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DUFAY, Pierre(1864-1942) : Au temps du ChatNoir (1931). Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (01.X.2016) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux: Deville br 1165) du Mercure deFrance. N°803 - T. CCXXXII, 1er décembre 1931. AU TEMPS DU CHAT NOIR Par Pierre DUFAY ~ * ~Avec Tortoni et le Divan de la rue Lepelletier, bureaux d'esprit, avecla Brasserie des Martyrs, le Rat mort et la Nouvelle Athènes,rendez-vous de toutes les bohèmes, Paris, sans remonter aux cabarets duXVIIe siècle et au Procope, a toujours compté des cafés où aimèrent àse retrouver artistes et gens de lettres. C'était là une tradition quine pouvait se perdre, à l'époque où quelque Homais, candidat probableaux prochaines élections, promulguait cet aphorisme semblant éclos dansl'âme d'un commis-voyageur « Les cafés sont les salons de ladémocratie. » Aucun, parmi les clients qui, en décembre 1881 (1), assistèrent, au 84du boulevard Rochechouart, à l'ouverture du Chat Noir, « cabaret LouisXIII, fondé en 1114 par un fumiste » ne pouvait, cependant, présagerles destinées de cet étrange estaminet qui, à la vérité, tenait plusd'un atelier que d'un salon. Ce n'était pas tout à fait une innovation. A la Grande Pinte, égayantl'avenue Trudaine de son vitrail où, d'après un carton de Bracquemond,des « escholiers » dodelinaient de la tête et barytonnaient du cul, lepère Laplace avait créé le premier cabaret artistique de Montmartre etn'avait point fait fortune. Ce fut pourtant, pour Rodolphe Salis, rapin subversif que sa peinturenourrissait mal, une leçon de choses dont il tira parti : - Pourquoi, se dit-il, soutenu par mon père qui, liquoriste àChâtellerault, me fournira le premier fonds nécessaire de spiritueux,ne tenterais-je pas à mon tour l'aventure ? Il avait de l'audace, de l'entregent, un extraordinaire bagout, fertileen fantaisistes trouvailles propres à amuser les artistes et à épaterles bourgeois, était bien fait de sa personne, et, par-dessus tout,possédait une femme intelligente, comme lui courageuse, femme de têteet de cœur qui, dans la rude bataille qu'il engageait, allait devenirpour lui la véritable « associée ». Une boutique, en forme de couloir, que venait d'abandonnerl'administration des postes et télégraphes, était vacante, boulevardRochechouart, à quelques pas de l'Elysée-Montmartre. Il la loua et yfit faire, très succincts, les aménagements nécessaires. Un petit chatabandonné, trouvé un soir sur le trottoir, fournit l'enseigne Le ChatNoir. Le titre était heureux, évoquant à la fois une bonne action et lesouvenir d'Edgar Poe. Le hasard fit, d'ailleurs, bien les choses. A laveille de l'ouverture. Salis fit, à la Grande Pinte, la connaissance dupoète Emile Goudeau, encore inconsolable de la disparition, sur la rivegauche, de ce club des « Hydropathes », sa création, dont l'existenceavait été bruyante, mais éphémère. Les deux hommes étaient bien faits pour s'entendre. Du fait de leurconjonction, la bière allait devenir esthétique et le pernod prendredes teintes d'art. Emile Goudeau a, au demeurant, tracé dans ses Dixans de Bohème un joli récit de leur première rencontre : Je montais mélancoliquement unsoir la pente de la rue des Martyrs, me rendant au cabaret de laGrand'Pinte où j'espérais me rasséréner un peu en bavardant avec Manet,Desboutins et d'autres. J'étais assis depuis quelques minutes,lorsqu'une bande joyeuse fit son entrée. C'étaient quelques hydropathesmontmartrois le peintre René Gilbert, le géant Parizel et celui-ci etcelui-là ; ils vinrent s'asseoir près de moi. Tout à coup Gilbert medit, en désignant un jeune homme, robuste, blond fauve, qui lesaccompagnait Tu ne connais pas Rodolphe Salis ? - Non, fis-je. Vous n'êtes jamais venu aux hydropathes ? - Jamais, je faisais de la peinture à Cernay, loin des rumeurs de la ville, répondit l'homme blond. Et puis, il ajouta - Je fonde un cabaret artistique boulevard Rochechouart, 84, voulez-vous assister au dîner d'ouverture ? - Volontiers, lui dis-je. C'est ainsi que je fis la connaissance de Rodolphe Salis. Il en fut bientôt l'ami et devint pour le cabaret l'« animateur »rêvé. Alors que Salis, par ses relations dans le monde des peintres,lui assurait toute une clientèle d'artistes, Goudeau lui apportait leprécieux appoint de ses anciens sujets, les Hydropathes. A l'exceptionde Taboureux, resté fidèle au Mahieu, il n'en est pas un, peut-être,qui hésita à traverser la Seine et à accompagner son ancien présidentvers ce Montmartre hospitalier, « mamelle granitique et formidable del'esprit humain » dont Salis n'allait point tarder à se proclamer roi.Musiciens, poètes, chansonniers, la rive gauche montait vers leboulevard Rochechouart. Maurice Rollinat, poète « névrosé » et pianisteinquiétant, y retrouvait son ancien succès et provoquait le frissonavec son Rondeau du guillotiné : Flac ! le rasoir au dos de plomb Vient de crouler, comme une masse. Il est tombé net et d'aplomb, La tête sautille et grimace Et le corps gît tout de son long. Sur le signe d'un monsieur blond, Le décapité qu'on ramasse Est coffré, chargé c'est pas long ! Flac ! Le char va comme l'aquilon ; Et dans un coin où l'eau s'amasse Et que visite la limace, Un trou jaune, argileux, oblong, Reçoit la boite à violon, Flac ! Maurice Bouchor et Ponchon accompagnaient Richepin, leur inséparable ;toujours beau. André Gill plastronnait sous l'aiguillon de la folie quile guettait. Léo Trézenik était encore « Pierre Infernal ». Les frèresCros apportaient leur fantaisie, le bon poète Charles, pour réjouir sesamis les peintres, entonnant leur chanson : CHANSON DES PEINTRES Laques aux teintes de groseilles Avec vous on fait des merveilles, On fait des lèvres sans pareilles. Ocres jaunes, rouges et bruns Vous avez comme les parfums Et les tons des pays défunts. Toi, blanc de céruse moderne, Sur la toile tu luis, lanterne, Chassant la nuit et l'ennui terne. Outremers, cobalts, vermillons, Cadmium qui vaut des millions, De vous nous nous émerveillons. Et l'on met tout ça sur des toiles, Copiant des femmes sans voiles Et le soleil et les étoiles. Et l'on gagne très peu d'argent, L'acheteur en ce temps changeant N'étant pas très intelligent. Qu'importe! On voit de la rosée En te surprenant, irisée, Belle Nature bien posée. Chartiste, Fernand Icres (qui signait encore Fernand Crésy) récitaitses vers avec un terrible accent pyrénéen, mâchant du fer ; EdmondHaraucourt donnait au journal devenu l'organe officiel du cabaret (2)la