans l’enclos, ces forcenés détruisent la boulangerie,rendent les moulins à vent inutilisables, en brisent les ailes, puisfinalement y jettent des torches enflammées pour les incendier. Mis en goût par ces exploits, ils allument des feux de joie en troisendroits différents : devant la porte de la « maison du roy », au seuilde la porte charretière des fermes et des écuries, et au milieu duverger. Pour entretenir ces feux, ils entassent tout ce qui tombe sous leursmains : documents d’archives, livres précieux, meubles, toilesinestimables. Toutes les avenues étant restées ouvertes, une populace innombrablevient encore grossir le nombre de ce troupeau déchaîné, puis unefarandole démoniaque s’organise, que précède le squelette du cabinetd’histoire naturelle du séminaire porté en guise de fanion, ethurlante, furieuse, la foule parcourt toutes les allées du parc,saccageant le clos, la ferme, les basses-cours, foulant lesensemencements de luzerne, d’avoine, d’orge et de blé, arrachant lesarbres fruitiers, les vignes, qui sont jetées dans les brasiers dontles flammes atteignent bientôt les bâtiments du couvent. Les femmes,profitant de ce qu’elles considèrent comme une aubaine, donnent lachasse aux animaux de la basse-cour qu’elles étranglent, cachent sousleurs jupes, en emplissant même les parapluies des Pères. On boit sansdiscernement le contenu de tous les flacons dénichés jusque dansl’apothicairerie, au risque de s’empoisonner. On a retrouvé, en effet,le lendemain, des cadavres en grand nombre dans les allées et parmilesquels des femmes enceintes ! De nouveaux feux sont bientôt allumés en dix endroits différents ; lesflammes lèchent les murs du couvent pour s’éteindre encore presqueaussitôt. La Providence, qui a toujours protégé la vieille maison,n’aura décidément jamais voulu qu’elle soit détruite tout à fait ! Un des misérables auteurs de cette journée tragique calligraphia, surle mur extérieur faisant face aux jardins, cette inscription qu’onpouvait lire encore dans les commencements du siècle dernier : 1789, LE 13 JUILLET, NOUS SOMMES VENUS AU PILLAGE. ~~~~~~~~~ Le pillage de Saint-Lazare est en effet le premier acte de violencequi devait inaugurer la Révolution. La prise de la Bastille, le 14juillet, ne devait en être que le second. Cependant la milice bourgeoise, commandée par le lieutenant Cadet deGassicourt, était enfin accourue. Mais, prévenue trop tard pourempêcher le désastre, elle réussit à peine à circonscrire les dégâts, àrepousser les pillards et à délivrer deux vieux prêtres que lesénergumènes avaient déjà hissés sur une carriole dans l’intention deles pendre aux plus proches lanternes ! ~~~~~~~~~ De ce désastre révolutionnaire, Saint-Lazare ne devait plus jamais serelever. Par miracle, les murs avaient échappé à l’incendie, maisl’intérieur du couvent n’est plus que ruines, à tous les étages ;chacune des soixante-dix chambres n’a plus ni portes ni fenêtres ; aurez-de-chaussée, la chaire du réfectoire, les boiseries des piliers,les vantaux de la porte avec ses beaux panneaux sculptés sontentièrement détruits ou dégradés. La galerie des tableaux renfermantles collections uniques et renommées dans le monde entier de 160portraits de papes, cardinaux et évêques, de toute la lignée des roisde France, depuis Philippe le Bel sont saccagés. Les douze toilesracontant la vie de Saint Vincent de Paul, toutes peintes par desmaîtres éminents de différentes époques, ainsi que des œuvresattribuées au Poussin, à Lebrun, à Raphael, au Dominiquin, au Carowageet au Titien, il n’est resté que des débris informes. Dans un coin ducouloir conduisant à la procure gisent les membres et le corps mutilésde la statue en marbre de l’apôtre de la charité, qui devaitprochainement être transportée au Louvre ; la tête manquait, lesiconoclastes l’avaient détachée pour la promener dans les rues et lesplaces publiques de la capitale, et, l’ayant fixée sur le fer d’unepique, elle leur servit de porte-étendard le jour de la prise de laBastille, le lendemain 14 juillet. Mais la perte irréparable, que tous les historiens regretteronttoujours, est celle des 18 gros volumes et des 150 registres contenantcopies, plans, dossiers contrats, arrêts de toute la Censive à Paris,et aux faubourgs, qui constituaient les Archives de la Seigneurie deSaint-Lazare depuis 1327 jusqu’à 1789, ainsi que la majeure partie des50 000 volumes et incunables de la bibliothèque, et la série anciennenombreuse et inestimable des faïences pharmaceutiques del’apothicairerie. ~~~~~~~~~ Après le sac, les religieux réintégrèrent en partie leur bercail,résignés à leur malheur et vivant dans la crainte justifiéed’événements plus graves encore. L’année suivante, le 18 juin 1790, lepatrimoine des Lazaristes est déclaré bien national. Au mois dedécembre de cette même année, ordre est donné de détruire les armoiriessculptées sur la façade, représentant le Christ ressuscitant Lazare, laConstituante les considérant comme séditieuses ainsi que l’emblèmefleurdelysé surmonté de la couronne royale. ~~~~~~~~~ Cependant l’année 1791 et le début du semestre 1792 s’écoulent sanstrop de graves incidents malgré les alertes et les menaces. Une note comique vint un instant distraire les Pères le jour de la fêtede la Fédération, « deuxième anniversaire du pillage » de leur maison »et dont ils gardaient en leur cœur le souvenir attristé. Toutes les corporations avaient défilé au Champ de Mars, le matin de ce14 juillet 1791, en chantant pour la circonstance leurs hymnesrespectifs. Les 2 000 forts de la Halle venaient de passer en entonnantsur l’air des Bateliers de la Grenouillère : Quel jour heureux pour nouss’prépare ! Que Paris aujourd’hui s’rabeau… lorsqu’un très vieux vétéran, député de la garnison de Metz, dit à unsoldat ci-devant garde-française : - Mais je n’entends dans la bouche d’un million de vos camarades queces stupides chansons des Halles et ce refrain équivoque : Ça ira… Çaira… Est-ce comme ça, Sacré nom d’un Saint, qu’on célèbre lesaugustes représentants de la Nation… » Aussitôt de sa voix usée, que l’âge rendait chevrotante, l’ancienvétéran des armées du roi se mit à improviser : …Dans l’heureux temps où noussommes Pour célébrer les grands hommes Il suffit de les nommer… Et sur l’air de Honni qui mal y pense, il composa cette chansonoriginale en employant exclusivement les noms propres des députés,prêtres, sénateurs, nobles, etc… les plus connus. Tous ces noms débitésd’une certain façon, avec des arrêts, des pauses formaient les plusétranges « coqs-à-l’âne ». « …Coupé, Menu : Menou, Tonnerre. Boucher : Barnave, Robespierre. ………………………………………………… Marat, Rabeau. Foi, Lafayette. Mullet, D’Aiguillon, Danton, Labeste. Mirabeau, Failly. Plas, D’Herbois, Collot. D’Orléans, Bandit, Dinocheau… etc.… » Dans les noms ainsi accouplés, il y avait une évidente intentionsatirique, ce que beaucoup d’auditeurs présents ne comprirentcertainement pas, mais les Pères Lazaristes ne se faisaient aucuneillusion. Que pouvait une satire spirituelle et moqueuse contre lesforces déchaînées, les cerveaux ambitieux que n’embarrassait nulscrupule. Cette fête de la Fédération devait avoir des conséquences innombrableset diverses à l’étranger mais surtout funestes à la France. Le révérend Père Cayla de la Garde en eut quelques échos par unemissive reçue six semaines plus tard d’un de ses amis, le comte deFuzier, voyageant à cette époque en Allemagne. Il lui communiquait parce même courrier la lettre de son ami personnel, le poète Klopstock,l’immortel auteur de la Messiade, dans laquelle le brillant narrateuravait improvisé en l’honneur de la France et de l’ère nouvelle deliberté qui semblait s’annoncer pour le monde entier ces versenthousiastes dont nous citons quelques fragments, les derniers : « Elevez vos regards, contemplez la terre attentive à vos succès…Portons-lui l’hommage de notre reconnaissance dans l’exercice de nosdevoirs… La liberté donne la force à la vertu, non la naissance, maisla seule vertu honorera désormais les mortels… Sans la dignité de l’âmenous porterions toujours les fers de l’esclavage !... » (4). Hélas ! cet horizon qui semblait s’annoncer radieux allait bientôts’assombrir. CHAPITRE II LE CHANT DE LA MARSEILLAISE DANS L’ENCLOS DE SAINT-LAZARE. Les massacres de septembre à Saint-Lazare. Dans les premières semaines d’août 1792 le révérend Père SupérieurCayla de La Garde voulut encore une fois, en compagnie de ses Pèresrestés fidèles et de quelques jeunes séminaristes, parcourir sondomaine, qu’il prévoyait devoir bientôt quitter définitivement, lui etses disciples. Ses pas le portent par une mystérieuse attirance près du faubourgPoissonnière qui borde l’enclos sur l’un de ses côtés, vers ce coincédé au roi par le couvent en 1692 pour y bâtir la caserne de laNouvelle-France. De nouveaux régiments venus des bords du Rhin y sont casernés depuispeu. On craint, en effet, des troubles dans la capitale ; d’autre part,les nouvelles sont mauvaises du côté de la frontière envahie partout àla fois par la Coalition européenne. Toute la journée presque sans répit les soldats consignés font retentirl’enclos Saint-Lazare de leurs chants de marche. Il en est un qu’ilssemblent préférer. A cette distance les paroles sont peucompréhensibles mais la musique en est nerveuse, ardente,entraînante. De jeunes voix le clament – disons le mot, le gueulent, àplein gosier, avec un enthousiasme ressemblant à celui de la colère quigronde et menace. Les Pères, interdits et silencieux, se signent. - C’est beau, dit le Père Cayla de la Garde pensif… - C’est un chant de damnés qui semble venir des enfers ; il fait peur !ajoute un Lazariste. - Non, reprend le Père Supérieur, il semble planer héroïque sous lavoûte des cieux, monter très haut, très haut jusque vers Dieu !... Ah !les voies divines sont insondables ; j’ai le pressentiment que nousallons vivre une terrible époque !... Savez-vous, mes fils, quel est cechant ? - Mon Père, répond un jeune séminariste, voyez-vous ces beaux pavillonssur votre droite au bout de l’enclos ? Ils appartiennent à M. le baronDietrich, qui y habite lorsqu’il séjourne à Paris. C’est chez lui, àStrasbourg, dont il est maire actuellement, que fut chanté pour lapremière fois par Mme Dietrich cet hymne composé par Rouget de l’Isle.Il est connu maintenant de presque tous les Parisiens qui viennentjusqu’ici écouter ses accents. « Un peu plus bas, mon Père, à gauche, distinguez-vous encore cettejolie maisonnette toute neuve qui semble se cacher derrière nos beauxarbres, se blottir presque sous nos murs ? Elle respire le calmeapaisant d’une brave maison bourgeoise et campagnarde. Eh bien,l’occupant se nomme M. Samson, bourreau de Paris. - Comment savez-vous cela, mon fils ? - Je le tiens de mon ami d’enfance Lazare Hoche, sergent caserné avecsa compagnie et celle de mon autre ami Lefebvre (5), dans les locaux dela Nouvelle-France. C’est leur régiment que vous entendez en ce moment. - Mais qu’est-ce donc que ce chant ? - C’est le chant de guerre de l’armée du Rhin en grande partie composéde Marseillais. Les Parisiens l’ont baptisé la Marseillaise. Le surlendemain c’était la journée tragique du 10 août. Une semaine plus tard, le 18, une loi nouvelle supprime toutes lescongrégations et, le jour même les scellés sont posés chez lesLazaristes par les commissaires du quartier Poissonnière. Les religieux, par un hasard providentiel, quittèrent définitivementleur couvent le 1er septembre. S’ils étaient jetés à la rue sans gîte, sans ressources, ils purent dumoins échapper aux terribles Massacres dits de Septembre. Dans Saint-Lazare comme dans son séminaire de Saint-Firmin, desarrestations en masse eurent lieu. L’enclos célèbre de Saint-Lazare futinondé de sang tout comme à l’Abbaye et aux Carmes. Mais les noms desvictimes hâtivement entassées et menées sans bruit au supplice sontrestées inconnus. On sait seulement que des haines particulièress’assouvirent alors, sans crainte de représailles, sur de pauvres ethumbles existences sans défense. - Ils ont assassiné la liberté publique ! devait s’écrier avecindignation dans un de ses poèmes sur les nuits de Septembre Nicolas deBonneville, qui faillit, sans l’intervention très opportune de quelquesamis, être une des victimes, précisément dans ce quartier deSaint-Lazare. Et parodiant la tragédie de Macbeth de Shakespeare, il lance cetteclameur farouche : - La mer, toutes les eaux, les