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RABIER,Paul(18..-19..): La loi duMâle. A propos de l’enfant du barbare.- Paris : Vigotfrères, 1915.- 64p. ; 21,5 cm.
Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.IX.2011)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque(Bm Lx : R 331 br).
 
Laloi du Mâle.
A propos de l’enfant du barbare
par
le Docteur Paul Rabier

~ * ~


                         « LesFemmes n’ont pas tort du tout, quand
                         « elles refusent les règles de vie quisont intro-
                         « duites au monde ; d’autant que ce sontles
                         « hommes qui les ont faites sans elles. »
                                MONTAIGNE.


I

Un auteur célèbre s’est heureusement attaché, voici quelques années, àmettre en relief, au point de vue sentimental et social, toutel’inexorabilité de la loi de l’homme, laquelle n’est que l’expressionhumaine de la loi animale, de la loi du Mâle. Les poignantes heures quenous traversons viennent d’en confirmer douloureusement, en même tempsque la violence, toute la fatalité. Alors qu’après neuf mois, nousentrevoyons dans un lointain encore flou une glorieuse issue à cettelutte titanesque qui ensanglante l’Europe ; en même temps que les moisqui viennent vont nous apporter avec les joies de l’Eté, une floraisonde lauriers, d’autres prémices hélas ! ignominieuses celles-là, noussont promises.

A l’heure présente, en effet, des milliers de seins de femmesfrançaises recèlent d’indésirables fruits qui vivent malgré elles, àleurs dépens, du fait d’abominables souillures. Nombre de cesgestations touchent même à leur terme, pour lesquelles déjà certainesolution serait trop tardive. Celle-ci ne pouvant être appliquée qu’àcelles récentes, qu’à celles toujours possibles imposées par l’ennemiqui occupe encore notre sol.

Devant cette angoissante perspective un tolle d’indignation, un immensecri de pitié s’est élevé de toutes parts. Un referendum a été provoquépar deux Revues pour tâcher de résoudre au mieux ce pénible problème.Les questions suivantes ont été posées :

1° L’enfant du crime doit-il naître ?

2° Faut-il avoir recours, à l’aide et à l’intervention des médecinslégistes ?

Ou bien les mesures à prendre doivent-elles être laissées à la librevolonté des intéressés ?

3° Que faire de ceux qui viendraient au monde ? Peuvent-ils rester àcôté des autres enfants français en rappelant à leurs mères le souvenirineffaçable de leur vie et à leur entourage les conditions de leurnaissance ; ou devrait-on établir un lieu de retraite qui pourra réunirles enfants issus du crime ?

On a fait appel à toutes les compétences : ministres des religions,savants, médecins, hommes de lettres. Nombre ont répondu et, cetteétude serait sans doute superflue, s’il ne nous avait semblé qu’engénéral cette question avait été traitée un peu légèrement, même pardes hommes que leurs hautes situations sociales désignaientparticulièrement pour des études plus approfondies. Le sujet ne manquepourtant ni de gravité ni d’importance puisqu’il s’agit des souffrancesde milliers de malheureuses femmes et du sort d’autant de vies latentesqui s’apprêtent à faire irruption dans notre race. Nous discuterons, aureste, toutes ces opinions en concluant. Enfin, à notre avis, un pointde vue capital a été laissé dans l’ombre, oublié même : celui de l’étatd’âme du mâle, non de l’agresseur, de l’effracteur – il est simplistedans sa brutalité, – mais bien celui du mari, injurié dans sesaffections, bravé dans son foyer.

On a bien envisagé la question au point de vue de la femme victime,mais on ne s’est pas inquiété suffisamment de quel poids devait peser,dans les décisions de celle-ci, la crainte des sentiments de jalousierévoltés du mari. Or, nous estimons que c’est de lui en grande partieque tout dépend. C’est sa psychologie particulière et intransigeante demâle qui doit dicter la solution à intervenir. N’oublions pas, eneffet, que non seulement c’est lui qui impose l’enfant à la femme, maisque c’est aussi lui qui a décrété la loi qui interdit à celle-ci dedisposer de son fruit, quel qu’en soit le poids.

Combien ne sont pas dissemblables aussi, il est vrai, la physiologie etla psychologie de la mère et du père ; de celui qui sème et de cellequi reçoit, fait germer et naître, de celle qui selon M. le professeurPinard donne la vie d’abord et ensuite la nourriture et le logement ?

Que n’a-t-on pas dit et écrit sur le rôle magnifique de la mère. Avecquels accents les poètes ne l’ont-ils pas chantée ! Si la femme décèletoute sa faiblesse, sa passivité dans l’amour charnel, quelle force,quelle volonté, quelle sublimité par contre, ne manifeste-t-elle pasdans l’amour maternel ! V. Hugo qui fut, si glorieusement, le fils desa mère et qui témoigna toujours un si grand culte pour la femme,disait : « Ce qui fait qu’une mère est sublime c’est que c’est uneespèce de bête. L’instinct maternel est divinement animal. La mèren’est plus femme, elle est femelle. » De cela, nos serviceshospitaliers d’accouchements témoignent chaque jour.

Dès qu’une nouvelle accouchée ne semble pas animée de sentimentsmaternels bien vifs, on l’encourage, on la presse de donner le sein aumoins une fois. L’effet est le plus souvent magique, tant est forte,impérieuse et douce, tout à la fois, cette voix de la maternité dontl’évangile a dit : « Lorsque l’enfant est né, la femme oublie sonangoisse, tant est grande sa joie d’avoir mis au monde un homme. »

Un autre poète, Haraucourt, a dans Dâah,curieuse évocation dupremier couple humain, bien peint cet émoi maternel lorsqu’il affirme :« Sans nul doute, l’amour maternel constitua le premier attendrissementde la bête. La maternité fut l’éducatrice de la femme, et la femmeainsi éduquée par l’instinct, deviendra à son tour l’éducatrice del’humanité. La mère apporta sur le globe l’invention d’aimer. Toutnaturellement, elle a su quels liens l’attachent à la créature issue deses entrailles : les premières manifestations de son amour ont dûressembler à une fonction organique plutôt qu’à un émoi psychique...L’égoïsme animal se perpétue en attachement maternel ; il y a là, enquelque sorte, un prolongement de la gestation, que l’accouchement amodifié sans l’interrompre tout à fait. »

Ce rôle animal de la femme, durant la période d’allaitement, semodifie, se magnifie par la suite. La femelle fait place à la mère qui,après avoir formé un corps, va créer un cœur, développer dessentiments, une mentalité ; ce qui faisait affirmer à V. Hugo que : «Le mot « Vénérable » ne peut s’appliquer à une femme que si elle estmère. » Oui, la maternité élève la femme et souvent même la relève ;oui, c’est sa raison d’être, sa fonction, sa joie, sa sauvegarde. C’estpour cela justement qu’il faut la défendre de toute adultérationennemie. N’est-ce pas une mère et la plus féconde encore, que lesabeilles, dans leur sagesse, placent à leur tête de leurs admirablessociétés ? De tout temps la maternité a été entourée de respect : lessoldats romains présentaient, affirme-t-on, les armes aux citoyennesgrosses d’espérances et il faut remonter aux époques de la plus sombrebarbarie pour voir, comme le font actuellement les Allemands, massacrerdes femmes enceintes et des mères allaitant.

