Aller au contenu principal
Corps
RÉGNIER-DESTOURBET, Hippolyte-François(1804-1832)  : Les demoiselles à marier(1832).
Saisie du texte : S. Pestel pour lacollection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux(20.V.2009)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx :nc) de Parisou le livre des cent-et-un, Tome VI, publié à Paris: Chez Ladvocat en 1832.
 
Les demoiselles à marier
par
Régnier Destourbet

~~~

Quand on a élevé un jeune poulain, qu’il est en âge de courir avec soncavalier, on conduit la petite bête au marché, et l’on dit : « Qui enveut ? J’en demande tant : voyez, il a le jarret fin, le crin fourni,l’échine droite ; portant bien sa tête ; large du poitrail : pour lavivacité c’est une biche ; si vous voulez savoir son âge, regardez sesdents ; si vous doutez de la douceur de ses allures, essayez-le. » J’aisouvent entendu des hommes de bon sens, se plaindre qu’il n’en fût pasde même pour les demoiselles, et qu’on ne pût pas mettre un écriteausur sa porte : A marier, une jolie demoiselle alezan doré, prenantdix-sept ans à la Saint-Martin, bien dressée, pouvant aller à lacuisine et au salon. S’adresser au portier.

Mal fondées étaient les plaintes de ces hommes ; car je ne connais rienqui porte avec soi son enseigne comme la demoiselle à marier : lesmarchands de papier weynen ne l’ont pas écrite aussi lisiblement surleurs chapeaux carrés. Dans tous les lieux où le regard coquet de lafemme mariée vous dirait admirez-moi, la physionomie encourageante dela demoiselle vous crie : épousez-moi ; et ce cri de la nature seformule de mille expressions diverses, selon les diverses positions oùvous la rencontrez.

Au bal, fût-elle majeure de ses vingt-neuf ans accomplis, elle seravêtue de blanc, les épaules pudiquement recouvertes, la tête à peineornée d’une couronne de roses blanches comme un enfant qui vient defaire sa première communion. Elle fera des yeux à douze danseurs quise croyant chacun séparément l’heureux objet d’une passion subite,s’empresseront de faire inscrire leur signalement ou leur nom sur lestablettes d’ivoire. Tandis qu’elle dansera, l’amour de ses regards serapartagé entre les divers candidats ou ceux qui pourraient manifesterdes intentions estimables, mais l’intervalle d’une figure à l’autresera tout entier au cavalier de service : elle sera bonne avec lui ;elle l’écoutera volontiers ; elle lui dira le nombre de nuits qu’elle apassées au bal, et combien d’invitations lui restent encore àsatisfaire. Le bouquet de fleurs qu’elle porte sera un sujet dediscours suffisant à défrayer tout l’espace de temps qui sépare lapastourelle de la trénis. Loin de résister à la question, la demoisellerépliquera longuement et en détail, afin que sa confiance excitant lavôtre, vous laissiez entrevoir quel homme vous êtes, que laconversation lui donne votre carte, qu’on puisse savoir s’il faut voussacrifier cette soirée, négliger les autres prétendants pour vous. Carsi vous lui faisiez manquer des partis qu’elle peut rencontrer à cebal, cela ne serait pas bien. Ce qu’elle desire savoir surtout, c’estle nom que vous portez : est-il élégant ou commun ? euphonique oudissonore ? est-ce un nom gentilhomme ou un nom d’enseigne ? Votrefigure, peu lui importe, elle ne la portera pas ; mais votre nom, vouscomprenez. Et si vous avez mordu à l’hameçon, que vous ayez laissécroire à tout ce qu’on peut exiger d’un gérant responsable (car un marin’est pas autre chose), voilà deux yeux étincelants qui s’attachent àvous, qui vous suivent, qui ne vous quitteront pas ; durant cettesoirée entière vous pouvez vous donner le passe-temps d’une passion,sauf à en concevoir une autre le lendemain dans le cas où celle-ci nevous amuserait pas suffisamment. Mais attendez jusqu’au bout :lorsqu’on sera près de quitter le bal, que le papa, l’oncle ou le frèreauront laissé la table d’écarté, que la maman aura enveloppé defourrures le cou frêle de sa fille, noué sur sa joue un mouchoir enmarmotte, et jeté le manteau de soie sur les épaules encore humides,regardez, la voilà qui tourne la tête vers vous ; c’est le coup d’oeildernier, le tendre farewell, l’adieu. Si vous ne l’épousez pas, il fautque vous ayez bien mauvais coeur.

