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PRÉVOT,Georges (1890-1976) : Essaisur l'emploi figuré des termes de guerre dans le langage contemporain (1919). Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (06.X.2015) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux: nc) du Mercure deFrance. N°494 - T. CXXXI, 16 janvier 1919. ESSAI SUR L'EMPLOI FIGURÉ DES TERMES DE GUERRE DANS LE LANGAGE CONTEMPORAIN par Georges Prévot ~ * ~Lesguerres ont toujours eu, au cours des siècles, une répercussion trèsmarquée sur le langage contemporain. La nécessité de désigner par destermes commodes des inventions ou des habitudes nouvelles, issues del'état de guerre, les relations avec les peuples étrangers, alliés ouennemis, et différents de race ou de langue, la prédominance prise parl'élément militaire, et, dans les conflits récents, le mélange desdiverses classes sociales, introduisent dans le parler courant des motsjusqu'alors inconnus, soit importés, soit créés de toutes pièces, oubien ressuscitent des mots anciens dont on avait cessé de se servir, oubien encore répandent des expressions techniques, des mots d'argot, deslocutions de patois local.Sans remonter jusqu'à la domination romaine en Gaule, aux invasionsbarbares ou à la conquête arabe, on sait que les Croisades, les guerresd'Italie, les guerres de Trente ans et de Sept ans, les guerres de laRévolution et de Napoléon, pour ne signaler que les principales, ontenrichi la langue française d'un très grand nombre de termes. L'exemple le plus frappant est peut-être l'envahissement des motsitaliens dans la langue française, au XVIe sicle, dû aux diversesexpéditions des Français en Italie. Ainsi le mot bataillon (italien :battaglione) est cité pour la première fois en 1564 dans leDictionnaire Français-Latin de J. Thierry ; caporal (ital. caporale)n'apparaît pas avant Rabelais ; le premier emploi de escadron (ital.squadrone) se trouve dans Jean Marot. De même bastion, camp,cartouche, casemate, colonel, cavalerie, embuscade, escorte, escouade,fantassin, généralissime, infanterie, sentinelle, soldat, vedette,pénètrent dans la langue française au cours des campagnes, d'Italie,entre la fin du quinzième siècle et les dernières années du seizième.Tous ces mots se sont définitivement fixés dans notre langue. Aujourd'hui plus que jamais, dans une guerre longue, où les inventionsse multiplient, où le jeu des alliances mêle journellement auxFrançais, Belges, Anglais, Italiens, Serbes, Russes, Roumains,Polonais, Chinois, Japonais, Américains, d'autres encore, une foule demots et d'expressions nouvelles ont surgi et surgissent chaque jour,vite répandus dans le public par les journaux, les revues et leslivres. Ils ont donc pour origine deux sources nettement distinctes. Ce sont :1° des termes indigènes (mots anciens ressuscités, mots nouveaux, motsd'argot ou de patois) ; — 2° des termes étrangers. Au premier groupeappartiennent mousqueterie ou grenadier (depuis longtemps français,sortis de l'usage et récemment repris) ; ypériter (asphyxier au moyende l'ypérite); boche, cafouille, etc. — Au second groupeappartiennent des mots comme tank, venu d'Angleterre, toubib, venud'Algérie, minenwerfer, venu d'Allemagne. Mais ceci n'est que l'un des aspects de l'influence des guerres surle langage. Il en est un second, non moins important peut-être dansl'histoire de la linguistique, et qui ne présente pas un intérêt moinsvif. II s'agit de l'emploi figuré des termes de guerre dans lelangage courant. Ainsi le mot « défaitiste », d'emploi d'ailleursrécent, signifie d'abord « qui croit à la défaite de son propre pays »,puis, par métaphore, « qui croit une chose vouée à l'insuccès ». Ondira par exemple « les défaitistes de la musique française », pourdésigner les personnes qui, ne faisant pas confiance à la musiquefrançaise, la croient destinée à être surpassée par les musiquesétrangères. Or l'emploi métaphorique d'un mot n'a pas moins d'importance dansl'histoire d'une langue que l'emploi au sens propre de ce même mot. Lacréation d'une métaphore nouvelle, exprimant un rapport jusque-làinaperçu entre