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BOUTET, Henri (1851-1919) : Autour d'Elles : le lever - le coucher.-12e édition.- Paris : Librairie Ollendorff, 1899.- 153 p. :ill.; 19 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (15.III.2005)
Relecture : A. Guezou
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Orthographe et graphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire d'un collectionparticulière.
 
Autourd'Elles
Le lever - Le coucher
par
Henri Boutet

vers l'image agrandie (336 ko)

Préface
par
Armand Silvestre
[non reproduite]


LELEVER

vers l'image agrandie (343 ko)

Le Lever

Quand elle se fut bienétirée, quant elle eutfrotté ses yeux de ses petites mains aux jolies fossettes etaux griffes roses, elle fit ouvrir les rideaux. Un jour clair etdoré pénétra dans la chambre, filtrantau travers la mousseline légère, baignant lapièce coquette, semant de la gaîtépartout, accrochant sur les meubles et aux contours des draperies commedes noeuds de rubans et des traînées delumière.

On était en novembre. Dehors, il devait fairetrès froid ; et quand, au lit, on a la sensationqu’il gèle dehors, on s’y trouve bienmieux. On y prolonge, à loisir, la délicieuseparesse des matins. Alors, à quoi bon se presser et quittervite l’endroit où l’on est si bien quandrien ne vous y oblige ! Où peut-on être mieux pourpenser à ce qu’on aime ? Pour caresser sesdésirs et faire passer devant ses yeux tout cequ’il y a de bon dans la vie ! Les souvenirs s’yimprègnent de quelque chose de très tendre et lesespoirs y naissent dorés par les rayons du soleil qui monte,derrière les maisons, et emplit la pièce de toutesa splendeur et de toute sa joie.

Le Déjeuner

Le petit déjeuner estapporté ; les tartinesbeurrées, les gâteaux secs sont là, surla table, Madame se soulève un peu, ramène dansson dos l’oreiller affaissé, prend de ses doigtsmenus la petite tasse de saxe d’oùs’échappe le parfum de la crème et dumoka qui monte en vapeur légère, caressant sesnarines roses, émoustillonnant son palais, lui donnant unevolupté de chatte à entrer les dents dans labrioche dorée, à tremper les lèvresdans la douce tiédeur du lait, à avaler parpetites gorgées la bonne chaleur qui caresse sa chair, quilui court dans les veines et lui donne la sensationd’être envahie, peu à peu, par lamoiteur du lit, d’être baignée dansquelque chose de tiède qui l’invite àparesser encore, à replonger sa tête dansl’oreiller pour y retrouver la fin des derniersrêves et y chercher encore la joie d’un nouveauréveil.

Les Journaux

Mais elle ne dormit pas, oumal. Quelque chose à quoi ellen’avait pas songé tout d’abord luirevint à l’esprit et, vite, elle prit un desjournaux du matin apportés sur sa table, ledéplia et chercha si les promotions du ministèrede l’Hygiène sociale étaient parues. Oh! ce n’était pas qu’elleattendît pour elle la moindre distinction. Mais, son« ami » - gros fabricant de produits alimentaires -attendait la croix parce que, sous prétexte que les vieuxjournaux s’appellent du « bouillon », ilavait trouvé le moyen d’en extraire unepâte nutritive et réconfortante. Son nom avaitété signalé et inscrit sur la liste dela prochaine promotion. Ce jour-là, il devait donnerà sa femme une douzaine de couverts et à samaîtresse une paire de brillants. Mais rien encore pouraujourd’hui ! Et, douillettement, elle laissa retomber satête sur l’oreiller… Mais, vite elles’éveilla, haletante, en nage, l’oeil enfureur et gardant encore l’impression d’un affreuxcauchemar !... Elle avait rêvé quec’était elle qui avait reçu la douzainede couverts !

Les Fleurs

Elle avait le culte des fleurset croyait à leur symbole. Lamodeste marguerite était souvent consultée parelle. Elle disait qu’elle ne mentait jamais. Il enétait d’audacieuses, de passionnées etde perverses ; elle y croyait aussi. Elle croyait à toutesles fleurs.

