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LUCAS, Hippolyte(1807-1878): La femme adultère(1841).

Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (20.IV.2010)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire(BM Lisieux : 4866 ) du tome 3 des Francaispeints pareux-mêmes : encyclopédie morale du XIXesiècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
La femme adultère
par
Hippolyte Lucas

~ * ~


                                 Allez en paix et nepéchez plus.

ON disait un jour devant une femme spirituelle quetromper son maricommençait à devenir bien vieux au théâtre, et que les auteursdevraient renoncer à ce moyen.

« Que voulez-vous ? répondit-elle malicieusement, c’est une chose aussiancienne que le monde, et qui durera autant que lui. Le théâtre estl’expression de la société. »

Beaucoup de femmes se persuadent, en effet, que l’adultère est uncorollaire du mariage ; elles se figurent n’avoir pas eu une existencecomplète si elles ne se sont, pour ainsi dire, élevées à leurs yeux durang d’épouses à celui de maîtresses, comme à un degré supérieur dansl’échelle des passions.

L’adultère ! nous venons d’écrire là un mot qui se prononce rarement,même en ce temps, où la chose est si commune, et que l’on tient mêmepour un mot de mauvaise compagnie ; mais qu’il nous soit permis del’employer. Ce mot, le désespoir des gens du monde, doit faire lebonheur des étymologistes. Aucune expression ne porte mieux son idée.Adultère vient d’un verbe latin qui signifie altérer, et rien n’altère,en effet, davantage les choses et les sentiments.

L’adultère ! quelle école d’hypocrisie et de dol ! il fait des femmesautant de Machiavels au petit pied. Non contentes d’introduire dansleur famille une bande de jeunes Lacédémoniens, si nous pouvons nousexprimer de cette façon, lesquels, comme habitués au vol dès leurnaissance, s’en viennent enlever une part d’héritage aux légitimesenfants, elles vivent dans un état de dissimulation qui corrompt lesbons instincts du coeur, et dégrade les meilleures natures. La pudeurs’y perd en même temps que la probité ; le mensonge s’incarne dans leurchair et dans leurs os, et plus elles ont d’égards, plus elles ont detorts ordinairement envers leurs maris ; elles passent avec leursconsciences de misérables transactions. A quel degré de mauvaise foi lafemme qui manque à ses serments d’épouse arrive presque à son insu !Chez elle le sens moral s’abolit peu à peu.

Voyez-la d’abord redouter en public la vue de son amant : ses joues secouvrent de pourpre aussitôt qu’un nom trop cher est prononcé, surtouten présence de son maître légitime ; elle croit qu’on aperçoit sur seslèvres la trace de coupables baisers ; elle tressaille à toute heurecomme si elle était devant un juge ; elle marche en baissant les yeux.Mais bientôt son front désapprend à rougir, ses nerfs se calment, sonpas s’affermit, ses yeux s’enhardissent : elle a plus d’assurance quela vertu la plus éprouvée. Elle attire alors son complice sous le toitconjugal, il prend place à sa table, à son foyer. Elle cimenteeffrontément, entre cet homme et celui qu’elle déshonore, une amitiéperfide. Il n’est sorte de bassesses auxquelles l’un et l’autre nesoient prêts pour cela, car l’adultère avilit jusqu’à l’amant, quidevient l’humble serviteur d’un homme détesté par lui. Écoutez leursprojets. Ils s’étudient à renouer le bandeau sur les yeux de la victimedont ils se raillent en secret. Un jour on substituera des lettresrespectueuses, lettres officielles, aux billets mystérieux etpassionnés de l’amour ; une autre fois un dédain affecté étouffera lesgermes d’un soupçon, et la réconciliation sera obtenue par le marilui-même, à quel prix, grand Dieu !

Allons plus loin.

Cette femme, si réservée jusqu’alors, qui paraissait la plus chaste desmères, que déconcertait la moindre expression équivoque, qui se faisaitune loi d’une économie austère, cette divinité du toit domestique semétamorphosera en bacchante échevelée, pendant que son mari consumeraen longs travaux ses jours et ses nuits pour qu’elle puisse mener uneexistence décente et s’entourer de toutes les délicatesses de la vieintérieure ; elle se livrera aux joies prodigues de la courtisane, elledépensera en folles aventures quelquefois le pain de sa famille, sansavoir le sentiment de sa dépravation. Comparez-la à ces autres femmesplus honnêtes qu’elle au fond, à ces femmes sans nom qu’un spirituel écrivainvous a dépeintes, et qui se donnent à tous sans faire tort à personne,elle criera à l’infamie, elle qui en est venue à mépriser son mari enraison même des affronts qu’elle lui fait.

