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BIOT, Jean-Baptiste(1774-1862) : Essai sur l'histoiregénérale des sciences pendant la révolution française.- A Paris: Chez Duprat et chez Fuches, An 11-1803.- 83 p.; 20 cm. Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (06.III.2012) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque(Bm Lx : 2316). ESSAI SUR L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES SCIENCES PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. Par J. B. BIOT, Associé de l'Institut National de France, Professeur au Collège de France, et Membre de la Société Philomatique de Paris. A PARIS,
AN 11. - 1803 ~ * ~ ~ * ~ .....................artes, Per quas Latinum nomen, et Italae Crevere vires, famaque, et imperî Porrecta majestas ad ortum Solis, ab Hesperio cubili. Horat. Carm. lib. IV. (Ce Précis avait été composé pour servir d'introduction à la nouvelleédition du Journal des Ecoles Normales ; des circonstancesparticulières ont déterminé l'auteur à le publier séparément.) ESSAI SUR L'HISTOIRE DES SCIENCES PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. On se propose de tracer, dans cet écrit, l'Histoire générale desSciences, pendant la Révolution : on s'attachera moins à détaillerleurs découvertes, qu'à montrer la part qu'elles ont prise à cetévénement, et le sort qu'elles ont éprouvé : leur situation à cetteépoque est sans exemple. On les avait vues, jusqu'alors, fleurir sousles Gouvernemens éclairés et s'éteindre dans les dissentions civiles.Le despotisme révolutionnaire leur donna une existence politique, ils'en servit pour inspirer de la confiance au peuple, pour préparer desvictoires et gagner des batailles. Les secours qu'elles fournirentfurent si grands, que l’on voulut les perpétuer. C'est ce qui fit créerplusieurs établissemens d'instruction publique, et entr'autres l'écolePolytechnique et l'école Normale : précaution devenue trop nécessaire,car un grand nombre de savans avait déjà péri, d'autres étaient cachésou dans les fers ; le reste, organisé en ateliers, était employé àtravailler pour la Révolution, et contraint de racheter, par desprodiges continuels, la vie qui leur était conservée. Mais avant d'en venir à ces tems malheureux, il est nécessaire derappeler quel était l'état des Sciences, lorsque la Révolutioncommença, afin que l'on connaisse avec les faits les causes qui leuront donné naissance. Les écrivains du siècle de Louis XIV avaient porté les lettres au plushaut degré de perfection. La langue française leur devait sa pureté etson élégance : toutes ses beautés, toutes ses ressources étaientdéployées dans leurs ouvrages. Leurs successeurs ne purent les égalerdans les genres où ils étaient à la fois créateurs et modèles, et lesparties les plus brillantes de la littérature étant, pour ainsi dire,épuisées, le talent d'écrire vint animer les Sciences et embellir laPhilosophie. Ce changement, contre lequel on a beaucoup déclamé, est peut-être moinsl'effet du manque de génie que le résultat inévitable de la marche del'esprit humain. Toujours les beaux tems de la poësie préparèrent lerègne des Sciences ; Platon et Aristote, chez les Grecs, avaient étéprécédés par Sophocle et Euripide ; chez les Romains, Pline et Senèquesuivirent le grand siècle d'Auguste. Au reste, par une conséquence nécessaire, les lettres en perdant leuréclat étendirent leur pouvoir. Les passions que la poësie fait naîtrene durent qu'un moment ; ces jeux de l'imagination n'influent point surles événemens politiques : la philosophie au contraire, agissant sur laraison, a des effets lents mais durables, et lorsqu'elle sait, pourplaire, se parer des charmes du style, la puissance qu'elle exerce surl'opinion peut aller jusqu'à changer les mœurs des peuples et le sortdes états, La France, depuis le règne de Louis XIV., offre un exemplecontinuel de cette vérité. Boileau, Racine et Corneille n'avaient obtenu que l'admiration de leursiècle, Voltaire prit de l'autorité sur le sien. Il n'atteignit pas laperfection exclusive de ces grands modèles, mais il eut un talent plusflexible, un esprit plus varié, des connaissances plus étendues : leurgoût exquis dans la littérature se changea chez lui en un tact délicatqui s'étendit à tout : assez riche pour n'avoir besoin que decélébrité, il donna aux gens de lettres une dignité, une considérationqu'ils n'avaient point encore : sa critique, tout-à-la-fois mordante etlégère, s'aidant de l'énergie de Rousseau, et de la raison deMontesquieu, fonda cette puissance de l'opinion publique, à laquellerien ne peut résister. Tout contribuait alors à donner du crédit aux lettres, le rang, lenombre, le mérite de ceux qui les cultivaient : les Sciences même,revêtues par elles de formes plus aimables, trouvaient place auprès desgens du monde. Fontenelle les avait, pour ainsi dire, introduites dansla bonne compagnie. Les graces dont il les avait embellies leurdonnèrent pour partisans, outre ceux qui les aimaient en effet, ceuxqui voulaient simplement avoir l'air de s'en occuper. D'Alembert prouvaqu'elles n'excluent ni la finesse de l'esprit, ni le talent d'écrire.Buffon montra qu'elles se prêtent à tous les effets de la plus grandeéloquence. Tant de succès étaient bien propres à les mettre en faveur ; ils firentnaître pour elles un goût universel, et la littérature, devenue envieillissant, plus méthodique que passionnée, dut leur céder son empire. Peut-être l'attrait de la nouveauté contribua t-il à cette révolution ;mais ce n'en fut pas la seule cause : rien n'est plus beau, rien n'estplus digne de l'admiration des hommes, que le génie développant avecnoblesse les lois éternelles de la nature. Les Sciences, en répandant ainsi leurs lumières, contribuaient de lamanière la plus sûre, à faire disparaître les préjugés que combattaitla philosophie. Pour seconder leurs efforts, on conçut l'idée d'unouvrage où toutes les connaissances humaines seraient renferméessuivant un ordre systématique ; et dans lequel on pourrait cependantretrouver, à point nommé, leurs plus petits détails. Tel est l'objet etle plan de l'Encyclopédie que Diderot et d'Alembert publièrent. Cetimmense travail, rédigé à la hâte par une foule d'écrivains différens,devait nécessairement manquer d'ensemble. On peut même lui reprocherbeaucoup d'imperfections dans les détails ; mais il n'en a pas moinsrempli son véritable but, qui était de mettre sous les yeux des gens dumonde, une table de matières où ils pussent apprendre l'existence d'unefoule de connaissances positives qui leur étaient entièrementinconnues. C'était le premier pas et le plus difficile à faire pourleur inspirer le goût de la véritable instruction ; car c'est un effetnaturel et constant de l'amour-propre de faire mépriser les choses quel'on a long-tems ignorées. Sous ce point de vue, l'Encyclopédie étaitune barrière qui empêchait pour toujours l'esprit humain deretrograder. Les ennemis de la philosophie s'en effrayèrent ils sevengèrent par des persécutions ; mais enfin la raison l'emporta. Etquoique cet ouvrage doive par sa nature devenir incomplet, à mesure queles Sciences et les Arts s'aggrandissent, le souvenir en restera commed'un monument également honorable pour les hommes qui ont osél'entreprendre, pour le peuple chez lequel il s'est exécuté, et pour lesiècle qui a mérité qu'on l'élevât. On vient de voir par quels degrés les Sciences se sont emparé, vers lafin du 18.e siècle, de l'influence que les lettres avaient jusqu'alorsexercée ; il reste à montrer dans leur état à cette époque, sur-toutdans la marche qu'elles ont prise, les causes qui rendront cette faveurdurable. Une opinion s'est élevée, revêtue d'une apparence de sagesse, appuyéesur de grandes autorités. On a voulu faire entendre que lesconnaissances humaines ont comme les flots de la mer, leur flux et leurreflux au milieu des âges du monde ; qu'elles ne s'élèvent à certainesépoques, que pour s'abaisser dans d'autres ; et qu'enfin ellesreconnaissent aussi des bornes qu'elles ne peuvent jamais passer. Onapporte en témoignage le peu de progrès qu'ont faits les Sciencesdepuis qu'elles sont cultivées, la bizarrerie et la contradiction dessystèmes qui ont successivement occupé les hommes ; sur-toutl'insuffisance des méthodes les plus perfectionnées, lorsqu'on les faitlutter contre l'adresse mystérieuse de la nature. Ces idées devicissitudes plaisent à l'imagination inquiète, qui cherche toujoursdans le passé le souvenir d'un état meilleur ; et tandis que l'ondéplore la faiblesse des moyens qui ont été donnés à l'homme, oncondamne comme des esprits téméraires ceux qui cherchent à lesaugmenter. Quelle est cependant cette antiquité si reculée, dont on veut regarderl'expérience comme établissant la mesure de notre entendement ? Lesannales des peuples, celles du moins qui ne renferment que des faitsauthentiques, ne remontent guères au-delà de 28 siècles. Dans cetintervalle, on compterait à peine huit cents ans qui aient été fertilespour l'esprit humain : le reste est un désert abandonné à l'ignoranceet à la barbarie. Les Grecs et les Romains, qui ont vu une partie deces tems favorabes, les ont consacrés à l'étude de la morale et àl'avancement des lettres. Ce n'est que chez nous autres occidentaux,sur-tout depuis la découverte de l'imprimerie, que les Sciences ont étégénéralement cultivées ; alors seulement elles ont pris une marchephilosophique ; c'est-à-dire, que chacune d'elles a été appliquée auperfectionnement des autres, et leurs progrès, depuis cette époque, ontété pour toujours assurés. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeterles yeux sur leur histoire. Lorsque le commerce des Arabes et celui des Grecs échappés à la prisede Constantinople, ramenèrent en Europe le goût des Sciences depuislong-tems oubliées, l'histoire naturelle se ranima une des premières.Les ouvrages d'Aristote furent lus et médités. Quelques naturalistes seformèrent : c'étaient des compilateurs érudits qui répandirent le goûtde la Science, et la servirent sans l'avancer. Cependant l'habitude des voyages fit naître le talent de l'observation.Ce ne fut plus assez d'étudier l'image de la nature dans les écrits desanciens, on voulut la voir elle-même, mais vivante et animée. Bientôtla découverte d'un nouveau monde rempli de productions inconnues,entraîne une multitude d'observateurs : les faits et les descriptionsse multiplient. Déjà l'on, s'attache à rapprocher les êtres par desrapports naturels ; on cherche à les groupper par familles, à lesdistribuer en classes. L'histoire naturelle s'avance ainsi jusqu'aui8.e siècle, en marchant toujours d'un pas égal. Alors Linnée, concevant l'idée vaste d'une méthode systématiqueuniverselle, rassemble ces matériaux épars, saisit les traits qui lesunissent, et les enlace tous dans un réseau immense, dont les fils,toujours distincts, conduisent avec sûreté jusqu'aux plus petitsdétails. Dans le même teins, Buffon paraît, s'élance aux vues les plus hardies, découvre l'équilibre de l'univers dans le balancementperpétuel des forces sans cesse agissantes, dont les espèces, cesindividus immortels sont animées ; et sa grande éloquence, annoblissanttous les êtres par leurs rapports au systême général, montre enfin lanature dans toute sa majesté. Une foule d'hommes célèbres secondent cesefforts, et l'histoire naturelle est portée au premier rang parmi lesconnaissances humaines. Parvenue à ce dernier période, cette Science, désormais trop étenduepour être complettement embrassée dans le cours d'une seule vie, separtage en plusieurs branches qui prennent des accroissemens rapides. L'histoire des animaux ne se réduit plus à une description souventimparfaite de leurs formes extérieures, elle offre le tableau de leursmœurs ; elle observe leurs habitudes, non-seulement dans les plusgrands d'entr'eux, dont l'instinct n'est presque de