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OURLIAC, Édouard(1813-1848) : L’École primaire (1841). Saisie du texte : S. Pestelpour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (10.VII.2018) Relecture : A. Guézou Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00. Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L.Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9vol. L’ÉCOLEPRIMAIRE. PAR E. OURLIAC ~ * ~ SCÈNES DE MŒURS. ~ * ~ (Les jeunes élèves entrent enclasse.) PLUSIEURS VOIX. – Ohé, les autres, ohé ! Filipot, ohé ! FILIPOT, passant la tête à la porte.– Qu’est-ce qui veut voir défiler la parade ? Viens-tu voir la parade,Vinet ? VINET. – Et l’maître ? FILIPOT. – On y dit zut...y a personne chez nous... Viens-tu ? VINET. – Ah ben, non ! tant pire. FILIPOT. – Ah ! que t’es couenne...J’y vas, moi. VINET. – C’est bon, ça va être dit au maître. FILIPOT. – Oh ! y dis pas, c’est bête. VINET. – Eh ben, donne-moi quéque chose. FILIPOT. – Tiens, v’là mon couteau. VINET, fuyant. – Je le diraitout d’même... Attrape ! FILIPOT. – Oh !... (il crie)méchant galopin !... (Il disparaît.) VINET. – C’est moi qu’a un beau couteau. ANATOLE. – C’est moi qu’a un hanneton. VINET. – Fait-il son fier avec son hanneton... C’est ça que c’est beauun hanneton ! ANATOLE. – Tu dis ça parce que t’en as pas... Et ton couteau, donc !V’là-t-il pas, parce qu’il a un couteau... VINET. – Veux-tu changer ? ANATOLE. – J’t’en fiiiiiiiiche... Et toi, veux-tu changer ? VINET. – Ah, quin ! j’en ai plein chez nous dez’hannetons. ANATOLE. – Et ton couteau donc, tu peux bien le garder. VINET. – Eh bien, changeons. ANATOLE. – Ça y est. VINET. – Ohé, Zidore ! vlà Tonnellier qu’a un chapeau de paille. Ohc’chapeau ! oh c’te tête ! ZIDORE, bourrant Tonnellier.– Oh c’hapeau ! oh c’coloquet ! ohé, Bocquet, vois-y donc son chapeau ! BOCQUET, repoussant Tonnellier.– Oh c’ capet ! oh c’ett pif! nous allons t’y nous amuser. TONNELIER, grognant. –Lais-se-moi-donc-tran-quille, toi. ZIDORE, revenant à la charge.– Oh c’nez qui vous fait ! Ohé, Mayeux ! TONNELIER. – M’sieu ! BOCQUET. – Ah ! t’es capon, toi… Mayeux ! Mayeux ! TONNELIER. – M’sieu ! m’sieu ! ZIDORE lui effondre son chapeau d’uncoup de poing. – V’là pour ton m’sieu. TONNELLIER. – Hi hi hi ! Qu’est-ce qu’on va dire chez nous ? hi hi hi ! ZIDORE. – Ah ben non, tais-toi, ça ne sera rien... Ne le dis pas, hein ? TONNELLIER. – Je veux le dire, moi. Hi hi hi ! mon chapeau qui n’a plusde fond ! ZIDORE. – Nous somm’ amis, tu sais, ne pleure pas... Tiens, je t’vasdonner quéque chose pour la peine... V’là un crayon rouge. TONNELLIER. – J’en veux pas de ton crayon, j’veux un chapeau. Hi hi hi ! ZIDORE. – Tiens, v’là encore un bouton... Tu vois, c’est gentil, c’esten vrai or. TONNELIER, calmé. – Nousserons amis, pas vrai ? VINET. – Qu’est-ce que t’as dans ton panier ? TONNELLIER. – J’ai du raisiné. VINET. – Donne-moi z’en un peu. TONNELLIER. – Est-il gueulard donc, celui-là ! V’là pour Zidore ; toi,t’auras rien, t’es trop gueulard ; v’là ce qu’ c’est de demander. VINET. – V’là ce que t’auras, toi (illui donne un soufflet bruyant). TONNELLIER. – Hi hi hi ! M’sieu ! VINET et les autres étouffent sescris. – Ohé, le capon! Tu pleures, tu rages, tu manges ton fromage (ils entourent Tonnellier en lui faisantles cornes). ZIDORE, monté sur une table.