Cette maternité, fonction physiologique, raison sociale d’être de lafemme, grandeur morale de son rôle, a-t-elle son correspondant, sonéquivalent en tant que sentiment chez le père ? Autrement dit, y a-t-ilparité de rôle vis-à-vis de l’enfant entre la mère et le père ? Ou bienl’un l’emporte-t-il sur l’autre ? Lequel et pourquoi ?

A cette question complexe nous répondons sans hésitation :physiologiquement, animalement, la prépondérance du rôle de la mère estindiscutable ; moralement et psychologiquement il prime celui du père,auquel est surtout dévolu le rôle d’assistance, le rôle social. Sibien, en somme, que l’enfant appartient avant tout à la mère ; nousverrons plus loin l’importance de cette affirmation et les conclusionsqu’on en peut tirer pour la solution cherchée.

Le père, le mâle, n’est que le semeur, le porte graines, et seules lessociétés civilisées, et cela en raison même de leur degré depolicement, lui font jouer un rôle prépondérant. Le sentiment paterneln’a, à vrai dire, aucune racine physiologique, il est à peu prèsinconnu de l’animal et son développement est dû à la mère même. Quifait, en effet, connaître et aimer à l’enfant son père, sinon elle ;qui fait s’intéresser et s’attacher le père à l’enfant ? sinon elleencore ! Et par la suite, dans la vie, que de conflits n’amortit-ellepas entre le père et les enfants. Elle est la clef de voûte dusanctuaire familial, la médiatrice des collisions si fréquentes entrepère et fils, qui rappellent parfois la colère du coq entendant sespetits s’essayer à chanter. Du reste, rien ne démontre mieux le rôlesecondaire joué par le mâle dans le règne animal, que la façon dont ily est traité. Chez les abeilles par exemple, il meurt aussitôt après lafécondation ; chez certains arachnides il est tué parce que désormaisinutile ; chez d’autres, il est toléré en parasite. L’humanité seuledonc, selon son état de civilisation, a dévolu au père, un rôleimportant.

Ce que souhaite et veut surtout le mâle c’est se continuer. Cela est sivrai que son rejeton est-il malingre, contrefait, il en a honte et s’enéloigne, alors qu’au contraire la mère l’entoure de plus de soins,l’aime davantage. Continuateur et gardien de la race, autant ils’enorgueillit de son intégrité, autant il est intransigeant sur lechapitre de son adultération. Voilà pourquoi il a fait de la fidélitéde l’épouse une loi et son point d’honneur et ceux qui l’estiment malplacé n’ont jamais compris les fins de la paternité.

Si le père synthétise la société, la mère, elle, est la prêtresse de lanature et dans ce combat qu’est l’amour ou si souvent elle estcombattante malgré elle, toujours elle est vaincue. Que de mères quin’ont jamais été épouses ! A ce propos qu’il nous soit permis de citerencore cette page de Haraucourt où sont peintes les douceurs du premierembrassement chez le couple ancestral : « Que ce fut là un ennemi, ellen’en doutait pas ; se sentant prise, elle poussait des cris aigus, enessayant de broyer à coup de talon le muffle qui se tendait vers elle.Mais le poing la tenait ferme ; des secousses de plus en plus furieusesl’arrachaient de son arbre ; elle tomba dans l’herbe. Dès lors, elle necria plus : avec l’espoir d’échapper, son effroi prenait fin ; elleacceptait la lutte. A peine eut-elle touché terre, et avant que sonagresseur n’eut le temps de s’abattre sur elle, elle rebondit etattaqua des griffes, des genoux, des dents. Un coup de point sur lefront l’étourdit sans la vaincre, et elle revint à l’assaut. Dansl’épaule du mâle qui l’avait prise à bras le corps, elle enfonçait sescrocs ; il hurla à son tour ; ramassant un caillou, il lui en assénasur le sommet du crâne un coup si rude qu’elle s’écroula ; des cerclesde lumière tournoyaient devant elle et confusément elle crut sentirs’abattre sur son dos le poids d’une masse violente. »

Ce geste brutal du premier mâle est celui-là même que vient de fairesubir à de malheureuses Françaises la horde des teutons kultivés,dignes émules de ce Nietzsche, leur surhomme, qui n’a pas craintd’écrire : « Tu vas chez les femmes ! N’oublie pas le fouet. » Ilsn’ont pas oublié l’invite, nous le savons, ils y ont même ajouté lerevolver, ce qui a permis à leurs officiers d’affirmer : « qu’une femmequi a goûté d’un Allemand ne peut plus par la suite supporter d’autreshommes. » Délicatesse et galanterie teutonnes ! Ce sont ces maternitéspar effraction que nous allons examiner afin d’y chercher une solution.

II

Tout d’abord, dans ce drame bestial, il nous faut mettre hors de pairles futures mères ayant une sincère foi religieuse. Celles-citrouveront, en effet, dans leurs croyances, l’appui moral nécessairenon seulement pour supporter avec courage l’épreuve qui les frappe,mais encore pour en solutionner les conséquences. Alors que, nous lesavons, le paganisme admettait l’avortement et l’infanticide, sousforme de sélection à la naissance, le christianisme, en même tempsqu’il instituait la monogamie et relevait la condition de la femme,imposait le respect de l’enfant jusqu’à ordonner, dans les cas où sepose la question de l’embryotomie, le sacrifice de la vie de la mère àcelle incertaine de l’enfant. Conception inhumaine parce que voulantêtre surhumaine. D’autre part, alors que certains théologiens veulentque l’acte de la conception crée en même temps et l’âme et le corps,plusieurs Pères de l’Église n’accordent, eux, une âme à l’embryonqu’entre le quarantième et le quatre-vingt-dixième jour. Dans ce doute,il nous semble que l’absolution devrait pouvoir être acquise àl’avortement pratiqué avant le quarantième ou le quatre-vingt-dixièmejour ; mais nous reviendrons sur ce point.