Dans un cercle, la demoiselle à marier ne se mêlera point à laconversation sérieuse ; et bien qu’elle soit plus occupée de jeunesgens que de jeunes filles, elle ne parlera que chiffons de poupée,amies de pension avec lesquelles elle sautait à la corde et jouait à ladînette, elle rira beaucoup, dira des naïvetés, et surtout, elles’efforcera de trouver un petit garçon ou un petit chien qu’elleembrassera sans cesse devant les hommes, auquel elle parlera depréférence, qui sera très-utile à son rôle.

A table, elle ne mangera pas, si ce n’est un blanc de volaille qu’elleessayera d’éplucher, ou quelques fruits sucrés. Jamais de vin dans sonverre, toujours de l’eau, comme pour vous dire : « voyez-vous, je suisun oiseau ; un joli mouton qui cherche sa substance dans la fleur deschamps et se désaltère au courant des ruisseaux : je ne vis que debaisers, et ne suis pas chère à nourrir. » Le soir, quand tous lesétrangers sont partis, le petit mouton mange pour son souper deuxbonnes tranches du gigot qui lui inspirait tant d’horreur au dîner.

Aux promenades, les demoiselles à marier s’annoncent aux moinsclairvoyants par l’air timide avec lequel elles s’appuient au bras deleur maman, se serrant contre elle comme des poussins contre leur mère.Ces adroites personnes ne portent pas de plumes au chapeau ; pas deplumes et pas de grand châle, crainte d’effrayer les épouseurs quisavent bien qu’à Paris les plumes d’autruche et les tissus des Indes nese trouveront jamais dans le pas d’un cheval. Voyez cet air timide quivous invite : « venez donc, petit ; j’ai le maintien modeste ; je suisdemoiselle, voilà maman que j’aime de tout mon coeur et que jechangerais très-volontiers contre un mari ? voulez-vous m’épouser :décidez-vous vite que j’en regarde un autre. »

Que si vous avez l’air d’un homme à marier, connu pour tel, et que lademoiselle oublie de vous flagorner de l’oeil, sa maman quil’accompagne, ne l’oubliera pas ; elle vous fera des mines gentilles,elle vous aimera des yeux, vous disant : beau garçon ! et tout celasera fait en forme d’interprétation, de truchement : « pour ma fillequi n’ose pas. » Si vous voulez échapper aux poursuites d’une mèreayant filles à marier, il n’y a guère qu’un moyen, c’est de n’avoir niétat, ni famille, ni fortune ; autrement elle vous poursuit, elle vousharcèle, elle vous chasse, jusqu’à ce que vous tombiez de fatigue, ouqu’un jeune célibataire se jetant à la traverse lui fasse perdre lapiste en l’entraînant sur ses pas. Le plus grand plaisir d’une mère,son plus noble divertissement, c’est de courre le mari. Dans unconcert, un repas, à l’église, car tous les lieux lui sont bons, lamère vient tendre ses filets : inquiète, elle attend l’homme, levieillard riche ou le jeune amoureux. Il arrive ; elle ne bouge pas ;le laisse approcher, encore approcher ; et sitôt qu’elle lui sent unepatte prise dans la trame, elle saute dessus, l’enlace, l’enveloppe detous côtés, par la tête, par le coeur, par les sens, par l’honneur ; ilse débat, il crie ; on l’enveloppe encore ; on le serre de plus près ;on lui bande les yeux. Qu’il épouse ! qu’importe après ce qu’il feraquand il verra clair ; qu’il épouse : la bourse et la vie !

Telle femme, très-honnête du reste, renierait Dieu pour marier safille. Une mère qui a trois demoiselles à marier, est capable de tout :celle qui en a quatre, assassinerait.