– Préchi précha, la chemise entre mes bras, le bonnet sur mes cheveux... UNE VOIX. – M’eg’à vous, v’là m’sieu qui vient. ZIDORE tombe du haut de la table enbas. – Holà ! LES AUTRES. – Bien fait. ZIDORE. – Ça m’est égal, je ne m’ai pas fait de mal (il pleure). LE MAITRE. – Gare là-bas, si j’y vas ! (Il paraît à la porte ; sensation marquée.) TONNELLIER. – Hi hi hi, m’sieu ! LE MAITRE. – Attends, attends, chenapan... Je vas vous en faire dutrain, moi ! (Il rentre.) TONNELLIER. – M’sieu, hi hi, Vinet m’a bat... LE MAITRE. – C’est donc toi, savoyard ! (Il lui détache une claque à tour de bras.)Et à genoux tout le temps de la classe ! TONNELLIER. – C’est pas moi qui... hi hi hi ? hu hu ! LE MAITRE. – A genoux !... obstiné ! Silence par là, où j’en vais faireautant... Ah ! tu as une mauvaise tête ! et moi aussi... Nous allonsfaire la prière... (Tumulte, bruitde bancs et de vaisselle dans les paniers.) J’avais déjà ditqu’on devait déposer la mangeaille derrière la porte... Dorénavant jela confisque... pour Azor... A genoux ! (Il fait le signe de la croix.) In nomine patris... (Avec un regard furieux à droite et à gauche.)Je t’vas aller cingler toi là-bas... Innomine patris... TONNELLIER, d’une voix étouffée.– Hi hi hi ! LE MAITRE. – Qu’est-ce que j’entends ? Silence ! In nomine patris... (Il lève la main pour un nouveau signe etla rabat violemment sur la nuque de l’élève le plus proche.)Mais fais donc le signe de la croix, animal !... de la main droite... In nomine patris... L’ÉLÈVE, à demi voix. ̶ Chameau ! LE MAITRE. – Qu’est-ce que tu as dit ? L’ÉLÈVE, levant les coudes.– Pas moi, je ne dis rien. VINET. – M’sieu, il vous appelle chameau. LE MAITRE, avec impétuosité.– On ne te demande rien, toi..., enfant de rien du tout, ver de terre (il le secoue par les oreilles). VINET. – Holà ! holà, c’ n’est pas moi qui l’ai dit, c’est lui qui vousappelle chameau, cha-a-a-a-a-meau, cha-a-a-meau, oh ! oh ! LE MAITRE. – Ah, les vermines !... Vous voulez donc m’épuiser, vousvoulez donc m’assassiner ? (Ilparaît hors d’haleine.) Innomine patris et... D’ousque tu viens à cette heure, toi ? GALLOCHAT, entrant. –M’sieu, maman a dit comme ça que je vous dise qu’elle avait dit que…que… elle n’avait pas fait cuire à déjeuner… et qu’il était trop tard. LE MAITRE. – Retournes-y et tout de suite. Il est neuf heures. GALLOCHAT. – Mais m’sieu… (Le maîtres’élance après lui ; il s’enfuit en criant.) Holà, holà ! LE MAITRE. - In nomine patris etfilii et spiritus… (Gallochatrentre à quatre pattes ; le maître s’élance de nouveau. Gallochatdisparaît. Le maître reprend.) In nomine patris et filii, et spiritussancti… LES ÉLÈVES, sur tous les tons dumiaulement. – Amen ! ZIDORE, après les autres. Noteaiguë, exagérée. – Amen! LE MAITRE, avec colère et les dentsserrées. – Veni, sanctespiritus… Ici, Bocquet, ici scélérat, que je te casse un brasou deux… Je te ferai suivre, moi ! BOCQUET. – Si, m’sieu, je suis…. Sanctespiritus, sancte… LE MAITRE, avec un mouvementpassionné. – Je vais t’en donner sur les reins des sancte spiritus… Apporte-moi ceque tu caches dans ta culotte. BOCQUET. – M’sieur, c’est mon déjeuner. LE MAITRE. – Veux-tu ?... (Bocquetlui met dans la main un cornet de mélasse.) Vilain dégoûtant,tu ne l’auras pas ton déjeuner, sauvage !... La brute, la bruteelle-même vaut mieux que vous, car au moins la brute… Mercenaires !... Veni, sancte spiritus-bs-bs-bs-bs, incende. LES ÉLÈVES. – bs-bs-bs-bs-bs- AMEN ! (La classe commence.) LE MAITRE. – Les leçons. TONNELLIER. – Ne pousse donc pas, toi… M’sieu ! ANATOLE. – Tiens, capon, va dire à m’sieu. TONNELLIER. – M’sieu ! ANATOLE. – Oh c’tte échinade après la classe, tu verras, va ! Capon,capon, filou ! LE MAITRE. – Natole, l’Évangile ? TONNELLIER. – Bien fait. ANATOLE. – Grand voleur, tu verras (Haut.) En ce temps-là… là… à… ence temps-là… à… en ce temps-là à à… Jésus hu hu hu… LE MAITRE. – Sait pas ; quinze fois l’Évangile à copier. ANATOLE. – Si m’sieu, si m’sieu… En ce temps-là à à… TONNELLIER, bas. – Bien fait, bien fait. ANATOLE. – En ce temps-là à à… (bas). Filou, filou… (haut). En cetemps-là à à… LE MAITRE. – Copiez trente fois. ANATOLE. – Mais, m’sieu… LE MAITRE. – Quarante fois. ANATOLE. – Une injustice, nà ! LE MAITRE. – Cinquante fois. ANATOLE. – Ferai pas, nà ! LE MAITRE. – Tu raisonnes (il se lève). ANATOLE. – Si m’sieu, si m’sieu (plus bas) ; injuste, nà ! filou, nà ! LE MAITRE. – Zidore, l’Évangile ? ZIDORE se lève avec empressement et parlant fort vite. – En cetemps-là, en ce temps-là, en ce temps-là… M’sieu, papa a été malade,j’ai pas pu apprendre tout. LE MAITRE. – Une attestation de vos parents. ZIDORE. – M’sieu, papa était malade. LE MAITRE. – Quinze fois à copier. ZIDORE éclate en sanglots. – M’sieu, m’sieu, papa est malade… c’estpas moi… c’est papa qui est malade. LE MAITRE. – Je n’entre pas là-dedans… Bocquet, l’Évangile ? BOCQUET. – M’sieu, ça n’est pas dedans le mien. LE MAITRE. – Quatrième dimanche après la Passion. BOCQUET. – C’est Filipot qu’en a fait des cocottes. LE MAITRE, avec une irritation concentrée. – vous les copierez quinzefois, ces cocottes. BOCQUET. – Mais m’sieu… LE MAITRE. – Silence, et obéissez… Vinet, ta leçon ? (Vinet cherche sacasquette, ramasse une plume, et demeure longtemps sous son banc).Vinet, je t’attends. VINET, sous le banc. – M’sieu, je ne trouve pas le coton de monencrier. LE MAITRE. – Tu n’as que faire de coton dans cette circonstance, il mesemble. Récitez. VINET, très-haut. – En ce temps-là à à… LE MAITRE. – Plus bas, nous avons te temps. VINET, plus haut. – En ce temps-là.. à.. Jésus… LE MAITRE. – J’ai dit plus bas… Parlé-je allemand ? UN GRILLON. – Cri-cri-cri. LE MAITRE. – Qu’est-ce qui souffle par là ? Je vas le souffler, moi. VINET. – M’sieu, c’est chose qui m’empêche de réciter, avec soncri-cri… Il me l’met dans le dos… Félisque, nà ! LE MAITRE. – Qu’on m’apporte cet animal. FÉLIX. – M’sieu, c’est pas moi, c’est lui. LE MAITRE. – Apportez-moi cet animal, vous dis-je. FÉLIX, en pleurs. – M’sieu… LE MAITRE, impatienté. – Faut-il que j’aille le chercher ? (Félix secache sous son banc. Vinet vient déposer le grillon sur la table dumaître.) Pauvre bête… Bourreaux, sans cœurs… Qui est-ce qui lui aintroduit ce papier dans le corps ?... Barbares… (à Félix) Serais-tucontent si l’on t’en faisait autant ?.... Si vous profitiez, savoyards,de ce que je vous montre… si vous écoutiez, cancres (en appuyant) :Jamais faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît… çadit tout, ça… au lieu qu’ils ne savent qu’imaginer, ces renégats… ilfaut que je le dise, pour tourmenter, là, pour tourmenter à plaisir…Souffre, souffre si tu veux… Mercenaires que vous êtes… Un maître quiconsacre sa vie à leur donner des soins, une bête innocente qui ne leura jamais fait de mal… Tout leur est bon… ça leur est égal… Mais sipetit que soit un animal, il souffre comme vous. Ce papier, qui voussemble peu de chose, c’est comme une bûche pour vous… Parce que ça nese plaint pas, n’est-ce pas ?... vauriens…. ça n’en souffre pas moins…ça se plaint, ça crie, ça