parfums de l’Arabie ne blanchirontjamais ces mains rougies du sang de l’innocent ! Les taches nes’effacent jamais !... CHAPITRE III LA MAISON LAZARE, NOUVELLE PRISON. Saint-Lazare fut aménagé en prison le 1er septembre 1792, mais sonexistence légale comme lieu de détention n’est reconnue officiellementque le 29 nivôse an II (18 janvier 1794). Dans l’intervalle, l’enclos est morcelé, laissé à l’abandon. Unevingtaine de bœufs et des moutons viennent y paître en sécurité. Puis un nouveau morcellement eut lieu, détachant de la prison plusieursbâtiments et une partie de l’enclos. Le Saint-Lazare de laRévolution devenait ainsi à peu près identique à ce qu’il est restéaujourd’hui. D’ailleurs, pour parquer le bétail d’aristocrates, on s’avisa que lescouvents avec leurs guichets, leurs cellules, leurs préaux, leursréfectoires, se prêtaient admirablement à l’usage qu’on en voulaitfaire. ~~~~~~~~~ Saint-Lazare recevait le 28 nivôse (23 janvier) son premier détenu. Lelendemain, 49 étaient inscrits sur le registre d’écrou et, quatorzejours après, le 12 pluviôse, le nombre des prisonniers se montait à 625. Une fois franchie la porte de Saint-Lazare, il fallait dire adieu à laliberté et à la vie, car on n’en sortait guère que pour prendre lechemin du supplice ; les mises en liberté furent rares et sans laréaction thermidorienne l’échafaud eût fait maison nette !... Par lenombre de ses victimes, Saint-Lazare allait devenir un de cescimetières vivants où l’on parquait les victimes humaines avant de lesimmoler. Pendant les premières semaines, Saint-Lazare ressemble à une vastehostellerie où toutes les classes sociales sont mélangées, où règne, ilest vrai, un grand désordre. Mais on ne se plaint guère, certainsdétenus se montrent même satisfaits de leur sort, s’imaginant être làplus en sûreté que dans leurs hôtels et leurs résidences particulières.Ils ont foi dans la justice et dans la certitude que les mauvais joursne dureront pas, et que bientôt la liberté sera rendue à tous. Cesprisonniers, qui avaient conscience de n’avoir commis aucun crime etd’être restés d’honnêtes gens, fidèles il est vrai à leurs principes,croyaient avoir des raisons d’espérer si fortes, si certaines, qu’onput faire cette constatation étonnante qu’il n’y eut pas un seul détenuqui ait cherché à s’enfuir. Les premiers jours pourtant, rien n’eût étéplus facile ; aucune fenêtre n’était grillagée et les portes, assez malsurveillées, pouvaient facilement s’ouvrir devant ceux qui auraientmontré un peu d’audace et d’habileté ! Les femmes étaient à peu près aussi nombreuses que les hommes. Moinsréfléchies peut-être, plus dociles, plus fatalistes, elles semontrèrent néanmoins toujours plus courageuses que leurs compagnons etleur intrépidité ne se démentit jamais jusque dans les plus dramatiquesépreuves : « Elles ont retrempé leurs âmes dans le désordre commun etelles ont tout bravé pour donner une consolation à l’infortune. » Au premier étage, le couloir Floréal était réservé aux femmes : ceux dePrairial, Pluviose et Germinal, aux deuxième et troisième étages,étaient aménagés pour les hommes. La détention n’était pas gratuite, on payait pension. A Saint-Lazare,le terme mensuel était de 15 livres pour une chambre de trois lits.Mais, pour adoucir la captivité, il était permis de conserver certainsprécieux souvenirs et de faire entrer du dehors différents objets telsque linge, vêtements, ou encore des pinceaux, des couleurs, des métiersà tapisser. Il fut permis même d’installer dans les cellules plusieursclavecins, pianos-forte et des harpes. Les gens de même conditions’efforcèrent de se grouper, mais, quel que fût le milieu auquel ilsappartenaient, pas une fois l’urbanité, le bon ton, les belles manièresne perdirent leurs droits. Chaque matin, jusqu’à dix heures, personnene semblait se connaître ; il fallait bien faire son ménage ! Marquis,comtes et leurs nobles épouses, sans maugréer, balayaient,appropriaient leurs modestes cellules, préparaient leurs repas etlavaient leur linge dans le lavoir de la cour centrale ! Ces modestestravaux de ménage terminés, ils songeaient à faire toilette, à separer, car la coquetterie résista aux rigueurs de la captivité.L’après-midi, libres de toute tâche, les pensionnaires de Saint-Lazarese rendaient visite, recevaient, lisaient, écrivaient, causaient d’artet de poésie, chantaient en s’accompagnant de la harpe, ou exécutaientsur quelque « piano-forte » les sonates de maîtres célèbres. Dans les larges corridors, rarement fermés, régnait un perpétuelva-et-vient. Par beau temps, des parties de ballon s’organisaient sous les beauxombrages du clos… En somme, les trois premiers mois qui suivirent l’ouverture de lanouvelle prison, Saint-Lazare constitua un lieu privilégié. L’air étaitsalubre, car les bâtiments se dressaient sur une hauteur, entourés, àcette époque, de magnifiques jardins fleuris. La vue portait loin à l’horizon jusqu’aux vallonnements boisés descollines environnantes parmi lesquelles se détachaient les hauteurs dumont Valérien. Hélas ! une existence si quiète ne pouvait être de longue durée ! CHAPITRE IV LES PRISONNIERS DE SAINT-LAZARE. Les détenus étaient déjà nombreux lorsqu’un ordre de transfèrementgénéral fut donné dans toutes les prisons : 403 prisonniers avaient étédésignés pour être conduits à Saint-Lazare. Une vingtaine de suspectsvenaient de Sainte-Pélagie et 200 louches individus, brigandsdangereux, provenaient de Bicêtre. Les Bicêtriens furent amenés à Saint-Lazare, dans des conditions tellesque, fatalement, il devait en résulter une révolte, conditionessentielle que les instigateurs de cette mesure jugeaientindispensable, pour plus facilement accuser ensuite tous lesprisonniers, sans distinction. Leurs gardiens les exaspérèrent en lesjetant pêle-mêle dans le réfectoire, sans lit, sans siège, sans feu,sans nourriture. Vers la deuxième nuit, la révolte éclate. LesBicêtriens volèrent les portefeuilles des « suspects », brisèrent lachaire de lecture et ce qui restait des boiseries et y mirent le feu.Quelques-uns, perçant la voûte de la cave située au-dessous, réussirentà s’enfuir. On parvint à éteindre l’incendie et, le lendemain, le bruit d’unerévolte des aristocrates de Saint-Lazare se répandit dans Paris.C’était une duperie ; mais les gazettes à la solde de la Commune et desJacobins accréditèrent cette fausse nouvelle. ~~~~~~~~~ Parmi les suspects venant de Sainte-Pélagie étaient le poètemontpellierain, fort célèbre alors, Antoine Roucher, auteur du poèmedes Mois et le non moins célèbre « peintre des ruines », de l’Académieroyale de peinture, Hubert Robert, qui ont fourni tous deux surSaint-Lazare pendant la Terreur, et en se complétant, les plusprécieuses des documentations : la documentation écrite et ladocumentation par l’image, que viendront bientôt après commenter,expliquer avec une verve ironique fougueuse et magnifique les versimmortels écrits à Saint-Lazare même par le poète André Chénier, ami deRoucher et son collaborateur au Journal de Paris. Des détenus de famille modeste, arrêtés sans nul doute sur simpledénonciation jalouse ou haineuse vinrent encore compliquer, sansautrement l’expliquer, ce drame de la vie à Saint-Lazare pendant laTerreur. Il est vraiment poignant de suivre pas à pas leurs confidences ; duplus humble au plus grand, autant de détenus, autant de réactionsdiverses, suivant les caractères, les expériences ou les désespoirs dechacun. Cette dépression morale, tous les détenus de Saint-Lazare finiront parla subir, les plus courageux comme les autres, à mesure que les jourss’ajouteront aux jours sans amener aucune amélioration dans lesrigueurs qui se feront plus fortes et menaçantes : « Il est dur de sevoir reculer, même pour l’espérance, écrira Roucher, le terme d’unepareille captivité, mais il est impossible d’éprouver presque tous lesdix jours des alternatives de rigueur, un resserrement fiévreux et pourainsi dire intermittent de chaînes, sans savoir jamais, à la fin d’unjour, quel sera le régime de sévérité du lendemain. ~~~~~~~~~ Il est impossible de connaître la liste des 1 400 prisonniers quepouvait contenir la célèbre prison sous la Terreur, puisque deuxregistres sur trois ont été brûlés au milieu de l’irréparable désastreet des ravages commis par la Commune en 1870. Dans ces conditions, onne peut davantage être fixé sur le sort de très nombreux prisonniers,car chaque jour amenait de nouvelles incarcérations. Saint-Lazare, quijadis avait eu la visite des rois et des grands du royaume, s’acquitdès lors une gloire nouvelle par la détention en ses murs d’une partiede la vieille noblesse. Quelques-uns méritent une mention toute particulière tels les peintresLeroy et Suvée, célèbres l’un par le portrait qu’il fit de Roucher ;l’autre par celui d’André Chénier. Louis Millin de Grandmaison, archéologue et botaniste distingué,fondateur de la « Société Linéenne », qui devait devenir plus tardconservateur du cabinet des antiquités et des médailles à laBibliothèque royale, aujourd’hui notre illustre Bibliothèque nationale. Joseph Audran, directeur des Gobelins. Le fameux marquis de Sade, au caractère peut-être pas aussi monstrueuxque l’a voulu la légende accréditée jusqu’alors sur le nom du « DivinMarquis ». On sait qu’il passa treize de ses plus belles années en prison, grâce àla lettre de cachet demandée au roi par sa belle-mère, la présidente deMontreuil ; or, mis en liberté par la Révolution commençante et devenuprésident de la section des Piques à Paris, il réussit, grâce auprestige dont il disposait alors, à obtenir pour ses beaux-parents unbrevet de civisme ; ce brevet, sous la Terreur, les sauva del’échafaud. Cet oubli des injures milite en sa faveur ; il n’en fut pasmoins incarcéré pour un temps à Saint-Lazare. Charles Chabroud, juge de Cassation, ami et confident de Roucher, dontil avait reçu le surnom de Wiseman (homme sage) et grand ami égalementde Guyot-Desherbiers, arrière-grand-père d’Alfred de Musset, quifaillit à son tour être arrêté et conduit à Saint-Lazare pour avoircaché Roucher, son locataire et ami, qui habitait avec lui la maison du24 de la rue des Noyers depuis 1787, maison (6) qui vit naître songénial petit-fils. Moynat, défenseur officieux, co-chambriste de Roucher et Chabroud. Hubert Valtier, adjudicataire des travaux de Saint-Lazare, qu’onenferma pour n’avoir pas à le payer. Puis ce sont les comtesses de Treilh de Pardailhan, Mmes de Maillé,d’Arlancourt, Mme Maillet, dénommée par Roucher, dans ses lettres, «l’aiguille pinceau », tant elle excellait dans la broderie ; la baronnede Soyecourt, les comtesses de Flavigny, d’Hennisdal, de Meursin, lamusicienne et comtesse de Glatigny, l’actrice, Mme Dervieux,ex-danseuse, bonne et spirituelle autant que belle. L’abbesse de Montmartre, Louise de Laval de Montmorency. La ravissante Duchesse de Beauvilliers de Saint-Aignan, que chanta plustard avec une grâce délicate et triste Alfred de Vigny, dans Stella. La marquise de Talleyrand de Périgord. La marquise de Giambone, avec sa femme de chambre accusée de complicité. Mlle de Coigny, ex-duchesse de Fleury… Quelques nobles bientôt rejoignirent leurs femmes : Les deux de Saint-Aignan, Jean de Flavigny, les marquis de Giambone etde Vergennes père et fils, les comtes de Castel, de Monirie, Gratien deMontalembert, de Bourfeuille, les marquis d’Usson, de Rohan, du Rourte,de Montrond et les deux Loizerolle père et fils, le citoyen Guinguenz,les deux frères Trudaine, le comte d’Estaing, et le malchanceux baronde Trenck. Le comte de Bar, officier de la Marine royale. Des prêtres vinrent renforcer ce troupeau résigné : François de Maillé,Jean de Laboulbène de Montesquiou, grand vicaire d’Aix. François Gigot de Boibernier, chanoine de Sens. Louis Axy, ancien vicaire perpétuel de Saint-Martin-des-Champs. Pierre Hébert, curé de Courbevoie, et le Bénédictin Malitourne ancienprocureur-général de la riche Congrégation de Saint-Maur qui – trèspauvre et sans ressources, obligé à soixante-dix-huit ans d’aller deson pas de vieillard chercher et recevoir sa mauvaise subsistance de la Marmite nationale de Saint-Lazare, horrible et innommable pâtée – futdélicatement secouru par la citoyenne Dervieux, aidée de tous lesprisonniers de la maison. Il n’y avait pas que des nobles et des ci-devant prêtres à Saint-Lazaremais aussi de pauvres diables coupables seulement de tiédeur envers lesidées nouvelles ou simplement