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ÉCARNOT, J. B.(18..-18..) : Le Médecin de village (1841). Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (29.VIII.2013) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 6 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. Le Médecin devillage par Écarnot ~ * ~ BARTHOLO. – Un art dont le soleil s’honore d’éclairer les succès. LE COMTE. – Et dont la terre s’empresse de couvrir les bévues. BEAUMARCHAIS Vous prendrez, matin et soir, à jeun, deux pilules dans un pain enchanté, sans mâcher. Voici la boîte. Il y en a cinquante. C'estcinquante sous. Vous boirez de deux heures en deux heures, écoutezbien, de deux heures en deux heures, une cuillerée à bouche de cettepotion anodine, antispasmodique et laxative ; voici la fiole. Il y en apour trente sous. Vous appliquerez tous les soirs, sur la partiedouloureuse, un cataplasme de farine de graine de lin saupoudré deneuf gouttes, vous entendez, neuf gouttes de laudanum de Chidermann,ni plus ni moins, avec de la flanelle ou un bas de laine. Voilà lepaquet. Vingt sous. Au revoir. Soyez tranquille, tout ira bien ; jesuis là. Mangez peu, ne parlez pas, dormez jusqu'à mon retour, et sicela va plus mal, nous verrons. Je suis pressé. » Procurez-vous avec cela un chapeau défoncé ou enfoncé, une physionomiebrave homme, une cravate en corde, une redingote de votre grand-père,si vous avez eu un grand-père, un pantalon coutil rayé bleu et blanc,boutons en os, des dessous de pied de dix-huit pouces de longueur etune tabatière de quinze pouces de circonférence ; montez sur un chevaldu poids de deux cent vingt-cinq livres, et vous êtes d'emblée, médecinde village. Il y a bien encore quelques autres petites formalités de peud'importance, mais qui ne font rien à la chose ; le plus souvent ellesla gâtent. Peu importe, après tout, au menuisier, au fossoyeur et àmonsieur le curé que vous sachiez par principes, comme on dit, pourquoivotre malade meurt, pourvu que, en somme, c'est-à-dire en masse, ilmeure, secundum artem, et qu'ils fassent des bières en peuplierd'Italie, des fosses en terre sainte et des funérailles à grande volée.A la guerre comme à la guerre ; tant mieux pour qui tourne la chance. « Eh bien ! père Thomas, comment vous trouvez-vous aujourd'hui ? Un peumieux, hein ? C'est la potion. Que dit la tête ? — Pas grand chose debon, monsieur Mésenterre, allez. — Bien. Ce sont les pilules. Votremain ; non, l'autre. Et l'estomac ? Avez-vous mal à l'estomac ?soixante-quatre, soixante-cinq, soixante-six. — Ah ! oui, monsieurMésenterre ; tout plein. — Bon. Soixante-six. Pouls anormal ; légèreintermittence. Tirez la langue ; plus long. Allez-vous à la garde-robe? — Monsieur, je ne sais pas... — Comment, vous ne savez pas? — Je nesais pas ce que vous voulez dire. » Vous reprenez : « Vous boirez matin et soir... » et le reste. C'estbien simple. Peu importent l'âge, le sexe, le tempérament, leshabitudes, le régime et le caractère du malade ; l'acuité, lachronicité, la périodicité, l'intermittence, la recrudescence ou lasomnolence de la maladie ; qu'elle affecte l'encéphale ou le rectum, lecolon transverse ou l'intestin grêle, la région cardiaque ou la régionpubienne, la cavité thoracique ou la synovie articulaire, les glandessous-linguales ou les trompes de Fallope; que ce soit le tétanos ou lafièvre scarlatine, la catalepsie ou la petite vérole, des tubercules ouun rhume de cerveau, une hernie inguinale ou une fluxion à la mâchoire; ne sortez pas de la : Vous prendrez matin et soir... comme devant.Vous n'en serez que plus sûrement un bon et véritable médecin devillage. Et comment voulez-vous, après tout ? L'habitant des campagnes est labête de somme de la civilisation, le limonier du char social dont leriche est la mouche. Quand le cheval de charrue est malade au temps descouvraines, est-ce avec du repos qu'il s'agit de le guérir ? Unefriction et la sellette, un breuvage et le collier : En route, blond !La limonade, l'orangeade, l'eau gommée et le fauteuil, n'ont ni coursni créance au village. Ces sages lenteurs sont bonnes tout au plusl'hiver, en saison de repos, si d'aventure il n'y a pas fumiers àcharrier ou fagots à déboquer. A ces corps