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Description de trente-une fleurs, avec un conte familier àMlle Emilie, sur le jeu du pied-de-boeuf.- A La Haye, et se trouve àParis : Chez d'Houry & Humaire, MDCCLXX [1770].- VI-52 p. ; 15,5 cm. Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (12.V.2010) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées à l'exception des s longs. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (BMLisieux: Norm 1519). Description de trente-une fleurs, avec un conte familier àMlle Emilie, sur le jeu du pied-de-boeuf. ~ * ~INTRODUCTION. LE plus savant des Auteurs & le plus croyable en fait de Fable,rapporte que Cloris étoit une Nymphe des Isles Fortunées, de laquelleZéphir, qui est le Dieu des Fleurs, devint tellement amoureux, qu’ill’enleva, en fit sa Maîtresse, changea son nom en celui de Flore, &l’épousa ; c’est pour cela qu’elle est appellée la Reine des Fleurs. Après que l’Hymen se fut couronné des fleurs de la beauté & del’âge de ces deux époux, ils se sont formés sur l’exemple de la nature.Nous voyons comment le printems les courtise, & en combien dedivers langages on leur rend hommage, en publiant leurs mutuellesaffections : les fleurs en sourient au ciel, les vents en parlent auxfeuilles, les ruisseaux aux prairies, les oiseaux en entretiennent lespassans, & le rossignol en récite les airs qu’il apprend pendantl’hiver chez la belle Harmonie. Flore dit à Zéphir, qu’il falloit de toute nécessité qu’il fût né desAmours : Je posséde une qualité digne des plus grandes Déesses, luirépondit Zéphir ; je suis l’esprit qui vivifie les plantes & lesfleurs, dont la nature tapisse les monts, les collines des campagnes,les parterres & les jardins. Or, il n’est rien de plus agréable à la vue que les Fleurs dont je faisici la description, soit qu’on regarde leur étoffe, soit qu’on vienne àcontempler la variété de leurs couleurs & la diversité de leursfigures : on peut dire qu’elle sont les pierreries des saisons, lesparures des champs, les astres de la terre ; enfin il n’est rien dontl’usage soit plus exquis : elles servent de couronnes aux Dieux,décorent les Autels, comme une preuve de leur pureté ; de guirlandesaux Victimes, de bouquets aux plus grandes Dames, & aux Reinesmêmes, qui en font grand cas : elles sont si obligeantes, qu’ellescouvrent la stérilité de la terre, & ornent la fertilité. Lesélémens y contribuent par leurs plus pures impressions : le feu y coulel’or : l’air entre dans leur odeur : l’eau y fournit l’argent, & laterre les diversifie d’une infinité de bigarrures. Ce sont les délicesdes yeux, les bracelets des Nymphes, & le séjour de la lumière. Après que cette grande déesse se fut emparée du soleil, de la lune& des étoiles, non contente de s’être logée dans les plus illustresparties du ciel, elle voulut avoir ses appartemens sur la terre ; pourcet effet, elle enferma toutes sortes de jours & de lueurs dans lespierres qu’elle trouva transparentes. De-là vient cette diversité decouleurs & cette correspondance d’effets qui est entre les étoiles,les pierres précieuses & les fleurs : ainsi les fleurs seméesd’argent ont rapport à la lune & aux perles ; les rouges sont duteint de Mars, & ressemblent au corail, au jaspe, aux rubis :celles qui portent l’incarnat, correspondent à Vénus : les vertes &les bleues s’accordent avec Saturne, & imitent les émeraudes, lessaphirs, les chrysolites : celles qui ont les couleurs mêlées, tiennentde Mercure, qui rassemble & tempère en soi les lumières des autresplanètes, & concourent aux opales & aux agathes. Il n’y en apas une qui ne soit d’une origine ou d’une alliance céleste. Le Lysnaquit du lait de Junon, répandu par hasard ; comme aussi cettequantité d’étoiles qui paroît aux frontispices du palais des Dieux. LaViolette est la fleur de Jupiter, qu’il fit naître pour la nourritured’Io, sa maîtresse, changée en vache. L’Œillet est l’oeil du soleil, àcause de la vivacité des couleurs qui en rejaillissent. La Rose (fleurde Vénus) est une métamorphose du sang de son Adonis. L’iris est fillede l’Arc-en-Ciel qu’elle nous dépeint. Le Tournesol, qui se tournetoujours vers le soleil, est cette belle Clytie, qu’il avoit autrefoistant aimée. L’Hyacinthe a retenu le nom de ce beau Fils, dont Appollon& Zéphir disputoient l’amitié. Le Narcisse est l’ancien chapeau desDieux. La rosée de l’aurore dessille les boutons des fleurs prêtes à s’éclore,la fraîcheur les avance & les ouvre, & le jour s’amuse à lescontempler : on diroit que les fleurs de chaque saison se disputent lavanité de plaire à Zéphir & à Flore. Au commencement du monde, dit la Fable, les fleurs naissoient desembrassemens du ciel & de la terre ; mais alors elles étoientpresque toutes d’une seule couleur & d’une même façon, à cause quela Nature, occupée à trop d’exercices, ne pouvoit pas être exacte entous ses devoirs ; ce qui fut cause, continue cette Fable, que lesDieux se partagèrent l’univers, & prirent le soin de multiplier& d’embellir les choses qui leur appartenoient. Les Nymphes sont le canevas, la gaze & l’étoffe des fleurs. Lanature a soin de les couper en feuilles, de les compartir en plusieursincisions, de les former en ondes, de les ranger diversement, lesclair-semer, éparpiller, ou épaissir dessus leurs tiges, de compasserleur ouverture, d’arrondir & d’évaser leurs châsses, de serrerleurs boutons, de denteler, déchiqueter leurs cimes. L’Amour s’est réservé d’y mettre les couleurs qui sont ses devises :chacune est une représentation de son humeur : toutes ses passions& ses qualités y ont leur peinture ; les blanches marquent sadouceur ; les pâles, sa langueur ; les sombres, son soupçon ; lesrouges, sa véhémence ; les bigarrées, sa bisarreries ; les changeantes,son inconstance ; les ardentes, sa jalousie ; les jaunes, sa gaieté ;les pourprées, son empire ; & les bleues, sa divinité. Telle est l’Introduction que je me suis proposé de mettre à la tête dece petit Ouvrage, dans lequel j’ai évité la prolixité, le plus qu’ilm’a été possible : trop heureux, en l’offrant au Public, si ce foiblefruit de mon loisir peut lui être agréable. DESCRIPTION DE TRENTE-UNE