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GÉOLOGIE
GROTTES
O
N demeure confondu, en prenant connaissance de l’inventaire qu’en adressé M. Passemard, par le nombre d’animaux dont il a découvert lesfossiles dans la caverne d’Isturitz et dans l’abri d’Olha.
Je rends hommage au Docteur de l’Université de Strasbourg, nonseulement au nom d’une science où il est passé maître, alors que je n’ysuis qu’un pur profane, mais encore de la poésie.
Je ne peux qu’admirer, tandis que les fauvettes chantent dans monjardin de Hasparren, et que tout à l’heure y glissait une musaraigneentre les feuilles, qu’à dix kilomètres d’ici, non loin de mon châteaude Belzuncia, à Isturitz, aient été mis à jour ces indiscutablesossements d’ours, d’hyènes, de cerfs, de rhinocéros, de mammouths, derennes, de bisons, de lagopèdes, de goélands, d’aigles, et cescoquillages ! Les squelettes d’ours, en particulier, s’enchevêtrent,s’entremêlent, s’agglomèrent, avec une telle abondance, qu’ils firentnaître la singulière idée, heureusement abandonnée, de les exploitercomme engrais chimique.
OSSEMENTS ET FOSSILES
J’ai donc pris connaissance de cet ouvrage sur
Les stationspaléolithiques du Pays basque et leurs relations avec les terrassesd’alluvions. Il ne quitte guère ma table. Et ma joie est grande àconsidérer les photographies de ces molaires d’éléphants, de ceshumérus de gypaètes, en m’assurant que si les Basques prétendent à ceque l’arche a touché terre sur notre montagne de Hasparren, lesvestiges de cette collection en témoignent.
Mais que M. Passemard, et cet autre maître en mêmes matières, moncousin l’abbé Breuil, se rassurent. Je ne marcherai point sur leursbrisées. Et, avant que de laisser apparaître à leurs yeux les cavernesde mon ignorance, je les prie de n’admirer ici qu’elle-même. Jerequiers seulement le crédit accordé par les princes de la médecine auxempiriques. On pourrait, en filtrant tout le sable de la Garonne,peut-être y découvrir quelques paillettes d’or.
VUE SUR LE DÉLUGE
Trois éléments nous retiennent dans la spéléologie, qui nous occupe :les pierres travaillées, l’homme et les animaux.
Je ne m’arrête point aux silex qui sont, pour ainsi dire, lesempreintes digitales d’une race de chasseurs : coups de poings, lamesservant à l’industrie osseuse des flèches et des harpons ; grattoirs etburins qui, sur la paroi d’Isturitz, servirent à sculpter lièvres,rennes et bisons.
Je ne retiens que les galets et les puddings. Comment, tout autour deces stations paléolithiques, Isturitz, Cambo, Ustaritz, Biarritz,ont-ils été roulés, cimentés ? M. Passemard a observé, avec un soinméticuleux, que ces cailloutis forment aujourd’hui des terrasses dontl’altitude varie au long de la Nive qui, sans doute, est descendue peuà peu comme ferait une scie dans la pierre tendre qu’elle partage. Etcela durant des siècles.
Mais, de ces cailloux roulés que nous rencontrons à de telles hauteurs,au-dessus d’Itxassou par exemple, dans la vallée de Laxia, il me paraîtnaturel de conclure à la submersion de tout ce pays sous une seulenappe, et non par des déplacements torrentueux, ramiformes etsuccessifs.
Je regarde le ciel monter, car ils’élève Comme une mer couleur defeuille de maïs, Barrant tout l’horizon bienau-dessus des grèves, Prête à combler d’un bondtous les creux du pays. C’est d’ailleurs là une idée qu’adopte M. Passemard quand il écrit, ausujet des
cailloutis de la Bergerie : « Il ne fait pas de doute quenous sommes en présence des restes d’une ancienne nappe de cettealtitude. »
Soit, mais ici, j’interviens et je précise : il ne peut s’agir d’unenappe fluviale parce que rien ne révèle l’immensité d’un tel lit ; nilacustre, immobile et peu sculptante ; mais de celle, immense etmouvementée, de l’océan. Et d’ailleurs, en langue basque, Louhossoa,qui est tout près, signifie la mer.
Je tire ma conclusion générale : le déluge marin, tel que les enfantsl’apprennent dans l’histoire sainte sans le discuter, voilà le niveleuret le polisseur.
Cette grotte, je n’envisage que celle qui est au flanc de la montagned’Isturitz, comment expliquer que s’y trouve en telle abondance cettemêlée d’ossements et de coquillages ? Ceux-ci, il est vrai, sontperforés à leur charnière, et comme afin de servir de colliers à despeuplades sauvages. Mais je m’en expliquerai.
Donc, pourquoi l’existence de cet ossuaire innombrable, dont à peinequelques mètres ont été soumis à des fouilles qui laissent supposer uneétendue plus riche infiniment ?
Repaire d’ours, dites-vous ?
Mais alors que l’ours actuel ne semble pas d’humeur à reconnaître uneascendance qui a colonisé dans les cryptes, faudra-t-il inventer desaigles, des vautours, des gypaètes, des perdrix
de caverne ? Je ne lecrois pas. Un charnier d’alimentation ? Les restes de repasantépantagruéliques ? Je me refuse d’y croire, quel que soit l’appétitféroce de l’eskuarien.
Et quoi donc, alors ?
C’est que, pressés par le déluge qui montait vers eux peu à peu danscette contrée, les animaux qui l’habitaient, aériens ou terrestres,apercevant ce seul abri, s’y sont blottis et y sont morts noyés quandles flots y ont pénétré.
Quant aux poissons, il en reste si peu de traces qu’autant dire qu’iln’y en a point. Ils se sont laissé remporter par le flot qui ne lesgênait pas. Les chasseurs, fils de Noé, ne sont venus qu’ensuite, etc’est eux qui semèrent çà et là des pétoncles percés qui formèrent lespremiers colliers et pendants d’oreille.
J’ai relevé des marques, diluviennes encore, en Béarn. M. O’Gorman, quia bien voulu interroger sur la région d’Orthez le promeneur et chasseurque je suis, m’a inspiré le plus grand orgueil en applaudissant à mesexercices sur le violon d’Ingres. C’est quand il m’a déclaré que, surune carte de la contrée que l’on m’avait soumise, portant sur Balansun,Orthez et Sallepisse, j’avais, d’un coup de crayon, opéré lerejointement de terrains à fossiles avec la sûreté d’un spécialiste.
