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LE BON,Gustave(1841-1931): Le Fatalisme moderneet la dissociation des fatalités(1910).
Saisiedu texte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (25.X.2006)
Relecture : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Texteétabli sur un exemplairede la Médiathèque (Bm Lx : n.c.) de l'Opinion, journal de la semainedu samedi 29 janvier 1910.

LEFATALISME MODERNE ET
LA DISSOCIATION DES FATALITÉS 
par
Gustave Le Bon

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Onne peut pressentir les destinées d'une génération qu'en étudiant lesidées directrices qui orientent ses volontés et déterminent saconduite. Mais où les découvrir, ces idées ? Ce n'est certes pas dansles actes des multitudes. Elles possèdent des appétits et non despensées. Sera-ce chez les intellectuels qui font des livres etprononcent des discours ? Ils ne nous donnent le plus souvent que lereflet d'opinions adoptées pour séduire leurs auditeurs ou leurslecteurs.
  
Malgré la difficultéde dégager nettement les idées d'une génération, on peut cependant enacquérir une notion approximative par l'enseignement des maîtres lesplus écoutés.

De récents discoursacadémiques, ceux notamment de MM. Lavisse et Pierre Loti, trahissentclairement les préoccupations actuelles des guides de la jeunesse.

Ilsne sont pas réconfortants, ces discours. Un pessimisme attristé lesdomine. Ce qu'on y lit surtout, c'est la conviction de l'inutilité del'effort, une résignation passive devant les événements, laproclamation de l'impuissance de la science à éclaircir les mystèresqui nous enveloppent. Il semble qu'un fatalisme sombre envahisse audéclin de leurs jours l'âme de penseurs qui à l'aurore de leur activitémentale étaient tout rayonnants d'espérances.

Cettenote fataliste constatée chez les professeurs et les académiciens, nousla retrouverions également chez les hommes politiques actuels. Dans uneinterview récente, un ancien président de la République, M. Loubet,s'exprime ainsi: « La force inéluctable des choses l'emporte sur lavolonté des hommes. Une logique mystérieuse nous conduit. »
  
Des orateurs académiques que j'ai cités, Pierre Loti s'estmontré le plus triste. Dans une langue harmonieuse, il réédite encorela vieille plainte de l'Ecclésiaste, tant de fois répétée au cours desâges.
 
C'est à l'impuissance de lascience, créatrice cependant de tous les progrès civilisateurs, ques'en prend M. Loti. Il lui reproche de ne pouvoir rien expliquer.

«Nous ne savons et ne saurons jamais rien de rien : c'est le seul faitacquis. La vraie science n'a même plus cette prétention d'expliquer,qu'elle avait hier. Chaque fois qu'un pauvre cerveau humaind'avant-garde découvre le pourquoi de quelque chose, c'est comme s'ilréussissait à forcer une nouvelle porte de fer, mais pour n'ouvrirqu'un couloir plus effarant, plus sombre, qui aboutit à une autre porteplus scellée et plus terrible. A mesure que nous avançons, le mystère,la nuit s'épaississent, et l'horreur augmente… »

Peuconfiant dans la puissance explicative de la science, le célèbreécrivain ne croit pas davantage à celle de l'effort pour se défendrecontre la menace des événements. « Il n'y a pas de lutte possible,dit-il, contre ce souffle moderne qui se lève pour tout abattre ennivelant tout. »

Je doute fort de ce nivellement,entrevoyant au contraire une dénivellation croissante entre lesindividus, et par conséquent entre leurs situations, à mesure qu'évoluela civilisation. J'ai donné, il y a longtemps, les raisonspsychologiques de cette différentiation progressive. Entre un baronféodal et son serf, la différence intellectuelle était faible. Avec lescomplications de la science et de la technique industrielle, ladistance entre les mentalités du savant et de l'ignorant, entre cellesde l'ingénieur et de l'ouvrier devient immense et s'accroît chaquejour. On égalisera de plus en plus les apparences, mais de moins enmoins les hommes. Les inégalités mentales sont des fatalités qu'aucuneviolence ne saurait effacer.

