Corps
NUS, Eugène(1816-1894) : L'Huissier de campagne(1841). Saisie du texte : O. Bogrospour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (11.3.2019) [Ce texte n'ayant pas fait l'objetd'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00. Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L.Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9vol. L'HUISSIER DE CAMPAGNE. PAR EUGÈNE NUS. ~ * ~ ENFANT du canton qu'il exploite, le praticien en herbe,à peine arrivé à l'âge de raison, consacre les blondes années de sajeunesse au culte des expéditions et à l'adoration du code civil. Lerêve doré poursuivi par son âme ardente, l'ambition qui germe et mûritdans son cœur, se résument dans l'espoir d'ajouter au nom que lui onttransmis ses aïeux la qualification d'huissier patenté de troisièmeclasse sous n'importe quel numéro, et de voler glorieusement sur latrace de ses prédécesseurs. — Voler est employé ici dans le senspurement figuré. — Enfin, il parvient à ce but constant de ses désirs,et dans la carrière que son patron ne poursuit plus, il va secouer lapoussière des nombreux exploits de ses devanciers, tout en héritant deleur science et de leurs vertus sous forme d'un volume ayant pour titre le Parfait huissier. Unefois en possession de sa charge, le nouveau titulaire se choisit unefemme, ce qui fait dire aux mauvais plaisants du lieu qu'il a pris à lafois une charge et un fardeau. Représentez-vous une bonne figure d'homme paisible, figure souriante,joviale, surmontée d'une casquette et encadrée dans un col de chemisequi semble vivre en parfaite intelligence avec les deux oreilles qui lecaressent : c'est l'huissier de campagne qui, étalé dans son fauteuil,rédige à la hâte les exploits du jour, ou écoute gravement lesdoléances de quelques plaideurs qu'il tâche de mettre d'accord, avantque la justice n'ait fourré le nez et la griffe dans leurs affaires. Car l'huissier de campagne n'est pas un de ces fauteurs de chicanescomme on en rencontre encore parfois dans les grandes villes. Il estlui-même une espèce de juge de paix, et joue souvent le rôle deconciliateur : il met les parties en présence ; il discute avec elles ;il établit le fort et le faible de chaque cause ; il atténue les tortsde l'un par la comparaison des torts de l'autre, et bien souvent desprocès qu'un homme moins probe et plus avide aurait pu exploiterlonguement au détriment de deux familles ont expiré dans l'étude del'huissier, avant qu'une seule démarche irritante eût commencé leshostilités. Quelquefois ce n'est pas une besogne facile que de mettre d'accord deuxenragés plaideurs que l'amour-propre, la mauvaise foi, ou même le seulbesoin de plaider, excitent l'un contre l'autre ; car les paysans sont chicaneurs par instinct. Ilsaiment la poussière des paperasses et l'atmosphère des tribunaux. Lesdisputes judiciaires sont le plus doux délassement de leur vielaborieuse et pénible. Depuis que la civilisation et le code pénal ontréprimé ces haines d'homme à homme et de pays à pays quiensanglantaient nos villages, les habitants des campagnes ont reportésur les querelles moins sanglantes, mais plus ruineuses des procès, cebesoin d'activité et de lutte que la nature a mis au fond du cœur detous les hommes. On pourrait peut-être rencontrer dans chaque bourgadede notre France plus d'une copie parfaite de Pierre Peables, ce typeoriginal et comique de plaideur que Walter Scott a jeté dans son romande Hedgauntlet. Quand tous les moyens de conciliation sont épuisés, l'huissier estobligé de subir les exigences de son client : c'est son état, c'est sondevoir. Alors les frais commencent. Pour un chou arraché dans unjardin, pour quelques branches coupées à une haie, pour une poignéed'herbe mangée par un mouton, assignations, jugements, commandements,saisies, oppositions