victimes d’une odieuse dénonciation, cequi était d’ailleurs presque monnaie courante à cette époque de laTerreur. En voici deux exemples typiques relevés sur le registre d’écrou de laMaison Lazare. Bergeron, marchand de peaux de lapin, chiffonnier de son état,domicilié rue de la Vieille-Monnaie n° 5 (section des Lombards), envoyéà Saint-Lazare. Motif : « N’ayant rien fait pour la Révolution ; trèségoïste, blâmant les sans-culottes de ce qu’ils abandonnent leur étatpour ne s’occuper que de la chose publique. » François Pontier (section des Gardes françaises) envoyé à Saint-Lazare.Motif : Dénoncé d’avoir passé un faux assignat de 100 livres, mais pardiverses perquisitions le Comité a appris qu’il n’était ni le compliceni le fabricateur de ce faux assignat, par contre on trouva chez luides tasses à café à l’effigie du dernier Tyran et de son agent Necker ;il les avait retirées des mains d’une Citoyenne qui voulait les casser.Il était porteur aussi de divers papiers manuscrits, formes deprophéties, propres à entretenir un fanatisme contre-révolutionnaire,avec un chapelet d’une forme extraordinaire. Mais les belles figures qui suffirent à jamais à immortaliserSaint-Lazare sont entre toutes : « Le poète Roucher « l’Ovide français » avec ses admirables lettreséchangées entre lui et sa fille dont il faisait l’éducation, associantainsi à sa vie de prisonnier douloureux les charmants visages de sesdeux enfants : Eulalie, dénommée Mlle Minette en souvenir de MmeHelvétius, et le petit Emile, le plus petit suspect de Saint-Lazare »; André Chénier, notre plus grand poète élégiaque, dont l’amour méconnupour la Jeune Captive Mlle de Coigny, duchesse de Fleury, rendra àjamais célèbre celle qui lui préféra pendant leur commune détention lebeau ténébreux comte de Montrond, cet ami de Talleyrand, son émule encynisme : - Savez-vous pourquoi j’aime tant Montrond ? dira plus tard au soir desa vie l’ex-évêque d’Autun. C’est qu’il n’est pas infiniment scrupuleux. Et Montrond de répliquer : - Savez-vous pourquoi j’aime tant Talleyrand ? C’est qu’il n’est passcrupuleux du tout. CHAPITRE V ARRESTATION D’ANDRÉ CHÉNIER. Il était environ neuf heures du soir, le greffier-concierge Naudet,suivi de son porte-clefs Leduc, venait de terminer sa ronde et deverrouiller solidement la porte de la « Maison Lazare », lorsque leheurtoir du guichet, agité par une main impatiente, fit résonner leséchos « des longs corridors sombres ». Quelque peu inquiet, car, en cesjours troubles, bien souvent chaque heure nouvelle égrène sa menace, leconcierge s’empressa d’ouvrir au visiteur inconnu. Sur le seuil éclairé par la flamme vacillante de la torchère, il vit seprofiler en avant d’un groupe de soldats et du commissaire unesilhouette « athlétique dont la taille, sans être trop haute, étaitbien prise dans une redingote grise » ; la tête forte se dressaitmagnifique, inoubliable, avec son teint basané aux traits accusés ; sonfront vaste et largement découvert sur des cheveux châtains frisant surla nuque ; le nez assez fort faisait paraître les yeux plus petitsqu’ils n’étaient en réalité. Le regard, d’un gris bleu métallique,fulgurait, en cet instant, de courroux, d’ironie et d’une sorte dedédain méprisant qu’accentuait encore la légère proéminence d’unebouche noble et sinueuse. - Citoyen portier, je t’amène un suspect : as-tu encore de la placepour le loger ? « Le Comité de surveillance de Passy m’avait donné ordre de conduire ceci-devant à la prison de Luxembourg ; ton confrère et celui de Bicêtreont refusé de le prendre, leur maison est pleine, ils m’adressent à toi. - A la maison Lazare il y a toujours de la place, citoyen-commissaire,l’horloge à Sanson y pourvoit. As-tu l’ordre formel de la mise enécrou ? - Non, l’ordre d’arrêt préventif seulement et que voici, ainsi quel’interrogatoire de la section des piques de Passy… - Donne… Lentement, avec beaucoup de difficulté, Naudet, non sans peine, parvintà déchiffrer la feuille qu’on lui tendait, et quand il eut fini : - C’est bien ; je reçois ce, jourd’hui 19 ventôse et sous ton entièreresponsabilité, le prisonnier que tu m’amènes et je l’inscrisprovisoirement sur le registre d’écrou au n° 787 ; lorsque la formalitéobligatoire sera légalisée et officielle, on lui donnera son numérodéfinitif » (Arch. Nat.). - Ton nom, citoyen ? Avec un haussement d’épaules, le nouveau venu répondit : - Tu le connais, il est inscrit en toutes lettres sur ce chiffon depapier : - Pourquoi as-tu refusé de le signer ? - Confierais-tu ton blanc-seing à un greffier ignare et imbécile ?... - C’est bien, citoyen, suis-moi ; je vais te conduire en ta cellule. Et Naudet ayant refermé les lourds vantaux de la porte d’entrée, aprèsla sortie du commissaire et des soldats, quitta la loge du greffe et,suivi de son porte-clefs, pénétra avec son nouveau pensionnaire dansles couloirs endormis et déserts de la prison de Saint-Lazare. Cela se passait le 19 ventôse de l’an II de la République. Leprisonnier qui venait de franchir pour la première fois le seuil de lacélèbre prison et ne devait la quitter que pour gravir les degrés del’échafaud se nommait : André Chénier. ~~~~~~~~~ Beaucoup d’interrogatoires de prévenus sous la Révolution ainsi quedeux registres d’écrou sur trois ayant été brûlés pendant la Commune,en 1871, lors de l’incendie des archives de l’Hôtel de Ville, seull’interrogatoire de Chénier nous a été conservé grâce à la copie deSainte-Beuve dans ses Lundis. Nous concevons sans peine aujourd’hui la difficulté du concierge Naudetessayant de comprendre le sens de ce texte stupide et inepte, bourré defautes d’orthographe, où des membres d’on ne sait quel comité de Passyillégalement constitué, mêlant l’incompréhension à l’ignorance, ontdécrété une arrestation qu’aucun ordre du comité de Sûreté générale nevint jamais confirmer par la suite. Voici quelques extraits de cet interrogatoire odieux autant que stupide: - A luy demandé comen il sapelait ? - A répondu qu’il se nomait André Chénier natife de Constentinoble âgéde trente-et-un ans demerant à Paris rue de Clairy section de Brutus… - … A luy demandé sil napa recue des letres danglaitaire de puissonretoure dans la République. - A répondu que ce netoit que des letre relative a ses interrestparticullier comme pour faire venire ses livres et autre effets laisséen Anglaitaire. ……………………………………………………………………………………………………………………………… - A lui représenté quil nest pas juste dans faire réponse dautantplus que des lettre personelle doive se conserver pour la justificationde celui qui a en voyé les effest comme pour celuy qui les a reçue. - A répondu quil persiste a pensé quante des particuliers qui ne mettrepas tant dexatitude que des maisons de comerce lorsque la réception desfait demandé et qu’il croit que la plus par des particuliers en useincy. ……………………………………………………………………………………………………………………………… - A luy demandé pourquoi il nous cherche des frase et surquoy il nousrépond pas cathégoriquement. ……………………………………………………………………………………………………………………………… - A luy demandé quel rue il demeroit alors ? (Les Trudaine.) - A réponsu sur la place de la Révolution la maison à cottée. - A lui représenté qu’il n’est pas juste dans sa réponse attendue queplace de la Révolution il nia pas de maison qui se nome la maison a Cottée donc il vient de nous déclaré. - A répondu quil entendoit la maison voisine du citoyen Letems. - A lui représentez quil nous fait des frase attandue quil nous arépondue deux fois la maison à Cottée. » ……………………………………………………………………………………………………………………………… On connaît l’incident néfaste qui devait, par une sorte de fatalitéinconcevable, amener l’incarcération du poète : Chénier ayant appris,probablement par son frère, l’arrestation imminente de Mme Pastoret, aulieu d’aviser secrètement de quelque moyen pour la faireprévenir, quitta lui-même imprudemment son asile de Versailles et, avecune chevaleresque insouciance, se mit aux ordres de ses amis de Passy.Le jour même il fut aperçu au départ du coche de cette ville encompagnie d’une dame soigneusement voilée. Au lieu de retourner àVersailles il revint à la maison des Pastoret et tomba en pleine visitedomiciliaire des commissaires de surveillance. Soupçonné aussitôt par eux d’avoir favorisé la fuite de la personnequ’ils venaient chercher, ils lui posèrent nombre de questions plusinsidieuses les unes que les autres, ensuite l’arrêtèrent. ~~~~~~~~~ Dans cette prison de Saint-Lazare, Chénier devait y demeurer quatremois et treize jours et son écrou devenir définitif le 8 prairial sousle nouveau numéro 1095. Il s’y retrouva au milieu d’amis de ceux qui, aux jours heureux,avaient fait partie de cette remarquable société d’Auteuil héritièredes encyclopédistes sous l’égide de Mme Helvétius et de son hôteBenjamin Franklin. Cependant malgré cet entourage, André vécut seul la plupart du tempsdans un isolement voulu et qu’il sut faire respecter. CHAPITRE VI ANDRÉ CHÉNIER, LA « JEUNE CAPTIVE » ET LE « BEAU MONTROND, A SAINT-LAZARE. Un destin identique semble d’abord les réunir à huit jours d’intervalleà la Maison Lazare. Lui y est interné depuis le 19 ventôse et la décadesera à peine achevée que deux nouveaux prisonniers feront leur entrée. Le geôlier inscrit leurs noms face aux numéros 885 et 886. C’étaient labelle duchesse de Fleury, née Aimée de Coigny, et son amant Philippe deMouret, comte de Montrond, ex-officier au régiment de Royal-Ségur. ~~~~~~~~~ Bien des légendes ont poétisé ces trois noms prestigieux : « André Chénier, Aimée de Coigny ! la jeune captive du poète etMontrond, le beau Montrond, l’Eminence grise du duc de Talleyrand,ministre sous l’Empire et la Restauration. L’une de ces légendes, la plus tenace, assure que ces trois personnagesse rencontrèrent pour la première fois pendant les heures de récréationde leur commune détention sous les grands arbres séculaires deSaint-Lazare. La réalité est tout à fait différente. André Chénier, hôte assidu avant la tourmente révolutionnaire de sesamis Trudaine à Montigny et du marquis de Pange à Mareuil-sur-Aï, avaitremarqué chez ses hôtes une très jeune femme infiniment jolie,délicieuse et spirituelle, fort enjouée, qui, l’été venu, résidait dansson château de Mareuil-en-Brie, propriété très proche voisine de celledes de Pange. Cette jeune femme était la duchesse de Fleury, nièce parson mariage du cardinal de Fleury et par sa famille du gouverneur desInvalides, le général Franquetot de Coigny. Son existence à son auroren’avait pas alors le caractère désordonné et dissolu qu’elle devaitacquérir par la suite. Chez les Trudaine de Montigny, comme chez les de Pange, on tenait tableouverte, la vie était à la fois simple et fastueuse, chacun goûtaitlibrement et sans contrainte les charmes agrestes de la campagne : Sur ces bords heureux, opulents avec choix Où Montigny s’enfonce en ces antiques bois… Soit où la Marne lente, en un long cercle d’îles. Ombrage des bosquets l’herbe et les prés fertiles. La campagne, la tranquillité, l’ombre, André les aimait avec délice.Poète il enveloppe alors son inspiration de silence et de calme repos.Les nuits de Montigny ou de Mareuil font exhaler à son âme enthousiasteces admirables vers, fragments de l’Hermès, son œuvre capitale, hélas! inachevée : Salut, ô belle nuit étincelante et pure… …………………………………………….. Mes vers impatients, élancés de mon âme, Veulent parler aux dieux et volent où reluit L’enthousiasme errant, fille de la belle Nuit… Est-ce sous les ombrages de Mareuil-sur-Aï ou bien sous le cèdre deMontigny que le poète, qui sait entendre l’harmonie des mots,cristallisera bientôt dans une pure, belle et si fugitive vision, cenom vrai poème de charme et de douceur : Aimée de Coigny ! et murmureradans ses Bucoliques… Si j’avais osé sortant de ma retraite, Près de ta tête, Aimée, aller porter ma tête, Avec toi murmurer et fouler sous mes pas Le même pré foulé sous tes pieds délicats. Mais, Chénier alors ne représentait aux yeux d’Aimée de Coigny, femmede grande et haute lignée élevée dans la société la plus intime de lareine Marie-Antoinette, qu’un journaliste de petite naissance, obscuret ignoré. Fier et sauvage, il ne fit rien pour attirer les regards dela séduisante idole, sa muse de Mareuil et de Montigny, que l’adorer deloin… Il n’ose pas… Il n’osera jamais… A cette époque elle avait seize ans àpeine, lui vingt-quatre, l’impression presque foudroyante ne pouvaitêtre durable. Ils étaient si jeunes tous deux ; d’ailleurs, Aimée deCoigny, depuis peu duchesse de Fleury, déçue par son mariage, allaitbientôt commencer de fréquents voyages par toute la France et denombreuses randonnées en Italie. D’autres images bien séduisantes sesuccédèrent aussi à leur tour dans l’esprit du poète soit à Londres, oùil séjourna quelque temps, soit ensuite à Paris, à Auteuil, àVersailles ou dans ses environs. Puis la politique et les vigoureusespolémiques entreprises dans le Journal de Paris et dans les clubsavec Roucher effaceront pour un temps l’impression du visageenchanteur, du regard brûlant de cette taille que l’on donne à Vénus,de cet esprit supérieur, de cette ardente et passionnée. Cette vision, André Chénier ne la retrouvera triomphante et dans toutesa fraîcheur qu’entre les murs d’une prison et dans des vers encoretout parfumés du souffle de ces vents légers qui frôlent les côtes dela Sicile, viennent effeuiller en écumes vaporeuses les vagues de lamer d’Ionie, caresser les « hauts minarets de Constantinople, lalumineuse patrie de sa mère » et dont jusqu’à ses derniers jours ilgardera la nostalgie. Cependant Chénier n’était pas tout à fait un poète inconnu pour sesparents et ses amis. Avant les graves événements qui devaientbouleverser le trône de France et faucher de jeunes existences, il leuravait montré souvent ses vers et demandé leur avis en exigeant lesilence. Son obscurité voulue par lui paraît avoir été le résultatd’une inébranlable résolution. Peut-être jugeait-il l’œuvre commencée pas assez parfaite à son gré. Ilpossédait un tel sens de la ligne nette et pure de l’antique qu’ildevait en poésie précéder David dans la peinture comme devait égalementle précéder Brunck dans ses Analectes dont Chénier avait fait sonlivre de chevet, et Winckelmann qu’il avait lu dans la traduction qu’enavait publiée le ministre Turgot sous le pseudonyme d’Hubert. Dans le monde qu’il fréquentait il était lié avec les noms les plusconsidérables de la noblesse, des lettres, des arts et des sciences. En 1787, son appartement au bout de la rue du Montparnasse étaitcontigu ou presque de celui de la comtesse Alfiéri, femme du grandpoète italien et veuve du dernier Stuart. Cette femme supérieure ettrès intelligente, cette reine sans trône protégeait Chénier etl’appelait « mon poète ». Chez elle il lut quelques-uns de ses beauxvers devant un public de choix, aux noms sonores. Un moment même il fut recherché pour être à la tête d’un partipolitique, son nom eut alors un certain retentissement en Allemagne etjusqu’à la cour du roi de Pologne. Avec son caractère altier, énergiqueet indépendant il se fit beaucoup d’ennemis, surtout par le rôleprépondérant qu’il tint à la tribune du club des Feuillants et par lesdiscours qu’il y prononça. Lacretelle, cinquante ans après, devait écrire l’impression ineffaçableque lui fit le poète : « Un homme attira fortement mon attention par la double annonce d’ungrand talent et d’un grand caractère. « C’était André Chénier… « Chacun de nous regrettait que ce talent plein de force et d’éclat,échauffé par une âme intrépide, ne fût pas encore appelé à la tribune.Lui seul eût pu disputer la palme de l’éloquence à Vergniaud. » ~~~~~~~~~ Chénier et le comte de Montrond se sont-ils rencontrés à Saint-Lazarepour la première fois, ou bien dans ce monde choisi si particulièrementéclectique des arts, des lettres et de la politique d’avant laRévolution ? On ne sait. Même sans la rivalité auprès de la jeune duchesse deFleury, leurs deux caractères s’opposaient trop violemment et Andréavec sa sensibilité passionnée, son cœur fier, ne pouvait ressentir quedu mépris pour l’esprit cynique du beau Montrond. ~~~~~~~~~ Au moment de leur commune arrestation Aimée de Coigny avait vingt-cinqans et Montrond quelques mois de plus que sa belle compagne. Ils appartenaient tous deux à la plus haute noblesse. Les Franquetot de Coigny, d’abord noblesse de robe, prirent l’épée auXVIIe siècle, puis une couronne de duc et le bâton de maréchal vinrentrécompenser bientôt les services rendus par le grand-père d’Aimée. Samère, née Anne Joséphine Michelle de Boissy, était une fort originalepersonne que la médecine et la chirurgie intéressaient au plus hautpoint, elle devait d’ailleurs mourir, en 1775, des suites d’une piqûreanatomique en disséquant un cadavre. Aimée de Coigny avait reçu uneéducation française et latine qui l’avait familiarisée avec lesbelles-lettres. Parlant plusieurs langues avec la même facilité, elledevait être, dans son temps et dans tous les pays qu’elle parcourait,l’une de ces femmes les plus aimables et les plus séductrices quisoient. Sa conversation était piquante, imprévue et originale, sesréparties redoutables, ses gaîtés irrésistibles. Le charme qui émanaitde sa personne et de sa beauté – toute d’expression nous dirionsaujourd’hui photogénique – changeait constamment avec une mobilitételle que tout examen devenait inutile. « Il y avait en elle trop defemmes pour qu’on s’en défendît contre toutes. » Une autre beauté, Mme Vigée-Lebrun, peintre de la famille royale deFrance et des cours souveraines de l’Europe, avait su la juger dans ses Mémoires avec une singulière perspicacité. « …Celle que je distinguai bientôt entre toutes les dames françaisesqui se trouvaient à Rome était la charmante duchesse de Fleury… nousnous sentîmes entraînées à nous rechercher mutuellement ; elle aimaitles arts et se passionnait comme moi pour la beauté de la nature, enfinje trouvai en elle une compagne telle que je l’avais souvent désirée.Reçue chez le prince Camille de Rohan, alors ambassadeur de Malte etgrand commandeur de l’Ordre où se réunissait la meilleure société, laplus choisie, l’esprit de la duchesse brillait par-dessus tout… Cettefemme si séduisante me semblait dès lors exposée aux dangers quimenacent tous les êtres doués d’une imagination vive et ardente. Commeelle était belle, je tremblais pour le repos de sa vie et je la voyaissouvent écrire au duc de Lauzun, qui était bel homme et plein d’esprit,très aimable, mais d’une grande immoralité… » La prophétie inquiète de Mme Vigée-Lebrun devait s’accomplir. Aimée deCoigny, extrêmement sensible à cette eurythmie que sculpte dansl’espace un être humain en tout point parfait, ne put jamais concevoirni admettre qu’une enveloppe si harmonieuse renfermât une âme decynique, veule et mesquine. Voyageant alors avec son mari le duc de Fleury, Aimée se rendit bientôtcompte de l’abîme qui la séparait de son époux. A l’indifférencesuccéda le mépris. Ils se séparèrent d’un commun accord. Après s’êtredonnée au duc de Lauzun puis à Hector Walpole, un autre seigneuranglais lui succéda dans ses faveurs : lord Malmesbury. Revenue alors àParis, elle y fit plus ample connaissance de celui que M. Henri Malo,dans le bel ouvrage qu’il lui consacra, définit si finement : « …Si laconversation du comte de Montrond ne fut jamais un cours de morale, demême sa vie ne fut pas toujours une morale en action… » A cette époque le « beau Montrond » était la coqueluche de tous lessalons de Paris et de Versailles. L’ancienneté de sa famille,vieille noblesse de Franche-Comté, lui ouvrait toutes les portes demême que tous les cœurs de femmes sensibles à sa belle prestance, à sonregard qui savait se faire câlin, dur, audacieux ou tendre : « Ah ! machère, écrivait une Anglaise de passage dans la capitale, Dieu sauvel’Angleterre de sa présence ! Il est capable de nous enlever toutes etplus vite, ma foi, que son ami le marquis de Lafayette a enlevél’Amérique à notre pauvre lord… » Pour la belle Aimée, il démissionne de son régiment en 1791. Lesévénements révolutionnaires se précipitent, tous deux voyagent. N’ayantpas de passeports, ils imaginent de faire tambouriner dans chaque villequ’ils traversent la promesse d’une récompense à celui qui lesretrouvera. Ils circulent ainsi à travers la France avec la plusinsouciante aisance. Mais les meilleurs jours ont une fin. L’orages’amoncelant à l’horizon politique, ils partent pour Londres. BientôtAimée de Coigny revient dans sa propriété de Mareuil-en-Brie pour faireprononcer son divorce d’avec son mari le duc de Fleury. Dénoncée alorscomme émigrée, elle affirma n’avoir jamais quitté la France avec tantde rouerie, un talent si naturel à mentir, que les commissaires netrouvant aucune preuve d’émigration la relâchèrent, le 9 mars 1793 (25ventôse, an II). Deux mois après, son divorce était prononcé (7 mars1793). Apprenant le danger couru par sa maîtresse, le comte de Montrondrevient en France et se fait le protecteur de « cette femme isolée ».Ils voyagèrent d’auberge en auberge, cherchant le moment propice à lafuite hors de leur patrie. Ils n’en eurent pas le temps. Le 15 mars, l’officier de paix Descoing arrête la duchesse à Mareuil,avec sa femme de chambre, et se saisit de Montrond. On les amène alors tous deux à la « maison Lazare ». ~~~~~~~~~ Dans sa prison Montrond observe le nouveau milieu dans lequel Aimée deCoigny et lui vont vivre désormais. Il ne s’illusionne ni sur lesévénements, ni sur les hommes. Avec ses dons d’intrigue il rôde dansles couloirs, furette et, bientôt, lorsque, dans l’ombre, lessoi-disant conspirations entreront en action avec les longues listes devictimes désignées d’avance pour l’échafaud, il ne lui faudra paslongtemps pour démêler les jeux de la faction Robespierre, qui ne semaintenait au pouvoir que par le régime de la pire violence. Ces listes, Montrond arrivera à les connaître. Il entre en relation avec Manini, Joubert, chargés de les dresser,parvient à faire rayer le nom de son amie, le sien et celui de Millinde Grandmaison, moyennant la promesse d’une somme de 100 livres d’orque lui remet la riche Aimée de Coigny. Cette rançon il la promettratoujours astucieusement, mais ne la sortira jamais de sa poche. Du poète André Chénier il ne sera pas question ; sa naissance est tropmince et son avenir beaucoup trop modeste à leurs yeux pour que la «Jeune Captive » daignât monnayer pour lui le geste rédempteur. ~~~~~~~~~ Pendant ce temps André se montre aussi indifférent au sort que luiprépare l’avenir qu’à la froideur distante et hautaine de l’ « Épinaissant ». Dans les couloirs de Saint-Lazare il s’isole sifarouchement que ses amis Trudaine mêmes ne peuvent parvenir àl’approcher. D’autres fois, à la suite de la lecture des journaux ayantpénétré clandestinement, sa fureur éclate avec une telle violence queson ami le poète Roucher – qui vit également très retiré – est obligéde le calmer et de lui prodiguer les conseils d’une prudente réservecomme en témoignent ses lettres à sa fille Eulalie. « …Je tremble pour sa vie, et ses fougueux anathèmes m’inquiètent parleur virulence extrême. » CHAPITRE VII PERSÉCUTIONS ET PERQUISITIONS DANS LES CELLULES. Déceptions, joies fugitives, confiance, au milieu d’alternativesdiverses vont se succéder jusqu’au moment où des vexations sans cause,des sévérités imméritées, des ordres donnés avec une impitoyablerudesse vont servir de prélude à la conspiration dite conjurationManini. Tout d’abord défense est faite aux sentinelles de s’entretenir avec lesprisonniers ; défense à ces derniers de se mettre aux fenêtres ; ordreest donné de tirer sans pitié sur tous ceux qui enfreindront cetteconsigne : « Tirez dessus, ce sont des scélérats, des aristocrates, du gibet àguillotine ; ils y passeront tous ; on vous donnera du petit plomb,cela ne les tuera pas. » Ordre des commissaires des sectionsBonne-Nouvelle (Arch. Nat.). Bientôt, le premier jour de chaque décade est décrété, jour de repos :ordre formel de ne plus rien viser dans les greffes ni de faireparvenir aucune nourriture ce jour-là. « Ne faut-il pas que nosbénévoles gardiens, écrit Roucher en plaisantant, aient tout entier àeux le repos national… Un jour passé sans manger fait l’appétit dulendemain… Tous les premiers, les onze et les vingt et un de chaquemois, nous aurons un appétit qui fera de nous les hommes les mieuxendurcis de la République… » Des changements s’opèrent parmi les administrateurs et les conciergesde Saint-Lazare que le Comité révolutionnaire trouve trop « débonnaires». Au citoyen Michel succède Gagnant, promoteur du prochain réfectoire encommun, puis Naudet et Semé, ce dernier assez bon diable, mais quiavait le tort avec sa femme dénommée « M me Jordonne », parce qu’ellese mêlait de tout, d’être ivre la plupart du temps : « Le jour de lafête de l’Etre Suprême il trouva le vin si délicieux