Il y a telle demoiselle qu’on veut marier, parce que la petite personnea reçu du ciel l’influence céleste : à douze ans, elle jouait avec lefils du portier ; à treize, elle faisait des signes aux commis d’uneboutique voisine ; à quinze, elle veut se faire enlever par un habituédes Tuileries, un escroc se disant Brésilien et chevalier de l’ordre duChrist. On la marie.

Telle autre qu’on marie, parce qu’elle est triste : il lui faut unPaillasse.

Telle autre, parce qu’elle est malade et que les médecins ne comprenantrien à la maladie, ont dit : mariez-la.

Telle autre qu’on marie, parce qu’elle veut sortir seule. Il seraitbien plus juste de lui donner le fouet, et je plains les malheureuxhommes qui épousent ces garçons-là.

Mais la masse des demoiselles se marie pour avoir une corbeille, desbijoux, une garniture de plus à sa robe, et s’appeler Madame.

A Paris, lorsqu’une demoiselle a barbouillé de crayon noir une largefeuille de vélin, qu’elle a battu son piano à la satisfaction de MM.Back ou Zimmermann, sa maman, sa maîtresse de pension la conduisent auspectacle ; au spectacle, école de scandale où le ridicule seul est uncrime, où l’adultère est embelli de la dignité du malheur, où lesdéréglements de la passion font verser des larmes non moins coupablesque ces déréglements eux-mêmes. C’est là qu’on mène la jeune fille ;que dans le cadre d’une loge on expose sa tête enivrée aux regardsdévorants des bêtes dont le cirque est rempli. Et vous vous plaignezqu’elle soit fanée avant l’âge, flétrie avant le coucher du jour.Regardez-la, vous verrez son attention tendue et ses yeux briller,lorsqu’au gymnase, le délicat pinceau de Monsieur Scribe aura tracé desscènes si habilement préparées, fondues, que la corruption entrera danstous les coeurs, sans que personne puisse indiquer le mot qui la porte,sans que les plus sévères puissent y reprendre. Aussi, voilà le théâtrequ’elle aime, la demoiselle, et non pas la gaîté franche de nos anciensauteurs. Qu’un mot à double sens vienne effaroucher les loges et ravirle parterre du théâtre français, elle ne comprendra pas ; vous lediriez du moins à son air impassible ; mais je vous assure qu’elle abien profondément compris. Car je ne sache pas de mot assez bizarrepour qu’il soit inaccessible à la pensée de ces anges qui sortent depension : et les images obscènes charbonnées sur les murailles, et lesinjures grossières du peuple, et les compliments soldatesques parlesquels un ouvrier traduira ses desirs, elles comprennent tout. SiHenri Monnier faisait devant elles une de ces charges de Lupanar dontson génie a quelquefois épouvanté nos déjeuners, je suis sûr qu’ellesapplaudiraient, qu’elles diraient comme nous disons : « Bien, Monnier,c’est bien cela ! » D’où cette science leur vient-elle, je vous prie ?En existe-t-il des cours dans les pensions de Paris ; ou bien est-cesimplement l’enseignement mutuel n’ayant d’autre maître que l’instinct,l’attrait piquant du mal ?

Tout Paris a retenti dans le temps de cette incroyable histoire d’unpeintre qui prétendait à la main d’une jeune personne fort bien née,une enfant que sa mère n’avait pas quittée depuis sa nourrice, la filled’un respectable magistrat, une demoiselle qui n’avait pas de secretspour ses parents, un parfait modèle d’éducation, habile au piano,sachant accommoder sur la toile un joli plat d’épinards en forme depaysage, ferrée à glace sur l’histoire de France et la géographie, unede ces filles célestes dont les salons de Paris sont encombrés. Lejeune peintre avait été accueilli avec empressement, et, un mois aprèssa première admission dans la famille, une voiture de remise letraînait avec sa femme future vers la municipalité du dixièmearrondissement. On arrive ; on entre dans la salle des exécutions, etle jeune homme allait signer le serment fatal, lorsqu’un amis’approchant de lui : « Ne signe pas, lui dit-il ; on te trompe. » Uneexplication a lieu ; l’épousant se fâche, il entre en fureur : c’estune indignité que d’attaquer la réputation d’une fille aussi pure ;ceux qui ont inventé cette calomnie sont des infâmes ; s’il ne seretenait, il cracherait à la figure de l’ami trop officieux ; il prendla plume et il signe.