Malgré tout, pour ces futures résignées aux desseins de la Providence,aucune intervention n’est à envisager ; à ce propos et à l’appui, M.Jean de Bonefon, nous cite le texte explicite du canoniste, cardinalBellarmin : « Si l’enfant naît d’un viol certain, il convient dedistinguer. Si la mère est fille, elle doit élever son enfant comme sielle l’avait eu de sa volonté. La famille de la jeune fille doitpourvoir aux besoins de l’enfant et lui éviter la connaissance de sonorigine. Si l’enfant naît d’un attentat commis contre une femme mariée,le mari n’a aucun devoir, mais celui de la femme reste entier. L’Eglisedoit lui rappeler ses obligations, mais peut l’aider, en accueillantl’enfant, à cacher au monde la honte d’un acte dont la femme est lavictime. Au surplus, sauf dans l’horreur des guerres, il faut prendredes informations sérieuses avant de croire à la violence dont se plaintune femme. »

Dans ce commentaire, le canoniste admet tout à la fois sagement, d’unepart, comme origine indubitable de violence : la guerre, et de l’autre,l’abandonnement avec décharge pour le mari de tout devoir. Ceci, touten étant fort juste, satisfera-t-il quand même le mari ? En présence etpar la suite au souvenir de son foyer souillé, ne témoignera-t-il pointde révolte ? N’ira-t-il pas jusqu’au doute, jusqu’aux reproches ?ajoutant à la douleur et à la honte de sa malheureuse femme, déjàmartyre dans sa chair, le supplice de sa jalousie. Ainsi se comportetrop souvent le mâle humain dans son égoïsme et, la question del’avortement se pose au moins autant pour délivrer la mère que pour ladéfendre contre les soupçons agressifs du mâle, source de discorde, dedésunion, de destruction de tout bonheur conjugal. C’est au point quede pauvres femmes ont préféré la mort, ce que certains ont estimé êtrela vraie solution, opinion qu’on ne saurait humainement partager. On adit, à ce propos, que la femme avait le sentiment de l’expiation, enl’espèce il ne saurait vraiment en être question. Non, ces malheureusesont cédé, à n’en pas douter, à l’affolement de leurs chairs violéesd’abord, et surtout à la crainte de reparaître ainsi souillées devantl’époux, devant le maître. Il faudra donc tenir grand compte de cettejalousie ombrageuse du mâle.

A côté de ces femmes, dont la foi éclaire la conscience, il y a lafoule de celles dont les croyances moins assurées laissent place à unlibre examen. C’est de celles-là qu’il importe de discuter le sort.Voyons d’abord le cas de celles qui sont libres d’elles-mêmes : jeunesfilles, fiancées, veuves.

Voici une jeune fille à laquelle sont promis tous les espoirs d’amouret de vie : une brute sanguinaire survient qui se rue sur elle et laviole ; si tout se borne à cette initiation répugnante, le mal n’estpas irrémédiable, mais hélas ! ces ruts, le mâle étant ici surexcité aumaximum par la résistance même opposée par la femme, seront, il est àcraindre, pour la plupart, féconds. Doit-on laisser cette infortunéejeune fille gravir son calvaire neuf mois durant, au milieu de parentsanxieux ? Va-t-on faire appel à un aide éclairé, secourable pour lalibérer ? Ou bien va-t-on  par crainte, scrupule, indécision,la laisser atteindre le terme fatal, pour décider de l’abandonnement ouencore de la conservation de l’enfant, avec le vague espoir, qu’unjour, quelque brave garçon, touché de cette infortune imméritée, setrouvera pour l’épouser et élever le rejeton du barbare ?

Examinons chacune de ces occurrences. Première alternative : surl’initiative de la famille et avec l’assentiment de la victimel’avortement a été décidé et pratiqué au plus tôt par un médecin. Voilàune jeune fille qui, ce mauvais rêve passé, pourra reprendre goût à lavie, fonder une famille, prétendre au bonheur comme devant. C’est uneblessée de la guerre, une amputée à sa manière, guérie et voilà tout.N’a-t-on pas dit que la femme était une éternelle blessée ! Mais, nousobjectera-t-on, cet embryon que vous vous êtes arrogé le droit desupprimer, c’était son sang, une partie d’elle-même. Qui vous dit qu’unjour, elle n’aurait pas oublié sa douloureuse origine, qu’elle nel’aurait pas aimé ? L’amour maternel est si fort, si sublime !D’accord, mais à une condition et absolue encore, c’est qu’il ait punaître ; or, pour cela, il faut que la femme se soit donnée ou pour lemoins abandonnée. Il faut que son cœur, ses sentiments aient été enjeu, qu’elle ait distingué, aimé, même très brièvement celui qui l’arendue mère. Il ne faut pas surtout qu’il y ait eu aversion car alorsla femelle pourra enfanter mais ne sera pas mère.

Toute la différenciation et l’explication de la mère humaine et de lagrandeur de son amour maternel sont là. C’est ainsi que lesfilles-mères délaissées qui gardent leur enfant, l’élèvent, sesacrifient pour lui, ont aimé le père et malgré sa conduite à leurégard ne l’ont pas oublié, au point que c’est encore lui qu’ellesaiment dans leur enfant. Ce qui élève justement l’espèce humaineau-dessus de l’animalité c’est que l’acte de la reproduction, – laprostituée mise à part bien entendu, au reste elle est stérile, engénéral – n’est que la conclusion d’un attrait, d’un sentiment d’amourplus ou moins passager ou profond. Il n’est pas jusqu’à l’indifférence,qui ne soit une sorte d’acquiescement animal. Mais concevoir, pis qued’un inconnu, d’un ennemi, dans la répulsion, la violence, la lutte,sous la menace, au milieu du sang, parmi le meurtre et la mort, ne peutsusciter, c’est logique, chez la femme, que haine pour le père etindifférence sinon aversion pour l’enfant. Et encore, chose pluseffroyable, dans nombre de cas, ce père inconnu fut une collectivité !Après cela, que l’on vienne donc nier l’infériorité fréquente sur ceterrain de l’homme par rapport à l’animal. Celui-ci est unique pourrépondre à l’injonction de la nature, dut une lutte en décider et fairetriompher le plus fort ; et lorsqu’enfin la nature est satisfaite, lafemelle n’a plus rien à craindre des autres mâles. Laisser venir cetenfant serait vouloir prolonger le supplice enduré déjà par unemalheureuse créature, du fait d’une initiation dont on a eu raisond’affirmer que d’elle dépend souvent le bonheur ou le malheur d’unevie. Cette affirmation : médecins et confesseurs ont fréquemmentl’occasion d’en vérifier le bien-fondé. Que de déceptions, de rancœurs,que d’unions à jamais désunies n’ont pour origine qu’un manqued’égards, de délicatesse dans cette première œuvre de chair ! Tropd’hommes confondent volontiers virilité et brutalité. La femellehumaine a certes conservé de la passivité animale, mais elle a aussi uncœur, des sentiments, cela compte et doit être respecté. Ce sont euxqui la font mère, et comme dit Montaigne : « On aime un corps sans âme,ou sans sentiments, quand on aime un corps sans son consentement etsans son désir. »

Si vous ne la traitez qu’en femelle animale, si vous ne commencez paspar parler à son cœur, elle vous donnera animalement des petitsauxquels elle ne s’attachera pas, ne pouvant vous aimer en eux puisquevous n’avez pas su vous faire aimer d’elle ! Enfin, si en brute vous laviolentez et la prenez par la terreur et sous la menace, elle voushaïra et détestera votre fruit dont elle n’aura qu’un désir :l’arracher de son sein, qu’une hâte : s’en débarrasser, comme onarrache et rejette avec dégoût la sangsue accrochée à sa chair. Non,l’amour maternel si beau, ne saurait naître, ni se développer dans detelles conditions.