Elle reçut, un jour, une orchidée. Elle sutd’où elle venait et qu’elle voulait dire: passion, souvenir des ivresses passées, désirdes ivresses futures. Elle mit la fleur prometteuse de baisers,à l’endroitpréféré, pour mieux penserà ce qu’elle était venue lui demander - Monsieur qui ne venait jamais, vintce jour-là.C’était, cependant, un parfait nigaud dont elle semoquait et à qui elle aurait pu conter que lesorchidées et les lys parlaient la même langue ;mais la fleur était là, devant ses yeux,passionnée et narquoise, dressant orgueilleusement, devantson front, ses lobes comme des cornes, et il comprit tout ce que lafleur était venue dire à cette petite femmequ’il croyait être à lui seul. Il fitune scène !... Inutile d’ajouter que Madame luijura qu’elle n’aimait que lui et qu’il lecrut. Elle fut donc persuadée, une fois de plus, que lesfleurs pensent, qu’elles souffrent, qu’ellespleurent… et qu’elles parlent !

Hop, là !

Mais il faut tout de mêmese lever ! Dix fois, vingt foiselle s’est dit : tout à l’heure, sans sedécider à s’arracher d’unendroit où on est si bien. Le feu maintenant flambe etpétille entre les chenêts de cuivre, semant desreflets d’or qui luttent avec les rayons du soleil. - Hop,là ! d’un mouvement la voilà sur lecoude, d’un pied elle fait voler les draps, puis, sur lesdeux mains appuyées, elle s’avance au bord du litet la jambe d’une Diane au bain, souple et nerveuse, coule lelong des draps quand le pied coquet s’arrête sur letapis. - Ah ! cela n’a pas été sanspeine ! bien souvent elle a regardé l’heure en sedisant : « Encore cinq minutes », puis :« Encore cinq autres ». - Mais la paressen’est un défaut que pour celles qui ont quelquechose à faire et, si elle restait au lit toute lajournée, elle n’en serait guère plusparesseuse pour ça !

La Boucle d’oreille

Madame, ce soir, décida,pour une fois, de se coucherà l’heure où se couchent les poules etde passer une nuit de petite pensionnaire sous la blancheur des rideauxde cretonne. Au lit, il lui vint des idées de vertu, de viepaisible, à la campagne, entre une vieille bonne et desanimaux domestiques ! Elle lut un peu, avant de s’endormir,de bons livres de paix reposante, et se complut dans la peinture depassions bourgeoises qui donnaient à son âme dessensations douces.

Cependant, le matin, elle s’éveillatrès agitée, très troublée; son oreiller était à terre et ses draps avaientdes remous de vague en délire. Elle bâilla,arrangea ses cheveux défaits ; mais, ô terreur !à son oreille manquait un solitaire ! Alors elle bouleversatout, le traversin, le couvre-pied, chercha dans les plis des draps,regarda à terre, où, enfin, elle vit, sous lelit, dans son cercle d’or, le diamant qui brillait comme unphare ! Cette évocation de la vie bourgeoise lui semblaêtre la cause de son agitation. « Oui, dit-elle,c’est bien ça, la vie que je mène vautmieux ; les passions y sont moins fortes. j’aurairêvé du Maîtrede forges ! »

Les Bas

Tout ce qui touche àl’arrangementféminin nous intéresse ! S’il est unequestion souvent sur le tapis et relevant d’un sujet si peusévère, c’est bien celle de la couleurdes bas ; il n’est donc pas inutile de la traiterd’un peu haut pour lui garder tout l’attraitqu’elle comporte.

Est-ce crainte de conclure trop à la hâte, de nepas suffisamment avoir examiné la question, de vouloird’autres expertises, on ne sait pas ? Mais,là-dessus, personne n’est d’accord. Sousle prétexte qu’elles peuvent nous en faire voir detoutes les couleurs, les femmes nous tournent la tête et nousla font retourner rien qu’en nous montrant leurs bas quellequ’en soit la couleur. Aussi est-il sage d’attachermoins d’importance à leur nuance et de garder sonattention pour la jolie jambe qu’ils contiennent et qui saitbien être tentatrice, qu’elle soithabillée de blanc ou de noir, de lilas ou de rose.

La Jarretière

La Jarretelle, paraît-il,adétrôné la jarretière ! Ons’est battu pour conquérir des trônesqui n’étaient pas si bien situés et surle moelleux desquels, après le succès, ilétait moins doux de s’ébattre. Lespartisans de chacun des moyens de laisser un bas bien tirésur une jambe fine n’ont pas désarmé,et la jarretière qui possède des titres denoblesse que n’a pas sa roturière adversaire,espère, dans la faveur de la mode, reprendre une placequ’elle a dû quitter bien à regret.

