Aller au contenu principal
Corps
ROMILLY, Hubert de (18..-18..) : Une Éducation universitaire (1841).
Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (03.VI.2014)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L.Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9vol. 
 
UNE ÉDUCATIONUNIVERSITAIRE
PAR
Hubert de Romilly

~ * ~

…… Currente rota, cur urceus exit?

C’EST toute une constitution d’État que cette hiérarchieuniversitaire, qui commence au ministre de l’instruction publiquerayonnant sous l’hermine, et finit au maître d’étude grelottant sousson habit râpé. C’est de plus un labyrinthe inextricable que cettemultitude d’ordonnances, de contre-ordonnances, de mesures, decontre-mesures, d’avis, d’arrêtés, de systèmes, etc., qui entourentdans  leurs replis cet avorton déformé qu’on appelle éducation : lisières quis’efforcent d’arrêter son inquiétude du progrès ; qui sont là, nonpoint pour l’empêcher de trébucher, mais pour l’entraver ; lisièresimpuissantes que l’embryon fait homme brisera ainsi que Gulliver lesfils des Lilliputiens.

ÉDUCATION. Quel mot pour Sparte ! quel mot pour lessiècles antiques ! c’est-à-dire « un moule où vous fondez l’avenir d’unpeuple en façonnant la génération nouvelle ; une base de monument, unepremière pierre d’édifice. » Aussi quelle place Lycurgue et Solon luiouvraient dans leur code ! Quelle sollicitude pour ce piédestal où ilsallaient asseoir la nation ! Hélas ! comme les siècles, dans leurcourse, nous l’ont maladroitement déformée ! Faire son éducation, cheznous c’est être, pendant plusieurs années, fusillé à bout portant degrec et de latin, bourré quand même de grec et de latin, comme lesanimaux qu’on empâte, et se composer une teinte de demi-science àl’aide de quelques lambeaux arrachés çà et là d’histoire, de géométrie,de physique, etc., etc. Le grec et le latin, voilà le fond de l’étoffe,le reste n’est que broderies, fioritures, accessoires, superfluités. Legrec et le latin se dilatent et se délayent en huit ou dix années,fantômes monotones qui bourdonnent incessamment leur syntaxe àl’oreille de l’enfant et du jeune homme. Creusant de plus en plusl’ornière qu’on nomme routine,l’éducation court toujours sur ces mêmes routes en dépit des clameursde réforme. Ce sont des langues cosmopolites, disent leurs partisans,que parlent l’université d’Oxford, celles de Bonn et de Gœttingue, toutaussi bien que la Sorbonne de Paris. Très-bien ! mais en fait decosmopolitisme, comme Sganarelle, je préfère le français à ces idiomesdéfigurés par les prononciations nationales et les différences detradition. Du reste, par quelque secrète pudeur d’obéissance àl’opinion publique, la routine a laissé ses deux bases puissantes céderquelques pieds de terrain à des sciences d’une nécessité incontestable; mais ce n’est pas à dire que les langues étrangères, ces langues bienvivantes et bien indispensables, que vous entendrez en faisant quelquespas pour franchir le Rhin ou traverser la Manche, aient un droit decité établi. Non, on les intercale honteusement entre deux classes delatin, pendant une heure dérobée à grand’peine, comme à regret, uneseule fois par semaine et libéralement répartie entre quarante élèves.Ce qui n’empêche pas M. le recteur de se confondre, à la distributiongénérale des prix, en félicitations sur le progrès, de développer sesconsidérations lumineuses sur les bienfaits de l’enseignement actuel,ses utopies mensongères, qui sont autant de pièges et de chausse-trapesoù vient se prendre la bonhomie du père de famille, heureux de trouverpour son fils une direction éclairée et paternelle.