endurcis par la fatigue,appauvris par les privations, brûlés par l'oxigénation des glaces et dela canicule, il faut médecines de cheval et breuvages à l'avenant. Dulit à la charrue il n'y a place que pour une ordonnance. «Baillez-la-moi bonne et que j'aille à mes chevaux. » Le médecintemporisateur et méthodique des villes en est encore aux prémisses, quetout est dit pour le médecin de village. Le monde est superficiel. Il y a des gens qui s'imaginent follement, latête sur l'oreiller et les pieds sous la plume, qu'il suffit de s'enaller, pendant quelque part six ans, étudier l'anatomie, laphysiologie, la pathologie, la nosographie, la chimie, la physique, labotanique, la pharmaceutique, la clinique ; de promener, pendant lemême nombre d'années, son individu autour des malades et son scalpel audedans des cadavres ; de passer ses journées la mains dans lesopérations, les pansements et les dissections, et ses nuits le nez dansles Richerand, les Cuvier et les Berthollet ; de joindre à ce petitbagage médical une charge suffisante de littérature, de philosophie etde connaissance du cœur humain, sans parler du désintéressement, de ladiscrétion, de l'abnégation et du dévouement, pour être un bon médecinde village. Les bonnes gens ! Le médecin de ville croit fermement que tout est dit quand il a visitéses malades, écrit ses ordonnances, lu son journal et additionné sescas ; qu'il a recueilli les nouvelles, colporté l'anecdote, promené safemme et salué sa voisine ; qu'il a fourré sa bonne dans la diligencede Paris, son nez dans les salles de l'hospice et ses pieds dans lefour de la cheminée ; qu'il a enterré sa fluxion de poitrine, dénigréses confrères plus heureux et fait attendre les clients à la portependant qu'il les attend dans son cabinet. Tandis que le médecin devillage, non-seulement soigne ses malades et les guérit comme l'autre,les console, les soutient et les encourage dans la maladie, mais encorese mêle à eux en santé, prend part à leurs fêtes, s'associe à leursdouleurs, les aide de ses conseils, leur ouvre ses avis et sa bourse,s'assied à leur table, accepte le haut bout, tient les cœurs en joie,avertit l'épouse fragile, ramène le mari égaré, envoie de sa cave levin du dessert, mange, boit, rit, chante, fume, se roule et bouleavec eux, le brave homme. Le médecin de village n'est pas ou médecin, ou chirurgien, ouaccoucheur, ou dentiste, ou pédicure, ou oculiste, ou expectant, ouhomœopathe, ou n'importe ; il est, à la fois, coup sur coup, sanschanger de costume, médecin, chirurgien, accoucheur, pédicure,dentiste, oculiste, expectant et homœopathe. Non pas qu'il soupçonne le similia similibus ; que Dieu l'en préserve ! qu'il se soucie desadmirables ressources du faire expectatif ; qu'il connaisse laconformation anatomique et les phénomènes physiques de l'organe de lavision ; qu'il ait jamais entendu parler de l'action des agentschimiques internes et externes sur les substances dentaires ; qu'il aitcherché ailleurs que dans quelques figures coloriées les différentespositions du fétus ou que la disposition des fibres musculaires ou lecours des artères, des veines, des nerfs et de leurs innombrablesramifications lui soient connus à un autre titre que le cours desfleuves sur une carte de France ; mais simplement parce qu'il estmédecin de village. Car ce titre, pareil au portefeuille, donne la science à la minute etl'infaillibilité par-dessus le marché ; d'un brave homme un peu bavardet pas trop rétif vous fait un homme d'état et un grand homme deprofession, et d'un praticien à la main expéditive et vigoureuse, uneuniversalité médicale. Et il le faut ainsi. Sa spécialité c'est d'êtreuniversel. S'il ne sait tout, il ne sera propre à rien. S'il hésite unefois, le prestige s'évanouit, la confiance recule et le malade guérit àson corps défendant. Dira-t-il au péripneumonique : je suis anévriste ;- à l'hydropique : je suis utériste ; à l'apoplectique : je suisexpectant ? Il serait bientôt et certainement réduit à toute la rigueurde ce dernier mode. — « Hé! voisin Thomeron, la nouvelle. —J'onsconsulté hier notre nouveau médecin, un fier savant, allez. M'est avisqu'il connaît toutes les maladies que je n'avons point. Je m'en vascheux le