Le soir à minuit, l’on entendit un effroyable tapage dans la chambredes nouveaux mariés. « Abomination ! criait le mari ; tandis quej’étais à l’autel ce matin, il y avait donc caché dans la foule unhomme qui pouvait rire de moi, de ma crédulité ; un homme que tesregards infâmes ont sans doute rencontré durant cette cérémonie, aveclequel tu as échangé un sourire d’intelligence, de mépris pour moi.Sais-tu bien qu’on me l’avait dit ce que tu étais, et que j’ai refuséde croire possible tant de corruption et de sottise ! » et puis,c’étaient des jurements sur tous les tons, des grincements de dents,des coups de poing sur les meubles ; le malheureux criait, pleurait,s’arrachait les cheveux ; enfin tout le dictionnaire du désespoir.C’est faire bien du bruit pour une demoiselle enceinte de huit mois !Car telle était la légère circonstance dont la famille avait oublié deprévenir le jeune homme. A toutes les injures et menaces de ce pauvregarçon, la demoiselle-ange ne répondait rien, si ce n’est qu’elle luipassait les bras autour du cou, s’efforçait de l’embrasser, lui disantavec sa douce voix de Parisienne, « Vilain jaloux ! » Qu’il n’ait pastué cette femme enceinte, cela se comprend à toutes forces, mais qu’ilait pu s’empêcher de rire à ce reproche de jalousie, c’est ce que je nepuis concevoir. Il n’avait pas envie de rire ; il sortit de la maison àune heure du matin, criant au portier tout endormi et ébahi, qu’on eûtà lui ouvrir la porte sur-le-champ, ne voulant point, disait-il, passerla nuit dans un lieu pareil. Un mois après ce mariage, le jeune peintreétait en Russie, et la jeune dame accouchait à Paris : La mère etl’enfant se portent bien.

Celui-ci, comme vous voyez, trouva dans la dot plus qu’on ne lui avaitpromis : il en est d’autres moins heureux qui, dans le sourire d’unedemoiselle à marier, ont entrevu celui de la fortune : des chevaux, desloges aux opéras, de belles livrées or et bleu de ciel, une succulentesalle à manger où le champagne et les amis vont retentir, une agaçantemaîtresse pour se consoler de leur femme... Le lendemain des noces, ilsne trouvent rien que la honte d’un trompeur dont un laideron a trompéles projets sordides.

J’ai connu un pauvre jeune homme lequel n’avait point mérité sa peinepar le péché d’avarice, mais seulement par un peu de bêtise, péché plusdangereux encore. Au balcon d’une fenêtre placée en face de la sienne,il apercevait chaque soir une jeune demoiselle peu remarquabled’ailleurs, mais dont la tête irrégulière était ornée d’une forêt decheveux blonds, cendrés, fins, et d’une soie si charmante, que c’étaità en devenir fou. Aussi mon jeune ami n’eut-il garde d’agir autrement.Le voilà qui parle cheveux blonds, rêve cheveux blonds et passe sa viecloué à sa fenêtre, attendant que vînt à se montrer la demoiselle. Ellese montrait assez volontiers, et son petit oeil de faïence ne semblaitpas trop hostile à l’admiration du jeune homme. Il me la fit voir unjour. « Il y en a peut-être de plus régulièrement jolies, me dit-il,mais voyez donc quel délicieux encadrement à ce visage ! quel bonheurde baigner ses mains dans ces cheveux ; de froisser ces bouclesblondes... – Vous êtes, répondis-je, de cette école sublime qui nereconnaît dans la vie qu’un moment, qu’un amour, qu’une femme. Épousez! – Oh ! dit-il, si je pouvais ! » Et comme il possédait une assezbelle fortune, qu’il était fils de colonel, que sa maîtresse et luidemeuraient au même étage, au même niveau, je ne voyais pas pourquoi iln’aurait pas pu. En effet, ayant été reçu dans la maison, il trouva lademoiselle douce et naïve comme un enfant, elle se montra à ses yeuxembellie des charmes de la vertu, et preuve qu’elle y joignait ceux dutalent, il y avait dans le salon une harpe, une guitare et un piano ;un chevalet dans la salle à manger. Heureux garçon, d’avoir rencontréune fille tellement accomplie ! Aussi jamais Paula ma petite chatte nefut si amoureuse que mon jeune ami à l’issue de la première visite. Ala seconde, la conversation étant devenue plus facile, la demoiselleparla romans, applaudit à ceux de M. Charles Nodier, blâma les libertésde M. Paul de Kock, fit l’analyse de Thérésa ; ce qui prouvait moins denaïveté qu’on n’aurait pu le croire d’abord. Mais qu’importait auprétendant cette surabondance d’instruction, légère tache entièrementeffacée par des talents agréables, dix mille livres de rentes, uneangélique douceur et, surtout, ces beaux cheveux blonds dont la vuel’enivrait ?