plupart des pièces composant la Légende des Sexes; curieux par profession, Félicien Champsaur vouait au nouveau cénaclel'enthousiasme qu'il avait naguère témoigné aux Hydropathes ; ClémentPrivé, entre autres sonnets, récitait celui-ci, qu'après sa mort Salisplaça souvent dans ses boniments, avec un succès constant : PARCE QUE !... Parce que de la viande était à point rôtie, Parce que le journal détaillait un viol, Parce que sur sa gorge immonde et mal bâtie La servante oublia de boutonner un col, Parce que d'un lit grand comme une sacristie Il voit, sur la pendule, un groupe antique et fol, Ou qu'il n'a pas sommeil, ou que, sans modestie, Sa jambe, sous les draps, frôle une jambe au vol, Un bourgeois met sous lui sa femme froide et sèche, Contre son bonnet blanc frotte son casque à mèche Et travaille en soufflant inexorablement. Et de ce qu'une nuit, sans rage, sans tempête, Ces deux crétins se sont accouplés en dormant, O Dante et toi ! Shakspeare, il peut naître un poète. Il semblait que tout le Boul-Mich eût fait cortège à Goudeau, leshabitués du Sherry-Gobler, les clients du Furet et du Coq Hardi, duMédicis ou du Pantagruel. L'illustre Sapeck ne craignait pasd'abandonner son fief du Luxembourg pour venir applaudir à cette formenouvelle de la fantaisie. Devant Maurice Guillemot et Hippolyte Percheramusés (en littérature Guy Tomel et Harry Alis), Willy risquait des àpeu près inédits. Gaston Sénéchal, fils spirituel et adultérin deVerlaine et de Banville, en de précieux sonnets, de délicats rondels etde fastueuses ballades, qui d'ailleurs ne nuisirent pas à sa carrièreadministrative, célébrait la sortie des brasseries, et ses semblables,les noctambules : BALLADE DES NOCTAMBULES Qu'elle est maussade la mansarde ! Qu'elle a d'ironiques chansons L'horloge qui toujours retarde Au gré de trop justes soupçons, Quand pour l'or des Anglo-Saxons Nos Délias pauvres Tibulles ! Nous lâchent sans plus de façons ! Heureux, les vagues noctambules ! Chez Brébant, Marco qui se farde A d'industrieux hameçons Prend l'avant et l'arrière-garde Des vieux maris, des vieux garçons ; Et, mêlant baisers et boissons, Dévore à pleines mandibules En tutoyant les échansons. Heureux, les vagues noctambules ! Au creux du cœur qui se lézarde, Dans les rocs, parmi les buissons Où la lune ne se hasarde Qu'avec de timides frissons, Les hibous, mornes francs-maçons, Dans leurs sourds conciliabules, Narguent le sommeil des pinsons. Heureux, les vagues noctambules ENVOI Hécate, accueille les tensons Qu'en dépit du pape et des bulles, Dévotieux, nous te tressons. Heureux, les vagues noctambules ! Des Hydropathes également venait cet étrange Jules Jouy qui, aprèsavoir donné au café-concert des scies amusantes, devint au Chat Noirroi de la chanson. Marie Krysinska elle-même, éprise de rythmes rares et de mâles râblés,délaissant les méritoires tavernes du quartier latin et leur trottoir,était montée boulevard Rochechouart chercher un frisson nouveau. Avecune folle prodigalité, Georges Morin multipliait ses octosyllabes, etJehan Lorrain, éphèbe en quête de vices quintessenciés, arborait desgilets impressionnants. Tels quelques-uns des coryphées - il en fut bien d'autres - dont EmileGoudeau, prince du gai savoir, avait composé sa cour. Mais, tous, avecsa barbe presque bleue, sa voix chantante de méridional, qui faisait deses vers une véritable musique, il les dominait, qu'il récitât les Affranchies, les Polonais ou ces Grecs, qu'il connaissait trop : Un soir Æmilios, prince de la déveine, Résolut de gagner Mataia, chose vaine. ou que, les yeux clos, comme Bouddha, il laissât monter vers sa divinité l'encens des cigarettes, des rimes et des louanges. A côté de Parizel, bon géant à qui sa haute taille avait valu, aprèsFerdinand de Lesseps, le surnom de « grand Français » de l'énigmatiquePeau de Lapin, d'Achille Laviâtre, ex-roi d'Araucanie qui, sans soucidu protocole, faisait le matin son marché, le filet à la main, la bandedes peintres entourait les tables, buvait, discutait et pétunait.C'étaient Caran d'Ache, le dernier de nos peintres militaires, HenriRivière, dont les ombres devaient faire la fortune du second Chat Noir,le japonisant Henry Somm, Henri Pille et sa redingote d'huissier deprovince, Steinlen, si humain, évocateur de toutes les souffrances etde toutes les misères, qui avait appris à connaître les femmes endessinant des chats, Adolphe Willette enfin, notre éternel Pierrot,auquel le cabaret dut ces deux incomparables chefs-d'œuvre, le Parce Domine et le carton du Veau d'Or. Il serait parfaitement oiseux de donner, après tant d'autres, ladescription de la salle exiguë du boulevard Rochechouart, avec sa hautecheminée, ses tables de chêne, ses « clous de la passion » et tout lebric-à-brac hétéroclite ramassé par Salis. Au fond, un cagibi infimeavait été promu à la dignité d'« Institut ». C'était le sanctuaire dontles néophytes franchissaient le seuil avec une émotion mêlée d'orgueil. Et les difficultés commencèrent avec le propriétaire et les voisins, que conta gaiement Emile Goudeau : D'abord, le propriétaire avait demandé à Rodolphe Salis quel genre de commerce il comptait tenir. - Oh! avait répondu le gentilhomme, ce sera un tout petitcabaret-restaurant, pour mes amis, une quinzaine, des gens bientranquilles. Vous verrez ! vous verrez ! Le propriétaire put voir, peut-être ; mais à coup sûr, il entendit. Tudieu ! messeigneurs ! Le piano gémissait tout le jour, et le soir,fort avant dans la nuit ; on chantait en chœur les meilleurs refrainsdu répertoire populaire, et parfois on s'accompagnait en tapant sur desplateaux de zinc en guise de gongs ! Tudieu ! quel calme ! Mais passons à quelque sujet plus gai. L'édifice - tout Louis XIII fût-il - était long mais étroit, On ytenait difficilement trente, et quand on y était seulement unecentaine, cela devenait un de ces problèmes bizarres devant l'heureusesolution desquels la science recule épouvantée. Le tassement perpétuel! la sardine à l'huile ! On n'était séparé d'un horloger voisin que par une cloison facile àabattre. Pourquoi cet industriel ne cédait-il pas son droit au bail ?Ah ! le pauvre homme ! tombé entre les mains de Sapeck, d'AlphonseAllais et de Louis Décori, il ne tarda pas à se déclarer vaincu. Sur le panneau ainsi conquis, Adolphe Willette plaqua son Parce Domine, dont il fournit lui-même cette glose : PARCE DOMINE Les chats miaulent à l'amour… Les blanches communiantes sortent de leurs mansardes ; c'est la misèreou la curiosité qui fait tomber leurs voiles