qu’on fut obligéde le coucher ; il ne se réveilla, lui et sa commère, que vers le soir,furieux de n’avoir pas été réveillé pour aller en grand costume à lafête. » Les détenus cherchaient comme ils pouvaient par leurs propres moyens àadoucir leur captivité. Exceptionnellement favorisé, Roucher putgarder, presque jusqu’à ses dernières heures, son fils Emile, jeunebambin de dix ans ; mais autour de lui des mères pleuraient leursenfants, des pères gémissaient sur le sort de leurs fils ou de leursfilles dont l’échafaud avait tranché les jours : « Quelle associationde douleurs ! on voit ici comme le sort se joue de la sensibilitéhumaine ! » s’écrie-t-il. Ce petit Emile fut la joie et le rayon de soleil de Saint-Lazare ;pendant que son père écrivait ou bien « très affairé, un souffletà la main, confectionnait sur un fourneau, sur le pas de sa porte, lasoupe à l’enfant », scène qu’a peinte sur le vif Hubert-Robert,le jeune Emile vite s’échappait, courait parmi les grands couloirs,allait rendre visite à ses amies et amis : « Il a déjeuné, lescorridors sont ouverts et il court pour ses visites du matin ; onl’accueille, on le fête ; il va chez des femmes que je ne vois pas… »et, plus loin, le petit bonhomme a de nouveaux souliers, il va lesfaire admirer aux personnes dont les cellules lui sont ouvertes. ».Mais, dans une autre circonstance, le pauvre petit se montre moins fieret pour cause : « Emile a eu toutes les peines du monde à endosser lajaquette de fille que tu lui as envoyée en attendant que soientraccommodés ses habits. Il se croit désexualisé ; il se promenait hiermatin dans le jardin, et d’un air honteux, à côté de Chabroudqu’il tenait par le pan de sa redingote. Tous les prisonniers lesaluaient d’un « Bonjour, Mademoiselle Minette ! et, lui, disait au «Wisemann » : Tout le monde m’insulte ! D’autres fois, le bon père prenait part aux jeux de son fils : « Notrebonhomme m’a fait courir hier soir aux barres et m’a fatigué. Tant demois d’inaction ont engourdi mes jambes. Pour les siennes, elles sonttoujours en activité ; aussi courent-elles à faire plaisir auxregardants. » ~~~~~~~~~ La première décade de floréal s’achevait lorsqu’un nouveau décretdéfendit toutes promenades de couloir en couloir et, dans les journéesqui suivirent, des serruriers de fortune posèrent d’office des crochetsextérieurs à chaque cellule. Les prisonniers eurent le pressentiment qu’ils allaient subir denouvelles persécutions. Ils ne se trompaient pas. Le 9 floréal au matin (28 avril), après avoirconstaté l’arrêt voulu de la pendule de l’établissement (qui ne remplitson office que plusieurs semaines après), ils entendirent soudain lebruit d’une nombreuse cavalerie pénétrant dans la grande cour deSaint-Lazare ; bientôt deux compagnies de 60 hommes des milicescommunales arrivent, baïonnette au canon ; pendant que des cavaliersdescendus de cheval cernent toutes les issues, des artilleurs éloignentles curieux et braquent leurs canons face aux angles et aux portesd’entrée. Ce fut un affolement général qui se changea en terreur à la vue desCommissaires généraux des quartiers de Bonne-Nouvelle et Poissonnièrequi, en grande tenue, chapeau à plumes, sabre au côté et ceints de leurécharpe tricolore, pénètrent dans Saint-Lazare avec leur état-major. « Est-ce un nouveau septembre qui s’organise ? » se murmure-t-on aveceffroi. Pas encore. Mais ce déploiement de forces avait un autre motif.Par décision du fameux Comité de Salut public, une visite domiciliairedes cellules était ordonnée ; le but poursuivi était en réalité dedépouiller les prisonniers les plus riches de leurs portefeuilles s’ilscontenaient une somme supérieure à 50 livres pour assurer désormaisleur subsistance : sacs de nuit, matelas, souliers, bas et chaussons,tout fut fouillé, examiné ; tout objet tranchant, rasoirs, ciseaux,couteaux, canifs, est enlevés ; les montres, les bagues, bracelets etor monnayé sont également confisqués et ne furent jamais rendus. Deplus, par ce même décret, ordre est donné au nom de la nation de vendretous les biens que possédaient encore les détenus de toutes les prisonsou leurs familles, et cela sans qu’aucun jugement n’ait encore étérendu. C’était une injustice et une lâcheté, car cette décision jetaità la misère bien de jeunes vies innocentes. Mais de cela, comme debeaucoup d’autres choses, le régime terroriste n’avait cure. C’estainsi que le pauvre poète Roucher apprit la vente de la chèrebibliothèque qu’en des temps meilleurs il avait eu si grande joie àformer. La perquisition avait duré trois jours. Pour la justifier aux yeux desintéressés, l’actuel administrateur de Saint-Lazare, Bergot, fitafficher dans les couloirs : « que les détenus conspirateurs avaient unluxe immodéré et qu’on espérait ainsi trouver, les opérationsterminées, 1 200 000 livres sans compter les bijoux. « …Que l’égalité doit alléger les chaînes de ceux qui, privés de leurliberté par mesure de sécurité générale, en ressentent plus vivement lepoids par défaut de fortune… « Qu’en conséquence, il n’entrera dans les maisons d’arrêt aucunenourriture de dehors… « …Qu’un réfectoire en commun serait instauré… « …Qu’un prêt de 8 livres par jour, réduit à 50 sols pour payer lesfrais de garde, serait consenti à chaque détenu… » ~~~~~~~~~ L’installation du réfectoire en commun devint un événement. Comme lasalle était trop petite pour contenir tout le monde, l’administrateur,de concert avec l’adjudicataire Perrinal, organisa deux services, lepremier à une heure et le deuxième à deux heures. Un seul repas par jour était permis. Le premier dîner est servi avec une heure de retard. Le menu pour unetable de trente personnes comprenait deux plats de soupe aux légumestrès lavés, trois livres de bouilli, deux livres de foie de veau,trente œufs, une livre de haricots et soixante abricots ; ces fruitsétaient une amabilité de Perrinal en l’honneur de l’inauguration. Les jours suivants les menus furent simplement ignobles. Toussouffrirent de la faim, des maladies se déclarèrent. L’officier desanté ordonna en vain des remèdes et du lait pour les femmes enceintes,cela lui fut refusé. Enfin, après des sollicitations pressantes dudocteur, l’administrateur permit de laisser entrer un peu de tisane, dutabac en poudre et du lait. ~~~~~~~~~ Comme depuis longtemps toute correspondance avait été définitivementsupprimée, les prisonniers s’ingénièrent, pour tromper la surveillancedont ils étaient l’objet, de glisser leurs écrits dans des bocauxcontenant du tabac en poudre qu’en réalité les familles avisées avaientremplacé par du café. C’est ainsi que le contenu de grosses bouteillesremplies soi-disant de tisane n’était que du réconfortant vin vieux demalaga ou autres. Roucher avait imaginé l’usage des boîtes à doublefond. Plus tard, pour adresser une correspondance plus volumineuse il procédadifféremment. Il inséra ses feuillets entre ceux d’un livre à une pageconvenue ou entre le cuir et la couverture de carton du livre,couverture soigneusement recollée ensuite. André Chénier enroulait dans son linge d’étroites bandes de papier dela grosseur d’un « tuyau de plume ». Ce sont pour la plupart despoésies qu’il adresse aux siens. Par surcroît de précaution et au casoù ses anathèmes tomberaient aux mains de ses ennemis, il abrège sesvers ou remplace le mot par son équivalent en grec. Plusieurs de cesvers ainsi travestis n’ont pu être déchiffrés malgré toutes lesrecherches et beaucoup demeureront à jamais inintelligibles. Cette manière de correspondre était, somme toute, assez précaire et àla merci d’une déclaration ou de l’inquisition malveillante d’unsurveillant plus intelligent ou plus instruit. Heureusement pour la postérité et pour l’histoire de cette époquetroublée, douloureuse et si émouvante de Saint-Lazare, que l’échange decorrespondance du poète Roucher, publiée plus tard sous le titre Consolation de ma captivité, par sa fille Eulalie et le petit Emile,put parvenir intégralement jusqu’à eux : « Tu porteras ces lettres surton cœur, » écrivait-il dans une sorte de triste pressentiment « ettu te souviendras que papa les a écrites du fond d’une prison. Quand tuseras grand tu sauras que papa ne l’avait pas mérité… » Grâce à ces précautions, à ces ruses, on sait maintenant que laRévolution, à côté d’un grand savant comme Lavoisier, a aussi fauché ensa fleur, en ses espérances un de nos plus grands poètes et cela grâceà la honteuse ignorance et à l’imbécilité haineuse de quelques-uns deses dirigeants terroristes. Car c’est à Saint-Lazare que ce poète aécrit ses plus purs, ses plus beaux poèmes, c’est dans le recueillementdes « longs corridors sombres » dont les échos gardaient encore lavibration des souvenirs et des enseignements charitables de notre plusgrand saint de France, saint Vincent de Paul ; c’est sous lesmagnifiques ombrages d’un des plus beaux parcs d’autrefois, témoin desméditations du grand orateur sacré, Bossuet, ancien ordinant deSaint-Lazare, sacré évêque dans la petite église gothique qui existaitencore du temps de Chénier, qu’André Chénier imaginera ces Iambesvengeurs (7) à jamais immortels alors qu’il contemplait cet horizonqu’il ne devait bientôt plus jamais revoir : Paris la ville méchante,Paris la ville ingrate, qui paraissait se faire la complice desassassins de la Terreur. CHAPITRE VIII LA CONSPIRATION MANINI. Les perquisitions des premiers jours de floréal étaient à peineterminées que, dans l’ombre, à Saint-Lazare, commençait à s’élaborer laConspiration Manini et les fêtes du 20 prairial en l’honneur de l’Etresuprême – ce triomphe sans lendemain du dictateur Robespierre – étaientà peine achevée qu’une loi abominable inique, votée deux jours après etpour cela désignée sous le nom de Loi du 22 prairial, vint jeterl’épouvante dans les prisons. Cette loi n’admettait désormais qu’unepénalité : « la mort ». Elle supprimait tout défenseur et jusqu’àl’ombre même des formes légales de la justice. Cette nouvelle devait être une des dernières que les détenus purentapprendre à Saint-Lazare par la voie des journaux. Le 29 prairial, unordre était affiché dans les couloirs interdisant désormais l’entrée detout périodique. Défense au surplus était faite de garder aucunelumière dans les cellules. « Il faut souper et se coucher dans lesténèbres ». Désormais la dictature de Robespierre n’allait se maintenirque par le régime de la pire violence. La guillotine ne devait pluschômer : La tragédie court les rues de Paris, et comme pris de folie,Robespierre et Fouquier-Tinville font agrandir l’enceinte del’assemblée « afin de pouvoir établir à demeure une guillotine » - Tu veux démoraliser le supplice ! ironise Collot-d’Herbois. Cette loi cependant malgré une formidable opposition avait été votée àune très faible majorité. - Ça ira bien, dit Fouquier se frottant joyeusement les mains, lestêtes tomberont comme des ardoises. Et ce fut vrai, puisqu’à Paris seulement, en 1794, (an II) : 2 831têtes payèrent un lourd et sanglant péage à la travailleuse enraccourci. ~~~~~~~~~ Le 3 messidor (21 juin) Herman, président des Administration civile,Police et Tribunaux, adresse un rapport au Comité du Salut public où ildénonce les maisons de détention « pleines de gens ayant trempé dansles diverses factions ou conjurations… » Il ajoute « qu’ils forment unebande à part qui rend la surveillance très laborieuse et est une causede tentatives d’évasions, une assemblée journalière dont toutel’existence se consume en imprécations contre la liberté desdéfenseurs, qu’il faudrait peut-être, en un instant, vider toutes lesprisons et déblayer le sol de la liberté de ces immondices, de cesrebuts de l’humanité. Justice serait faite et il serait plus faciled’établir l’ordre dans les prisons. » (Arch. Nat.). Aussitôt le Comité de Salut public charge la Commission de prendre, deconcert avec l’Administration de police : « Toutes mesures et tousmoyens pour rétablir l’ordre et d’en faire un rapport au Comité dans leplus bref délai. » Les prisons de la Révolution ne manquaient pas de détenus quiespéraient, contre beaucoup de lâcheté, acheter un peu de liberté. Ces individus, qu’en argot de prison on surnommait moutons, sefaisaient hypocrites et doucereux, cherchaient à provoquer lesconfidences, en inventaient même si besoin était. Mêlés aux prisonnierssans défiance, ils épiaient, prêts à dénoncer le moindre geste ou lamoindre parole de colère ; c’est ainsi que la prison de