L’un de ces gisements révélateurs, le plus important à mon avis, maisqu’il faudrait délicatement exhumer, car il reçut de maladroits coupsde pioches de collégiens et de promeneurs, est situé dans la partie laplus haute d’un bois du Parrein qui dévale vers la route de Bordeaux.
A combien de pique-niques n’ai-je pris part en ces vénérables lieux quej’ai chantés dans
Pomme d’Anis ? Je revois le clair de lune et lesétoiles à travers les hautes frondaisons. Et, si nous y eussions grugédes fruits de mer, leurs coquilles n’auraient pas été plus intactes,plus fraîches, que celles des clovisses et praires que la stillationd’une fontaine nous découvrait, et qu’avaient peut-être portées à leurslèvres les proches descendants de l’Arche. J’ai dit qu’on a beaucoupdépouillé cette mine, dont une partie figure dans une touchante petitecollection de l’école libre. Une source canalisée dans un tuyau defonte, qui ressemble à un canon de fusil, peut servir de repère.
Une deuxième carte, gravée à mon avis par Neptune, nous relie parendroits, comme les cailloux du Petit Poucet, à la première. On enretrouve les fragments déchiquetés dans les coupes des sentiers quidoublent
le chemin des Ermites, entre Balansun et Orthez, oùchantaient les heureux pèlerins de Compostelle. Là, des coquillesencore, dont l’enveloppe est si conservée que personne ne meconvaincra, ni Bergson, ni Termier, que le temps soit si indéterminé etsurtout si long qu’ils le prétendent.
Ces mollusques, la terre les eût altérés si elle avait un si grand âge.Tout ce que peut concéder mon gros bon sens, aussi gros que le sel deSalies, dont nous reparlerons tout à l’heure, c’est que la perennitédes bivalves, dans les interstices des collines d’Orthez, ne remontequ’à 4.274 années. Encore me faut-il faire un effort pour les y croireintroduits si lointainement. Mais tel était l’avis de Bossuet, touchantla date du déluge, dans son
Histoire Universelle de 1681, il n’y adonc pas bien longtemps, et c’est mon opinion en 1926.
Je signale, dans une marnière, ou mare, de Castétarbe (propriété LeMus), un dépôt de grosses huîtres que l’on nomme, je crois,scientifiquement, pieds-de-cheval. Elles sont de celles que l’on noussert en abondance depuis la guerre, dites portugaises, et que mon amiP.-J. Toulet, palois, rêvait d’introduire dans un banquet républicain.
Le même déluge, en abandonnant de grosses poches d’eau qui se sontévaporées, dans les cavernes de Salies et de Briscous, a permis auxsources actuelles, précieuses pour les malades, de dissoudre de grosblocs de sel gemme. Quant aux nombreuses stations où, depuis plus dedeux siècles, l’on pressent des puits de pétrole : je signale celle deGaujac, beau pays sur la frontière des Landes ; de Baure, où s’élève,au bord du gave, non loin d’une ancienne falaise, un castel romantiquetout écumant de roses ; de Saint-Boës, contrée charmante tant elle estdésolée, mais qui s’obstine à ne livrer, dans son eau, que du soufre,alors qu’on réclame d’elle du naphte. En s’élevant de là sur lescoteaux qui vous permettent de gagner la route de Tilh, on rencontreune ferme assez vaste et d’aspect lamentable. Un paysan l’habita qui,excité par les fortes émanations qui s’exhalaient de son terrainspongieux, y creusa jour et nuit une excavation si profonde qu’il ylaissa sa fortune, et sa fille sa raison. Il me semble que son nométait Dessarps.
Nul doute que ces nappes pétrolifères, que l’on signale aussi du côtéde Castagnède, si elles existent, n’aient eu, pour matière à leursalambics, les forêts indigènes et les bois charriés par les courants dutropique ou des régions glaciales. J’en appelle ici aux découvertes siintéressantes du même M. O’Gorman. Ce n’est pas assez que, dans cegisement cuisien, non loin de cette Vallée-Heureuse tout embrasée d’unor qui, l’été, n’enchâsse que des émeraudes, il ait rencontré, décrit,photographié à merveille 196 mollusques que, chez une écaillère, nouseussions convoités ; mais voici, recueillies non loin d’eux, desuperbes noix de coco, reproduites avec autant de minutie.
Pauvre petit chemin de fer qui, au milieu de ces prés fleuris, prenez,la nuit, toutes les apparences du ver luisant, vous doutiez-vous, avantde naître, que vous ouvririez à Pau ce chemin des Antilles ?
- Êtes-vous fou, monsieur, et soutiendrez-vous davantage que ces noix,dont la coque est aussi dure et grosse que votre tête, sont, aussi bienque ces coquilles, un apport du déluge, si monstrueux et si mouvementéqu’il ait été ? Et vous me dites opter aussi pour des trains flottantsde l’époque carbonifère, exploités aujourd’hui dans les bassinshouillers du nord de la France ?
- Oui, je tiens pour cela ; d’ailleurs, vous n’y étiez pas, ni moi nonplus, sinon dans l’arche de Noé.
ZOOLOGIE
INVERTÉBRÉS
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OURSINS ET MÉDUSES
L
ES oursins, qui passent de la couleur lie de vin au rose et au bleu,ainsi que les montagnes au coucher du soleil, se hérissent, grosseschâtaignes, dans les flaques laissées par la marée basse à Guéthary.Sur le velours vert de certaines algues, ils n’ont point l’air si bêtesque superficiellement pétrifiés, à la manière d’objets longtempsplongés dans les sources cristallisantes. Ils ne sont point aussicomestibles que ceux de la Méditerranée. Cependant, un panier au braspour les y déposer, j’allais, au temps de ma jeunesse, les détacher descriques, flânant sur la plage où j’enjambais les
méduses nombreusesrejetées par les flots, pareilles à des lustres de safran toutenrubannés. Je rapportais ces oursins à l’hôtel. Ayant crevé leurscoques granuleuses, j’en suçais, à la surface intérieure, les petitestoiles jaunes et sucrées dont on dit qu’elles sont les oeufs.
VER DU MÉDECIN
Je n’ai trouvé, en Béarn, qu’une
sangsue, à Castétis, dans unruisseau très vif au bord duquel je me suis tordu le pied en chassantla bécasse. Elle se prélassait au-dessus du sable le plus pur. Et, aumilieu de ces bois poétiques, je ne doute point qu’Esculape, s’il l’eûtfallu, ne s’en fût servi pour Diane elle-même.