la force, maisaussi dans les plus petits dont les ruses et la prévoyance sontproportionnées à leur faiblesse. Appuyée sur l’anatomie, elle cherche,dans la conformation de leurs organes intérieurs, l'explication desphénomènes qu'ils présentent ; et par là, elle assigne leur place dansl'ensemble général des êtres. La botanique ne se borne plus à nommer et à décrire les végétaux : unephysique délicate est employée pour découvrir les lois de leursdiverses fonctions. Les méthodes artificielles se multiplient etfacilitent l'entrée de la science. En même tems une étude plusimportante et plus relevée fixe les efforts des savans. Ils comparentles organes des plantes, pour y reconnaître leurs rapports naturels.Bientôt ils les découvrent à l'origine de la vie, dans ces premiersdéveloppemens que la nature a soumis à des lois immuables chez tous lesêtres organisés : alors la méthode systématique, réduite à sonvéritable usage, ne sert plus à classer les végétaux, mais seulement àles reconnaître, et la méthode naturelle, fondée sur une longue suited'observations héréditaires, atteint à-la-fois ce double but. La minéralogie ne se contente plus des caractères peu précis qu'offrel'aspect extérieur ; elle emprunte de la chimie les moyens d'analyseret de classer les minéraux. Elle cherche les propriétés physiques quipeuvent rendre leur détermination facile ; elle remonte par une sortede dissection jusqu'aux premiers élémens des corps cristalisés, etpartant de ces formes simples recompose par leur superpositiongéométrique des divisions véritablement naturelles. Aggrandie par cessecours, elle joint aux charmes des Sciences naturelles, la précisionqui résulte toujours de l'heureuse application du calcul. L'étude duglobe terrestre qui autrefois s'y trouvait comprise, devient uneScience particulière qui, sous le nom de géologie, considère lastructure de la terre, et reconnaît par leurs traces terribles lesbouleversemens successifs qui l'ont agitée. Libre des entraves que les préjugés et la superstition lui avaientdonnés, l'anatomie fait des progrès immenses, et devient la base del'histoire des êtres animés. A la circulation du sang qui était déjàreconnue, on ajoute les phénomènes importans de l'irritabilité,l'existence des sucs qui préparent la décomposition des alimens, ladisposition et l'usage des vaisseaux, qui, par leurs ramificationsinfinies, vont porter en même tems à tous les points du corps lanourriture et la vitalité. On ne se contente plus d'observer desindividus, on suit les états progressifs des divers organes depuisl'enfance jusqu'à la vieillesse. L'ensemble de ces connaissancesfournit des lumières précieuses à la physiologie qui n'est encorequ'une Science d'observation. La chirurgie en devient plus hardie,parce qu'elle est plus éclairée ; elle simplifie l'art d'extirper lapierre et ses cruelles douleurs ; elle ose provoquer par l'inoculationcette maladie terrible qui germe en nous avec la vie, et qu'il faut,pour ainsi dire, surprendre pour la combattre avec avantage. La sagesseunie à l'expérience découvre une foule d'opérations aussi admirablesque sûres, pour le soulagement de l'humanité. Enfin, la multiplicitédes faits observés permet de lire dans leur rapprochement les loisgénérales de l'organisation animale, et le genre d'étude qui avaitconduit en botanique à la méthode naturelle forme l'anatomie comparée. Des grands voyages sont entrepris pour reconnaître des contréeséloignées, découvrir de nouvelles terres, et enrichir l'histoirenaturelle. Toutes les productions du globe sont renfermées dans unvaste édifice, où la méthode rapprochant les êtres des climatséloignés, présente sous un seul point de vue l'ensemble et tous lesdétails de la nature. Voilà ce qu'a fait pour les Sciences naturelles ce 18e siècle, tantdécrié par l'ignorance. Les progrès de l'esprit humain vers cette époque sont encore plussensibles dans les Sciences qui, joignant l'expérience à l'observation,empruntent de la philosophie les moyens d'interroger la nature. Ces Sciences avaient été peu avancées par les Grecs et les Romains,dont l'étude favorite était la philosophie morale. Après la renaissancedes lettres, elles restèrent long-tems stationnaires en Europe, où l'onne s'occupait que de théologie. Des anticipations téméraires etprématurées, une dialectique bonne pour disputer et non pour inventer,voilà ce qui composait alors la philosophie naturelle. Galilée par son exemple, Bacon par ses écrits détournèrent les savansde ces efforts stériles, et les rappellèrent à l'expérience ; non pas àcette expérience hasardeuse qui ressemble au tâtonnement dont on sesert pendant la nuit, mais à celle qui toujours sûre et féconde, faitd'abord briller la lumière et découvre la trace de la vérité. Descartes, plus propre à entraîner les hommes, acheva cette révolution.Il délivra ses contemporains de l'espèce de culte qu'ils rendaient à laphilosophie d'Aristote, et leur apprit par la chute de cette grandeidole à le juger bientôt lui-même. Dès-lors on ne reconnut d'autoritéque celle de l'expérience et de la raison. Les Sciences, dégagées del'esprit de systême qui les avait égarées, entrèrent dans leurvéritable route. Les effets de ce changement se firent d'abord sentir dans la physiquequi, opposant les corps les uns aux autres pour observer leurs actionsréciproques, est la plus simple des Sciences après l'histoirenaturelle, qui les classe et les définit. On doit rapporter à cetteépoque, le commencement de ses progrès et l'origine des grands travauxqui l'ont depuis enrichie. La physique, considérant l'état des corps comme permanent ou commevariable, se partage naturellement en deux divisions. La premièrecomprend les actions mécaniques que les corps exercent les uns sur lesautres, en vertu de leurs propriétés générales ; la seconde renfermeles modifications dues à des forces accidentelles et variables, commela chaleur, l'électricité, le magnetisme. Les phénomènes dus à des causes permanentes, étant les plus simples, sesont offerts les premiers à l'attention des observateurs. Déjà, du temsde Newton , les lois de l'équilibre et du mouvement sont trouvées ; lependule est appliqué à la mesure du tems, et le télescope aux usagesastronomiques ; la pesanteur de l'air est démontrée ; le baromètre estinventé ; enfin, par les travaux de ce grand homme, la propagation duson et celle de la lumière sont reconnues ; la lumière est décomposée ;les instrumens d'optique sont perfectionnés, et une foule de faits sontexpliqués par ces découvertes. Les phénomènes physiques, dans lesquels l'état des corps varie, étaientalors peu étudiés ; on connaissait seulement les effets généraux de lachaleur, pour dilater les corps, et quelques propriétés attractives dumagnetisme et de l'électricité. Depuis Newton, la partie mécanique de la physique a encore reçu desperfectionnemens : on a porté plus de précision dans quelques détails.L'optique a donné aux navigateurs, l'Octant dont ils se servent pourles longitudes en mer, et aux astronomes le cercle répétiteur si utiledans les opérations relatives à la mesure de la terre. Le calcul etl'expérience ont créé la théorie des instrumens à vent et celle deslunettes achromatiques. Mais la partie de cette science qui traite des causes accidentelles, afait sur tout des pas remarquables. On a déterminé, avec plus d'exactitude, l'action de la chaleur. Lebaromètre et le thermomètre ont été perfectionnés. L'influence de latempérature sur le ressort de l'air, a été mesurée : sa faculté dedissoudre de l'eau a été reconnue : on a créé un instrument pourmarquer son degré d'humidité apparent. Par suite de ces recherches, lesmodifications de l'athmosphère ont été mieux observées. On a cherchéles lois suivant lesquelles la chaleur se communique ; les différensétats où elle devient sensible, ont été distingués. Enfin, on s'estélevé à cette considération générale que la solidité, la liquidité etl'état aériforme, sont de simples modifications produites par lesforces sans cesse opposées de la chaleur qui tend à écarter lesmolécules des corps, et de l'attraction qui tend à les rapprocher. L'électricité et le magnétisme ont présenté des découvertes encore plusbrillantes. Quelque tems après la mort de Newton, les phénomènes électriques semultiplièrent entre les mains de Gray et de Dufay ; on découvrit leseffets étonnans de la bouteille de Leyde. Le bruit de ces expériencess'étendit jusqu'en Amérique : cette terre, encore à demi sauvage, avaitdéjà produit un homme, que sa sagesse et sa tranquilité d'âme,rendaient également propre à observer la nature et à civiliser sonpays. Ayant reçu d'Angleterre une machine électrique, Franklin suivitles nouveaux phénomènes. Bientôt il parvint à les représenter tous parl'action opposée des deux électricités, dont la combinaison formel'état naturel des corps. Il découvrit le pouvoir des pointes, etexpliqua l'expérience de Leyde. Alors guidé par l'analogie queprésentent les effets de la foudre et ceux de la matière électrique, ilprononça et prouva leur identité : ce fut là l'origine des paratonerres. Epinus exposa et rectifia la doctrine de Franklin, dans un ouvrage oùle calcul et l'expérience se prêtent un mutuel secours. Il restait àdéterminer la loi suivant laquelle la force respulsive de la matièreélectrique, varie avec la distance : on y parvint en créant un appareild'une simplicité et d'une exactitude inespérées. La loi de cesphenomènes s'étendit aux attractions magnétiques, et se trouva la mêmeque celle de la gravitation observée dans les espaces célestes. Peu de tems après, on fit en France une expérience encore plus hardieque celle de Franklin. Mongolfier inventa les aérostats ; et l'homme, àqui la nature avait refusé des aîles, alla l'interroger au sein desnuées et des orages. Pendant que ces expériences étonnaient l'Europe, il se faisait, dans uncoin de l'Italie, une découverte à laquelle on donna d'abord peud'attention, et qui maintenant paraît liée aux phenomènes les plusimportans de la mort et de la vie. En 1789, un étudiant en médecine deBologne, disséquant une souris vivante, et la tenant d'une mainfixement assujettie, toucha de l'autre un de ses nerfs avec sonscalpel, et ressentit aussitôt une commotion électrique. Rien n'est à négliger dans les sciences ; ce seul fait a été la sourcedes résultats les plus étonnans. Vers cette époque la chimie venait d'éprouver une de ces révolutionsqui renouvellent les sciences ; révolutions bien dignes de fixerl'attention du philosophe, parce qu'elles ne coûtent point de sang, etqu'elles montrent, dans ses efforts progressifs, un des mouvemens lesplus remarquables de l'esprit humain. Jusqu'au dix-septième siècle, la chimie n'était presqu'un recueil defaits isolés ou de procédés secrets. Stalh parut et en fit une science.Il lia tous les phénomènes connus par la seule hypothèse duphlogistique ou du feu combiné. Mais un jour suffit pour renverser lessystêmes, le tems ne confirme que les lois de la nature. La théorie fitnaître la discussion et l'examen des faits : en les observant avec plusde soin, on vit que plusieurs des circonstances qui les accompagnentavaient été négligées : enfin on s'apperçut que les fluides élastiques,qui se dégagent dans une infinité d'expériences, et que Stalh, sansexamen, avait regardés comme de l'air ordinaire, étaient réellement dessubstances très-différentes les unes des autres. Cette découverte fitétudier leur influence : en les analysant on apperçut une multitude defaits inexplicables par la doctrine du phlogistique. Alors vivait unhomme qui joignait à une grande fortune deux qualités ordinairementcontradictoires ; le génie, qui généralise, et la précision, qui mesureles détails. Cet homme, c'était Lavoisier, abandonnant les phénomènessecondaires, s'attacha au plus important de tous, à celui de lacombustion. Il s'astreignit à tout