Cependant, il éprouva quelque chagrin, lorsque après un mois desupplications continuelles pour que la demoiselle le fît juge de sestalents, il découvrit que le chevalet de la salle à manger servait àbattre les habits, la harpe et le piano à meubler le salon, et que lestalents de la jeune personne se bornaient à chanter Petit blanc avecaccompagnement de guitare. C’était un malheur ; mais pour si peu sonamour ne pouvait rétrograder, adoré qu’il était de cette aimable fille,comblé de tant de caresses, de mots tendres et passionnés. Etd’ailleurs, ses démarches ouvertes avaient trop compromis l’avenir dela demoiselle pour qu’un homme honnête ainsi engagé pût abandonner laplace. Le pauvre fou ne comprit pas qu’on n’est jamais trop avancé pourmanquer un suicide, lors même que le pistolet est armé, que la boucheest ouverte et que les dents mordent le fer ; il eut la niaiserie depasser outre. Quelques jours avant son mariage, une banqueroute simuléevint lui apprendre avec les larmes et les sanglots de la famille qu’ilne devait plus compter sur les deux cent mille francs promis en dot.Trop généreux pour que l’intérêt pût l’arrêter : « Je suis assez richepour deux, se dit-il, je l’épouserai. » Et voilà que le matin dumariage, comme on parait la mariée pour la conduire en grande pompe àla mairie et à l’église, mon ami étant par hasard entré dans la chambrede toilette où le coiffeur travaillait, mon ami voit, attachée sur ledos d’un fauteuil, comme une longue queue de cheval blond, et surchaque bras du fauteuil, une admirable touffe de cheveux bouclés àravir la pensée. Quant à la tête de sa femme, en ce moment elle était àpeine recouverte d’une maigre chevelure qui, laissant les tempes àdécouvert, pendait clair-semée sur les épaules. Son coeur se resserre desurprise : triste jusqu’à mourir, il se retira dans son appartement enattendant que les perruques blondes fussent posées. Ainsi feuille àfeuille, le pauvre fou avait vu tomber la rose de son bonheur. Ilpleurait seul, n’osant dire à personne, pas même à ses meilleurs amissa douleur ridicule. Il cherchait à se consoler, à s’encourager, ensongeant que si la femme qu’il épousait, n’avait ni talents, ni argent,ni cheveux, du moins elle était bonne, douce, patiente, et que cesqualités heureuses valaient mieux que l’or qu’on peut perdre, que descheveux qu’on peut acheter. On vint l’avertir qu’on n’attendait plusque lui, ainsi qu’on appelle le condamné pour l’échafaud. Il courut, etdonnant la main à sa femme pour monter en voiture, il ne s’aperçut pasqu’il posait le pied sur le voile traînant jusqu’à terre ; la dentellese déchira : « Que vous êtes maladroit ! » dit la demoiselle avec unpetit accent de rage qu’elle oublia de dissimuler. Pour cette fois lamesure était comble. Le patient ne dit rien ; on roule vers lamunicipalité ; on descend de voiture ; l’officier de l’état civil faitlecture du chapitre VI du mariage sur les droits et les devoirsrespectifs des époux. « Mademoiselle Sophie-Henriette D***, voulez-vousprendre pour mari monsieur Hippolyte-Arthur de N*** ? – Oui, monsieur,» dit la demoiselle d’une voix faible et les yeux baissés. «Hippolyte-Arthur de N***, voulez-vous prendre pour femme mademoiselleSophie-Henriette D*** ? – Non !! » répond d’une voix de tonnerre lejeune homme furieux. Et il s’élance hors de l’enceinte.