rebouteux. » Etabli dans son universalité, le médecin de village n'est ni docteur enmédecine, ni docteur és sciences qui veut dire expert dans la science,ni bachelier, ni gradué, ni vétérinaire artiste. Il n'a pas fait sescours de médecine ici, de clinique là, d'opérations sous un tel, depansement sous tel autre ; il n'étale point aux yeux une thèse en latind'hôpital, des brochures vierges et une bibliothèque sacrée à la façondes poésies modernes ; son cabinet n'affiche point un hommeprofondément absorbé dans des livres qu'il ne lit pas, des observationsqu'il ne rédige pas et des méditations qu'il ne médite pas. On y voitmodestement un bureau en chêne verreux et une chaise en merisierboiteux ; un encrier séculaire et une plume bissextile ; undictionnaire de médecine et un chansonnier de l'an VIII ; un fusildouble à pierre et une carnassière en peau sans poils ; une perdrixempaillée sous un globe fêlé et un cartel stationnaire sur un socleébréché ; quatre pipes variées, un baromètre invariable, deux paires debottes, trois pantoufles, une guêtre, du cirage dans un scapulum, unesavonnette dans un coco, une bouteille de rhum et deux verres. Voilatout. Le petit verre est l'âme des consultations privées du médecin devillage. — « Ah ! c'est vous, la mère Joran. Entrez et fermez la portecomme si vous n'aviez que vingt ans ; si on jase, ce sera du réchauffé.Vous venez pour votre catarrhe, je vois ça. Les enfants trouvent quec'est long, hé, hé ; est-ce qu'ils ont flairé le chausson de laine, lesgourmands ? Vous prendrez d'abord un petit verre de doux, hein, pourchasser cette mauvaise pensée-là : du rhum, ça ne vous fera pas de mal.A votre santé et soyez tranquille. Le père Jérôme, — vous en prendrezbien un second ; — le père Jérôme en a porté un, de catarrhe, pendantvingt-deux ans et neuf mois — à votre santé, la maman Joran ; — et ilvivrait encore s'il ne l'avait pas emporté. Combien voilà-t-il que vousavez le vôtre ? Deux ans au plus ? Encore un petit verre par là-dessuset ne vous inquiétez pas du reste. Je passerai chez vous tantôt. » Et n'allez pas croire, lecteurs du beau monde, que le verre de rhum, oule verre de trois-six, ou le verre de vin et la croûte figureront sousun déguisement honnête sur le mémoire après mort ou guérison, commec'est l'usage chez les gens de haute et basse finance, de grand etpetit commerce qui font payer à la pratique l'user du chapeau qui lasalue. Hélas ! le médecin de village ne fait pas plus de mémoire que lamort de crédit. A la demande : — Combien vous-dois-je ? le confrèreillustre répond au riche vaniteux : Ce que vous voudrez, et notre hommeà la ménagère épuisée : Ce que vous pourrez. Son livre est dans lesouvenir de ses malades, sa garantie dans leur cœur. Quand la récolteest bonne il reçoit un à-compte ; quand elle est mauvaise il patienteet oublie. — Mère Philippe, penserez-vous à moi, bientôt ? — Tout desuite, si vous voulez. J'ai amassé une dizaine d'écus que je pensaisacheter une culotte et une veste avec à mon dernier, pauvre petit ;mais je vous les porterai. — C'est inutile, mère Philippe ; acheteztoujours, j'attendrai. Et il attend, l'excellent homme. Éloigné du luxe des villes et desvanités des riches, il vit de peu et cumule des espérances. Dans nostemps de rude misère et de travail sans fin, il marche et se résigne.Que le soleil brûle la terre ou que le givre la blanchisse, il va, lejour, la nuit, à toute heure, où la maladie l'appelle ; rien ne ledistrait d'une vie qui n'est plus à lui. Avec quoi la remplirait-il ?Il n'y a pour lui ni soirées, ni spectacles, ni réunions, ni romansnouveaux, ni politique nouvelle. Il part le matin et rentre au logis lesoir, déjeunant où il plaît à Dieu, et dînant quand il dîne. Un fermierlui envoie un cent de foin, un autre des gerbées ; celui-ci une sachéed'avoine, l'autre, une paire de poulets ; la Providence fait le reste,et notre homme laisse faire la Providence. Content de la veille, peusoucieux du lendemain, inébranlable dans ses convictions médicales etferme sur l'étrier, il va son train, gaiement. Vous voyez, le matin, vers dix heures, plus ou moins, passer un chevalbai marron, lisse en tête, maigre, haut, long, efflanqué, écourté,buvant dans