On a argué de trahisons possibles de la nature, de femmes aimant malgrétout l’homme, le mari, le bandit même qui les a avilies, torturées.Admettons ! En ce cas, tenez pour certain qu’elles l’ont aimé etqu’elles l’aiment peut-être encore, sans se l’avouer, car la femme estainsi faite qu’elle aime aussi bien l’enfant que l’homme qui l’ontsentimentalement fait le plus souffrir. C’est une des sublimités del’âme maternelle, du cœur féminin !

Dès lors qu’il paraît bien prouvé – et nous croyons l’avoir démontré,imparfaitement peut-être, mais de bonne foi, – que cette jeune fille nepeut pas aimer, et même que haïr cet intrus, il nous semble quel’avortement précoce est, dans l’espèce, la solution la plussouhaitable, et pour l’enfant innocent qui ne serait qu’un paria, etpour la mère qu’il débarrasse d’une tare injuste en même temps qu’illui rend toutes les possibilités de vie normale. Pour reconquérir notresol, sauver notre belle France, nous n’hésitons pas, bien entendu, àrecourir à tous les moyens pour exterminer l’ennemi. C’est ainsi quenotre glorieux 75 n’a pas son égal pour faire sauter les bras, lesjambes, les têtes ; nos avions pour pulvériser, incendier, et noushésiterions, nous serions pris d’une pitié inexplicable devant ces œufsmauvais, devant ces embryons maudits que certains voudraient déclarertabou. Il ne saurait pourtant y avoir deux morales en l’espèce,l’ennemi est l’ennemi et où qu’il se soit introduit, agrippé, nousdevons le déloger et le tuer, c’est la guerre ! Ces avortements ne sontque des faits de guerre et supprimer un embryon de quelques semaines neme semble pas plus un assassinat, – car on a prononcé ce mot – que detuer d’une balle ou d’un coup de baïonnette un allemand.

Oh ! je sais : cas de légitime défense, me dira-t-on ; eh bien maisn’est-ce pas justement celui de la mère, avec cette différence en moinsencore qu’il n’y a pas ici de souffrances si ce n’est pour elle !Soyons donc logiques et puisque, aussi bien, nous souhaitons chaquejour, dans notre sublime Marseillaise: « qu’un sang impur abreuvenos sillons », ne nous mettons pas l’âme en émoi pour quelques gouttesqui n’existent et ne circulent qu’à peine ! Pour Dieu, ne retombonspas, à ce propos, dans ce byzantinisme d’avant la guerre qui avait faitprésumer à nos ennemis de notre définitive décadence. Finissons-en avecces scrupules quelque peu hypocrites. Alors, en effet, qu’en temps depaix l’avortement hélas ! florissait au su de tous, c’est au moment oùdes conditions exceptionnellement douloureuses le justifient que nousirions, pris d’une pudeur subite, le discuter et le condamner plussévèrement qu’auparavant. Non, pour l’instant, il est le malnécessaire, résignons-nous et agissons selon notre conscience.

Voyons le cas où pour certaines raisons : crainte, hésitations, cettejeune fille a laissé évoluer sa grossesse.

L’enfant est né mais elle ne veut ni le garder, ni en entendre parler ;elle l’abandonne donc. Est-ce là une solution bien humaine etcharitable ? Non certes, car c’est faire de cet innocent, à jamais, unparia privé de toute affection de famille, voué à toutes leshumiliations. Combien n’est-il pas plus pitoyable au contraire, desupprimer un embryon, que de laisser naître un enfant pour le rejeterensuite dans la pire des géhennes !

Sans compter que la mère pourra parfois se demander ce qu’il estdevenu. Moments, sinon de remords, au moins de malaise moral, souvenirsdouloureux, inutiles.

Supposons, enfin, que cette jeune mère veuille se dévouer jusqu’àélever ce rejeton d’ennemi : ou en trouvera-t-elle le courage et quellesera sa récompense ? Que lui rappelleront les traits de ce visage,sinon ceux de la brute qui a abusé d’elle et encore à la conditionqu’elle fut unique ? Quelles promesses de joies pourra-t-elle lire dansces vagues yeux ? De quelle amertume ne serait pas remplie chaque jourde la vie de cette mère qui verrait se développer chez son enfant unementalité, des sentiments différents, en contradiction avec les siens ?Encore une fois rien ne se peut, sans ce magicien « Amour » qui de sabaguette peut seul faire naître l’amour maternel !

A la rigueur, elle pourra rencontrer, quelque jour, un homme qui,généreusement, lui proposera de s’unir à elle. Tous deux croiront debonne foi à l’oubli, au bonheur possible et il n’en sera rien, car cepère putatif aura tôt fait de se désaffectionner de cet enfant surtouts’il vient à lui en naître. Il le rudoiera, n’aura qu’un désir, s’endébarrasser, s’emportera contre la mère, l’assaillera de reprochesinjustes et cruels. Celle-ci, de son côté, ne pourra trouver dans sonsentiment maternel le courage pour le défendre et le sacrifiera poursauver son bonheur conjugal menacé. Pourtant, dira-t-on, le cas estsimple, se présente souvent : c’est celui d’une fille-mère qu’un hommeépouse. Oui, avec cette différence toutefois, qu’il ne peut y avoird’amour maternel, parce qu’il n’y a pas eu d’amour préalable et puis ilfaut voir comment finissent ces ménages par le fait de la jalousie dumâle qui, à de rares exceptions près, ne pardonne ni n’oublie ce qu’ilestime être une atteinte à son rôle, à sa fonction sociale : « laPaternité ».

Si la jeune fille outragée est fiancée, son cas se superposecomplètement à celui que nous venons de voir. Les arguments en faveurde l’avortement précoce sont identiques, avec cette majoration que déjàun amour existait qui allait recevoir sa consécration légale. Le cœurétait pris quand le sein a été violé. Peut-on dès lors admettre quecette jeune fille garde cet intrus jusqu’à sa délivrance, pour convolerensuite. Ce serait de sa part, à la vérité, beaucoup risquer, fairetrop fond sur la générosité de l’homme. Il y aurait fort à craindrequ’il ne trouve, un jour, quelque bonne raison pour reprendre sa paroleet disparaître. On ne peut guère, en conséquence, espérer le voiradopter l’enfant ennemi et l’élever. Il faut donc, au plus tôt, fairedisparaître toute trace de celui-ci, avant si possible le retour de cefiancé, afin qu’aucun souvenir mauvais ne puisse subsister dans samémoire ; car pour le mâle jaloux de ses prérogatives, la femme est lacoupe d’amour dont il ne veut qu’aucunes lèvres n’approchent, sans quoiil la délaisse et même la brise. Ce  n’est pas tant, certes,le privilège de l’hymen qui lui importe, que celui de la virginité dusein qui l’assure de l’intégrité future de sa race.