MOLLUSQUES
Les mollusques de mer, les
huîtres sauvages (du cap Figuier), les
patelles ou
lapes, les
clovisses, les
pétoncles, n’abondentpoint dans notre golfe, non plus que les
moules. La
mulette est unemoule d’eau douce, dont j’ai pris, à la ligne traînante, plusieursindividus qui refermaient leurs lèvres d’avocat sur mon cordonnet, sitenacement qu’il fallut, pour les en détacher, les rouvrir au couteau.Nul doute que la mulette ne demeure bâillante au fond, pour se refermercomme un piège sur la petite proie flottante qu’elle sent lachatouiller. La chair en est épaisse, autant que de la plus bellemarinière, mais immangeable, imprégnée d’un relent de marécage. Lacoquille, d’un noir terne, et pelliculeuse à l’extérieur, émet, del’intérieur, les plus beaux reflets d’une nacre plombée, saumonée, etd’un azur d’orage. J’ai ramassé des échantillons de la même espèce, leplus souvent morts et ensablés, sur les rives du Làa, à Sainte-Suzanne,dans le Bois du Duel.
ESCARGOTS
Les
escargots n’ont rien de particulier dans nos pays. Bien pluspetits que leurs pâles frères de Bourgogne, ceux que je nomme les
jardiniers ont une coquille à teinte de moutarde brune, de forme unpeu excrémentielle. Il en est d’autres charmants, d’un jaune ou d’unrose clair, rayés de noir, et que, pour cette raison, j’appelle
zèbres.
La classification naturelle m’impose de noter ici le petit
poulpe(
chipirone, calamare) dont Fontarabie, sous ses rouges piments et sonfenouil d’or, est gourmande, et à qui la cuisinière de l’
AvironBayonnais a dédié une sauce incomparable. Il appartient à la classedes céphalopodes, ce qui me semble signifier qu’il marche sur la tête.
CHEVALIERS BARDÉS DU MOYEN AGE
Nous ouvrirons les
crustacés par ces arabesques d’un beau bleud’acier, rocailleuses, épineuses et barbelées, à la chair aussi blancheque celle de la noix de coco : les langoustes. Le
homard est rareen Gascogne : il y a bien la
langoustine, sorte d’écrevisse de merdont la carapace vous cisaille les lèvres, et dont l’intérieur estéchugue (ce qui veut dire, en patois, sans suc) : le jeu n’en vaut pasla chandelle. La grosse
crevette rose,
bouquet, cent foissupérieure à sa soeur méditerranéenne : elle a le goût de violette mêléà celui de l’oeillet. La
grise est trop petite et difficile àdécortiquer. La
chevrette de fleuve, presque transparente, peucuirassée, est excellente bouillie avec l’anis. Il y a trois
crabesprincipaux (je ne compte point
l’araignée de mer) : le
crabevulgaire, dont la taille moyenne n’excède guère la paume de la main ;un crabe que j’ai dénommé
crabe-galet, plus dur, plus rond, plusluisant, qui hante les rochers du large, est d’une grande finesse augoût. Je le crois fort rare. Enfin, les gros
dormeurs dont la crèmenaturelle est délicieuse avec la mayonnaise. François-Xavier, monpatron, l’honneur du Pays basque, ayant laissé tomber son Christ aufond des mers, l’un de ceux-ci le lui rapporta sur la plage.
Je ne sache qu’un seul crustacé d’eau douce,
l’écrevisse. Elle estfort raréfiée par l’empoisonnement et le bombardement des cours d’eau.En Bigorre elle foisonnait, dans l’Arros par exemple, mais, en Béarn,elle est peu commune quoiqu’on la pêche aux environs de Pau et de Sus,près Navarrenx. Elle habite encore Saint-Jean-Pied-de-Port. Je l’aipuisée, mais de très petite taille, au pont de Saint-Martin d’Arbéroue,où elle ne vit que dans une partie du lit de la rivière, sur 800 mètresenviron, seulement. J’estime que c’est à cause du calcaire spécial quiest essentiel à sa croissance, et que l’Arbéroue, en limant letréfonds, a mis à découvert en ce seul endroit.
ARAIGNÉES AU PLAFOND ET AU JARDIN
Il y a une
araignée noire dont la toile épaisse et sale, fixée auxmurailles, offre un trou au milieu comme d’un entonnoir dewater-closet. C’est la
casanière ; une autre grise, toujours àl’affût des mouches qui se laissent prendre à ses rets souventconstellés d’argent, et que je nomme
la fille de mauvaise vie ;enfin, une espèce extraordinairement obèse, qui a la couleur de l’herbepâle que l’on reproche aux peintres du printemps : la
petite-mère.
INSECTES
Le plus brillant des insectes, le colibri des coléoptères, n’est qu’unegoutte d’azur en fusion. La science, toujours ampoulée, l’a baptisé
l’hoplite céruléen. Par milliers, à certains jours, au bord des eaux,il s’accroche aux reines-des-prés et aux sureaux-nains. C’est un bonappât, à condition de présenter son élytre céleste, et non son ventreargenté, à la face du torrent où la truite palpite. Le
hanneton,ennemi des arbres fruitiers et des lilas, est dégoûtant parce qu’il estcomme un homme mou. La
cétoine est ravissante : un morceau d’arrosoirmouillé au soleil lorsque, dans le jardin, la famille est heureuse. Le
lucane ou
cerf-volant ronfle de chêne en chêne au moment que lesmoissons mûres nous font penser à Ruth et à Booz. On découvre, parcentaines, ses cornes ouvragées dont les rameaux se rejoignent commeles branches d’un étau circulaire. Cet étau, bien qu’il n’ait l’air qued’un bijou, se referme avec une telle puissance qu’il peut pénétrertrès avant dans la main d’un imprudent. D’où, le surnom de
coupe-doigt. On peut se demander, au pied d’un chêne, pourquoi tantde trophées de cornes sur la mousse. Ils proviennent, en partie, decombats singuliers, de duels à mort, que se livrent les cerfs-volantsextrêmement pointilleux quant aux questions de fidélité conjugale,peut-être à cause de ces appendices. Mais j’incrimine aussi leschouettes qui doivent faire serre-basse, durant la nuit, sur les arbresoù viennent se reposer ces petits diables, couleur de colophane brune,au vol oblique.
