Corps
[Henri IV, roi de France] : Lettresd'Henry IV à Corysande : 1585-1597. - Paris : Maximilien Vox, 1945. -56 p. ; 17 cm. - (Brinsde plume ; 9). Saisie dutexte S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (12.VI.2015) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire d'unecollection privée. Lettres d’ HENRY IV à CORYSANDE (1585-1597) ~ * ~~ * ~7décembre 1585 IL n’est rien de si vray qu’ils m’apprestent tout ce qu’ils peuvent.Ils pensoient que j’allasse de Grenade vous voir ; il y avoit au moulinde Montgaillart cinquante arquebusiers qui prirent mon laquais et leretinrent jusques à ce qu’ils eussent sceu que j’estois party deGrenade pour venir icy. Ne craignés rien, mon ame. Quand ceste arméequi est à Nogaro m’aura monstré son dessein, je vous iray voir etpasseray sur les ailes d’Amour, hors de la cognoissance de cesmiserables terriens, aprés avoir pourveu, avec l’aide de Dieu, à ce quece vieux renard n’execute son dessein. Il est venu un homme, de la part de la Dame aux chameaux, me demanderpasse-port pour passer cinq cens tonneaux de vin, sans payer taxe, poursa bouche ; et ainsy est escript en une patente. C’est se desclarerivroignesse en parchemin. De peur qu’elle ne tombast de si hault que ledos de ses bestes, je le luy ay refusé. C’est estre gargouille à touteoultrance ; la Royne de Tarvasset n’en fit jamais tant. Si je mecroyois, toute ceste feuille seroit remplye de bons contes ; mais lacrainte que j’ay que ceulx de Saint-Sever y participassent me faitfinir, en vous suppliant croire que je vous seray fidele jusques autombeau. Sur ceste verité, ma chere maistresse, je vous baise un million de foisles mains. Ce 7e, à dix heures du soir. 9décembre 1585 Mon ame, ce lacquais qui me revint hyer fut prins prés Montgaillard.Mené à M. de Pouyanne, qui luy demanda s’il n’avoit point de lettre, illuy dit que ouy : une que vous m’escriviés. Il la print et l’ouvrit, etla luy rendit après. Le sieur du Plessis est arrivé et le reste de matroupe, de Nerac. Je vous iray voir de façon que je ne craindray lagarnison de Saint Sever. Il y a encore un homme qui vient de l’arméeestrangere à Casteljalous, qui arrivera ce matin. Je vous porteraytoutes nouvelles, et le pouvoir de faire vuider les forts. Dimanche il se fit prés Moneurt une jolie charge qui est certes digned’être sceuë. Le gouverneur, avec trois cuiraces et dix harquebusiers àcheval, rencontra le lieutenant de la Brunetiere, gouverneur du Masd’Agenois, qui en avoit douze et aultant d’arquebusiers tous à cheval.Le nostre, se voyant foible et comme perdu, dict à ses compagnons : «Il les fault tuer ou perir ». Il les charge de façon qu’il tue le chefet deux gendarmes et en prend deux prisonniers, les met à vauderoute,gagne cinq grands chevaulx et tous ceulx des arquebusiers et n’eutqu’un blessé des siens. Je fais anuit force depesches. Demain à midyelles partiront, et moy aussy pour vous aller manger les mains.Bonjour, mon souverain bien. Aimés Petiot. 9e décembre. Faites tenir, s’il vous plaist, la lettre à Tach. Je luy mande de setreuver chez vous ; j’ai affaire à luy. Il ne se parle point du mareschal. 25 mai1586 La maladie commence tellement à prendre parmy nos troupes, qu’ellenous fera plus tost quicter la campaigne que les ennemiz. Je suis surle poinct de vous recouvrer un cheval qui va l’entrepas, le plus beauque vous vistes jamais et le meilleur, force panache d’esgrette.Bonyere est allé à Poictiers pour acheter des cordes de luc pour vous.Il sera à ce soir de retour. J’eus hier des nouvelles de la Court ; M.de Guise y est encore. Le prince de Parme ayant assiegé une ville, il aesté contrainct par les Anglois de la quicter. Le combat a esté grand.Il est mort deux mille cinq cens hommes : quinze cens Espagnolsnaturels, d’où il y a vingt et deux capitaines ; le reste, des Anglois. Je ne me porte gueres bien et crains fort de tomber malade. Lemareschal de Biron fait ce qu’il peut pour assembler des forces. Il nenous fera quicter la campagne, s’il ne luy en vient de France ouGascogne. Mon cœur, souvenés-vous toujours de Petiot. Certes, safidélité est un miracle. Il vous souhaite mille fois le jour dans cesallées de Lyranuse ; vous pouvés penser s’il ne vous y baille pasRosambeau pour vous guarder d’ennuyer. Certes, il faudroit que le lieufust bien sauvage, où vous vous ennuyeriés ensemble. Ceulx que nouscherchions hier s’en sont allez ; ils se sont encore eschapez. A Dieu, mon cœur, je te baise un million de fois les mains. Aymés-moyplus que vous-mesmes. Ce XXVe, de Lusignan. 