J’espère assez de l’intelligence des demoiselles pour être assuréqu’elles ne se méprendront pas sur la véritable morale qui ressort decette anecdote : c’est que pour ne plus cacher son tour, son coton etses défauts, il faut attendre qu l’on soit revenu de la municipalité.

Généralement c’est une chose fort bouffonne qu’un mariage, une farcedont notre rieuse de France s’est long-temps divertie. Autrefois toutesles pièces finissaient par un mariage ; le genre d’aujourd’hui préfèreterminer par un enterrement ; c’est à peu près la même chose, et je nevois pas pourquoi l’on dit que l’art dramatique a reculé.

Picard dans sa Petite Ville, joviale peinture de moeurs quilong-tempsencore sera vraie, Picard nous a montré comment un coeur de provincialesavait différencier le garçon de l’homme marié, avec quel empressantaccueil on s’emparait du premier, de quel embarras inutile l’autreétait dans une maison. Cette scène si drôle, je la crois moins uneoeuvre d’art qu’une anecdote de la vie de l’auteur, burlesque ettriviale aventure dont la naïveté aura séduit le gai comédien, qu’ilaura prise à ses souvenirs pour l’amusement de son théâtre. Car il estpeu de jeunes gens qui n’aient à raconter à leurs amis quelquesemblable histoire. Pour ma part, j’en puis citer une.

Il y a quatre à cinq années qu’un conseiller à la cour des comptes merencontrant aux Tuileries : « Un de mes collègues donne un bal ce soir,me dit-il ; sa femme m’avait prié de lui amener un jeune danseur qui nepeut y venir, voulez-vous que je vous présente à sa place ? » A vingtans un bal ne se refuse pas ; c’est une occasion de perdre du temps, dedire des fadeurs aux femmes et de boire du punch, trois divertissementsauxquels j’aurais sacrifié les plus sérieuses obligations de la vie. Lesoir, accompagné de mon ami le conseiller, je me rendis à la fête deson collègue, M. C...

Déjà les violons criaient avec le flageolet et le piano. Les femmesfleuries et nues, s’efforçaient de plaire, de paraître pudiques enexcitant les désirs ; brillantes de bonheur, elles rivalisaient decoquetterie et de beauté ; les hommes, noirs, empesés, allant enarrière, en avant, sans grâce ni dignité, stupides comme d’orgueilleuxdindons, sautaient. On étouffait, on poussait, il n’y avait pas deplace et beaucoup de jolies personnes ; enfin le bal était parfait.

Selon l’usage, on me conduit à la maîtresse de la maison, que je saluesans rien dire, selon l’usage. Cependant, je n’en fus pas quitte pourcette dépense habituelle de politesse et d’esprit. « Ah, dit la dame àmon introducteur, vous êtes bien aimable de nous avoir amené monsieur.Présenté par vous, monsieur était sûr d’être accueilli comme un ami dela maison. » Puis se tournant vers moi : - « Dansez-vous le galop ? » -« Pas trop bien. » - « C’est égal, vous allez le danser avec ma fille ;» et l’on me mène à une jeune personne, bien faite, qui avaient debeaux yeux noirs, de beaux cheveux noirs, et des bras blancs si rondset grassouillets que c’était une bénédiction. J’en serais certainementdevenu amoureux ; car vous ne sauriez croire avec quelle touchantebonté elle supportait mon inhabilité à la danse ; comme elle meprouvait que je lui serrais la taille convenablement, que je la tenaisbien solide sur la glace du parquet, et que je ne sautais point tropavec des mouvements saccadés comme un vieux cheval de cabriolet, aulieu de glisser, de filer en léger patineur. Je m’attendrissais auxamabilités que tout essoufflée ma galopeuse me prodiguait dans lesmoments de repos.