sur la neige dont lestoits sont recouverts. Aussitôt les pierrots noctambules cherchent à s'emparer de leurinnocence par des moyens diaboliques. De l'Odéon au Moulin de laGalette, les voici partir pour la chasse aux Mimis Pinsons. C'est avec de l'or ou de la poésie qu'ils tendent leur piège, suivantqu'ils sont riches ou pauvres, bien qu'également pervers, cependant quele vieux Moulin moud des airs d'amour et de pitié. Les ailes en portéesde musique tournent au clair de la lune, reflet de la mort. Voici à présent la revanche de la fille séduite, qui a jeté son bonnetet son gosse par-dessus les moulins. La voilà qui entraîne, étourditPierrot dans un tourbillon de plaisirs et de vices c'est le Sabbat.Elle l'a ruiné, rendu fou et l'accule au suicide. Les vierges, tristeset laides, portent son cercueil, tandis que son âme libérée fera choixd'une étoile. Parce Domine. Parce populo tuo. Le peuple des pierrots est toujours bien à plaindre! Inconnu des snobs, ignoré du gros public, qui osait peu s'y risquer etqu'on n'y tolérait qu'à peine, ce premier Chat Noir fut une chose à lafois très montmartroise et très parisienne. Une fumisterie de Salis - je ne parle pas de ses candidaturesmunicipales et législatives, d'ailleurs postérieures - ses funérailles,auxquelles avait été convié tout Paris, fit grand bruit. Un numérospécial avait été consacré à sa mort. Le cabaret avait été tendu denoir. Quand eurent été exprimés les compliments d'usage, legentilhomme-cabaretier, devant le cercueil vide, reçut ses invités etleur serra la main. Ce mélange du macabre et du comique fait toujoursrire. Plus que tout autre, Jules Jouy l'a exploité et nul ne se doutaitalors cela ne vint que plus tard du vilain démon qui, déjà peut-être,troublait sa cervelle de poète et de gavroche. Laissant pour ce qu'elles valent ces charges d'atelier, il y avaitmaintenant, le mercredi, puis le vendredi, matinée littéraire au ChatNoir on chantait, jouait de la musique et récitait des vers. Ce fut, ilfaut le noter, une excellente école où beaucoup, parmi nos musagètes,dépouillant la gêne et le ridicule qu'ils tenaient de leur province,apprirent à se présenter et à dire leurs vers. Ce jour-là, l'impériale de Pigalle-Halle-aux-Vins se peuplait de bordsplats, de cheveux exagérément trop longs et de lavallières en saulespleureurs. Délaissant les quinconces du Luxembourg, les guéridons duVachette et de la Source, la jeune littérature venait, transfrétant laSéquane, s'initier aux belles manières et à l'art de dire. A la hauteurde Notre-Dame-de-Lorette, un « côtier » était adjoint aux chevaux del'omnibus qui, brinqueballant, gravissait péniblement la rue desMartyrs. Parvenu au boulevard Rochechouart, on dégringolait en vitessel'escalier rudimentaire de ce préhistorique joujou. Quelques pas àpeine et les très jeunes gens que nous étions entraient, intimidés unpeu, dans la salle déjà enfumée, but, de leur pèlerinage. On se tassait comme on pouvait, cherchant à se faire très mince. Puisun chœur mettait les nouveaux venus à l'aise nul n'était aussiaccueillant, aussi affable et n'avait la main aussi largement tendueque l'« être délicieux - je cite Léon Daudet - apparenté physiquement àPierrot, de visage long, blême, mélancolique, qu'éclairait un regardrêveur et étonné », dont l'entrée était ainsi saluée : Allez à Lorient pêcher la sardine, Allez à Lorient, pêcher le hareng. Comme tous les humoristes, Alphonse Allais était un triste et sa blague cachait mal l'excellence et la délicatesse de son cœur. Dominant le bruit des conversations, Rodolphe Salis, avec cet art duboniment que nul n'a égalé, terminant sa phrase, quand elle menaçait derester en suspens, par une pirouette bariolée de clown, réglait leprogramme et annonçait chacun. Sanglé dans sa redingote, le verbe hautet coruscant, le geste ample, c'était bien le terrible Lissas,directeur de l'Ailouros Mélas, le Chat Noir d'Athènes, décrit par Maurice Donnay dans Phryné : Le patron, un nommé Lissas,était un Scythe aux poils roux. C'était un homme d'une grande audace etd'un langage abondant. Il avait réuni autour de lui un certain nombrede peintres, de poètes, de musiciens et de rhéteurs, qui faisaientvolontiers profession de mépriser l'Académie, et la Censure et lesPéripatéticiens par-dessus le marché. Dans une phrase demeurée célèbre,Lissas avait coutume de dire que, mieux que l'Hélicon ou leParnasse, l'Acropole était la montagne sacrée et la mamelle granitiqueet formidable où devaient venir s'abreuver les générations éprisesd'idéal. Personne du reste n'avait jamais rien compris à cette phrase. Léon Bloy, qui fut quelque temps de la maison, n'ayant pas encoreacquis l'aimable désinvolture du « mendiant ingrat » que devaientattester Belluaires et porchers, en traçait alors ce portrait en pied : Ce Rodolphe Salis a vraiment dela race dans le sens noble du mot. Peu m'importe, au fond, que le seulcabaretier spirituel de Paris soit issu d'une très ancienne famillegrisonne, transportée depuis deux siècles dans la patrie de M.Papillault, professeur de mathématiques à Châtellerault et inventeur dela table de multiplication de Pythagore. Peu m'importe qu'il y ait euau XVIe siècle un Salis de Samade, chevalier de la Toison d'or, etqu'un autre ait commandé en France un régiment suisse qui portait sonnom. J'ignorerais tout cela que j'en saurais assez pour être tout àfait certain que ce hardi est de forte souche et de franche lignée.D'ailleurs, il est de ceux qui n'ont même pas besoin d'ancêtres. CommeNapoléon le disait un jour en parlant de lui-même, il est le Rodolphe de sa famille. C'est une espèce d'homme roux, - la plus noble couleur du poil humain, au témoignage de la Genèse-, assez semblable à ces terribles officiers de fortune de la Guerre deTrente Ans, à la solde de Tilly ou de Wallenstein qui écumaientl'Allemagne avec leur épée, comme les sorcières de Macbeth écumaient deleurs sales doigts le chaudron aux impossibles mixtures. Le visage est de ce teint pétri d'argile et de lait des anciensHelvètes dont parle César, et qui serait presque fade sans le buissonardent de la barbe et le gazon fauve des cheveux qui lui donnent del'éclat et de la chaleur. Les sourcils un peu hirsutes abritent desyeux félins striés de vert, d'azur et d'or facilement injectés etféroces, aussitôt que le goujatisme ambiant, venant mugir auxalentours, secoue la crinière de ce lion passant sur fond de gueules. C'est dans ces moments-là qu'apparaît vraiment en lui le reître épiquesous la défroque duquel il s'est fait