son blanc. Il va l'amble traquenardé et porte sur son dosune selle d'une incontestable maturité. Il y a, le long des quartierscrevassés et crénelés, deux jambes qui, par un mouvement deva-et-vient, régulier comme le vote du budget, entretiennent la monturedans une progression non interrompue. Si, par une cause ou par uneautre, cette stimulation alternative vient à cesser, la bête s'arrête,prend une demi-voile, broute l'herbe du rayon et vous laisse le loisird'examiner l'homme. L'opération est courte. Il se compose d'uneredingote et d'un chapeau dont la superposition est si mathématiquequ'elle ne permet d'apercevoir qu'une forte saillie, destinée, selontoute apparence, à étayer la partie antérieure de la coiffure. Unecoloration vigoureuse trahit l'incognito et révèle le nez du médecin devillage. C'est lui. Il va faire une troisième visite à son malade, lepère Thomas. En approchant des premières maisons, il entend un son decloches, son funèbre, fait demi-tour, pique des deux et part ventre àterre. Il a oublié sa tabatière. Non pas que notre praticien redoute la vue des morts, Dieu merci, ni lalangue des vivants. Il connaît de longue main toutes les fadaises quel'on débite, en bonne santé sur le grand art et ne s'en soucie guère,certain que la première colique lui fera raison des mauvais plaisants.Aux femmes le soin de plaindre les malades ! à lui de les guérir,dit-il. Une sensibilité excessive est une compagne aussi funeste querare pour la médecine, et nuit à la clarté de l'œil qui interroge,comme à la fermeté de la main qui sonde. Esclave de la loi commune,l'habitude a émoussé en lui cette fleur délicate de l'humanité ; unedouleur aiguë qui crie et pleure est un cas médical, la résignation,une exception, et la mort une solution, simplement. Tant que le maladevit, il appartient au médecin ; il est sa propriété, sa chose, sonaffaire, sa maladie ; c'est contre elle qu'il lutte et non contre lamort ; c'est la maladie qu'il tue et non pas l'homme qu'il sauve. Si,d'aventure, il se laissait entraîner par la considération del'individu, à des pensées extra-médicales, tout serait perdu, maladieet malade. Que les autres voient dans le patient un père, un ami, unfrère, à la bonne heure ; il y voit un cas dont la mort fait un homme ;alors il entre dans la douleur commune, plaint le défunt, énumère sesqualités, console la veuve, réconforte les amis et offre une prise àceux qui en usent. La tabatière du médecin de village remplace le cerveau du médecinordinaire. C'est là-dedans qu'il réfléchit. On reconnaît à sa manièrede l'extraire, de la tenir, de la tourner, de l'ouvrir, de pétrir sontabac, d'élaborer sa prise, de la tenailler entre ses énormesphalangiens, de la hausser au niveau du cartilage et de l'absorber parles fosses nasales ; ou reconnaît la gravité de la maladie, les chancesde guérison et l'époque probable du contraire. Une ne prise de moyennedimension est un indice aussi certain d'un cas productif, qu'uneaspiration légère et rapide d'une prompte guérison et une chargecomplète d'une succession à ouvrir. Le nombre des prises varieégalement selon la complication du mal, l'obscurité des symptômes, ladifficulté du diagnostic et l'incertitude de la pronostication. Jamaismalade n'a résisté à une quatrième introduction de l'index médical dansle livre des oracles du médecin de village. Que Dieu le bénisse ! Un philosophe célèbre portait avec lui sa richesse ; notre médecinporte dans ses poches la vie de ses malades : il y a progrès. Doubléesde cuir, elles sont au nombre de quatre : deux postérieures, deuxantérieures ; celle-ci a la région thoracique, les autres voisines desfémurs. Vastes, profondes et imperméables, elles remplacent, pour lemédecin de village, l'ordonnance écrite du confrère de la ville ; ellessont, à la fois, meuble, pharmacie et pilon. Les mixtions se fontordinairement au trot de cocotte et la potion arrive, tiède, à sadestination. De mémoire de malade, la poche droite postérieure produitles quatre fleurs, le chiendent, la guimauve et le sirop de violettes ;la gauche fournit le sulfate de quinine, la rhubarbe, la digitalepourprée et l'immortel laudanum de Chidermann. Antérieurement sontcasés les minoratifs, les laxatifs, les