17 juin1586 Il vient d’arriver un de vos laquais qui a esté prisonnier dix joursau Brouage. L’on luy a retenu vostre lettre et de ma sœur. Toutes foiscraignant la façon dont Saint Luc s’est asseuré que je m’enressentirois, il me les renvoye par un des siens qui ne doibt arriverque ce soir. Le vaisseau où estoit venu ce porteur part dans une heure,qui me le faict renvoyer, ayant retenu Esprit pour des raisons dontvous oyrés bientost parler. J’eus hier des nouvelles d’Allemagne ; notre armée sera, le dernierjour de juillet à l’ancien calcul, à la place montre qui est en France.La charge de cheval de blé, en Champagne et en Bourgogne, vaultcinquante livres ; à Paris, trente. C’est pitié de voir comme le peuplemeurt de faim. Si avés besoing d’un cheval de coche, il y en a un dansma troupe tout comme les vostres, fort beau. J’arrivis arsoir de Maran, où j’etois allé pour pourvoir à la garded’iceluy. Ha ! que je vous y souhaitay ! C’est le lieu le plus selonvostre humeur que j’aye jamais veu. Pour ce seul respect suis-je aprésà l’eschanger. C’est une isle renfermée de marais boscajeux où, de centen cent pas, il y a des canaulx pour aller chercher le bois par bateau.L’eau claire, peu courante ; les canaulx, de toutes largeurs ; lesbateaux, de toutes grandeurs. Parmi ces deserts mille jardins où l’onne va que par bateau. L’isle a deux lieues de tour, ainsin environnée ;passe une riviere par le pied du chasteau, au milieu du bourg qui estaussi logeable que Pau. Peu de maisons qui n’entre de sa porte dans sonpetit bateau. Ceste riviere s’estend en deux bras, qui portent nonseulement grands bateaux, mais les navires de cinquante tonneaux yviennent. Il n’y a que deux lieuës jusques à la mer. Certes, c’est uncanal, non une riviere. Contremont vont les grands bateaux jusques àNiort, où il y a douze lieues ; infinis moulins et mestairies insulées; tant de sortes d’oiseaux qui chantent, de toute sorte de ceulx demer. Je vous en envoye des plumes. De poisson, c’est une monstruositéque la quantité, la grandeur et le prix ; une grande carpe trois sols,et cinq un brochet. C’est un lieu de grand trafic et tout par bateaux.La terre très pleine de bleds et très beaux. L’on y peut estreplaisamment en paix et seurement en guerre. L’on s’y peut resjouir avecce que l’on aime et plaindre une absence. Ha ! qu’il y faict bonchanter ! Je pars jeudy pour aller à Pons, où je seray plus prés de vous, mais jen’y ferai gueres de sejour. Je crois que mes aultres laquais sontmorts, il n’en est revenu nul. Mon ame, tenez-moy en vostre bonne grace ; croyés ma fidelité estreblanche et hors de tache : il n’en fut jamais sa pareille. Si cela vousaporte du contentement, vivés heureuse. Vostre esclave vous adoreviolamment. Je te baise, mon cœur, un million de fois les mains. Cexvij juin. 25 juin1586 Je m’estois acheminé dans ce lieu de Montguyon, pensant faire quelquebel effect sur nos ennemys. Il a faict un temps si enragé qu’il a romputous nos desseins. Je m’en retourne annuict coucher à Barbesieux etdemain à Pons. Que vous me faites plaisir d’aller à Pau ! Ha ! ma chere maistresse,combien achepterois-je m’y pouvoir trouver ! Un tel contentement esthors de prix. Je vous envoye les copies des lettres que la Royned’Angleterre escrivit au Roy et Royne sa mere, sur la paix de la Ligue.Vous y verrés un brave langage et un plaisant style. Mon cœur, je ne la puis faire plus longue, parce que je vais monter àcheval. Bonjour, ma vie. Je te baise un million de fois les mains. Cexxve juin, de Montguyon. 22 mars1587 Plus je voys en avant, et plus il semble que vous taschiés à me faireparoistre combien peu je suis non seulement en vostre bonne grace, maisencores en vostre mémoire. Par ce laquais vous avés escript à vostrefils et non à moy. Si je ne m’en suis rendu digne, j’y ay faict tout ceque j’ay peu. Les ennemis ont prins l’isle de Marans devant mon arrivée ;de façon que je n’ay peu secourir le chasteau, ce que j’y amenois deGascogne n’estant arrivé. Vous oirrés dire bientost que je l’aurayreprins, s’il plaist à Dieu. Croyés que vous n’aurés jamais un plus fidele serviteur que vostreesclave qui vous baise un million de fois les mains. Ce 12e mars. 8décembre 1587 Monglas vient d’arriver. Il me haste plus que les autres, et avec desraisons qui sont fort à craindre et qui ne se doibvent escrire. Il vousseront dites. Il n’y a eu nul combat depuis celuy d’auprés Montargis.Le duc du Mayne s’est retiré à son gouvernement, et monsr d’Aumale chezluy. Paris n’a voulu recevoir les Souisses du Roy, n’y monsr de Guiseaussy, qui s’est presanté au fauxbourg. J’ay l’ame fort traversée et non sans cause. Reguardés si la rençon deNavailles pourroit estre moderée par vostre faveur. Je vous supplie,employés-vous-y, pour l’amour de Rack et de moy. Ce porteur passe parSt Sever, et y repassera au retour. Tenez-moy en vostre bonne gracecomme celuy qui vous sera fidele esclave jusqu’au tombeau. Du Mont, ce viije décembre. J’ay deux petits sangliers privés et deux faons de biche. Mandés-moy siles voulés. 14janvier 1588 Il ne se saulve point de lacquais, ou pour le moins fort peu, qu’ilsne soient desvalisez ou les lettres ouvertes. Il est arrivé sept ouhuict gentils-hommes de ceulx qui estoient à l’armée estrangere quiasseurent (comme est vray, car l’un est M. de Monlouet, frère desRambouillets, qui estoit un des desputez pour traicter) qu’il n’y a pasdix gentils-hommes qui ayent promis de ne porter les armes. M. deBouillon n’a point promis. Bref, il ne s’est rien perdu qui ne serecouvre pour de l’argent. M. du Mayne a faict un acte de quoy il ne sera guere loué. Il a tuéSacremore luy demandant récompense de ses services à coups de poignard.L’on me mande que, ne le voulant contenter, il craignit qu’estantmal-content il ne descouvrist ses segrets, qu’il savoit tous, mesmesl’entreprise contre la personne du Roy, dequoi il estoit chef del’exécution. Dieu les veult vaincre par eux-mesmes, car c’estoit leplus utile serviteur qu’ils eussent. Il fut enterré qu’il n’estoit pasencore mort. Sur ce mot vient d’arriver Morlans et un laquais de mon cousin, qui ontesté desvalisez de lettres et d’habillement. M. de Turenne sera icydemain. Il a prins autour de Figeac dix-huict forts en trois jours. Jeferay peut-estre quelque chose de meilleur bientost s’il plaist à Dieu.Le bruit de ma mort allant à Hajetmau a couru à Paris, et quelquesprescheurs, en leurs sermons, la mettoient pour un des bons-heurs queDieu leur avoit envoyés. A Dieu, mon ame, je vous baise un million de fois les mains. DeMontaulban, ce xive janvier. 