pleuvent, s'échangent, se succèdent. Le procèsvoyage du canton au chef-lieu, du chef-lieu à la cour royale, de lacour royale à la cour de cassation. Les paperasses s'amoncellent, lesfrais se gonflent comme ces boules de neige que les écoliers roulentdans la cour de leur collège. Huissiers, avoués, greffiers, avocats,chacun tire à soi tant qu'il peut ; le trésor public engouffre la plusgrande partie des frais dans ses caisses voraces, et aux pauvresplaideurs ballottés, tiraillés, rongés jusqu'aux os, souvent tous cesvampires ne laissent pas même pour consolations les coquilles del'huître. Mais l'huissier de campagne réussit presque toujours à empêcher cesridicules procès. Il gronde, il se fiche, il jette parfois les clientsà la porte, et ceux-ci reviennent le lendemain, confus et repentants,lui annoncer qu'ils ont arrangé leuraffaire. Aussi il est fêté, choyé, respecté à l'égal du médecin et du notaire :même on le préfère au notaire, qui est plus froid, plus roide, plus monsieur, et au médecin dont labrusquerie et la science redoutable imposent à ces simples et crédulesnatures ; tandis que l'huissier, c'est un ami qui entre sans façons,s'assied à table, coupe un morceau de pain bis à la miche commune, une tranche de larddans le buffet, avale unverre de piquette, fait danser les marmots sur ses genoux, lutine lesgrosses servantes, et a toujours le petitmot pour rire au service de la ménagère qui file sa quenouilleau soleil, ou trempe la soupe aux choux dans les écuelles de terrepeinte. Le cabinet n'est que la plus pâle moitié de l'existence de l'huissierde campagne ; c'est dans ses tournées presque quotidiennes qu'il étaleaux yeux de l'observateur tous les détails saillants de son caractère.Quand il a réuni un certain nombre de copiesà porter dans le même groupe de villages, il se lève avant le soleil,donne ses instructions à sa femme, et se met en route. Son équipementde voyage est simple et ne nécessite guère que quelques frais deblanchissage au retour de chaque course. Un chapeau de paille à largesbords, une blouse de toile grise, un pantalon de coutil, des guêtres depeau pour traverser les boues, et de gros souliers ferrés, composentson costume. Ajoutez à cela un énorme bâton de vigne sauvage qui peutlui servir au besoin d'appui ou de défense, et un immense portefeuilledépassant de moitié la poche de sa blouse, et s'élevant à la mêmehauteur que le col de sa chemise. Ce portefeuille contient les copiesqu'il doit distribuer ; du papier blanc pour les commissions qu'il pourra trouversur sa route ; un crayon, une règle, une plume métallique, et unepetite fiole de verre habillée d'une robe de peau et qui remplit lesfonctions d'écritoire. En hiver, il met pour tout supplément detoilette une toile cirée sur son chapeau, une veste sous sa blouse, etun pantalon de gros drap au lieu du pantalon de coutil. Le voilà parti. Il se hâte ; car il a une longue tournée à faire, et nerentrera peut-être pas avant la nuit. Voyez comme il marche vite ; avecquelle aisance il combine et harmonise les mouvements de ses jambes, deses bras et de son bâton ! C'est que pour cet homme habitué à fairequelquefois quinze et vingt lieues dans une journée, la marche a étéune étude et est devenue une science. Il connaît la manière de poser lepied sur un terrain marécageux ou hérissé de roches ; il sait de quellefaçon on doit se reposer pour ne pas engourdir dans l'inaction lesmuscles tendus par un violent exercice ; il gouverne et modère son pas,pour se ménager les forces et la respiration, comme un cavalier habilerègle et tempère les mouvements d'un cheval qui doit accomplir unelongue course. L'huissier de campagne possède à fond tous les détours, tous lessentiers, toutes les échappées des terrains qu'il parcourt ; il marcheindifféremment sur la route, à