peindre et dont l'image saute auxyeux des visiteurs de son cabaret. Quelque pacifiques et rassisqu'aient pu être ses ascendants immédiats, une coulée ataviquedu sang ancien de sa race est venue jusqu'à lui, et, ne pouvant enfaire un chef de bande, à cause de la multitude des lois, en a fait cecabaretier gentilhomme qui parle à ses clients comme il parlerait à deschevaliers sous sa bannière, hélas ! et qui reçoit un commissionnairede la place Pigalle ou du carrefour de la Croix-Rouge, comme ilrecevrait un parlementaire de Bernard de Weymar ou de Gustave-Adolphelui-même, le Boulevard de la foi protestante. La bouche très spirituelle du héros attardé doit se trouver fort àl'aise sous les ailes amples et dilatées du nez aquilin qui sert decontrefort à tout l'édifice de cette mâle physionomie, si étonnante àrencontrer ailleurs que dans un tourbillon de bataille, en admettantqu'on puisse oublier une minute l'ineffable bascule qui se laisseprésider par l'as de pique et gouverner par le valet de trèfle, tandisque, gisant à terre, agonise le noble César, roi de carreau,traîtreusement assassiné. Les Propos d'un entrepreneur de démolitions,qui ont recueilli cet article, sont d'ailleurs dédiés « Au très vivant,très fier, très impavide Baron du Saint-Empire de la Fantaisie, auGentilhomme Cabaretier Rodolphe Salis » et dans quels termes ! Ce boniment de Salis, que tant d'autres ont cherché à imiter, DominiqueBonnaud seul a su et en plus fin en conserver la tradition.Volontairement ou non, il reproduit jusqu'aux intonations del'incomparable improvisateur. Pour son amusement et pour le nôtre,toute une époque revit. Parmi les « moins de vingt ans » que nous étions alors, Jean Ajalbert,déjà replet, disait, de sa voix tranquille, ses premiers poèmesimpressionnistes, du Raffaëlli en vers de huit pieds ; RodolpheDarzens, Christ adolescent et dégingandé, « secrétaired'Abraham-Catulle Mendès égrenait les caresses éparses de la Nuit. N'ayant point encore découvert Napoléon et les demi-solde, Georgesd'Esparbès récitait des poèmes bibliques, d'une belle allure, cependantque, déjà, Pol-Napoléon Roinard, notre aîné, clamait son Absinthe-grenadine, appelée à faire long feu. Les poètes étaient nombreux au Chat Noir, à commencer par le délicatArmand Masson qui, sur un rythme emprunté à Théodore de Banville, sutrésumer en quelques strophes toute une page de notre histoirelittéraire : C'était Charles Cros, Fragerolle, Maurice Rollinat, Champsaur, (Alors sec comme un hareng saur), Alphonse Allais, le Viveur drôle PoncRon qui donnait les primeurs De sa verve funambulesque. Sur la galère chatnoiresque Nous étions quatre-vingts rimeurs. Jean Moréas, venu d'Athènes, Jouy, Ferny, Meusy, Mac-Nab Qui des « Fœtus » était le dab, Donnay, Goudeau, roi des Ruthènes, Renommé parmi les humeurs De piot pour sa soif titanesque. Sur la galère chatnoiresque Nous étions quatre-vingts rimeurs. Léo Bloy, doux comme la teigne, Le bon vieux maître Curnonsky, Henri Gauthier-Villars, de qui Le crâne eût pu servir d'enseigne, - A cette époque ! - aux parfumeurs Pour sa tignasse absalonesque. Sur la galère chatnoiresque Nous étions quatre-vingts rimeurs. ...Si vous voulez que je repique, Rien de plus facile ! Allons-y ! Tailhade, Marsolleau, l'épique D'Esparbès, Jean Rameau, Crésy, Haraucourt dont le vers faunesque Bravait la police des mœurs. Sur la galère chatnoiresque Nous étions quatre-vingts rimeurs. C'est comme au front d'Eléonore, Quand y en a plus y a Montoya, Hyspa, Privas et Trimouillat, Trimouillat dont la voix sonore Nargue aux sirènes des steamers Comme au verbe du Boudouresque, Sur la galère chatnoiresque Nous étions quatre-vingts rimeurs. Et ma liste est bien incomplète J'allais oublier le rayon De ces poètes du crayon, Rivière et Steinlen, et Willette Résumant toutes les clameurs Humaines dans sa large fresque. Sur la galère chatnoiresque Nous étions quatre-vingts rimeurs. Tandis que la maison avait ses familiers, Alphonse Allais, GeorgeAuriol, à la fois poète, dessinateur et humoriste, le pauvre Jouy, lachanson faite homme, Henri Rivière, Somm, Steinlen, Willette, dont labrouille avec Salis fut « sans pardon », de nouveaux venus continuaientà affluer, certains très jeunes, d'autres moins. Ce furent les irréguliers, ils passèrent par le Chat Noir, mais n'ydemeurèrent pas. Sans la collection du journal, leur présence pourraitpasser inaperçue. Certains ont par la suite occupé une grande place,d'autres ont touché de près à la rédaction du Mercure. C'est se retrouver en pays de connaissance. En dehors de Charles Cros et de ses frères, le salon de Nina de Villarsfut représenté, au temple de Maigriou, par Nina elle-même, par GermainNouveau (ne laissant pas plus que dans les Valentines prévoir Humilis), par Gustave Rivet, qui y villonna le Petit Testament d'Hector L'Estraz, escholier de Paris, par les deux beaux-frères, Charles de Sivry et Paul Verlaine, dont le Chat Noir publia de nouvelles moutures de ses sonnets. Et c'est sa collection qui fournit le texte des poèmes express deVilliers de l'Isle-Adam, célèbres parmi les habitués de la rue desMoines : POÈME POUR ASSASSINER LE TEMPS GÉMISSEMENT A Puvis de Chavannes. Quoi dans ces bois où vola Puck On entendrait le Volapuk ? RÉSUMÉ MYSTIQUE A Leconte de Lisle. L'infinité de Dieu. l'individualise. EXTASE A Joris-Karl Huysmans. Moins on parle français, Plus on a de succès. HORRIBLE DÉCOUVERTE A Théodore de Banville. Tout Homme a dans le cœur un Ohnet qui sommeille. LA FRANCE DÉBARQUANT A MADAGASCAR A Coquelin Cadet. Enfin! j'arrive A Tananarive DERNIÈRE PAROLE DE CLÉOPATRE A Mademoiselle Rousseil. O César, tes lauriers cachaient ta calvitie. Nina eût pu, d'ailleurs, rencontrer au cabaret du boulevardRochechouart, aussi bien qu'à la terrasse du Rat mort ou de la NouvelleAthènes, son mari, Hector de Caillas. L'ancien figariste, laboutonnière toujours fleurie, était un des familiers de la maison. Il yvint même, m'a raconté Mme Salis, prendre un ananas au kirch, saconsommation favorite, avant d'aller, à l'étonnement de tous, conduirele deuil de sa « défunte ». J'ai eu occasion de dire que les tentatives de Moréas au Chat Noirn'avaient pas été heureuses (3). Tout en voulant faire « parisien », iln'avait pas suffisamment dépouillé le marseillais et le palikare. SurSalis, autre romantique attardé, il avait l'infériorité d'avoirconservé le ridicule et non la fantaisie. Sur cinq pièces d'Edouard Dubus, trois ont été recueillies dans Quand les Violons sont partis. Deux ont été à juste titre