Le pessimisme et lefatalisme de M. Lavisse ne sont pas moindres. Recevant M. R. Poincaré,il commença d'abord par le gourmander assez durement de sondemi-optimisme, lui reprochant « l'usage de formules un peu défraîchies» et qualifiant « de particulièrement ridicule » la recherche du justemilieu de son illustre collègue. « Je serais fâché pour vous et aussipour moi, ajoute M. Lavisse, si vous croyiez que quelques principesanciens et simples puissent suffire à conduire les hommes dans leurpolitique d'aujourd'hui. »

Quels seraientalors les nouveaux principes directeurs ? M. Lavisse ne les indiquepas, sans doute parce qu'il les ignore ; mais il les appréhendebeaucoup. Les fantômes lointains paraissent toujours dangereux.

«L'état et la société, continue l'orateur, sont en question et enpéril... Une démocratie commence par être un tumulte énormed'instincts, de passions et d'idées. Elle ne sait ni ne peut savoir aujuste ce qu'elle veut, et personne n'est en état de proposer à sesobscures volontés le plan de la cité future. Gênée, irritée par lesinstitutions, lois et coutumes, elle s'attaque à tous les étais de lacité présente et tout s'ébranle et semble pencher vers la ruine.

...Un jour, il faudra dans tous les états du monde choisir entre lesdépenses militaires et les dépenses sociales. Ce jour viendra, ilapproche. Il mettra en présence deux mondes, deux conceptionsdifférentes de l'humanité. Ce sera le grand jour. »
  
L'éminent prophète est-il bien sûr que ses craintes ne soientpas un peu vaines ? A-t-il vraiment oublié que les mêmes problèmes sesont posés sous les mêmes formes, chez tous les peuples, à Athènes, àRome, à Florence, de l'antiquité aux temps modernes. Répétés dans destermes presque identiques, ils ont abouti partout aux mêmes solutions.La barbarie changea souvent de nom, mais il fallut sans cesse luttercontre celle du dedans et celle du dehors. Cette lutte constitued'ailleurs un des facteurs du progrès. Elle n'est dangereuse que si lesdéfenseurs d'un ordre social établi se résignent d'avance à la défaite.Fatalement vaincus alors, ils méritent l'écrasement qui termine leurinutile existence.

L'hétérogène alliance despacifistes, des socialistes et des universitaires de race latine pourrapeut-être faire éclore dans un pays, le « grand jour » de M. Lavisse,mais il aurait son lendemain, ce grand jour rêvé. Ce seraitl'asservissement immédiat et le pillage du peuple désarmé, par desvoisins avides d'encaisser des milliards et de supprimer la concurrencedes vaincus.

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Les tendancespessimistes et fatalistes dont nous venons d'indiquer les lignes ne serencontrent pas seulement dans les discours académiques. Ellesenvahissent de plus en plus notre enseignement universitaire.

Lesprofesseurs qui ne sont pas des résignés deviennent bientôt desrévoltés. Beaucoup se mettent aujourd'hui à la tête du socialismerévolutionnaire. La lecture de leurs oeuvres montre quel mélanged'humanitarisme, de religiosité et d'envie sature leurs âmes. Lesécrits récents d'un professeur au Collège de France sont typiques à cepoint de vue. Dans son livre, Paroles d'avenir, écrit en styleapocalyptique, nous apprenons que la liberté de l'ouvrier consiste à «crever dans un fossé comme un chien ou dans un lit d'hôpital comme ungueux qu'il est. Il a la liberté de mourir de faim et de misère ».

Quantaux riches, l'auteur révèle à ses lecteurs qu'ils n'ont guère d'autresoccupations que « des orgies stupides et immondes ». On doit lesdépouiller de leurs richesses. « Délivrer ces bons à rien des tares etdes misères morales qu'engendre l'extrême opulence serait leur rendreun signalé service. » C'est, on le voit, dans les temples de la sciencepure que grandissent aujourd'hui les futurs Marat.