travers champs, ou dans les mille replisdes bois ; il va à vol d'oiseau, suivant la ligne droite, se frayant unchemin au milieu des marais, escaladant les haies vives, franchissantles ruisseaux gonflés par les pluies, pour arriver aux hameaux, auxmaisons écartées dont il sait la position bien mieux quel'arpenteur-géomètre du pays. Et, au milieu de ces fatigues, de cesluttes incessantes contre les difficultés du sol, on le voit toujoursgai, allègre, dispos, jetant de joyeux bonjours aux paysans échelonnéssur sa route, répondant aux sourires par des sourires, auxplaisanteries par des quolibets, poursuivant de ses bons mots lelaboureur qui trace lentement un sillon, appuyé sur sa charrue, lafaneuse qui amoncelle en tas le foin odorant, ou le braconnier quiguette un lapin sur la lisière d'un bois. Quand il traverse un village, les bonnes femmes viennent à la portepour le voir passer ; les chiens aboient à sa rencontre avec un air deconnaissance ; les buveurs attroupés dans les cabarets l'appellent etl'invitent. Et lui salue les bonnes femmes avec un moulinet gracieux de son bâton ;appelle les chiens par leur nom respectif, et répond aux buveurs sansralentir sa marche. Puis il entre chez un des pauvres diables auxquelsil doit laisser une citation ou un commandement. « Eh bien ! père Thomas, vous vous laissez mettre l'huissier aux trousses... — Qu'est-ce qu'il y a donc, monsieur Despré ? — Il y a 40 francs que vous devez à Jérôme, mon vieux, et dont il nepeut pas vous arracher un sou. — Ah ! monsieur Despré, les temps sont si durs !... — Et les créanciers aussi, n'est-ce pas ? Prenez garde, mon bravehomme, il ne faut pas vous laisser manger en frais pour si peu dechose. Tenez, prenez ce poulet,et apportez vos écus à l'audience. » Tous les devoirs de l'huissier ne sont pas aussi faciles et aussiagréables à remplir. Quelquefois il faut saisir le mobilier d'unepauvre famille, mission pénible et douloureuse qu'il n'accomplitqu'avec dégoût et que pourtant il faut accomplir. Dans ces occasions,il se munit de deux recors, et inventorie à la hâte tous les ustensilesdu malheureux ménage, en ayant bien soin de fermer les yeux surquelques provisions qu'on lui cache, sur quelques instruments decuisine ou de culture que le débiteur indigent fait évader par uneporte de derrière. Puis il arrive aussi, mais plus rarement, qu'il fautvendre les objets saisis. Alors l'huissier se cuirasse le cœur de sonmieux contre les larmes des femmes, les cris des enfants et la muettedésolation de l'homme. Mais, malgré son stoïcisme affecté et sonimpassibilité résolue longtemps d'avance, les paysans des alentoursaccourus à la vente sur la foi des affiches reconnaissent bientôt à sesregards émus, à sa voix entrecoupée, combien il déplore en lui-même lestristes rigueurs de son ministère. Mais tous ne font pas ainsi la part des exigences de son devoir. Ilarrive parfois que quelques débiteurs intraitables et rancuniersenveloppent dans la même haine et dans la même vengeance le créancierimpitoyable qui use de son droit en les poursuivant et 'hommeinoffensif qui n'est là qu'un instrument passif de la loi. Cela se résume, pour le malheureux huissier, en quelques coups de bâtondistribués par une main vigoureuse, en guet-apens dressés au détourd'un sentier obscur, en meubles, casseroles et poêlons lancés à satête, à l'époque d'une saisie ou d'une vente. Heureusement que de telsépisodes ne sont pas communs dans sa vie, et qu'un bon arrêt de policecorrectionnelle lui fait justice du malfaiteur. Nous avons dit que l'huissier se hâtait de prendre une femme, dès sonentrée en fonctions. Cette femme est pour lui quelque chose de plusqu'une épouse vulgaire. Elle ne lui sert pas seulement à perpétuer sarace, à raccommoder ses chaussettes, à faire cuire sa soupe, et à laverson