négligées, dont un sonnet encore tout imprégné de Baudelaire : Fleurs de cadavre. Avec Albert Samain, la moisson est plus riche et de meilleur aloi.Samain avait été amené au Chat Noir par George Auriol qu'il avait connuau groupe « Nous autres ». Modeste, réservé, assez timide même, Albert Samain était peu préparé àcette exhibition des poètes dans leurs œuvres. Salis dut presque luifaire violence pour le décider. Il récita ses vers, sans oser hausserle ton, presque à voix basse, comme s'il se fût trouvé dans une chambreamie, devant quelques intimes. Pourtant, le succès de ce débutantencore inconnu fut très vif. Les Monts recueillirent des applaudissements prolongés et Tsillaeut, le 24 décembre 1884, les honneurs de la première page. Samain enéprouva un plaisir non déguisé. Un moment, il put croire que, poussépar le gentilhomme-cabaretier, il appareillait vers la gloire. Elle nevint que plus tard. L'atmosphère mondaine du cabaret devenu hostellerieconvenant mal au poète, il avait espacé ses visites, pour bientôtoublier le chemin de la rue de Laval, camouflée depuis peu en rueVictor-Massé. Des quatorze pièces d'Albert Samain parues dans le Chat Noir, la plupart ont pris place dans le Jardin de l'Infante et dans le Chariot d'or. Un poème, Océan, n'a cependant pas été recueilli, ainsi que trois sonnets. Le Chat Noir fournit également le texte - c'est là une bonne fortune - de quinze pièces de Louis Denise, parmi lesquelles ces Figulines parisiennes, dont le ton et l'inspiration, rappelant Théodore Hannon, ne laissent pas de surprendre un peu : FIGULINES PARISIENNES Les virginités perverses Des modistes vont troussant Leurs jupes sous les averses, Leur nez au nez du passant. Sourire au vent qui caresse Impudiquement les reins, Rire qui sonne l'ivresse Des frôlements utérins, Blonds chignons fous qui chatouillent Les nerfs comme des baisers, - Les vieux magistrats s'embrouillent Dans leurs frisons défrisés ; - Cherchant des dessins obscènes Aux glaces des boutiquiers, Riez les vierges malsaines, A vos rêves de banquiers ; De gros banquiers fantaisie Qui viendront chaque matin Frotter leur paralysie A vos corsets de satin. Riez ! les frissons des rues, Flueurs blanches de Paris Un jour d'orgie apparues ! O Pollueuses d'esprit !I Les virginités perverses Des modistes vont troussant Leurs jupes sous les averses, Leur nez au nez du passant. De même, inspirée de Baudelaire, et non du meilleur, cette pièce de Francis Jammes laissait peu prévoir les Géorgiques chrétiennes et le Curé d'Ozeron : SABBAT Le long des longs chemins remplis de scrofulaires. Près du noir carrefour mordu par les ajoncs, Goules, gnomes, caracolant sur des cochons, Viennent dans la terreur des cieux crépusculaires. Ils vont très lentement, sans rires ni chansons, Fouettant les houx sanglants de leurs mamelles flasques, Ils vont très lentement, ces fils verts des bourrasques, Et parfois, sous leurs pieds filent des hérissons. Ainsi qu'un chevreau mort la vigne aigre, âpre, amère, Le Succube excevant aux bras d'ambre et de lait, Etirant son échine et crispant son mollet, Broute le chèvrefeuille à l'odeur éphémère. Et la reine a huit ans qui sur la mousse dort, Ayant entre ses seins de pâles lucioles, Tandis que, traversant les lianes des saules, Un doux rayon de lune erre à son ventre d'or. De Marcel Schwob, un sonnet, Aurore scandinave, et de Louis Le Cardonnel, ce pantoum : PANTOUM A Emile Goudeau. C'est un petit jardin, désolé comme un champ, L'herbe rousse frémit sous un vent monotone, A l'ombre des vieux murs, que le lierre festonne ; Au fond des cieux plombés, baigne un soleil couchant, L'herbe rousse frémit sous un vent monotone ; Un oiseau près de moi file en s'effarouchant Au fond des cieux plombés baigne un soleil couchant, Dans les bassins la voix des grenouilles détonne. Un oiseau près de moi file en s'effarouchant, Le Chat Noir aux yeux verts, là-bas se pelotonne ; Dans les bassins la voix des grenouilles détonne ; Les ombrages rouillés ont un funèbre chant ! Le Chat Noir aux yeux verts, là-bas se pelotonne. ! Il me fixe d'un œil satanique et méchant Les ombrages rouillés ont un funèbre chant Je t'aime, ô symphonie étrange de l'automne. Trois pièces : la Sieste du Lion, les Boiteux, les Désœuvrés marquent, en 1882, la collaboration de Charles Morice, tandis que deux sonnets accouplés de M. Paul Morisse, Féminines, appartiennent par trop au cycle des « Amies ». Mais abandonnons à leur destin, qu'éclaire une fraîche Chanson d'amour de Jules Tellier, ces âmes désordonnées. Sous une brusque poussée, la porte du Chat Noir vient de céder. Vêtu,sous mon mac-farlane en forme de limousine, de velours marron à côtes,le bas du pantalon rentré dans les bottes, au cou un foulard rouge,beau comme un antique sous son large feutre, mélange de Bonaparte jeuneet d'un chouan échappé de l'œuvre de Barbey d'Aurevilly, un homme à lasolide carrure est entré. Tous se lèvent et l'acclament. Il répond à cesalut par une chanson. Comme le masque, la voix est puissante, bientimbrée aussi, et, en chœur, tous reprennent ce refrain, demeuré danstoutes les mémoires Je cherche fortune Autour du Chat Noir, Au clair de la lune A Montmartre, le soir. L'homme est infatigable ; d'autres chansons suivent : A la Villette, A Batignolles, La Noire, La Marche des dos.Le vacarme devient étourdissant. Aristide Bruant, d'abord toléré, estaccueilli en triomphateur dans ce cabaret où demain il sera chez lui etinstallera le Mirliton, le Chat Noir ayant émigré rue Victor-Massé ou,plus exactement, rue de Laval. * * * Diverses causes, fin de bail, exiguïté du local, mauvais voisinage dessouteneurs du boulevard extérieur, dont un véritable assaut avait amenéla mort d'un des garçons de l'établissement, provoquèrent cet exode. Le journal Le Chat Noir du 9 mai 1885 publiait cet avis, reproduit, avec des modifications de date, dans les numéros des 16 et 23 mai : Du 15 au 20 mai de l'an de grâce1885, Montmartre, capitale de Paris, sera secoué par un de cesévénements qui, parfois, changent la face du monde. Le cabaret du ChatNoir quittera le boulevard Rochechouart, que longtemps sa présence aillustré et s'établira rue de Laval. Dans le palais qui lui convient,Maigriou, le chat des chats, reprendra sa chanson glorieuse, la rue deLaval, qui n'avait pas de légende, entre dans l'histoire, et les vieuxmoulins des hauteurs sentiront joyeusement frémir en leurs ailes levent nouveau des jeunes Muses. L'hôtel loué par Salis avait été habité par le peintre Joseph Stevens.L'architecte