Entrons plus avant dans ce sujet.

L’adultère n’est pas moins fâcheux pour les enfants que pour le mari :voilà souvent la cause des préférences ou des antipathies cachées.Tantôt les enfants du mari sont sacrifiés à ceux de l’amant ; tantôtles êtres malheureux nés d’un attachement passager, rompu avant leurnaissance, se trouvent considérés comme un funeste résultat ; heureuxsi, conçus dans des circonstances périlleuses, ils ne font pas naîtrela pensée d’un autre crime, et si le sein qui les porte ne devient pasleur tombeau ! On voit quelles sont les honteuses et coupables suitesde l’adultère, et combien une femme a lieu de s’en garder, si peuqu’elle ait de réflexion ; mais beaucoup de femmes manquent deréflexion.

Donnons un trait de plus à ce sombre tableau.

L’adultère engendre l’adultère. La femme une fois lancée dans cetteroute tortueuse ne peut plus s’arrêter. On croit n’être qu’une femme sensible en cédant à unepremière affection : cette affection brisée, et toujours elle se brise,on a besoin de la remplacer. Le vide du coeur ne se supporterait plus.D’ailleurs on cherche à s’étourdir sur une déception. L’amour-propreengage à oublier un amant infidèle, et surtout à lui prouver qu’on nele regrette pas, et qu’un consolateur n’a pas manqué : on devient femme galante. Quand le remordsn’entrave plus les pas, et le remords, comme une herbe gênante, estbien vite arraché du chemin de l’adultère, la pente est facile àdescendre, les intrigues se multiplient, se découvrent ; il fautquitter sa famille, son pays, aller cacher sa honte dans quelque grandeville où l’on finit, faute d’appui naturel, par s’abaisser au rang de femme entretenue, à moins que lesuicide ne l’emporte sur la prostitution. Nous posons en principe qu’ilest, pour une femme, plus difficile de n’avoir eu qu’un amant que den’en pas avoir eu du tout. Lorsqu’il s’échappe un grain du collier desa vertu, les autres ne sont pas longs à défiler. Dans quels brastombe-t-elle encore ! Le goût se perd en même temps que la pudeur. Oùdonc est la femme adultère qui n’a pas ses moments de vertige, et qui,comme la Titania de Shakespeare, n’entoure de ses bras caressants unetête d’âne aux oreilles velues.

Cependant le moraliste le plus sévère ne pourrait se dispenser de fairevaloir les circonstances atténuantes servant parfois d’excuse à lafemme soumise, il faut le dire, à de trop rudes épreuves pour safaiblesse, et laissée au dépourvu. Ce serait injuste de ne pasprésenter la défense de la partie adverse ; ce serait d’autant plus malà celui qui écrit ces lignes, que sa plume ne s’est pas toujoursmontrée si rigoureuse en un pareil sujet. Dans un état social comme lenôtre, où les mariages consultent rarement les inclinations, où lafortune plus que l’amour procède à l’acte le plus important de la vie,il arrive inévitablement que le défaut de sympathie se remarque en unjour. On essaye de se résigner chrétiennement à son sort ; mais lesreproches, les querelles, les ennuis, naissent de toutes parts. Alorsparaît intolérable un intérieur où gronde un orage perpétuel. De lanécessité de supporter quelqu’un qui déplaît à l’espérance de trouverle repos sous l’abri d’une liaison étrangère toujours à proximité, iln’y a pas un grand écart pour la pensée ; et la vertu attaquée, minéeen secret plus encore par la rudesse de l’époux que par les prévenancesde l’amant, succombe après de longs combats. La faute en est souvent àl’inconséquence des parents, qui vendent en quelque sorte leur fille aupremier venu, lorsque ce premier venu s’appelle un parti. La faute en est encore àl’imbécillité des maris.