Prenons-en un : M. Bouvillon, par exemple, marchand de soieries,honnête homme, de mœurs simples, d’esprit borné, d’instruction médiocretant que les sujets sont en dehors des soieries, des mûriers, des versà soie, des canuts et des fabriques, et placé dans cette position mixtequi n’est pas la pauvreté, mais qui n’est pas non plus l’aisance.Sortant d’une séance en Sorbonne, encore émerveillé par la solennité dela cérémonie, les splendides fourrures des toges, les palmesuniversitaires ; les oreilles encore bourdonnantes du discours latinqu’il n’a pas compris, mais où il s’est attendri de confiance, il seréjouit en son âme de ces révolutions bénies qui ont placé toutes lestêtes de niveau, n’ont laissé qu’une seule aristocratie, celle dutalent, et ont permis à tous, nobles ou artisans, de s’asseoir aubanquet de la science. « Grâce à Dieu, s’écrie-t-il, je puis voir monenfant conquérir une carrière honorable et distinguée par le travail etl’intelligence ! »

Rentré chez lui, il calcule ses modestes revenus, restreint la somme deses dépenses, qui suffisait déjà à peine au nécessaire, en détourne unepartie qu’il se promet de remplacer par une économie stricte, untravail de tous les instants ; et l’enfant va dépenser en paresse et eninapplication le sacrifice de son père. Pauvre homme ! pris à l’hameçondes phrases prometteuses des prospectus dorés, vous aviez compté, grâceà vos mille francs, sur une surveillance active, des soins assidus, desencouragements paternels. Pauvre homme !

Votre fils, ce coq et cet espoir, est sondé, dès son arrivée, sur sesconnaissances acquises, sur son savoir-faire ; on lance quelquessarcasmes sur l’éducation privée qui tend à énerver l’enfant par descomplaisances funestes et des tendresses puériles ; on attriste lemalheureux en lui mettant rudement le carcan de la discipline qui doitredresser son caractère vicieux ; on le sèvre de toute bienveillance etde toutes démonstrations affectueuses ; il reste isolé, le cœur gros,au milieu de camarades taquins et agressifs, de figures dures etmaussades, sous la férule du maître insipide et brutal.

Le jeune Edmond Bouvillon est d’une nature molle et apathique, facile às’abattre, prompte à se décourager. A la première composition, leprofesseur le proclame le trente-huitième (notez qu’ils sont quarante).Dès lors il est jugé. C’est pour le professeur même chose que le bancde bois sur lequel il est assis ; pas un mot d’interrogation, si cen’est pour lui demander sévèrement une leçon mal sue ; pas une paroleadressée, si ce n’est pour le rappeler rudement au silence par unformidable pensum ou un renvoi de quelques jours. C’est un fait notoireet triste que cette négligence dédaigneuse de chaque professeur pourles trois quarts de ses élèves. Au lieu d’activer les naturesendormies, d’aider les intelligences tardives, de combattre la paresse,ils se contentent d’accabler le réfractaire de retenues ou depunitions. Si l’enfant est incapable, aligner à la suite le même verslatin, écrit avec le secours de plusieurs plumes, n’est pas propre àlui développer l’esprit ; s’il est paresseux, ce n’est pas le surcroîtd’un travail fastidieux et inutile qui attisera son activité ; aucontraire. Néanmoins, après cette manœuvre judicieuse, le professeur secroit en droit de déclarer hautement que l’élève est un cancreincorrigible ; il l’abandonne à lui-même ou cherche à s’en débarrasserpar des voies arbitraires.

Cela est dû à l’influence du concours général : c’est cetteconsidération qui fait choyer les piocheurs et ceux qui sont à la têtede la classe, grâce à des dispositions naturelles. Futurs lauréats dansla lutte des colléges, l’ombre de leurs couronnes doit se projeter surla tête du professeur. Il se rengorgera suivant le nombre des élèvescouronnés, car c’est là ce qui doit établir la supériorité de sonsystème, la persévérance de ses soins, la valeur de ses leçons et lasollicitude avec laquelle il les donne.

Il est vrai, monsieur le professeur, vous avez développé une grandesollicitude, mais seulement pour quelques-uns que vous avez nourris detout ce que vous enleviez aux autres. Ces élus, vous les avez relevés àchaque faux pas, vous avez rectifié leurs idées, purgé leur esprit,illuminé leur intelligence ; mais vous avez laissé leurs compagnonss’embourber dans leur ignorance et croupir dans leur paresse ; vousleur avez dérobé vos soins, que votre devoir vous ordonne de répartirsur tous ; vous les avez volés et vous avez trompé leurs familles.