22janvier 1588 Depuis que le lacquais de ma sœur partit hyer, il m’est venu advis del’extremité en laquelle est une ville du hault Languedoc nomméeBurgueroles, qui est assiegée par le grand-prieur de Thoulouse, qui estfrere du feu duc de Joyeuse. Les eglises de M. de Montmorency m’ont fort pressé de leur assister demes troupes, et, pour m’y convier, m’ont asseuré que l’ennemy estresolu de donner plustost une bataille que quitter le siege. Mondebvoir et ce mot de bataille m’ont faict promptement resoudre à yaller. Je pars demain avec trois cens chevaulx et deux mille harquebusierspour y aller en diligence, faisant suivre le reste des troupes aprés.Me joignant aux troupes qu’a là M. de Montmorency, nous serons six ousept cents chevaulx et cinq mille hommes de pied. Les ennemys sontmesme nombre. Dieu nous aidera en l’endroict du cadet comme il a faictde l’aisné. Je n’oublieray, par mesme commodité, de parler au comte deQuermaing. Envoyés-moi Licerace. Je vous manderay par luy les extresmes peines où je suis ; je ne sçaycomme je les puis supporter. Croyés que vostre esclave vous sera fidelejusques au tombeau. A Dieu, mon ame. Je vous baise un million de foisles mains. C’est le xxije janvier. 20février 1588 Dieu a beny mon labeur ; j’ay prins Damasan sans perdre qu’un homme.Je monte à cheval pour aller recognoistre le mas d’Agenés ; je ne saissi je l’attaqueray. Mon cousin prend le temps cependant d’aller àNavarrens. Reguardés où il vous semble que le deviés voir, ou avec masœur ou chez vous, car il fait estat d’y passer et de vous voir. Monopinion est que ce doit estre avec ma sœur. Il ira demain, qui estdimanche, coucher à Hagemau. Briquesyeres vous aura dict le desir que j’ay d’estre en vostre bonnegrace ; je continueray toute ma vie en ce desir. Sur cette verité, jebaise, ma chere maistresse, un million de fois vos blanches mains. DeCasteljalous, ce xxe. 23février 1588 Vous ne trouvés point les chemins dangereus pour faire plaisir aumoindre de vos amis ; mais s’il me fault escrire pour me donner ducontentement, les chemins sont trop dangereux. Voilà les tesmoignagesque j’ay de la part que je possede en vostre bonne grace. J’escris la lettre à Meritein que demandés et vous l’envoye touteouverte. Je crois qu’il se mescontentera, mais j’aime mieux vostrebonne grace que la sienne. J’avois bloqué le mas d’Agenés, mais je n’yavois mené l’artillerie, craignant que l’armée du mareschal ne me lafist lever de devant en diligence, le grand-prieur de Toulouse estantjoinct avec l’armée de Languedoc à luy. Je vais monter à cheval avectrois cents chevaulx et donneray jusques à la teste de leur armée. Cesera grand cas si je n’en fais quelque chose. Je finis, croyant certainement que ne me voulés poinct de bien. Il esten vous de m’en donner telle impression qu’il vous plaira. Je vousbaise un million de fois les mains. Ce xxiije febvrier. Ier mars1588 J’ai receu une lettre de vous, ma maistresse, par laquelle vous memandés que ne me voulés mal, mais que vous ne vous pouvés asseurer enchose si mobile que moy. Ce m’a esté un extresme plaisir de sçavoir lepremier ; et vous avés grand tort de demeurer au doubte qu’estes.Quelle action des miennes avés-vous cognu muable ? Je dis pour vostrereguard. Vostre soupson tournoit, et vous pensiés que ce fust moy. J’aydemeuré toujours fixe en l’amour et service que je vous ay voué ; Dieum’en est tesmoing. Vous avés opinion que l’homme de delà est piqué ; aussi est-il, maisc’est de force. Il fait gloire d’avoir atteint la perfection dedissimuler ; je luy rabats ceste opinion tant que je puis. Il ne lefault estre qu’en affaires d’Estat, encores la faut-il bien accompagnerde prudence. Hier, le mareschal et le grand-prieur vinrent nous présenter labataille, sachant bien que j’avois congédié toutes mes troupes ; ce futau haut des vignes, du costé d’Agen. Ils estoient cinq cens chevaulx etprés de trois mille hommes de pied. Après avoir esté cinq heures àmettre leur ordre, qui fut assés confus, ils partirent, resolus de nousjeter dans les fossés de la ville ; ce qu’ils devoient veritablementfaire, car toute leur infanterie vint au combat. Nous les receumes à lamuraille de ma vigne, qui est la plus loin, et nous retirames au pastousjours escarmouchant, jusqu’à cinq cens pas de la ville où estoitnostre gros qui pouvoit estre de trois cens arquebusiers. L’on lesramena de là jusques où ils nous avoient assaillis. C’est la plus furieuse escarmouche que j’aye jamais veue, et du moindreeffect : car il n’y a eu que trois soldats blessez tous de ma garde,dont les deux n’est rien. Il y demeura deux des leurs, dont nous eusmesla despouille, et d’aultres qu’ils retirerent à nostre veue, et forceblessez que nous voyons amener. Mon