deux idées, équivaut presque à la création d'une idéeet par conséquent d'un mot. Ce sont de nouvelles expressions quienrichissent le langage et qui, parce qu'elles s'implantent souventd'une façon définitive, apportent au style une précieuse variété denuances. Certes, c'est un phénomène constant et journalier, qui répond à unbesoin de l'esprit humain ; mais il se manifeste surtout et plusintensément dans les périodes de troubles sociaux, aux époques degrandes découvertes, d'épidémies, de migrations, de conquêtescoloniales, de révolutions, de guerres civiles ou extérieures. Au xvnesiècle, par exemple, la fréquence des duels provoque jusque dans lesoeuvres littéraires (le style de Corneille est fort curieux à ce pointde vue) un emploi répété des termes d'escrime. Et les guerrescontemporaines font surgir à profusion des métaphores variéesempruntées au vocabulaire militaire. Ainsi nous lisons dans Corneille : Leur haine à nos douleurs aurait rendu les armes. (Rodogune, 1100.) Ce n'est qu'en ces assauts qu'éclate la vertu, Et l'on doute d'uncoeur qui n'a point combattu.(Polyeucte, 167-168.) Fuyez un ennemi (1) qui sait votre défaut,Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue, Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous tue. (Polyeucte, 104- 106.) Dans le Courtisan Français (1640), un amoureux se plaint en cestermes de la rigueur de sa maîtresse : Les escopettes [sorte de carabine] de vostre beauté bruslent assez lepropoint de mon âme, sans que le canon de vostre rigueur brise les osde mes prétentions. Vous avez assez fourragé le plat pays de coeur,sans que d'abondant vous y logiez le régiment du désespoir. Ceci est de la pure préciosité, et de la moins bonne, sans doute, et detelles images n'ont pas survécu. Il est vrai aussi que, même au XVIIesiècle, ces expressions n'étaient pas nouvelles ; mais il faut songerque, d'une part, elles n'avaient jamais eu une telle vogue, et d'autrepart que plusieurs d'entre elles — ainsi cavalier dans « un aircavalier », « un ton cavalier », — provoquées par les guerrescontemporaines, ont conservé depuis ce temps leur emploi métaphorique. ll est donc permis de croire que, de même, un grand nombred'expressions figurées, issues de la guerre actuelle ou tout au moinsrépandues grâce à elle, lui survivront. — Le grand public peuts'intéresser à cette question aussi bien que les érudits, et c'estpourquoi je me suis proposé d'en donner ici un rapide aperçu. Nous distinguerons, pour plus de clarté, cinq chapitres : I. — Mots et expressions. II. — Locutions. III. — Comparaisons formées d'un groupede mots. IV. — Métaphores à plusieurs termes. V. — Suites d'images. Et nous subdiviserons chacun de ces chapitres en différentsparagraphes, selon l'ordre d'idées auquel appartiennent ces diversesmétaphores. I. — Mots et expressions. a) Termes empruntés au recrutement, corps de troupe, etc… ARMÉE. — Le mot « armée » était sans doute employébien avant la guerrepour désigner une foule imposante de personnes ou de choses, une massequelconque, groupée et ordonnée. Mais l'usage figuré de ce mot nonseulement apparaît beaucoup plus fréquent depuis 1914, mais encoretend à évoquer (ce qu'il ne faisait pas auparavant) le souvenir del'armée réelle, de l'armée combattante. On en jugera par l'exemplesuivant : Le patriotisme le plus pur, se conciliant avec l'intérêt dechacun, adonné à la journée d'hier l'éclat d'une belle manifestation de l'Arméede l'Epargne. (Journal, 7 octobre 1916.) Cette image « armée de l'épargne » a d'ailleurs été très répandue dansles journaux au moment des différents emprunst RÉGIMENT.— Dans le même ordre d'idées, mais cette fois sans nuancespéciale, le mot « régiment », pour désigner un petit groupe organisé.De quel droit, pourrait-on même lui demander, déserte-t-il en un pareilmoment [ il s'agit de Paul Adam ] le régiment des Lettres... ? (V.,Temps, 22 août 1918.) MOBILISATION. — Ce mot a donné lieu à des images curieuses, appliquéesnon seulement à des choses matérielles, mais même à des idées. 