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BONNEAU, Alcide (1836-1904) : Préface au Traité des Hermaphroditsde Jacques Duval(1880).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (25.IV.2013)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire d'une collectionparticulière de l'édition donnée en 1887 par Isidore Liseux dans Curiosa, essais critiques de littératureancienne ignorée ou mal connue.


PRÉFACE
AU
TRAITÉ DE HERMAPHRODITS (1)
DE
JACQUES DUVAL

par
Alcide BONNEAU
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LE traité desHermaphrodits, du vieux médecin Rouennais Jacques Duval, est depuislongtemps classé parmi ces livres curieux et rares que les bibliophilesaiment à posséder et peut-être à lire. La singularité du sujet, quepersonne encore n'avait étudié si à fond et que l'auteur sut étendrebien au-delà de ses limites naturelles, lui valut au XVIIe siècle unerenommée assez grande ; la bizarrerie et la naïveté du style, lesétonnants développements donnés à certains détails physiologiques, lalui ont conservée jusqu'à nos jours. Un médecin qui aujourd'huireprendrait ce thème le traiterait sans doute autrement, sur des basesplus certaines et à l'aide d'observations mieux contrôlées ; il feraitun livre plus scientifique, mais à coup sûr moins divertissant.

Jacques Duval n'est guère connu que par cet ouvrage. Il est en outrel'auteur d'une Hydrothérapeutiquedes fontaines médicinales nouvellement découvertes aux environs, deRouen, Rouen, 1603, in-8°; d'une Méthode nouvelle de guérir les catarrheset toutes les maladies qui en dépendent, Rouen, 1611, in-8° ; etd'une Réponse au discours fait parle sieur Riolan contre l'histoire, de l'hermaphrodit de Rouen,Rouen, 161 5, in-8°. On. lui reproche généralement de s'être montrétrop crédule, d'avoir accueilli sans examen quantité de fictions et defables puériles, de faits controuvés et d'opinions ridicules. C'est lascience incomplète et pédante de son temps qui en est cause ; un deschapitres du livre, celui où il explique à l'un des Conseillers de laCour les motifs de son rapport, dans la cause de ce fameuxhermaphrodite de Rouen, rappelle étonnamment la phraséologie desmédecins de Molière. En le lisant attentivement, on s'aperçoitd'ailleurs qu'il rejette au moins autant d'erreurs qu'il en admet etque, de celles qu'il adopte, la plupart ne lui appartiennent pas enpropre : Cardan, Paracelse y avaient fait croire avant lui. Au point devue historique, les extravagantes données sur lesquelles reposaitl'ancienne médecine ont leur intérêt ; elles font apprécier le cheminparcouru depuis et le génie persévérant de ceux qui osèrent rompre avecune routine consacrée par tant de vieux textes, tant d'autorités en apparence si inébranlables.

La singulière occasion qui lui mit la plume à la main, montreprécisément qu'il n'était pas l'esclave des sots préjugés de sonépoque. Un pauvre diable, victime d'un vice de conformation assez rare,après s'être cru longtemps femme et avoir passé la moitié de sa viecomme chambrière dans diverses maisons, s'aperçoit un beau jour qu'il atout ce qu'il faut pour être homme ; une jeune veuve qu'il courtise estde son avis et ne trouve aucune différence appréciable entrel'ex-chambrière et son défunt époux. Sa décision aurait du suffire ;mais l'Église, pas plus que les Parlements, n'était bien tendre pourles disgraciés de la nature, et les individus d'un sexe indécis setrouvaient spécialement voués à l'anathéme comme fils ou suppôts deSatan. Riolan, médecin de Marie de Médicis, celui-là même à qui J.Duval adressa la Réponsecitée plus haut, Riolan croyait être bienhardi en établissant que l'on peut se dispenser de faire périr lesgéants, les nains, les sexdigitaires, les individus à têtedisproportionnée, et qu'il suffit de les reléguer loin de tous lesregards : cela semblait une nouveauté bien paradoxale. Quand l'homme enquestion s'adressa, pour avoir dispense de se marier, au Pénitencier deRouen, il fut déféré à Justice et le procureur du roi conclut bel etbien à ce qu'on le brûlât vif, sans autre information ; tout ce que lesjuges purent faire, ce fut de commuer le bûcher en la potence.Cependant, le misérable en appela, la Cour ordonna qu'il seraitexaminé, chose que l'on avait négligée comme superflue, et, par bonheurpour lui, Jacques Duval fut un des dix médecins, chirurgiens etsages-femmes jurées commis à cet effet. Tandisque tous ses confrères et les vieilles matrones elles-mêmes, arrêtéspar une pudeur bien surprenante, se contentaient de regarder de loin lemonstre et, ne voyant rien, déclaraient que le prétendu hermaphroditeétait une ribaude bonne à pendre, Dunval, plus entreprenant, mit lesdoigts où il fallait pour s'assurer de la vérité du fait, et seconvainquit d'avoir affaire à un androgyne ou gunanthrope intermittent.Il ne put triompher de la répugnance de ses confrères, quis'obstinèrent, malgré ses supplications, à garder leurs mains dansleurs poches ; mais son rapport décida la Cour, qui renvoyal'hermaphrodite absous et lui permit plus tard d'épouser la veuve.