Le mariage étant une des choses les plus importantes de la vie, ilserait bon d’y regarder de près, et, par une bizarrerie incroyable, laplupart des hommes donnent plus de soins aux bagatelles les plusfugitives qu’à cette indissoluble convention, dans laquelle pourtantils mettent leur honneur. Quelques personnes timorées ont pensé que lesrailleries jetées par la comédie à la tête des maris trompésattaquaient la société par sa base, en dégradant l’institution dumariage. Ces âmes honnêtes sont tombées dans une grande erreur. Il n’ya pas d’autre contre-poids à la cupidité qui préside si souvent auchoix d’une femme. Ces sarcasmes mis dans le plateau de la balancel’emportent quelquefois sur le caprice et l’amour-propre, et empêchentun homme de compromettre dans une union mal assortie le bonheur d’uneexistence entière. La comédie est donc dans son droit, ainsi que lemonde, en se moquant des disgrâces des époux, et les plaisanteries dontcertains esprits délicats s’offensent n’en possèdent pas moins unetrès-haute valeur morale ; elles ne cesseront pas même d’amuser tantqu’il y aura des maris trompés en France, pays classique en ce genre,c’est-à-dire jamais.

On compte au répertoire du Théâtre-Français cinq cents pièces où lesmaris se trouvent plus avancés que le Sganarelle de Molière, ceSganarelle qui ne se plaint que d’un mal imaginaire. Molière surtout asu allier une profonde philosophie à la liberté du théâtre. Lorsqu’onle lit avec attention, on comprend quelle haute idée il s’était faitedu mariage, et jusqu’à quel point il le voulait basé sur la sympathiedes caractères et sur les convenances sociales ; en deux mots, surl’amour et sur la raison. Toutes ses plaisanteries ne tendent qu’à semoquer de ceux qui, comme Arnolphe ou Georges Dandin, s’exposent à defâcheuses conséquences en bravant les plus simples lois du bon sens.Vouloir lier sa destinée entière à un être dont on contraint lepenchant, n’est-ce pas mériter d’être puni ? sacrifier à des intérêtsd’argent ou de vanité son repos domestique, n’est-ce pas appeler sursoi les sarcasmes des hommes ? Voilà ce qui ressort de toutes lescomédies de Molière.

Le drame sentimental est cent fois plus pernicieux aux bonnes moeursque ces franches saillies de Molière, qui ne tirent pas à conséquence :lorsqu’on colore le mal avec des semblants de passion, on le rend pluscapable de séduire qu’en l’exposant dans sa nudité. Les transportsromanesques, les rencontres fatales, les faiblesses involontaires ourepentantes, toutes les ressources du jargon passionné, ne font quedonner au vice un prétexte de prendre des airs de vertu. Croit-on, pourne citer qu’un exemple, que dans Misanthropieet Repentir, Madame de Meinau, sur les malheurs de laquelle l’onverse tant de larmes, offre un bien digne et bien sage modèle ? Nepourrait-on pas inférer de cette pièce de Kotzebuë que, pour recouvrerune honorable position dans le monde, après avoir trahi son époux etabandonné ses enfants, une femme n’a besoin que de se repentir.

On peut diviser la classe des femmes parjures en trois catégories,selon que le coeur, l’esprit ou les sens, ont jeté ces dames hors dumariage. La première classe est celle que les romanciers ont adoptée,et qu’ils se sont plu à revêtir de toutes les séductions de leurtalent. Ils ont décrit avec une extrême complaisance les luttes de lapassion et du devoir ; ils ont enchâssé comme des diamants les larmestombées des yeux de ces tendres coupables, sans trop s’inquiéter dudanger de leurs peintures sentimentales. Il y a, en effet, un charmedans ces douleurs, et plus d’une faible épouse, en possession d’unhonnête homme fort empressé de lui plaire, s’est mise à se créer dechimériques infortunes afin d’arriver au romanesque état de ceshéroïnes ; elle s’est abandonnée à des caprices d’imagination, qui sontdégénérés à la longue et véritable catastrophe pour son époux. Un deseffets les plus lugubres et les plus déplorables de la littératuremoderne, et nous avons tous contribué à ce désordre, il faut enconvenir, c’est qu’elle a peuplé la France d’une foule de femmesincomprises, que leurs maris arrivent à ne comprendre que trop. Lafemme dont nous venons de tracer le portrait, soit qu’un intérieurpénible, ou qu’un désenchantement imaginaire l’ait rendue infidèle,conserve une apparence de réserve et de candeur.