1°. En parlant-de l'industrie et du commerce : Nous qui n'avons rien prévu des nécessités d'une mobilisationindustrielle, saurons-nous, avant qu'il ne soit trop tard convenir des nécessités d'une mobilisation commerciale...? (Pays ; 18 janvier 1918.) 2°. En parlant de choses matérielles, maisinanimées : M. C. P. Steinmetz,de la General Electric Company desEtats-Unis, demande la mobilisation du Niagara. (Débats, 28 avril 1918.)Le but de ce branle-bas était la mobilisation d'un piano entreposé dansle magasin du facteur. (Œuvre, 7 octobre 1916.) 3°. En parlant de faits intellectuels : L'intérêt, la bêtise et la trahison, ligués contre nous, viennentd'entreprendre une opération d'une envergure énorme... la mobilisationdes sophismes. (R. Postal, Revue Normande, août 1917.) Nous aurons à organiser... une veste mobilisation générale del'intelligence et du travail. (Un Limousin, Matin, 5 août 1918.) L'emploi figuré du mot « mobilisation » est en somme logique quand ils'agit d'exprimer l'idée d'une mainmise sur quelque chose pourcontribuer à l'heureuse issue de la guerre. Mais il y a une sorted'abus et une déformation du sens propre quand le mot prend lasignification simple de « mise en oeuvre » ou même de « déménagement» MOBILISER. — Il était logique que, parallèlement au substantif «mobilisation », on employât « mobiliser », soit dans le sens de «convoquer et organiser en vue d'uneaction déterminée », soit avec lasimple signification de « réunir, rassembler ». 1°. En parlant des personnes : Il s'agit d'utiliser les professeurs en vacances, de les mobiliser pourune campagne d'éducation. (Information, 6 août 1917.) 2°. En parlant des choses : Tristan Bernard... a mobilisé ses tiroirs et ses fonds de tiroirs.(Œuvre, 20 mai 1917) (2). b) Termes empruntés à l'organisation des troupes et du terrain. FRONT. — Le « front », c'est au sens propre, dans le langagemilitaire, la ligne de bataille. Par extension, c'est la région occupéepar les troupes, avec ou sans idée de combat : on dit « aller au front», sans que le mot désigne forcément les tranchées avancées. Aufiguré, grâce à une nouvelle extension sémantique, le mot désignera une organisation quelconque destinée àlutter contre une organisation analogue de l'ennemi. Mieux encore.L'expression « unité de front » a été employée pour signifier «amalgame des troupes alliées quicombattent au front », littéralement «unité en ce qui concerne le front », l'idée d'unité prédominant surcelle de front. Au figuré, l'expression « unité de front s oublieratotalement la notion de front, pour ne retenir que celle d'unité. 1°. En parlant du domaine économique : Diable ! vous allez partir pour le front ? - Nous y sommes déjà... : je parle du front économique. (D'Antin,Liberté, ler janvier 1918.) 2°. En parlant du domaine juridique : Lloyd George et Clemenceau ont répété que l'unité du front était lacondition de la victoire... Les coffres-forts de Florence et lesdépêches boches de l'Argentine ont seuls réalisé l'unité dufront judiciaire. (Debierre, Pays, 20 janvier 1918.) 3°. En parlant du domaine diplomatique : Instituons, pourquoi pas, l'unité de front diptomatique, de même que nousvenons de réaliser l'unité militaire 1 (V. Margueritte, Pays, 7 mai1918) (3). SECTEUR. — « Secteur » signifie « partie découpée dans une surface »,par extension, en langage militaire, « ensemble de troupes, faisantpartie d'un groupement plus vaste, et placées sous le commandementgénéral d'un chef » et « subdivision du front ». De là, au figuré, lesens de « domaine particulier ». [Dans la fatigue nerveuse] il n'y a plus de synergie fonctionnelle.Chacun lutte dans son secteur, sans savoir ce que fait le voisin. (Dr Voivenel, Mercure de France, 1er septembre 1917.) TRANCHÉES. — Les tranchées du front sont destinées à abriter le soldatcontre les balles et en partie contre les obus, à le dissimuler auxregards de l'ennemi. Par métaphore, « tranchée » signifiera « cachette», « place où l'on se met à l'abri contre des attaques possibles ». Or ils étaient [les espions allemands], dans la société même, tapis,eux aussi, dans d'invisibles tranchées à l'abri des lois, dissimulés comme les autres derrière leur