FLEURS. I. DE LA ROSE. QUI peut ignorer que la Rose ne soit la Reine des Fleurs, l’honneur desjardins, la pourpre de la terre, & la plus belle production de laplus agréable des saisons ? Qui ne voit qu’elle est un escarbouclevivant, une étoile végétable, un feu parfumé, un abrégé de beauté,& un des plus ravissans chef-d’oeuvres de la nature ? Passons donc ces éloges communs, pour considérer les circonstances desa naissance, de sa vie, & les biens qu’elle fait au monde, mêmeaprès qu’elle a cessé d’en embellir le tableau. L’arbrisseau épineux qui met la Rose au jour, étant empreint de la pluspure rosée du ciel, échauffé par les douces influences du soleil, &nourri par les sucs bienfaisans de la terre, pousse au commencement duprintems un bourgeon vert, qui, s’alongeant insensiblement, &s’élargissant en ovale, forme de tendres feuilles dentelées, &tissues d’une infinité de filets extrêmement déliés. Du milieu de ces feuilles, sort un petit bouton pointu, dans lequel estrenfermée la semence de l’aimable Fleur que nous décrivons. Ce boutonvenant après à s’enfler & à se grossir, s’ouvre peu à peu & sedilate, découvrant aux yeux curieux les premiers traits, & commeles premiers rayons de ce petit Astre animé, lorsqu’il est sur le pointde se lever sur l’horizon de nos parterres. En effet, peu de temsaprès, on voit cette fleur sortir de son bouton, ainsi que sortiroitune étoile de la nuë qui l’éclipsoit ; c’est alors qu’elle déploye tousses attraits, qu’elle étale sa pourpre, qu’elle répand son odeur,qu’elle fait paroître un coeur paré de petits filets d’or qui ensortent, & qui servent merveilleusement à relever l’éclat de cettecharmante fleur. Qui pourra donc s’étonner que cette fleur étant & si belle & siriche, la nature l’ait entourée d’une quantité de satellites quiveillent à sa défense, & qui la garantissent des insultes de vilsinsectes ! Ce qui doit plutôt nous surprendre, c’est que cette beauté éclatanten’est que d’un jour ; que les zéphirs qui lui ont servi le matin à separer & à se parfumer, ternissent sur le soir son agréable figure,& que le même soleil qui l’a vue toute rayonnante en se levant, lavoit toute flétrie & toute pâle avant de quitter l’hémisphère. La Rose meurt donc presqu’aussitôt qu’elle a respiré la vie ; maistoute morte qu’elle est, elle ne laisse pas d’être bienfaisante. Lamort peut bien, en effaçant sa beauté, l’empêcher de donner del’agrément à nos yeux ; mais la nature bienfaisante lui laisse de quoisatisfaire notre goût & notre odorat. L’eau musquée que nous en exprimons, & les conserves que nousfaisons de ses feuilles, nous rendent cette fleur très-précieuse : elleplaît aux yeux pendant sa vie, flatte les sens, même après sa mort,elle nous soulage, & sert de remède à nos maux. Car sans vous,obligeante Rose, où trouverions-nous de l’onguent, du vinaigre, &de l’huile rosat. II. DE LA ROSE DE DAMAS. SI l’on mettoit cette petite Rose de Damas auprès de cette grande &majestueuse Rose que nous venons d’admirer, je ne doute point que toutereine des fleurs qu’elle est, elle ne fût atteinte de quelque petitejalousie. Jettez les yeux sur ces beautés animées, qui n’empruntent rien de l’art; un heureux désordre, des habits simples & modestes, excitent lacuriosité : on leur offre l’encent le plus pur, on les préfére à cellesqui ne doivent leur éclat qu’aux artifices de la coquetterie. Il en est de même de la Rose que nous décrivons : sa tige est toutehérissée de piquerons ; il n’est rien de plus tordu que ses branches,rien de plus désordonné que son feuillage. La fleur elle-même, n’a dutout rien, ce semble, qui la releve, & qui lui donne de l’éclat.Quatre ou cinq feuilles assez mal ajustées, en environnent d’autresplus minces, toutes frisées pour la plûpart, & découpées sans façon: au milieu, l’on voit quelques filets d’or recoquillés & fortscourts, semblables à de la cannetille frisée, & voilà tout. Mais nonobstant toutes ces petites disgraces, cette fleur est une desplus belles & des plus brillantes, parce qu’en effet, elle estparée d’un blanc satin, le plus doux & le plus lustré qui puissetomber sous les yeux, & qu’elle est douée d’une odeur la plusagréable que l’odorat puisse souhaiter, & que l’esprit puisseimaginer. III. DU LYS. LA bulbe du Lys jette premièrement à fleur de terre une touffe delongues feuilles, lesquelles se repliant en rond les unes sur lesautres, forment une espèce de trône à ce Roi des Fleurs. Du milieu decette touffe, naît une tige droite lissée, semée de feuilles qui seraccourcissent & s’amincissent à mesure que la tige s’alonge. Quandelle est de la hauteur de deux ou trois coudées, elle pousse de sa cimeun bouquet de boutons longs & verdoyants qui, peu à peu, deviennentblancs, à proportion qu’ils deviennent gros, jusqu’à ce qu’étant sur lepoint de s’épanouir, leur blancheur paroît si achevée & sibrillante, qu’il n’est pas possible d’imaginer rien de plus flatteur& de plus beau. C’est alors que chaque bouton commence à s’ouvrir insensiblement, qu’ildéploie ses feuilles, qu’il les arrondit en campanelles ou en forme depetit panier ; enfin c’est alors que cette merveilleuse fleur, penchantdoucement la tête, afin de se mieux faire voir, fait parade de sesbelles feuilles cannellées en dehors, mais plus encore de ses filetsd’or, dont l’éclat rehausse admirablement celui de l’argent qui lesenvironne, & la blancheur du sein qui les soutient. Le bouton alongé, qui paroît élevé au milieu de ces filets précieux,& qu’on prendroit pour une petite masse d’émeraudes, est le sceptreque mérite à juste titre, celui qui par sa douceur, sa noblesse &sa taille majestueuse, mérite d’être élu pour régner sur les plusbelles fleurs. IV. DE L’ŒILLET. N’AUROIT-ON pas donné à cette aimable fleur le nom d’Œillet, parcequ’elle est le plus bel objet de l’oeil, ou parce qu’elle est elle-mêmel’oeil & l’ornement des jardins ? Certes, l’oeil ne peut rien voir de plus beau que sa figure, rien deplus ravissant que la variété de ses couleurs, rien de plus charmantque le lustre & l’arrangement de ses feuilles. Elles sont toutesentassées les unes sur les autres, mais sans confusion, & dans unsi bel ordre, qu’étant toutes