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LACROIX, Auguste de(1805-1891): Les appartements à louer(1841). Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (26.VI.2010) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L.Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9vol. LES APPARTEMENTS ALOUER par Auguste de Lacroix ~ * ~ PARIS est la ville des déménagements et des appartements à louer.Quatre fois par an, c’est un déplacement de la population, unva-et-vient perpétuel de tapissières, des voitures d’administration,un remue-ménage général. Les fortunes s’élèvent et s’écroulent si vite,et les déplacements se font avec tant de facilité ! L’employé mis à laréforme, l’industriel, le spéculateur, changent de logement selon lesvariations de l’aveugle déesse ; ils descendent ou montent d’un étage,selon que leur position financière hausse ou baisse ; mais le mouvementse fait toujours en sens inverse. Les filles d’Opéra et toute la grandefamille des femmes qui spéculent sur l’amour ont mille et une raisonsqui les poussent à faire voyager incessamment leurs pénates. L’artistequi a deux jours de fortune se hâte de prendre un appartementconfortable. L’étoile d’or vient-elle à pâlir, l’artiste va planter satente sur les hauteurs inaccessibles de quelque masure ignorée. Enprovince, l’usage plus fréquent des baux met bon ordre à cette manied’émigration périodique : la Saint-Jean et Noël sont les seuls termesadoptés entre les locataires et les propriétaires départementaux. Depuis le 1er janvier jusqu’au 31 décembre, dans chaque rue et presqueà chaque porte, vous trouvez un ou plusieurs écriteaux suspendus, decouleur jaune ou blanche (la couleur jaune est exclusivement réservée àl’indication des appartements meublés). De tous côtés vous voyezbriller, comme les ardentes prunelles d’une courtisane, les grandeslettres noires des écriteaux provocateurs. Vous êtes sous le charme ;la séduction vous arrive à chaque pas, sous toutes les formes, partoutes les portes... Grand et bel appartement..... Appartementfraîchement décoré..... Petit appartement..... Quand même vousn’auriez pas un désir bien prononcé de quitter le logement que vousoccupez actuellement, si vous m’en croyez et si vous n’avez pas unetriple enveloppe autour du cerveau, vous entrerez sans hésiter ; il nevous en coûtera qu’un escalier plus ou moins haut à monter, et enredescendant, quelques paroles d’excuses au bienveillant portier, à quivous serez redevable, en outre, de plus d’une précieuse découverte. Et d’abord, s’il s’agit pour vous d’un bel appartement, le regardinquisiteur du portier vous parcourt de la tête aux pieds, et si cerapide inventaire de votre personne donne pour résultat approximatifune situation financière en rapport avec les prétentions que vousmanifestez, alors le cerbère parisien s’humanise, soulève lentement sacasquette plus ou moins vénérable, et répond à toutes vos questionsavec une complaisance et un air de respect qui prévient en sa faveur.Vous demandez le prix de l’appartement : – « Quatre mille francs,monsieur. » Vous suivez l’aimable portier, dont l’occiput a été définitivement etentièrement dégagé de l’indispensable casquette. Il est devenu, commepar enchantement, communicatif à l’excès, et prodigue de promessescomme un éligible ou comme un prospectus. Vous remarquez que l’escalierest mal tenu : « Il va être remis en couleur. – Un peu sombre. – Il estéclairé jusqu’à minuit. – Étroit. – Il peut être élargi. – Les murssont malpropres. – Ils vont être repeints à l’huile. » Pour peu quevous insistiez, il vous dira qu’on va démolir la maison pour enconstruire une autre sur votre plan et selon vos goûts. L’appartementque vous allez visiter est au second ou au troisième étage, et avantque vous soyez arrivé à la porte vous savez, 1° le nom et la demeure dupropriétaire ; 2° le nom, la profession, la fortune, le train demaison, le caractère