feuillage. (G. Prade, Journal, 13janvier 1918.) BARBELÉS. — On a dit d'abord, au sens propre, « fils barbelés », puispar abréviation « barbelés » (transformant ainsi, par commodité, selonune loi fréquente en linguistique, un adjectif, ou plus exactement unparticipe, en un substantif. (un rôti, des frites, etc.) Ce sont desfils de fer tendus devant les tranchées pour protéger les troupescontre une incursion soudaine de l'ennemi. « Barbelés » prendra donc,au figuré, la signification de « ce qui protège ». Vous verriez quand même le secret franchir toutes les grilles,tous lesbarbelés qui défendent les murs du Palais-Bourbon, (Cl. Vauvel,Liberté, 27 septembre 1917.) PARC DU GÉNIE. — Par analogie avec le parc du génie réel où sontconcentrées des réserves de pièces d'artillerie et de munitions, cetteexpression désignera, au figuré, l'endroit où sont concentrées desréserves de forces. La diminution du capital d'énergie se produit rapidement dès que,dépassant les limites de la fatigue musculaire, on fait appel à laréserve nerveuse, à ce parc du génie cérébral qui est la substancechromatique. (Dr Voivenel, Mercure de France, 1er septembre 1917.) c) Termes empruntés à la guerre et au combat. GUERRE. — On comprend aisément le passage du sens, de « luttemilitaire, à main armée » au sens figuré de « lutte », simplement. Si nous voulons une paix avantageuse, -préparons la guerre économique.(Titre dans le Matin, 5 août 1918.) BATAILLE. — Même dérivation de sens pour le mot « bataille ». Il s'agit d'établir, en un mot, au plus fort de la batailleéconomique, un front commun. (Matin, 14 mai 1918.) OFFENSIVE. — Voici le mot qui aura été le plus employé par métaphore aucours de la guerre, et il ne se passe presque pas de jour actuellement,du moins pas de semaine, sans qu'on en trouve un exemple dans lesjournaux. « Offendere » signifie, en latin, « attaquer » (littéralement heurter,frapper [étymologie : fendere, même sens]). Offensive (abréviation de «action offensive ») signifie donc :attaque, action de porter les premierscoups à un adversaire. Au figuré, le sens sera le même, avec uneacception métaphorique, Voici une listede divers exemples curieux. 1°. En parlant des personnes : Une offensive réussie - c'est l'offensive des ménagères contre leursfournisseurs. (Réclame dans divers journaux, août 1918.). Plus de demi-mesures, plus de palabres, une action vigoureuse etefficace : l'offensive à froid contre la masure insalubre et le taudisinfect. (C. Haye, Pays, 3 mai 1918.). Il nous faut noter ici la regrettable reprise de l'offensive desbourreurs de crâne, offensive qui s'était calmée pendant quelquesjours. (P. Renaison, Pays, 3 mai 1g18.). Une offensive littéraire antirépublicaine. (Titre dans le Pays, 14 mai1918)(4). Pour y triompher, nous aurons à organiser une nouvelle éducationagricole, des concentrations industrielles, des offensives bancaires... (Un Limousin, Matin, 5 mai 1918.) 2°. En parlant de personnes, le mot étantappliqué à la parole : L'offensive oratoire de Hertling. (Titre dans le Matin, 27 janvier1918). La visite des Américains a eu comme résultat de déclencher uneoffensive de grande envergure de la part des majoritaires du partsocialiste unifié. (Matin, 14 mai 1918.) Dans le domaine de la diplomatie : Le Kaiser veut, par les offensives diplomatiques, persuader aux peuplesdes Empires que c'est l'entente qui est la cause de la continuation dela guerre... (P. Dolbert, Ouest-Eclair, 16 mai 1918) (5). 3°. En parlant de choses : L'offensive de la faim. (Titre dans le Matin, 6 août 1918.). Tous les microbes, à l'affût dans le nez, profitant de l'émoi, sedéveloppent à l'envi, pénètrent dans le sang, et fixent une offensivesur le point faible de notre front organique. (Dr Helme, Temps, 29avril 1918.) 4°. J'ai réservé volontairement pour la fin l'un des plus curieuxemplois, sinon le plus curieux, du mot « offensive ». C'est celui où lemot « offensive » est uni à l'idée de paix. Au premier abord, il sembley avoir antinomie entre les deux termes « offensive » et « paix », et,si la métaphore s'explique logiquement, il n'en subsiste pas moins unecertaine anomalie .Le succès de cette métaphore a d'ailleurs été trèsgrand, et, au cours de ces derniers mois, tous les journaux l'ontemployée. Voici les exemples les plus typiques. 