Sollicitée sur cette question dont la grâcen’exclut pas l’intérêt, une denos plus jolies Parisiennes répondit en rougissant un peu, -oh ! très peu, juste ce qu’il fallait pourparaître encore plus jolie : « Mon Dieu, lajarretière serre, mais la jarretelle tire, ce qui est uninconvénient pour chacune d’elles. Lajarretière a le désavantage depouvoir…. s’oublier. En un mot la jarretelle estplus commode ; mais au point de vue esthétique,c’est autre chose : la jarretière est mieux.Aussi, suivant les heures, je porte la jarretelle pour moi et lajarretière pour mon mari. - Conclusion qui indique que lesparties, étant élastiques, peuvent user deconcessions même sur un terrain aussi brûlant.

La Capote rose

Si le tempsn’était pas beauaujourd’hui, elle allait pouvoir mettre la jolie capote roseque, avec tant de soin, elle avait choisie et dont la nuance avaitété examinée dans les coins assombriset dans la demi-lumière des endroits propices. Cette capoteaux tons roses éteints, aux nuanceslégèrement passées, lui allaità merveille par les temps gris et cendrésoù la lumière arrive comme derrière unvoile. Et, au Bois, les jours d’automne, dans la tristetombée du jour, sur le fond de rouille des arbres, piquantl’horizon d’encre de sa petite tache rose, cettecapote était comme une fleur attardée, matant sonteint sous la voilette, donnant à ses yeux un troublantmystère d’ombre. Et elle se savait si jolie, souscette capote rose, qui ne lui allait que par les temps gris,qu’elle en voulait ce matin au soleil qui inondait la chambreet qui semblait la narguer.

La Lettre

Madame,encore au lit,décachète la lettre quela bonne vient de lui remettre.


« MON PETIT LOULOU,

« Me croiras-tu si je tedis que je ne pensequ’à toi ?... que les heures se passent sansqu’un instant ta chère image ait quittéma pensée. Oh ! comme c’est dur tout demême cet éloignement qui me prive de toi ! Jesouffre comme je ne croyais pas qu’on pouvait souffrir ! Ilme semble que cette séparation ne finira jamais et ma raisonne sait pas dire à mon coeur qu’ellen’est que momentanée et que les heureux joursreviendront. Je suis dans un tel état, dans un si completabandon de pensée que je ne perçois plus ce quiest de ce qui n’est pas. Il me semble que tu vasm’échapper et, comme un enfant, sur ce papieroù je t’écris, je laisse tomber meslarmes en te couvrant de baisers.
    
    « TON GEORGES.»

- Oh ! très chic, sa lettre ! je vais la recopier pourl’envoyer à Gustave !


Madame écrit

Il faut penser ce qu’onveut de ce qu’elles disent,mais il ne faut jamais croire à ce qu’ellesécrivent. Le style épistolaire est un bouillon deculture propre à leurs mensonges et leprocédé littéraire cher àMme de Sévigné développe chez ellesd’incroyables facilités à nous fairecroire tout ce qu’elles veulent. Les adjectifsenjôleurs jouent à colin-maillard avec lesadverbes les plus éloquents, les participes les pluspassés nous sont présentés dansl’éclosion d’une fraîcheur desentiments qui éveille l’idéed’une matinée de printemps. Si les promesses etles serments jouent à saute-mouton… sur notredos, ce n’est pas sans nous faire pressentir qu’ilnous faudra baisser la tête pour que, sans qu’ilsnous blessent, les accrocs à lafidélité puissent passer par-dessus, et quandelles nous écrivent : «Je ne pensequ’à toi», il ne faut pas leur demanderplus que d’y penser juste au moment où ellesmettent notre nom sur l’enveloppe. On a beau savoir toutcela, le petit griffonnage sur papier rose paraît toujours nepas mentir, et ce sont toujours ceux qui reçoivent leslettres qui y croient et jamais celles qui les écrivent !


La Pantoufle

Ce serait un tortd’affirmer que le mouvement de cette jeunepersonne qui cherche sa pantoufle ait emprunté quoi que cesoit à la simplicité d’expression des primitifs - mais s’il fallaitchercher le pourquoi detoutes les raisons qui font agir cette petite femmeébouriffée, nous en finirions d’autantmoins que, même en le lui demandant, nous n’enserions pas plus avancés. - Il semble toutefois que,puisqu’elle est au lit, elle n’a pas besoin de sapantoufle et que, si elle veut se lever, à quoi lui sert dese donner tant de mal et faire une pareille cabriole pour attirerà elle la petite mule où elle va glisser son piedcoquet ? - Alors, pourquoi ? Pour rien ! Parce que tout cequ’elle fait est comme ça, voilà tout !Experte en manières féminines, elle pare songeste comme elle pare son corsage et elle se donne àelle-même la répétition de sesminauderies.