recueillir, à tout peser, et ilprouva d'abord que l'augmentation du poids des métaux pendant lacalcination, était due à une portion de l'air athmosphérique qui s'yfixait. Lavoisier fit voir que ce principe absorbé était plusrespirable que l'air ordinaire ; il prouva qu'il est un des principesconstituans de cet air que l'on avait jusqu'alors regardé comme uncorps simple. Lorsqu'il eut ainsi reconnu la nature et l'action de cessubstances invisibles, avec autant de précision que s'il eût pu lesvoir et les toucher, il fut conduit à une infinité de découvertes,toutes liées les unes aux autres ; et il arriva enfin à la célèbreexpérience de la décomposition de l'eau : ce fut le complément de sathéorie, qui est maintenant adoptée dans toute l'Europe sous le nom dedoctrine pneumatique française. Les travaux de Lavoisier, et ceux de plusieurs chimistes français quisecondaient puissamment ses efforts, ne changèrent pas seulement l'étatde la science, ils lui donnèrent une marche et une logique nouvelle. Onsentit la nécessité de joindre l'exactitude des expériences à larigueur du raisonnement. Peut-être les chimistes durent-ils cetteréforme au commerce des géomètres, dont ils s'étaient rapprochéslorsqu'ils avaient eu besoin de méthodes précises. Mais aussi lesgéomètres apprirent à cultiver les sciences physiques, et à y trouverle sujet de leurs plus belles applications : cet échange de lumièresest la preuve certaine de la perfection des sciences, en même temsqu'il leur assure de nouveaux progrès : il a donné à la chimie la vraiethéorie de la chaleur, et le premier instrument exact qui ait servi àla mesurer. A l'origine des sciences tous les faits paraissent principaux : enavançant, on apperçoit des rapports ; enfin, lorsque l'objet de leursrecherches est susceptible d'exactitude, il arrive un moment où tout cequi semblait général devient particulier, et se ramène à un petitnombre de principes. De ces sommets élevés, on peut redescendre avecfacilité dans les détails : la marche est simple et naturelle. Alors sil'on fixe ces points de départ à l'aide de signes bien choisis, etqu'on exprime ensuite, par les modifications de ces signes, ladépendance qu'on apperçoit entre les objets dont la science estcomposée, cette science a une langue philosophique où l'analogie estobservée, et qui, par cela même, peut indiquer de nouveaux rapports :telle est la nomenclature que les savans français ont donnée à lachimie. Quoique cette langue nouvelle fût sollicitée parl'accroissement des découvertes, l'idée de ses avantages ne pouvaitnaître que d'une philosophie très-perfectionnée, et le talentlittéraire n'était pas moins nécessaire pour la créer que lesconnaissances chimiques. Si le perfectionnement de la philosophie a puissamment contribué auxprogrès des sciences qui ont pour objet l'étude des phénomènesnaturels, il devait influer plus sensiblement encore sur lesmathématiques, dans lesquelles la méthode est tout : c'est aussi ce quiest arrivé. Les traités qui sont parvenus jusqu'à nous, nous montrent les anciensgéomètres bornés aux simples élémens ; leur génie est comme resserrédans ce cercle étroit dont il ne peut sortir. Si l'on cherche la causequi retient des têtes aussi fortes sur de pareils détails, on voitbientôt que c'est la méthode. La synthèse, dont ils font usage, procèdedes vérités connues à celles qu'il s'agit de démontrer ; et commetoutes les vérités n'ont pas, les unes avec les autres, une liaisonégalement intime, ce n'est que par une sorte de tact qu'on devine cellequi conduit au but ; on ne peut même espérer d'y parvenir que si ce butest très-rapproché : la marche des sciences, par cette méthode, estdonc lente et difficile. Les modernes suivent une route contraire ; ils partent de ce qui est enquestion, pour revenir au centre commun des vérités déjà connues. Cetteméthode inverse constitue l'analyse mathématique : aussi rigoureuse quela synthèse, elle est plus directe et plus rapide. On lui doit la plusgrande partie des découvertes faites dans ces derniers tems. De toutes ses applications, la plus belle est la recherche des lois quirégissent le systême du monde. L'esprit, en effet, a besoin d'uneméthode sûre pour saisir tant de rapports divers, pour les suivre avec constance et percer, à travers leurenchaînement, les voiles dont s'enveloppe la nature. C'est là quel'analyse est indispensable, et de cette nécessité même sont néspresque tous ses progrès. Grâces à son secours , trois siècles ontsuffi pour découvrir et fixer tous les phénomènes célestes. C'est à Copernic qu'il faut rapporter l'origine de ces travaux :inspiré par les écrits de plusieurs philosophes de l'antiquité, il fitrevivre leur systême, plaça le soleil au centre du monde, mit lesplanètes et la terre elle-même en mouvement autour de cet astre, etréduisit la révolution diurne du ciel à une simple illusion produitepar la rotation du globe. Tous les phénomènes astronomiques vinrentnaturellement se plier à cet arrangement, simple comme la vérité même.Mais, pour ne pas effrayer les préjugés de son siècle, Copernic leprésenta comme une hypothèse purement mathématique, et sa mort, quiarriva peu de tems après, prévint les persécutions qu'il aurait sansdoute essuyées. Ces idées, d'abord peu suivies, reprirent faveur par les découvertes deGalilée sur les satellites de Jupiter, et le mouvement de Venus autourdu Soleil. Ces phases, ces éclipses, ces retours périodiquess'appliquaient naturellement à la Terre. L'analogie était frappante ;mais le mouvement de cette planète était en contradiction avec quelquespassages de l'Écriture. Sur cette autorité, Galilée, âgé desoixante-dix ans, fut cité au tribunal de l'inquisition, et condamnécomme hérétique à une prison perpétuelle. Dans le même tems, Kepler découvrait et publiait les lois fondamentalesdes mouvemens célestes. Mais c'étaient là des vérités d'un autre ordreque celles dont Galilée était victime : elles étaient trop abstraites,trop enveloppées de calculs, pour faire de nombreux partisans. On necherche jamais à étouffer la vérité que dans sa naissance ; dès qu'elles'élève, elle échappe à-la-fois au vulgaire et à ses persécuteurs. Cependant les progrès de l'analyse suivaient ceux de l'observation.Cette époque est fameuse dans l'histoire des sciences, par l'inventiondes logarithmes ; artifice admirable qui, en abrégeant les calculs,étend pour ainsi dire la vie des astronomes, comme le télescope avaitaggrandi leur vue. L'algèbre, qui n'est que la combinaison analytique des nombres,indépendamment de leurs valeurs particulières, était déjà fort avancéelorsque Descartes parut ; mais on n'en avait fait usage que pour desquestions déterminées, c'est-à-dire, pour trouver des quantités dont lenombre de valeurs est limité. Descartes, par une nouvelle abstractionl'employa, pour exprimer la loi suivant laquelle se succèdent lesvaleurs des quantités variables ; de-là le calcul des lignes courbes etl'application de l'algèbre aux problêmes de géométrie indéterminés. C'est par des abstractions que les idées se généralisent. Celle-ci fitfaire un grand pas aux sciences physiques et mathématiques ; ellefavorisa puissamment l'impulsion générale que Descartes leur avaitdonnée. Peut-être aurait-il pu lui-même tirer un plus grand parti del'instrument qu'il avait créé ; mais ce génie impatient semblait moinssuivre la nature que la prévenir : les idées de Copernic et les lois deKepler, qui renfermaient la clef du véritable système du monde,restèrent inutiles entre ses mains. Huygens, qui connut ces travaux, n'en tira pas non plus ce qu'ilsrenfermaient ; mais il s'illustra par d’autres découvertes. Il appliquale pendule aux horloges, expliqua les apparences de l'anneau deSaturne, et fit connaître les lois du mouvement. Enfin, Newton parut, et les sciences achevèrent de s'éclairer. Onétudia les quantités dans leurs plus petites variations, où leur naturese trouve empreinte par des caractères plus généraux : de-là le calculdifférentiel inventé en même-tems par Leibnitz et Newton. Cetterencontre ne doit point surprendre ; les grandes découvertes sontordinairement amenées par l'accroissement des connaissances ; ellessont en quelque sorte inévitables ; et les hommes de génie qui sont enavant de leurs siècles, doivent être portés vers elles par le mouvementgénéral auquel ils participent toujours. Ici la science n'est plus bornée à des détails stériles. Newton établitla loi de la pesanteur universelle. D'après ce seul principe, lesystème du monde est expliqué, les grands phénomènes qu'il présentesont calculés, et la philosophie naturelle est fondée sur des basesinébranlables. L'impulsion que Newton avait imprimée autour de lui, fut quelques temsà se propager dans le reste de l'Europe. Les obstacles qu'avaitrencontrés Galilée, lorsqu'il proposa l'hypothèse du mouvement de laterre, s'élevèrent aussi contre la loi de la gravitation. Mais cettefois l'ignorance combattit sans avoir le pouvoir de persécuter : letems fit triompher la vérité. On a depuis beaucoup accru les richessesque Newton avait laissées. De grands voyages ont été entrepris pourreconnaître et mesurer la figure de la terre. Les mouvemens de la luneont été calculés avec une admirable précision. On a trouvé, dansl'applatissement de la terre, la cause de la précession des équinoxes,et celles de la nutation de l'axe terrestre déjà reconnue par lesobservations. Le calcul des différences partielles et celui desvariations, ont été inventés. Le mouvement de la lumière, combiné aveccelui de la terre, a fait connaître la cause de l'aberration desétoiles. Enfin, à l'époque de la révolution, les principes de lamécanique analytique étaient établis ; le calcul des probabilités avaitreçu la plus grande extension ; tous les phénomènes connus du systèmedu monde, ceux même que leurs longues périodes semblaient dérober auxobservations modernes, étaient expliqués et soumis à des loisrigoureuses. Une nouvelle planète avait été observée : elle confirmait, de lamanière la plus éclatante, la théorie Newtonienne ; enfin pour que rienne manquât à la gloire de l'astronomie, une plume éloquente avait écritson histoire. Voilà quels ont été les progrès de l'esprit humain dans les Sciencesphysiques et mathématiques : on n'y remarque que deux périodesdistinctes : l'une avant, l'autre après la renaissance des lettres enOccident. Dans la première, qui comprend toute l’antiquité, lesphilosophes imaginent de vastes systèmes dont ils s'efforcent ensuitede démontrer la vérité : rien n'est calculé, rien n'est mesuré.Quelques traités sont composés par des hommes de génie ; ils renfermentla collection des résultats connus, et non des méthodes d'avancement etde recherches. On observe quelques phénomènes, on recueille des faits ;mais toujours dans des vues particulières, et non pour fonder, surleurs rapports, la philosophie naturelle. En un mot, quelques détailsexistent : l'ensemble des sciences n'existe pas. Dans la seconde période, qui comprend les tems modernes, on se sert desfaits moins pour en retirer des applications immédiates que pourdévelopper les vérités qui en dérivent. On passe d'abord de ces faits àleurs conséquences les plus simples qui n'en sont presque que desénoncés. De celles-ci on s'élève à d'autres plus étendues, jusqu'à cequ'on arrive enfin, par des degrés insensibles, aux généralités lesplus abstraites. La méthode est une induction sans cesse vérifiée parl'expérience. Elle donne à l'intelligence humaine, non des ailes quil'égarent, mais des rênes qui la dirigent. Les sciences unies par cettephilosophie commune, s'avancent de front ; les pas que fait chacuned’elles, servent à entraîner les autres. Leur marche, par cetteméthode, est donc à-la-fois sûre et féconde. Elle sera toujourscroissante et irrésistible, puisqu'il faudrait pour l'arrêter, anéantirensemble et au même instant, toutes