pleure, ça hurle comme vous… C’est vous quin’entendez pas, bourreaux… Pauvre bête… ils lui ont coupé la tête… leschenapans… Rendez-lui la liberté… tout de suite… (On jette l’insectepar la fenêtre.) TONNELLIER. – M’sieu, Zidore m’appelle voyou. LE MAITRE. – Silence !... Vous avez vu par l’évangile de ce jourcombien il est difficile… TONNELLIER. – M’sieu, Zidore me donne des taloches. LE MAITRE. – Silence !... Vous venez de voir par l’évangile de ce jour… TONNELLIER, à Zidore. – Ah ben ! finis, toi, je n’joue plus… M’sieu ! LE MAITRE. – … Combien il est difficile… TONNELLIER, allant à lui. – M’sieu, Zidore ne finit pas de me donnerdes grandes pichenettes sur le nez. LE MAITRE lui allonge un soufflet. – (En appuyant sur ces mots) Depar-don-ner-les-of-fen-ses… Tiens, vermine, et à genoux ! TONNELLIER. – Hi hi hi ! LE MAITRE. – Vous avez vu par l’évangile de ce jour combien… Mais ilsne savent rien, les cancres…, et je m’épuise (il tousse) hum ! hum !hum ! (violent accès). Vous voulez donc m’avoir les poumons,misérables… Ils veulent m’assassiner… Ah ! mon Dieu ! (Il essuiequelques larmes). Vous apprendrez l’évangile suivant… Nous devonsavoir fini à la Fête-Dieu… Un par jour, comme ça… Passons à la dictée(il prend un livre). Le vieux Nestor répond… en ces termes auxenvoyés… Je te vas frotter les épaules, toi, là-bas, va-nu-pieds. UN ÉLÈVE, écrivant. – Frot-ter-les-é-pau-les. LE MAITRE. – Tu écris ça, toi, ignare !... Tu me confonds avec Fénelon(souriant). Ça n’est pas mauvais… pauvre Fénelon ! (Il dicte.) Dansle climat de l’heureuse Bétique…. Je ne sais plus où j’en suis… Levieux Nestor… ANATOLE. – M’sieu, voulez-vous me tailler ma plume ? LE MAITRE, avec intention. – Monsieur, je ne suis pas un tailleur.(Rires bruyants. Le maître, avec un sourire de satisfaction à demiréprimé, reste quelques secondes sans parler.) Heu, heu, heu ! (Ilreprend.) Dans le climat de l’heureuse… Non, ce n’est point cela… levieux Nestor répond…, virgule, aux envoyés, virgule, du roid’Ithaque, deux points : Amis ! point d’admiration… (Vinet donnesans motif un violent soufflet à Tonnellier, penché sur son papier.Stupéfaction.) VINET. – M’sieu, Tonnellier !... y me donne des calottes. LE MAITRE. – Ici, Tonnellier. TONNELLIER, oppressé. – M’sieu, c’est lui. LE MAITRE. – Ici, brigand… faut que tu sois bien féroce, toi… (ill’emporte par une oreille.) TONNELLIER. – Holà ! holà !... hooolà ! (Furieux) Grande bête, nà ! LE MAITRE. – Je t’anéantis, misérable… Tu es donc un fléau… Tu es doncné pour le tourment des humains… On aurait dû t’étouffer en naissant…Si j’étais ton père… mais les parents… c’est si indulgent… Je ne saisplus où j’en suis… Dans le climat de l’heureuse Bétique… Savoyards!... (Madame Gallochat entre avec son fils.) Mme GALLOCHAT. – Mande bien pardon, mosieu Desvergettes, sans vousdéranger. LE MAITRE. – Comment, madame ? je suis enchanté de l’occasion qui meprocure… Mme GALLOCHAT. – L’ petit est revenu chez nous qui dit : Le mosieur m’agrondé ; attends, que j’ dis, j’vas voir, ça n’ sera rien ; il n’osaitpas revenir comme ça tout seul. LE MAITRE. – Oh ! madame, quel enfantillage !... Vous avez eu tort,Gallochat ; pourquoi n’osiez-vous pas, mon petit ami ? Mme GALLOCHAT. – Tu vois, pétit, mosieu est bon… Vous savez, quet foisi sont pas fâchés d’aller comme ça courir… Oh ! mais, que j’ dis, j’vas t’y ramener, j’vas y parler au mosieu… LE MAITRE. – Madame, je suis enchanté de l’occasion… Mme GALLOCHAT. – Y a pas de