Il faut bien qu’elle prépare tout ce qui doit lafaire désirer et tout ce qui peut nous asservir !


Le « Petit Bleu »

On n’imagine pas lenombre de petits bleus quereçoivent les petites femmes ! Leur vie découlantde l’irrégularité et del’imprévu, c’est d’heure enheure que cette vie peut se modifier et c’est le petit bleuqui vient dire : « Pas ce soir, demain quatreheures, » ou : « Impossible dîner avectoi ». - Celui qu’elle venait de recevoir disait :« Affaire m’oblige partir à Rouen, nereviendrai que demain. Signé : Georges. » Elleréfléchit un instant : « Ça,mon vieux, c’est un bateau,dit-elle, mais tu me le paieras! » Son tyran était un tyran jaloux et elleétait sûre que, dans la journée, ilarriverait, disant qu’au moment de partir il avaitreçu contre-ordre. - Alors, elle ne sortit pas et attendit.Dans l’après-midi on sonna ; la bonne entra :« Madame, c’est Monsieur. » Elle pritl’air étonné qui convenait àla mine de circonstance qu’elle s’étaitimposée : « J’avais peur de ne pas tetrouver ? - Tu sais bien que quand tu n’es pas là,je n’ai guère le coeur àsortir », dit-elle en lui sautant au cou. - Elle se fit payerun bracelet et, avant de se coucher, jeta un mot à Gustave :« Viens demain matin, je n’aurai pas moncrampon. »

Journée de Parisienne

La journée d’uneParisienne se compose de beaucoupde choses à faire et d’une suited’occupations qui, toutes, ont pour but de la faire surtouts’occuper d’elle-même. Corsets ouchapeaux à essayer, cheveux à onduler, chiffonsà choisir ; on n’en finirait pas ! puis ensuite :promenade au Bois, matinées, five o’ clock,exposition de tableaux, courses d’automobiles et vingt autreschoses semblables. Le soir : dîner,théâtre ou tournées àMontmartre, soirées, bal, souper ; à cette heureon en finirait encore moins s’il fallait dire tout cequ’elles ont à faire. Et les jours se suivent etle temps passe aux mêmes choses, toujours pareilles, auxmêmes endroits où elles portent leurbeauté du diable et leur ensorcellement ! Et, si elles nepeuvent se passer de plaisir, on ne voit pas trop quels sont lesplaisirs qui pourraient se passer d’elles !

Le Corset

Mon ami le Dr M.Maréchal, un ennemi acharné ducorset, prend les artistes à partie dans un de ses brillantsarticles d’hygiène. Il nous en veut ànous autres artistes, nous traite de « vendus ducorset » et nous dit que nous aurions pu le fairedisparaître.

Entre mon ami le docteur et moi, la lutte est inégale : jene peux pas discuter science et hygiène avec lui, et, lui,peut très bien causer esthétique avec moi. Jepeux lui répondre cependant que n’étantque les traducteurs et non les initiateurs de ce que nous voyons, il atort de nous rendre responsable d’un état dechoses - et quelles choses ! - contre lequel nous ne demandons pasmieux que de nous battre.

Mais, allez donc faire comprendre à cette petite femme quise désespère et qui lutte avec ses agrafes et seslacets parce qu’il va lui falloir quitter le 45 pour le 46,essayez donc de la consoler et de lui apporter seulement du 50 de tourde taille en lui disant qu’elle est mieux dansl’harmonieux développement de son torse et de seshanches que coupée en deux comme elle est. Elles ne secorsètent pas pour nous, mais pour elles…

All Right

La voilàhabillée, parée àsouhait, poudrée, enrubannée comme un fragilebibelot qu’elle est.

A ta jupe à traîne, Marguerite ! A ta robed’indienne, Mimi Pinson ! le costume d’androgynesonne le glas de votre grâce modeste. Vos soeurs nenous prennent plus maintenant par leur simplicité. - Usantles heures dans l’impatience de leurs désirs,elles ne savent plus s’arrêter en chemin pourcueillir, au bord de la route, la petite fleur sauvage qui garde sonparfum dans un souvenir ; et celles qui suffisent à lagriserie d’un jour ont conquis leur corsage.