les connaissances humaines :malheur affreux, dont la découverte de l'imprimerie nous a pourtoujours préservés. Lorsqu'au milieu d'une nuit obscure, perdu dans un pays sauvage, unvoyageur s'avance avec peine à travers mille dangers ; s'il se trouveenfin au sommet d'une haute montagne qui domine un vaste horison ; etque le soleil, en se levant, découvre à ses yeux «ne contrée fertile,et un chemin facile pour le reste du voyage, transporté de joie, ilreprend sa route, et bannit les vaines terreurs de la nuit. Nous, à lavive lumière de la philosophie, oublions donc aussi ces crainteschimériques du retour de l’ignorance, et marchons d'un pas ferme dansl'immense carrière désormais ouverte à l'esprit humain. Les savans et les gens de lettres, qui avaient élevé l'édifice desconnaissances humaines à une si grande hauteur, jouissaient de laconsidération qu'ils avaient acquise : on recherchait leurs personnes,on admirait leurs écrits, on ambitionnait leurs suffrages. Assezcourageux pour conseiller le bien, ils avaient quelquefois assez decrédit pour faire reparer le mal. Les uns, possesseurs d'une grandefortune, l'employaient à propager les sciences et les arts ; lesautres, sortis par leurs talens de la classe obscure où le hasard lesavait placés, n'étaient, quoique moins riches, ni moins estimés, nimoins accueillis ; il semblait que le mérite mêlât les rangs dans lasociété. Ceux que leurs talens et leurs belles qualités avaient le plusdistingués, formaient une sorte d’académie, unie par l'amitié au seinde l'académie elle-même. Rapprochés par leurs goûts, leurs travaux etleurs vues, ils mettaient en commun leurs efforts ; élevés, par unnoble désintéressement, au-dessus des misères de l'envie et del'amour-propre, l'avancement des sciences les occupait beaucoup plusque leur gloire particulière : de ce nombre furent Condorcet, Bailly etLavoisier ; les deux derniers ont péri sur l’échafaud pendant larévolution, le premier s'est empoisonné pour s'y soustraire.Quelques-uns de leurs amis ont survécu ; ce sont eux qui ont rallumé enFrance le flambeau des lumières que l'anarchie avait éteint. Mais n'anticipons point sur l'ordre des tems. Nous voici arrivés à uneépoque pleine de malheurs publics et d'infortunes particulières : àpeine trouverait-on en France une seule famille qui n'en ait éprouvéles effets. De-là sont nés une multitude d'intérêts, de souvenirs, dehaines qui subsistent encore, et rendent difficile l'histoire de cetterévolution ; car les hommes, selon qu'ils ont été différemment agités,altèrent la vérité de diverses manières : les uns, par l'envie deflatter ou de dénigrer les gouvernans ; les autres, parce qu'ayantperdu courage, ils ont cessé de prendre intérêt à la chose publique,qu'ils ont regardée comme le patrimoine des factions ; mais celui qui,étranger à tous les partis, ne s'est point laissé aigrir parl'adversité, parle sans amitié comme sans haine, et dit avec sincéritéle bien comme le mal. Lorsque la révolution commença, tous les esprits se tournèrent vers lapolitique. Les sciences furent subitement abandonnées : elles nepouvaient être d'aucun poids dans la lutte qui s'était engagée et quioccupait toutes les têtes. Bientôt on oublia complètement leurexistence : la liberté faisait le sujet de tous les écrits, de tous lesdiscours ; il semblait que les orateurs eussent seuls le pouvoir de laservir, et cette erreur a été en partie la cause de nos maux. Laplupart des savans restèrent simples spectateurs des événemens qui sepréparaient : aucun ne prit ouvertement parti contre la révolution ;quelques-uns s'y engagèrent. Ce furent ceux qui étaient agités par degrandes vues, et qui trouvaient, dans le renouvellement del'organisation sociale, un moyen d'appliquer et de réaliser leursthéories. Ils crurent maîtriser la révolution, et furent entraînés parelle ; mais on était plein d'espérance alors. Si l'amour de la libertén'est que de l'exagération, si le desir de rendre les hommes meilleurset plus heureux, n'est qu'une chimère, on peut pardonner ces erreurs àceux qui les ont payées de leur vie. Parmi les grandes idées que réalisa cette première époque de larévolution, il faut compter celle d'un systême uniforme de mesures. Detous les points de la France on réclamait contre la multitude de cellesqui étaient en usage ; plusieurs rois avaient essayé de fairedisparaître cette diversité, nuisible au commerce légitime, favorable àl'agiotage et à la fraude : ce qu'ils n'avaient pu faire, l'assembléeconstituante l'entreprit. Elle déclara qu'il ne devait y avoir qu'unseul poids et une seule mesure dans un pays soumis aux mêmes lois.L'académie des Sciences fut chargée de chercher et de présenter lemeilleur mode d'exécution. Cette compagnie proposa d'adopter ladivision décimale, en prenant pour unité fondamentale la dixmillionnième partie du quart du méridien terrestre. Les motifs quidéterminèrent ce choix furent l'extrême simplicité du calcul decimal,et l'avantage d'avoir une mesure prise dans la nature. Cette dernièrecondition eût été, à la vérité, remplie, si l'on eût pris, pour unitéfondamentale, la longueur du pendule à secondes pour une latitudedonnée ; mais la mesure d'un arc du méridien, exécutée avec laprécision que comportait les méthodes et les instrumens actuels, étaitextrêmement intéressante pour la théorie de la figure de la terre ; cefut ce qui décida l'académie, et si les motifs qu'elle présenta àl'assembla constituante n'étoient pas tout-à-fait les véritables, c'estque les sciences ont aussi leur politique : quelquefois pour servir leshommes il faut se résoudre a les tromper. L'effervescence générale, que la révolution avait fait naître, s'étaitétendue jusques dans les universités. Le tocsin avait retenti dans cesretraites silencieuses ; à chaque instant des bandes révoltées, mêléesde femmes, d'enfans et d'hommes de tous les états, venaient troublerles études, et forçant la jeunesse de se ranger sous leur salebannière, lui présentaient le spectacle de tous les excès. Il n'enfallait pas tant pour désorganiser une institution déjà vieillie, etqui n'avait presque plus de considération dans l'opinion publique : lescollèges devinrent déserts ; la plupart cessèrent leurs exercices. Levide qui allait s'opérer dans l'instruction publique, et les funesteseffets qui devaient en résulter, frappèrent l'assemblée constituante.Elle décréta que l’enseignement ne serait pas un instant suspendu, etque le roi serait prié d'ordonner la rentrée des collèges comme àl'ordinaire. Mais il était trop tard, l'impulsion était donnée;personne n'avait le pouvoir de l'arrêter. Par-tout l'instructionpublique fut nulle ou languissante ; bientôt on la regarda commeinutile. Au milieu de la secousse générale qui ébranlait la France, la chute desuniversités ne fit aucune sensation ; mais l'influence de cetévénement, sur la génération qui s'élève, n'en sera pas moins sensibleun jour. L'organisation actuelle de la société est fondée sur lesprogrès de la civilisation ; elle a l’instruction générale pour une deses bases ; on ne peut y porter atteinte sans rompre une partie desressorts qui meuvent le corps social. Le mal est d'abord insensible ;on n'a pas détruit la vie, on a flétri les organes de la reproduction.Aussi, lorsque la race nouvelle est amenée par le tems dans le systêmepolitique, les hommes sont petits et faibles, l'état, qu'ils ne peuventsoutenir, s'abaisse entre leurs mains : puissent des moyens réparateurspréserver la France de ce triste sort. Ce n'est pas que je veuille présenter l'ancienne éducation comme laseule qui puisse donner à la patrie des citoyens éclairés ; je saisqu'il lui manquait beaucoup de choses pour remplir ce but ; maisl'expérience nous a trop appris, qu'en fait d'instruction publique, ilfaut, si l'on ne veut pas tout perdre, améliorer et non détruire. Quelque sentiment que l'on ait conservé sur l'ancienne université deParis, il faut convenir qu'elle était en arrière de plusieurs sièclespour tout ce qui concerne les Sciences et les arts. Péripatéticienne,lorsque le monde savant avait renoncé, avec Descartes, à la philosophied'Aristote, elle devint cartésienne quand on fut newtonien : telle estla coutume des corps enseignans qui ne font point de découvertes.Investis à leur formation d'une grande influence sur les opinionsscientifiques, parce qu'ils sont composés des hommes les plus instruitsdu tems, ils veulent constamment conserver ces avantages. Ils souffrentdifficilement qu'il se forme, hors de leur sein, des opinionsnouvelles, qui pourraient balancer les leurs ; et si le progrès desSciences les oblige enfin d'abandonner leur doctrine, ils n'adoptentjamais les théories les plus modernes, fussent-elles d'ailleurspréférables ; ils embrassent celles qui leur étaient antérieures dequelque tems, et qu'eux-mêmes avaient précédemment combattues. Cetteinertie des corps enseignans, est un mal inévitable, parce qu'elle estl'effet de l'amour-propre, la plus invariable des passions. Une pareille fixité d'opinions pouvait avoir quelques avantages lors dela décadence des sciences et des lettres : elle conservait sansaltération le dépôt des connaissances humaines, ce qui était le plusgrand bienfait que des siècles d'ignorance pussent transmettre à lapostérité. C'est une justice que l'on doit aux congrégationsmonastiques, qui de tout tems ont été, dans leur intérieur, des corpsenseignans. Mais maintenant que les sciences ont une marche rapide etassurée, maintenant que l'imprimerie nous a défendu pour toujourscontre les efforts de la tyrannie et de l'ignorance , des corporationsenseignantes, et par-là même stationnaires, ne feraient que retarderles progrès des lumières sans produire aucun bien ; puisque le seulservice qu'elles puissent rendre est devenu à jamais inutile. L'assemblée constituante ayant vainement essayé de maintenirl'éducation existante, quelques-uns de ses membres demandèrent qu'onposât au moins les bases nécessaires à son rétablissement. Plusieursprojets furent présentés et leur résultat général fut soumis à ladiscussion. Dans tous on s'accordait à regarder l'instruction publiquecomme le seul moyen de généraliser la liberté civile et de maintenir laliberté politique. On convenait de l'insuffisance des anciennesinstitutions, qui avaient été créées pour un but tout différent ; enfinon proposait divers degrés d'enseignement, depuis les connaissances quisont nécessaires à tous les bommes, jusqu'aux spéculations élevées parlesquelles s'opère le perfectionnement général et graduel de l'esprithumain. Les moyens d'exécution attachés à ces divers plans étaient àpeu-près les mêmes : en les combinant, il eût été facile de former unexcellent systême d'instruction. Mais à cette époque l'assembléeconstituante touchait à sa dissolution. Les partis qui la divisaientétaient trop occupés de leurs intérêts présens pour songer à ceux del'avenir ; ils étaient peu portés à établir, avec quelqu'apparence destabilité, un édifice que tous, par des motifs divers, se promettaientintérieurement de détruire. L'organisation de l'instruction publiquefut donc renvoyée à l'assemblée législative ; on ne voulut pas mêmedécréter l'existence des écoles primaires : les motifs apparens de cetajournement furent l'importance de l'objet, et les méditationsprofondes qu'il exige. Les véritables, étaient la crainte de laisser cemoyen d'influence entre les mains du pouvoir exécutif que l'on voulaitabaisser. L'assemblée législative, encore plus agitée que la constituante,s'occupa peu des sciences et de l'instruction publique. Condorcet luiprésenta sut cette matière un vaste plan qui ne fut pas adopté. Cen'était pas au moment de la chute du trône, ce n'était pas au milieudes massacres de septembre, que l'on devait songer à donner au peupleles institutions qui éclairent l'esprit, règlent les mœurs, enseignentà respecter