Quant aux
papillons, à cause des vers si charmants de Victor Hugo, jeme suis demandé si mieux ne vaudrait pas les renvoyer à la flore dontje traiterai tout à l’heure. Beaucoup d’entre eux choisissent, pour s’yposer, la corolle qui les imite. C’est ainsi que celui que l’on nommele
papillon-aurore, se pose sur la cardamine, précoce comme lui, etqui répond à ses harmonies. Et le
papillon-soufrin se plaît parmi lesprimevères jaunes. Quant à la
libellule, elle est une herbed’émeraude et d’or qui se passe de brise pour flotter en l’air : elles’en fait avec ses ailes. La
mouche à miel, elle, n’a de poésie quepour les poètes car, ainsi que le déclarait l’inscription d’un vieuxpot anglais que j’ai possédé : «
Les aventures sont pour lesaventureux. »
VERTÉBRÉS
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POISSONS
I
L y a quelque trente-cinq ans, à Orthez, quand je pêchais le fretin aubord de ce qui s’appelait la prairie Lateulère (aujourd’hui déshonoréepar la danse macabre des passerelles, pylônes, et autres sataniquesinventions de l’industrie) - je voyais tout à coup l’eau d’une anse, sicalme que le martin-pêcheur se posait sur ma ligne, bouillonner tout àcoup comme si des grenades eussent explosé, si un tremblement de terrese fût produit, ou des chevaux marins se fussent ébroués. Et ce n’estque vers 1911 que la Nymphe du gave me remit la clef de ce mystère quim’avait tant intrigué lorsque, pareil à un vizir paresseux, laissant enpaix flotter mon rêve et mon bouchon, cet insolite manège m’éveillaiten sursaut. Ce n’était que des
saumons, qu’à partir de cette datepêchèrent avec une extrême habileté, au lancer, à l’aide d’un poissond’acier hélicoïdal et d’un moulinet qui le ramène, et lui donne uneimpression giratoire, MM. de Longueil de Sus, Massey et Roby deNavarrenx, Charles de Saint-André de Pau, Labarthe et Bau d’Orthez. Ilest très intéressant d’assister à cette lutte, avec un monstre quirésiste, d’un pêcheur souvent obligé de descendre à l’eau pour leharponner, puis l’assommer sur le bord et le saisir à plein poing parla queue. Il est de ces saumons de dix à quinze kilogrammes, pêchésainsi à la ligne. La région inférieure de la digue du Pesqué, la nassede Castétarbe à Orthez, et le gave de Mauléon à Navarrenx, sont parmiles lieux les plus renommés pour ce sport. La
truite, si elle n’étaittellement pourchassée, pullulerait dans les lacs montagneux, les gaves,et jusque dans les moindres ruisseaux dont sa robe imite parfois lesconstellations granitiques. On la pêche au profond (2 à 4 mètres) avecl’asticot, une plume, une racine fine et l’épuisette ; ou, frustement,dans les rivières du Pays basque, avec un crin, une chevrotine, un groshameçon, un ver de terre, et sans flotteur. La plus lourde truite quej’ai vu prendre à l’asticot, c’est à Espès-Undurein, du haut du pont.Les délicieux
tocans, dont plusieurs naturalistes soutiennent qu’ilsne sont que saumons en enfance, ne sont qu’une sorte de minusculestruites. Ils voyagent par bancs si compacts qu’on n’a parfois qu’àplonger dans le gave la plus enfantine des lignes pour en retirer un àchaque coup. Ainsi est-il arrivé dans la nasse de la minoteried’Orthez, à Castétis, à Argagnon. Tant ils sont brusques et vifs etmordent franchement, on utilise ici et là des lignes dormantes àsonnettes. Ce que j’ai retenu de plus singulier des moeurs des tocans,ce qui m’a été rapporté par l’un des pêcheurs les plus dignes de foique je sache, est qu’à certains jours, en s’aidant je pense de leurqueue comme d’une hélice, ils évoluent, montent et descendent, dressésdans le rideau vertical d’une chute d’eau aussi bien qu’ils le feraientdans l’horizontale. L’
haubourg et le
cabot de nos cours d’eau sonttrès mangeables. Chauds et fumants, ils exhalent, même lorsque leurpeau est croquante, le parfum de la rivière qui s’évapore en été. Le
goujon est excellent, mais pas meilleur en somme que la
chipe bienfrite dont l’arête ne compte pas. Les meilleurs
brochets sont ceuxqui sont assez vieux pour être revêtus de la livrée de la plume depaon. Orthez, du côté de la Barraquette, Castétis, Biron, leur offrentdes demi-profondeurs convenables, à proximité du courant. Depuisquelques années, les
barbeaux nous désolent et semblent anéantir lesgoujons. Je crois indiquer une station excellente, à l’aube, dans lesgouffres du gave, à Bérenx, près de Puyoô. On amorce avec de la mie depain mêlée à du jaune d’oeuf. L’
alose, qui remonte de Bayonne àPeyrehorade, est une sardine d’environ cinq livres dont la chairdélicate a le goût de la brise du premier printemps. Il faut la mangergrillée, sur une purée d’oseille, mais en se méfiant de ses arêtesfines, élastiques et fourchues. Rien n’est plus ravissant, en mars, quede voir sur la nacre rose de l’Adour serpenter les lièges flottants desinterminables filets qui emprisonnent les
aloses. Nul ne connaît aujuste le mystère des
anguilles. Il déroute tous les braconniers. L’und’eux m’a dit qu’il n’y avait qu’un mâle pour toutes les femelles dumonde, et qu’il l’avait aperçu dans le Luy, à Sault-de-Navailles,entouré d’un harem sans fin ni compte. Que faut-il croire ? Ni laitanceni oeufs dans cette algue vivante dont les tronçons sursautent encoredans la poêle. Un savant de Grenoble qui obligeait des jeunes filles,ses élèves, à souffler (ô Ronsard !) sur de la paraffine pour leurmontrer, quelques jours après, les moisissures qui naissaient de leurhaleine, m’a affirmé que nos anguilles se reproduisent seulement dansla mer des Sargasses. Ses alevins remonteraient ensuite vers nos côtespour gagner nos fleuves et nos affluents. Chaque année, lesreproductrices s’en retourneraient à l’Océan ; mais les stériles, querien aux yeux de l’anatomiste ne distingue des autres, se terreraientdurant l’hiver sous nos galets, celles sans doute que l’on pêche à lafourchette sur les grèves de Sauveterre-de-Béarn. Quant à la
pibaled’Urt, elle n’est jamais plus grosse qu’une aiguille à tricoter, niplus longue que le doigt. On la met en conserve en Espagne où elledevient friandise, confite dans l’huile rance. On l’expédie, par sacset wagons, à la frontière. Fraîche, elle est difficile à bien frire àcause du mastic poisseux qu’en grand nombre elle forme. Maislorsqu’elle est à point, on ne la peut comparer qu’à sa soeur la chipe,qui constitue le populo des ruisseaux basques et béarnais. La
lamproie est une sorte d’anguille cartilagineuse, que l’on prend,moins à Peyrehorade qu’à Aire, au filet, ou que l’on détache de laparoi des digues où elle demeure fixée par ses ventouses, ce qui faitressembler ce poisson à une flûte, d’autant plus que les sept suçoirslatéraux simulent les sept notes d’une harmonie que la gent aquatiquedoit seule entendre.