ame, tenés-moy en vostre bonne grace, c’est ce que je desire leplus au monde. Sur ceste verité, je vous baise un million de fois lesmains. Ce premier mars. 8 mars1588 Dieu sait quel regret ce m’est de partir d’icy sans vous aller baiserles mains ! Certes, mon cœur, j’en suis au grabat. Vous trouverésestrange (et dirés que je ne me suis point trompé) ce que Licerace vousdira. Le Diable est deschainé. Je suis à plaindre et est merveilles que je nesuccombe sous le faix. Si je n’estois huguenot, je me ferois Turc. Ha !Les violentes espreuves par où l’on sonde ma cervelle ! Je ne puisfaillir d’estre bien tost ou fou ou habile homme. Ceste année sera mapierre de touche. C’est un mal bien douloureux que le domestique ! Toutes les gehennesque peut recevoir un esprit sont sans cesse exercées sur le mien. Jedis toutes ensemble. Plaignés-moy, mon ame, et n’y portés point vostreespece de torment. C’est celuy que j’apprehende le plus. Je pars vendredy, et voys à Cleirac. Je retiendray vostre precepte deme taire. Croyés que rien qu’un manquement d’amitié ne me peut fairechanger la resolution que j’ay d’estre éternellement à vous ; nontousjours esclave, mais oui bien fort serf. Mon tout, aimés-moy. Vostrebonne grace est l’appuy de mon esprit au choc des afflictions. Ne merefusés ce soustien. Bon soir, mon ame ; je te baise les pieds un million de fois. De Nerac,ce viije mars, à minuict. 10 mars1588 Pour achever de me peindre, il m’est arrivé l’un des plus extremesmalheurs que je pouvois craindre, qui est la mort subite de monsieur lePrince. Je le plains comme ce qu’il me devoit estre, non comme ce qu’ilm’estoit. Je suis asteure la seule bute où visent toutes les perfidiesde la messe. Ils l’ont empoisonné, les traîtres ! Si est-ce que Dieudemeurera le maistre, et moy, par sa grace, l’executeur. Ce pauvre prince (non de cœur) jeudy, ayant couru la bague, soupa seportant bien. A minuict luy print un vomissement trés violent, qui luydura jusques au matin. Tout le vendredy il demeura au lict. Le soir ilsoupa et, ayant bien dormi, il se leva le samedy matin, dina debout, etpuis joua aux echecs. Il se leva de sa chaise, se met à promener par sachambre, devisant avec l’un et l’autre. Tout d’un coup il dit : «Baillés-moy ma chaize, je me sens une grande foiblesse. » Il n’y futassis qu’il perdit la parole, et soudain aprés il rendit l’ame, assis.Les merques de poison sortirent soudain. Il n’est pas croyable l’estonnement que cela a porté en ce pays-là. Jepars dés l’aulbe du jour pour y aller pourveoir en diligence. Je mevois en chemin d’avoir bien de la peine. Priés Dieu hardiment pour moy. Si j’en eschape, il faudra bien que cesoit luy qui m’ayt gardé. Jusques au tombeau, dont je suis peut-estreplus prés que je ne pense, je vous demeureray fidele esclave. Bon soir,mon ame ; je vous baise un million de fois les mains. 13 mars1588 Il m’arriva hyer, l’un à midy, l’aultre au soir, deux courriers deSaint Jean. Le premier rapportoit comme Belcastel, page de madame laPrincesse, et son valet de chambre, s’en estoient fuis soudain aprèsavoir veu mort leur maistre, avoient treuvé deux chevaulx, valant deuxcens escus,à une hostelerie du fauxbourc, que l’on y tenoit il y avoitquinze jours, et avoit chascun une malette pleine d’argent. Enquis, l’hoste dit que c’estoit un nommé Brillant qui luy avoit bailléles chevaulx, et luy alloit dire tous les jours qu’ils fussent bientraictez ; que si il bailloit aux aultres chevaulx quatre mesuresd’avoine, qu’il leur en baillast huict ; qu’il payeroit aussy audouble. Ce Brillant est un homme que madame la Princesse a mis en lamaison et luy faisoit tout gouverner. Il fut tout soudain prins.Confesse avoir baillé mille escus au page et luy avoir achepté ceschevaulx par le commandement de sa maistresse, pour aller en Italie. Le second confirme et dit de plus que l’on avoit faict escrire unelettre à ce Brillant au valet de chambre qu’on sçavoit estre àPoictiers, par où il luy mandoit estre à deux cens pas de la porte ;qu’il vouloit parler à luy. L’aultre sortit. Soudain l’embusquade quiestoit là le print et fut mené à Saint Jean. Il n’avoit encore esté ouy; mais bien disoit-il à ceulx qui le menoient : « Ah ! que madame estméchante ! Que l’on prenne son tailleur, je diray tout sans gene ». Cequi fut faict. Voilà que l’on en sçait jusques à ceste heure. Souvenés-vous de ce que je vous ay dict d’aultres fois. Je ne me trompeguere en mes jugemens. C’est une dangereuse beste qu’unemauvaise femme. Tous ces empoisonneurs sont papistes. Voilà lesinstructions de la dame. J’ay descouvert un tueur pour moy. Dieu meguardera, et je vous en manderay bien tost davantage. Le gouverneur et les capitaines de Taillebourg m’ont envoyé deuxsoldats et escript qu’ils n’ouvriront leur place à personne qu’à moy.Dequoy je suis fort ayse. Les ennemis les pressent, et ils sont siempressez à la vérification de ce faict qu’ils ne leur donnent nulempeschement. Ils ne laissent sortir homme vivant de Saint Jean queceulx qu’ils m’envoyent. M. de la Trimouille y est, luy vingtiesmeseulement. L’on m’escript que si je tardois beaucoup, il y pourroitavoir du mal et grand. Cela me fait haster, de façon que je prendrayvingt maistres et m’y en iray jour et nuict, pour este de retour àSainte Foy, à l’assemblée. Mon