Isabey se mit aussitôt à l'œuvre pour le transformer et enfaire l'« hostellerie » qui allait faire monter à Montmartre toutParis. Ainsi se trouvait en partie réalisée la formule que le malincabaretier avait empruntée à Siéyès « Qu'est-ce que Montmartre ? -Rien. - Que doit-il être ? - Tout. » Comme il arrive toujours, la lenteur des entrepreneurs, des difficultésavec un créancier du sculpteur Charpentier, auteur des chatshéraldiques destinés à orner la façade, retardèrent l'ouverture. Enfin,le déménagement eut lieu et prêta à une hilarante cérémonie. Un suisse,la hallebarde sur l'épaule, un gonfalonier, portant la bannière du ChatNoir, « d'or, au chat de sable passant, armé et lampassé de gueulesavec la devise « Montjoie-Montmartre », des musiciens précédaient lecortège. Salis suivait, rutilant sous l'uniforme de préfet de premièreclasse (préfet de Montmartre), l'épée au côté. Puis, porté à dosd'hommes, c'est-à-dire d'académiciens, dont, pour la première fois, lesgarçons de l'hostellerie avaient revêtu le costume, c'était le Parce Domine,à vrai dire déplacé dans cette mascarade. Une charrette à bras, lacharrette du petit terme, emmenait le surplus. Des amis, des habituésdu cabaret fermaient la marche, se prêtant de bon gré à cecarnavalesque défilé, comme le jour où Salis s'était fait couronner roide Montmartre, ou, plus communément, quand, sous la conduite de JulesJouy, on se rendait au dîner de « La Soupe et le Bœuf ». Le 13 juin 1885, la chronique d'Alphonse Allais était précédée de cenouvel avis, cette fois définitif « A cette heure, le Chat Noir est 12,rue de Laval ». Le 21 juin, l'inauguration eut lieu, avec un concertauquel le gentilhomme-cabaretier avait convié nombre de personnalités.Maigriou, qui avait engraissé, habitait maintenant un palais, HenrySomm et Henri Rivière allaient bientôt y installer le plus plaisantthéâtre qui fut jamais. C'est ce Chat Noir-là, avec sa Diane de Houdon,sa salle des gardes, ses cheminées et l'admirable verrière de Willette,le Veau d'or, qu'ont connules Parisiens, les provinciaux et les étrangers, pour qui celui duboulevard Rochechouart était, pour la plupart, demeuré lettre morte.Maintenant, malgré le suisse Bel Ami qui la gardait, on ne secontentait pas d'entr'ouvrir la porte au public, on l'invitait à lafranchir. Le Chat Noir devenait quelque chose comme une académie musée, auditorium, théâtre, bien plus que cabaret, il allait être pour beaucoup un initiateur et un vulgarisateur. Contrairement aux entrepreneurs de spectacles qui, pour l'ordinaire, seplient avec une touchante humilité aux goûts de leurs auditeurs, Saliset les collaborateurs qu'il avait groupés autour de lui ne firentjamais aucune concession au « mufle » représentant du goujatismecosmopolite. A côté de la note légère, l'art pur eut sa place, lapremière, peut-être. Aux hardiesses des chansonniers et de JeanGoudezki, le « poète chaste » rêve, extase ou action, les formes lesplus diverses de la poésie, de la peinture et de la musiques'épandirent librement. Grâce à Dieu, le Chat Noir demeura fantaisiste,mais il sut également donner d'inoubliables visions, évoquer les plusglorieuses légendes. « Mystique avec le génial paysagiste et découpeurd'ombres Henri Rivière » il fut bien, suivant l'expression de JulesLemaitre, « un œil-de-bœuf ouvert sur l'invisible ». Poètes, peintres, dessinateurs, chanteurs, chansonniers, humoristes,tous rivalisèrent pour faire de l'hostellerie l'endroit le plussuggestif et le plus gai du monde. Tels spectacles d'ombres furentd'authentiques merveilles. Au grand public qui les ignorait le ChatNoir révéla les noms de Paul Marrot, de Georges d'Esparbès, de JeanRameau, d'Armand Masson, d'Ogier d'Ivry, du vicomte de Borelli et decombien d'autres ! Ce fut le tremplin sonore d'où bondit versl'Académie la jeune gloire de Maurice Donnay. Il fut pour les peintresmieux qu'une exposition. La réputation de Willette, de Steinlen, deRivière, de Caran d'Ache partit du cabaret devenu hostellerie pourrayonner par le monde. Faut-il nommer aussi mais je vais en oublierHenry Somm, George Auriol, ces fantaisistes, le vieux Pille, LucienMétivet, Louis Bombled, Fernand Fau, toute la théorie enfin desillustrateurs ? Lui-même caricaturiste médiocre, Salis fut, pour lesartistes, ses camarades, le lanceur rêvé. Et, sans parler des « voix chères qui se sont tues », Fragerolle,Delmet, Montoya, des vieilles chansons de France, harmonisées parCharles de Sivry, musicien et causeur exquis, ce fut mais à ceux-là ilfaudrait consacrer tout un volume la phalange si pittoresque deschansonniers. La chanson, cette chose si française, fut un des plus grands attraitsdes intermèdes du Chat Noir, attrait d'autant plus vif que chacun,parmi ces chansonniers, avait sa personnalité et que nul ne ressemblaitaux autres. Fils de boucher, ayant composé ses premiers couplets, quele soir il chantait dans des goguettes, en allant le matin livrer laviande paternelle, Jules Jouy avait le génie de la chanson. Les jambesen manches de veste, le front bombé, un œil inquiétant par sonstrabisme, le mégot pendant à la lèvre, ricanant plus que riant, lepauvre « Jumet » avec ses soudaines colères vite apaisées, cherchait àcacher sous une brutalité affectée une enfantine timidité. CommeBruant, n'osant ouvrir la porte, il y fichait un coup de pied. D'une exceptionnelle intelligence, il s'était fait lui-même et, dansune très jolie langue, écrivait ses chansons, sans une rature, sur lemarbre même de l'imprimerie, tandis que, à côté de lui, les typoscomposaient à la casse. « Notre camarade, le bon poètechansonnier Jules Jouy » avait, effectivement, entrepris le tour deforce de publier, soit au Cri du peuple, soit au Parti Ouvrier, soit au Paris, une chanson quotidienne.Tous les sujets lui étaient bons. De la scie de café-concert où ilexcellait, à l'odelette guerrière, en passant par le scandale ou leprocès de la veille, il embrassa tous les genres. Par-dessus tout, ilexcellait dans l'adaptation à un air connu de paroles nouvelles,parfois déconcertantes. Ancien rédacteur au Tintamarre, il tirait d'heureux effets du calembour et de l'à peu près : par exemple cette Attaque nocturne, « Crève, bon passant, crèves », ou ce pastiche de J.