Je ne pense pas que les poissons de mer offrent quelques particularitésau Pays basque, bien qu’on m’ait assuré que le vrai
rousseau, cuivré,pourpré, soit confiné dans le golfe de Biscaye. Je dis le
vrairousseau, car il semble que chaque type de poisson ait, dans l’océan,des variétés qui lui correspondent sans l’égaler, comme il en serait decousins pauvres. Au rousseau et à la dorade, s’apparententlamentablement les
bouchons ; aux
maquereaux, les
chichars ; aux
grondins roses, les gris ; aux
soles, des succédanés que je tiens,
carrelets et
plies, pour les poissons les plus plats du monde.
GRENOUILLES
Notre pays comprend une
grenouille très aplatie, qui vit dans lesprés. Sa robe, couleur de terre, est mouchetée de noir. Elle bonditfort haut. Je la nomme la
desséchée. Elle est de même taille quel’espèce aquatique qui joue du biniou avec les vessies de sa gorge, quise gonflent et crèvent comme des bulles, au-dessus du marécageensoleillé. La plus petite est la
rainette, couleur du banc vert oùs’asseyent les retraités au jardin public, et dont la voix, comme ilsied à d’anciens comptables, est d’un registre immense.
SERPENTS
Parmi les
serpents, je distingue des
couleuvres de l’épaisseur dupoignet, aussi longues que des cannes. Sur un pont ruiné qui bordait leLagoin (Assat), j’en vis une qui aurait pu concurrencer un boa. La
vipère, bien plus petite, hante les rochers, les fagots secs, lesmurs recouverts de lierre. On la voit traverser les ruisseaux avec uneagilité qui inspire la crainte. Quant à l’
orvet, c’est un balourd. Ila l’air d’une cheville de chocolat, roidie et roulée à la main.
PROPRIÉTAIRES
Les
tortues indigènes sont fort abondantes dans les affluents du gaved’Orthez (le Làa par exemple) et dans les étangs des saligues. J’en aivu nager au soleil, aussi éclatantes que des topazes, par tribus, lespère et mère de la grosseur d’une noix de coco épluchée, suivis deleurs petits dont le diamètre ne dépassait point celui de la pièce decent sous. En dehors de l’eau, leur carapace est terne, ardoisée,pointillée en blanc de coups d’aiguille ; je crois en avoir découvertun métis aux Mondrans, qui dériverait de la
tortue de Barbarie plusou moins naturalisée dans nos potagers, et que vendent les camelotsdans nos ports du sud. Mais, tandis que cette dernière s’apprivoisedans nos jardins où elle élit domicile sur une surface peu étendue, dumoins où elle rapplique toujours, la
cistude, qui aime à se tenir surles rochers et les arbres inclinés, semble beaucoup souffrir du manqued’eau. La sécheresse lui donne la cataracte. Je l’en ai opérée.
CROCODILES
Deux lézards : le gris des murailles, que je nomme
le maçon ; et levert émeraude, à tête de turquoise, que j’appelle le
bracelet deCléopâtre. J’ai élevé ce dernier qui, bientôt, se ternit en hiver,mais pour réapparaître débarrassé soudain de sa tunique pelliculaire etgrise, plus précieux que jamais, prince charmant qui a rompu un mauvaischarme.
OISEAUX
J’ai vu des
aigles dans les grandes Pyrénées, mais on m’a assuré d’enavoir déniché au sommet d’Ursuya (675 m.), la montagne de Hasparren. Unmoine m’a dit qu’aux Aldudes ils étaient autrefois nombreux et que, selaissant glisser le long des parois rocheuses, suspendus à des câbles,les enfants de ce village les agaçaient. Les
vautours abondent un peupartout dans les vallées d’Ossau et de Lescun. Ils sont de taillebeaucoup plus grande que le charognard de Constantine. Ils sontabsolument hideux, comme mités, et leur tête et leur cou semblent avoiracquis leur calvitie à force de barboter dans les chairs endécomposition. On les attire sous la carabine en déposant, dans lecreux de quelque ravin, le cadavre d’un mouton déjà avancé. Les plusproches de la contrée que j’habite ont élu domicile à Hartzamendy, lamontagne d’Itxassou.
Il y a des
buses, faucons, éperviers et
milans, comme partout enFrance. Mais les plus gros oiseaux de cette espèce, que j’ai observés,vivent en grand nombre à Bordes, près d’Assat. Ceux-ci accourent enfoule dans les plaines d’Abos et de Pardies, quand une sorte decriquet, ressemblant beaucoup à celui d’Afrique, s’y abat par nuées.Sur un espace de plusieurs kilomètres carrés, j’ai vu là s’envoler del’herbe, à chaque pas que je faisais, des légions de ces orthoptèresqui montrent ainsi le dessous de leurs ailes d’un bleu méditerranéen.Au-dessus d’eux planaient, en cercle, par douzaines, de ces rapacesdont je parle, et qui les guettent pour s’en nourrir. Le plus gros quej’ai descendu, c’est dans la lande de Hasparren. Il faillit me romprele pouce avec sa serre quand je le ramassais vivant encore. Les paysansbasques étant très friands de cette espèce, je le donnai à mon voisinqui ne trouva dans l’estomac de la bête (nous étions en hiver) qu’unesauterelle et un grillon qu’un entomologiste aurait eu bien de la peineà découvrir alors dans les champs. Des rapaces nocturnes, je retiens le
grand-duc et une sorte de
chouette pâle dont le plumage très douxsemble tenir à peine sur elle, tout parsemé de taches d’un jaune caféau lait. Neige fraîchement tombée sur des débris de feuilles mortes. Jetrouve deux
pics : le
pic-vert, qui n’est qu’une poignée d’herbeavec un sainfoin fleuri sur la tête, et un
pic gris, fréquent auxenvirons d’Orthez. On les entend cogner aux troncs des chênes avec leurbec, si vite que l’on dirait du rebondissement d’un marteau sur unedouve. Pour le
coucou, on ne l’aperçoit guère. Son manque de noblessevis-à-vis des autres oiseaux, dont il vole le nid, l’oblige sans douteà se cacher. Mais il semble que son chant si doux soit le coeur même deseaux printanières qui, en se dilatant ou se contractant, veuilleaccompagner les idylles. Les