ame, je me porte assez bien du corps, mais fort affligé del’esprit. Aymés-moy et ne le faites paroistre ; ce me sera une grandeconsolation pour moy. Je ne manqueray point à la fidelité que je vousay vouée. Sur ceste vérité, je vous baise un million de fois les mains.D’Aymet, ce xiije mars. 17 mars1588 J’arrivay arsoir en ce lieu de Pons où il m’arriva des nouvelles deSaint Jean, par où les soubçons croissent du costé que les avez peujuger. Je voirray tout demain. J’apprehende fort la veue des fidelesserviteurs de la maison, car c’est à la verité le plus extreme deuilqui se soit jamais veu. Les prescheurs romains preschent tout hault par les villes d’icyautour, qu’il n’y en a plus qu’un à avoir, canonnisent ce bel acte etceluy qui l’a faict ; amonestent tous bons catholiques de prendreexemple à une si chrestienne entreprinse. Et vous estes de ceste religion ! Certes, mon cœur, c’est un beausubject et nostre misere, pour faire paroistre vostre pieté et vostrevertu. N’attendés pas à une aultre fois à jeter ce froc aux orties.Mais je vous dis vray. Les querelles de M. d’Espernon avec le mareschald’Aumont et Crillon troublent fort la Court, d’où je sçauray tous lesjours des nouvelles et vous les manderay. L’homme de qui vous a parléBriquesyere m’a faict de mechans tours que j’ay sceus et averés depuisdeux jours. Je finis là, allant monter à cheval. Je te baise, ma chere maistresse, un million de fois les mains. Cexxije mars. 21octobre 1588 Dieu a plus faict que les hommes n’esperoient ni moy-mesmes ; maiscertes, comme vous verrés par la lettre que je vous escrivis hier, ilnous envoya un temps terrible qui estonnoit tout le monde. Mais,d’aultre part, il rendoit les plus braves de ceulx de dedans malades etaugmentoit l’estonnement des foibles de cœur ; de façon qu’arsoir ilm’inspira, aprés l’avoir prié, de les envoyer sommer, à dix heures denuict, contre tout ordre de guerre, ayant tiré la journée cinquantecoups de canon sans effect. Au premier son de trompette ils parlerent,et nouasmes si bien le traicté qu’à dix heures ils se sont rendus etsuis dedans par la grace especiale de Dieu. C’est un lieu de grandeimportance et fort. Dans mardy nous tenterons, ce croy-je, le grandfaict. Celuy, diray-je comme David, qui m’a donné jusques icy victoiresur mes ennemys me rendra cest affaire facile. Ainsy soit-il par sagrace ! Mon cœur, je suis plus homme de bien que ne pensés. Vostre dernieredepesche me rapporta la diligence d’escrire que j’avois perdue. Je listous les soirs vostre lettre. Si je l’aime, que dois-je faire celled’où elle vient ? Jamais je n’ay eu une telle envie de vous voir quej’ay. Si les ennemys ne nous pressent aprés ceste assemblée, je veuxdesrober un mois. Envoyés-moy Licerace, disant qu’il va à Paris. Il y atousjours mille choses qui ne se peuvent escrire. Dites la verité : que vous faisoit Castille devant que vous luyvoulussiés mal ? Ah ! mon ame, vous estes à moy. Faictes, pour Dieu !ce que vostre lettre porte. Sera-il bien possible qu’avec un si doulxcouteau j’aye coupé le fillet de vos bisarreries ? Je le veulx croire.Je vous fais une priere : que vous oubliés toutes haines qu’avés vouluà qui que ce soit des miens. C’est un des premiers changements que jeveulx voir en vous. Ne craignés ni croyés que rien puisse jamaisesbranler mon amour. J’en ay plus que je n’en eus jamais. Bon soir, mon cœur, je m’envoy dormir, mon ame plus legere de soin queje n’ay faict despuis vingt jours. Je baise mes beaux yeux par millionsde fois. Ce xxje d’octobre. 30novembre 1588 Renvoyés-moy Briquesieres, et il s’en retournera avec tout ce qu’ilvous fault, hormis moy. Je suis fort affligé de la perte de mon petitqui mourut hier. A vostre advis, ce que ce seroit d’un legitime ? Ilcommençoit à parler. Je ne sçay si c’est par acquit que vous m’avés escript pour Doysit ;c’est pourquoy je fais la response que voirrés sur vostre lettre. Parceluy que je desire qui vienne, mandés-m’en vostre volonté. Les ennemyssont devant Montaigu, où ils se sont bien mouillez, car il n’y acouvert à demy-lieue autour. L’assemblée sera achevée dans douze jours.Il m’arriva hier force nouvelles de Blois ; je vous envoye un extraictdes plus veritables. Tout à ceste heure me vient d’arriver un homme deMontaigu. Ils ont faict une tres-belle sortie, et tué force ennemys. Jemande toutes mes troupes et espere, si la dicte place peut tenir quinzejours, y faire quelque bon coup. Ce que je vous ay mandé de ne vouloirmal à personne est requis pour vostre contentement et le mien. Je parleasteure à vous comme estant mienne. Mon ame, j’ay une envie de vous voir estrange. Il y a ici un homme quiporte des lettres à ma sœur du roy d’Ecosse. Il me presse plus quejamais du mariage. Il s’offre de me venir servir avec six mille hommesà ses despens, et venir luy-mesmes offrir son service. Il s’en vainfailliblement roy d’Angleterre. Preparés ma sœur de loin à luyvouloir du bien, luy remonstrant l’estat auquel nous sommes, et lagrandeur de ce prince avec sa vertu. Je ne lui en escris poinct. Ne luyen parlés que comme discourant ; qu’il est temps de la marier, et qu’iln’y a party que celuy-là. Car de nos parens, c’est pitié. A Dieu, mon cœur, je te baise cent millions de fois. Ce derniernovembre. 