1. Avec le mot « paix » : Lord Robert Cecil a cru devoir... mettre en garde le public contre uneprochaine offensive de paix des empires centraux. (Débats, 8 mai 1918.) 2. Avec l'adjectif « pacifiste » : Dans les milieux officiels on estime que l'offensive pacifiste del'Allemagne a déjà commencé. (Débats, 4 mai 1918.) 3. Avec l'adjectif « pacifique » : L'offensive pacifique. (Titres dans le Pays du 11 et du 12 mai 1918.) (Notons en passant que l'emploi du terme « pacifique » est unvéritable non-sens. L'expression « offensive pacifiste » estlégitime,parce que « pacifiste » signifie « en faveur de la paix ».Mais,« pacifique » n'a jamais eu ce sens. L'employer ici, c'estméconnaître totalement la signification des mots français.) CONTRE-OFFENSIVE. — De même qu'une offensive appelle de la part destroupes combattantes une contre-offensive, il était assez naturel quela métaphore « offensive » appelât la métaphore parallèle «contre-offensive ». 1°. Appliqué à la parole : M. Caillaux qui se flatte d'être allé au front... y a sans doute apprisl'art de la contre-offensive. Sa défense... a surtout consisté euattaques contre des hommes politiques. (Cri de Paris, fin janvier1918.) 2°. Appliqué à la diplomatie : Vous-mêmes, enfin, ô gouvernants, cela vous mettrait un peu en trainpour répondre par quelques contre-offensives diplomatiques cetteprochaine attaque... de la Wilhelmstrasse. (Pays, 7 mai 1918.) ATTAQUE BRUSQUÉE. — La métaphore s'expliqued'elle-même. Une attaque brusquée de laChambre syndicale des propriétaires contre le moratorium. (Humanité, 9décembre 1917.) ASSAUT. — L'assaut, c'est l'attaque vive d'une troupe pour occuper uneposition qu'on arrache à l'ennemi. Par métaphore ce sera une actionénergique faite pour obtenir de force un avantage matériel ou moral. Les compagnies..., le métro, l'anémique Ouest-Parisien avaient combinéun assaut généralisé. (Humanité, 8 novembre 1917). FORMATIONS SERRÉES. — Les troupes vont à l'attaque en « formationsserrées », quand, au lieu d'être éparpillées en tirailleurs, ellesavancent, massées en groupes. Au figuré, l'expression servira à donnerl'idée du grand nombre et de la réunion compacte. Et les images et les métaphores se ruent en formations serrées. (J.Ernest-Charles, Pays, 19 septembre 1917.) GAZ ASPHYXIANTS. — Les gaz asphyxiants employés au front corrompent lestissus pulmonaires ou autres, souvent même les détruisent et amènent lamort. C'est l'idée de corruption dissolvante qui passe au figuré. [Prêcher] le retour au réalisme et à l'idéalisme de notre socialismefrançais, guéri des gaz asphyxiants du socialisme allemand. (G. Hervé,Victoire, 26 décembre 1917.) De même : Le moment où l'émotion fut le plus à son comble, où un souffle depatriotisme, balayant les miasmes pestitentiels, les gaz délétères etasphyxiants de toutes les ignominies entassées..., se produisit pendantl'intervention de Barrès. (H. Leroy-Fournier, Action Française, 29novembre 1917.) 420. — Les canons autrichiens du calibre 420 ont un aspectparticulièrement pesant et massif. Au figuré, l'expression « 420 »évoquera la notion de lourdeur. M. Richard Strauss produisait en Allemagne une énorme machinepolyphonique, dans le style 420. (G. Pioch, Pays, 12 décembre 1917.) [DÉFENDRE] PIED-A-PIED. — D'une façon générale «pied-à‑pied », dans l'attaque ou la défense, marque une lutte rigoureuse, oùla moindre parcelle de terrain se dispute âprement. Par image, «pied-à-pied » signifiera « minutieusement », avec l'idée d'unepersévérance énergique. Alors Me Edmond Bloch tente un effort désespéré... II est l'avocat livrant pied-à-pied le combat. (A. Dominique, Pays, 5 septembre 1917.) TENIR.— Le mot signifie, en langage militaire, « résister obstinément,persévérer patiemment dans la résistance ». Au figuré,il aura le sensde « soutenir un effort de longue durée ». Pour apprendre les rudiments, quelques mois bien employés suffisent...Il ne s'agit pas d'avoir un beau zèle de courte haleine. Il faut tenir.