Si le cas de la femme récemment mariée est à son tour similaire, avectoutefois l’aggravation de l’état de mariage qui légalise, si on peutdire, la jalousie de l’époux et lui laisse libre cours, celui de lafemme mariée restée jusqu’alors stérile est encore plus cruel. Autragique s’ajoute ici, en effet, quelque chose de cynique. Que peutressentir ce mari qui voit ainsi son ennemi triompher jusque dans lesein de sa femme ? Honteux et furieux de retrouver ensemencé un champqu’il n’a pu réussir à féconder, soyez certain que c’est à samalheureuse épouse qu’il fera supporter tout le poids de sonhumiliation. Son orgueil blessé de mâle s’emportera en reproches amers,il n’aura nulle pitié des souffrances endurées par elle, c’est luiqu’il plaindra et elle qu’il accusera. La vie conjugale serairrémédiablement troublée, sinon brisée. En présence de pareilsdésastres pourrait-on hésiter à sacrifier l’embryon indésiré, avant leretour du mari.

Dans les cas que nous venons de passer en revue, il ne s’est agijusqu’ici que de primipares. A leur propos, deux questions se posent :la première, celle d’une stérilité postérieure possible, résultant d’unpremier avortement, la deuxième, celle de l’imprégnation, de latélégonie. En ce qui concerne la première, qui est une affirmation pluspopulaire que réellement scientifique, nombreuses étant les femmes dontla vie génitale a débuté par une fausse couche et qui par la suite ontété des multipares, on peut dire que l’avortement, pratiqué avec toutesles précautions requises, par un médecin, diminue au minimum lesrisques de ce trauma, tant pour la mère que pour ses aptitudespostérieures de fécondité. Richemont-Dessaigne et Lepage l’affirment dureste, en ces termes, dans leur traité classique d’accouchements : « Onpeut dire que le danger d’infection est peu sérieux et qu’il estexceptionnel de voir à cette période de la grossesse une hémorragiemenacer réellement la vie de la femme. »

Quant à la seconde question, celle de la loi de l’imprégnation qui veutque : le premier mâle imprime à la descendance de toute primiparevierge ses caractères physiques atténués, quels que soient par la suiteles générateurs, elle était jusqu’ici tenue pour exacte par leséleveurs mais elle vient d’être contestée par M. Barrier à l’Académiede Médecine. Au point de vue humain elle est également récusée parcertains savants comme Yves Delage ; par contre il est admis enembryologie, que durant les deux premiers mois l’enfant n’accuse aucuneempreinte sinon celle de la mère et que ce n’est que par la suite quecelle du mâle se manifeste, ce qui a fait dire que : « L’homme fécondeet la femme sexifie ensuite selon ses moyens. A ne nous en tenir qu’àces données, l’avortement précoce évitera en tout cas toute surprise.

La victime est une veuve ; si elle a déjà des enfants, il est à croirequ’elle hésitera à leur donner pour frère ou sœur l’enfant du barbare.Elle aura donc hâte elle aussi de s’en défaire. A la rigueur,différente pourra être la mentalité de celle que le mariage a laisséestérile, peut-être qu’en face d’une vie destinée à finir dans lasolitude, sans affection, ni but, elle voudra essayer d’oublier latriste origine de ce fruit, tenter de s’y attacher et de l’élever. Cecas, très respectable, nous semble être le seul où l’intrus ait quelquechance de ne pas déchaîner le malheur par sa venue.

Nous voici arrivés, enfin, au cas où la mère a déjà un ou plusieursenfants. C’est ici surtout que l’intrus ne saurait trouver place. Demême que l’oiseau jette hors du nid l’œuf ou l’oisillon étranger, demême la mère le rejettera en hâte, afin qu’il ne souille pas safamille. Elle s’en débarrassera, au plus vite, car chez elle l’amourmaternel a son emploi, sa satisfaction ; et aussi par crainte de lajalousie de l’époux, du mâle. Admettre que celui-ci pourra oublier, àce point, l’injure qui lui a été faite dans sa femme, de tolérerl’enfant du barbare et de l’élever concurrement avec les siens, esttomber dans l’erreur de croire aux surhommes chers aux Allemands. Unadage de notre bon sens français ne nous dit-il pas que qui veut fairel’ange fait souvent la bête. Que nous prouvent, en effet, cessoi-disant surhommes allemands en brûlant, pillant, assassinant etviolant sinon qu’ils ne sont que des surbarbares. Non, l’homme estune créature limitée dans ses sentiments.

Nous traversons, certes, des temps héroïques, mais ce n’est pas uneraison pour espérer que ces pères oublieraient et verraient grandir,sans révolte, au milieu des leurs, cet enfant d’ennemi portantpeut-être en lui les pires instincts de sa race. Ces choses, à lavérité, se sentent plus qu’elles ne se discutent. Cet enfant,indifférent à la mère, détesté du père, comment serait-il traité parses frères et sœurs utérins sinon en souffre-douleurs. Quelleatmosphère d’inimitié, de mésentente il créerait autour de lui ! Quellevie serait la sienne et combien préférable pour tous est sa disparitiondès l’œuf. Il y a bien la solution de l’abandonnement, sous réservequ’il soit réalisé dans des conditions spéciales que nous examinerons,qui assurent à ces enfants un avenir différent de la vie de paria quiest fréquemment l’apanage des pupilles de l’Assistance publique. Malgrétout, il nous semble qu’ici encore, mieux vaudra un avortement précoce,qui fera disparaître avant le retour du mari le fruit malencontreux,afin que ses yeux d’époux n’en soient pas affectés, ni son orgueil demâle blessé. N’y eut-il même nulle grossesse en perspective, que cesmalheureuses feront bien de cacher, si c’est possible, à leurs maris,l’outrage subi. Cela est si vrai, et la susceptibilité ombrageuse dumâle est si bien connue de la femme que celle-ci, pour ne pasl’éveiller, lui cache souvent les poursuites dont elle est l’objet dansla vie ordinaire. Elle sait trop, par avance, qui en serait injustementrendue responsable.

Malgré vingt siècles de monogamie, le mâle humain est ainsi fait qu’ilsuffit d’un rien pour le ramener à la loi animale de la polygamie. Leplus léger soupçon, à ses yeux, justifie son abandon, il ne faut donc àaucun prix lui en fournir la moindre apparence. Il commencera certespar plaindre sa femme, puis bientôt c’est lui qu’il plaindra, et ellequ’il finira par soupçonner et accuser. Cela s’explique, par ce fait :qu’alors que la maternité est un sentiment naturel, profond, généreux,la paternité n’est qu’un sentiment social, superficiel et orgueilleux.Dans tout homme, quel qu’il soit, demeure toujours un peu du coqvaniteux, chantant volontiers ses prouesses et facilement prêt àrudoyer sa femelle. Au reste, rien n’est plus édifiant, à ce sujet, qued’entendre juger dans des milieux masculins ces attentats. Certes on yest unanime à les réprouver mais aussi pour préconiser, non sans uncertain rire faunesque, d’égales représailles : un talion intégral,gare à leurs gretchen dit-on et cela à l’encontre de l’avis de notreMontaigne qui veut que : « ces cruautés ne soient pas dignes de ladouceur française. » Toute la mentalité du mâle éclate en ceci. Grandprêtre de l’espèce, il impose en toutes circonstances sa tyranie àcelle qui pour lui n’est que la servante de la nature.