émollients et la trousseformidable. Dans une poche du gilet s'arrondit la tabatière, dansl'autre se dresse le pied de biche. Le mouchoir de poche habite, selonla saison, le fond du chapeau qu'il assure, ou la fonte gauche qu'ilorne galamment. Le médecin de village arrache les dents, cela va sansdire et vient sans douleur, dit-il. Ouvrez la bouche. Quand le médecin de ville est à bout de science et que la solution letalonne, il insinue la consultation et fait mine de la subir. Cela lepose et l'épaule. Chose curieuse du reste et instructive. On arrive, onse salue ; comment se porte madame ? que dites-vous de la petiteactrice ? et l'on tâte le pouls. Les symptômes dits et reconnus : C'estun entéro-gastrite, dit l'un ; une gastro-céphalite, dit l'autre ; unpéripneumonie chronique, à mon avis. Les antiphlogistiques feront bien; les toniques à haute dose sont indiqués ; je penche pour leslaxatifs. Du reste le traitement adopté par monsieur est parfaitementconvenable. — A charge de revanche, confrères. Les confrères du médecin de village sont dans sa tabatière. Elle tient,en moyenne, deux onces de consultations. Pour dix sous il l'emplit,tous les deux jours, de gastrites, d'entérites, de céphalites, deduodénites, de bronchites et les en tire en un besoin. Tout parmi serencontrent les émulsions, les laxations, les frictions, les réactions,les évacuations, les ponctions et les acuponctions. Sa mémoire n'estpoint chargée de ces mille nuances qui font la désolation despraticiens et la consolation des héritiers. Pour lui tout est clair,net et simple. Si l'estomac est malade et la tête compromise, il guéritl'estomac d'abord sans pour cela perdre la tête, comme il dit. Chaquechose en son temps et la méthode avant tout. Sa méthode à lui est d'égayer son malade. On dit au village qu'ilferait rire un mort, et il en rit : bien différent de son confrère deville, dont l'habit déteint sur la figure, qui interroge gravement,examine son sujet comme on regarde passer un convoi, médite, cligne del'œil, sourit jaune et répand dans l'escalier un son de cloches et uneodeur d'église. — « Eh bien, gros Pierre, c'est vous qui accouchezcette fois, hé, hé ! Vous voilà sur le dos comme un pigeon sur le gril.Soyez tranquille, vos plumes repousseront plus vite que les siennes.Hé, Guiguite, descendez un peu à la cave. » Sur quoi il s'attable,abdique son chapeau, développe son abdomen et laboure sa tabatière. «Les blés du voisin Buron sont beaux, mais les jeunes filles leur fontdu tort ; elles aiment trop les bleuets. Thérèse Coupon en cueillaitdans la pièce à Jean-Claude l'autre soir, et, se voyant serrée de près,elle s'enfuit et a perdu ses fleurs. Le curé dit que sa servante aforcé la serrure de sa cave et qu'il la changera pour une neuve.Monsieur le maire a pris, le mois passé, un arrêté pour qu'il n'y aitplus de pauvres dans la commune ; là-dessus il a trouvé trentepeupliers sciés par le pied. Second arrêté qui ordonne que tout lemonde pourra être pauvre après avoir payé ses contributions et les moisd'école des petits. Le père Crotard veut marier sa fille à Simon Touletqu'elle n'aime pas ; elle lui a dit que s'il l'épousait malgré elle, ilverrait. » C'est la médecine expectante du médecin de village ; c'est la bonne.Les habitudes, sinon simples, du moins frugales des campagnards, n'ontque faire de la pratique raffinée des villes. Leurs maladies sontuniformes comme leur vie ; la fatigue et les privations les produisentpour la plupart. Du bouillon gras et du Bourgogne, quelques sangsues etdes contes gais, voilà la pratique, et notre homme la connaît. Leurparlera-t-il de Lamartine ou de Sand, de Virgile ou de Shakespeare, deTite-Live on de Sismondi ? S'il connaît ces noms, il les oubliera ; ets'il ne les connaît pas, il s'en passe bien et ses malades aussi. Ilfaut des caractères d'une trempe supérieure, des goûts et des besoinsprofondément enracinés, pour conserver dans cette continuellefréquentation du chaume l'amour pur et saint de la littérature.Parcourir une lettre de Pascal et percevoir l'historique d'ungargouillement dans le ventre avec de grands maux de tête et des rhumesd'estomac, sont aussi antipathiques que le pouvoir et la mémoire. Lemédecin