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GROULT, Edmond (1840-19..) : Del'amélioration de la condition des femmes musulmanes en Algérie et enTunisie....- Lisieux : Imp. typ. et lith. Emile Morière, 1896.- 7 p. ; 20 cm.
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (01.IV.2017)
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: norm br NC)


DE L'AMÉLIORATION DE LA CONDITION

DES
FEMMES MUSULMANES
En Algérie et en Tunisie

   Communication auCongrès de Carthage de l'Association
française pourl'avancement desSciences

AVRIL 1896

de M. EDMOND GROULT, fondateur des Musées
Cantonaux, à LISIEUX (Calvados)

~*~

MESSIEURS, (1)

En prenant la parole dans cette enceinte, je tiens, tout d'abord àadresser un fraternel salut à mes amis musulmans. Ce serait une erreurde penser qu'ils sont réfractaires aux avantages de la science et auxbienfaits du progrès. Ils applaudissent tous aux belles paroles duProphète, qu'il serait bon d'inscrire, avec le texte arabe en regard,sur le frontispice de tous les monuments publics des contréesmusulmanes soumises à notre domination. C'est sous le patronage de cesparoles que je crois à propos de me placer.

Le Prophète a dit :

« Enseignez la science ; qui l'enseigne, craint Dieu ; qui en parle,loue Dieu ; qui dispute pour elle, combat pour Dieu; qui la répand,distribue l'aumône ; qui la possède, devient un objet de vénération etde bienveillance. La science a sauvé de l'erreur et du péché ; elleéclaire le chemin du Paradis ; elle est notre compagne dans le voyage ;notre confident dans le désert, notre société dans la solitude ; elle anous guide à travers les plaisirs et les peines de la vie ; nous sertde parure auprès de nos amis et de bouclier contre l'ennemi ; c'estpour elle que le Tout-Puissant élève les hommes qu'il a destinés àprononcer sur ce qui est vrai, sur ce qui est bon. Les anges briguentleur amitié et les couvrent de leurs ailes. Les monuments de ces hommessont les seuls qui restent, car leurs hauts-faits servent de modèle etsont répétés par de grandes âmes qui les imitent. La science est leremède aux infirmités de l'ignorance, un fanal consolateur dans la nuitde l'injustice. L'étude des lettres vaut le jeûne, leur enseignementvaut la prière ; à un cœur noble, elles inspirent des sentiments plusélevés ; elles corrigent et humanisent les pervers. »

Lascience en effet, Messieurs, est le terrain sacré sur lequel laréconciliation peut se faire entre Arabes et Français. C'est cetteréconciliation que je prépare en propageant dans notre belle colonieafricaine les Musées Cantonaux (2), ces Musées de nouvelle espèce, à lafois utilitaires et patriotiques, au sujet desquels les Conseilsgénéraux de 48 départements français, y compris les trois départementsde l'Algérie, m'ont voté des félicitations.

Le but de l'institution nouvelles été admirablement compris parl'illustre Abd-El-Nader-El-Hassani, dont il convient d'honorer lamémoire. On sait, en effet, que ce héros, après avoir vaillammentcombattu contre la France, est devenu l'ami de notre pays et leprotecteur des chrétiens d'Orient. Voici un extrait de la lettre qu'ilm'a fait l'honneur de m'écrire de Damas, à la date du 1er novembre1881, en souhaitant la bienvenue à mon œuvre : « Les hommes sont lesenfants de Dieu, et les plus aimés par lui sont ceux qui font du bien àleurs frères. » - C'est le but précis de l'institution.

Vous ne serez donc pas surpris d'apprendre, Messieurs, qu'Arabes etFrançais fraternisent de la façon la plus cordiale dans mes petitsMusées. Je n'en citerai pour exemple que celui de Sidi-Bel-Abbès, queje suis heureux de signaler comme un modèle.

Il importe de multiplier dans tous les centres de l'Algérie et de laTunisie, les Musées Cantonaux, les Bibliothèques, les Sociétésd'instruction et d'éducation populaire, les Instituts Cantonaux (3),les Comices Agricoles, toutes les Sociétés en un mot, dans lesquellesArabes et Français admis sur le pied d'égalité, apprennent à se mieuxconnaître, à s'estimer davantage et à s'entr'aider les uns les autres,comme doivent le faire les citoyens d'un même pays. Voilà comment nousarriverons à la pacification définitive de notre belle colonie. Quelleénorme puissance la France acquiérerait si elle parvenait à conclure mealliance (4) avec tous les peuples de l'Islam.

J'aborde enfin le sujet pour lequel je me suis inscrit : C'est encore un moyen d'arriver à la fusion des races.