III

Admettons qu’on laisse naître ces enfants. Que seront-ils ? Quelsespoirs ou déceptions pourront-ils donner ? Montaigne nous en avertit :« Quel monstre est-ce que cette goutte de semence, de quoi nous sommesproduits, porte en soi les impressions, non de la forme corporelleseulement, mais des pensements et des inclinations de nos pères. »Voyons donc dans quel état physique et moral se trouvaient lesprocréateurs, préalablement à l’acte.

Du côté de la mère, il existait à n’en pas douter : de l’anxiété, del’inquiétude, de la dépression morale ; du côté du père : un surmenagephysique excessif, un état d’alcoolisme suraigu, avec surexcitation detous les instincts animaux.  Durant l’acte, la femme a étébrutalisée, terrorisée tant par des menaces de mort, que par la vuemême d’assassinats. Le mâle, lui, ne pouvait qu’être ivre d’alcool, desang et exaspéré de luxure. La violence commise, le ou les mâles s’ensont allés, et la malheureuse victime a porté son fruit dans leslarmes, la honte, l’angoisse et peut-être aussi la misère.

Si, en présence de ce trop véridique tableau, nous voulons bien nousrappeler la généreuse campagne menée dans ces dernières années, par uneélite de gens de sciences et de cœur, pour l’amélioration de la race,la diminution des tares originelles, grâce à une procréation qui neserait plus un acte de pur hasard, un réflexe de lendemain de fêtes etde flambées d’alcool, mais bien un acte réfléchi, préparé par une sortede retraite préalable physique et morale, destinée à permettre auxprocréateurs non plus d’infliger la vie, selon le mot de Chateaubriand,mais bien de la transmettre dans son maximum de plénitude quicomportera pour la descendance un maximum d’aptitudes vitales. Si nousvoulons nous souvenir que l’année dernière, le premier Congrèsd’Eugénique qui se tint à Londres a non seulement défini les conditionsles meilleures requises pour procréer, mais encore s’est inquiété del’hérédité des tares affirmées par la loi de Mendel qui veut que : «l’homme, comme les animaux, possède certains caractères héréditairestransmis aux descendants qui conservent le même plasma germinal queleurs générateurs. » Si nous en croyons Diderot, qui s’était déjàétonné de la légèreté inconsciente avec laquelle se reproduit l’êtrehumain, lorsqu’il écrivait : « Quoi donc, n’y aurait-il pas de règles àprescrire pour la production d’un homme ? Celui qui veut que l’arbre deson jardin prospère choisit la saison, prépare le sol et prend un grandnombre de précautions, dont la plupart me semblent applicables à unêtre de la nature beaucoup plus important que l’arbre. Je veux que lepère et la mère soient sains, qu’ils soient contents, qu’ils aient dela sérénité et que le moment où ils se disposent à donner l’existence àun enfant soit celui où ils se sentent satisfaits de la leur. »

Nous ne pouvons, en face de ces différentes affirmations que conclure :que ces enfants seront presque sûrement des débiles par leur mère, lagestation de celle-ci s’étant accomplie dans les pires conditions, aumilieu de secousses morales tragiques, capables de vicier l’évolutionde l’embryon, des tarés mentaux et moraux par leur père, bref seront àtous égards de parfaits indésirables. Certains, plaidant en leurfaveur, n’ont-ils pas été jusqu’à alléguer : qui sait si parmi eux nese manifesteront pas un jour des hommes de talent, voire de génie. Avecune semblable hérédité, sans aller jusqu’à la théorie du criminel né deLombroso, cela nous semble bien improbable ; car si le terrain françaisfut bon, la graine teutonne étant mauvaise, le fruit ne saurait êtrebrillant.

Ces enfants, ces tarés en puissance à quel sexe ont-ils chanced’appartenir ? Eventuellement au sexe féminin. Si, en effet, on s’enrapporte au principe en général admis en matière de probabilitésexuelle, pour le premier né au moins, qui affirme que l’enfantressemble au plus fort, hérite des qualités du plus apte desprocréateurs, et est de sexe contraire à lui, on doit s’attendre à lavenue de nombreuses filles. Au reste, le Talmud témoigne en cettefaveur puisqu’il enseigne que pour avoir des filles l’homme doitsurprendre la femme et l’aimer à l’improviste. Ce qui fut plus que lecas.

Or ce sont ces produits que nous soupçonnons par avance devoir êtrepitoyables, en puissance peut-être des pires tares, parce que conçusdans les plus anormales et tragiques conditions, que nous n’hésitonspas à vouloir imposer à de malheureuses femmes dont nous semblonsvouloir ignorer, par ce fait, les angoisses morales et la honte. Etc’est encore et comme toujours, lorsque l’homme veut excuser ses piresinconséquences, au nom des plus nobles sentiments : amour maternel,pitié, que l’on exhorte ces mères à poursuivre leur calvaire. C’est àla conscience de ces martyres que l’on ne craint pas de faire appel,alors qu’en ces heures tragiques tous les sentiments humains sontreniés et violés. On compte sur leur héroïsme qui est toujours chezelles comme on l’a dit : obscur, sans vanité et un sentiment naturelqui n’attend et n’espère rien.

IV

Maintenant, avant que d’exposer nos idées et la solution que nouscroyons la meilleure, nous tenons à rapporter et discuter, rapidement,les principales réponses faites aux questions posées par la Revue etla Chronique médicale dans leurs numéros de mars etavril. Nouscommencerons par celles des quelques rares femmes qui, sollicitées, ontrépondu.

Mme L. Delarue-Mardrus,encore toute endeuillée par la perte cruellequ’elle vient de faire d’un neveu, nous affirme avoir, par ce fait,pénétré le fond du malheur féminin, de la détresse maternelle. Aprèsavoir envisagé les diverses solutions susceptibles d’être proposées,dont celle de traiter ces enfants comme des éclats d’obus ayantdouloureusement labouré les chairs et qu’on extirpe au plus tôt :chirurgie de guerre et d’urgence, elle affirme que « ce sont les femmeselles-mêmes qui, avec leur cœur, doivent trouver la solution. »Poétiquement, elle imagine qu’au premier vagissement du petit intrus lamère s’écriera, en le pressant contre elle : « Mon enfant ! », motmagique, qui doit lui faire tout oublier. La voix du sang ! C’est d’uneffet irrésistible, c’est très littéraire mais ce n’est guère la Vieexacte, dans ce cas. Ce vagissement, en effet, pourra aussi bien luirappeler comment elle est devenue mère, la brute qui l’a violentée,menacée, sa honte, sa défaite, sa grossesse douloureuse, un avenirangoissant, le retour d’un mari. Cependant elle ajoute : « il sera bienFrançais, exclusivement Français, parce que né d’une Française, nourride lait français. » Quand même, cela ne suffit pas, cette affirmationmanque de rigueur scientifique. L’hérédité ne saurait être seulementunilatérale, le père, l’ensemenceur y a sa quote part, son influence,qu’il a imprimée à son rejeton. Celui-ci sera allemand en partie, desang et de mentalité, infimement, nous voulons le croire et lesouhaiter ; mais enfin il le sera, quoiqu’on dise ou veuille. Ainsidit-elle : « Il y a des petits qui naissent avec des taches de vin,avec des monstruosités venues d’une émotion de leur mère... L’enfant dubarbare, engendré dans la terreur, la rage impuissante, la honte, ledésespoir du viol, portera peut-être dans son âme, comme une marqueindélébile, comme une tache de vin sur la peau, la haineincompréhensible, originelle de l’Allemand. »