(Gaffiot, Préface aux cahiers-guides des Etudes latines, septembre1917.) FUSILLER. — Du sens propre de « tuer d'un coup de fusil, on passe, par métaphore, à la signification de « faire disparaître »(?). Un clerc d'avoué de vingt ans est toujours en bel appétit : en cinq minutes, la soupe, le pigeon et la bouteille étaient fusillés (6).(D'Esparbès, Journal, 2 octobre 1916.) DÉSERTER. Au sens propre, c'estabandonner son poste à l'armée ou quitter son pays pour se soutraire à son devoir militaire.Au figuré, « déserter » signifiera simplement « quitter, abandonner ». Le général Hiver a déserté lui aussi ce front russe... (Curnonsky,Journal, 15 janvier 1918.) PAUSE. — La « pause », c'est le repos entre deux exercices, deux étapesd'une marche, deux combats. Par image, ce sera un momentd'interruption, et, dans l'exemple suivant, un entr'acte au théâtre. Dès les premières scènes le succès était acquis, et, pendant la pause,— ce que c'est que d'être militaire ! — les vieux soiristes...prétendaient retrouver les prémices d'une carrière comparable à cellede « Miquette et sa mère ». (Œuvre, 19 août 1917.) ZONE DE TIR. — L'expression désigne la surface de terrain où le tird'une arme à feu s'exerce d'une façon efficace. Par métaphore, elledésignera, par exemple, un groupe de personnes sur lesquelles nouspouvons avoir une actionquelconque. — ... J'ai blagué l'administration, lamagistrature, l'armée, les agents de la force publique... ; mais Dieu, je l'ai laissé tranquille. — Peut-être n'était il pas dans votre zone de tir. (Pays, 29 mai 1918.) EN TIRAILLEURS. — Des soldats d'infanterie se disposent en tirailleurslorsqu'ils s'espacent sur une ligne de front, en laissant entre euxdes intervalles plus ou moins grands, de façon à être moins exposés,dans l'ensemble, aux balles ou aux obus. Par métaphore, « entirailleurs » signifiera « dispersés », « manquant de cohésion ». Faute d'une direction commune... chacun partait droit devant lui...Ons'égaillait en tirailleurs. (Moulinier, Journal des Lycées, n°1.) CAMOUFLAGE. — Le camouflage, en terme militaire, c'est le déguisementd'un objet quelconque (pièce d'artillerie, automobile, ouvragefortifié, etc.,.) au moyen de couches de peinture, de branchages, depièces de toile, pour tromper les regards de l'ennemi. C'est l'idée dedéguiser, de masquer [la nature véritable de quelque chose], quipassera au figuré. Il y aurait témérité à dire que la chair de phoque constitue un régalsans nom... Mais on peut l'utiliser... L'essentiel est de savoir lamaquiller : un camouflage est nécessaire. (Débats, 24 juillet 1918.) d) Terme emprunté au ravitaillement. RAVITAILLEMENT. — Le ravitaillement consiste à pourvoir une ville, unetroupe, une personne, en vivres ou en munitions. On pourra donc dire,par image, « le ravitaillement d'une âme », par exemple, c'est-à-direle fait de lui procurer une nourriture spirituelle ou morale pour lasoutenir, la réconforter Peut-être que le ravitaillement des âmes est encore plus décisif pourla victoire que celui du corps et des canons. (Victoire, 7 décembre1917). e) Termes divers. METTRE EN SURSIS. — En langage militaire, c'est libérer, provisoirementou définitivement (définitivement, par un abus de sens). Lasignification figurée sera : dispenser d'un devoir ou d'une'obligationquelconque. Toutes les forces sont-elles mobilisées, ou certaines nesont-elles pas elles-mêmes mises en sursis ? (Discours de M. Dubost, 10 janvier.1918). PERMISSION DE DÉTENTE. — Même sens au figuré qu'au propre, mais sansidée militaire. Quant à MM. Capus et Barrès, leur fatigue héroïque fait pitié. Ils sontdécidés à solliciter une permission de détente... (Carnet de laSemaine, 2 septembre 1917.) ORDRE DU JOUR. — Citer à l'ordre du jour, dans l'armée, c'est mettrepubliquement en vue le nom d'un militaire qui s'est distingué par unacte, de bravoure. Par métaphore, ce sera mettre en relief le nom d'unepersonne qui mérite l'attention publique. Victor Basch, souvent cité à l'ordre du jour civil ces temps-ci...