Elles vont plus vite depuis qu’ont étérognées leurs ailes ? Au pays du tendre, le temps desvoyages est passé, et voilà belle lurette que lesclercs de notaire ont remplacé par des valeurs àlot l’éloquence rythmée de leursalexandrins…

Dans la course folle, le vent qui plaque sur elles la culotte de satin,ballonne leur chemisette et ébouriffe leurs cheveux ne leurapporte plus la fraîcheur qui apaise la soif des ivressesrêvées. Et c’est toute l’imagede leur vie qui passe, quand, montées sur la bêtede fer, elles nous font l’effet de n’allertrès vite que pour n’aller nulle part.


LECOUCHER

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Le Coucher

Madame, le soir, se coucha tardou plutôt de bonne heure,puisqu’il était quatre heures du matin quand ellerentra.

Depuis un mois elle savait que la fermeture de la chasse tombait unjour de bal à l’Opéra. Al’aide de l’amie complice,préparée à l’avance, elles’était promise de braconner pendant que Monsieurtirerait le lapin. Elle en revenait, à cette heure,discrètement, ayant tout arrangé chez elle pourqu’on ne s’aperçût pas de sonescapade.

Elle n’ignorait pas qu’on pinçait fermeau bal de l’Opéra ! Mais, c’estégal, jamais elle n’aurait cru qu’onpouvait être pincée tant que ça !Enfin, l’important était de ne l’avoirpas été par Monsieur, car, un moment, elle avaitcru que, lui aussi, aurait bien pu remarquer que la chasse fermait unjour de bal à l’Opéra. Mais cequ’elle en avait rapporté des bleus ! Et presquetous au même endroit ! Et elle partit, non sans peine, ayantposé au moins autant de lapins que Monsieur avaitdû en tirer.

Enfin !

Ah ! non. Ce ne fut pas facile de sortir et de sedépétrer de tout ce monde qui vous assaillait detous les côtés. - Elle faillit perdre un soulieret, pis encore, son corset qu’elle trouvadégrafé - ce qui prouve qu’on peutperdre même un corset.

De temps en temps les journauxnous apprennent le nombre et laqualité des objets qui sont oubliés dans lesvoitures de place. - On est frappé de la quantitéde corsets laissés, par mégarde, sur lesstrapontins ! - Faut-il en conclure que, se serrant trop, beaucoup defemmes profitent de cet endroit propice pour se dégrafer ?Si c’est une raison pour oublier son corset, cen’en est pas une pour ne pas aller le rechercher, et on ne vapas réclamer les corsets. - Pourquoidélaisse-t-on ainsi ces pauvres petits corsets ? Car ce nesont pas de vilains corsets de nourrice, - mais de mignons petitscorsets de satin, aux couleurs gaies, embaumés etcoquets..... Et on les laisse comme ça, prenant pour euxmoins de peine que pour un vulgaire parapluie !... Il y a ainsi un tasde choses qu’on ne peut s’expliquer ! Et chaqueannée, devant la statistique publiée, on resterêveur devant tous ces jolis petits corsetsoubliés, quand on pense à ce qu’ils ontperdu et à ce qu’ils vont devenir !

Le Billet doux

Elle ne fut pas peu surprise encontinuant de se déshabillerde trouver un biller doux… dans son pantalon ! Vous avezbien entendu… dans son pantalon ! Un billet doux !Même il devait être très doux, cebillet, car rien, jusque-là, n’avaitrévélé sa présenceà un endroit plutôt…délicat. On lui en avait fourré partout desbillets doux et, depuis longtemps, elle n’étaitpas étonnée quand elle en trouvait dans sonmanchon, dans son ombrelle ou dans la poche de sa jaquette. Une fois,en revenant d’un bal, elle en trouva un dans son corset et,à l’Opéra- Comique, un soir, dans laloge, elle en vit un - dans le chapeau de son mari ! - Mais, , c’étaittrop fort ! Et,cependant, elle fut flattée. Évidemment celatémoignait d’une attention spéciale etde mains expertes en galanteries - c’étaitdélicat, cela devait être d’unpoète ?