les lois, la justice et l'humanité. Cette assembléeimpuissante, pour défendre le gouvernement, trop faible pour leremplacer, fut renversée avec lui. La convention nationale lui succéda. Ce fut un mélange de tous lespartis ; à côté d'hommes honnêtes et éclairés, on reconnut les férocesauteurs des vengeances populaires. Ces derniers, déjà remplis d'audace,se fortifièrent encore par la terreur et l'impunité. Sans cesseattachés à flatter les passions de la multitude, appelant l'ordre unvil esclavage ; l'autorité des lois une insupportable tyrannie, ilss'entourèrent d'une effrayante popularité. Ennemis de tout ce quipouvait ramener la tranquilité, ils écartèrent avec dérision les loisrelatives à l'organisation de l'instruction publique. Fomentant letrouble et la défiance par des dénonciations continuelles j parlantsans cesse de conspirateurs et de trahison ; montrant le souverain dansles sections de Paris, et la volonté du peuple dans celle des comitésrévolutionnaires ; entretenant, dans la commune- de Paris, une autoritéà eux, rivale de la convention elle-même, ils acquirent bientôt unpouvoir terrible qu'ils manifestèrent à leur manière, c'est-à-dire, pardes atrocités. Quelques hommes courageux résistaient encore ; ilsétaient redoutables par leur civisme, leurs talens et leurs vertus : onfit demander l'arrestation des principaux d'entr'eux par la commune,qui en apporta la liste. Le 2 juin 1793, ils furent proscrits, et iln'y eut plus de liberté. Ce fut pourtant au milieu de cette crise que l'on décretal'aggrandissement du Museum d'histoire naturelle ; et ce qui était plusutile encore, que l'on en fit un établissement d'instruction publique.Quelles étaient donc ces mains bienfaisantes, mais invisibles, quisoutenaient encore l'édifice des sciences, lorsque l'État étaitrenversé ? Condorcet, que l'on avait d'abord oublié, ne tarda pas à éprouver lesort des députés de son parti. Ses vues généreuses ne pouvaients'accorder avec les principes des septembriseurs. Il dénonça à sescommettans l'outrage que venait de recevoir la représentation nationale; il les prévint contre la constitution qu'on allait leur donner.C'était un acte de courage que la mort seule pouvait expier. On ordonnason arrestation. Celui qui se chargea de l'accuser, lui fit en quelquesorte un crime d'avoir été académicien et philosophe. Quelques jours après, Robespierre, comme s'il eut voulu faire croireque la convention n'avait rien perdu du côté des talens, ramena ladiscussion sur l'instruction publique. Il lut à la tribune, un longprojet d'éducation nationale, ouvrage postume de Lepelletier, et envota fortement l'adoption. Ce plan portait que tous les enfans, sansexception, seraient élevés en commun aux frais de la république.Robespierre présenta ces dispositions comme les seules qui pussentassurer la conservation des principes républicains. Cependant il trouvades contradicteurs. Les uns combattirent le projet comme inexécutableet immoral ; d'autres le regardèrent comme inutile. En général, ils nevoyaient pas la nécessité d'organiser l'instruction publique, qui,toujours plus à portée du riche que du pauvre, leur paraissaitcontraire à l'égalité. Après une discussion long-tems prolongée, on seborna à décider qu'il y aurait une éducation commune, mais libre ; etle résultat insignifiant, eut du moins l'avantage de préserverl'instruction et la morale publiques, des maux irréparables que leuraurait faits un plan conçu et exécuté à cette époque. Cependant au milieu d'une délibération qui semblait vouer la France àl’ignorance, on saisit les avantages d'un travail qui avait exigétoutes les ressources des Sciences et des Arts. Le nouveau système depoids et mesures fut mis en activité. Quoique les opérationsentreprises pour la détermination d'un arc du méridien, ne fussent pasencore achevées, l'académie avait calculé le Mètre d'après lesobservations anciennes, avec une exactitude suffisante pour tous lesbesoins de la société. Elle avait déterminé, par des expériencesprécises, la longueur du pendule à secondes, et le poids d'uncentimètre-cube d'eau distillée : c'étaient les élémens de toutes lesautres mesures. Les observations nouvelles ne pouvaient apporter àleurs valeurs que des corrections insensibles ; on s'empressa d'enintroduire l'usage, moins peut être par amour du bien public, qu'enhaîne des anciennes institutions. La convention déclara qu'elle étaitsatisfaite du travail de l'académie; elle adopta ses résultats ,ordonna l'établissement du nouveau système dans toute l'étendue de larépublique, et l'offrit à l'adoption des nations étrangères. Quelques jours après, les académies furent supprimées : on laissaseulement subsister la commission chargée, par l'académie des Sciences,du travail relatif aux poids et mesures. Quoique l'éducation commune eût été décretée sur la proposition deRobespierre, les hommes éclairés qui restaient dans la Convention,trouvèrent le moyen d'entraver cette mesure. Ils firent demander, parles autorités constituées de Paris, le rétablissement de l'instructionpublique ; et enlevèrent, en quelque sorte par surprise, un décret quiétablissait, outre les écoles primaires, trois degrés d'enseignemens :c'était revenir aux projets de l'assemblée constituante. Lesrévolutionnaires voulurent faire raporter cette décision, commecontraire à l'égalité, et à la loi qui ordonnait une éducation commune; mais cette fois ils eurent le dessous. Par ce même décret lescollèges de plein exercice, les facultés de théologie, de médecine, desarts et de droit furent supprimées. Ces faits montrent assez ce qu'était alors la convention ; divisée endeux partis qui, sous les mêmes dehors, marchaient à des butscontraires : l'un, composé d'hommes ignorans et féroces, dominait parla force ; l'autre plus éclairé, se soutenait par l'adresse. Lespremiers, possesseurs inquiets d'un pouvoir absolu, et décidés à toutperdre pour le garder, s'efforçaient d'anéantir les talens et leslumières qui leur fesaient sentir leur humiliante infériorité. Lesautres, tenant le même langage, agissaient dans un sens opposé ; ilssauvaient les Sciences et les Arts, en les couvrant du manteau de leursennemis. Mais obligés, pour conserver leur influence, de ne jamais semontrer à découvert, ils n'employaient leurs moyens qu'avec une extrêmeréserve ; et ce rapprochement explique à-la-fois le bien qu'ils ontfait, le mal qu'ils ont empêché, et les malheurs qu'ils n'ont pas puprévenir. La France touchait à sa perte ; Landrecies, le Quesnoy, Condé,Valenciennes étaient au pouvoir de l'ennemi ; Toulon s'était livré auxAnglais : des flottes nombreuses tenaient la mer et effectuaient desdébarquemens. Au-dedans, la famine et la terreur ; la Vendée, Lyon,Marseille en état de révolte. Point d'armes, point de poudre, aucunallié qui pût ou qui voulût en fournir ; et, pour toute ressource, ungouvernement anarchique, sans plan, sans moyens de défense, habileseulement à persécuter. Tout annonçait que la république allait périravant d'avoir eu une année d'existence. Dans cette extrémité on appela au comité de salut public deux nouveauxmembres, que l'on chargea de la partie militaire. Ils organisèrent les armées, conçurent des plans de campagne,préparèrent les approvisionnemens. Il fallait armer neuf cent mille hommes ; et, ce qui était plusdifficile, il fallait persuader la possibilité de ce prodige à unpeuple méfiant, toujours prêt à crier à la trahison. Pour cela lesanciennes manufactures n'étaient rien ; plusieurs, situées sur lesfrontières, étaient envahies par l'ennemi. On les recréa par-tout avecune activité jusqu'alors inconnue. Des savans furent chargés de décrireet de simplifier leurs procédés ; la fonte des cloches donna tout lecuivre nécessaire. L'acier manquait, on n'en pouvait tirer du dehors,l'art de le faire était ignoré ; on demanda aux savans de le créer, ilsy parvinrent ; et cette partie de la défense publique devintindépendante de l'étranger. Les besoins de la guerre avaient fait sentir, de la manière la pluspressante, la nécessité d'avoir une bonne topographie, etl'insuffisance des cartes que l'on possédait. Mieux instruit parl’expérience, on rappela aux armées les ingénieurs géographes quel'assemblée constituante avait supprimés ; et quoiqu'ils n'aient paspu, dans ces premiers momens, donner à leurs travaux l'étendue et ledétail nécessaires, ils ont cependant préparé les grands résultatsobtenus depuis dans cette partie. Rien n'est plus aisé que de détruire; rien n'est si difficile, et surtout si long, que de réédifier. On eut également la sagesse de conserver à leurs fonctions, les élèveset les Ingénieurs des travaux civils qui se trouvaient dans l'âge de laréquisition. Quelque besoin que l'on eût de défenseurs, on sentaitqu'il faut dix ans d'étude pour faire un ingénieur, tandis que la santéet le courage suffisent pour créer un soldat. Cette époque désastreuseoffre des exemples de prudence et d'habilité, que l'on n'a pas toujoursimités dans des tems plus tranquilles. Les Sciences venaient de rendre de grands services, on les calomnia :ceux qui les avaient employées furent obligés de les défendre, et lefirent avec courage. Une circonstance, aussi imprévue que singulière,acheva de faire rechercher leurs secours. Un officier arrive au comité de salut public : il annonce que lesarmées sont en présence, mais qu'on n'ose envoyer le soldat au feuparce que les eaux-de-vie sont empoisonnées ; des malades en ont bit dans les hôpitaux, et sontmorts. Il prie le comité de les faire examiner, lui demande des ordressur cet objet, et veut repartir à l'instant. On fait assembler aussitôt les plus habiles chimistes ; on leur ordonned'analyser les eaux-de-vie, et d'indiquer, dans le jour, le poison etle remède. Ces savans travaillent sans relâche, seuls, et ne se fiant qu'àeux-mêmes pour les plus petits détails ; à peine leur laisse-t-on letems d'achever leurs opérations. Ils arrivent au comité de salutpublic, Robespierre présidait. Ils annoncent que les eaux-de-vie ne sont point empoisonnées ; qu'on ya seulement ajouté de l'eau dans laquelle se trouve de l'ardoise ensuspension, en sorte qu'il suffit de les filtrer pour leur ôter toutesleurs propriétés nuisibles. Robespierre, qui espérait une trahison, demande aux commissaires s'ilssont bien sûrs de ce qu'ils viennent d'avancer. Pour toute réponse, und'eux fait apporter un filtre, y passe la liqueur, et n'hésite pas à enboire : tous les autres suivent son exemple. Comment, lui ditRobespierre, osez vous boire de ces eaux empoisonnées ? J'ai bien osédavantage, répondit-il, quand j'ai mis mon nom au bas du rapport Ce service, quoique peu important par lui-même, acheva de Faireconcevoir l'utilité des savans : on en appela un plus grand nombre prèsdu comité de salut public. Là ils étaient à l'abri êtes dénonciateurssubalternes, dont la France était peuplée. N'ayant de relations qu'avecles membres chargés de la partie militaire, qui cherchait à les sauver,ils pouvaient, en gardant le silence, échapper aux regards soupçonneuxdes tyrans. Il n'y avait alors qu'une seule ressource pour le mérite etla vertu : cacher sa vie et se faire oublier. O Lavoisier, Bailly,Condorcet, pourquoi n'eutes-vous pas ce bonheur ? Réunis aujourd'hui àceux de vos amis qu’une sage obscurité a sauvés, vous jouiriez commeeux de la gloire de la France, dont vous feriez l'ornement. Déjà, à l'époque dont nous parlons, Bailly n'était plus. Ses vertus,ses talens, son nom célèbre dans toute l'Europe, la manière noble etcourageuse dont il avait présidé à la naissance de la liberté française; en un mot, tout ce qui attire l'estime et le respect des hommes, futune barrière inutile contre la rage féroce qui le poursuivait. Ilmourut, et les détails de son supplice furent affreux. Au milieu de cette sanglante persécution, tous les moyens de défensesortirent de l'atelier