Desélucubrations aussi haineuses sont assurément trop dépourvues de style,de pensée et de vérité pour exercer quelque influence sur des espritséclairés. Mais il ne faut pas oublier que leurs auteurs sont les guidesde la jeunesse. Quelle génération sortira des mains de pareils maîtres ?

Larésignation fataliste d'une part, la révolte envieuse de l'autre,semblent devenir de plus en plus les dominantes des éducateurs latins.

L'influencede l'esprit révolutionnaire n'amène que des violences éphémères, celledu fatalisme est plus durable et pour cette raison plus dangereuse. Lefatalisme est la religion des faibles, incapables d'effort. Appuyé enapparence sur des bases scientifiques, il constitue un monstreredoutable. Sa force cependant n'est qu'illusoire.

Sile déterminisme de la science moderne paraît justifier pour beaucoupleur fatalisme atavique c'est qu'ils confondent fatalisme etdéterminisme, choses en réalité fort différentes. Le déterminismeenseigne qu'un phénomène est la conséquence rigoureuse de certainescauses antérieures. Il se répète quand les mêmes causes se reproduisentet sans que les volontés d'aucun être supérieur puissent intervenir danscet enchaînement. Les anciens avaient divinisé toutes les forcesnaturelles parce qu'ignorant leur engrenage invariable, ils espéraient,par des prières, en modifier le cours. Rejeter le rôle d'êtressupérieurs, c'est tout le déterminisme.

On doitlaisser aux métaphysiciens les discussions subtiles sur le librearbitre, puisque le problème est philosophiquement reconnu insoluble.En se plaçant à un point de vue exclusivement pratique, il devientfacile de prouver que la fatalité n'est le plus souvent que la synthèsede nos ignorances et s'évanouit dès qu'on sait désagréger les élémentsqui la composent.

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Trois classesdistinctes peuvent être établies dans la grande famille des fatalités.1° Les fatalités naturelles, irréductibles. Telles sont la vieillesse,les phénomènes météorologiques, le cours des astres. Tout au pluspouvons-nous en déterminer les lois, les prévoir et quelquefois nousprotéger un peu contre elles. 2° Les fatalités réductibles. Dès queles progrès de la science permettent de dissocier leurs éléments, et deles attaquer séparément elles s'évanouissent. Les grandes épidémies,les famines, qui faisaient autrefois périr des millions d'hommes, ensont des exemples. 3° Les fatalités artificielles. Créées par nous,ces dernières remplissent l'histoire. Lutter contre elles estdifficile, parce qu'une cause étant constituée, ses effets ont undéroulement nécessaire. Pour les arrêter, il faut savoir opposer à lacause possédant un certain poids, une autre cause d'un poids pluslourd. C'est ainsi généralement que les grands hommes surent briser lesfatalités.

L'examen sommaire du rôle de lascience sur des phénomènes considérés jadis comme d'inexorables destinsenseigne clairement de quelle façon peuvent être désagrégées etanéanties certaines fatalités.

Il y aquarante ans, c'était une inéluctable fatalité que tout sujet amputédans un hôpital parisien succombât en quelques jours. C'était égalementune fatalité que les habitants de diverses contrées fussent victimes defléaux comme le paludisme et la fièvre jaune.

Aujourd'hui,les éléments de ces fatalités étant dissociés, on a pu les anéantir.Les amputés périssaient par l'action de certains microbes. Dès que lesméthodes d'asepsie permirent de supprimer cette action, les opérationsjadis mortelles devinrent inoffensives.

Demême pour le paludisme et la fièvre jaune. Aussitôt qu'on les sutproduits par certains parasites qu'introduisaient dans les globules dusang les piqûres de moustiques, on entrevit le moyen de fairedisparaître ces épidémies et la fatalité commença à se dissocier. Ellene fut cependant détruite que lorsque, étudiant les conditionsd'existence des moustiques, on découvrit qu'ils se reproduisaientseulement dans des mares ou des flaques d'eau. Mares et flaques d'eaudesséchées, les moustiques disparurent et du même coup les épidémiesfurent supprimées. Des pays comme la Havane, dont le séjour était jadissi souvent mortel, devinrent habitables sans danger. La fatalités'était évanouie.