Après le Bal

Elle continuait de sedévêtir. Jamais, dans aucunendroit, ses «dessous» n’avaient autantsouffert. Une bouffette de ruban manquait à son pantalon ;le cordon de son jupon était cassé ; le volant desa chemise pendait, décousu, comme un pavillon en berne.Elle s’était tellementtrémoussée, il avait si bien fallu jouer descoudes et remuer des jambes pour se défendre contre lesmenues galanteries de tout ce monde endiablé que celan’avait, en somme, rien d’étonnant ; et,gisant à ses pieds, elle contemplait les témoinsdes rudes assauts qu’elle avait subis et dont elleétait enfin sortie grâce à ce grandserin qui l’avait mise à sa porte et qui auraitmérité qu’on lui en fîtautant. Elle en oublia le billet doux reçu. Jamais,vraiment, elle n’avait ététraitée avec une pareille indifférence. Il estdes audaces qu’on pardonne et des réserves quioffensent !

Le Sonnet

Elle ne s’étaitpas trompée, ce billetétait bien d’un poète, la preuvec’est qu’il était en vers.C’était la première foisqu’elle recevait des vers. - Elle en fut flattée.Elle ne s’aperçut guère si les versboitaient parce que l’auteur marchait bon train,piétinait les plates-bandes de la rhétorique, etallait droit au but sans aucune périphrase. Son style avaitl’audace et la franchise de son geste et ce billet avait bienété placé où il fallaitqu’il le fût.

           « Et, si vousn’avez pas le coeur dur comme un roc,
           Vous serez, vers cinq heures,demain soir à Saint-Roch. »

Ainsi se terminait, par cettechute, ce sonnet qui n’enétait pas un ; et, si certains vers par leur douceurchantaient dans son oreille, ces deux derniers sonnaient comme unclairon et faisaient vibrer d’émotion sa petiteâme curieuse.

Le Sauveur

Enfin ! ce n’étaitpas sans peinequ’elle était revenue d’une aussi chaudealerte ! Dieu ! qu’elle avait eu peur ! Et, sans ce monsieurqui dans la bousculade l’avait prise dans ses bras etl’avait protégée contre les attaques detant de mains indiscrètes, que serait-elle devenue ? Ellefut prête à s’évanouir etreprit ses sens sans se rappeler comment elle se trouvait en voitureavec ce monsieur qui l’avait reconduite. Alors, elle eutencore plus peur ! Elle se reprit un peu et se rassura quand elle vitqu’il n’avait pas retiré ses gants. Illui demandait, de temps en temps, d’une voix trèsdouce, si elle se sentait mieux ; et, arrivée àsa porte, il lui baisa la main, la priant seulement de consentirà ce qu’il allât prendre de sesnouvelles. Elle remercia et dit que c’étaitinutile ; et il partit sans insister, en la saluant, tandisqu’elle se demandait ce que, vraiment, un homme si correctétait bien venu faire au bal de l’Opéra?

La Cachette aux Secrets

Dans la grandebibliothèque, héritaged’un oncle bel esprit, parmi les vieux livresreliés en veau, les traités de botanique, lesprécis d’histoire universelle, les vieux romansd’où s’échappait une odeur devanille et de poussière, se trouvait un grosévangile selon saint Mathieu entre les pages duquel elleintercalait ses billets doux. Saint Mathieu avait donc, sansqu’il en ait été pressenti, la garde deses secrets, et les mystères d’un petitcoeur de femme étaient confiésà la discrétion de pages qui n’avaientsans doute pas été faites pour recevoir un siprécieux dépôt. Le plus pur styleorthodoxe faisait vis-à-vis avec des manuscritsoù l’on pouvait lire« J’embrasse mon gros loulou » ou« Un petit bleu, sitôt que ton mari sera partià la chasse ».

Mais l’endroit était sûr ; Monsieur nefouillait pas souvent dans la bibliothèque. Il n’yfouillait même jamais, son gros ventrel’empêchant de grimper sur une chaise etd’atteindre le rayon du haut où saint Mathieurésigné consentait, malgré lui,à couvrir de ses pages austères unecorrespondance plutôt folâtre et àgarder le secret de rendez-vous même quand ilsétaient donnés dans une église.