du locataire auquel vous allez succéder. Il est dix heures du matin. Le portier sonne (bizarre contradiction demots) à la porte du locataire que vous venez surprendre à une heureaussi indue. Un autre se serait révolté, et aurait refusé toutnettement votre visite importune, car il en avait le droit. Selon lesus et coutumes qui règlent la matière, le locataire n’est tenu d’ouvrirsa porte à l’indiscrète sollicitation des amateurs qu’à partir de midi.Mais je suppose que vous avez affaire à un locataire complaisant. Ledomestique qui est venu vous ouvrir livre successivement à votrecuriosité chaque pièce de l’appartement, tandis que le locataireimportuné fuit de chambre en chambre, avec toute sa famille, devantcette invasion de barbares, comme le vieux Priam devant les soldatsd’Achille. Vous voilà dans la salle à manger, dont la table, où lecouvert est encore mis, vient d’être désertée subitement. Vous pouvezd’un coup d’oeil compter les plats, et connaître la qualité, et jugerainsi de l’ordinaire et du nombre des convives obligés du maître de lamaison. Vous passez dans le salon ; tout y est dans un désordre qui n’arien d’artiste : les meubles ont quitté leurs places respectives, ets’entassent confondus au milieu du parquet dans un pêle-mêleinextricable. C’est un labyrinthe de siéges de toutes les formes : il ya une pile de tabourets sur un guéridon, une châtelaine est étenduerenversée sur un canapé, des chaises montent les unes sur les autresles pieds en l’air, à la façon d’Auriol ; plus loin, à l’écart, unimmense fauteuil se couvre d’une famille de siéges de toutes formes etde toutes dimensions, les uns assis sur ses bras, comme de petitsenfants, d’autres sur ses genoux, d’autres huchés derrière son dos,tableau touchant ! – Vous vous arrachez à cette scène de famille, etvous tournez à droite... Arrêtez ! vous voilà à l’entrée dusanctuaire... Il est écrit que les étrangers n’entrent pas ici... Libreà vous, cependant, d’embrasser d’un regard furtif l’ensemble de cettechambre, qui n’a pas achevé sa toilette, pourvu que vous consentiez àne pas voir ce que l’on n’a pas eu le temps de cacher, et le lit à demidécouvert qui n’a pas encore reçu son enveloppe de soie... Vouspénétrez dans une autre pièce de la même destination que celle-ci, maismoins élégamment ornée, et puis... vous revenez sur vos pas, toujourschassant devant vous quelque brebis retardataire du troupeau paisibleque vous avez effarouché, un enfant qui tombe en se sauvant, une bonne,un petit chien qui dispute le terrain, chambre à chambre, avec unlouable acharnement... Vous passez dans la cuisine, dont la souverainelégitime vous a fait un accueil assez semblable à celui du fidèleroquet, plus, deux ou trois taches à votre habit. Enfin vous avez toutvu, l’officieux concierge ne vous a pas fait grâce du recoin le plusobscur. En vous retirant, vous rencontrez par hasard le maître dulogis, que vous saluez bien bas, et qui passe sans vous répondre. Maintenant, si vous n’êtes pas né au pays des Esquimaux, ou que vous nesoyez pas débarqué hier de Brives-la-Gaillarde, vous devez connaîtrel’intérieur que vous venez de visiter, comme un bon marin connaît àpremière vue le navire où il a posé le pied. Vous en savez lagéographie générale, le personnel, les ressources, les provisions, legouvernement... Que si vous désirez pénétrer plus avant... parlez,votre cicerone ne demande pas mieux que de vous répondre. Voulez-voussavoir si monsieur et madame sont des gens comme il faut, s’ilsvivent en bonne ou mauvaise intelligence, si leurs affaires prospèrent,si monsieur est fier ou bon enfant, rangé ou libertin, avare ouprodigue ; si madame est jeune ou vieille, jolie ou laide, sage oucoquette ; si les enfants sont bien élevés et les domestiques bienpayés, si l’on reçoit, quel monde on fréquente, si monsieur s’absentefréquemment, si madame reçoit des visites particulières, si... demandeztoujours, ne