quoi, mosieu Desvergettes… Allons, pétit,ôte ta casquette ; v’là ton panier, va avec tes petits camarades, etprofite… C’est-il sage, c’est-il savant tous ces petits messieurs ? LE MAITRE. – Mais, Dieu merci, je n’ai point à me plaindre, ça va, çava. Mme GALLOCHAT. – Oh, dame ! c’est pas tout des roses ; seigneur Dieu,qu’on doit avoir quet fois du mal dans vot’ état… LE MAITRE. – Mais, comme ça… Il faut des soins. Mme GALLOCHAT. – Allons, à revoir, mosieur Desvergettes ; excusez bien. LE MAITRE. – Comment, madame, c’est moi qui… (Elle sort. A Gallochat,d’un ton dur.) Veux-tu m’ouvrir ton livre tout de suite, garnement !(Gallochat fait un mouvement pour rejoindre sa mère.) Veux-tu resterlà, drôle ! (Il le repousse sur son banc d’un coup de poing.) Hum,hum, hum ! ouf… Dans le climat de l’heureuse Bétique… Bon, bon,continuez là-bas, c’est fort bien. BOCQUET, frappant Zidore. – A toi le dernier. ZIDORE, frappant Bocquet. – C’est toi qui l’as. BOCQUET. – C’est toi, et zut, et zut ! ZIDORE. – Et zut, et zut ! LE MAITRE. – Attendez, je vais me mettre de la partie. (Bocquet etZidore passent sous le banc, et se frappent alternativement en fuyant.Le maître les poursuit.) Ici ! ZIDORE, à Bocquet. – C’est toi qui l’as le dernier. BOCQUET. - Zut, c’est toi. (Le maître les saisit au collet. Ilscontinuent de se frapper l’un l’autre.) LE MAITRE. – Ah ! déchaînés ! (Il les secoue par les cheveux.) ZIDORE. – C’est toi qui l’as. BOCQUET. – C’est toi, zut ! LE MAITRE, hors de lui. – A genoux, et au pain sec tous les deux !(Ils se mettent à genoux.) Les savoyards ! (Il reprend son livre.)Dans le climat de… (Zidore, rampant sur les pieds et les mains, frappeBocquet et lui dit : C’est toi ! Bocquet, de même : C’est toi ! Ilsse rapprochent et se frappent de nouveau, le maître s’élance.) Ce nesont pas des enfants, ce sont des bêtes féroces… Viens ici, toi (illes sépare) ; et vous me le payerez bien tous les deux. BOCQUET bas, et tirant la langue. – Ohé ! Zidore, pst, pst, c’est toiqui l’as. ZIDORE. – M’ sieu !… j’vas y dire ce que tu sais bien (Bocquet luifait les cornes). M’ sieu ! vous ne savez pas ce que Bocquet a dit?... Il a dit comme ça que sa grande sœur s’en va sur le carré avec levoisin qui joue de la flûte…, et même qu’elle y a donné quatre souspour qu’il ne dise pas. BOQUET. – M’sieu, l’écoutez pas, c’est pas vrai… Eh ben, moi, j’vas ydire ce que t’as dit aussi. LE MAITRE. – Silence, vipères !... Vous portez le trouble et ledéshonneur jusque dans vos familles. BOCQUET. – M’sieu, c’est pour vous ce qu’il a dit… Il a dit comme çaque madame va dans le jardin avec le professeur de dessin… LE MAITRE. – Silence, vous dis-je… BOCQUET. – J’vas vous le dire à l’oreille… Il a dit comme ça quemadame… (Le reste plus bas. Le maître laisse tomber sa tête dans sesmains. Silence. Il se relève.) LE MAITRE, à Bocquet. – Mon Dieu ! quelle épreuve ! Je n’y survivraipas. (Explosion.) Sortez d’ici, allez retrouver les parents coupablesqui vous ont donné le jour. (Il pousse Bocquet jusqu’à la porte.Sensation. Il revient à sa table. Les élèves sont dans la stupeur.Quelques-uns sourient et font des grimaces.) Messieurs, après ce quivient de se passer, je me vois forcé d’interrompre la classe ; vouspouvez vous retirer. VOIX NOMBREUSES. – Merci, m’sieu… bien bon, m’sieu. Mme DESVERGETTES, entrant avec Bocquet. – Pourquoi donc que tuchasses c’petit, Desvergettes ? il se désole, c’pauvre enfant. LE MAITRE. – Il vous appartient bien