unies par la pointe, & commeenchâssées dans leur bouton, elles s’élargissent en rond, en sepoussant peu à peu en dehors, & ne faisant presque voir que leurbord découpé en petites dentelles, pour ne rien offrir que d’agréable àla vue. Cette fleur n’est point de celles que la nature a peintes d’une seulecouleur, formées avec les mêmes traits, & comme jettées au mêmemoule ; c’est dans le seul Œillet où elle a rassemblé tout ce qui faitle prix & l’ornement des plus belles fleurs : c’est dans lui oùl’on voit briller la neige du Lys, le feu de la Rose, la pourpre del’Amaranthe, l’incarnat de la Renoncule, l’écarlate de l’Anémone, leviolet de l’Iris, le gris de lin du Lilas, & souvent toutes cescouleurs mêlées ensemble & si admirablement confondues, qu’il n’estpas au pouvoir de la nature ni de l’art d’imaginer un ouvrage plusachevé. Que dirai-je de la douceur & de la force de son odeur ? C’est leparfum le plus délicieux ; il tient beaucoup de la qualité du girofle,& c’est de-là qu’il a tiré son nom latin, Flos Cariophilleus. Parlerai-je de ses longues feuilles presque sans largeur, ou de sahaute tige, qui s’appuyant sur divers noeuds, s’éleve de terre de deux& trois pieds ? Toute mince qu’elle est, elle a assez de facultépour se soutenir, & pour porter même plusieurs Œillets. V. DE L’ŒILLET D’INDE. SI l’on ne voyoit sortir de terre & croître cette fleur, quicroiroit que c’en fût une ? Qui ne diroit que c’est plutôt une bouled’or frisée & ciselée de toutes parts ? Certainement l’or mêmen’est pas d’un jaune si beau, & il n’est globe de feu, ni pluséclatant, ni plus rond que ce bel Œillet : sa tige presqu’aussi solideque du bois, jette de longues branches de tous côtés, ainsi qu’un petitarbrisseau, & chaque branche porte à son extrémité un bouton d’ortacheté de pourpre qui s’épanouit en bien peu de tems. Ses feuillessont extrêmement déliées & découpées en plusieurs filets. Au restecette fleur, qui d’ailleurs n’a pas l’odeur agréable, dégénerequelquefois, devient petite de taille, perd son arrondissement,retrécit ses feuilles, & en diminue tellement le nombre, qu’on n’envoit que six ou sept autour d’un petit peloton de filamens d’un jauneobscur. VI. DE LA TUBÉREUSE. LA Bulbe qui porte & qui nourrit cette fleur, étant échauffée parla chaleur du soleil, & humectée des tièdes vapeurs de la terre,pousse une petite pointe verte avec quoi elle fend la terre qui lacouvre. Etant montée à la hauteur de trois ou quatre doigts, elle sedéplie insensiblement, & se multiplie de telle sorte, que dans peude jours elle fait comme une forêt de feuilles longues & pointues,repliées en rond, & renversées les unes en dehors sur les autres.Ensuite l’on voit sortir du centre de cette touffe de feuilles, la tigede cette fleur, laquelle se haussant peu à peu, & s’appuyant surdes noeuds qu’elle fait, arrive enfin au dernier point de son élévation,qui est de trois ou quatre pieds. Les petits bourgeons qu’elle poussede sa cime, dès qu’elle commence à monter, se grossissent à mesurequ’elle s’éleve plus haut, forment à la fin une espèce de panache deboutons de différentes grosseurs, lesquels s’alongent &s’épanouissent d’une manière bien agréable. Premièrement ils paroissent tous verts ; ensuite leur pointe devient unpeu rouge en même-tems qu’ils deviennent blancs. Ils s’ouvrent les unsaprès les autres en forme d’étoiles, ou pour mieux dire, en forme depetites trompettes d’argent ; d’où peut-être il est arrivé qu’on adonné à cette fleur le nom latin de Tuberosa, comme qui diroit uneTrompette fleurie, qui répand au loin un parfum qui semble être uncomposé des douceurs de la Rose, de la Fleur d’Orange & de la forcedu Muguet ; ce qui rend son odeur plus agréable de loin que de près,& qui la fait aimer, lors même qu’on ne la voit pas. VII. DE L’IMPÉRIALE. RENDONS justice à cette fleur, après que nous aurons écouté sesplaintes. On ose, dit-elle, me disputer l’empire des fleurs ? A moi,qui porte le nom d’Impératrice, & qui ai toujours la couronne entête ? Et quand je ne l’aurois pas, ne la mériterois-je point parl’élégance de mon port & la majesté de ma taille ? Peut-on voir rien de plus droit, de mieux tourné, de plus uni que matige ? C’est-là mon trône. Peut-on rien imaginer de mieux arrangé quecette touffe de feuilles pointues qui sont à mes pieds ? Ce sont-là mesgardes. Qui n’admirera la figure de celles qui sont sur ma tête ?C’est-là mon dais & mon diadême. D’ailleurs, a-t-on jamais vu fleurde ma façon ? Je suis une, & je suis plusieurs : si l’on considèreavec des yeux sans passion mes quatre, cinq ou six campanelles toutesde pourpre ou de fin or, attachées si proprement, suspendues de sibonne grace sous ma couronne d’émeraudes qui les couvre & lesenvironne ; quelle fleur me pourra-t-on préférer, ou plutôt à quellefleur osera-t-on me comparer ? Je n’ai point d’odeur, je l’avoue, maismon mérite n’en est pas moindre pour cela. Au reste, qu’y a-t-il de siachevé dans le monde, où l’on ne remarque quelque défaut ? VIII. DU JASMIN. PEUT-ON voir une fleur plus déliée que celle-ci ? Sa taille est uneminiature, sa blancheur égale celle de la neige : elle parfume l’air del’odeur la plus douce & la plus agréable : elle plaît infiniment deprès, & jamais n’incommode. Voilà des qualités qui la rendent toutà fait aimable. Elle a la figure, ainsi que l’éclat d’une étoile tombéedu ciel. Desorte que nous pouvons dire, presque sans métaphore, quevoir dans un jardin un berceau de verdure, fait de Jasmins, c’est voirun petit ciel en terre, émaillé d’étoiles vivantes. L’arbrisseau quiproduit cette fleur, a des qualités bien sociables : il est si docile,qu’on le plie comme on veut : si fécond, qu’il porte presqu’autant defleurs que de feuilles : si généreux, qu’il s’éleve autant que les plushauts arbres. Il est vrai qu’il a besoin d’appui pour s’élever ; maisce besoin lui est aussi glorieux, qu’il est avantageux à celui quiprend la peine de le cultiver, puisque c’est en s’appuyant qu’iltapisse les murailles, pare les berceaux & les cabinets desparterres : ses feuilles longues & pointues, sont du plus beau vert: sa fécondité dérobe en peu de tems à nos yeux la triste