palombes ont la couleur des nuagesorageux où se lève l’arc-en-ciel (leur gorge). La
caille, par sacouleur et ses stries, ne se distingue pas d’une petite motte de labouroù se seraient collés quelques fins brins de paille. Ainsi fait-ellepartie de son propre paysage : le champ de blé. Et, comme elle seréfugie parfois dans les vignes, on la fait rôtir en l’enveloppantd’une belle feuille ravie aux pampres. Ainsi, l’homme fait-il concourirà la cuisson de ce gibier les éléments qui sont à portée de sa main. Demême du lièvre, que l’on assaisonne de thym, et que l’on saute au jusde la vendange. La caille est assez abondante dans les plaines d’Assat,Bordes, Boeil-Bezing, Angaïs, Nay, à l’est de Pau, et à Oloron. Elledort ou piète dans les sillons de maïs, parmi les feuilles decitrouilles, les millets, les menthes, les haricots entortillés auxchaumes. Souvent, après l’avoir tirée, le chasseur se sent froid au doscar, devant lui, il voit se relever… une moissonneuse qui a entenducrépiter le plomb sur son large chapeau de paille. Nos
perdreaux sontde petite espèce, jaspés de corail et d’ébène. Ils sont durs àpoursuivre, fatiguent les chiens autant que les
râles de genêt quiont l’air d’oiseaux égyptiens gravés sur les obélisques. La
perdrixblanche ne vit que dans l’altitude : elle est une poignée de floconsqui a pris vie. J’ai souvent décrit la
bécasse. Je me résumerai endisant qu’elle a l’air d’un bouquin de cuisine savante, relié enfeuilles mortes, et chiné aux marges. C’est la plus amusante deschasses, de novembre à mars. Partout, çà et là dans les bois, dans lesgaulis au bord des ruisseaux, les bécasses tiennent volontiers salon, ysuspendant leurs miroirs de vif-argent, aux environs d’Orthez :Balansun, Mesplède, Castétis. Quelques maigres
râles d’eau, à becrose, doublement manchots, glissent plus qu’ils ne courent dansl’ancien lit de l’Adour, appelé Pont-Long. Pour en terminer avec leséchassiers je citerai, devant Saint Hubert, le
héron qui hante lesbords du gave et se juche souvent sur les cimes les plus élevées desarbres. La Fontaine l’a trop majestueusement dépeint pour que je m’yessaye. Parfois, tant je demeurais immobile, cet oiseau du moyen âgevenait se poser à quelques pas de moi, et décrivait, en se peignantavec son bec, de fantastiques arabesques. Il faut retenir, despalmipèdes, la
cane-grise et le
col-vert, amis de l’eau glacée, etles
sarcelles dont Leconte de Lisle a écrit :
Où les poules nageaient, où cygnes etsarcelles Faisaient étinceler lesperles de leurs ailes ;
mais, il a confondu le cygne avec le canard, à cause de la noblessepropre à sa poésie orientale. Comme il y a deux espèces de canards, ily a deux espèces de sarcelles : l’une, d’un beau vert métallique à latête, ainsi qu’une capsule de vin vieux - l’autre, terne, assezsemblable à une soupe où nageraient des filaments de carottes. Nosbocages sont remplis de passereaux, dont la
huppe est le plussingulier. Elle a le chef emplumé d’un Iroquois, et le bec comme unelongue aiguille courbe de chirurgien. Aussi le corps est-il en marbrenoir, veiné de blanc comme un tombeau.
Fauvettes et
rossignolsenchantent successivement, c’est-à-dire la nuit après le jour, lesfiancés et les époux.
MAMMIFÈRES
L’
isard fuit toujours. Il n’y a, pour en abattre du côté d’Argelès oude Gavarnie, que quelques Parisiens en vacances. Mais personne, engénéral, n’a aperçu d’isard que dans son assiette où il est du mouton.Un sculpteur, seul, tel que Jean Pavie, l’arrête. Le
lièvre est unlapin de race. Buffon prétend qu’à Saint-Étienne-de-Baïgorry le lièvrese creuse des terriers comme son parent pauvre. Je n’en crois rien.Pourquoi pas dire qu’à Baïgorry, site charmant, auprès des ballonsbleus qui s’envolent des Aldudes, les femmes dorment dans des hamacs ?J’ai chassé le lièvre dans la plaine de Navarrenx. L’
écureuil est lefils du vent, car il n’a qu’un poil léger. Mais il ressemble, quand ils’ébroue au sommet d’un chêne, à un éclaboussement de soleil.
HOMINIENS
Classification.
Teint fleuri et luisant ; figure ronde comme un bol……
Oloronais.
Jolis hommes bruns, à moustache en chat, teint mauresque………………………
Gens de Laruns etd’Arudy.
Type sec, taillé en bois, nez cassé comme Dante et Henri IV…………………….
Palois.
Type chinois, yeux bridés, pommettes saillantes, auquel ne manque que la tresse……………………..
Basques.
BOTANIQUE
Q
UE de fois j’ai admiré, dans un prix décerné par le collège impérialde Pau, ces vers naïfs qui s’essayent à traduire un passage de laphilosophie botanique de Linné :
«
Quelest cet agile marcheur Explorant les forêts dès l’aube matinale? Il cueille avidement la plus modestefleur ; Dans sacorolle virginale Il plongeun regard scrutateur. Vous voyez de Linné le disciple fidèle… La tunique légère à ses reins s’ajustant, La paille, sur son front élargie enombrelle, Tel estl’uniforme constant Dont son divin patron lui traça lemodèle. Une boîte arrondie, au métal éclatant, Sur sonépaule est attachée ; C’est de Dillénius le vase protecteur, Conservant jusqu’au soir la vie et lafraîcheur De laplante au sol arrachée. »
Qui donc, dans un pareil costume, se refuserait à m’accompagner dansmes herborisations pyrénéennes ? quoique…
… «
Leshumides tapis de mousse Verdissent tes pieds de satin. »
Et je n’ai jamais su s’il s’agissait des pieds nus de madame VictorHugo ou de ses bottines de lasting, et c’est délicieux quoi qu’onpense. Mais, jeunes filles, ou jeunes hommes, n’hésitez point. Venez. Abas Sainte-Beuve.