obscur où le génie des Sciences s'était retiré. La poudre était ce qui pressait le plus : le soldat allait en manquer.Les arsenaux étaient vides. On assembla la régie pour savoir ce qu'ellepourrait faire. Elle déclara que ses produits annuels s'élevaient àtrois millions de livres ; qu'ils avaient pour base du salpêtre tiré del'Inde ; que des encouragemens extraordinaires pouvaient les porter àcinq millions, mais qu'on ne devait rien espérer de plus. Lorsque lesmembres du comité de salut public annoncèrent aux administrateurs,qu'il fallait fabriquer dix-sept millions de poudre dans l'espace dequelques mois, ceux-ci restèrent interdits : si vous y parvenez,dirent-ils, vous avez des moyens que nous ignorons. C'était cependant la seule voie de salut. On ne pouvait songer ausalpêtre de l’Inde, puisque la mer était fermée. Les savans offrirentd'extraire tout du sol de la république. Une réquisition généraleappela à ce travail, l'universalité des citoyens. Une instructioncourte et simple, répandue avec une inconcevable activité, fit, d'unart difficile, une pratique vulgaire. Toutes les demeures des hommes etdes animaux furent fouillées. On chercha le salpêtre jusques dans lesruines de Lyon ; et l'on dut recueillir la soude dans les forêtsincendiées de la Vendée. Les résultats de ce grand mouvement eussent été inutiles, si lesSciences ne les eussent secondés par de nouveaux efforts. Le salpêtrebrut n'est pas propre à faire de la poudre ; il est mêlé de sels et deterres, qui le rendent humide, et diminuent son activité. Les procédésemployés pour le purifier, demandaient beaucoup de tems. La seuleconstruction des moulins à poudre eut exigé plusieurs mois : avant ceterme, la France était subjuguée. La chymie inventa des moyens nouveauxpour rafiner et sécher le salpêtre en quelques jours. On suppléa auxmoulins, en faisant tourner par des hommes, des tonneaux où le charbon,le souffre et le salpêtre pulvérisés, étaient mêlés avec des boules decuivre. par ce moyen la poudre se fit en douze heures. Ainsi se vérifiacette assertion hardie d'un membre du comité de salut public : onmontrera la terre salpêtrée, et cinq jours après on en chargera lecanon. Les circonstances étaient favorables pour fixer dans toute leurperfection, les seuls arts qui occupaient la France. Des citoyens detous les départemens furent envoyés à Paris, pour s’instruire dans lafabrication des armes et du salpêtre. On fit sur cet objet des coursrapides, que l'on appela révolutionnaires. Ils contribuèrent peu aumouvement général qui avait sauvé la république ; mais ils eurent uneffet non moins important : celui dé mettre en évidence l'étonnantefacilité des français pour apprendre les sciences et les arts. Heureuxdon qui forme un des plus beaux traits du caractère de la nation, etqui devait, quelques instans plus tard, les retirer de la barbarie, Malgré tant de services rendus par les sciences, les savans n'étaientpas moins persécutés : les plus célèbres étaient les plus exposés. Levénérable d'Aubenton n'échappa à la proscription, que parce qu'ayantcomposé un ouvrage sur l'amélioration des troupeaux, on le prit pour unsimple berger. Cousin, qui avait été moins heureux, composait dans saprison des ouvrages de géométrie, et donnait des leçons de physique àses compagnons d'infortune. Lavoisier avait été aussi arrêté ; il faisait partie de la commissiondes poids et mesures : on crut que ce titre pourrait le faire mettre enréquisition par le comité de salut public, et le rendre à la liberté.Les démarches furent faites dans cette intention, mais c'était malconnaître l'esprit du moment. Elles mirent en évidence la commission del'académie, à laquelle on ne songeait plus : on la cassa commesuspecte, et on laissa Lavoisier en prison. Peu de tems après, cethomme illustre fut conduit à l'échaffaud. Il vivrait encore si on eutagi sur l'avidité des tyrans, plutôt que de s'adresser à leur justice. Ceux mêmes que les besoins indispensables de la guerre avaient faitappeler auprès du comité, n'échappaient à la mort qu'en se cachant dansle silence de leurs travaux. Parler ou même penser sur le gouvernement,c'était conspirer. Que pouvaient des hommes qu'un mot conduisait àl'échaffaud ? Et combien n'y aurait-il pas d'injustice à les rendreresponsables de ce qu'ils n'ont pu empêcher ? Vers cette époque, quelques membres de la Convention appelèrent ladiscussion sur l'instruction publique, et demandèrent fortement qu'onorganisât les écoles primaires. Le parti révolutionnaire s'y opposa. Ilne voyait dans les sciences, qu'un poison qui énerve les républiques.Les plus belles écoles étaient les séances publiques des départemens etdes sociétés populaires. Des hommes très-éclairés, sans employer lemême langage, parlèrent dans le même sens. Plus politiques que lespremiers, ils sentaient que le bien était impossible ; et qu'en voulantle faire, on exposait aux plus grands dangers le petit nombre d'hommesinstruits que la France possédait encore. On fît sous ce rapport tout ce que les circonstances permettaient. Oncréa une école militaire, où des jeunes gens de tous les départemensdevaient être exercés au maniement des armes et à la vie des camps : cefut l'Ecole de Mars. Son but n'était pas de former des officiers, maisdes soldats instruits qui, répandus dans les armées françaises, lesrendissent bientôt les plus éclairées de l'Europe, comme elles étaientdéjà les plus aguerries. Le succès des cours révolutionnaires, relatifsaux poudres et salpêtre, avait fait concevoir la possibilité de cetteinstruction rapide, dont les avantages étaient alors si précieux. Onparla même d'établir sur ce plan, une école normale, où les savans lesplus distingués formeraient des professeurs, et donneraient des leçonssur l'art d'enseigner. Ainsi, un petit nombre d'hommes, dont on a trop mal apprécié laconduite, retardaient seuls, par de constans efforts, les progrès de labarbarie, et luttaient de mille manières contre l'oppression qued'autres se contentaient de supporter. Enfin, le trône sanglant que s'était élevé Robespierre, fut renversé :l'espérance succéda à la terreur, et la victoire aux revers. Alors les sciences, sortant du foyer où elles avaient été concentréeset cachées, reparurent dans tout leur éclat. On connut les servicesqu'elles avaient rendus, les dangers qui les avaient menacées. Il futpermis, ô Condorcet, de savoir et de déplorer votre triste sort. Le plan de campagne formé dans le comité de salut public, avaitcomplettement réussi. Les armées françaises s'étaient portées sur lesderrières de l'ennemi, et menaçant sa retraite, l'avaient forcéd'abandonner précipitamment les places qu'il avait conquises : onmarchait de succès en succès sur son territoire. Les sciences et les arts, ranimés par la liberté, travaillèrent avecune activité nouvelle à préparer les victoires au dehors, et à réparerles maux du dedans. Tout ce que le génie, le travail et l'activitépeuvent créer dé ressources, fut employé pour que la France put seulese soutenir contre toute l’Europe, et se suffire à elle-même tant quedurerait la guerre, fut elle éternelle et terrible (1). Les savans qui avaient opéré de si grandes choses, jouissaient d'uncrédit sans bornes. On n'ignorait pas que la république leur devait sonsalut et son existence. Ils profitèrent de cet instant de faveur, pourassurer à la France cette supériorité de lumières qui l'avait faittriompher de ses ennemis. Telle fut l'origine de l'école Polytechnique: les faits parlaient trop haut alors pour que l'on put mettre en doutel'utilité des sciences et des arts. Cetétablissement avait un triple but ; former les ingénieurs pour lesdifférens services ; répandre dans la société civile des hommeséclairés ; exciter les talens qui pourraient avancer les sciences :rien ne fut épargné pour remplir cette importante destination. Il était tems en effet de réorganiser l'instruction des corps destinésaux services publics : la plupart en manquaient entièrement.Quelques-uns avaient, à la vérité, des écoles particulières ; maisl'enseignement y était faible et incomplet. Celle du génie militaire,la mieux dirigée de toutes, avait suspendu ses exercices par suite dela révolution. On avait été réduit à former une école provisoire, oùl'on donnait rapidement aux élèves, les premières notions de l'attaqueet de la défense des places ; après quoi, on les envoyait aux armées. De pareilles institutions ne répondaient, ni aux besoins de l'État ni àsa gloire. Leur faiblesse devait être sur-tout sentie par des hommeshabitués aux idées générales, et dont la révolution avait encore exaltéles esprits et aggrandi les vues. Ces hommes voulurent que la nouvelleécole des travaux publics, fut digne en tout de la nation à laquelleelle était destinée. Leur plan fut vaste dans sonobjet, mais simple dans son exécution, et sûr dans ses résultats. Ils virent que la science d'un bon ingénieur se compose de notionsgénérales, communes à tous les genres de service, et de détailspratiques propres à chacun d'eux. Parmi les premières et au premierrang, sont les mathématiques élevées qui donnent de la tenue et de lasagacité à l'esprit. Viennent ensuite les grandes théories de la chimieet de la physique. Celles-ci, fondées sur des définitions moinsrigoureuses, mais procédant comme les mathématiques, développent cettesorte de tact qui sert à interroger la nature, et montrent lesressources qu'elle peut fournir. Enfin, on doit y comprendre lesprincipes généraux de toutes les espèces de construction, dont laconnaissance est nécessaire pour rendre l'ingénieur indépendant descirconstances et des localités. On eut donc, dans la nouvelle école descours de mathématiques pures et appliquées, des leçons de géométriedescriptive, de fortification, de dessin et d'architecture civile,navale et militaire. Quand aux détails pratiques, on les renvoya aux anciennes écoles ;qu'on laissa subsister, en élevant toutefois leur enseignement. Onrétablit le corps des ingénieurs géographes : on créa une école desmines, par ce moyen les besoins du service étaient assurés, quelque fûtle succès du nouveau plan : réserve bien sage et que l’on aurait dûtoujours imiter. Il y avait encore bien loin de la conception de ce projet à sonexécution. C'était peu d'avoir choisi les professeurs parmi lespremiers savans de l’Europe, si l'on ne fixait leur leçon dans lesesprits. Ne pouvant se communiquer à chaque élève en particulier, ilsavaient besoin d'agens qui transmissent leurs actions à cette nombreusejeunesse, et qui fussent en quelque sorte les nerfs de ce corps : lesformer fut le premier objet dont on s'occupa. Parmi les jeunes gens qui s'étaient présentés au concours, on enchoisît vingt des plus distingués. On leur donna des instrumens dephysique, un laboratoire, de chimie, et on les exerça sans relâche surtoutes les parties du plan qu'il s'agissait d'exécuter. Ces élèves,sortis pour la plupart des écoles de service public, sentaientl’insuffisance de l'instruction qu'on y donnait. Avides de savoir, ilss’enflammèrent par la présence des hommes célèbres qui étaient sanscesse avec eux. Les jours ne suffisaient pas à leur zèle ; en troismois ils furent en état de remplir les fonctions qui leur étaientdestinées. Ce n'était pas tout encore. Dans un tems où l'opinion et le pouvoirpouvaient varier d'un moment à l’autre, on risquait beaucoup si l'on nedonnait d'abord à l'école polytechnique, sa forme définitive. Lescréateurs de ce vaste projet, avaient vu de trop près la révolution,pour ne pas sentir cette vérité. Mais auparavant, ils voulurent qu'unessai fait en grand, assurât leur méthode, classât les élèves, etmontrât ce que l'on en pouvait attendre. Ils développèrent donc à leursyeux, dans des cours rapides, le plan général de l'instruction. Onparcourut en trois mois la matière du travail de trois années. Cetteespèce d'existence au milieu