Ce ne sont pas là les seuls bienfaits du concours général. Tel est forten thème (ce qui, soit dit en passant, signifie imbécile au collége etdans les vaudevilles), tel est fort en version : aussitôt le professeurl’engraisse, soit pour le prix de thème, soit pour le prix de version.Le patient est seriné sur la même gamme pendant toute l’année, on luidémontre par les syllogismes les plus étourdissants qu’il est de sonintérêt de sacrifier toutes les autres facultés à la seule qu’il aitgrande et forte, ce qui me semble aussi rationnel que les paroles deToinette déguisée en médecin, disant à Argant :

« Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais quede vous. Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, etqu’il empêche de ce côté-là de profiter ? »

Heureux celui qui, peu soucieux des palmes d’une année, se récrie commeArgant, et répond naïvement :

« Oui, mais j’ai besoin de mon bras ! »

Edmond Bouvillon fait régulièrement ses pensums que les professeurs,nous devons le dire, exigent avec une insistance bien méritoire ; quantà ses devoirs, il ne les fait plus, certain que le professeur ne lesdemandera pas ; on lui donne ce qu’on appelle une feuille de chou, c’est-à-direune feuille de papier remplie d’écriture n’ayant nullement trait ausujet donné, même une feuille de papier blanc, certain que leprofesseur ne la lira pas. Si la sévérité de ce dernier est extrême,Bouvillon trouve un piocheur accessible à la corruption, qui élaboreses thèmes et ses versions, moyennant force confitures et provisions debouche. Nous supposons qu’il n’y a point de mutinerie, en termetechnique, de boucan (sortede murmure sourd et monotone par lequel les écoliers témoignent de leurmécontentement quand le professeur a commis d’atroces injustices, doublé ledevoir ou renvoyé un innocent, et qui aboutit à faire tripler labesogne, congédier dix élèves et peser sur la classe un pensumgénéral), sinon nous serions forcés de clore la carrière scolaire demessire Bouvillon, car il serait infailliblement jeté à la porte, nonpas de la classe, mais du collége, en dépit de l’alibi et de circonstancesatténuantes, telles que son innocence et la culpabilité de l’élite dela classe. Il y a certains élèves dans les colléges qui jouent ainsi lerôle de boucs émissaires ; cela s’appelle faire un exemple. Dans lespensions, les directeurs en sont ménagers, car leurs revenus ensouffriraient, et se bornent à la menace ; j’en sais un qui ne choisitses exemples que parmi lesphilosophes après le dernier trimestre échu. Nous pourrions direquelques mots de cette puissance de renvoi donnée au proviseur parlaquelle il arrête brutalement l’avenir d’un jeune homme pour quelquepeccadille innocente, mais cela nous entraînerait trop loin.

Le père du jeune Bouvillon a tenté à plusieurs reprises de faire sortirson fils les dimanches et jours de fête, mais chaque fois ce désir biennaturel a échoué devant le passif effrayant des retenues de son fils età l’inflexibilité du proviseur, qui n’aime pas qu’on lui force la main,dit-il, et qui abhorre les jérémiades des parents. Madame Bouvillonpleure, se désole et fait la remontrance à sa progéniture, en maugréantcontre la férocité de l’administration ; son cœur de mère lui faitinventer toutes sortes de prétextes, de subterfuges et de faux-fuyantspour fléchir la dureté du proviseur : le baptême d’un cousin d’EdmondBouvillon, le mariage de sa cousine, la fête de son père, voire même letrépassement d’un oncle, etc., rien n’y fait ; M. le proviseur, qui n’apas de sensiblerie pour les démonstrations de famille, refuseimpitoyablement sa signature à l’exeat.M. Bouvillon, excité par son épouse éplorée, vient faire sesréclamations le jour d’audience. M. le proviseur le reçoit ensevelidans un fauteuil à la Voltaire, assis devant son bureau, l’écoute àpeine, ne le regarde pas, et, dans l’impassibilité de sa morgueofficielle, feuillète un livre, tandis que le père lui explique commequoi il est fort cruel à une famille de ne pas jouir de son enfantpendant des mois entiers. « Que votre fils se mette en règle ; cela neme regarde pas, daigne laisser tomber de ses lèvres le grande homme. –Je me verrai forcé de retirer mon fils…. – Faites ce qu’il vous plaira,» répond M. le proviseur, à qui c’est, en effet, fort indifférent, etil congédie le père de famille d’un ton bref, en le renvoyant à sessecrétaires. L’impolitesse de ces autocrates de collége est passée enproverbe comme leur pédantisme, et ces rudes manières ne s’apprivoisentmême pas pour les vieillards et les dames. Il est vrai que le plusmince employé de l’Université, envoyé par le ministre, les trouveraaussi obséquieux et serviles qu’ils sont, envers les parents, arrogantset dédaigneux.