craignez rien, le portier mettra moins de temps à raconterque je n’en mets à écrire... Le portier a été institué pour garder laporte, mais non pour garder les secrets qu’il surprend. Demandez !...quand il vous en coûterait bien une pièce de cinq francs ! Vous vous retrouvez dans la rue. Un autre écriteau se balance au-dessusde la porte en face : Joli appartement de garçon ! Cette annonce aje ne sais quoi de séduisant. Cela fait rêver et sourire en même temps; il y a dans ces trois mots tout ce qui fait l’existence douce etbonne, les deux plus grands biens de la vie : l’amour et la liberté !Il y a de joyeux amis qui viennent fumer vos cigares et boire votrepunch ; il y a de gais déjeuners, de décentes orgies, et parfois aussi,des femmes voilées qui montent légèrement l’escalier et frappentdiscrètement à la porte... Oh ! entrez ! entrez ! (c’est à l’amateurque je parle) entrez visiter votre futur logis... ; mais auparavant,répondez-moi : Savez-vous ce que c’est qu’un appartement de garçon ?C’est quelque chose de bizarre, d’incomplet, de bas, d’obscur,d’étroit, d’incommode et de fort cher ! Savez-vous encore quellescharges sont attachées à ce nom ? C’est, d’abord, un ménage à fairepour le portier, qui vous demandera préalablement si vous êtes pourvu,pour cet objet, d’une personne de confiance. En ce cas, il faudrait yrenoncer ; car c’est là pour vous une condition tacite mais inévitabled’admission, la pierre d’achoppement entre le célibataire et leportier. Le ménage du garçon appartient, de temps immémorial, auportier, par droit d’inquisition et de persécution ; l’impôt mensuelqu’il prélève sur l’insouciance et la générosité naturelles à cetteclasse estimable de locataires forme la plus forte et la plus clairepartie de son budget. On sait que le cinquième est d’un meilleurrapport pour la loge que tous les autres étages réunis ; aussin’espérez pas faire entendre raison au portier à cet égard. Si vousavez l’air de ne pas le comprendre et de passer outre à sa réclamation,soyez sûr qu’il va doubler pour vous le prix du logement, et si, parimpossible et contre son attente, souscrivant en homme aveuglé par lapassion à toutes les conditions qu’il lui plaira de vous imposer, vouspersistez à venir vous installer malgré lui dans l’appartementmalencontreux, attendez-vous à recevoir vos lettres le lendemain deleur arrivée, vos journaux deux heures après leur remise, voscréanciers à toute heure, vos amis le plus rarement possible, et votremaîtresse... dans le moment où vous l’attendez le moins ; attendez-vousà crier toujours trois fois : Le cordon, s’il vous plaît ! quand vousvoudrez sortir, et à frapper à la porte le soir, quand vous voudrezrentrer, un nombre de coups d’autant plus grand qu’il fera plus froid,ou que la pluie tombera plus serrée ; attendez-vous à voir votre paliertout particulièrement sale et constamment boueux, à ne recevoir chezvous que des inconnus et des importuns, à perdre peu à peu toutes vosrelations dans le monde... attendez-vous à tout, hormis au bonheur quevous vous étiez promis... Après cela, je ne vous retiens plus, entrezsi vous l’osez... ou plutôt, exécutez-vous de bonne grâce, encongédiant votre gouvernante au bénéfice de votre portier. Moyennantcette légère concession, vous pouvez être assuré d’être rançonné, volé,espionné, écorché vif tout le long de l’année, depuis huit heures dumatin jusqu’à minuit inclusivement... Enfin vous avez consenti à tout ; vous visitez votre futur domaine...Vous remarquez d’abord qu’il est situé un peu haut. Mais la vue y estsi belle, l’air si pur, et puis, quand on est jeune, quelques centainesde marches de plus à monter, cela fait du bien. – Les pièces sontpetites. – Mais, c’est plus commode... on a tout sous la main. – Vousremarquez encore que les papiers sont sales, que les peintures sonteffacées, que le parquet et le plafond, crevassés et lézardés, ontl’air de