Les faits analogues sontinnombrables. Les Hollandais surent se soustraire par un énergiqueeffort à la fatalité d'inondations dont la mer les menaçait. La Prussetransforma ainsi les sables de la Poméranie et les tourbières duBrandebourg, en forêts magnifiques et en champs fertiles. Tous cesdominateurs de la nature ont lutté contre des fatalités et les ontvaincues parce qu'ils se refusèrent toujours à la résignation.

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Ceque nous venons de dire de la désagrégation de certaines fatalitésnaturelles peut s'appliquer également aux fatalités historiques.Quoique parfois très lourdes, lorsqu'elles dérivent de la race et dupassé politique d'un peuple, elles n'échappent pas à cette loi del'évanouissement par dissociation de leurs éléments. C'est surtoutnotre ignorance de la nature des éléments d'une fatalité qui fait saforce.

Chaque page de l'histoire vérifie cesassertions. Considérez un événement important, la guerre de 1870, parexemple, analysez-en tous les facteurs psychologiques immédiats etsurtout lointains, vous découvrirez vite que si notre défaite étaitdevenue inévitable, les divers éléments qui la rendirent telle auraientpu être successivement annulés par des intelligences supérieures, avantque leur accumulation devînt trop lourde.

Lesgrands hommes d'État : Richelieu, Cavour, Bismark, etc., surentprécisément dissocier et détruire les éléments dont l'ensemble formeles fatalités de l'histoire.
  
Tousces esprits éminents manièrent avec une précision merveilleuse lesfacteurs psychologiques qui nous mènent. Ils comprenaient aussi le rôledes nécessités religieuses, sociales et économiques que chaque époquevoit surgir et dont nous ne sommes pas les maîtres. Séparer lesfatalités inévitables de celles qui ne le sont jamais et ne pas s'userdans d'inutiles luttes, est un des points fondamentaux de lapsychologie politique.

On ne peut certes détruireles fatalités créées par des conditions extérieures indépendantes denotre volonté, mais l'homme supérieur les utilise comme le marinutilise le vent malgré sa direction. C'est ainsi, par exemple, quedevant le problème de la surproduction et des concurrences ruineusesqu'elle engendre, les Allemands ne sont pas entrés en lutte contre lesfatalités économiques, mais les ont utilisées en créant ces syndicatsde production dits cartells qui empêchent concurrence et surproduction.Impuissants à comprendre les nécessités inéluctables de laconcentration industrielle, nous combattrons par des lois draconiennesces syndicats que l'empereur d'Allemagne aide au contraire de tout sonpouvoir. Clairvoyance d'un côté, aveuglement de l'autre.

Lorsqueincapable par ignorance d'utiliser les fatalités qui constituent leslois naturelles, on essaie de leur résister, il en résulte descalamités dont les générations futures subissent longtemps lesconséquences. Chaque fatalité artificiellement créée implique, eneffet, un déroulement nécessaire. Nous évoquions à l'instant la guerrede 1870. Beaucoup de Français l'ont oubliée. Un professeur de l'Écolenormale supérieure signalait, récemment, dans le Temps, que certainscandidats à cette école l'ignoraient complètement. Et, pourtant, noussommes tellement enveloppés de son influence que ses conséquencescontinuent à régir l'Europe. En n'envisageant même que ses incidencesfinancières, on constate que nous payons toujours 450 millions par an,rente des 15 milliards que cette guerre a coûtés. Parmi les autresconséquences de notre défaite figure encore celle-ci, que pour éviterl'attaque dont nos voisins victorieux n'ont pas manqué, depuis quaranteans, une seule occasion de nous menacer, nous avons dépensé enarmements, suivant les calculs de M. Cochery, 53 milliards.
  
On voit ce que pèse l'imprévoyance des hommes d'État etcombien sont précieux pour leur pays les grands hommes politiques quisavent dans le présent lire un peu l'avenir et éviter de créer desfatalités. Ils sont rares malheureusement. La politique moderne devientun art de bien parler qui dispense de bien penser.
  