des idées les plus sublimes qui aientoccupé les hommes, excitait, dans ces ames neuves, un véritableenthousiasme. C'était un spectacle touchant, au milieu des divisions etdes haines que les partis avaient excitées, de voir quatre cents jeunesgens pleins de confiance et d'amitié les uns pour les autres, écoutantavec une attention profonde, les Savans illustres que la mort avaitépargnés. Les résultats d'une si grande expérience, surpassèrent toutes lesespérances que l'on en avait conçues. Après cette instruction préliminaire, les élèves furent répartis enbrigades, et l'enseignement prit la marche qu'il devait toujoursconserver. On avait tout fait pour l'école polytechnique ; mais son sort dépendaitd'un élément alors plus incertain que les vents et les flots : c'étaitle tems. Il ne fallait qu'un moment d'orage pour renverser ce fanaldressé aux sciences et replonger la France dans les ténèbres. On voulutqu'une vaste colonne de lumière sortit tout-à-coup du milieu de ce paysdésolé, et s'élevât si haut, que son éclat immense put couvrit laFrance entière, et éclairer l'avenir. On a conservé, avec un respect religieux, les noms de ces hommes dontl'existence, se perd dans la nuit des tems, et qui 's'élevant par leurgénie au-dessus d'un siècle barbare, civilisèrent les peuples, en leurdonnant les lettres, les sciences et les arts. Telle fut à la fin du18e siècle, la mission qu'eurent à remplir les illustres restes dugénie français. Depuis l'art de la parole qui réunit les hommes ensociété, jusqu'à ces méditations profondes d'où sortent les loixgénérales de la nature, il fallut tout rapprendre, tout recréer ; maisce qui autrefois ne s'était opéré que par la force lente etirrésistible du tems, fut dans l'espace de quelques mois, connu,entrepris et exécuté. L'école normale, car on sent assez que c'est d'elle que nous parlonsici, telle que le comité de salut public l'avait conçue, devait durerplusieurs années, et même devenir permanente, si le succès repondaitaux espérances que l'on s'en était formées. Les professeurs furent danstous les genres, les hommes les plus célèbres de la France ; et il fautle dire, à la gloire de notre patrie, malgré tant de malheurs qu'elleavait éprouvés, c'était aussi les plus savans hommes de l'Europe. On lacomposa de 1200 élèves payés par l'état. Nombre immense, si l'onregarde les dépenses qui devaient en resulter ; mais à peine suffisant,si l'on considère à quel point l'ignorance s'était accrue, et combienil fallait se hâter d'arracher la France à la barbarie. Ce peuple quiavait vu et ressenti, en peu d’années, toutes les secousses del’histoire, était devenu insensible aux impressions lentes et modérées; il ne pouvait être reporté aux travaux des sciences que par une mainde géant. C'était en lui montrant des secours pour la guerre, qu'ondevait le ramener aux arts de la paix. L'école normale offrit le premier exemple de leçons orales données enmême-tems sur toutes les parties des connaissances humaines. Dessténographes recueillaient ces leçons qui sur-le-champ multipliées parl'impression se propageaient dans tous les points de la France avec uneinconcevable activité. On apprit enfin la véritable manière d'enseignerles sciences ; on connut, pour la première fois, la métaphysique deleurs principes. Elles parurent à tous les yeux comme un templeantique, que visitent les voyageurs ; mais qui reste ignoré auxhabitans des chaumières qui l'environnent, jusqu'à ce qu'une mainpuissante vienne en dégager la route, et relever les ruines qui enobstruaient l'entrée : c'était faire pour leur enseignement, ce queGalilée, Bacon et Descartes avaient fait pour leurs progrès. Quandl’école normale, n'aurait eu que ce seul résultat, son existence eutété un bienfait : la hauteur à laquelle les sciences sont parvenues estimmense. La vérité naît maintenant au-dessus des nuages qui arrêtentles regards du vulgaire : elle plane long-tems dans ces régionsélevées, avant de descendre vers le commun des hommes ; et qued'obstacles n'a-t-elle pas à vaincre pour arriver jusqu'à eux. Un établissement si vaste ne pouvait subsister long-tems ; des causesmultipliées, vinrent hâter sa ruine ; mais l'impulsion était donnée, etsa destinée était remplie. Le comité de salut public avait conçu l'école normale. Ce fut le comitéd'instruction publique que l'on chargea de l'organiser et de la diriger: de-là le manque absolu de plan, les oppositions sans cesserenaissantes, le défaut de force et de tenue. Le comité d'instructionpublique, à son tour, se déchargea sur deux de ses membres, du soin quilui était confié. A peine investis de cette nouvelle autorité, ilsdevinrent un objet de jalousie. L'école normale ne fut plus que leuraffaire particulière ; et par l'effet de cette rivalité, toutel'influence qui aurait à peine suffi pour la soutenir, se réunit pourla renverser. A cette cause s'en joignit une autre. Lorsque les élèves furentconvoqués, la France sortait à peine de dessous la hache deRobespierre. Les agens de cette tyrannie étaient par-tout en horreur ;mais l'effroi qu'ils avaient inspiré, joint à la crainte que l'on avaitdu retour de leur puissance, leur conservait un reste de crédit. Ils enprofitaient pour saisir les occasions de s'éloigner des lieux où ilsavaient exercé leurs vexations. Plusieurs se firent nommer élèves del'école normale. Ils y portèrent, avec l'ignorance qui leur étaitpropre, la haine, la méfiance et le mépris qui les suivait par tout. Acôté d'eux, se trouvaient des hommes pleins de sagesse de talens et delumières ; des hommes dont le nom était célèbre dans toute l'Europe ;mais le respect dont ceux-ci étaient revêtus, ne put envelopper lesautres ; l’envie s'empara de ce prétexte ; la malveillance l'exagera,et l'école normale fut supprimée. Cependant la plus belle partie de cette institution, l'esprit quil'avait animée, subsista dans le recueil de ses séances. Cet ouvrage,en rendant élémentaires des méthodes réservées jusqu'alors aux savans,écarta les notions imparfaites et vagues que l'on avait coutume d'ysubstituer. Des écrivains distingués, des professeurs habiles,répandirent cette semence féconde, et la méthode philosophique ainsipopularisée, changea pour toujours, la face de renseignement. C'est sur-tout dans la physique et les mathématiques que cetteamélioration s'est fait sentir d'une manière remarquable. L'histoirenaturelle et la chimie en ont aussi retiré des avantages, mais ilsdevaient être moins importans. Ces sciences nouvelles, et propres enquelque façon au i8e siècle, avaient pris d'abord son caractèrephilosophique : elles étaient par conséquent mieux enseignées. Il n'enétait pas de même des deux autres. Jamais la théorie, de la structuredes cristaux, celle de la propagation du son et de la chaleur, celle del’électricité et du magnétisme, n'avaient été si clairement et sur-toutsi exactement expliquées. Jamais les élémens des mathématiquesn'avaient été présentés d'une manière plus simple, plus précise, plusdégagée de ces idées inexactes dont une fausse méthaphisique lesenveloppait, Jamais enfin les grands résultats du calcul desprobabilités n'avaient été exposés avec autant de clarté etd'éloquence. Telle est la cause de l'enthousiasme que ces leçons ontexcitées, et de l'influence qu'elles ont eue. Le génie regarde de haut,il voit aisément des rapports inconnus aux yeux, ordinaires ; etlorsqu'il les élève dans sa sphère, en aggrandissant leur vue, lasimplicité du spectacle qu'ils découvrent, les frappe d'étonnement etd'admiration. Les desseins que l'on avait eus, en établissant l'école normale,pouvaient aisément se reporter à l'école polytechnique, il suffisait demaintenir et de completter le genre d'instruction qui s'y était établi.Ce plan offrait les plus grands avantages et un succès certain. Mais àcette époque, les savans devenus moins nécessaires, avaient déjà perduune partie de leur crédit : on souffrait encore leurs conseils, on neles laissait plus libres d'exécuter. En vain essayèrent-ils dedévelopper les grandes vues qu'il les dirigeaient. Leurs plans furenttraités de chimériques. Une faible dépense présente ne put êtrebalancée par l'espoir assuré d'un immense avantage. Au lieu d'éleverl'enseignument de l'école polytechnique, on l'abaissa ; le nombre deses élèves fut diminué, ce qui obligea de s'assurer de leur travail pardes réglemens plus sévères. Ce ne fut plus un établissement libre,animé par l'enthousiasme de l'étude, et consacré au perfectionnementdes sciences et des arts, ce fut une école où l'on forma desingénieurs. Elle ne cessa point d'être utile, et même nécessaire ; maisle genre, et sur-tout le dégré de son utilité, fut changé. On aprodigué si souvent les trésors, pour asservir ou pour tromper leshommes : fallait-il donc être avare quand il s'agissait de les éclairer? et quelle honteuse parcimonie que celle qui s'attache à dessécher lessources où se nourrit l'esprit humain ! Mais le feu des sciences était rallumé dans trop de foyers ; ilbrillait par tout d'un trop vif éclat, pour être étouffé en un momentsous le pouvoir passager de l'ignorance. Les mains qui avaientreconstruit l'édifice des connaissances humaines, s'étaient d'abordempressées de relever ses respectables débris. Tandis que de nouveauxétablissemens d'instruction naissaient de toutes parts ; ceux quiavaient langui pendant la révolution, étaient déjà ranimés ; d'autresque la terreur avait renversés, étaient déjà retablis sur des plansplus vastes et des fondemens plus solides : on s'était efforcé derendre au moins les bienfaits durables, car on savait que lareconnaissance ne devait pas être éternelle. De toutes les institutions anciennes, celle qui reçut le plusd'accroissement, fut le Muséum d'histoire naturelle. Cet établissement,consacré dans l'origine à la culture des plantes médicinales, n'offraitque des cours destinés à en faciliter la connaissance, ou à en indiquerles applications. Devenu, par la renommée de Buffon et les soins deDaubenton, le dépôt général de toute l'histoire naturelle, il avait vus'accroitre ses richesses plus encore que son utilité. A la révolutionil s'était trouvé protégé par cette sorte de respect qu'ont les hommesles plus grossiers pour les productions de la nature, dont ilsreçoivent ou dont ils attendent des soulagemens à leurs maux. Il avaitmême été constamment défendu par les administrations révolutionnaires,qui l'avaient dans leur dépendance. Le regardant en quelque sorte commeleur propriété particulière, elles mettaient de l'orgueil à leconserver, et auraient infailliblement fait révolter les habitans dufaubourg qui l’environne, si on eut essayé de lui porter atteinte. Cescirconstances singulières, jointes à la grande union des professeursavaient maintenu ce bel établissement dans un état sinon croissant dumoins stationnaire. A la renaissance de l'ordre, on songea à lui donnerl'extension qu'il pouvait acquérir, et qui avait été déjà projettée etordonnée au milieu même de la terreur. On aggrandit le jardin debotanique ; on doubla l'étendue du terrein destiné à l'établissement ;une ménagerie fut formée ; de nouvelles serres, de nouvelles galeriess'élevèrent ; on confirma l'addition des nouveaux professeurs ; tontesles dépenses nécessaires furent faites avec magnificence. Ainsi, dansle même lieu où toutes les productions du globe se trouvaient réunies,l'histoire naturelle fut pour la première fois enseignée dans sonensemble ; et ces cours devenus célèbres par l'éclat des faits qu'on yexpose, le nombre des élèves qui les fréquentent, et les grandsouvrages dont ils ont été la cause ou le motif, ont fait du muséumd'histoire naturelle, un des premiers établissements d'instruction quiexistent en Europe. Un autre non moins important par son utilité, mais plus vaste dans sonobjet, le collège de France avait aussi survécu à la révolution, etreprenait ses exercices. Il