Quand on débarque eu Algérie ou en Tunisie, on est frappé del'élégance, de la noblesse des représentants de la race arabe, même lesplus pauvres. Ils s'avancent fièrement drapés dans leurs manteaux,comme les anciens Romains dans leurs toges. Mais on est saisi de pitiéquand on aperçoit les femmes musulmanes, cheminant seules ou pargroupes de deux ou trois, couvertes de vêtements disgracieux, le visagemasqué d'un voile épais. Ce voile est percé d'un trou pour qu'ellespuissent guider leurs pas. On ne sait si elles sont belles ou laides,jeunes ou vieilles. Quand elles sont hors de leur domicile, aucunhomme, fût-ce leur père, leur frère ou leur mari, n'a le droit de leuradresser la parole. Elles-mêmes, qui peuvent reconnaître ceux quipassent près d'elles, ne peuvent leur parler, même quand elles auraientà leur dire des choses pouvant les intéresser au plus haut point, commedes nouvelles d'un enfant malade. Elles passent comme des ombres, et cesont en effet plutôt des ombres que des femmes. Elles n'ont qu'unepersonnalité incomplète, qu'une âme rudimentaire.

Instruments de plaisir dans les maisons riches, bêtes de somme dans lesgourbis ou sous la tente, elles sont considérées comme des êtresinférieurs tenant le milieu entre les animaux et l'homme.

Au sérail, l'existence des femmes s'écoule triste et décolorée. Privéespour la plupart de toute culture intellectuelle ; elles n'ont qu'uneexistence végétative, qui peut avoir son charme quand elles tombent aupouvoir d'un maitre bienveillant, mais dont, à coup sûr, nos Françaisesne se contenteraient pas. Il s'éveille d'ailleurs trop souvent deterribles haines et d'épouvantables jalousies entre des rivalesobligées d'habiter sons le même toit ou de partager la même tente.

Les femmes préparent la nourriture de leur mari ; mais elles ne mangentpas à sa table et n'ont pas le droit de se montrer quand il reçoit.Pour elles, il n'y a jamais ni soirées, ni bals, ni théâtres, niconcerts. Elles n'ont même pas la consolation des cérémoniesreligieuses. Seules les vieilles femmes se traînent parfois à lamosquée, où l'on tolère leur présence. Elles s'accroupissent dans uncoin obscur et les croyants passent à côté d'elles sans leur témoignerplus d'égards qu'à un paquet de chiffons.

Le mépris de la femme est en effet un des traits malheureux de lacivilisation arabe. Est-ce une des conséquences de la polygamie ?Peut-être, dans une certaine mesure. Mais il faut surtout y voirl'effet d'un orgueil prodigieux d'hommes qui se croient des êtressupérieurs et d'essence particulière parce qu'ils sont physiquement lesplus forts.

La polygamie est au surplus beaucoup moins fréquente parmi lesMusulmans qu'on ne l'imagine ordinairement en France. Elle n'est guèrepratiquée que parmi les gens très riches des villes ou chez les chefsdes grandes tentes. Elle n'est point commandée, mais seulement toléréepar le Koran. Les Kabyles et les Berbères, quoique musulmans, sontmonogames. On peut d'ailleurs affirmer que ce vice d'organisation de lafamille musulmane est en voie de décroissance.

Il n'y a donc pas un abîme infranchissable entre la race arabe et larace française. C'est à opérer leur progressif rapprochement quedoivent tendre tous nos efforts.

En ce qui concerne particulièrement l'amélioration du sort des femmesmusulmanes, diverses mesures législatives commencent à là préparer.Parmi les principales, il convient de citer le Sénatus-Consulte du 22avril 1863, complété par le Décret impérial du 9 mai 1868, ayant pourbut de remplacer la propriété collective de la tribu par la propriétéindividuelle, seule compatible avec la famille moderne. Or, tout ce quitend à émanciper l'individu, tend aussi à émanciper la femme. Ilconvient de citer, en outre, une loi de 1882, destinée à donner auxindigènes des deux sexes un nom patronymique et des prénoms qui soientcomme la marque distinctive de leurs personnes. Cette innovation a étéfort bien accueillie par les intéressés.

On pourrait, en outre, accorder certaines faveurs, même la plus grandede toutes, les droits politiques, à ceux qui viendraient spontanémentcontracter mariage devant un officier d'état civil français. Lesfemmes, ainsi placées sous la protection de nos lois, auraient droit àtons les avantages de notre législation. Il n'y aurait, sans doute,aucun inconvénient à les étendre également aux enfants auxquels ellespourraient donner le jour.

Il faut toutefois se garder d'imposer cette réforme par voied'autorité. Il importe d'éviter de froisser un peuple fier, qui n'estque trop porté déjà à la révolte. C'est par la persuasion qu'il fautagir. Il convient d'encourager les bonnes relations de voisinage entreArabes et Français. Que nos colons ne craignent pas d'emmener dansleurs maisons ceux de leurs voisins de l'autre race avec lesquels ilsauront noué de cordiales sympathies. Il n'est pas possible que ceux-cine comprennent la supériorité intellectuelle et morale des femmesfrançaises sur leurs femmes à eux. Quand ils verront qu'elles tiennentle ménage avec un soin et une propreté inconnus de leurs épouses ;quand ils les entendront se mêler à la conversation avec la grâce etl'esprit qui leur sont particuliers, ils comprendront combien il estpréférable, même dans leur intérêt personnel, que la femme, au lieud'être l'esclave de son mari, en soit la confidente, l'intelligente etaimable associée, dans les bons comme dans les mauvais jours.