perspectivede nos murs décrépis ; en un mot, c’est la tapisserie la plus agréable& la moins dispendieuse que nous puissions adopter. Mais, quedirons-nous du Jasmin originaire d’Espagne ? Ne faut-il pas avouer quec’est un des plus riches ornemens de nos parterres ? L’odeurqu’exhalent ses fleurs est plus forte & non moins délicieuse : leurforme est un peu plus grande : leur blancheur est nuancée de rougepâle, ce qui en releve l’éclat, & qui fait donner à cette fleurétrangère la place d’honneur dans nos jardins. IX. DE LA RENONCULE. JE commençai, belle Renoncule, à vous estimer, au moment même que j’eusle plaisir de vous regarder, & de vous cueillir : je vis que votretige étoit douce, molle & pliable ; que vous ne faisiez pas ladédaigneuse à vous laisser prendre, ainsi que font la plûpart desfleurs, & qu’il ne falloit que vous toucher pour vous enlever : jevous pris donc à demi-épanouie, & toute semblable à un escarbouclevivant, à une petite boule de feu, ou à un peloton de foie incarnat.Vous n’aviez alors que peu de feuilles dépliées qui couronnoient cettetête merveilleuse. Mais d’abord que je vous eus mise dans une petitephiole d’eau fraîche, vous commençâtes peu à peu à vous ouvrir, & àdévelopper les raretés admirables que vous teniez cachées dans votresein. O le bel or ! O la belle pourpre ! O les précieuses choses quevous découvrîtes alors à mes yeux ! Je vous avoue, chère Renoncule,qu’à ce moment vous me ravîtes le coeur & que je conçus pour voustout l’amour & toute l’estime qu’on peut avoir pour la plusagréable des fleurs, & que je vous eusse même donné dès-lors monsuffrage pour être leur reine, si j’eusse trouvé en vous une qualitédont une belle fleur ne doit pas être dépourvue. Et quelle est-elle ?C’est l’odeur, que vous n’avez pas. X. DE LA TULIPE. LA Tulipe est la reine des fleurs à oignons, & il n’en est pas unequi puisse lui disputer la couronne sans lui faire tort. Elle a seuleensemble les beautés dispersées dans toutes les autres en particulier.En effet, y a-t-il rien de plus admirable que la merveilleuse variétéde cette fleur, qui, par des couleurs plus foncées ou plus éclatantes,plus fortes ou plus foibles, plus dures ou plus tendres, offre à nosyeux des nuances qui, passant imperceptiblement d’une couleur à uneautre, sans avoir rien de trop coupé, ni de trop rude, en fait tantôtdu jaspe le plus beau du monde, tantôt de l’agathe la plus riche &la plus variée. Cette fleur magnifique, par sa noble simplicité,s’éleve sur une tige sans noeuds à la hauteur de plus d’une coudée ;l’espèce en est si variée, qu’on pourroit en orner délicieusement toutun parterre. Il y a eu des Curieux, en Hollande, qui ont payé milleécus l’oignon de cette fleur. XI. DE LA VIOLETTE. LA Violette est une des plus petites fleurs ; quoiqu’elle soit leuraînée, elle est la première que le printems fait éclorre ; mais si lagrandeur de sa taille lui manque, elle en est bien dédommagée par lesbonnes qualités qu’elle contient. La pourpre dont elle est revêtue,fait assez connoître qu’elle sort d’une tige royale : & quoiqu’ellenaisse parmi les herbes les plus communes, elle n’a toutefois rien quede rare : sa figure est simple, mais bien tournée : sa couleur est d’unfond d’iris clair : son odeur est des plus douces, sa tige des plusdéliées. Les feuilles que sa racine pousse à fleur de terre, & quil’environnent de tous côtés, relevent son éclat avec avantage, soit parleur arrondissement, soit par leur agréable vert ; mais avec tous cesavantages, elle aime la retraite, elle fuit le grand jour ; & commesi sa petitesse ne la cachoit pas assez, elle se plaît à être confondueparmi les plantes les plus méprisées. Il est vrai qu’elle a beau secacher & s’abaisser, l’odeur dont elle embaume l’air, trahit samodestie, & oblige les passans à la relever & à s’étonner qu’unsi petit corps composé de cinq ou six petites feuilles, répande si lointant d’esprit & tant de douceur. Vous diriez d’ailleurs, àconsidérer le parfum qu’elle exhale, qu’elle se cache pour se fairemieux sentir, qu’elle prend plaisir à flatter l’odorat, afin qu’unemain bienfaisante vienne la tirer de son obscurité pour la placer à sadestination. XII. DE LA FLEUR D’ORANGE. POUR la décrire dignement & en exprimer l’admirable odeur, ilseroit à souhaiter qu’au lieu d’encre, l’on pût écrire avec de l’eaumusqué qui s’exprime de cette fleur, puisqu’elle renferme dans uneseule de ses gouttes, tout ce que l’essence de l’Ambre, l’extrait de laTubéreuse, l’esprit du Jasmin & des autres fleurs, ont de plus doux& de plus charmant. L’arbrisseau qui la produit, est de lui-même ensi grande considération, soit par l’arrondissement &l’entrelacement de ses branches, soit par le beau vert de sonfeuillage, que quand même il seroit stérile en fleurs & en fruits,il ne laisseroit pas d’être l’honneur & l’ornement des jardins. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’on le recherche avec tantd’empressement, qu’on le cultive avec tant de soin, qu’on l’éleve &l’entretienne dans des caisses portatives, afin de le garantir desinjures de l’air & le défendre contre les rigueurs du froid. Etcertes, il mérite bien un traitement aussi favorable, puisqu’entre lesexcellentes qualités qui le mettent en estime, sa gratitude estmerveilleuse à payer la peine qu’on prend auprès de lui, & àreconnoître le bien qu’on lui fait. En effet, pour plaire toujours, ilne se dépouille de l’agréable verdure dont il est paré, quesuccessivement de nouvelles feuilles remplacent bientôt celles qui sonttombées. Elles sont lissées si poliment, & taillées si proprement,qu’on les prendroit pour autant de pointes de petites lances qu’onauroit vernissées avec des émeraudes fondues : mais laissons-là sesfeuilles, puisque ce n’est que sa fleur que nous décrivons. Elle n’est,au commencement, qu’un bouton rond & blanc comme une perle, attachéde fort près à sa branche, semblable à une petite boîte qui renfermedes parfums, ou à une petite bourse de soie blanche, remplie d’untrésor des plus précieuses senteurs ; puis, grossissant doucement enlong, il paroît pourvu de tant & de si doux attraits, qued’ordinaire on ne lui donne pas même le loisir de