pantalon de coutil ; l'épouse de l'huissier de campagne est à lafois un clerc intelligent et fidèle, un associé habile à soutenir sesintérêts, un second lui-même qui le remplace pendant ses courses,reçoit les clients, prend les commissions, et quelquefois même, aprèsplusieurs années d'exercice, familiarisée avec la routine desmatricules et le style barbare des exploits, rédige à l'avance labesogne qu'il faudra distribuer le lendemain. Plus tard, immiscée parune longue habitude aux détours tortueux de la chicane, elle donne desconsultations aux paysans ; indique la marche à suivre pour les procèsordinaires, et son mari lui-même ne dédaigne souvent pas de luidemander ses conseils dans les affaires les plus embrouillées. Un grand philosophe l'a dit, et beaucoup d'autres l'ont répété après legrand philosophe : La science est fatale au bonheur ! Une fois que lacompagne de l'huissier est arrivée à cet apogée d'utilité et de savoir,elle abuse ordinairement de son importance, pour empiéter sur leterrain des droits conjugaux ; elle se construit peu à peu dans leménage une autorité sourde et occulte qui sape insensiblementl'autorité du maître. Ce sont d'abord des bouderies sans importance, delégères contradictions, des bouffées de mauvaise humeur que le mariimprévoyant laisse passer en courbant la tête. Mais bientôt lesbouderies se transforment en longues rancunes ; les contradictions sechangent en disputes, et les bouffées rares et passagères deviennentdes bourrasques terribles, d'interminables tempêtes. Ce n'est plus uneservante soumise, une épouse attentionnée, un associé indulgent ; c'estune moitié qui veut devenir le tout, un tyran domestique, un frondeurimpitoyable des faiblesses dont le fragile huissier n'est pas plusexempt que les autres individus de son espèce et de son sexe. Adieu les parties de billard et de piquet au café du lieu, en compagniedu percepteur, du greffier, de l'employé aux contributions indirecteset du brigadier de gendarmerie ! Adieu les bouteilles de vin blanc, lestranches de jambon et les rôties de fromage grillé que l'on consomme lematin, dans la petite salle de l'auberge, en racontant les chroniquesde la veille, et en attendant l'arrivée du journal ou de la voiturepublique !... Madame a mis le veto sur toutes ces petites jouissances, vu quel'argent se dépense plus vite qu'il ne se gagne ; que la besogne ne sefait pas en buvant et en jouant au piquet, et qu'il ne manque pas defainéants et de mange-toutpour alimenter les mauvais lieux, sans qu'un père de famille, un hommeen place aille courir les cafés et les auberges comme un libertin et undébauché. L'huissier n'a d'autre alternative que de céder pour avoir lapaix, ou de se résigner à des orages quotidiens, en transgressant lesordres de son implacable moitié ; mais, comme il tient beaucoup au vinblanc du matin et aux parties de billard de l'après-midi, il se résigneordinairement aux orages. Du reste, quand arrive le dimanche, l'huissier échappe à l'autoritéusurpatrice de sa femme, et recouvre complétement son libre arbitrejusqu'à cinq heures du soir. Avant 1830, le dimanche était simplement pour l'huissier un jour derepos, attendu que, par insinuationdu procureur du roi, il était tenu d'assister régulièrement à la messeet aux vêpres de son village respectif ; mais, depuis la révolution dejuillet, le café a empiété sur l'église, les cartes sur le Paroissien,et la demi-tasse sur le sermon. Depuis que des considérationsministérielles ne l'astreignent plus aux devoirs de piété, l'huissierest devenu frondeur, sceptique et voltairien ; il a placé sur sonbureau Volney en regard du code civil, l’Origine des cultes à côté du Parfait huissier, et il se livre àde violentes diatribes contre les calotins et les marguilliers. Enoutre, il a cessé entièrement de dire