La Prière

De sa vie de couvent elle avaitgardé l’habitudede faire chaque jour sa prière. Le soir, en corset, enpantalon bouffant aux noeuds de rubans clairs, la chemisedescendant sur les bras nus, découvrant la splendeur desépaules, elle s’agenouillait au bord du lit, lescoudes enfoncés dans le couvre-pied de satin, alors que sajolie tête, se penchant sur ses mains repliées,donnait à sa nuque grassouillette une éloquenceplutôt faite pour damner un saint que pour lui faire penserà intercéder pour elle près du Dieu depardon…

Le matin, encore au lit, la tête douillettement perdue dansl’oreiller, elle demandait avec convictiond’être préservée despéchés qu’elle avouerait le soir,sachant que l’aveu en pardonne au moins la moitiéet que, ces péchés n’étantpas bien gros, l’autre moitién’était pas une affaire, surtout quand pour enobtenir le pardon elle savait prendre une attitude, peut-êtrepas très liturgique, mais bien faite pour qu’on nelui refuse rien.

Hélas ! Seule !...

Décidément laprière lui faisait dubien ! C’est ce qu’elle appelait «fairefaire dodo à son âme». Elleétait maintenant plus tranquille, moins troublée,et se plaisait à se remémorer les phases de sonescapade, et cette rentrée en voiture avec ce monsieurqu’elle ne connaissait pas, et qui avait pousséles convenances jusqu’à ne pas retirer ses gants.- Non, ce n’était pas l’homme du billet; l’autre n’aurait pas gardé ses gants,bien sûr. Oh ! celui-là, elle s’ensouviendrait ! Allez donc croire aux aventures. Elle se rappelaitcombien elle fut effarouchée quand, confused’avoir accepté, elle se pelotonnait au fond de lavoiture, attendant l’attaque… prêteà la repousser ?... Puis, rien que ce grand dadais quin’avait même essayé del’embrasser. Ah ! en voilà un, certes, quin’était pas un poète, et ses gestes,vraiment, ressemblaient trop à de la prose !

Le Poète

Elle passa en revue tous ceuxqui avaient un peu flirté avecelle, cherchant, ainsi, à se rappeler lequel avait unetête de poète, car il fallait renoncerà supposer que ce pouvait être le monsieur quil’avait ramenée chez elle. Elle ne vitgénéralement que des gens un peu chauves oumême tout à fait, tandis que les poètesdevaient avoir des cheveux longs, et elle ne se rappelait personne avecdes cheveux longs….

Un monsieur lui avait bien dit qu’il étaitarchitecte ; mais les architectes ne font pas de vers quoiquecelui-là lui eût dit que l’architectureengendrait tous les arts ! Mais toujours rien de précis ;et, devant ses yeux, toutes ces têtes entrevues passaient,toutes les mains s’agitaient sans qu’ellepût supposer d’où lui venaient les verssi audacieux qui la troublaient tant !...

Casuistique

Puis, comme ellen’apportait pas une rigueurexagérée à l’examen de sescas de conscience et que ses scrupules de moralen’étaient pas irréductibles, elle sedemanda si vraiment c’était bien péchertant que ça d’être coquette,d’aimer qu’on vous fasse la cour, et de se moquerdes hommes ? Que restait-il encore ? Elle était paresseuse,chatte, gourmande…, et puis c’étaità peu près tout ; car, traitantl’infidélité du particulier augénéral, elle affirmait qu’on nepouvait être qu’infidèle àl’amour, ce qui n’était pas son cas.« Et puis, après tout, disait-elle, on peut biens’amuser quand cela ne fait de mal àpersonne ». Mais enfin, quoique sachant n’en avoirguère besoin, elle priait tout de même, sinon pourles péchés passés, du moins pour lespéchés à venir.

Esthétique

Devant la grande glace quigarnissait le fond du lit elle aimaità se regarder nue. A son esprit venait la comparaison de soncorps avec ceux que, sous toutes ses formes, l’art nousmontrait. Elle était fière et orgueilleuse de sabeauté - elle eût voulu être Diane ouVénus et il lui sembla que, si elle se montrait ainsi,l’admiration ferait d’ellel’égale des héroïnes dontl’art avait laissé la preuve de leur divinebeauté. Un jour, au Salon, elle vit devant un tableau deuxfemmes - deux modèles - qui causaient :« C’est moi qui ai posé,ça », disait l’une. - Et elle les envia !Ces femmes étaient donc faites comme l’image quele peintre en avait laissée ? Et on le savait ! Et tous cespeintres connaissaient ces femmes et disaient d’elles :« Elle est superbe ! c’est un des plus beaux corpsqu’on puisse voir. » On montre tous ses falbalas, onétale ses bijoux, on est jalouse de ses brillants et on nepeut montrer que ses épaules et ses bras, son orgueileût voulu qu’on la vît dans toute saradieuse beauté et elle souffrait de ne pouvoirêtre comme ces deux modèles qu’elleavait rencontrés.