22décembre 1588 Vous me pensiés soulagé pour estre retiré en nos garnisons. Vraimentsi il se refaisoit encore une assemblée, je deviendrois fou. Tout estachevé et bien, Dieu mercy. Je m’en vois à St Jean assembler nos troupes pour visiter monsr deNevers, et peut-estre luy faire un signalé desplaisir, non en sapersonne, mais en sa charge. Vous en oyrés parler bien tost. Tout esten la main de Dieu, qui a tousjours beny mes labeurs. Je me porte bien,par sa grace, n’ayant rien sur le cœur qu’un violent desir de vousvoir. Je ne sçay quand je seray si heureus. S’il s’en presenteoccasion, je luy monstreray que je sçay bien qu’elle est cheue. Je ne vous prieray point de m’aimer ; vous l’avés faict que vous n’enaviés pas tant d’occasion. Il y a deux choses dequoy je ne doubterayjamais : de vous, de vostre amour et de sa fidelité. J’attends Licerace: les bons amys sont rares. Vraiment j’achepterois bien cher troisheures de parlement avec vous. Bon soir, mon ame, je voudrois estre au coin de vostre foyer pourrechauffer vostre potage. Je vous baise un million de fois. C’est lexxije décembre. Ierjanvier 1589 Ne vous manderay-je jamais que prinses de villes et forts ? A nuit sesont rendus à moy St Maixent et Maillesaye, et espere, devant la fin dece mois, que vous oirés parler de moy. Le Roy triomphe : il a faitgaroter en prison le cardinal de Guyse, puis monstrer sur la place,vingt quatre heures, le président de Neuilly et le prevost desmarchands, pendus, et le segrétaire de feu monsr de Guyse, et troisaultres. La Royne mere luy dict : « Mon filz octroyés-moy une requesteque je vous veulx faire. – Selon que ce sera, Madame. – C’est que vousme donniés monsr de Nemours et le prince de Genville. Ils sont jeunes,ils vous fairont un jour service. – Je le veulx bien (dict-il),Mada me. Je vous donne les corps, et enretiendray les testes. » Il a envoyé à Lyon pour attraper le duc duMayne. L’on ne sçait ce qu’il en est reussy. L’on se bat à Orléans, etencore plus prés d’icy, à Poictiers, d’où je ne seray demain qu’à septlieues. Si le Roy le vouloit, je les mettrois bien d’accord. Je vous plains, s’il faict tel temps où vous estes qu’icy, car il y adix jours qu’il ne desgele poinct. Je n’attends que l’heure de ouïrdire que l’on aura envoyé estrangler la feu reyne de Navarre. Cela,avec la mort de sa mere, me fairoit bien chanter le cantique de Simeon. C’est une trop longue lettre pour un homme de guerre. Bon soir, moname, je te baise cent millions de fois. Aimés-moy comme vous avéssubject. C’est le premier de l’an. Le pauvre Harambure est borgne, et Fleurimont s’en va mourir. mi-janvier 1589 Jeve n’a peu estre despesché à cause de ma maladie, d’où je m’en voisdehors, Dieu mercy. Vous oirés parler bientost de moy à d’aussy bonnesenseignes que Niort. Si vous voulés dire vray, ceste dame qui estoitvenue, estoit bien fascheuse ; je crois qu’elle vous a bien importuné. Je ne puis gueres escrire. Certes, mon cœur, j’ay veu les cieulxouverts ; mais je n’ay esté assés homme de bien pour y entrer. Dieu seveult servir de moy encore. En deux fois vingt-quatre heures, je fusreduict a estre tourné avec les linceuls. Je vous eusse faict pitié. Sima crise eust demeuré deux heures à venir, les vers auroient faictgrand chere de moy. Sur ce poinct me vient d’arriver nouvelles de Blois. Il estoit sortydeux mille cinq cens hommes de Paris pour secourir Orléans, menés parSaint Pol. Les troupes du Roy les ont taillés en pieces, de façon quel’on croit qu’Orléans sera prins par le Roy dans douze jours. M. duMayne ne s’esmeut gueres. Il est en Bourgogne. Je finis, parce que je me trouve mal. Bon jour, mon ame. 8 mars1589 Mon cœur, Dieu me continue ses benedictions. Depuis la prise deChastellerault, j’ay prins l’isle Bouchart, passage sur la Vienne et laCreuse, bonne ville et aisée à fortifier. Nous sommes à Montbason, sixlieues prés de Tours, où est le Roy. Son armée est logée jusques à deuxlieues de la nostre. Sans que nous nous demandions rien, nos gens deguerre se rencontrent et s’embrassent au lieu de se frapper, sans qu’ily ait trefve ny commandement exprés de ce faire. Force de ceulx du Royse viennent joindre à nous, et des miens nul ne veult changer demaistre. Je crois que Sa Majesté se servira de moy : aultrement il est mal, etsa perte nous est un préjugé dommageable. Je m’en revoys àChastellerault prendre quelques maisons qui font la guerre. Dites àCastille qu’il se haste de se mettre aux champs. C’est à ce coup qu’ilfault que tous mes serviteurs fassent merveilles. Car, par raisonnaturelle, avril et may prepareront la ruine d’un des partis ; ce nesera pas du mien, car c’est celui de Dieu. Mon ame, le plus grand regret que j’aye en l’ame, c’est de me voir siesloigné de vous, et que je ne vous puis rendre tesmoignage que parescript de l’amour que j’ay et auray toute ma vie pour vous. Ce 8emars, de Montbason. Je vous prie, envoyés-moy vostre fils. 18 mai1589 (annoté par Corysande) Mon ame, je vous escris de Blois où il y a cinq mois que l’on mecondamnoit heretique et indigne de succéder à la couronne, et j’en suisasteure le principal pilier. Voyés les œuvres de Dieu avers ceulx qui se sont tousjours fiés en luy! Car y avoit-il rien qui eust tant apparance de force qu’un arrest desEstats ? Cependant j’en appelois devant Celuy qui peut