(Carnet de la Semaine, 29 juillet 1917.) BRISQUÉ. — Un militaire brisqué est celui qui porte sur ses vêtementsles insignes d'une ou de plusieurs années de campagne. Il est doncsoldat depuis un temps relativement long. Le mot « brisqué » prendradonc au figuré la signification de « ancien », « éprouvé dans sonmétier ». Les vieux soiristes et les critiques brisqués.(Œuvre,19 août 1917.) EMBUSQUÉ. — Le sens propre est « posté, dissimulé dans un lieu poursurprendre l'ennemi' au passage ». La signification figurée sera «dissimulé aux regards, pour surprendre au moment inattendu ». Ont-ils redouté que la haine et l'hypocrisie embusquées ne lesaccusassent faussement de patriotisme refroidi ? (H. Bataille, Journaldu Peuple, 14 mai 1 9 1 7.) DÉFAITISTE. — J'ai signalé plus haut comment s'explique le passage dusens propre au figuré. Je me borne donc ici à donner des exemples. 1°. Employé comme nom : Contre les défaitistes de la musique, je faisais appel toutdernièrement à la bonne volonté de mes lecteurs... (Laloy, Pays,I8janvier 1918.) 2°. Employé comme adjectif : Formule défaitiste s'il en fut, en ce qu'elle implique le désaveu detout effort créateur et la méfiance de l'inconnu. (Ibid.) II. — Locutions. S'EN FAIRE. — Ici tout commentaire est inutile : l'expressions'explique d'elle-même. On notera simplement qu'elle s'est formée au front et qu'elle est passée ensuite dans le langagecourant : c'est en cela que consiste la transposition. 1°. Appliqué à unepersonne : Beaucoup de pittoresque sensé dans son roman de bonne humeur.Visiblement, Georges Michel ne s'en fait pas. (J. Ernest-Charles, Pays,12 septembre 1917.) 2°. Appliqué à une chose : La grammaire, comme le reste, est fonction de la guerre. Elle ne s'enfait pas. (A. Hermant, Temps, 27 septembre 1917.) ON LES AURA. — Même remarque. S'il pense aux lecteurs, il dit tout de suite : On les aura ! (J.Ernest-Charles, Pays, 12 septembre 1917.) Et, avec une légère modification : Némésis les aura ! [en parlant des Allemands]. (A. Hermant, Figaro, 14mai 1918.) III. — Comparaisons formées d'un groupe de mots. A partir d'ici, il n'y a plus qu'à citer, les images employées étantpar elles-mêmes très claires. Le classement que j'adopte formerad'ailleurs une manière de commentaire. a) Comparaisons tirées de l'armement. Des gens qui se sont servis du patriotisme comme d'une arme dissimuléesous des flots de rhétorique tricolores (H. Bataille, Journal duPeuple, 14 mai 1917.) Oui, la pitié c'était la sixième arme. Nous en avons douté. A peineest-elle sortie du fourreau qu'on l'a jugée tout de suite suspecte.(Ibid.) b) Comparaisons tirées du combat. Les gens de l'Eglise ont ouvert le feu sur toute la ligne. (G. Clairet,la Lumière, 23 septembre 1917.) A partir du Discours de la Méthode, la première tranchée était prise.(Brunot, Bulletin de la Féd. des Professeurs, février 1917.) c) Comparaisons tirées de la diplomatie. A-t-elle marché cette fois ou n'a-t-elle pas marché ? Je me le demandecomme pour un état neutre, et il s'agit de ma femme !... (MichelProvins, Journal, 5 novembre 1916.) d) Comparaisons diverses. Le verbe s'impose. à la fois vénérable comme un ancêtre, et utile commeun guerrier. (M. Boulanger, Revue Hebdomadaire, 21 octobre 1917.) J'ai déjà glané dans une dizaine de volumes des feuilles de quoiremplir la cantine réglementaire d'un sous-lieutenant au 6e dragon !(P. Signac, cité par Paupe, Mercure de France, 15 octobre 1916.) IV. — Métaphores à plusieurs termes. a) Métaphores empruntées au recrutement. Pourquoi ne pas recruter chez elles un bataillon de libraires d'élite ?(Œuvre, 11 novembre 1916.) Déjà presque innombrables [ces émouvants récits d'épopée], ilsformeront un jour une armée véritable, et, si nous ne pouvons lesadmirer tous, du moins aurons-nous un culte pour leurs cohortes. (M.Boulanger, Revue Hebdomadaire, 21 octobre 1916.) b) Métaphores empruntées aux préparatifs Préparer le baccalauréat, ce n'est pas accumuler des exercices,exécutés fiévreusement, sans réflexion ni comme s'il ne fallait pass'assurer des munitions avant d'aller à la bataille, etcommencer par lire Corneille avant que d'en parler durant trois heures.