bonjour au suisse, et il nesoulève plus son chapeau de paille lorsqu'il rencontre le curé. Quant àses opinions politiques... il n'a pas d'opinions politiques. Sa femme, qui n'a pas fait autant de chemin que lui dans la voie duprogrès, passe une grande partie du dimanche à l'église, et oublie, entravaillant à son salut, de faire damner son mari : c'est la seuleraison qui détermine celui-ci à ne pas abolir entièrement le culteextérieur. Puis viennent les jours d'audience, dans lesquels, sous prétexte decauser avec ses clients et de fairela pratique, il escamote encore quelques heures de bon temps etquelques verres de bon vin, jusqu'au moment où l'on se rend à la grandesalle de la mairie où le juge de paix tient ses séances. Là l'influencede l'huissier s'éclipse presque totalement derrière une influencesupérieure ; ce n'est plus qu'un pâle satellite qui réfléchit lesrayons de l'astre autour duquel il gravite : les paysans n'ont d'yeuxet d'oreilles que pour les gestes et les paroles du juge de paix, de cedépositaire peu imposant parfois de la justice civile, qui prononce endernier ressort sur les dettes vulgaires, la vente d'un habillé de soie, et les coups depoing donnés et reçus dans une dispute. La fonction de l'huissier seborne simplement à appeler les causes, à crier silence aux plaideursobstinés, et à donner des coups de pied aux chiens du voisinage quiviennent mêler leurs accords aux bruyantes plaidoiries des avocatsrustiques. L'huissier possède encore un ennemi intime avec lequel il entretientune guerre non moins acharnée qu'avec sa femme : c'est le fisc,représenté par le contrôleur du lieu. On ne saurait se figurer quellesruses adroites, quelles petites perfidies, quels machiavéliques détoursl'huissier emploie pour tromper le fisc, pour enlever au trésor royalle coût d'un enregistrement ou les trente-cinq centimes que ne vaut pasune demi-feuille de papier timbré. Par une adresse inconcevable, etqu'il serait trop long d'expliquer ici, il fait servir souvent la mêmedemi-feuille à trois exploits consécutifs, après quoi cettedemi-feuille, déchirée en deux, lui fournit encore une de ces affichesqu'il expose à la porte des églises et des mairies pour les ventes parcontrainte ou par décès. L'escamotage des frais d'enregistrements'exécute en attendant jusqu'au dernier jour pour faire enregistrer lesexploits et en donnant ainsi aux parties le temps de s'arranger àl'amiable ; du reste, cette dernière opération est entièrement dansl'intérêt des plaideurs et ne rapporte pas un centime à l'huissier. Il est encore une foule d'abus dégénérés en usage par l'habitude, unequantité de petites licences pour lesquelles il faut sinonl'autorisation ouverte, du moins l'acquiescement tacite du contrôleur :aussi l'huissier ne néglige-t-il aucun sacrifice pour se mettre dansles bonnes grâces de ce redoutable surveillant. Dès qu'un contrôleurnouveau est envoyé dans le canton, l'huissier assiste immanquablement àson arrivée : il s'empare du nouveau débarqué, le flaire, l’examine ;nouveau Lavater, il étudie sur sa figure les angles saillants etrentrants ; il observe toutes les rides, tous les plis qui peuventtrahir ses penchants, ses vertus et ses faiblesses ; il analyse chaqueparole ; il scrute chaque mouvement ; il devine chaque pensée. Puis,quand il connaît son homme,quand il sait quel appât il doit mettre à ses hameçons, quel gâteau ildoit jeter à la gueule de ce cerbère, il s'en retourne en se frottantles mains d'un air triomphant, et dit en rentrant à sa femme : « Encoreun que je ferai au même. » L'huissier de campagne continue invariablement le même genre de viejusqu'à ce qu'il ait amassé deux ou trois mille francs de rente à lasueur de son front ; après quoi il vend sa charge, et tombe dans laclasse des bourgeois ordinaires. EUGÈNE NUS. |