se faire la grimace... Rien n’embarrasse le portier ; il a uneréponse prête à chaque objection. D’un coup d’oeil il a vu le partiqu’il pouvait tirer de vous, pour son maître comme pour lui-même. Engénéral, quand sa propre part est faite, le portier ne demande pasmieux que de songer aux intérêts de son maître. Or, en général lespropriétaires, comme on sait, sont généralement ennemis des réparationsqui leur coûtent, et les portiers, interprètes naturels desréclamations des locataires, sont souvent mal venus. L’habileté duportier, dans cette circonstance, est d’une simplicité remarquable :elle consiste à promettre toujours... Il prend alors un air debonhomie, et vous dit d’un ton confidentiel : « Il y a bien quelquespetites choses à faire, sans doute, et ce n’est qu’une bagatelle ; mais notre monsieur est un peu regardant... Si vous vouliez seulementpartager les frais, je me chargerais bien d’obtenir... » Pour peu quele logement soit à votre goût, la proposition vous agrée... vousacceptez... Les réparations sont faites... vous voilà installé dans lenid si longtemps convoité par vous, si propre maintenant, si biendécoré... vous êtes heureux, ravi... Le tapissier, le plâtrier, lepeintre, apportent leurs notes : vous payez sans objection, et vousserrez précieusement les mémoires acquittés que vous présenterez aupropriétaire en règlement de compte... Le terme venu, le propriétairevous répondra qu’il n’a entendu parler d’aucun arrangement de ce genreavec vous... Le portier avait tout pris sous sa casquette... Vous cirezà l’infamie, au guet-apens, et puis vous vous calmez, comme doit lefaire tout homme sage et tout locataire qui se respecte. – Trois moisplus tard, on parle d’augmentation... Vous criez plus haut, mais vousrestez... Enfin, trois mois plus tard, vous recevez un congé en bonneforme, sous prétexte qu’un parent du propriétaire est venu lui demanderun logement, ou qu’un grand appartement veut s’agrandir aux dépens duvôtre, et que l’on n’a rien à refuser aux grands locataires... Cettefois vous ne criez plus, vous êtes foudroyé ; vous payez votre termeavec une dignité parfaite, et comme la loi exige absolument que toutcitoyen loge quelque part, vous allez retenir un autre logement, maisvous ne faites plus de réparations. Dans l’arsenal des ruses du portier, ceci n’est que de la glu pourprendre les petits oiseaux. Il y a bien d’autres tours, vraiment, àl’encontre de la gent locataire, aux dépens de laquelle il vitgrassement, embusqué dans sa loge, comme un renard qui aurait faitélection de domicile à l’entrée d’un poulailler. Pour ne parler que desplus fréquents et des plus sûrs, avez-vous jamais réfléchi que le denier à Dieu était pour le portier une source de profitstrimestriels, et qui, dans certaines maisons, lui complètent un revenuassez rond et presque sûr ? Il prélève la dîme sur tout ce qui entredans sa loge. La bûche du portier (pour le dire en passant) n’estqu’une image légère, imparfaite des droits qu’il s’arroge en secret. Illui serait aussi impossible d’expliquer ainsi la chaleur suffocante deson foyer pendant l’hiver, que l’abondance de sa table pendant toutel’année, par la maigreur extrême de ses gages. Il y a, d’ailleurs, dansla pratique de son métier une finesse toute spéciale. Une vieillecoquette n’est pas plus habile à dissimuler ses rides, que le portier àdéguiser les défauts d’un logement difficile à louer. La vuedonne-t-elle sur une cour laide ou malpropre ? s’agit-il de déroberl’aspect de quelque objet désagréable ? un clou, adroitement caché,rendra impossible pour le moment l’ouverture de la fenêtre. C’est unavocat qui plaide les plus mauvaises causes, et qui les gagne souvent. Si vous n’êtes pas un habitant de Paris, et que vous soyez en goût d’unlogement, je vous dois un avis. Voyez-vous cette maison dont la porteest flanquée d’écriteaux ? Toutes les fenêtres ont des abat-jour, ettous ces abat-jour