La seconde catégorie renferme la femme dont le manque de foi estinexcusable, la femme adultère par excellence. La trahison est pourelle une occupation d’esprit, un besoin de ruse, d’activité, demouvement, un véritable plaisir. La créature décevante dont parleFigaro, et de qui l’instinct est de tromper, se montre ici dans toutson éclat. Recevoir des billets galants, en écrire, se ménager desrendez-vous, courir mille risques, compromettre jusqu’à sa vie, voilàun jeu pour son génie inventif. La vanité la guide la plupart du temps.Elle aime à ravir, par exemple, à une de ses amies (car ce sont sesamies qu’elle choisit de préférence pour victimes) les attentions d’unhomme à la mode ; elle est tranquille sur le résultat de ses amours. Saprogéniture, quelle qu’elle soit, est traitée également : la mêmeindifférence, la même négligence règne pour tous. Une nourrice élèveses enfants jusqu’au moment où le collége les reçoit. La sécheresse del’esprit a remplacé les entraînements du coeur et les erreurs del’imagination. Elle admet avec une facilité extraordinaire lesparadoxes au moyen desquels on a essayé de justifier les atteintesportées au mariage ; elle s’en amuse avec ses amants. On luiaccorderait plusieurs maris, comme à certaines femmes de l’Asie, quecela ne la satisferait pas. L’intrigue n’y serait plus, c’estl’intrigue qui lui plaît avant tout.

Comment déterminer d’une manière précise la variété qui comprend latroisième catégorie de notre division ? Il est encore de nos jours plusd’une Abisag, vierge charmante condamnée à la couche de quelque Davidénervé ; il est des Héloïses renfermées dans le sanctuaire conjugal,ainsi que dans un cloître austère, et forcées de revêtir leur corpsjeune et ardent du cilice de la mortification. Combien enfin de bellesfleurs, l’amour et le désir des jeunes gens, qu’on voit flotter sur lasurface du mariage, ainsi que des nénuphars sur des eaux solitaires ettièdes ! Ces belles mariées, sans maris, vivront-elles toujours dans unveuvage auquel la loi actuelle les enchaîne impitoyablement ? Non,assurément. Elles trancheront le noeud gordien avec l’épée d’Alexandre! A-t-on trop le droit de les blâmer ?

L’adultère est un canevas qui est le même partout, mais que chaque paysbrode à sa façon. Nulle part il ne s’étale avec plus de liberté qu’àParis : voilà sa patrie. Si l’adultère n’avait pas existé depuis lacréation, Paris l’aurait inventé. C’est là qu’il est à l’aise, qu’il sepavane, et qu’il relève sa tête, humblement baissée en province. Vousle voyez marcher bras dessus bras dessous avec le mariage, qui lui sertquelquefois de patron ; vous le coudoyez à chaque pas que vous faitessur les boulevards ; il vous couvre de flots de poussière au bois ; ils’accoude sur le velours de la meilleure loge de nos théâtres ; ilaffectionne surtout le drame moderne, créé en son honneur ; il séparela femme du mari, auquel il envoie des lettres de faire part lors de lanaissance de son enfant ; il ose demander à l’époux s’il veut en êtrele parrain : mais l’adultère ainsi audacieux et consenti, l’adultèreofficiel perd le prestige du mystère. Détournons les yeux de cesignobles tolérances, de ces marchés scandaleux. L’adultère, levéritable adultère, digne de son nom, se maintient toujours dans desconditions de silence et de dissimulation. Il sait ce qu’il est : il ahonte de lui.

De quelle façon, me dites-vous, se pratique l’adultère ?Contez-nous-le, si vous le savez. Peignez-nous l’adultère de bon ton,l’adultère bourgeois, l’adultère chez le peuple.

Vous le voulez ? Eh bien ! voyons :

Remarquez ce fiacre (un fiacre, notez cela) traversant quelque ruesilencieuse et écartée ; il se dirige, avec des stores hermétiquementfermés, vers une maison discrète qui semble se cacher au milieu desautres. Le véhicule numéroté s’arrête devant une petite porte quis’ouvre d’elle-même : au premier étage, derrière des persiennesentr’ouvertes, un blond jeune homme, aux cheveux bouclés, aux petitesmoustaches frisées, avance le cou imprudemment, et vous qui passez làpar hasard, revenant de visiter une vieille parente, vous avez surprisun regard de femme parti du fiacre et adressé au joli garçon, dont latête s’est retirée de la fenêtre avec précipitation. Un peu decuriosité fait que vous vous retournez : soudain, légère comme unesylphide, une gracieuse femme, coquettement habillée, s’élance de lavoiture, en effleurant à peine le marchepied. Un voile d’un tissu serréenveloppe son chapeau. Elle a passé comme l’éclair, et la porte s’estrefermée promptement sur elle. Bien qu’à deux pas, à peine avez-vous pudistinguer sa taille souple et son pied mignon que vous croyez avoir vudescendre d’un brillant équipage aux Bouffes et à l’Opéra. Vous êtessûr que cette femme est des plus élégantes, et des mieux titrées. Ellea jeté dans l’air en passant des parfums comme la divinité de Virgile.Recueillant alors vos souvenirs, vous vous rappelez qu’un soir authéâtre vous avez observé des signes d’intelligence entre ce blondjeune homme qui vous est bien connu et l’une de nos femmes à la modeles plus adorées. Soyez discret, je vous en prie, c’est la grande dameadultère !...