s’épanouir ; &que tout bouton qu’il est, on lui fait l’honneur de le cueillir &d’en composer le plus beau bouquet. Que si cette fleur étant encore enfermée dans son bouton, peut disputerle prix aux plus parées, combien ne leur enleve-t-elle pas desuffrages, lorsque ce bouton commence à s’ouvrir & à répandre sonodeur ; lorsque cette bourse se dénoue d’elle-même, se dilate, &produit au grand jour son argent bruni & son or frisé ! XIII. DE L’IRIS. L’IRIS ou GLAYEUL, est d’un violet obscur & lustré le plus beau dumonde. Ses six principales feuilles, semblables en longueur à celles duLys, s’élargissent en ovale vers la pointe, & font une figure aussiextraordinaire qu’elle est agréable à la vue. Pendant que trois de cessix feuilles chamarées de blanc vers leur tige, se dressent &s’élevent en haut, se joignant ensemble, & s’appuyant l’une contrel’autre, comme pour se soutenir, les trois autres qui sont entre deux,se recourbant en bas, & se pliant en demi-cercle, semblent vouloirbaiser la tige qui les porte, & faire parade de la broderie defilets d’or velouté sur un fond d’argent, dont la nature les arehaussées du côté qu’elles tiennent au bouton. Enfin, toutes les sixen renferment trois autres, plus courtes, mais plus épaisses,semblables à trois petites langues un peu blanches, du milieudesquelles s’élevent trois longs filets d’argent en pointe de lance. Ily a une autre sorte de Glayeul de couleur de feu, taillé en forme decloche, semé de petites taches d’un rouge obscur ; il y en a un autrequi a quelque chose de la figure du premier, mais dont les feuillesbien plus étroites, & plus artistement recoquillées &entortillées, font voir un agréable mélange d’un bleu mignon, d’unjaune mourant & d’un blanc pâle. XIV. DE L’ANÉMONE. L’ANÉMONE est une de ces fleurs qui naissent au commencement duprintems ; elle n’a point d’odeur, mais elle ne laisse pas d’êtreestimée par sa beauté. Sa tige est fort déliée & un peu velue, dela hauteur d’un demi-pied, entourée sur le milieu & près de la cimede trois feuilles artistement découpées. La fleur est quelquefois simple & quelquefois double. La simple n’ad’ordinaire que six feuilles, mais assez larges & arrondies enforme de rose. La double en a quantité, mais elles sont plus menues.Quelques-unes ont au milieu un assez gros peloton composé de petitsfilets, rempli de graine, qui sont la semence de cette fleur ; il y ena de toutes couleurs, de blanches & de gris de lin, de gris cendré& de plusieurs autres. Cette fleur, souvent d’un bel incarnat, estcomposée d’une quantité très-considérable de feuilles qui s’éleventl’une sur l’autre en s’arrondissant vers le milieu & en se fermantvers l’orifice, de manière qu’on distingue chacune de leurs gradations: leur tissu est d’un beau poli, & leur couleur l’emporte surpresque toutes les autres fleurs. XV. DE LA MARGUERITE. JE ne sais pas ce qui peut plaire en cette fleur ; elle n’a ni beauté,ni odeur, ni presque de couleur : & toutefois elle plaît beaucoup,elle est en estime & fort caressée. Ne seroit-ce point parcequ’elle a un nom précieux en françois, & un nom tout à fait joli enlatin ? Quoiqu’il en soit, elle est aimable, toute petite & foiblequ’elle est : car elle rampe presqu’à terre, & à peine a-t-elle lalargeur d’une violette. Elle est tissue de petits flacons blancs &rouges, entassés en forme de pelotons, si mignonement arrangés, quec’est-là tout ce qui la rend agréable. Il y a une autre Margueritesauvage bien plus belle que celle-ci, dont le coeur est de fin or, &le tour de ses feuilles d’argent, si bien taillées & si justementarrondies, qu’à la voir on la prendroit pour une petite étoile ; &cependant elle est sans honneur, parce qu’elle se trouve par-tout sansqu’on la cherche, & qu’elle croît par-tout sans qu’on la plante, ouplutôt parce qu’elle n’a point bonne odeur. XVI. DU MARTAGON. LE Martagon seroit une des plus belles fleurs, si la nature lui eûtdonné de l’odeur. Il y en a de couleur de feu & de couleur pourpre.Sa tige est assez élevée : elle est droite & forte, mais le pied deson bouton est si foible, qu’il n’en peut soutenir la pesanteur ; cequi fait que cette fleur a toujours la tête agréablement baissée, &que sa figure n’en paroît que plus jolie. Elle se replie toute endehors, & se recoquille en autant d’anneaux qu’elle a de feuilles ;desorte qu’on la prendroit pour un petit turban de soie, du milieuduquel sortent de longs filets noués au bout, & qu’on pourroitprendre pour l’aigrette ou le panache de ce turban. XVII. DE NARCISSE. LE Narcisse est tantôt blanc comme de l’argent, & tantôt jaunecomme de l’or : sa figure est ronde, semblable à celle de l’oeillet ;mais ses feuilles sont plus épaisses & plus larges : il y en a quin’en ont que cinq ou six placées en rond, & qui couronnent lapetite coupe du milieu, qui est de même couleur que les feuilles quil’environnent ; il en est d’un peu plus pâles, leur bordure estordinairement teinte de rouge ; mais le plus beau de tous les Narcissesest celui qui est le plus grand, & dont les feuilles sans nombre& un peu frisées sont une espèce de rose blanche. Son odeur estassez douce, sa tige droite, un peu platte & spongieuse ; elle neporte quelquefois qu’une seule fleur ; quelquefois elle en a desbouquets entiers, qui ont tous la tête un peu penchée contre terre. XVIII. DU SOUCI. POURQUOI fait-on si peu cas du Souci, puisqu’on estime tant l’or, dontcette fleur a toute la couleur & tout l’éclat ? En peut-on trouverune dans tous les jardins du monde mieux tournée & mieux arrondie ?A-t-on jamais rien vu de mieux taillé que ses petites feuilles déliées& allongées en forme d’éventail ? On les prendroit pour autant derayons de ce petit soleil des parterres. Cette fleur a le sort deschoses les plus admirables dans la nature : leur beauté, leur éclatn’ont plus d’attraits pour nous, si la jouissance en est commune, sinous les voyons tous les jours ; ainsi le Souci a perdu plus que jamaisson crédit, quelqu’illustre qu’il soit, parce qu’il est trop connu,& qu’il nous laisse jouir de sa présence plus qu’aucune fleur.Disons la vérité, & ne dissimulons point son défaut : c’est lamauvaise odeur qui le perd de