ne devait sa conservation ni à son antiquecélébrité, ni aux talens des professeurs qui le composaient. N'ayantpoint de riches collections qui pussent attirer les regards, point debiens particuliers qui pussent tenter l'avidité, il lut simplementoublié par les révolutionnaires, et dut son salut à leur ignorance. Lesprofesseurs partagèrent l'honorable persécution qui s'attachait alors àtout ce qui avait un mérite reconnu ; mais s'ils n'échappèrent pas tousà la captivité, du moins aucun ne perdit la vie. Enfin, lorsque destems plus calmes permirent à la vertu de se montrer, et aux talens dereparaître, ils revinrent dans cette école, illustrée par leurs travauxet ceux de leurs prédécesseurs ; ils y reprirent leurs honorablesfonctions, sans s'informer du sort qu'on leur réservait ; seulementanimés par le besoin et, si l'on peut s'exprimer ainsi, par l'habituded'être utiles. Mais bientôt l'appui du gouvernement et la considérationpublique, vinrent récompenser leur zèle. Le collège de France est aujourd'hui chez nous, et peut-être dans lereste de l'Europe, le seul établissement où l'on professe, dans touteleur étendue, l'ensemble des connaissances humaines. Son but est derépandre sans cesse les notions élevées des sciences ; de maintenir, depréparer les progrès de la littérature, soit en conservant le goût etla pureté des auteurs anciens, soit en faisant briller l’ordre, l'éclatet la richesse des modernes. Son devoir est d'être sans cesse à la têtede tous les établissemens d'instruction publique, pour agiter devanteux le flambeau des lumières, les guider et les entraîner. Par une de ces bizarreries inexplicables dont la révolution n'a offertque trop d’exemples, les écoles de Médecine avaient été supprimées, àl'époque où leur service devenait le plus nécessaire, pour fournir ànos nombreuses armées les officiers de santé dont elles avaient besoin.Leur rétablissement fut un des premiers objets dont on s’occupa, quandla tourmente qui avait agité la France commença à s'appaiser. Jusqu'à ces derniers temps, la médecine et la chirurgie, separées l'unede l’autre, se disputaient mutuellement la prééminence. Toutes deux,avaient leurs formes, leurs écoles particulières ; elles semblaients'être divisé l'humanité souffrante, au lieu de se réunir pour lasoulager. De part et d'autre les hommes de mérite méprisaient cesinutiles distinctions, reste grossier des préjugés qui accompagnentl'enfance des sciences. Ils sentaient que l'art de guérir doitcomprendre toutes les connaissances, tous les moyens qui peuventcontribuer à ses succès ; mais ces idées élevées étaient combattues parles petits esprits, qui n'étant pas capables de saisir des rapportsgénéraux, attachent toujours aux détails une grande importance, Larévolution termina ces disputes, en réunissant les uns et les autresdans les mêmes malheurs. Lors du rétablissement de l'instruction publique, les écoles de santé,fondées sur les plans et par les conseils des hommes les plus éclairés,présentèrent un ensemble d'enseignement complet sur toutes les partiesde l'art de guérir. La physique et la chimie, qui en font la base, s'ytrouvèrent naturellement comprises, et rien de ce qui peut ycontribuer, dans l'état actuel des sciences, ne fut oublié. De-là sontdéjà sortis des professeurs habiles, des anatomistes célèbres, et unemultitude d'élèves distingués, qui ont porté dans les armées et danstoutes parties de la France, le courage et le talent de leurs maîtres. Enfin, pour completter les moyens qui pouvaient contribuer aurétablissement des lumières, on songea à l'organisation del'enseignement élémentaire le plus difficile et le plus important detous ; on adopta, comme l'avait fait l'Assemblée constituante, troisdegrés d'instruction publique, par conséquent trois sortesd'enseignemens ; les écoles primaires, les écoles secondaires et lesécoles centrales. Mais les premières et les dernières furent les seulesétablies : la formation des autres fut d'abord négligée, ensuiteoubliée, et enfin regardée comme inutile ; on a trop vu depuis que cetintermédiaire est indispensable pour lier les anneaux extrêmes del'enseignement. Le vuide qu'on avait d'abord laissé entr'eux n'a pasempêché les écoles centrales de fournir un grand nombre d’élèves, deproduire d'excellens livres élémentaires, et de conserver pures à lajeunesse les sources de l'éducation ; mais il a affaibli leur force enétendant la sphère de leur activité ; et cette cause, jointe auxentraves continuelles que les divers partis leur ont opposées, a dûamener leur ruine. Au reste, quelque forme que l'on donne à l'enseignement élémentairedans les écoles publiques, il existe dans l’état actuel desconnaissances des conditions auxquelles il doit satisfaire, si l'onveut qu'il soit utile à leur progrès. La première est que les sciences et les lettres s'y trouvent alliées etréunies. On ne doit plus les séparer dans leurs bases, lorsqu'ellessont confondues à leurs sommets. Ce sont les lettres qui ont donné auxsciences l'éclat dont elles brillent aujourd'hui. Sans les sciences lanation la plus lettrée deviendrait faible et bientôt esclave ; sans leslettres la nation la plus savante retomberait dans la barbarie. Il est également nécessaire que les sciences soient enchaînées les unesaux autres. Cette union fait leur force et leur véritable philophie :elle seule a été la cause de tous leurs progrès. Il faut enfin que les professeurs soient guidés et non pas asservis. Sitout est fixé jusqu'aux moindres détails, il n'y a plus d'émulation :que l'objet de l'enseignement soit déterminé : que la forme générale ensoit réglée ; qu'il soit dirigé par une réunion d'hommes éclairés, maisque l'instruction publique soit vivante : que l'on cherche à exciterles esprits plutôt qu'à les enchaîner. Ainsi, point de corporationsenseignantes ; elles ressemblent à ces statues antiques qui servaientautrefois à guider les voyageurs, et dont le doigt immobile indiqueencore, après des milliers d'années , des routes qui n'existent plus. Sur-tout n'oublions pas que rien n'est parfait dans sa naissance. Letems seul amènera un bon plan d’éducation, lorsqu'on profitera desdéfauts indiqués par l'expérience, pour corriger et non pour détruire.Sans doute le plan sur lequel furent établies les écoles centralesétait imparfait ; mais réunissez les plus savants hommes de l'Europe,chargez les d'organiser l'instruction publique, en leur laissant laplus entière liberté ; leurs plans seront vastes, brillants, solides,cependans ils auront besoin d'être modifiés avec le tems. Le tems estun levier qu'aucune puissance humaine ne peut suppléer. On ne fait pasen un instant ce que vingt siècles n'ont pu faire. Tâchons doncd'améliorer jusqu'à ce que nous soyons sûrs de remplacer avec avantage.Quoique l'ancienne éducation fut très incomplète, la destruction subitedes universités a été un grand mal : n'imitons pas ceux que nousblamons, sur-tout dans les torts qu'ils ont eus. Voilà les monumens qu'élevèrent, dans l'espace de quelques mois, unpetit nombre de savants à peine échappés aux ravages de la terreur. Quel'on parcoure les annales des peuples ; que l'on rassemble, s'il lefaut, plusieurs pays et plusieurs âges, on ne trouvera pas une nation,pas une époque où l'on ait tant fait pour l'esprit humain. Il resterait à exposer les grands résultats qui sont nés de cesefforts. On verrait la France guérie de ses blessures, reprenant saplace parmi les nations savantes de l’Europe ; mais plus forte, etcomme grandie par l'adversité. On verrait la nuit de la terreurdissipée par la lumière éclatante de ces hommes de génie, qui, calmesau milieu de l'orage, méditaient profondément sur les ouvrages éternelsde la nature. Il faudrait montrer un des plus grands peuples du monde,transporté tout-à-coup des arsenaux de la guerre aux ateliers des arts,déployant dans ces études paisibles la même supériorité que dans lescombats. Il faudrait peindre nos armées portées sur les mers jusquesdans ces climats mystérieux qui ont vu les premiers travaux des hommes; faisant asseoir les sciences et les arts sur le char de la victoire,ramenant enfin le calme, et rendant à l'Europe désolée un repos depuissi long-tems perdu. Mais ici je m'arrête : mon but n'a pas été de suivre la marchetranquille des sciences, lorsqu'elles s'avancent sous un ciel sansnuages, éclairées par la douce lumière de la paix. Ce n'est pas lecalme que j'ai dû peindre, mais la tempête ; j'ai voulu montrer lesSciences luttant avec toutes leurs forces contre la plus violente desrévolutions, lorsque tout était conjuré pour les détruire, qu'ellesétaient proscrites, persécutées, et qu'au milieu de cette persécutionmême, elles tiraient encore de leur propre sein le salut de la patrie :j'ai voulu enfin faire sortir de cette expérience terrible, lesphénomènes mémorables, qui attestant leur immuable stabilité y ontprouvé aux races futures qu'il n'est point de tyrannie assez pesantepour replonger l'esprit humain dans les abîmes de l'ignorance dont ilest sorti pour toujours. FIN. NOTE : (1) Les moyens d'avoir du fer, de l’acier, du salpêtre, de la poudre etdes armes, avaient été créés pendant la terreur. Voici, au commencementde la troisième année de la République, les résultats de ce grandmouvement. 12 millions de salpêtre extraits du sol de la France, dans l'espace de9 mois. A peine en retirait-on autrefois un million par année. 15 fonderies en activité pour la fabrication des bouches à feu debronze. Leur produit annuel porté à 7000 pièces. Il n'existait enFrance que deux établissemens de ce genre avant la révolution. 30 fonderies pour les bouches à feu en fer, donnant 13000 canons parannée. Il n'y en avait que quatre au moment de la guerre : ellesdonnaient annuellement 900 canons. Les usines pour la fabrication des projectiles et des attirailsd'artillerie multipliées dans le même rapport. 20 nouvelles manufactures d'armes blanches dirigées sur des procédésnouveaux. Il n'en existait qu'une6eule avant la guerre. Une immense fabrique d'armes à feu créée tout à coup à Paris même, etdonnant 140,000 fusils par année ; c'est-à-dire, plus que toutes lesanciennes fabriques ensemble. Plusieurs établissemens de ce genreformés sur le même plan dans les différens départemens de la République. 188 ateliers de réparation pour les armes de toute espèce. Avant laguerre il n'en existait que six. L'établissement d'une manufacture de carabines : armes dont lafabrication était jusqu'alors inconnue en France. L'art de renouveller les lumières des canons découvert, et portéaussitôt à une perfection qui permet de l'exercer au milieu des camps. La description des moyens par lesquels on peut extraire du Pin legoudron nécessaire à la marine. L'Aérostat et le Télégraphe devenus des machines de guerre. Tous les procédés des arts de la guerre simplifiés et perfectionnés parl'application des théories les plus savantes. Un établissement secret formé à Meudon pour cet objet. On y faisait desexpériences sur la poudre de muriate suroxigéné de potasse, sur lesboulets incendiaires, les boulets creux, les boulets à bague. De grands travaux commencés pour extraire du sol de la France tout cequi sert à la construction et à l'équipement et aux approvisionnemensdes vaisseaux. Plusieurs recherches pour remplacer ou reproduire les matièrespremières que les besoins de la guerre avaient dévorées ; pourmultiplier le salin et la potasse que la fabrication de la poudreenlevaient aux manufactures. Une instruction simple et lumineuse pour fixer l'art de fabriquer lesavon, et le mettre à portée de tous les citoyens. L'invention de la pâte qui compose les crayons que l'on tiraitprécédemment de l'Angleterre. Et ce qui était inapréciable dans ces circonstances, la découverted'une méthode pour tanner, en peu de jours, les cuirs, qui exigeaientordinairement plusieurs années de préparation. |