Bicêtre eutValagnos, le Luxembourg Boyenval et Beausire. Saint-Lazare aura Manini,Coquerie, Jaubert et Robinet. Du nom de son principal organisateur, la conspiration de Saint-Lazares’appellera la Conspiration Manini. Manini était un ancien ou prétenducomte du Milanais se disant interprète de langues étrangères et employécomme tel par le Comité de Sûreté générale. Aussitôt une liste fictive est dressée et en envoyant cette liste auComité, Manini dénonce que : « Le dessin des coupables était de s’évader par une fenêtre donnant surune terrasse dominant les jardins ; qu’une fois les barreaux sciés parun serrurier du nom de Coquerie, qu’ils avaient corrompu avec une sommede 9 000 livres, une planche formant pont serait jetée de la fenêtre àla terrasse (dont une distance de 26 pieds la séparait) ; qu’uneguérite de sentinelle étant immédiatement au-dessous, on tuerait lasentinelle s’il y avait lieu, et que les instigateurs du complotavaient projeté d’égorger les membres du Comité du Salut public et deSûreté générale et notamment Robespierre à qui on devait arracher lecœur et le manger. » (Arch. Nat.). L’incohérence de ce plan et les fantaisies imaginatives desdénonciateurs étaient manifestes si l’on songe qu’à Saint-Lazare uneseule fenêtre était grillée. D’autre part, tous les détenus sansexception ayant été dépouillés presque totalement de leur argent, ileût été très difficile de pouvoir réunir 9 000 livres, somme énorme àcette époque. De plus, le pied mesurant 33 centimètres, commentétait-il possible de concevoir qu’une planche longue de 25 pieds,c’est-à-dire ayant 8m,25 de longueur, ait pu aisément se trouver etêtre ensuite introduite à Saint-Lazare sans attirer l’attention dessurveillants. A la suite de ces révélations, Herman est envoyé par le Comité, entoute hâte, à Saint-Lazare. Ayant interrogé le concierge Semé, celui-ci affirme que tout esttranquille dans la prison, il le menace aussitôt de le faireincarcérer. « Ordre est de se taire », et de remettre immédiatement lesregistres d’écrou entre les mains de Jaubert et Robinet, qui sontchargés par lui de dresser la liste définitive des noms qui vontsuivre, avec cette mention : « Nous informons que nous ne dénonçons pas ; nous nous bornons àémettre notre opinion sur les individus ci-dessous. » ~~~~~~~~~ Trois listes « définitives » furent ainsi dressées, elles envoyaient entrois jours, les 6, 7, 8 thermidor, plus de 80 personnes à l’échafaud. Elles constituaient ce qu’on appellera désormais : LES TROIS FOURNÉES DE SAINT-LAZARE. Quelques femmes s’étant déclarées enceintes, seule le duchesse deSaint-Aignan fut reconnue dans cet état et ajournée. Pour les autres,on passa outre. ~~~~~~~~~ Alors chaque accusé porté sur les listes prend ses ultimesdispositions. Le moment des dernières confidences, des derniers aveuxvient de sonner. Le Baron de Trenck remet à l’officier de marine de Bar un suprême adieupour sa femme dans une lettre émouvante – mais qui ne parvint hélas !jamais à sa destinataire. « …Ma digne et chère épouse, je marche à lamort avec le seul regret de vous avoir quittée. C’est Cobourg qui m’aforcé à me retirer en France. Je meurs innocent. Vengez ma mort contreles scélérats qui me sacrifient. Oubliez s’il se peut les malheurs queje vous ai causés pendant ma déplorable vie ainsi qu’à nos enfants àqui je vous recommande de partager toujours également vos tendresses…» (Arch. Nat.). Le 1er thermidor, Roucher avec renvoyé son fils qu’il ne pouvait plusgarder et le 5, à cinq heures du soir, il trouva le moyen de faireremettre mystérieusement à sa famille tous les humbles objets quiconstituent son mobilier avec ce billet, le dernier. « Bonsoir, ma bonne amie, bonsoir, ma chère Minette, bonsoir, mon cherEmile, je vous embrasse tous les trois comme je vous aime. » Le poète y ajoute son portrait. De son côté André Chénier fait parvenir à sa famille son effigie qui lereprésente assis avec une cravate à raies tricolores négligemment nouéeautour du cou. Il y joint son dernier paquet de linges et ses derniers Iambes. Et les 5, 6, et 7 thermidor au soir, les charrettes mortuaires viennentpour les dernières fois se ranger dans la cour du vieil enclosSaint-Ladre-lez-Paris. L’heure était venue de réaliser la devise inscrite sur le beau cadransolaire peint sur les murs de la maison par un révérend père lazaristeen 1683 : HÆC MEA, FORTE TUA ! (Mon heure, peut-être la tienne.) ~~~~~~~~~ L’ordre d’extraction de Saint-Lazare était collectif. Le jour même deleur prise de corps les prévenus étaient écroués à la Conciergerie. Onleur remettait individuellement – entre deux guichets – leur bond’accusation pendant que le concierge Richard ricanait : - Tiens voilà ton acte mortuaire. En général c’était un griffonnage illisible portant la mention : Têteà guillotiner sans rémission. D’autres avaient en marge la lettre Gen majuscule rouge, ce qui signifiait la même chose (Arch. Nat.). Après une nuit passée dans cette prison de la Conciergerie, les accuséscomparaissaient dès le lendemain matin devant le tribunalrévolutionnaire car il fallait aller vite. Lorsque neuf heures sonnaient ils étaient massés sur les gradins de laSalle de la Liberté, attendant la venue du tribunal. L’accusateur public ouvrait la séance par son réquisitoire général oùles faits comme on peut s’en rendre compte aux Archives Nationales,sont accumulés sans ordre, avec une telle incohérence que personnes etdélits se trouvent être mêlés dans un chaos indescriptible. André Chénier est confondu avec son frère Sauveur Chénier qui avaitservi dans l’armée du Nord et par association d’idées (on concluait àla complicité d’André l’infâme avec Dumouriez. » Il y avait à Saint-Lazare deux femmes, l’une s’appelait Maillé, l’autreMaillet, on emmène la seconde pour la première, le tribunal s’aperçoitde la méprise : - Qu’importe, dit Coffinhal, passons à une autre. - Ainsi la citoyenne Maillet fut guillotinée pour la citoyenne Maillé. ~~~~~~~~~ Simulacres furent l’acte d’accusation, la déposition des témoins.Simulacre la défense des accusés quand d’occasion on les laissaitparler… Simulacre encore et surtout la délibération du verdict par les jurés.Les accusés se sachant d’avance condamnés et ceux qui n’ignoraient pasjusqu’à quel point toute défense était vaine dédaignaient de plaider oude se disculper. Lire ces jugements, ces verdicts aux Archives vous donne le frisson. Lestyle est inimaginable, les fautes d’orthographe foisonnent, lesfeuilles sont souillées de taches de graisse, de vin et de café. Ilsemble qu’à les contempler des empreintes rouges vont apparaître,marquant d’une trace indélébile l’endroit où les doigts des assassinsse sont posés. ~~~~~~~~~ Les misérables ! jeta en apostrophe Chénier. - Allons, mon ami, lui dit tranquillement Roucher, du calme, ils sontplus à plaindre que nous. CHAPITRE IX EVOCATION ! L’APPEL SUPRÊME ET LA MARCHE A L’ÉCHAFAUD. Il est des noms aimés, qui, s’attachant à l’âme Vivent comme des fleurs au fond du souvenir Gémissants, mais baignés d’harmonie et de flamme. (MARCELINE DESBORDES-VALMORE.) Lorsque, en pieux et dernier pèlerinage, nous parcourons « ces longscorridors sombres », chacune des ombres de ces 1 400 détenus semblentglisser silencieuses sur les petites dalles rougies, les mêmes queleurs pieds vivants ont foulées il y aura bientôt un siècle et demi.Quelques-unes, bien humbles, s’effacent ; d’autres, mystérieuses, ontdes visages sur lesquels jamais plus on ne pourra mettre un nom ;d’autres enfin, que nous connaissons, qui nous sont familières, grandesombres autrefois célèbres par leur talent, par leurs titres, leurbeauté, toutes enfin, ont immortalisé à jamais ces lieux où foisonnenttant de souvenirs bientôt enfouis sous les décombres des lourdesbâtisses, tandis que les cendres de ces victimes resteront mêlées dansle lointain cimetière de Picpus ! ~~~~~~~~~ Ici, dans cette cellule qui domine tout Paris, Antoine Roucher, lepoète montpelliérain, le chroniqueur immortel de Saint-Lazare,écrit ses lettres à sa fille Eulalie. C’est dans ce coin, près de lafenêtre, que le peintre Le Roy, élève de Suvée, se place pour finir debrosser le portrait célèbre, qu’on peut contempler aujourd’hui àCarnavalet ; nous les voyons, lui un peu pâle, moins cependant que ledessinateur dont le crayon tremble entre ses doigts fébriles. Enfin ila fini et comme l’heure des adieux va bientôt sonner, Rouchers’approche et, d’une main ferme, écrit pour sa famille, avant sondépart pour le supplice, ces vers magnifiques de courage et detranquille résignation. Ne vous étonnez pas, objets sacrés et doux, Si quelque air de tristesse obscurcit mon visage Quand un savant crayon dessinait cette image J’attendais l’échafaud et je pensais à vous… La grande cellule voisine a sa porte ouverte. Entrons ; par les troisfenêtres un soleil d’orage éclabousse parfois de ses rayons unartistique et pittoresque désordre, fait chanter les couleurs desdécors amusants ou gracieux d’un nombre imposant d’assiettes accrochéesau mur ; si ce n’était le ton brun de leurs rebords, on nereconnaîtrait point la vaisselle de faïence commune dont les geôliersse servent pour distribuer la « pitance » journalière des détenus. Descinq chaises grossièrement taillées, quatre ont leurs dossiers sculptéset gravés par des devises symboliques joliment fleuries et enluminées ;et ces sièges archaïques ainsi repeints et rajeunis ont un aspectvraiment original. De multiples dessins s’échappent des cartons ouverts ; glissons un coupd’œil indiscret sur l’un de ces feuillets ; derrière une fenêtregrillée, deux femmes, dont l’une assise tient un enfant sur ses genoux; elle a les traits de la jeune duchesse de Fleury occupée à choyer, enle comblant de gâteries, le petit Emile « Mlle Pierrette » lemoins malheureux des détenus de Saint-Lazare, a crayonné, au-dessous,le peintre. Plusieurs chevalets supportent des toiles de dimensions différentes enpartie achevées ; ici des ruines se détachent sur des ciels lumineuxitaliens ; là d’antiques fontaines font jaillir des cascades degouttelettes sur les folles frondaisons voisines. Tout auprès : deux tableaux fixent notre regard ; nous reconnaissons lecouloir Germinal que nous venons de quitter à cette heure matinale oùchacun s’affaire aux soins ménagers ; l’autre représente un fragment dela grande cour pendant la récréation ; les promeneurs sont nombreuxpour le jeu de ballon ; au loin les arbres centenaires du « vieux closSaint-Ladre » distillent leur ombre pendant que : L’un pousse et fait bondir sur les toits, sur les vitres. Un ballon tout gonflé de vent Comme sont les discours des sept cents bêlitres, Dont Barère est le plus savant. Mais c’est l’atelier, à Saint-Lazare, du célèbre peintre des ruinesHubert-Robert ! Justement, voilà sa grosse voix joyeuse qui monte claironnante de lagrande cour dont il a su si bien peindre l’animation ! Penchons-nous : le voici en costume de toile blanche, plein d’ardeur,maniant avec autant de fougue le ballon en action qu’ici même sespinceaux il n’y a guère une heure. A peine avons-nous quitté la cellule que, dans le recoin assombri d’uneétroite fenêtre de l’immense corridor une silhouette se précise, qu’ilnous sera impossible désormais d’oublier ; une redingote de drap grisaccuse le buste qui semble s’infléchir comme sous le poids de penséeslourdes ou découragées ; soudain, lorsqu’il se redresse, une sorte defierté dédaigneuse empreint les gestes et donne à la tête une allurealtière. Est-elle belle ? est-elle laide ? on ne sait ; cela nes’analyse point ; le front est si beau et les yeux, autrefois tellementvifs et rieurs ; depuis quelque temps presque toujours courroucés sontaujourd’hui… si rêveurs et si profondément tristes !... C’est André Chénier, poète amoureux et ignoré, qui vient là presquechaque jour surveiller jalousement les jeux et ris de la Jeune Captive,l’exquise ex-duchesse de Fleury, Mlle de Coigny, qui, elle, n’a d’yeuxque pour le beau, l’élégant et spirituel Montrond. Certes, déjà André ayant aimé éperdument plusieurs femmes, mais jamais,jusqu’ici, il n’avait ressenti pareil élan de pitié pour une si jeunevictime qu’un sort cruel semblait vouer prématurément au bourreau. Cette séduisant et belle Mlle de Coigny, qu’il se plaisait à parer desqualités les plus rares ! Mirage idéal et trompeur de sa propre pensée! Pour cette jeune captive il redoute la mort !... Lui ne la craintpoint ; sans trembler