réputation, & qui fait mépriser sabeauté. En effet, il sent si mauvais, qu’il infecte même la main qui letouche. XIX. DE LA FLEUR DE GRENADE. CE qui donne de la réputation à cette fleur, & qui la met au rangdes plus belles, c’est le rouge éclatant, & le précieux vermillondont elle est toute pénétrée, toute rayonnante & toute enflammée.En effet, à la regarder d’un peu loin, ne la prendriez-vous pas pour unpetit globe de feu, plutôt que pour une fleur ? si le vert qui, dufeuillage qui l’environne, qui rehausse merveilleusement son éclat,& qui la conserve dans sa fraîcheur, ne vous obligeoit de direqu’elle n’a rien du feu que la couleur ; mais qu’elle est un véritableescarboucle animé, qui brille sans brûler & sans éblouir. Maisconsidérons de près sa matière extraordinaire & la forme touteparticulière que la nature lui a donnée. Vous voyez qu’elle estcomposée comme de deux pièces ; que la plus basse par où elle tient àson rameau, est d’une espèce d’écorce tendre, & néanmoinspresqu’aussi solide que celle qui couvre son fruit. N’est-il pas vraiaussi que sa figure est tout à fait semblable à un petit gobelet decorail, à la bordure dentelée en rond de six ou sept pièces ? Voyezcomme en haut, & du dedans de cette bordure, s’élèvent quatre oucinq feuilles extrêmement déliés & dépliées fort négligemment, quientourent une touffe épaisse de petits filets assez courts & nouésau bout par des grains presqu’imperceptibles. Ah ! qu’allez-vous faire ? Et pourquoi voulez-vous arracher cette fleurà son arbrisseau ? Eh ! ne voyez-vous pas qu’en la séparant de sonfeuillage, vous lui feriez perdre non-seulement toute la bonne grâcequ’elle a, mais encore le noble fruit qu’elle porte dans son sein ?Quelle satisfaction en attendez-vous, puisqu’elle n’a point d’odeur ?Enfin prenez garde aux longues épines qu’elle cache sous ses rameaux,de peur que si vous l’enlevez de force, vous ne portiez la peine devotre rapt. XX. DU TOURNESOL. A VOIR le Tournesol, on ne sauroit douter que la nature n’ait prisplaisir à le former sur le modèle du Roi des astres. Il ne faut que leregarder & le nommer, pour connoître qu’il est un soleil représentéen petit : & que, comme il en porte le nom, il en a aussi lestraits, & il en est la vive image. En effet, n’est-il pas couronné de rayons dorés comme lui ? Ne setourne-t-il pas vers lui & avec lui, ainsi que nous l’apprenons deson nom ? Si le soleil est le plus grand & le plus lumineux desastres, le Tournesol n’est-il pas aussi la plus grande, ainsi que laplus élevée des fleurs ? Il décore merveilleusement l’angle d’unbosquet, & semble éclairer les arbrisseaux couverts d’un sombrefeuillage. XXI. DE LA CAMPANELLE ou LISERON. ELLE est semblable, ainsi que son nom nous l’apprend, à une Campanelleou petite clochette, parce qu’elle en a la figure, & qu’elle esttoute d’une pièce, comme jettée au moule : je veux dire qu’elle n’aqu’une seule feuille, tantôt blanche, tantôt violette & retresséeen bas, évasée en haut, si déliée & si délicate, qu’à peine peut-onla toucher sans la flétrir. C’est cette Fleur, dit Pline, sur laquelle la nature (1) fit sonapprentissage & son coup d’essai, avant que d’entreprendre deformer le Lys. C’est pour cela qu’on l’appelle communément Liset ou Liseron, c’est-à-dire, un petit Lys ébauché. Ce qui est remarquable& tout à fait particulier à la Campanelle, c’est que durantplusieurs jours, elle se déplie & s’ouvre tous les matins, &tous les soirs elle se plie & se ferme de telle sorte, qu’on laprendroit pour un long bouton de soie qu’on auroit légérement tordu àdessein. Sa tige est de celles qui rampent par terre, si elles ne sontsoutenues ; mais si elle trouve sur quoi s’appuyer, elle s’élève &s’étend de toutes parts, embrassant avec ses tendons tout ce qu’ellerencontre, & faisant une forêt de feuilles larges & pointues,desquelles elle pare agréablement les cabinets des jardins. (1) Sous le nom de la Nature, nous entendons une sagesse profonde,qui développe avec ordre & selon les justes règles toutes leschoses admirables que nous voyons. XXII. DE LA PIONE ou PIVOINE. APRÈS le Tournesol, il n’est point de fleur plus grande que la Pione.Si elle étoit plus petite, elle seroit sans doute en plus grandeestime. La masse de ses feuilles & la pesanteur de son corps, sontcause qu’on ne lui rend pas tout l’honneur qu’elle mérite ; car il nese peut rien voir de plus pompeux que cette fleur, rien de pluséclatant que sa pourpre, rien de plus superbe que l’appareil de sesbelles feuilles : elles sont rondes & larges, polies &brillantes, & d’un rouge obscur, entassées ensemble, &contournées de telle sorte, qu’il ne se peut rien imaginer de plus beau. Sa figure est presque ronde, sa grosseur passe celle de toutes lesfleurs : elle n’a point d’odeur : sa tige est basse, eu égard à sonépaisseur ; mais aussi elle pousse en rond & en large une forêt degrandes feuilles artistement découpées, & d’un très-beau vert, quireleve admirablement l’éclat du beau rouge de cette fleur. XXIII. DU MUGUET. CETTE fleur est la puînée du printems ; car elle ne peut disputer ledroit d’aînesse à la Violette : elle est si obligeante, que pour nousrécréer de bonne heure par sa présence, & son parfum, qui est sansdoute des plus agréables, à peine attend-t-elle que les neiges soientbien fondues. Elle sort du milieu de deux ou trois longues & largesfeuilles, appuyée sur une tige molle, ronde, onctueuse & creusecomme un tuyau ; & sans attendre qu’elle soit arrivée au dernierpoint de sa hauteur, elle paroît sur l’horison & exhale sesparfums. Ses fleurs sont quelquefois blanches, quelquefois d’un bleumignon, & souvent de couleur de chair, semblables à de petitsflageolets vers le bord, repliées au-dehors & découpées de quatreou cinq pointes. XXIV. DE L’AMARANTHE ou PASSE-VELOURS. L’AMARANTHE est une fleur dont la progression est bien différente decelle des autres fleurs, puisqu’elle n’a ni bouton, ni feuilles, nifigure déterminée. Elle est plutôt un panache vivant, un tissu d’uneinfinité de filamens de pourpre, si éclatant & si poliment unis,qu’on la prendroit pour une pièce de velours cramoisi, plutôt que pourune plante : elle passe même le