de prendre sa cause en main ! Mme DESVERGETTES. – Tiens, qu’est-ce qu’il y a donc ? qu’est-ce quet’as donc, mimi ?... Il a donc été bien méchant, Bocquet ? LE MAITRE. – Sors d’ici, malheureuse… Tu me le fais dire devant cesenfants. Mme DESVERGETTES. – Ah ça, dis donc, toi, tu m’ennuies pas mal. LE MAITRE. – Vous n’avez pas de honte devant ces innocents ; faut-ilque je m’explique ? Mme DESVERGETTES. – Explique-toi, qu’est-ce que ça me fait ? c’est quetu vas voir, toi, à la fin ! LE MAITRE. – Viens donc, malheureuse, viens par ici. (Il l’entraînedans la pièce voisine. Bocquet s’esquive ; on entend des cris, unedispute, des sanglots étouffés. Pendant ce temps-là relâche et tapagesans frein dans l’école. On danse sur les tables, on escalade lesbancs, on décroche les cadres.) VINET, sur un banc - Promenons-nous dans le bois, tandis que le loupy est pas… Loup, y es-tu ? (On entend pleurer madame Desvergettes.) ZIDORE. – Ça y est-il de s’en aller ?... le maître l’a dit. CHŒUR DE DANSES ET DE CHANTS. - Trou la la, le postillon deLongjumeau, trou la la la la, le postillon de Long (très-haut) jumeau ! LE MAITRE, rentrant, échevelé. – J’en étais sûr… Ils profitent desaffreuses circonstances… (Madame Bocquet entre avec son fils.) Mme BOCQUET. – Bien le bonjour, monsieur Desvergettes ; il me paraîtque ces petits jeunes gens ne sont pas gentils. LE MAITRE. – Ah, dame ! on a de la peine, il faut des soins. Mme BOCQUET. – Je vous ramène l’ptit, qu’est ben fâché… LE MAITRE. – Mme Bocquet, vous savez ce qu’il m’en coûte ; mais votrefils s’est conduit… Mme BOCQUET. – Je n’sais pas ce qu’il a fait, mais l’pauv’ petit, il enest ben fâché ; il en avait encore les yeux tout rouges, quoi ! LE MAITRE. – Madame Bocquet, il m’est impossible… Ma tranquillité, lerepos de ma maison en dépendent. Mme BOCQUET. – Eh ben, c’est bon ; si vous le prenez comme ça, j’leretirerai, v’là tout. C’est dix francs d’économisé. Mais, mon Dieu,qu’est-ce qui vous a donc fait ? LE MAITRE. – Ce qu’il a fait ? (Il lui parle longtemps à l’oreille.Madame Desvergettes s’approche.) Mme BOCQUET. – Ah, ah… dame ! Après ça, vous savez ce que c’est que lesenfants. Il aura dit ça sans penser. Faut pas y en vouloir. Je croisbien que vous avez trop de raison tous les deusse pour faireattention à une chose que dit un enfant. Mme DESVERGETTES, les yeux rouges. – Mon Dieu si, v’là pourtant commemonsieur est. Mme BOCQUET. – Les enfants, ça jacasse, et v’là tout. Au surplus, jepuis vous répondre que Bocquet ne le dira plus, il me l’a promis, il enconnaît la conséquence… Allons, petit, c’est arrangé ; demande pardon àM. et Mme Desvergettes, et dis-y que tu ne le diras plus. (Bocquetroule sa casquette entre ses doigts.) Pauv’ petit ! vous voyez, pasplus de méchanceté qu’un mouton ; allons, petit, M. Desvergettes tepardonne… N’est-ce pas, M. Desvergettes ? Mme DESVERGETTES, jetant ses bras au cou de son mari. – Allons, mimi,pardonne ! LE MAITRE. – Puisque vous le voulez… Va t’asseoir, mon petit ami. Mme BOCQUET. – Ah ! v’là qu’est bien ! il sera sage, j’en réponds… Vousne diriez pas, monsieur, madame, ça me fait toujours d’ l’effet lesraccommodages… Nous somm’ enfants comme eusse… Bien obligé, M.Desvergettes. LE MAITRE. – De rien, madame Bocquet. Mme BOCQUET. – A revoir, monsieur, madame. (Elle sort.) LE MAITRE. – Mes enfants, je suis indisposé, je vous donne congé. LES ENFANTS. – Merci, monsieur, merci. (Sortie empressée et bruyantede l’école.) ED. O. |