Préparatifs

Elle alla reprendre dans labibliothèquel’évangile selon saint Mathieu et relut les vers.Elle les savait maintenant par coeur ; et, quoique peu faitspour être dits en soirée ils étaientdécidément très bien.C’était donc làqu’était l’aventure qu’elleétait allée chercher ! Elle se mit àsonger à la toilette qu’elle mettrait demain pouraller à Saint-Roch. Elle se décida pour quelquechose de très simple : sa robe tailleur et son chapeaumauve. D’ailleurs, l’endroit indiquépour le rendez-vous le comportait. Elle ne pensa plus alorsqu’à cette toilette et l’idéeque ce pouvait être tel ou tel de ceux quil’avaient remarquée lui devenaitindifférente. Au fond, cela n’avaitguère d’importance, car elle ne pensait pas dutout à mener l’aventure très loin,préoccupée avant tout de plaire, deconquérir et d’asservir à sacoquetterie, à son besoin d’êtreensorceleuse quand même, n’importe qui, pourvuqu’elle en fît un nouvel esclave qui penseraità elle.

?

Irait-elle, n’irait-ellepas à ce rendez-vous ? Cepoint d’interrogation dansait devant ses yeux, avaitl’air de s’enrouler autour de sa volontécomme un serpent qui la voudrait prendre ; et elle se souvintd’Ève et aussi de bien d’autres quiavaient cédé. Des noms de maris historiquesdéfilèrent devant ses yeux en passant deMénélas à Bovary pour arriverà ceux de plusieurs des maris de ses amies dont elleconnaissait les mésaventures. Et elle se persuada que celadevait être ainsi et que son mari n’avait pas plusde raisons que les autres pour échapper à un sortfatal.

… Alors, après avoir passé sa chemisede nuit et s’être chaussée de petitesmules coquettes, elle se promena dans sa chambre, en fit plusieurs foisle tour et se laissa tomber devant le feu, sur un fauteuil, enfredonnant :

              « L’amour est enfant de Bohème
              Il n’a jamais, jamais, connu de lois. »

Résolution

Puis des scrupules luirevinrent.

Elle grimpa vite dans le lit, se disant que la nuit porte conseil,qu’en somme, ce n’était pas un grandcrime d’aller à Saint-Roch et d’yrencontrer - par hasard - un monsieur qui fait des vers. Puis,avait-elle le droit d’être sans pitié,d’avoir « le coeur dur comme unroc ». S’il allait se détruire ? Lespoètes sait-on jamais ? - Dame, celas’était vu ! Et ne serait-ce pas plutôtun acte de charité, une action consolante qu’elleaccomplirait en allant à ce rendez-vous ? -Qu’avait-elle à craindre dans uneéglise ? Non, décidément, elle irait -son devoir lui dictait de s’y rendre et de « calmerdes feux que seule elle avait allumés », - comme ondit dans les tragédies. - « Puis, aprèstout, flut ! dit-elle, je ferai ce qu’il me plaira,ça ne regarde personne… Et elle laissa tomber satête sur l’oreiller, prête cette foisà tous les sacrifices, éloignant d’ellela pensée d’un refus qui pourrait troubler latête d’un poète.

Sommeil

Alors, tranquille, elle s’endormit et elle dormit comme ellesdorment toutes, dans l’oubli des ivresses qu’ellesdonnent et dans l’inconscience des blessuresqu’elles font… De leur sommeil la natureinsoucieuse vient faire de nouvelles joies et de nouvelles douleurs etdemain sera encore la moisson féconde de sourires et delarmes, de cantiques d’amour et de cris dedétresse, mûrie sous la force de leur immortelpouvoir…..

De petits amours roses etjoufflus rôdent auprèsd’elles, les approchent et, comme les papillons autour deslampes, viennent se brûler les ailes. Il en est qui partentradieux, tandis que d’autres sont retrouvéspleurant derrière des nuages.

Au-dessus des maisons où elles sommeillent, dans lapoussière d’or des étoiles, la lunepâle continue sa marche lente et grave. L’ange quiles garde déploie dans la nuit ses grandes ailes blanches etdescend pour veiller sur elles. Mais, ne pouvant pas les rendre plusbelles, il leur laisse tous les soirs l’absolution afinqu’elles continuent d’apporter, chaque jour, un peude ciel sur la terre…