L'homme d'État incapable de prévoirest, je le répète, un créateur defatalités désastreuses. Si l'Angleterre se débat actuellement contreles immenses difficultés qu'entraîne la nécessité d'accroîtreconsidérablement ses impôts, pour augmenter sa flotte et lutter contrela menaçante suprématie de l'Allemagne, c'est parce que, il y aquarante ans, ses hommes d'État ne surent rien prévoir. Pour satisfairedes rancunes, qu'un véritable homme politique devrait ignorer, ellenous refusa, après la guerre franco-allemande, de favoriser un congrèsqui eût limité les prétentions de l'Allemagne et changé l'avenir. Lacrainte de voir se réunir ce congrès était le cauchemar de Bismarck. Ily pensait jour et nuit, dit-il, dans sesmémoires.    Ce grand psychologue comprenaitbien qu'un tel congrès eût réussi à « rogner le prix de ses victoires». C'est justement ce que fit, quelques années plus tard, le congrès deBerlin, qui obligea les Russes, victorieux des Turcs, à renoncer às'emparer des territoires qu'ils convoitaient.
  
Jamais, en effet et malgré nos défaites, un congrès n'auraitlaissé troubler entièrement l'équilibre de l'Europe au profit d'uneseule puissance. L'Angleterre, l'Autriche et la Russie n'avaient-ellespas un intérêt évident à empêcher la formation d'un Etat prépondérantau centre de l'Europe ? Les hommes d'État anglais expient aujourd'huila faute de prévision alors commise.

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Lelecteur qui a bien voulu nous suivre doit avoir maintenant de lafatalité une idée tout autre que celle donnée par les livres. Envisagéecomme nous l'avons fait, elle perd son pouvoir inexorable etmystérieux. Beaucoup de fatalités naturelles sont des forces que nousdevons vaincre. Celles créées par l'imprévoyance des aïeux sontdestructibles par la volonté.
  
Nousne cessons, malheureusement, de créer des fatalités artificielles dontles conséquences retomberont durement sur nos descendants. Croit-on,par exemple, que vainement se prêchent l'antipatriotisme,l'antimilitarisme et l'anarchie ; que nous supportons les révoltes desfonctionnaires ; que nous entassons des lois de plus en plusoppressives pour l'industrie ; que les maîtres de l'Université donnentune éducation dont le niveau technique et moral s'affaisse chaque jour? Est-ce impunément qu'ils infiltrent dans l'âme de la jeunesse avec lahaine des supériorités, créatrices cependant de la puissance d'unpeuple, l'indifférence pour toutes les grandes causes, la résignationmorne, l'esprit de négation et de dénigrement, sans donner de lignesdirectrices capables d'orienter les volontés ? , Commeconséquence,    l'Allemagne s'élève et nousdescendons. C'est par l'éducation, que nous n'avons pas su manier,qu'elle réussit jadis à désagréger des fatalités pesant sur elle depuisdes siècles.
 
Et pendant que s'accumulenttant de causes de décadence, nous laissons grandir une armée derévolutionnaires fanatiques, sans traditions, sans principes, sansscrupules, n'ayant pour idéal que la violence de leurs appétits et unintense besoin de destruction. Nous leur opposons seulement nos pâlesincertitudes, notre indifférence et notre résignation. A mesure qu'ilsmenacent, nous cédons davantage. Ne croyant plus à rien, nous ne savonsrien défendre. Faiblesse grandissante d'un côté, puissance grandissantede l'autre. La balancé oscille encore un peu dans le sens de l'ordre,mais bientôt elle n'oscillera plus.
  
Cesont là choses que nous avons dites bien souvent, mais qu'il ne fautpas se lasser de redire. La répétition seule peut les faire entrer dansl'esprit. Les idées s'imposent rarement par la démonstration de leurexactitude, elles s'imposent seulement après avoir envahi ces régionsprofondes de l'esprit où s'élaborent les mobiles de nos actions.Persuader ne consiste pas à prouver la justesse d'une raison, mais bienà faire agir d'après cette raison.

GUSTAVE LEBON.