Pour quoi donc, visiteur malencontreux, êtes-vous allé chez la femme decet agent de change, de ce négociant, de ce banquier votre escompteur,à l’heure de la Bourse et des affaires ? Vous avez trouvé madame assisedans son boudoir, car les femmes d’agent de change, de négociant, debanquier, ont toujours des boudoirs : elle sort du bain ; elle a pourtoilette un simple peignoir de mousseline claire retenu par uneceinture qui dessine sa taille, et laisse apercevoir, à travers latransparence du corsage, des chairs blanches et rosées. Son pied, unpeu large, est enfermé dans une babouche turque. Ses cheveux,négligemment tournés, retombent en boucles sur son cou. Mollementinclinée sur un divan, elle tient un livre pris soudain à votrearrivée, et qui paraît l’occuper beaucoup. Ce livre est donc bienagréable ; est-ce un nouveau roman de George Sand ? D’où vient que labelle lectrice semble si contrariée de votre présence ? Vous jetez uncoup d’oeil à la dérobée sur cette oeuvre attachante, c’est un Télémaque ou un Robinson Crusoé, laissé sur ledivan par un fils, jeune collégien de beaucoup d’espérances. Voilà quiest étrange ! Si vous avez la maladresse de vous asseoir et d’engagerune longue conversation sans vous apercevoir de la mauvaise humeur aveclaquelle on vous répond, vous ne savez pas vivre, permettez-moi de vousle dire. A un coup de sonnette qui ne tardera pas, vous verrez la lèvresupérieure de votre interlocutrice s’avancer sur la lèvre inférieure,et son sourcil se froncer ; puis on introduira un grand beau brun, dontvous aviez déjà soupçonné les assiduités dans quelques soirées : c’estlui qui tourne la musique au piano. On recevra ce jeune homme comme unétranger, avec une froideur de glace. Si vous m’en croyez, partez auplus vite ; vous êtes de trop chez la bourgeoise adultère.

Voulez-vous connaître à présent les grandes causes qui ont provoquél’infidélité de ces deux femmes ? C’est un noeud de ruban tombé dans unbal du sein de la baronne, et furtivement relevé par le jeune homme auxblonds cheveux, ce même noeud qu’on faisait entrevoir discrétementplacé sur le coeur pendant que Rubini roucoulait mélodieusement Il mio tesoro.... C’est un succèscolossal obtenu par le beau brun, premier clerc de notaire, aux soiréesde la femme du banquier, avec les chansonnettes de mademoiselle LoïsaPuget ou de M. Amédée de Beauplan.

Reste la femme du peuple. Celle-là aime à cueillir avec un jeuneouvrier des bluets dans les blés, ou à s’égarer dans les bois deRomainville et de Meudon, le dimanche, tandis que son mari garde lesenfants lassés. Mais l’adultère est avant tout un fils de l’oisiveté etde l’ennui ; il a moins de prise sur cette classe laborieuse, où letravail entretient l’honneur. Chez la femme du peuple, l’adultère a étésouvent le fruit de la violence. La femme du peuple s’est vue longtempsen proie à la débauche des grands. Qu’on se rappelle les mystères duParc-aux-Cerfs. Des historiens un peu aventureux ont cherché àdémontrer, à ce propos, l’heureuse influence de l’adultère sur lacivilisation moderne. Ces singuliers philosophes ont prétendu quel’adultère, comme un rat, a rongé les mailles de l’énorme filet aristocratique par lequel le peuple était emprisonné, c’est-à-dire queles faiblesses des grandes dames, et les convoitises roturières desgrands seigneurs, en mêlant un sang vulgaire au pur sang des ducs etdes princes, ont porté un coup mortel à l’hérédité des priviléges, etdétruit aux yeux des nations les illusions de la noblesse et de laroyauté.