PRAIRIES
La prairie s’ouvre devant vous, au printemps d’abord, quand, sur salisière détrempée, les
narcisses, le
jaune et le
blanc, luttentensemble comme la neige et le soleil. Mais voici qu’en juin les feux decelui-ci triomphent, émaillent le cuivre des
boutons-d’or et laporcelaine des
grandes-marguerites. Animés par cette incandescence,les brins d’herbe deviennent des sauterelles ; les
graminéestremblent de toutes leurs aigrettes en jetant leur pollen à la brise ;la
cascabelle, jaune comme une Espagnole, agite ses grelots ; lafleur du
coucou (ce lychnis nommé
lampette parce qu’il est pareil àune petite lampe) remplace de sa rose et joyeuse flamme les
orchis audeuil violet. Ici et là, le
glaïeul dresse son candélabre illuminé,et le
crocus, dans la nuit bleue et transparente de son calice,semble enfermer du clair de lune. Mais il semble qu’un azur légerpleure sur tout ce foin : ce sont, éparses, les gouttes des fleurs de
lin.
MOISSONS
Ne me demandez pas de vous accompagner dans la moisson à midi, car jesuis vieux comme Booz. Pourtant, c’est l’heure où elle est dans sapleine magnificence. Je ferai la sieste auprès de la source. Queseules, les vierges gracieuses affrontent le soleil : leurs cheveuxsont pleins d’ombre. Et qu’elles me rapportent, s’inclinant devant moiavec respect, des épis de
blé roux, déjà blancs de farine et, encore,des
bluets détachés du ciel torride, et des
coquelicots noirs àforce d’être rouges, braises dérobées à la terre.
HAIES
Les ombelles de la haie ce sont, avec leurs dômes de corail, les
cerisiers aux troncs d’argent, nombreux à Itxassou. Et lesbuissonnantes
aubépines, toutes parfumées de miel au printemps, luifont une âpre et puissante fortification. Presque partout, eninextricables fourrés, les plantes volubiles unissent leurs grâces : le
liseron, dont la brise secoue les écharpes de cloches blanches ; le
chèvrefeuille, dont la fleur incisée montre ses dents d’ivoireembaumées ; le rugueux
houblon, à la cime enroulée, ensoleillée ettendre, aux cônes poisseux et merveilleusement amers ; la
clématiteou
herbe aux gueux, dont se servaient ceux-ci pour simuler l’ulcèreet apitoyer les passants ; l’enlaçante et traînante
pervenche,couleur de l’eau du lavoir où s’écoule l’azur. Puis, les lianesélancées jaillissent vertes, luisantes, retombantes, des
églantinestelles que des cascades où frissonneraient des jeunes filles.
TALUS ET BORDS DES ROUTES
Sur les talus se montrent, avec des
mousses, suivant la saison, lescornets glauques et translucides des arums avec, au centre, une sortede battant de sonnette, d’un soufre pâle ; la
campanule qui sonne duciel ; la
primevère qui s’étend en flaques de soleil printanier ; le
cabaret-des-oiseaux où le chardonneret vient boire aux jours desfortes chaleurs, car ses feuilles, réunies à la base en godet,retiennent l’eau de pluie ; le
bouillon-blanc qui semble la houletteà ruches d’or de quelque bergère Louis XV ; la menthe à feuilleveloutée, tapis des petits ânes qui recherchent l’ombre ; et lesflambeaux des
digitales, tamisant un feu rose et doux dans leurstulipes émaillées.
BOIS ET SOUS-BOIS
L’
anémone-sylvie aime les clairières, les bords enchevêtrés desruisseaux forestiers ; elle est si légère qu’elle a moins l’air d’unefleur que de son reflet mobile et nacré ; elle ressemble à l’
isopyreque l’on trouve au bord du Làa, près d’Orthez, et au Grand-Parc duchâteau de Pau. Je doute qu’Henri IV ait jamais cueilli, même pourl’offrir à Gabrielle, l’une ou l’autre de ces corolles fragiles quis’en fut trouvée mal, comme cette belle dame, quand il la surprit letrompant. L’
hellébore vert, aux anthères livides, pousse à foison çàet là, et l’espèce dite
pied-de-griffon rappelle bien, par sesfeuilles, une ferronnerie héraldique : C. C. C. Bords du gave, Orthez.Dans les bosquets de La Hourcade, non loin de Lagor, vous trouverez unesorte de tulipe bigarrée, nommée
pintadine ou
fritillaire, dontj’offris un bouquet harmonieux à mes chers amis Duparc lorsqu’ilsvivaient à Monein. Enfin, la
brunelle encapuchonnée marie son veloursviolet au bleu de l’
ancolie qui semble une fantaisie tuyautée par lefer de la fée la plus habile. Dans les sous-bois, signalons encore la
pulmonaire, d’un indigo plus foncé qu’aucun lac ou ciel andalou ; le
grand-houx et le
petit-houx dont les baies, tranchant avec lesombre et magnifique feuillage, ont l’air de perles de corail sur leteint d’ombre des créoles. Enfin, sous les fougères, plumes d’autrucheen émeraude, le conseil municipal des champignons, vénéneux ou pas,tenant séance, le béret marron, blanc ou rouge, sur la tête.
BORDS DES RUISSEAUX ET RUISSEAUX
Le
sceau-de-Salomon est une tige rivulaire, d’une courbe gracieuse,aux belles feuilles glauques, ovales, et qui porte tout du long, et dumême côté, des fleurs blanches qui ont l’air de boucles d’oreilles depetites filles d’autrefois. Elles sont suspendues à un filament vertextrêmement ténu. La
reine-des-prés vit dans son voisinage, parfuméed’amande, et coiffée d’une vieille dentelle jaune. La reine de Sabavint voir Salomon, mais on ne dit point si ce fut à la Chausséed’Orthez, auprès de ce ruisseau de Choü, dont le murmure me versait lesommeil à midi quand je cherchais la nuit des aulnes. Ma tête reposaitparmi les
salicaires, dardant autour de moi leurs lances pareilles àdes banderilles de feu. Mais les jeunes taureaux ne s’en émouvaientpoint, et mes rêves d’azur flottaient avec les
myosotis inondés parsecousses.