velours, tant par la vivacité de sacouleur, que par le lustre de ses filets : aussi l’appelle-t-on pourcela Passe-Velours. XXV. DE L’AMBRETTE. CETTE fleur est toute semblable à celle du chardon & del’artichaut, mais beaucoup plus petite. Avant que de s’épanouir, elleest enfermée dans un petit peloton écaillé & raboteux, d’un vertcendré, se frayant ensuite un passage à travers le noeud supérieur deson enveloppe : elle pousse des filamens d’un gris de lin blanchâtre,aussi déliés qu’un cheveu, qu’elle distribue en rond, comme autant derayons dont elle se fait une espèce de couronne odoriférante. Cettefleur, à la vérité, n’a rien qui flatte beaucoup ; mais son odeur estcharmante & si approchante de celle de l’ambre gris, que c’est pourcela qu’elle porte le nom d’Ambrette. XXVI. DE LA PENSÉE. LA PENSÉE est sans doute soeur germaine de la Violette, du moins ena-t-elle tous les traits & toute la taille ; il seroit mêmeimpossible de les discerner, si la nature ne leur avoit donné unequalité & une couleur différentes. La Violette a reçu en partageune odeur suave & bienfaisante. La Pensée, au contraire, a étéprivée de cet avantage ; mais celle-ci est bien mieux parée ; car outrela pourpre, qui fait tout l’ornement de sa soeur, elle a de l’or,de l’argent & de la broderie dans son sein, & tout cela sijoliment ajusté, qu’il ne se peut rien voir de plus agréable. XXVII. DE LA GRENADILLE. CETTE fleur, qui est venue du Nouveau Monde en France, représente parsa figure presque tous les instruments de la Passion de Notre Seigneur.Le tour de ses feuilles pointues ressemble à sa couronne : au milieuparoît comme un petit pilier, & sur ce pilier une espèce d’éponge :on y trouve aussi les trois clous & la lance : sa blancheur enfin,rayée de filets rouges, fait voir l’innocence du Sauveur déchiré decoups de fouets. XXVIII. DE L’AUBE-ÉPINE. SA fleur est blanche, presque ronde, de la grosseur d’un pois chiche,parée en dedans de petits filets, noués & peints au sommet d’un peude rouge. On n’en voit jamais naître une toute seule, mais plusieursrassemblées en bouquets : elles sont si unies, qu’elles se touchent,& si également élevées, que l’une ne surpasse pas l’autre enhauteur. La blancheur de ses fleurs ainsi arrangées, rehaussée par lebeau vert de leurs petites feuilles ciselées en diverses pointes, sontun objet tout à fait diverstissant & très-agréable à la vue. XXIX. DU BLUET. IL ne faut que prononcer le nom de cette fleur, pour apprendre dequelle couleur elle est, & il ne faut que jetter les yeux dessuspour avouer qu’il n’est point de plus beau bleu que le sien.Quoiqu’elle ne soit guères large, sa tige est presque aussi haute quecelle de l’épi de blé. Sa figure est très-jolie : on diroit que c’estune petite étoile, dont les feuilles déliées & artistementdécoupées, sont les rayons. Elle n’a point d’odeur, mais aussi l’éclatde sa couleur est incomparable ; & si elle étoit cultivée, elleoccuperoit sans doute une place distinguée parmi les illustres fleursdes parterres. XXX. DE LA HYACINTHE. CETTE fleur est fort estimée des Curieux : elle a presque toute lafigure de la Tubéreuse, & ressemble assez à un petit tuyau qui,venant à s’élargir en rond & à se replier au-dehors, se découpe enfeuilles comme un petit Lys. La même tige en porte plusieurs,non-seulement à sa cime, mais encore dans toute sa longueur, soit àcôté, soit dans sa circonférence. L’odeur de cette fleur est très-douce: on en voit de toutes sortes de couleurs, de blanches, de bleues, decouleur de rose, de lilas, &c. Les doubles ont été si recherchées,que des Curieux, en France, les ont payés jusqu’à sept & huit censlivres l’oignon. XXXI. DE LA JONQUILLE. LA JONQUILLE est un peu plus grande que la Violette double : elle esttaillée comme le Narcisse, élevée comme la Tulipe, odorante commel’Œillet : que dis-je, il n’est Œillet, ni Rose, ni mille autres Fleursdont l’odeur puisse entrer en comparaison avec la sienne. Je connois, belle Jonquille, à votre mine pâle & à votre têtebaissée, que vous êtes un peu fâchée contre moi, de ce que votre élogeest plus court & plus négligé que celui des autres, & de ce queje vous ai mise ici toute la dernière des Fleurs, vous qui êtes une desplus estimées ; & je ne sais pas ce que vous feriez pour metémoigner votre ressentiment, si vous étiez armée d’épines : mais, envérité, votre colère n’est pas juste, & vous interprêtez mal mapensée. Quoi ! ne voyez-vous pas que dans le dessein que j’ai de vous honorer,je ne pouvois mieux réussir qu’en vous mettant la dernière, puisquepar-là j’ai voulu faire entendre à toute la terre, que vous n’alliezaprès toutes que parce que vous seule avez recueilli tout ce que cellesqui ont passé devant vous ont de plus rare & de plus charmant,& que pour voir un abrégé de toutes leurs plus excellentesqualités, il ne faut que vous regarder & vous baiser ! Êtes-vousmaintenant contente ? * * * LE JEU DU PIED DE BOEUF QUI veut perdre n'a qu'à jouer : cependant tout le mondejoue ; l'exemple ne peut corriger ce défaut : chacun va échouer aurnême écueil. Mais il faut faire une distinction entre les Jeux de laVille & ceux de la Campagne ; ceux-ci paroissent plus simples &plus divertissans que les premiers, qui sont beaucoup plus dangéreux :si quelqu'un peut douter de ce fait, je le prie de m'écouter. Aptes toutes les fatigues extrêmes que j'essuyai dans les voyages quej'ai faits avec M. le Marquis de . . . . tant par terre que par mer,pendant la dernière guerre , & les dangers que nous courûmesensemble pour le service du Roi, nous eûmes le bonheur, en traversantla Suède, pour revenir en France, d'aller loger dans un très-beauChâteau, où nous trouvâmes un Hôte charmant & une aimable Hôtesse,tous deux recommandables & par leurs vertus & par leurs rangsillustres : ils avoient trois jeunes Demoifelles qu'on auroit pucomparer à des Nymphes, tant par l'éclat de leur beauté, que par celuide leur esprit. Nous séjournâmes trois jours dans ce Château, tout yrespiroit une joie innocente, la gaieté y régnoit & présidoitjusqu'aux Jeux des Enfans ; de sorte qu'il n''étoit pas possible depouvoir s'y ennuyer un seul instant : enfin cet asyle