Il ne nous siérait pas d’agir ici la grave question du divorce,palliatif insuffisant lui-même à ce fléau qui dévore les familles commeune lèpre secrète, et contre lequel les lois n’ont pas de remède ! Laloi ne répare le mal que quand il est fait. Il n’y a que l’exemple desbonnes moeurs et la résignation qui puissent avoir quelque efficacité.Cependant il est bon de rappeler que, dans tous les temps, la femmeadultère a été rigoureusement punie, parce que le repos des sociétésest fondé sur le mariage. Les Hébreux la lapidaient avant que le Christeût dit qu’il fallait être sans péché pour lui jeter la première pierre; les Grecs et les Romains la condamnaient à la flétrissure publique, àla déportation. En France, on la privait autrefois de sa dot et de sesconventions matrimoniales, puis on la reléguait dans un monastère ; deplus, on la fouettait dans les rues : mais on renonça bientôt à cetinfâme traitement, de peur, dit avec naïveté un écrivain, que cetaffront n’empêchât les maris de reprendre leur femme, comme Ménélasreprit la sienne après qu’elle eut passé dix années en pérégrination.Maintenant le mari, dans certaines circonstances, a droit de vie et demort sur sa femme ; il ne tient qu’à lui d’user de l’article 137 ducode pénal, article ainsi conçu : « La femme convaincue d’adultèresubira la peine de l’emprisonnement pendant trois mois au moins, etdeux ans au plus. » Le mari peut toujours arrêter cette condamnation,car le crime d’adultère chez nous est considéré comme privé, quoiqu’ilsoit souvent excessivement public.

La loi française contre l’adultère a été faite évidemment par des maristrompés, s’il faut dire la vérité : tout y est contre les femmes etrien en leur faveur. L’épouse convaincue d’infidélité est punie d’unemprisonnement qui peut s’élever jusqu’à deux années. Le mari quientretient une concubine, et encore faut-il qu’il l’ait fait entrerchez lui, n’est passible que d’une simple amende. Le Code accorde enquelque sorte au mari outragé le droit de venger de ses propres mainsl’affront qu’on lui fait lorsqu’il en est témoin ; le code se tait àl’égard de la femme qui surprendrait dans le lit conjugal une maîtressede son mari. En présence d’une pareille législation est-il doncétonnant que les femmes, qui, si elles ne règnent pas sur les codes,règnent sur l’opinion, compensent par un peu de ridicule l’inégalitédes peines ? aussi rit-on généralement des maris malheureux.

L’adultère, du temps de Faber, était considéré comme une espièglerie de société. Notresociété n’est pas moins espiègle que celle d’alors, et l’on pourrait seplaindre, comme les anciens auteurs, de ce que cet amusement est trop fréquent dans le royaume.

Aristote raconte avec naïveté que dans les eaux du Phase il croissaitde son temps un petit arbuste dont un rameau, cueilli par l’époux etcaché dans le lit conjugal, rendait la femme chaste. Excellent Aristote! où donc est-il ton rameau ? Il s’en est allé avec ta Poétique ; carl’on ne conserve pas plus le coeur de sa femme avec ce procédé, qu’onne fait de bonnes tragédies au moyen des tes maximes dramatiques.L’heureux choix, la sympathie, les soins constants, voilà lesmeilleures sauvegardes de l’honneur d’un mari.

Montaigne, ce profond esprit, qui a si bien résumé la sagesse antique,a écrit dans ses Essais quelques lignes belles, nobles et engageantes,dans lesquelles le mariage est bien dignement apprécié. Nous voulonsterminer par ces lignes cette physiologie de la femme adultère, afin defaire excuser, en faveur du but où nous arrivons, les sinuosités duchemin que nous avons été obligé de parcourir avec quelque liberté. «C’est une douce société de vie, dit-il, que le mariage, plein de fianceet d’un nombre infini de bons et loyaux services et obligationsmutuelles : à le bien façonner, il n’en est point de plus belle dans lasociété ; aucune femme qui en savoure le goût ne voudrait tenir lieu desimple maîtresse à son mari. »

Heureux ceux dont la vie peut prendre pour épigraphe la phrase deMontaigne, et pour lesquels le mariage est cette fidèle union quiconsola nos premiers parents de la perte de l’immortalité.


HIPPOLYTE LUCAS.