Enfin M. Bouvillon s’avise d’une mesure pleine de sagesse : son filsest accablé de punitions, son fils est le dernier de la classe ; il luidonnera son professeur pour répétiteur. Le prix des leçons de celui-ci,porté à un taux exorbitant, est en dehors de son budget ; mais c’est unnouveau sacrifice que sa sollicitude paternelle n’hésitera pas à faire.Ces répétitions, puisque nous parlons d’abus, nous rappellent dequelles concussions inédites elles sont le texte en province : cesmessieurs de l’Université savent y grossir leurs appointements par lesmanœuvres les plus déloyales. Juges sans appel dans les examens dubaccalauréat ès lettres, ils exigent tacitement, comme condition deréception, que les candidats prennent d’eux des leçons taxées à un prixqui est énorme, même en le comparant aux prétentions des professeurs deParis. C’est une spéculation odieuse sur laquelle on ne saurait troparrêter les yeux des autorités universitaires. La ruse de M. Bouvillonréussit assez bien : l’intensité des retenues diminue, l’orage despunitions s’apaise, les places deviennent meilleures, les noteshebdomadaires se radoucissent. La conduite, dite autrefois très-dissipée, devient légère, puis assez bonne, et enfin bonne, degré où le thermomètredemeure jusqu’à la fin de l’année.

Les vacances arrivent : madame Bouvillon ne se tient pas de joie ; sonfils, qu’il lui était donné de posséder à peine quelques heures, va luiappartenir pendant plusieurs mois, où elle pourra apprécier ce que lesétudes et l’éducation ont fait pour le développement de ses qualités.Pauvre femme ! on vous amène un ours mal léché, un caillou brut dontnul lapidaire n’a fait sauter avec le ciseau la croûte rocailleuse quicache peut-être un diamant. L’enfant est malpropre, malhabile, malaccoutumé à toutes les convenances les plus vulgaires ; sournois,menteur et grossier, il croit toujours avoir à exercer ces vertusthéologales comme à l’encontre de son maître d’étude : c’est toujoursla même indocilité, la même résistance passive, la même obstinationpréméditée. Au milieu de ses camarades, il a pris une rudesseagressive, une brutalité qui désespèrent madame Bouvillon. Personne nes’est chargé de lui apprendre ces minuties de la vie polie que l’usagea rendues sacrées : il parle avec un ton tranchant, il émet avec audacedes idées saugrenues ramassées au collége ; il interrompt bruyammentles amis respectables de son père, sans plus de souci que s’ils étaientses condisciples. Il se croit toujours au réfectoire, où c’est à quidévorera le plus vite la maigre pitance ; il laisse voir à table unemalpropreté qui eût soulevé le cœur de M. de Montausier, inventeur desgrandes fourchettes et des grandes cuillers pour servir ; il oublie àchaque instant les naïfs préceptes de tradition que la propreté amaintenues :

    Regarde à la table et escoute,           Boy sobrement à toute feste,
    Et ne te tiens pas sur ton coulte.        A ce que n’affole ta teste ;
    Ne faiz pas ton morcel conduire        Et ne rempliz pas sy ta panse
    A ton coutel qui te peut nuire.           Qu’en toy n’ait belle contenance.

    Ne mouche hault ton nez à table,         Tiens devant toy le tablier net ;
    Car c’est ung faict peu aggréable.        En un vaissel tout relief met.
    Oultre la table ne crache point ;           Si tu faiz souppes en ton verre,
    Je te diz que c’est ung laitpoint.            Boy levin ou le gette à terre.