charmantparoissoit être préparé par les Dieux pour être le séjour de lafélicité. Telle étoit la disposition des esprits, lorsqu'au milieu de diversbadinages, le Marquis de . . . . proposa le Jeu du Pied-de-Boeuf, un deces Jeux où l'on donne des Gages, & dont tout l'art ne consistequ'à compter jusqu'à neuf. On sait que ce Jeu n'est pas nouveau ; sonorigine est cependant fort douteuse : il y a des Auteurs qui pensentqu'il vient des anciens Gaulois, & que c'est un bel Esprit qui enfit la découverte. Quoiqu'il en soit, le Marquis de . . . . proposa ceJeu avec malice, car ils jouoient avant à frapper sur les doigts : ceJeu n'intéressoit pas beaucoup, puisqu'il ne conduisoit à rien ; maisles gages sont bons quelquefois, on peut par leur moyen attraperquelqu'aubaine - c'étoit le deffein que le Marquis de . . . . seproposoit. Les trois Nymphes avec lesquelles il badinoit, étoient troisSoeurs à peu prés du même âge, elles pouvoient compter tout au plus undemi-siècle entr'elles : quoi de plus capable d'inspirer les plaisirs. Le Jeu du Pied-de-Boeuf eut donc la préférence ; les mains l'une furl'autre, allant de bas en haut, dessus & dessous, & marchant encadence, chacun vouloit se placer comme il faut pour attraper quelquesmains paresseuses : lorsque quelqu'une se laissoit prendre, on larachetoit en donnant un gage, puis â son tour elle prenoit. Enfin, â force de payer, les poches se vidèrent ; il falloir biensonger à racheter toutes les Bagues & les Etuis qui étoientengagés. Comme je ne veux pas être prolixe, je passerai les faitsétrangers à l'Histoire que je me propose de raconter : ainsi, pourabréger, le Lecteur apprendra que des trois Soeurs, l'une s'appelle Émilie ; il faut la voir pour la connoître : tout ce que je puis en dire , c'est qu'elle pourroit être appellée par les Poëtes la Reine de Cythère, Flore ou Iris.En effet, sa taille & sa démarche étoient très nobles : le feud'Appollon & la pudeur de Minerve faisoient dans ses yeux unaimable mélange : les grâces & la décence avoient dessiné &orné sa bouche : son sourire paroissoit être la flèche la plus fubtilede l'Amour ; & il sembloit que ce Dieu prenoit plaisir à faire sontrône de sa gorge naissante, lorsqu'elle en laissoit par hasardentrevoir l'éclat ; ce qui faisoit une illusion très-agréable aux sens. La Bague de cette beauté étant venue pour le Gage que l'on touchoit, onordonna pour la lui rendre, qu'elle se laisseroit embrasser deux fois ;mais Émilie répondit qu'elle n'en feroit rien : sur ce refus, l'ondélibéra que c'étoit un crime d'avoir osé désobéir, qu'il falloitabsolument le punir d'une façon même exemplaire. Pour faire honneur au Marquis de . . . . on dit qu'il falloit déposerla Bague entre ses mains, pour la garder jusqu'à ce qu'il eût embraffédeux fois cette Nymphe. Qui pourra dire maintenant que ces Jeux deCampagne, où tout paroît riant , ne sont que de pures bagatelles ?Émilie parut dans le premier moment confuse, inquiète & interdite ;elle prend fièrement son parti, en déclarant que sa Bague resteralong-tems entre les mains du Marquis de . . . . s'il faut, pour laretirer, se soumettre à ce jugement. Quelqu'équivoque que soit assez ordinairement le procédé du beau Sexe,on ne peut douter alors de la pudeur & de la sincérité de lacharmante Émilie. D'ailleurs, sur ce fait chacun pense à sa guise,& joue en ce monde un rôle différent : diversité est une devise quia toujours plû. Abandonner la Bague, c'étoit un grand projet, Émilie l'avoit formé, lecroyant praticable ; il n'y avoit cependant guères d'apparence qu'ilpût avoir aucun effet, l'obstacle étoit trop grand à surmonter. Émiliese trouvoit d'un côté combattue par la crainte de perdre un Bijou quilui étoit d'autant plus cher, qu'il venoit d'un Papa bien chéri ; &de l'autre, par la pudeur, qui lui inspiroit de refuser les deuxBaifers que le Marquis de . . . . . exigeait d'elle. Cependant cetteNymphe ne pouvoit se résoudre à laisser ce Bijou en séquestre ; ilfallait donc de toute nécessité qu'elle se soumît au jugement qui avoirété prononcé contre elle. Que cette beauté étoit à plaindre ! Lorfqu'elle fit paroître saperplexité sur ce qu'elle ferait, on s'apperçut que son teints'altérait beaucoup, par l'embarras & le trouble qui agitoient soname. Malgré tout cela, le Marquis de .... alloit souvent lui demandersi l'heure étoit propice : elle lui répondoit toujours que non, ouqu'elle vouloit avoir sa Bague pour rien. Penfez-vous donc, belleÉmilie, reprit le Marquis de . . : . avec un air fort tranquille, queje puisse le faire ? L'aprés-souper fut chois pour terminer l'affaire : tout vient en sontems, & le tems a des ailes. Aussitôt que le souper fut fini, cefut alors des craintes bien réelles pour Émilie. En vain cherchoit-elletoujours les moyens de se défendre, puisqu'il ne lui étoit pas possiblede pouvoir se sousraire à son jugement : elle en était d'autant plusallarmée, que toute la Compagnie, étoit spectatrice du Jeu duPied-de-Boeuf ; mais lorsque quelqu'un entra pour quelque compte qu'ilavoit à rendre, la Compagnie changea d'objet ; & dans l'instantqu'on s'occupait à parler d'affaires sérieuses , Émilie crut profiterde ce moment pour se sauver : mais ne le pouvant pas, elle dit auMarquis de . . . . avec un ton de modestie qui auroit fait effet sur lemarbre : Hélas ! laissez-moi, je vous prie, & dites que vous l'avez fait. La belle Émilie ne fut point obéie, le Marquis de . . . . lui donnabien à propos les deux baisers qu'il exigeoit d'elle, tant il est vraique les Hommes sont des plus entreprenans , lorsqu'il s'agit desatisfaire leurs plaisirs, qu'il n'y a point d'obstacles qu'ils nesfurmontent pour y parvenir. Enfin, après que le Marquis de..... se fut satisfait, il adressa à la charmante Émilie les Vers ci-après : Belle Émilie . . . eh bien ! jugez-moi , j'y confens : Vous exigez que je publie Ce que je n'ai pas fait, la chose est inouie : L'on ne peut rien conclure assurément. Quoique sur deux Baisers j'aie été difficile, Je suis, je le prétends, complaisant à l'excès : Mais pour prouver de plus combien je suis docile, J'accepterai de vous en donner mille, En promettant de n'en parler jamais. FIN. |