-B. Clément : Vous regretterez le beau temps des crises, Quand, pauvres sans pain et riches gavés, Nous serons aux prises. Les drapeaux de Mars flotteront aux brises, Les drapeaux vermeils sur qui vous bavez, Vous regretterez le beau temps des crises, Quand viendra le peuple au haut des pavés. Souvent, sous sa blague voulue, son cœur apparaissait et débordait. Nulne fut moins sceptique. Ce chantre brutal de la guillotine c'était chezlui une hantise et une exécution ne pouvait avoir lieu sans qu'il yassistât a dressé contre l'ignoble outil né de la Révolution le plusterrible réquisitoire qui jamais ait été : Cynique, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge. De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Après tant d'autres, Jules Jouy est mort fou. La chanson de cabaretn'est point chose facile. Il faut se renouveler, compter sur desdéboires avant de trouver celle qui porte, et, quand elle a plu, larépéter inlassablement, durant des mois, à la demande du public. EugèneLemercier, qui n'a jamais occupé la place que lui méritait la qualitéde ses chansons, a joliment exprimé cette tristesse du métier d'amuseur: Amuser avec des chansons, N'est-ce pas une ingrate tâche ? On en écrit de cent façons Qu'on essaie un soir, puis qu'on lâche ; Mais lorsqu'on a mis la main sur Celles qui font rire à coup sûr, Quel triste métier Pendant dix ans on les rabâche ; Quel triste métier Que le métier de chansonnier ! Les mains dans les poches, zézayant et si amusant, il y eut Maurice MacNab, préoccupé, comme son frère Douglas, de spiritisme, et que dévoraitla phtisie, Victor Meusy, semblant presque écrire pour les jeunesfilles quand il existait encore des oies blanches, Xanrof, dont leschansons assurèrent le succès d'Yvette Guilbert, si intelligente et sifine diseuse, Léon Durocher, le « vieux Gaulois » qui, avec une belleconviction, chantait sa Bretagne et Montmartre, puis ce bon petitPierre Trimouillat - le « baron Trimouillat » clamait Salis - qui,aimable, bon et serviable, apportait avec son filet de voix comme unécho désuet et charmant du Caveau. Pour terminer ce défilé en beauté, voici venir, frères siamois dusuccès, tradition vivante du Chat Noir, Jacques Ferny, impassible,semblant passer au laminoir les strophes de la Visite présidentielle et de l'Ecrasé,Dominique Bonnaud, explorateur, poète, chroniqueur, chansonnier,successeur de Salis en matière de boniment, et déplorant déjà la chutede sa luxuriante chevelure, Vincent Hyspa, semeur de gaieté : Il est quatre heures du matin Sur le boulevard de mon crâne ; Le Temps, balayeur à tous crins, En a fait la surface plane. La chanson, passée par la suite au rang d'intermède, donna naissanceaux « ombres qui devaient assurer la fortune et la vogue du Chat Noir.Un beau soir, l'idée vint, entre camarades, de tendre une serviettedevant le guignol lyonnais qu'y avait apporté Auriol. Tandis que Jouychantait ses Sergots, on s'amusa à les faire défiler, en transparence, découpés dans un carton par Henri Rivière. C'était une première réalisation, améliorée bientôt par la substitutiondu zinc au carton. Les progrès furent rapides. A la chanson succédèrentde petites pièces. En 1885 furent donnés la Berline de l'émigré et l'Eléphant, dus au crayon de Henry Somm, puis, en fin d'année, une première version, sous le titre de 1808, de l'Epopée de Caran d'Ache. Les ombres japonaises avaient déjà remplacé le guignol à leur tour,elles allaient faire « place au théâtre ». Henri Rivière a, en effet,bouleversé la technique des ombres, créé des plans, dessiné despaysages, rendu de troublants effets de lumière. Sa Tentation du grand saint Antoine obtient, dans le courant de 1886, un succès mérité auquel est associée la Potiche de Henry Somm. Dans la dernière semaine de décembre est donnée la première de l'Epopée.Cette fois, le triomphe est complet. Salis se surpasse dans lecommandement des régiments qui se succèdent, on applaudit à toutrompre, on crie « Vive l'Empereur! » L'Age d'or de Willette, le Fils de l'eunuque de Somm, Une partie de whist de Sahib continuent ce succès. En 1888, Albert Robida, par une de ces anticipations qui lui sont familières, fait, dans la Nuit des temps,apparaître sur l'écran « Paris transformé par la guerre aérienne » une« invasion » et un « combat aérien ». Le public rit, amusé nul nesoupçonne l'aéroplane et ce que sera la prochaine guerre. En 1889, sans attendre son centenaire, Louis Bombled célèbre la Conquête de l'Algérie et c'est une gracieuse évocation par Henry Somm (De Cythère à Montmartre) de l'amour, à travers le temps, les modes et le roman. Les ombres du Chat Noir ont atteint leur apogée après l'Epopée, la Marche à l'Etoile(1890). Henri Rivière est parvenu, semble-t-il, au summum de son art.Musicien et peintre, Fragerolle et Rivière obtiennent un égal succès.Le public ne sait lequel il doit le plus applaudir du chanteur et ducréateur de la marche nocturne des pécheurs vers l'Etoile. Avecjustice, il les acclame tous les deux. Et ce fut le triomphe du poète. Connu et déjà apprécié des habitués duChat Noir, par un de ces coups de maître qui décident de la destinéed'un homme, Maurice Donnay se révèle, à un public d'élite, le 9 janvier1891, avec cette délicieuse Phryné, où il avait mis son âme de poète, sa blague et sa gouaille. Dans ces « scènes grecques », comme, en fin d'année, dans Ailleurs(Revue symbolique en 20 tableaux), il y avait de la fantaisie ailée deHenri Heine. Dans ces vers qu'il disait si bien, Maurice Donnayapportait une note nouvelle que n'étaient point parvenues à obscurcirles équations, les logarithmes et les épures de l'Ecole Centrale. Le lendemain, la presse, à commencer par le Figaro,fut unanime à célébrer l'œuvre du jeune maître, reproduisant, comme unepièce d'anthologie, le couplet de l'avocat Hypéride à la courtisane : O Phryné, ne crains rien. - Autrefois dans Athènes, Pour être un orateur éloquent, Démosthènes Se promenait au bord de la mer en courroux, Et là, parmi les vents, en suçant des cailloux, Jetait aux flots hurleurs une longue harangue. Or, toi, tu m'as donné pour délier ma langue Mieux que de vils cailloux, les pointes de tes seins, Cailloux roses, cailloux fleuris, où par essaims Se posent les baisers des lèvres butineuses. On présume quel enthousiasme dut susciter dans Ailleurs, chez Jean Lorrain, l'Eros vanné autre succès d'Yvette Guilbert : Je suis le fruit d'un rendez-vous Pris dans une arrière-boutique Par un bookmaker au poil roux Avec un trottin chlorotique, Et vieux malgré mes vingt années, Usé, blasé, car je suis né Sur un lit de roses fanées Et je suis un Eros vanné. Pauvre Lorrain, c'était faisandé à point pour lui plaire. Mais MauriceDonnay, « avec son visage ambré, ses cheveux bleus, - le portrait estde Paul Bourget - ses yeux noirs et doux, ses lèvres