    Le morcel mis hors de ta bouche,       Ne touche ton nez à main nue,
    A ton vaissel plus ne le touche,           Dont ta viande est tenue.
    Ton morcel ne touche à salière,           Ne offre à nul, si tu es saige,
    Car ce n’est pas belle manière.           Le demourant de ton potaige, etc.

Madame Bouvillon se récrie tout haut sur l’éducation des colléges, quine donne pas les notions les plus simples des rapports du monde. M.Bouvillon qui, malgré son peu de lumières, voit clairement l’ignorancede son fils, se demande tout bas où sont passés les mille francs fruitsde sa sueur et de ses économies.

Notez bien que nous ne parlons pas de la moralité ; nous aurions icibien des voiles à soulever, des exemples de précocité tristes àrapporter, d’étranges choses à dire. Ce que remarquait Montaigne sousHenri II est encore vrai de nos jours : « Les escholiers mettent àl’essay leurs cognoissances charnelles devant que d’avoyr leu lechapistre d’Aristotelès sur la continence. »

Quel serait donc le frein de ces imaginations désireuses, ardentes dejeunesse et d’effervescence, dont les sens s’allument à la lectured’œuvres subversives, de pièces de théâtre, de principes dangereux, deromans obscènes ? La religion, qu’on avait mise sur le seuil descolléges comme dans un asile sûr où la pureté et la foi des jeunes âmesl’accueilleraient avec une pieuse adoration sans arrière-pensée descepticisme, la religion s’est retirée tristement, perdant le terrainpied à pied contre l’esprit fort de MM. les fonctionnaires del’Université. Des prières illusoires sont mâchonnées, chaque matin etchaque soir, au milieu des criailleries et du bruit. La messe, cedevoir d’une seule journée de la semaine, est supportée avec impatience; on bâille dans son livre, on regarde à travers les vitraux del’église, afin de voir si le temps sera beau pour la sortie : lespetits rient du bedeau, des chantres, des voisins ; les rhétoricienslorgnent les voisines avec des airs cavaliers. La communion est le seulépisode religieux de la vie de l’écolier ; on lui met entre les doigtsun catéchisme qu’il apprend avec tout autant de componction que lerudiment et la syntaxe ; le maître d’étude dit quelques mots auxnéophytes de l’importance de l’acte qu’ils vont accomplir, en tenantl’index dans les pages d’un roman de Pigault-Lebrun. L’aumônier est àpeine considéré ; on répond à peine à son salut humble et timide ; onle subit par respect humain pour lespréjugés.

Le jeune Bouvillon a appris de ses camarades l’indifférence en matièrereligieuse, partant pour les devoirs que la religion impose ; et, s’ils’y soumet, c’est par crainte qu’on ne l’en réprimande ou pourconquérir un congé. Ses mauvais instincts se sont rapidement développés; des habitudes funestes et dépravées sont venues s’y joindre ;l’oisiveté de ses jeunes années a étendu sa lèpre sur ses bonssentiments d’activité et de travail. c’est cet homme vicié, paresseux,ignorant, débauché, que l’éducation a produit ; c’est à parfaire cetilote de l’enseignement, ce fils qui vous dédaigne et vous méprise,monsieur Bouvillon, que sont passés vos mille francs ; c’est à déformervotre enfant, madame Bouvillon, que les plus maladroits orthopédistesse sont exercés pendant tant d’années, tout en l’éloignant de vous, eten ne lui permettant pas ainsi de se corriger à l’exemple de vosactions, de vos vertus humbles et intérieures, à l’aide de vos conseilset au contact de votre urbanité.

O pères de famille ! on peut vous dire avec un écrivain célèbre (M. deLa Mennais) :

« Vous êtes incapables de discerner quelle éducation il est convenablede donner à vos enfants, et, par tendresse pour ces enfants, vous lesjetez dans des cloaques d’impiété et de mauvaises mœurs, à moins quevous n’aimiez mieux qu’ils demeurent privés de toute espèced’instruction. »


HUBERT DE ROMILLY.

retour
table des auteurs et desanonymes