On peut attendre beaucoup de l'instruction et de l'éducation donnéesdans nos établissements publics aux petites Musulmanes. Elles sont fortintelligentes et profitent admirablement, pour la plupart, des leçonsqu'elles reçoivent.

Sans chercher à exercer aucune influence sur leurs croyancesreligieuses, on les y imprègne de sentiments de retenue et de modestiequi sont le charme de leur sexe, on leur fournit la sentinelleinvisible qui, plus tard, les protégera dans la vie et en fera, avecune plus haute idée des devoirs du mariage, des épouses soumises et derespectables mères de famille. Alors les maris musulmans ne seront plusobligés, comme ils y sont trop souvent réduits aujourd'hui, à recourirau bâton pour corriger leurs femmes et ils n'auront plus à craindre lepoison que celles-ci leur versent parfois d'une main plus inconscienteque criminelle. Il fait nuit dans la conscience fruste des. Musulmanes; il est temps qu'on songe à y porter la lumière.

Le costume a son importance clans la question de l'amélioration du sortdes femmes musulmanes. Le voile, dont elles se couvrent comme d'unsuaire, est la livrée de l'esclavage : il faut les en affranchir. Cen'est pas le Koran, mais seulement la coutume d'une époque barbare, quiles oblige à le porter. Déjà un certain nombre de femmes musulmanes ensont exemptes ; elles n'en portent pas dans certaines tribus du désert; les femmes berbères n'en ont pas ; celles de Constantinoplecommencent à adopter la mode européenne ; leur exemple tend à sepropager dans notre belle colonie.

Les maisons arabes elles-mêmes ne tarderont pas à se transformer. Debelles fenêtres se perceront çà et là à la place des petits soupirauxgarnis de barreaux de fer, qui en font actuellement comme autant deprisons.

N'oublions pas que l'Arabie préislamique a donné le jour à des femmesdont l'histoire a inscrit les noms sur la liste des sages del'antiquité. Il dépend de nous de rendre à celles d'aujourd'hui legénie de leurs glorieuses ancêtres en leur restituant leurs libertésdes anciens âges.

Je suis heureux au surplus de constater qu'une sorte de Renaissance seproduit en ce moment dans le monde de l'Islam et que l'honneur enrevient aux femmes musulmanes. Je citerai comme un signe du temps unlivre remarquable, publié récemment à Paris chez l'éditeur AlphonseLemerre, sous ce titre : « Les Musulmanes contemporaines»,  par Mme Alihé, fille de S. E. Djevdet-Pacha, ex-ministre de lajustice et des cultes de Constantinople. Ce volume, écrit avec beaucoupd'esprit et de bonhomie, renverse nombre de préjugés. Il contientnotamment un parallèle fort intéressant entre la religion islamique etla religion chrétienne, d'où jaillit comme une lueur d'aurore.

Ce sera l'éternel honneur de la France d'avoir réconcilié les deuxraces. Elle y parviendra en travaillant avec persévérance, quoique avecprudence, à l'amélioration de la condition des femmes musulmanes enAlgérie et en Tunisie. Il faudra surtout les encourager à y collaborerelles-mêmes, comme le font en ce moment leurs sœurs de Constantinople:La protection des faibles a toujours été dans le génie chevaleresque dela France : c'est la plus belle de ses gloires. Elle ne faillira pas àsa mission. J'ose en terminant, en exprimer l'espoir, en formuler levœu.

(Traduction et reproduction autorisées)


NOTES :
(1) L'auteur n'ayant pu se rendre personnellement à ceCongrès, s'y est fait représenter par un de ses honorables Collègues.
(2) Envoi gratuit de renseignements sur l'organisation et lefonctionnement de ces musées, à quiconque en fait la demande à l'auteur.
(3) J'ai eu l'occasion de dire, je suis heureux de répéter que leprogramme de ces excellentes Sociétés a été tracé d'une façonmagistrale par le très distingué et sympathique Directeur de labibliothèque municipale d'Alger, M. Léon Dujardin. Voir le Bulletin demai 1894, de la Ligue de l'Enseignement (14, rue J,L-Rousseau, Paris).
(4) Je signale comme un des promoteurs de cette idée, mon respectémaître et ami, M. Mismer, ancien Directeur de la Mission Egyptienne enFrance, auteur des Soirées de Constantinople et des Souvenirs du monde musulman(Librairie Hachette, Paris). C'est le premier Européen qui ait démontrépar le texte du Koran et les Hadiths du Prophète, une réconciliationpossible de la foi musulmane avec la science moderne.

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LISIEUX
Imprimerie Typ. et Lith. Émile Morière, rue du Bouteiller, 20-22.-24
1896
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