tout [ainsifont bien d’autres] et crois que ce sera aux despens de mes ennemys[tant mieux pour vous]. Ceux qui se fient en Dieu et le servent nesont jamais confus [voilà pourquoy vous y devriés songer]. Je me porte très bien, Dieu mercy ; vous jurant avec verité que jen’aime ny honore rien au monde comme vous [il n’y a rien qui yparoisse], et vous garderay [l’in]fidelité jusques au tombeau. Jem’en voy à Boisjency, où je crois que vous oirés bientost parler demoy [je n’en doute point ; d’une ou d’aultre façon]. Je fais estat defaire venir ma sœur bien-tost. Résolvés-vous de venir avec elle [cesera lorsque vous m’aurés donnés la maison que m’avés promise, près deParis, que je songeray d’en aller prendre la possession, et de vous endire le grant mercy]. Le Roy m’a parlé de la Dame d’Auvergne : jecrois que je luy feray faire un mauvais sault. Bon jour, mon cœur, je te baise un million de fois. Ce 18e may. Celuy qui est lié avec vous d’un lien indissoluble. 21 mai1589 Vous entendrés de ce porteur l’heureux succés que Dieu nous a donné auplus furieux combat qui se soit faict de ceste guerre. Il vous diraaussy comme M. de Longueville, de la Noüe et aultres ont triomphé présde Paris. Si le Roy use de diligence, comme j’espere qu’il fera, nousvoirons bien tost les clochers Nostre-Dame de Paris. Je vous escrivis, il n’y a que deus jours, par Petit-Jean. Dieu veuilleque ceste sepmaine nous fesions encore quelque chose d’aussi signaléque l’aultre. Mon cœur, aimés-moy tousjours comme vostre, car je vous aime commemienne [vous n’estes à moy, ny moy à vous]. Sur ceste verité, je vousbaise les mains. A Dieu, mon ame. C’est le xxje may. De Boijancy. 24juin1589 Vraiment, j’apprehende de vous escrire, car vos lettres me tesmoignentque n’y prenés pas beaucoup de plaisir. Dieu benit de plus en plus mes labeurs ; nous prismes hier Pluviers etcrois qu’Estampes suivra de prés. Ce porteur vous contera si bien commetout va, que j’aurois peur de vous importuner par vous en escrire lediscours. Peguilain, lieutenant de vostre fils, a envoyé vers M.d’Espernon, pour demander pour luy la compagnie. Je m’y trouvay et enrompis le coup ; pourvoyés-y, car le Roy fera servir la dicte compagniede vostre fils, ou icy, ou auprés du mareschal. Choisissés. Vostrehomme n’est encores venu pour le faict de l’evesché. Quoy que me fassiés, si n’aimé-je ny honoré-je rien que vous au monde.Sur ceste verité, je vous baise les mains un million de fois. DePluviers, ce xxive juin. 14juillet 1589 J’attends vostre filz qui n’est loin. Toutesfois, ce qu’il a à faireest le plus dangereux. Il s’accompagnera de quelques troupes qui meviennent. Nous sommes devant Pontoise, que je croy que nous neprendrons pas. L’on l’a attaqué contre mon opinion ; les plus vieus ontété creus. J’ay peur qu’ils revoyent. Hautefort fut tué hier, qui est perte pour la Ligue. Les ennemys etnous avons esté en bataille tout ce jour d’huy, pele mesle, la riviereentre deux. Leurs troupes ne sont pas eguales aux nostres, ny en nombreny en bonté. L’Isle-Adam s’est rendu anuy, qui est un pont sur lariviere d’Oise. J’y voy loger demain. Il n’y a plus d’eau entre M. duMaine et moy : il est à Saint Denis. Nous nous joindrons aux Souissesdans six jours. M. de Longueville et de la Noüe les meinent. Bien que nous soyons jour et nuict à cheval, si est-ce que noustreuvons ceste guerre bien plus doulce : l’esprit y est plus content.Devant hier, je fis voir mes troupes au Roy, passant sur le pont dePoissy. Je luy monstrai douze-cens maistres et quatre millearquebusiers. Mon cœur, j’enrage quand je vois que vous doubtés de moy, et de despitje ne tasche point de vous oster cette opinion. Vous avés tort, car jevous jure que jamais je ne vous ay aimée plus que je fais, etaimerois mieulx mourir que de manquer à rien que je vous aye promis.Ayés ceste créance et vivés asseurée de ma foy. Bon soir, mon ame, je vous baise un million de fois. Ce xive juillet,du camp, à Pontoise. 9novembre 1589 Mon cœur, c’est merveille de quoy je vis au travail que j’ay. Dieu ayepitié de moy et me face misericorde, benissant mes labeurs, comme ilfaict en despit de beaucoup de gens ! Je me porte bien, et mes affaires vont bien, au prix de ce quepensoient beaucoup de gens. J’ay prins Eu. Les ennemys, qui sont fortsau double de moy asteure, m’y pensoient attraper ; ayant faict monentreprinse, je me suis rapproché de Dieppe, et les attends à un campque je fortifie. Ce sera demain que je les verray, et espere, avecl’ayde de mon Dieu, que, s’ils m’attaquent, ils s’en trouveront mauvaismarchands. Ce porteur part par mer : le vent et mes affaires me font finir, envous baisant un million de fois. Ce ixe septembre, dans la tranchée, àArques. 16janvier 1590 Mon cœur, vous n’avés daignés m’escrire par Byçose. Pensez-vous qu’ilvous siese bien d’user de ces froideurs ! Je vous en laisse àvous-mesme le jugement. J’ay esté trés ayse de sçavoir de luy le bon estre auquel vous estes ;Dieu vous y maintienne, et me continue ses benedictions comme il afaict jusques icy. J’ai pris ceste place, sans tirer le canon que parmoquerie, où il y avoit mille soldats et cent gentils-hommes. C’est laplus forte que j’aye reduicte en mon obeissance, et la plus utile, carj’en tireray soixante-mille escuz. Je vis bien à la huguenote, car j’entretiens dix mille estrangers et mamaison de ce que j’acquiers chascun jour. Et vous diray que Dieu mebenit tellement qu’il n’y a que peu ou point de maladies en mon armée,qui augmente de jour à autre. Jamais je ne fus si sain, jamais vousaimant plus que je fais. Sur ceste verité, je te baise, mon ame, un million de fois. De Lisieux,ce 16e janvier. 