il entrevoit l’échafaud comme l’aboutissementproche et inéluctable de sa destinée et se laisse envahir par le charmeconsolateur de la déesse inexorable… « O mort que l’insensé redoute!... Calme dans la tempête et port dans le naufrage !... Espoir desmalheureux qui n’ont plus d’espoir !... » (Note manuscrite sur ledeuxième chant de l’Hermês à Saint-Lazare.) C’est pourquoi, ayant mis en ordre tous ses papiers, ayant achevé sesderniers iambes pour qu’ils fussent transmis le jour même à son père,il venait de confier, il y a peu d’instants, à son ami Millin deGrand-Maison, ultime confident de son rêve déçu, le manuscrit de l’Odeà la Jeune Captive : - Quand je ne serai plus qu’une ombre entre les ombres, vous le luiremettrez et, le lisant, le relisant peut-être bien souvent,m’accordera-t-elle ce don inappréciable : le tendre regret d’une larmedans un furtif souvenir… Pauvre cher grand poète dont le noble cœur allait bientôt cesser debattre, ta suprême pensée ne devait jamais se réaliser ! Elle a vécu longtemps « la jeune captive », dédaignant même d’abaisserun furtif regard sur les vers harmonieux qui ont célébré avecl’expression ardente du génie son charme radieux. L’avenir t’a vengé, elle ne fut pas heureuse et ne sut jamais que tagloire lui avait donné l’immortalité. ~~~~~~~~~ Continuons à avancer ; toutes ces modestes cellules qui se fontvis-à-vis ont donné asile à la duchesse de Saint-Aignan, à la duchessede Talleyrand-Périgord, aux comtesses de Pardailhan, de Maillé,d’Arlincourt ; les voici justement, groupe gracieux et fragile, venantfrapper aux portes de la baronne de Soyecourt, des comtesses deFlavigny et d’Hennisdal pour la courte promenade quotidienne. Inutile de heurter d’un doigt discret à celle de Mme de Meursin ; lessons délicieux d’une harpe auxquels se joignent les accents pathétiquesd’une voix admirable, soutenue par les accords en sourdine d’unpiano-forte, parviennent aux oreilles de promeneuses. C’est la délicateharpiste, Mme de Glatigny avec Mmes de Meursin et Cambon, qui répètentle magnifique et dernier adagio de Gluck. Pour la première fois, ellesvont le faire entendre cet après-midi, dans leur petit cénacled’ardentes musiciennes. Inutile aussi de venir chercher Mme l’abbesse de Montmartre, née Louisede Laval de Montmorency ; ses jambes de quatre-vingts ans ont besoind’être ménagées, ne faudra-t-il pas descendre tantôt pour aller auréfectoire ! ~~~~~~~~~ Montons un étage encore. Pour l’instant tout y est silence, solitude ; bientôt cependant lebruit assourdi des causeries d’une nombreuse compagnie nous fontretourner. Ce sont les amis de Chénier, les frères Trudaine, quis’approchent, se donnant le bras à la recherche de leur sauvage ami ;puis, les suivant à peu de distance, les ducs de Saint-Aignan, deFlavigny, allant rejoindre leur femme, les ducs de Roquelaure, duRoure, de Longchamp, de Montalembert, de Bourfeuille et MM. deLoizerolle, qui devisent sur les faits politiques du jour, à moins quetout simplement ils ne s’entretiennent de la mauvaise qualité de lanourriture du nouveau restaurant obligatoire qui vient d’être inauguré,il y a une décade, par Perrinal. Du couloir obscur paraphrasant Boileau, une voix ironique et mordantelance ces vers : Perrinal c’est tout dire, et dans le monde entier Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier ! - Tiens, bonjour, Montrond, descends-tu avec nous ! Millin deGrandmaison m’a prié de te mander que tu le rejoignes dans la courauprès des bancs qui avoisinent le cinquième arbre du jardin, ilt’attend en compagnie de Mme la duchesse de Fleury. Tour à tour les portes de plusieurs autres cellules s’entr’ouvrent ; lecitoyen Audran avec son ami Chabroud en sortent ; ils ne tardent pas àrejoindre l’officier de marine de Bar et le baron de Trenck, vieillardinfirme que soutient avec aménité le très noble comte d’Estaing.D’Estaing, grand-amiral de France, héros de l’indépendance américainequi, dans quelques jours, répondra, avant de mourir, au Tribunalrévolutionnaire présidé par Fouquier-Tinville, avec son allureinimitable et hautaine de grand seigneur. - Quand vous aurez fait tomber ma tête, envoyez-la donc aux Anglais ;ils vous la paieront cher… Descendant à leur suite le grand et majestueux escalier à la massiverampe Louis treizième nous voyons venir à notre rencontre une charmantefemme, plus très jeune, mais fort belle encore, dont la démarche estsouple, aérienne, c’est Mlle Dervieux, ex-danseuse de l’Opéraqu’accompagne son fiancé, l’architecte Bélanger. Si elle est heureusede sa venue, elle est pourtant attristée que ce soit en prisonnier,arrêté du matin même par le Comité des piques de son quartier. - Hé oui, ma chère, ajoute-t-il en lui serrant affectueusement le bras,le Tribunal, sans doute sachant que « je me languissais de vous », m’aenvoyé vous rejoindre à la maison Lazare. - Ne plaisantez pas, mon ami, nous vivons ici d’étranges instants ;dans cette « antichambre de la mort », comme la désignent mes compagnesd’infortune ; on y entre assez facilement, mais on n’en sort le plussouvent que pour accorder son dernier baiser à cet horrible monstre quime fait peur : l’échafaud ! - Oui-da, il se peut, répond avec quelque insouciance Bélanger, nousn’en sommes heureusement pas encore là ; car, si j’en crois diversesrumeurs, le dictateur Robespierre et ses acolytes n’ont que quelquesjours à vivre. - Chut ! de grâce, ne parlez pas si fort ! Des « moutons » vont nousentendre et Dieu sait ce qui pourrait advenir. Racontez-moi plutôtcomment il se fait que vous soyez céans. - Ma chère amie, votre fiancé va faire à vos yeux maintenant bientriste figure ! Je n’ai plus ni asile, ni maison à vous offrir, sid’aventure les portes de la prison s’ouvraient demain pour nous ; ilsm’ont dépouillé de tout, jusqu’à mon bel hôtel de la rue Joubert oùvous étiez souveraine ; ils ont osé, les scélérats, le transformer en Maison payante d’arrestation pour Anglaises ! Je fus donc hier meplaindre à la barre de la Convention nationale de ce que, sur lerapport de Robespierre, le Comité de Salut public avait envahi mamaison en violation des droits de la liberté ; savez-vous leur réponse ? « - Ta maison ou la prison. « J’objectai qu’elle était décorée de beaucoup d’objets précieux dansles arts, faits pour servir de modèles ; que tous ces détails sedégraderaient par la multitude des détenus, que tout cela donneraitouverture à des indemnités considérables, la réplique fut aussitranchante que le couperet de la guillotine à laquelle vous faisiezallusion tantôt. « - Sans indemnité, nous avons des logements vacants à la Force et àSaint-Lazare pour tes locataires et pour toi. (Arch. nat.). « Incontinent on m’arrêta, ainsi que mon portier, et me voici ! » ~~~~~~~~~ Une voix cristalline d’enfant ; c’est le petit Emile qui remonte encourant les escaliers, poursuivi par son grand ami le peintreHubert-Robert. Il est fâché et très en colère, ne veut plus jouer aveclui ; n’a-t-il pas, cet incorrigible taquin, envoyé pour la troisièmefois son ballon par-dessus les murailles… Pour le consoler, la marquisede Giambone l’invite à dîner : « un joli petit dîner fait pour unenfant » ; mais il préfère aller voir le lapin apprivoisé que lui adonné Chabroud. Grande calamité, le lapin vient de ronger la raquettequ’il avait oubliée dans le coin de la cage. Heureusement que Mme deGlatigny a vite réparé le désastre avec les cordes de sa harpe. Puis,autre événement mémorable, un singe malicieux lui est offert par Mme deSaint-Aignan pour compléter la ménagerie ; hélas ! il va falloir s’enséparer ; les tours pendables se multiplient et les voisins sont peusatisfaits. Pour lui faire oublier cette déconvenue, Mlle de Coigny luiapporte un gentil moineau dans une belle cage dorée. Dirigeons-nous vers le réfectoire, le dîner va bientôt commencer ; ilest d’ailleurs impossible d’aller dans la cour ; de grosses gouttes depluie commencent à tomber ; c’est l’orage prévu dès ce matin qui sedéchaîne ; aussi les convives n’attendent pas le coup de cloche pourfaire leur entrée et venir prendre leur part de la dérisoire collationque l’Administration parcimonieuse leur octroie et « qui est encoretrop bonne pour des bougres que l’on va guillotiner ! » Telle est laréponse faite ces jours derniers par l’aimable directeur Bergot àl’officier de santé qui osait se plaindre, au nom de l’hygiène, de lamauvaise qualité de la nourriture de la prison Lazare ! Chacun arrive avec son assiette, son pain, sa portion de vin et sacuiller ; ni couteaux, ni fourchettes ; les instruments tranchants sontdéfendus. Ces modestes ustensiles peuvent devenir des armes redoutablesdans les mains de révoltés que l’indignation exaspère ! Tous prennent place autour des quelques dizaines de tables groupéesdans la salle et s’installent suivant ses préférences. Mais quel est ce bruit sourd et sinistre ! Un piétinement de chevaux, un pesant roulement de roues grinçantes, uncliquetis d’armes se font entendre ! Involontairement toute conversation s’arrête ; l’angoisse monte au cœurde chacun et les visages pâlissent. Soudain « sur les gonds de fer les portes crient. » Des soldats munis de piques envahissent la salle, bloquant toutes lesissues ; aussitôt des commissaires ceints de leur écharpe pénètrent àleur tour. L’un d’eux tient une large et longue feuille déroulée. Que se passe-t-il ? Pour qui ce déploiement de forces militaires ? Approchons-nous d’une des hautes fenêtres prenant jour sur la courd’entrée. Eh quoi ! des charrettes qu’entourent deux bataillons de nationaux,l’arme au bras ! Nous les reconnaissons, ce sont les infâmes chariots pourvoyeurs de laguillotine, les cercueils roulants au sinistre renom ! Allons ! le Comité du Salut public sera content, on commence à déblayerSaint-Lazare. Le pourvoyeur paraît. Quelle sera la proie que la hache appelleaujourd’hui ? Et dans un silence de mort l’appel commence. Triste et résignée,chacune des victimes, hélée brutalement, vient se ranger près de laporte. L’une derrière l’autre, au milieu d’une indescriptible émotiondans cette maison qui vibre comme un grand cœur de pierre ellesadressent, d’un geste, un ultime adieu à ceux qui restent ; puis, ayantfranchi le seuil, s’entassent dans les lourds chariots. Alors, lentement, sous les huées de la foule, le cortège quitte laprison et prend la direction de la Conciergerie. ~~~~~~~~~ Le lendemain, après jugement hâtif, Fouquier-Tinville « requiert laforce publique de se rendre dans la cour du Palais, à trois heuresprécises ». Ordre reçu et signal donné de la Conciergerie, toutes précautionsprises, le navrant défilé s’ébranle avec lenteur. Jetant un dernierregard sur Paris souriant et tragique, les martyrs de Saint-Lazare, lesdernières fournées, les agonisants s’en vont, sans faiblir, à la mort,ne marquant qu’un indifférent mépris pour les injures et les quolibetsdont les abreuvent les « Tricoteuses » et leurs acolytes. Puis, le sacrifice consommé, la charrette, sous la conduite de deuxaides et du bourreau, quitte enfin la place du « Trône renversé ». CHAPITRE X LE CIMETIÈRE DE PICPUS. Nous savons actuellement qu’il est situé au n° 35 de la rue de Picpus. Pendant les derniers jours de la Terreur, nul ne pouvait – sous peinede mort – chercher à pénétrer le secret de l’emplacement mystérieux oùle Comité révolutionnaire faisait transporter et enfouir ses victimes. ~~~~~~~~~ Ce jour-là, la guillotine avait fonctionné 118 fois ; il était tard et,quoiqu’on fût en plein solstice d’été, le crépuscule commençait à jeterson ombre sur la place de la Déchéance, (8) lorsque l’habituellecharrette du bourreau se mit en branle pour transporter son macabrechargement. Comme il faisait très chaud, et, pour se donner du cœur à l’ouvrage quiétait rude, l’exécuteur des hautes œuvres et ses aides avaient absorbéun nombre imposant de bouteilles des vins les plus capiteux. Aussiétaient-ils complètement ivres lorsqu’ils commencèrent à s’acheminervers leur lointaine destination. Houspillant leurs chevaux, s’injuriant grossièrement, faisant claquerleur fouet d’une manière insolite, ils n’aperçurent pas une chétive etmisérable silhouette qui suivant avec tous les signes de la douleurleur chariot faisant office de corbillard. Le cortège se dirigea vers une carrière abandonnée, sise non loin d’unmonastère en ruines que la femme à l’allure humble reconnut pour êtrel’ancien couvent des Augustins de Picpus. Soudain la voiture