sont constamment baissés... Une chaîne les retientirrésistiblement fixés à un anneau enfoncé dans l’encoignure de lafenêtre... C’est une prison, dites-vous ? Non, c’est moins que cela...Je suis sûr, cependant, qu’on vous y donnerait pour rien, ou à peuprès, un logement fort confortable ; car on y est d’autant plus avidede gens honnêtes, qu’ils y sont plus rares. Dieu vous préserved’habiter jamais cette maison. Votre logement serait délaissé aussitôtpar toutes vos connaissances, et vous verriez vos plus chers amis sedétourner sur votre chemin... Passons. Les appartements meublés, ceux, du moins, destinés aux célibataires,deviennent plus nombreux de jour en jour. Les personnes qui les donnentà location se divisent en deux catégories. Les personnes malaisées, quiretranchent sur leur logement pour ajouter à leur revenu, et celles quispéculent sur l’imprévoyance habituelle des célibataires etl’inexpérience des étrangers. Celles-ci sont ordinairement des femmesgalantes sur le retour, qui suppléent ainsi à l’insuffisance d’unemaigre pension ou d’une inscription de rente sur l’État, seul débris deleur ancienne opulence. Quelquefois, cependant, la maîtresse du logisest encore jeune et jolie. Dans ce cas, l’appartement estremarquablement plus cher. Il est formé, généralement, de deux piècesdétachées de l’appartement principal, et meublées avec une élégancemesquine. Le meuble du salon est dépareillé. Il se compose d’un canapérouge ou bleu, dont les bordures sont ternies, et dont le fond commenceà blanchir, de deux fauteuils de couleur différente, deux chaises encrin, et d’un guéridon avec un dessus de marbre gris. Les murs sonttoujours décorés de quatre dessins de Dubuffe. La chambre à coucher estpetite ; souvent il n’y a pas de cheminée. Le lit est entouré derideaux de mousseline, surmonté d’un édredon. La ruelle estnécessairement ornée d’une glace. Une causeuse est placée au coin de lacheminée. Les pendules sont rares dans ces sortes de logements ; mais,en revanche, on y prodigue les canapés, les causeuses, et les fauteuilsà la Voltaire. Si la maîtresse est jeune, la chambre à coucher possèdeune armoire à glace au lieu d’une commode. Inutile de dire que cetappartement communique avec le grand par une porte qui n’est jamaiscondamnée ! porte fatale ! toile d’araignée toujours tendue à lajeunesse et à la bonne foi ! Combien d’innocents provinciaux, de richesétrangers, ont payé de leur liberté et de leur bourse un instantd’imprévoyante ardeur ! Dès lors vous ne vous appartenez plus, vousn’avez plus rien qui soit à vous, pas même votre personne. Vous êtesdevenu, corps et biens, la propriété de votre propriétaire. A touteheure du jour et de la nuit vous êtes chargé de ce précieux dépôt ;vous avez le droit de la conduire à la promenade, au bois, au concert,au bal, au théâtre, partout où il y a du plaisir pour elle ; pour vous,de l’argent à débourser. Moyennant tout cela, et beaucoup d’autreschoses encore, vous serez logé, comme vous savez, à raison de centfrancs par mois. Il est rare qu’une table d’hôte ne soit pas annexée, comme supplémentd’industrie, à l’appartement meublé, et il est plus rare encore que lelocataire privilégié ne soit pas le pensionnaire de l’hôtesse. Dès cemoment, il passe à l’état de protecteur. Quand il en est là, c’en estfait de lui : il roule, avec sa fortune et sa moralité, sur une penterapide où il ne peut être sauvé que par une de ces déterminationsviolentes que le désespoir inspire quelquefois aux âmes faibles, ou parun coup inattendu du sort qui le rappelle brusquement dans sa villenatale. Les appartements à louer sont une mine féconde pour l’observateur.L’amour peut aussi en tirer un parti immense, et, sans êtrevaudevilliste le moins du monde, on découvre du premier coup d’oeiltoutes les combinaisons, les situations neuves, les surprises, lesintrigues, qu’il y a au fond d’un pareil sujet. A. DE LACROIX. |