bonnes sousla moustache tombante, sa voix caressante et paresseuse » était d'uneautre complexion. Sans se soucier des « morphinées en quête de frissonsnouveaux » épris de belle langue, de théâtre et de vérité, il suivit lechemin fleuri que la renommée traçait devant lui et sut demeurer aussisimple que par le passé. Jamais succès n'avait été si mérité. Mais le temps marche, « oh ! combien vite ! », spécifiait le récitantMaurice Donnay. A peine me reste-t-il le loisir de signaler, à côté du Roland de Georges d'Esparbès, trois gros succès, le Carnaval de Venise de Louis Morin (1891), l'Enfant prodigue de Fragerolle et Rivière, et dudit Fragerolle, assisté de Vignola, ce Sphinx (1896), qui fut un peu le chant du cygne du Chat Noir. Cependant tout lasse, et, plus encore, tout casse. Si solide qu'il eûtété, l'organisme de Rodolphe Salis n'a pu résister à sa vie detavernier. Les années de champagne comptent double, elles aussi, lesnuits de Montmartre, les multiples bocks vidés d'un seul trait qu'il nepouvait refuser, à moins de blesser les clients qui l'invitaient.Courageux, sous le coup du fouet du succès de la soirée à assurer, ilmontrait, oubliant les tiraillements de son estomac, la fatigue de toutson être, une verve et un brio qui trompaient les étrangers. Pourtantil était à bout et aspirait au repos. Certains soirs, la barbe d'unblond plus pâle, la voix plus enrouée, Horace Valbel le remplaçait : «ersatz s » dont nul n'était dupe, ou encore, Parnassien attardé,apportant dans cet office une componction surannée, le poète AdrienDézamy. Puis des défections l'attristèrent, une partie de sespensionnaires l'avaient quitté, pour aller fonder une contrefaçon quine réussit point. Une nouvelle équipe de chansonniers les remplaça.C'était encore la « bonne chanson ». Et vinrent les tournées. Dans l'intervalle, heureux de quitter sonappartement de la rue Germain-Pilon, où il étouffe, Salis se réfugie,près de Châtellerault, en son château de Naintré, où, à l'ombre d'untrès authentique donjon, il aspire l'air de la campagne. Il n'est plusque gentilhomme. A bout de bail à son tour, l'hostellerie après lecabaret a été abandonnée, une partie des collections entassée rueGermain-Pilon. Le reître peint par La Gandara a renoncé aux vanités dumonde, même à cette rosette violette que, si longtemps, il a indûmentportée. Sa carte est maintenant ainsi libellée : RODOLPHE SALIS Ci-devant Directeur du « CHAT NOIR » Ancien Officier d'Instruction Publique Puis vint la dernière tournée. Outre Salis et sa femme, elle estcomposée de Dominique Bonnaud, de Gabriel Montoya, qui récitera Phryné et Ailleurs, reproduisant à merveille la diction et jusqu'aux intonations de Donnay, pour tracer ensuite un lamentable récit du Roman comique du Chat Noir,de Milo de Meyer, de Clément Georges, de J. Mulder, de Chantrier, dufidèle machiniste Jolly. La petite troupe quitte Paris le 11 mars 1897et donne le soir même à Versailles sa première représentation. A peineremis des fatigues de sa précédente tournée, Salis, qui ne mange plus,torturé par une incoercible diarrhée, tient à faire l'écrasant bonimentde l'Epopée. Il en est de mêmele lendemain à Châteaudun. Malgré les remontrances de Montoya, qui sesouvient avoir dans son portefeuille le parchemin de docteur enmédecine, Rodolphe Salis, le teint jaune, les traits crispés, après unesyncope qui a marqué l'entr'acte, cherche à lancer pour la dernièrefois les terribles commandements du drame napoléonien. Il est haletant,à peine si sa voix porte. Le 14, à Angers, il est forcé de s'aliter. Un médecin a été appelé etdiagnostique une tuberculose intestinale à marche rapide. Tandis que, àla Bodinière, Dominique Bonnaud assure la marche de la représentationet se révéla un incomparable bonimenteur, Mme Salis décide de ramenerson mari à Naintré cinq heures de trajet par un train omnibus dès qu'ilsera transportable. La fin est proche. Transporté à Naintré le 17 mars,Rodolphe Salis y meurt le 19 à trois heures du matin, après avoir jetéun dernier regard à ses collections et à sa bibliothèque. Jusqu'aubout, il avait eu sa tête, s'inquiétant de la tournée en cours, rêvantde nouveaux spectacles. Ce même jour, on enterrait à Saint-Laurent le pauvre Jules Jouy qui,enfin, avait achevé de mourir. Divulguée par un télégramme apporté parPierre Delcourt, la nouvelle de la mort de Salis eut tôt fait de serépandre. On causa, épilogua, remua des souvenirs. A beaucoup, uneanecdote, futile en elle-même, revint en mémoire. C'était unaprès-midi, au Chat Noir ; descendant l'escalier, Jules Jouy tomba. - Que ne t'es-tu cassé la tête ! dit brusquement Salis, dont l'aménité était parfois médiocre. Mais Jouy, déjà relevé : - Tu sais, Salis, ne désire pas ma mort tu me suivras dans les vingt-quatre heures. Coïncidence, réminiscence d'un mot historique, la prédiction était réalisée. Hélas ! combien sont morts parmi ceux qui égayèrent le Chat Noir deleur talent, de leur fantaisie et de leur jeunesse ! A la veille ducinquantenaire du cabaret du boulevard Rochechouart, le compte dessurvivants serait plus facile à établir. Cherchons-les Jean Ajalbert,George Auriol, Karl Boès, Dominique Bonnaud, Félicien Champsaur,Rodolphe Darzens, Maurice Donnay, Georges d'Esparbès, Jacques Ferny,Franc-Nohain, Vincent Hyspa, Louis Le Cardonnel, Eugène Lemercier, PaulMorisse, Raoul Ponchon, Jean Rameau, Gustave Rivet, Henri Rivière,Xanrof, d'autres que j'oublie. La plupart n'ont pas trop mal réussi,comme on voit. Est-ce tout ? Parmi les habitués, les plus réguliers deshabitués, il en est qui, sans avoir jamais tenu les premiers rôles,firent partie intégrante de la maison et ont encore bon pied, bon œil,mon vieux camarade Pierre Delcourt, par exemple, intarissable quand ils'agit d'évoquer les souvenirs du Chat Noir, ou encore cet excellentPellet, toujours le même, sinon qu'il a renoncé au bord plat et que desfils d'argent parsèment sa barbe. Salis l'avait baptisé « le docteur ».Ce titre honorifique lui est resté et ce doctorat impromptu semble luiavoir porté bonheur. PIERRE DUFAY. NOTES : (1) Et non en octobre comme on l'a dit à tort. (2) Le premier numéro du Chat Noir parut le 14 janvier 1882. Il contenait un premier article, Montmartre, de Jacques Lehardy (Clément Privé) un extrait des Polonaisde Goudeau, un article du même, signé « A'Kempis », une nouvelle deSalis, deux ballades, l'une de Florent Fulbert, l'autre d'EugèneTorquet, enfin, outre la vignette de titre, due à Henri Pille, deuxgrands dessins de Salis. (3) Cf. Figaro, 28mars 1925. |