s’arrêta tout auprès d’une longue et profondetranchée qui paraissait avoir été creusée le jour même. A droite, àgauche s’alignaient plusieurs monticules d’une terre fraîchement remuée. Arrivés près de la fosse ouverte, le conducteur et ses compagnonsfirent basculer l’arrière du tombereau. Ils retirèrent alors un à unles cadavres sanglants, les dépouillèrent de leurs vêtements,arrachèrent les rares bijoux échappés à l’avidité des geôliers etprécipitèrent brutalement comme « chiffes sans valeur » dans le creuxbéant, les pauvres corps martyrisés. Quelques pelletées de terre hâtivement jetée, et ce fut tout ! ~~~~~~~~~ S’effaçant le plus qu’elle pouvait, protégée d’ailleurs par une nuitfort obscure, la pauvre fille au courage héroïque, Mlle Paris, laissarepartir, sans qu’ils l’aperçussent, le bourreau et ses aides. Alors suffoquée de douleur et de sanglots, longtemps la pauvre petitedemeura prostrée à genoux sur ce lieu d’agonie où, pour toujours,reposait son père, bien humble victime, condamnée et exécutée sansqu’on ait jamais su pourquoi ? Pour faire nombre peut-être ousimplement remplacer un nom qui manquait sur la liste d’accusation ! ~~~~~~~~~ Désormais elle vint tous les dimanches en cachette, à la nuit tombante,prier sur la vaste tombe. Ce pieux pèlerinage, elle l’accomplit engrand péril jusqu’au 9 Thermidor. Après cette date, la fosse fut enfin définitivement comblée. Unhabitant de Picpus enseigna à Mlle Paris un prêtre réfractaire cachédans la capitale, qui accepta de venir bénir cet endroit désormaissaint, et des âmes charitables se cotisèrent pour l’enclore d’un mur. Ainsi, c’est grâce au courage filial d’une petite Parisienne MlleParis, au nom symbolique et prédestiné, que nous connaissonsl’emplacement de la sépulture d’André Chénier, Roucher, Trudaine et desautres victimes des dernières fournées de Saint-Lazare ; c’est à elle,à son calme héroïsme que nous pouvons aujourd’hui rendre à leurs mânesconfondus l’hommage que l’on doit au génie, au talent, à la sincérité,à la beauté, au malheur. ~~~~~~~~~ Afin d’empêcher toute profanation, la princesse de Hohenzollern acheta,en 1796, le petit coin de terre. Son frère, le prince de Salm-Kiburg,et trois membres de sa famille y avaient été inhumés après leurexécution, le 23 juillet 1794. Vers 1802, Mmes de Montagu, Noailles et de La Fayette apprirent parMlle Paris qu’à cet endroit étaient ensevelies leur mère et leur tante,la duchesse d’Ayen et la comtesse de Noailles. Elles achetèrent aussitôt le terrain avoisinant le petit enclos, firentconstruire une chapelle, organisèrent des prières quotidiennes etétablirent comme gardiennes les Religieuses de l’Adoration Perpétuelle,créées spécialement dans ce but. Les descendants directs des suppliciés obtinrent la permission, sur unesimple demande, de se faire inhumer près d’eux ; c’est ainsi que legénéral La Fayette, héros de l’Indépendance américaine, repose, sapierre tombale surmontée à perpétuité de la bannière étoilée, à côtédes membres martyrs de sa famille dont les cendres sont confondues aveccelles de cet autre héros, son émule pour la même cause : le comted’Estaing, grand amiral de France, « Envoyé officiel » du roi Louis XVIauprès de la nouvelle République. ~~~~~~~~~ Les 1 306 noms des victimes sont inscrits par ordre de date sur lesmurs des deux chapelles qui, à droite et à gauche, flanquent lemaître-autel de l’oratoire du couvent. Après avoir traversé un long verger adossé au revers de la chapelle, onpénètre dans le cimetière réservé aux familles des suppliciés. Tout au fond, près d’un mur vétuste, une porte grillée. C’est là… sous cette pelouse, ancienne fosse commune de la Terreur, quedorment à jamais, leurs ossements confondus, les 1 306 suppliciés, sansautre linceul que la terre. Quatre pierres tombales, celles des Salm-Kiburg, dressent leurblancheur grisâtre sur le gazon où se projette l’ombre de quelquesmaigres cyprès. Tel l’enclos était il y a plus d’un siècle, tel il estencore aujourd’hui. Une plaque de marbre portant le nom d’André Chénier rappelle seule auvisiteur venu en pèlerinage que, là, repose le génial poète, fauché enpleine jeunesse, qui écrivit un jour de lassitude ces vers empreintsd’un si douloureux et si mélancolique pressentiment. Humains, nous ressemblons aux feuilles d’un ombrage Dont au faîte des cieux le soleil remonté Rafraîchit dans nos bois la chaleur de l’été. Mais l’hiver, accourant d’un vol sombre et rapide, Nous sèche, nous flétrit, et son souffle homicide Secoue et fait voler, dispersés dans les vents, Tous ces feuillages morts, qui font place auxvivants. CHAPITRE XI JOURNÉES DES 8 ET 9 THERMIDOR A SAINT-LAZARE. LA DÉLIVRANCE. Quarante-cinq fois, du 20 Prairial à la veille du 9 Thermidor lesCorbillards de mort vinrent accomplir leur office de pourvoyeurs de laguillotine. Quarante-cinq fois, le soir venu – dans le grand silence des couloirsqui dominent la rue de Paradis – les prisonniers massés aux fenêtreseurent l’autorisation de venir entendre les crieurs publics, lesaboyeurs de la machine à Samson, glapir d’une voix éraillée etgouailleuse : - Voici la liste des gagnants à la loterie de la très Sainte Guillotine: « Qui veut voir la liste il y en a aujourd’hui 80 et plus. Qui veutles journaux du soir ?... » Cependant dans Paris ensanglanté la révolte commençait à gronder. Lapopulace des bas-fonds désertait même les exécutions et les boutiquesse fermaient à l’approche des sinistres charrettes !... La journée du 8 Thermidor fut effroyable à Saint-Lazare. Un silencemorne régnait partout dans les couloirs autrefois si vivants, dans lacour qu’aucune animation, aucun jeu n’égayaient !... Au réfectoire, à l’heure où les charrettes avaient coutume de prendrelivraison de leur cargaison journalière, le moindre bruit, le moindreroulement des voitures qui, de loin en loin, parcouraient le faubourgSaint-Denis mettaient en émoi les quelques centaines de prisonniersguettés par l’échafaud. La nuit était depuis longtemps venue, les gardiens de Saint-Lazaresemblaient avoir oublié dans l’immense salle les détenus dont ilsavaient le devoir d’assumer la garde. Que se passait-il donc ?... Dans l’ombre, l’angoisse les oppresse. Lesheures s’écoulent lentement une à une. L’aube va bientôt poindre qu’ilsattendent toujours !... Pourquoi ce répit avant le dernier et suprême appel ?... Prépare-t-on un massacre général comme en septembre 92 ? Enfin lesconcierges Semé arrivent et leur ordonnent d’aller se coucher.Inquiets, les malheureux refusent et préfèrent attendre. Prêts auxpires événements, ils écoutent avec étonnement le silence obstiné de larue où nul aboyeur n’est encore venu faire entendre sa tragique clameur. Après cette nuit d’insomnie la journée du 9 commence. Elle s’annonceradieuse et chaude. L’angoisse augmente, plus accablante à mesure que le jour croît… Vers les dix heures, dans la matinée, un bruit vague circule dans lescouloirs… Robespierre est décrété d’accusation. Incrédules, lesprisonniers s’obstinent à désespérer… L’heure du repas sonne… Anéantis,apeurés, c’est à peine s’ils ont la force de prendre quelque nourriture… Six heures du soir !... Soudain les échos d’un tocsin parviennent parles fenêtres grandes ouvertes… Ce sont les cloches de la Maison commune?... Des tambours leur répondent !... De tous les coins de Paris, ilss’appellent et battent la générale. Presque au même instant l’administrateur Bergot pénètre dans leréfectoire, pâle et roulant des yeux égarés. Il commande d’une voixrauque de fermer précipitamment tous les guichets intermédiaires descouloirs et ordonne aux prisonniers de monter immédiatement dans leurscellules. Malgré ce luxe de précautions la nouvelle de la chute de Robespierrecontinue à s’affirmer plus fortement de minute en minute dans lescouloirs. C’est la dislocation de la Commune… Enfin !... Ils ont tant souffert ! Leur cœur est encore si douloureux d’angoisseet d’incertitude que tout espoir leur paraît désormais impossible !... C’était cependant exact. Les nouvelles leur sont bientôt confirmées partrois suspects qui viennent d’arriver à l’instant dans Saint-Lazare.Alors, sous les yeux des guichetiers impassibles, ils osent flétrir lesinfamies du régime abominable qui vient de finir et sur les murs de ceréfectoire, témoin de tant de scènes de désespoir, face à la ported’entrée, ils dessinent avec des morceaux de charbon qu’ils sont allésprendre à la cuisine, sans que personne s’avisât de les empêcher, lasilhouette de Robespierre gravissant les marches de l’échafaud, tandisqu’un squelette, coiffé du bonnet rouge de l’exécuteur desHautes-Œuvres, actionne la guillotine, cependant que toutes les ombresdes innombrables victimes se dressent et d’un geste vengeurstigmatisent à jamais pour la postérité l’Incorruptible en lui jetantcet anathème : Il s’abreuva du sang d’un million de victimes, Il parla de vertus et commit tous les crimes !... ~~~~~~~~~ Dès lors, le déclin de la Maison Lazare, prison de la Terreur, commence. Le 11 Thermidor, douze nouveaux suspects arrivent encore. Ce sont lesderniers. A partir de cette date il n’entre plus personne. Le 18Thermidor ; au matin, les sorties s’effectuent régulièrement et le 24Frimaire An III (14 décembre 1794) le dernier prisonnier franchit leseuil désormais tristement célèbre de : SAINT-LAZARE LA ROUGE La guillotine pouvait désormais se reposer puisque, avec la chute deRobespierre, les assassins pourvoyeurs des prisons connurent à leurtour les affres et les apprêts du supplice. C’était fini. Splendide, étincelant,superbe, Luisant sur la Cité comme la faux sur l’herbe, Large acier dont le jour faisait une clarté, Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité De l’éblouissement du triangle mystique, Pareil à la lueur d’un temple antique, Le fatal couperet relevé triomphait. …………………………………………………………… Il n’avait rien gardé de ce qu’il avait fait Qu’une petite tache imperceptible et rouge… (V. Hugo.) Dr LÉON BIZARDet JANE CHAPON. NOTES : (1) Copyright by Dr LéonBizard et Jane Chapon, 1935. Tous droits de traduction, adaptation,reproduction et représentation cinématographique ou autres réservéspour tous pays, y compris la Russie (U. R. S. S.). (2) Emplacement de l’actuelle église Saint-Vincent-de-Paul. (3) Le bruit avait couru – l’hiver de 1788-1789 ayant été très dur –qu’une immense quantité de blé et de farine remplissait les greniersdes Lazaristes. Comme l’ont démontré plus tard les documentsirréfutables des Archives Nationales, cette quantité ne dépassait pasles approvisionnements indispensables à toute grande communauté pournourrir un personnel nombreux au moins un mois. Mais la malveillance etla mauvaise foi firent taxer de crime ce qui n’était qu’une simplemesure de prévoyance. D’autre part, les registres des Halles certifient qu’au mois dedécembre et janvier 300 sétiers furent donnés aux halles par les frèresainsi que 100 sétiers en juin et autant au commencement de juillet. Surla simple demande des magistrats chargés d’administrer Paris, la villeput, grâce aux dons gratuits des Lazaristes, livrer 500 sétiers deblé à 12 livres au-dessous du cours et en avoir elle-même bénéfice.Enfin, dans la paroisse Saint-Laurent, depuis la mi-décembre 1788jusqu’à Pâques 1789, plus de 800 pauvres eurent deux fois chaque jourdu pain et de la soupe distribués par les charitables religieux deSaint-Lazare. (4) Lettre manuscrite de la collection de la famille du comte de Fuzier. (5) Plus tard maréchal Lefèbvre, duc de Dantzig dans les arméesimpériales. (6) Cette maison sise boulevard Saint-Germain vient d’être démolie. (7) La poésie connue sous le titre des : Derniers iambes des Chénier,composée peu avant d’aller à l’échafaud, ne fut pas écrite à laConciergerie, comme le voudrait la légende. André Chénier et sescompagnons, transférés le 6 au soir dans cette prison, montaient le 7 àl’échafaud. Nul d’entre eux ne put, dans ce court intervalle,communiquer avec le dehors. Une tradition, s’appuyant sur l’édition desœuvres d’André Chénier parue en 1819 et corrigée par Henri de Latouche,raconte que le poète ne put achever ces iambes. Appelé à comparaîtredevant le tribunal révolutionnaire, le destin aurait arrêté soninspiration après le trente-septième vers : « Vienne, vienne la mort ! que la mort me délivre !... » Cette inexactitude est aujourd’hui démontrée par les récentespublications des œuvres complètes du poète. (8) Actuellement place de la Nation. |