Ici, que Mme Delarue-Mardrus qui est, si nous ne nous trompons, lafemme d’un honorable confrère, nous permette de lui dire qu’il noussemble impossible d’admettre, psychologiquement, que cet enfant puisseêtre, dès le sein, un récolté contre son propre sang, contre l’Allemandqui l’a engendré. Un enfant ne peut haïr un père qu’il ne connaît paset auquel encore une fois il ressemble fatalement, si peu ce soit-il,de corps et d’esprit. Ce serait cette fois la voix du sang révolté !Après tout, dit-elle : « c’est lui, l’enfant, la principale victime del’aventure maudite. » Il y a bien aussi un peu la pauvre mère, n’est-cepas ? Le point capital, pour elle, est qu’il ne connaisse jamais sonorigine, que rien à ce sujet ne puisse par la suite venir troubler laquiétude de sa vie. Quant aux mères : « pareilles à nos provincesenvahies, une fois libérées du fardeau imposé par l’ennemi à leursflancs, elles oublieront comme nos villes prises, puis évacuées,l’intrusion allemande. » Décidément il ne suffit pas à Mme Delarue-Mardrus que ces femmes aient été martyres, elle les veutsaintes, oubliant tout, pardonnant tout et souriant au petit barbareserré contre leur sein. Beau sujet de vitrail pour la cathédrale deReims réédifiée ! Mais leur félicité ne saurait être complète, n’est-ilpas vrai, sans un peu de publicité ? Aussi leur promet-elle : «l’inscription de leur étreinte au tableau des calamités de guerre. »Cette inscription à ce tableau de douleur les comblera-t-elle d’aise ?C’est peu probable. En tout cas, nous ne voyons pas davantage : « cessœurs des villes pillées et des cathédrales » se pencher le cœur grosde leur secret sur ces enfants de barbares, pour leur dire, avecl’orgueil d’avoir tant souffert : Tu es à moi ! Cela sans rancœur etsans appréhension pour l’avenir.

Pour conclure, nous croyons que Mme Delarue-Mardrus, au talent delaquelle nous nous empressons de rendre hommage, s’est laissée emporterpar la grandeur de son sujet : la puissance de l’amour maternel, ce quifait qu’elle l’a traité plus lyriquement que psychologiquement, aupoint qu’elle a oublié complètement le mari, le père français dontl’influence, nous l’avons dit, mérite d’être retenue.

Mme la Duchessede Rohan, veut faire sortir, elle, du mal, tout lebien possible : c’est un louable propos. D’abord elle rejettel’avortement en s’appuyant sur ce trépied : la loi, la faculté, lareligion. La conception de cet enfant, dans l’ivresse et l’ignominie,ne l’inquiète pas autrement pour l’avenir, car elle estime que trèsprobablement, dans la vie civile ordinaire, le père n’est nisanguinaire, ni sadique, ni alcoolique, tout cela il l’a été à n’en pasdouter par ordre, par obéissance. Il a torturé, pillé, incendié, violéparce que c’était dans le programme : telle cette petite fêtenéronienne où, après avoir violé une fillette de treize ans, devant sesparents, d’aimables teutons l’embrochèrent ensuite sur leur baïonnetteet la firent tournoyer, ainsi que son petit frère de neuf ans :passe-temps innocent de gens placides à l’ordinaire ! Admettons encore,avec Mme de Rohan, qu’en temps de paix ces bons Allemands soient douxcomme des moutons et sobres comme des chameaux, n’empêche qu’au momentde la conception ils étaient d’immondes bandits. Or, c’est ce momentqui compte au point de vue de la transmission des tares à ladescendance. De l’état d’esprit des mères et surtout des maris et pèresfrançais, cette noble dame ne semble pas avoir eu cure ; néanmoins elleespère : « que le flot de larmes versé par les yeux des sœurs violéesse mêlera au sang de nos blessés, arrosera le sol de la patrie, lalavera, la purifiera et la régénérera ». Mon Dieu, nous voudrions,nous, moins de douloureux liquide ; le sang c’est déjà beaucoup, c’estdéjà trop ; alors pourquoi ne pas éviter les larmes en supprimant leurcause : l’enfant !

Mme AugustaMoll-Weiss, directrice, fondatrice de l’Ecole des mères,dont la voix semble devoir être, entre toutes, autorisée, nous affirme ex abrupto: que la vie étant une chose merveilleuse – est-ce si sûrque cela ? surtout en l’espèce – nous n’avons aucun droit sur elle etque l’avortement, malgré son apparence radicale, n’est pas un remèdedéfinitif. Pourtant !... Enfin, arguant du phénomène de l’imprégnation,que nous avons nous-même reconnu être très contesté, elle arrive àcette conclusion pour le moins inattendue : « que pour satisfaire ceuxqui demandent des mesures radicales, il n’y aurait qu’un moyen, un seul: tuer les femmes et les jeunes filles ayant subi les outrages de lasoldatesque allemande ». C’est bien le cas de dire que qui veut tropprouver, exagère, et finalement ne prouve rien.

Examinant, comme nous l’avons fait, les différents cas qui peuvent seprésenter, elle pense que pour les jeunes filles ayant un certain âgeet quelque fortune, cet enfant pourra à la rigueur être un but, unemploi à leur affection. Cette conclusion est certes défendable, malgréque les joies de ces maternités soient bien problématiques. Le ménagestérile, sans enfants, pourrait aussi dit-elle adopter la mêmesolution, mais ici, ajoute-t-elle sagement : « tout dépend surtout dumari ». Enfin ! la première, Mme Moll-Weiss veut bien y songer, entenir compte ! Nous avons vu ce qu’il faut penser de son rôleprépondérant, de sa jalousie intransigeante et le peu de cas qu’il fautfaire de ses velléités d’oubli. Quant au ménage ayant déjà des enfants,elle estime, équitablement, qu’il devra au plus tôt se débarrasser del’intrus, afin que la mère ne souffre pas à cause de lui. En l’espèce,elle a bien pressenti la sourde rancune du mari qui poindrait sanscesse la malheureuse. Elle aussi veut que cet enfant, avec l’aide del’éducation, tienne surtout de sa mère française. Nous avons déjà ditque l’hérédité paternelle ne pouvait être récusée et que la meilleureéducation ne réussirait pas à l’étouffer.