ETANGS, MARÉCAGES
Ce n’est guère qu’aux environs de Bayonne que nous rencontrons la floredes étangs qui a pour roi cet oeuf de cygne : le
nymphéa blanc. Le
nénuphar jaune lui tient compagnie mais comme si, ayant brisé sabelle coque, il ne lui restait plus que le vitellus. Tous deuxs’immobilisent entre les lunes vertes de leurs feuilles imperméables,sur lesquelles les grenouilles coassent, et non croassent, selon lesrègles de la grammaire. Telle que l’ombrelle rose d’une fée, quimarcherait au bord des ondes, l’inflorescence du
jonc-fleuri sedéploie, mais elle est assez rare. Plus commune est la
sagittaire,aux vertes flèches, qui semblent menacer le canard dont l’ombre passesur le miroir lacustre. En juin-juillet, quand la chaleur estaccablante, on voit l’
hydrocharis, à petites feuilles de nénuphar,semer sur l’eau ses légers pétales, semblables à du givre fondant ausoleil. On l’appelle aussi
grenouillette, de la légende qui veut queles grenouilles y laissent leur morsure : l’encoche du limbeorbiculaire. Et, peut-être, la race batracienne, amie de l’été, ytrouve-t-elle l’illusion de ces granités glacés que l’on sert auxEspagnoles dont les robes arborent les beaux
iris aux volants jaunes.
LANDES
Dans les landes du Pont-Long, on trouve la
parnassie, sorte derenoncule, non point dorée comme la coupe du
populage qui l’avoisine,mais d’un cristal de Bohême, minutieusement gravé. Sa tige fine etlongue ne porte qu’une seule feuille vers le milieu, ce qui est fortoriginal et fait songer au mariage. Quant au
rossolis (rosée dusoleil,
droséra) c’est un petit piège aux insectes. Sur sa rosettepourpre, ciliée, pleine de rosée, le moucheron séduit se pose, estretenu, puis digéré tout aussi bien que par une araignée : R. R.Salles, Sault-de-Navailles sans doute et, me dit-on, encore à Beyris età la Négresse. Je veux signaler, dans l’ancien lit de l’Adour, dont unoeil exercé distingue encore les berges, un arbuste coriace, ingratd’apparence, sorte de petit chêne-liège dont la feuille froissée entreles doigts exhale les parfums de l’Arabie Heureuse. C’est le
myricagalle ou
piment-royal qui, au dire des vieux botanistes, illes en faut croire, a la vertu de purifier les régions paludéennesqu’il recouvre. C’est le remède à côté du mal, la confirmation de labelle théorie qui fait écrire à Bernardin de Saint-Pierre que le rizpousse à la Chine parce que ses habitants sont relâchés. Dans cesrégions incultes l’
ajonc épineux, qui n’est bon qu’à la litière et,par ses jeunes pousses, au pacage des brebis, forme parfois des fourrésimpénétrables (côtes de Hasparren). Personnellement j’ai horreur de cesaiguillons, de ces tiges d’acier barbelées, que m’oppose cette plantepar moi nommée le
désespoir du chasseur. On trouve parfois, à sabase, la fleur rose du
pédiculaire sylvestre. Il en est une plusfraîche espèce dans les prés spongieux :
pedicularis palustris. Dansla lande sablonneuse je nomme trois espèces de
bruyères :
α - Erica vagans ou bruyère vagabonde. Ce charmant nom, ledoit-elle à son teint de jeune fille échappée ?
β - Erica ciliaris : à cause de ses longs cils noirs sur un teint également rose ?
γ - Erica cinerea : parce qu’on la dirait recouverte d’une cendre légère ?
Dans la lande tourbeuse, je note les
Erica tetralix, ou
bruyère àquatre faces. Vulg. :
bruyère des politiciens.
RÉGIONS MONTUEUSES
Trois de leurs plantes revêtent les bleus les plus intenses : l’
iris,la
gentiane acaule, l’
aconit napel que l’on appelle aussi, jecrois, le
casque de Vénus, mais, aussi bien, à mon avis, pourrait-onle nommer
le char d’Amphitrite. Il fallait, pour que leurs fleurss’assimilassent ce reflet d’acier, la proximité des lacs profonds etsolitaires qui n’ont plus, au-dessus d’eux, que l’azur figé de laglace, et l’éther. Un mot de l’
edelweiss, ou
immortelle des neiges,qui m’agace un peu, à cause du tourisme. Soyons franc : il ne sauraitévoquer le moindre flocon, mais un pied d’oiseau en pantoufle demolleton blanc. Il faut, néanmoins, reconnaître qu’il procure àl’herborisant qui le recherche des excursions parmi de belles espècesforestières : les
hêtres, dont les dômes en novembre ne sont qu’uncoucher de soleil qui a pris racine ; les
sapins et les
mélèzesqui, à force de s’être baignés dans un ciel immaculé, ne se distinguentplus de lui que par leur ombre et leur parfum. Quant au
myrtil, il enfaut dédier le fruit aux jeunes filles qui, trop jeunes pour avoirsouffert de la vie, peuvent sans sourciller mordre à ses pulpesaigrelettes.
SABLES MARINS
Ils offrent une végétation coriace : l’
yeuse ou
chêne-vert, d’unbeau port cependant. J’avais, dans ma jeunesse, espéré de l’avoir surma tombe. Une tempête m’a dissuadé. Mais il chante encore dans mamémoire, grâce à l’emploi délicieux qu’en a fait le prince des rimeurs: notre vieux Théodore de Banville. Le
chêne-liège n’est qu’unécorché vif et, d’autant plus, qu’il se convulse sous les tourmentes dela mer. L’
arbousier, aux fruits rugueux, âpres, et d’un rougedécoloré, me rappelle le petit jardin d’Orthez où tant d’amitiés ontfleuri. Tout ce qui ne respire pas le vent du large et de la montagnem’empoisonna la vie autant qu’eût fait la
pomme-épineuse ou
daturaqui croît aussi sur les plages amères. C’est au
chardon-bleu desgrèves que je donne le prix car, plus encore que le sapin ou lemélèze, ou la campanule, il se fond avec le ciel.
MURAILLES
Ce n’est pas de ce massif qui borde au sud notre pays qu’il s’agit,dont on dit que les ondoiements, les soulèvements, les marées, leschevauchements, les chutes, les fiertés, les houles, les pénétrationssont soumis aux mêmes lois de la gravitation qu’une Thétys plus lente.Ce n’est plus sur vous que j’irai, ô divins remparts, montagnesbien-aimées où j’ai monté tout jeune, où je découvrais des espècesenivrantes que je n’ai point toutes retenues. A l’heure de savieillesse, Francis Jammes ne vous saluera plus que de loin. Entre deuxde ses enfants il fera le tour de sa maison. La flore d’une petitemuraille lui tiendra lieu de hauts sommets. L’
asplénium adiantumnigrum, pareille à une plume d’oiseau dont le bec est trempé dans lameilleure encre, lui redira son métier ; la
cymbalaire gazonnante,qui panse les blessures de la pierre, le rappellera à la charité ; la
langue-de-cerf le fera songer à la fable de La Fontaine, et la
doradille enluminera son missel.
1926.