littérateur que la nécessité rive au village, meurt, comme unefleur délicate qui languit, s'incline et se dessèche aux rayons d'unsoleil ardent. Qu'arrive-t-il ? La vie de bien des millions d'hommes est abandonnéeaux chances d'une pratique dont le vice capital est l'absence d'uneinstruction solide que remplace une routine aveugle d'abord, puisentêtée, puis insouciante. Dira-t-on, et on le dit, que la science nesuffit pas pour guérir ; que la médecine ne s'apprend pas tant dans leslivres que dans l'exercice ; que le véritable talent du médecin estdans son coup d'œil ? Il est vrai qu'il y a chez le véritable médecinune sorte d'instinct qui lui révèle par intuition, pour ainsi dire, lesecret de la maladie ; mais qu'en fera-t-il s'il ne connaît toutes lesressources de son art ? Et quel plus noble, quel plus généreux usage,celui qui réunit ces qualités précieuses peut-il en faire, que de lesconsacrer aux misères des campagnes ? L'essor immense donné à laculture des sciences et des lettres jette tous les ans sur les bacs desécoles, sur le pavé des grandes villes, une foule de jeunes gens dont,pour la plupart, la vie s'écoule dans de longues, de pénibles etd'inutiles privations, quand le désespoir ne la termine pasbrusquement. De quelle influence ne serait pas sur les villageoisignorants et misérables la présence de ces hommes éclairés, puissantsde savoir et de dévouement, s'ils voulaient courageusement se dévouer acette généreuse mission ? Que de préjugés ridicules et funestes àdéraciner ! combien de conseils à semer, que d'améliorationsmatérielles et morales à tenter ! Et l'on sait de quel poids est lavoix du médecin ! La jeunesse se plaint que les portes de l'avenir sontfermées pour elle ; celle-ci est ouverte toute grande. Il est vrai quepour en passer le seuil il faut laisser derrière soi l'habitude sitôtprise de ce que l'on nomme les plaisirs de la société ; comme si laconscience d'un devoir accompli et les joies de l'étude, impérissableset sans remords, ne pouvaient faire une existence digne d'être tentée.Mais non : l'on craint de s'enterrer dans un village, de s'encroûter aumilieu des paysans, de ne trouver personne à qui parler ; et l'onbabille chez la modiste, on va au bal et au spectacle, on lit Paul deKock à 2 sous le volume, on pérore sur la fraternité universelle et surla misère du peuple, et l’on meurt de faim, ou d'ennui, ou de regrets,ou d'opinm. Ainsi vont les choses humaines. Où la vie est plus précieuse et lasanté plus nécessaire ; où l'existence est dans le travail et le paindes enfants dans les bras du père ; où huit jours perdus font desmendiants quand la misère ne franchit de suite ce pas si glissant : làune médication abandonnée a ses propres forces, privée des secours etdu stimulant intellectuel qui rayonnent autour des grands foyers de lascience, et dont le tact est émoussé par les aspérités sociales et lesdurillons de la pauvreté, lutte à la fois et souvent avec un sublimedévouement, contre l'obscurité du mal et l'ignorance du malade, contreles progrès de la maladie et les ravages de la misère, tandis que dansles villes, la richesse, les hospices, la charité officielle et labienfaisance voilée tendent au médecin une main douce et facile,permettent une temporisation impossible au village, enlèvent aux yeuxdu malade le spectacle déchirant et mortel d'une famille sans pain etd'un lendemain sans asile, et transforment en une foule de cas lascience de guérir en l'art de savoir attendre. Qui me dira s'il faut rire ou se fâcher rouge ? Où est la balanceéquitable du bien et du mal que fait au village son médecin facétieux,routinier, bienfaisant et consolateur ? Lui infligera-t-on le docteurnoir avec sa science, ses prescriptions et ses lenteurs ruineuses, etobtiendra-t-il jamais auprès des paysans têtus et rétifs l'entière etaveugle confiance du médecin selon leur cœur ? C'est la foi qui sauve. Ce que les institutions ne peuvent, sera fait par un agent pluspuissant que l'homme, le temps. Le type pur du médecin de village qu'ona eu l'honneur de faire passer sous les yeux du lecteur disparaît dejour en jour et fait place au jeune médecin connu sous le nomd'officier de santé. Que Dieu protège la vôtre ! ÉCARNOT. |