Fier, et à bon droit, d'un résultat pareil, Jacques Duval ne voulut pasen laisser périr la mémoire. Il composa donc tout exprés ce livre, pourlequel il colligea diligemment tous les exemples d'hermaphroditismequ'il put rencontrer, tant dans la Fable que dans les auteurs, depuisAdam, qu'un verset de la Genèse dit avoir été créé homme et femme,jusqu'à Marin le Marcis, l'intéressant gunanthrope soumis à son examen.Cela le conduisit à parler d'autres monstruosités non moins curieuses :du noble Polonais à qui survint une dent d'or, de l'homme qui, à forcede vivre dans les bois, se vit pousser des cornes de cerf sur la tête,de la jeune fille qui avait, au lieu d'ongles, des tuyaux de plumes decygne, et d'une foule d'autres belles histoires. Pour se rendre comptede toutes ces anomalies, encore faut-il avoir quelques notions du corpshumain à l'état normal et spécialement, pour le cas ambigu de Marin leMarcis, des parties destinées à la génération chez l'homme et chez lafemme ; Duval exposa donc doctoralement tout ce que de son temps onsavait là-dessus, et, comme la matière est intéressante, il y ajoutapar surcroît quelques bons chapitres sur les signes de pucelage et lessignes de défloration, la membrane hymen, le déduit vénérien, lesgrossesses, les accouchements, avec force recommandations à l'adressedes sages-femmes ignares et négligentes ; il fit de son livre un traitépresque complet d'anatomie et un manuel d'obstétrique. Enfin, nevoulant rien oublier, il chercha dans l'astrologie la cause efficientedes malheurs du pauvre gunanthrope et ne manqua pas de la trouver : lemalin Mercure, la bénigne Vénus, le triste Saturne avaient coopéré à sagénération, ce qui explique tout, et les médecins, chirurgiens,sages-femmes, devaient fatalement balancer longtemps à reconnaître sonsexe, puisqu'il était né sous le signe de la Balance !

Ces rêveries n'enlèvent rien à l'utilité que put avoir au XVIIe siècle le traité des Hermaphrodits età l'intérêt qu'il a maintenant encore pour nous ; au contraire, ellesnous amusent. Le livre nous plairait toutefois davantage, sil'abondance et la confusion d'idées du savant ne faisaient quelque tortà la limpidité de l'écrivain. Jacques Duval commence une phrase avec lameilleure intention du monde, mais il a tant de choses à dire qu'il laperd tout de suite de vue et s'égare, sans l'achever souvent, dans undédale d'incises et de parenthèses ; rarement avons-nous rencontréstyle plus bizarre et plus embrouillé. N'importe; ce mauvaisgrammairien fut un brave homme. Sa physionomie, telle que la gravurenous l'a transmise, indique un esprit réfléchi en même temps qu'ungrand fonds de bonté ; ce sont deux qualités louables, chez un médecin.Il a sauvé la vie d'un pauvre diable et écrit un livre curieux : envoilà assez pour que sa mémoire ne périsse pas complètement.

Juillet 1880.

NOTES :
(1) Traité des Hermaphrodits,parties génitales, accouchemens des femmes, etc., où sont expliquez lafigura des laboureurs et verger du genre humain, signes de pucelage,défloration, conception, et la belle industrie dont use Nature en lapromotion du concept et plante prolifique, par Jacques Duval, Docteuret professeur en Médecine, natif d'Évreux, demeurant à Rouen. Réimprimésur l'édition unique (Rouen, 1612). Paris, Liseux, 1880, in-8.