Quand je l’eus reconduite à sa banquette, et qu’elle m’eut remerciéavec ce sourire d’une personne heureuse, sa mère moins timide, et nonmoins attendrie, m’engagea à m’asseoir près d’elle, entre elle et safille. J’avais à peine pris place, que deux laquais, obéissant auxordres de leur maîtresse, étaient debout devant moi, me présentant dessirops ; et si je ne voulais pas de sirops, du punch, des gâteaux ; etsi je ne voulais pas de gâteaux, du boeuf fumé, une glace ; à moins queje ne préférasse une plombière, un biscuit au rum ou au marasquin.Tandis que je mangeais mon boeuf fumé, que je m’arrosais de punch, lamaman et la demoiselle disaient de jolis mots pour me faire rire, etriaient elles-mêmes de tout ce qui sortait de ma bouche. Mais il yentrait plus qu’il n’en sortait. Ayant pris sur le plateau un quatrièmeverre de punch, j’entendis la mère qui disait à sa fille : Il estcharmant ! Le demoiselle répondit avec âme : Charmant !

Or, çà, me disais-je, il paraît que je suis le plus grand briseurd’éventails de Paris ? les mères me disputent à leurs filles. On vam’enlever ce soir.

En ce moment s’approcha de moi un malencontreux danseur de mes amis,qui, me serrant la main et s’informant de mes nouvelles, me salua parmon nom... La mère et la fille se regardèrent l’une l’autre d’un airétonné ; il se fit silence, et le rire cessa ; une grande contrainte seremarquait sur leur visage, et comme mon introducteur s’avançait en cemoment de notre côté, l’aimable mère tout émue, allant à sa rencontre,engagea avec lui un entretien d’un instant. J’avais cru convenablependant ce temps de dire quelques mots à ma jolie galopeuse, mais elletenait les yeux fixés sur sa mère avec tant d’inquiétude, qu’ellen’entendit pas même que je lui adressais la parole. Alors madame samère revint s’asseoir en affectant de me tourner le dos, et je visqu’une conversation télégraphique s’établissait entre elles, et que cesdeux visages naguère joyeux et souriant comme l’espérance, étaient toutà coup devenus sombres comme celui d’un joueur qui, venant de perdreson dernier écu, regarde la Seine. J’avais beau manger et boire, diredes sottises, elles ne me trouvaient plus d’esprit. La demoiselle serappela qu’avant mon arrivée elle avait promis à un autre cavalier lacontredanse que nous allions danser ensemble, et la mère me pria devouloir bien céder la place que j’occupais à une dame de ses amies quientrait en ce moment.

Stupéfait de cette subite révolution, j’allai trouver mon conseillerintroducteur, lui racontant en deux mots ce qui venait de m’arriver.Quand le rire fou qui s’empara de cet homme cruel en écoutant manarration lui permit de parler, il me dit : « Je vous ai présenté à laplace d’un jeune homme qui a cent mille livres de rentes, et sur lequelmadame C... a songé pour sa fille. J’ai oublié de dire à cetteprévoyante mère, qu’à la place du riche héritier, j’avais pris laliberté d’amener un auteur. »

Je terminerai par cette anecdote la peinture qu’on a bien voulu medemander, peinture superficielle et maussade, bouderie d’un garçon qui,se faisant vieux, n’a plus d’autre illusion que celle du repos et dubonheur domestique.

Avant de finir, je supplie qu’on ne m’accuse pas d’avoir vu seulementle mauvais côté de ma cause, et dans la classe intéressante desdemoiselles à marier de n’avoir pas su distinguer ces jeunes personnesornées de talents divers dont elles ne tirent nulle prétention, aussinaïves que belles, et qui pour être heureuses ne demandent à la vie quel’amour d’un jeune coeur, un homme de leur âge dont elles charmerontl’existence par leur douceur et leurs soins affectueux. Il en est unesurtout : fille poétique ; à la taille élancée, arrondie et souplecomme le jonc qui plie ; dont les noirs cheveux font ressortir lablanche pâleur ; type de grâces et de romantiques beautés ; amusante,bonne, sérieuse et légère comme un spirituel ami ; comme lui fidèle ;coeur d’homme dans le joli corps d’une femme ; aimante et pure comme unesoeur ! 

RÉGNIER DESTOURBET.