29janvier 1590 Mon cœur, j’ay achevé mes conquestes jusques au bord de la mer. Dieubenisse mon retour comme il a faict le venir. Il le fera par sa grace,car je luy rapporte tous les heurs qui m’arrivent. J’espère que vous oirés bientost parler de quelqu’une de mes saillies ;Dieu m’y assiste par sa grace ! Le legat, l’ambassadeur d’Espagne, leduc de Mayenne, tous les chefs des ennemys sont assemblez à Paris. Lesoreilles me devroient bien corner, car ils parlent bien de moy. Jereceus hier de vos lettres par l’homme de Revignan ; je fus trés aysede sçavoir vostre bon estat. Pour moy, je me porte à souhait, vousaimant plustost trop qu’aultrement. J’ay failly à estre tué trente foisà ce bordel. Dieu est ma garde. Bon soir, mon ame ; je m’en vay plus dormir ceste nuict que je n’ayfaict despuis huict jours. Je te baise un million de fois. Ce xxixejanvier. 5 avril1590 Mon ame, depuis que je vous escrivis, il est arrivé des nouvelles. Ilpaist à Dieu d’estendre le bonheur dont il favorise mes affaires. Lepropre jour que je combattois à Ivry, Randan fut tué en Auvergne, quiavoit plus de cinq cens gentilhommes et de l’infanterie en nombre. Il alaissé trois pièces d’artillerie qui ne feront faulte entre nos mains. C’est effect de la justice de Dieu, qui tesmoigne evidemment ce quedoibvent attendre ceulx qui portent les armes contre leur debvoir.Vigne, avec des troupes, n’a eu meilleur sort en basse Normandie.Canisy leur est tombé sus de telle furie qu’il les a couchez tous àplat. C’eust esté un triomphe complet, s’il ne l’avoit payé d’une secondebalafre en la bouche ; ce qui n’empesche son brave langaige, mais biendisoit il à La Noue de ne le plaindre point, puis qu’il lui en restoitassez pour crier Vive le Roy quand nous serons dedans Paris. Voilàcertes, mon ame, un brave serviteur. Que ne m’aymés-vous autant ! Dieume donnera-il aussy victoire sur vostre cœur ? Ce me sera la plus chere. Bon soir, mon ame ; je baise un million de fois vos blanches mains. Cecinq avril. 15juillet 1590 Vous aurés bientost de mes nouvelles par La Vye pour qui j’ay faict envostre faveur chose de quoy il est content. Saint Denys et Dammartin sesont rendus. Paris est aux abois de telle façon que ceste sepmaine illuy fault une bataille ou des deputez. Les Espagnols se joindront mardyprochain au gros duc ; nous y oirrons s’il aura du sang au bout desongles. Je meine tous les jours vostre fils aux coups, et le fais tenirfort subject auprés de moy ; je crois que j’y auray de l’honneur.Castille enrage que son regiment ne vient. Je vis hyer des dames qui venoient de Paris, qui me conterent bien desnouvelles de leurs miseres. Je me porte tres-bien, Dieu mercy, n’aymantrien au monde comme vous. C’est chose de quoy je m’asseure que nedoubterés jamais. Sur ceste verité, je vous baise, mon ame, un million de fois ces beauxyeux que je tiendray toute ma vie plus chers que chose du monde. Ce 15ejuillet. Vers lemois de mars 1591 Madame, j’avois donné charge à Lareine de parler à vous touchant cequ’à mon grand regret estoit passé entre ma sœur et moy. Tant s’enfault qu’il vous ayt trouvé capable de me croire, que tous vos discoursne tendoient qu’à me blasmer et fomenter ma sœur en ce qu’elle ne doibtpas. Je n’eusse pas pensé cela de vous, à qui je ne diray que ce mot : quetoutes personnes qui voudront brouiller ma sœur avec moy, je ne leurpardonneray jamais. Sur ceste verité, je vous baise les mains. 22septembre 1597 Madame, j’ay commandé absolument au comte de Gramont, vostre fils, queje veulx que le sieur Deschaux, mon conseiller et aumosnier ordinaire,soit receu dans ma ville de Bayonne en qualité d’evesque, et où jel’envoye, m’asseurant que le sieur Deschaux s’acquittera bien etduement de sa charge, et pour vostre particulier qu’il vous servira ezoccasions que vous le vouldrés employer nonobstant toutes lesimpressions que l’on vous a voulu donner de luy au contraire ;lesquelles je vous prie de vouloir effacer pour l’amour de moy : ce queme promettant, Dieu vous ayt, Madame, en sa saincte garde. Ce xxijeseptembre, devant Amiens. A trente ans, en 1585, Henri de Navarre n’est encore qu’un vaillantcapitaine qui entreprend la lente et patiente conquête d’un royaumedéchiré. Il court les routes de Gascogne, de Guyenne et de Saintongeavant de gagner celles de Touraine, de Beauce et de Normandie. Il aimeet est aimé. Corysande d’Andouins, comtesse de Guiche et duchesse deGramont, est la fière amie des jours d’épreuves, et le premier grand etdurable amour de celui qui sut résoudre le problème de l’unitéfrançaise sans trouver la solution de celui de la fidélitéparticulière. Belles, pures et sincères années !... Corysandesera-t-elle reine, selon la promesse de son amant ? Raison d’Etat… Lesdouces, pimpantes, gaies et tendres lettres s’espacent et « mon cœur »n’est plus que « Madame ». Mais Corysande avait eu la plus belle part: elle avait été lajeunesse même du Roi. |