(Le Baccalauréat, ler octobre 1916.) c) Métaphores empruntées aux instrumentsde combat. Or, là plus grande de ces forces spirituelles, obusier foudroyant denotre artillerie morale... c'est la Société des Nations. (Aulard, Pays,la janvier 1918). d) Métaphores empruntées au combat. Avouez qu'exposer mon père à une telle fatigue, ç'eût été du pilonnageavant l'attaque. (Carnet de la Semaine, 12 août 1917.) M. Clemenceau avait réservé le tir de ses batteries au seul M. Malvy.Pourtant un éclat d'obus s'égara sur M. Albert Thomas. (Id. 19 janvier1917.) V. — Suites d'images. Voici quelques exemples où l'on trouve différents termes empruntés aulangage militaire. Il était difficile de les classer, car ils serattachent souvent, au cours d'une même phrase, à des idées fortdiverses. La plupart pourtant se rattachent à l'idée de combat. Il sait mobiliser les mots, les ranger en bataille, les ruer àl'assaut, les saturer de sang et de gloire. (Ch. Silvestre, Ch. Péguy,Paris, Bloud, 1916.) Le bar fut donc assiégé, mais les assaillants ne parvinrent pas tous àconquérir la citronnade glacée, tant avaient été denses les troupesd'attaque. (Pays, 14 septembre 1917.) Au lieu de fuir, je bondis sur le roquet et lui enfonçai mes crocs dansle gras des cuisses. Cette attaque brusquée, qui me donnait l'avantagede la surprise et du choix du terrain, fut couronnée de succès... Jesavais combien sont dangereux parfois les retours offensifs et lescontre-attaques. (P. Chaîne, les Mémoires d'un Rat, p. 42.) Les exemples ne manquent pas et l'on pourrait citer des centaines dephrases. Le plus curieux que j'aie rencontré est peut-être le suivant : C'est une véritable armée agricole féminine... Son état-major... sousla direction de M. Lavarenne... qui eut l'idée du volontariat agricoledresse des plans en vue de la campagne prochaine. Un ultimatumrespectueux... a été adressé au préfet de la Seine pour qu'il livre auxcombattants pacifiques, les vastes terrains de Bagatelle, dont laneutralité est improductive... Il faut que d'ici le printemps, touteune armée de volontaires agricoles soit recrutée, instruite, encadrée,outillée. Et, si vous le pouvez, enrôlez-vous. (Journal, 30 décembre1917.) * * * Signe des temps ! Il est bien certain, encore une fois,qu'un grandnombre des mots ou des expressions que j'ai cités, par exemple «arme,assaut, attaque, cohorte », etc., étaient employés au figuré dèsavant la guerre, et sans influence militaire. Mais l'usage en étaitrestreint ; au lieu qu'aujourd'hui, c'est un véritable envahissement,qui, loin de s'atténuer, croît de jour en jour. Peut-être quelquesimages nouvelles s'implanteront-elles dans la langue française, luidonnant un nouveau pittoresque, et c'est par là que la question, dontj'ai donné un aperçu sommaire, présentait un réel intérêt. Mais tellequ'elle est, après tout, notre langue est bien assez riche, et mieuxvaut encore souhaiter que ces termes disparaissent rapidement del'usage, si leur disparition est un signe de notre victoiredéfinitive... GEORGES PRÉVOT. NOTES : (I) Il s'agit de Pauline. (2) Cf. : « On ne mobilise plus seulement des hommes, mais les choses,les objets, les institutions, la science. » (J. B., Temps, 26 mai 2918.) (3) Cf.encore « notre front organique » dans l'exemple cité plus loin aumot « offensive » § 3. (4) Et, encore : « Ce fut à qui, parmi les furieux invalides qui organisentinépuisablement, chez nous, l'offensive des mots, s'acharnerait contrel'auteur de la Tétralogie. » (G. Pioch, Pays, 25 avril 1918.) Et dans le même ordre d'idées : « Les représentants autorisés de la pensée française croient devoirrefuser publiquement une collaboration aux offensives de l'esprit...» (V.,Temps, 23 août 1918.) (5) On a parlé aussi d'offensive morale etd'offensive de défiance. (6) Cette image vient peut-être aussi dece que, en argot, on emploie « fusil » pour « estomac ». De là à dire «fusiller » pour « mettre dans le fusil », il n'y a qu'un pas. Maisdansce cas le verbe « fusiller » serait un dérivé du mot argot « fusil » etnon pas une métaphore sur le véritable verbe fusiller. Ilest difficile de trancher laquestion. |