Au reste, conclut-elle, ces enfants conçus dans des conditionstragiques s’appareillent en tous points aux pupilles habituels del’Assistance publique, à l’origine desquels se trouvent aussi desdrames et des misères. Avec cette différence, tout de même, que ceux-cisont nés d’amours en général consenties, de femmes s’étant données ouabandonnées, non violées et terrorisées par un ennemi.

Mme Colette Yverdésire, elle aussi, que l’enfant naisse et ne soitpas sacrifié, car l’amour maternel peut s’éveiller. Ne voit-on pas,dit-elle, « des femmes chérir des enfants nés d’un père indigne etqu’elles ont cessé d’aimer ». D’accord, mais elles l’ont aimé etl’aiment sans doute encore à leur insu, tout est là et explique leuramour maternel. Enfin, fait-elle observer « parmi les meilleuresd’entre nous il en est qui gardent à quelque degré du sang allemand ».Rien de plus vrai, c’est le croisement des races, mais un croisementconsenti, souhaité par la nature et réalisé par l’amour !

Mrs Pankhurst,l’apôtre des suffragettes, en femme habituée à ne pasreculer devant les décisions énergiques, n’hésite pas : « L’appui leplus efficace de la science médicale, dit-elle, devrait être mis à ladisposition des femmes victimes de la brutalité allemande. Les enfantsissus du crime ne seront probablement que des monstres et des fardeauxpour leur mère et pour l’humanité. »

De ces quelques réponses faites par des femmes, il se dégage ceci quetoutes, sauf Mrs Pankhurst, ont envisagé le problème de haut, mais pasde face, pas sous son véritable angle. Elles l’ont traité lyriquement,en femmes de lettres, mais pas en vraies mères, en femmes en puissancede mari qui doivent compter avec son autorité, sa jalousie et réglerleurs décisions selon. Ces réponses eussent gagné en valeur et enportée, en véracité, à émaner de femmes du peuple, d’ouvrières,d’employées, soumises à « leur homme », plus près de la vie parce quese colletant chaque jour avec elle. A l’instar de Montaigne, il eutpeut-être été bon en l’occurrence d’aller faire un tour aux Halles.

Voyons à présent le côté mâle, le côté de la toute-puissance, selonRousseau, en commençant par les médecins, par ceux susceptibles d’êtreà la fois juge et partie opérante. Peu nombreuses sont malheureusementleurs réponses, la plupart étant mobilisés.

Le Dr Pluyette,de Marseille, après avoir rappelé que toujours lafemme fut la rançon de la victoire, admet la légitimité présente del’avortement.

Le Dr Plateau,tout en reconnaissant la situation épouvantable,confesse : « Fidèle à mes principes et obéissant à la loi, je lescondamnerais sans hésiter, mais avec le bénéfice des circonstancesatténuantes, la loi Béranger. Je condamnerais aussi mais avec ladernière rigueur et sans pitié, le médecin avorteur. » Et il conclut :« J’estime que c’est un crime d’assassiner un enfant, dans quelquecondition qu’il ait été conçu. » Voilà un confrère qui a une conceptionquasi mystique de la loi et une conscience inflexible de véritableaccusateur public. Ce n’est pas lui qui dira : que sais-je ? il dit :j’affirme. A la rigueur, il veut bien encore accorder la loi Béranger àla victime, mais il tient à ajouter à son supplice la parade dutribunal avec sans doute aussi les douceurs de la prévention. Quant aumédecin, son confère, haro ! sur lui. A n’en pas douter, le Dr Plateaudoit avoir une conscience d’une belle eau et le doute n’a jamais dû enrayer le cristal. On peut l’admirer mais le craindre. Il est vrai qu’ila un sosie mental dans la personne du confrère qui a écrit dans la Presse Médicale: « En dépit des raisonnements les plus spécieux,l’avortement est et sera toujours un assassinat, le plus lâche de touspuisqu’il a chance de rester impuni et qu’il ne demande de la part decelui qui le pratique, d’autre courage que celui de l’immoralité. » Ceréquisitoire a quelque chose du froid de l’acier : ce confrère seraitchirurgien que cela ne nous surprendrait pas, il a vite fait dedécouvrir la lâcheté et de trancher dans l’immoralité ; qui donc disaitque les caractères faiblissaient ! Dieu merci, il nous reste desconfrères dignes des temps héroïques de Brutus ou on ne connaissait niles hésitations, ni la loi de pardon.

M. le Professeur Pinardaffirme parler, lui, au nom de tout le corpsmédical. De cela, est-il bien certain ? En tout cas il estime que ledevoir médical ne saurait souffrir la moindre restriction et quel’abandon est, en l’espèce, la seule solution. Noblesse a toujoursobligé et nous ne nous étonnons pas de voir un Maître de la Faculté,surtout celui de l’obstétrique, ne pas condescendre à discuter laquestion de l’avortement, il ne saurait en être autrement. Comme tousles officiels, comme les magistrats, il ne peut tout de même, du hautde sa chaire, enseigner contre la loi. Mais nous sommes convaincus quesi M. le Professeur Pinard était chargé du service d’accouchements deces odieuses carrières du Soissonnais, de ces antres de Troglodytes, ilagirait selon sa conscience, c’est-à-dire en brave homme de cœur qu’ilest, ce dont il a donné des preuves qui lui ont valu l’estime et lerespect de tous.

M. le ProfesseurLandouzy, Doyen de la Faculté de Médecine de Paris,se devait, pour les raisons que nous venons d’invoquer, de repousserlui aussi l’avortement. Mais comme pour M. le Professeur Pinard, nousne doutons pas que cet excellent Français, ce Rémois affligé et par lesangoisses de sa grande Patrie et par les blessures cruelles de sapetite, saurait trouver avec sa conscience des accommodements. Malgrétout, nous ne nous expliquons pas en quoi selon lui : débarrasser cesmalheureuses de leur produit, atténuerait le moindrement l’infamie del’envahisseur. Ici, en effet, à l’inverse de l’aphorisme médical :l’effet disparu, la cause subsiste, c’est-à-dire que le teuton restequand même chargé de son forfait. Quant à croire que ces enfants élevéschez nous, pourraient un jour devenir les champions de notre droitcombattu par leurs pères, je crois qu’il faudrait, au préalable, lespurger fortement de toute hérédité paternelle, ce qui n’est pas chosefacile, et nous avouons préférer nous en remettre à nos enfantsfrançais.

M. le ProfesseurDebierre, de Lille, Sénateur du Nord, étaitdoublement compétent pour donner son avis, et comme médecin, et commereprésentant de cette région si cruellement éprouvée. Quoiqueprofesseur officiel, lui aussi, mais esprit libéral et affranchi, iln’a pas craint d’exprimer toute sa pensée. Cela est d’un beau courageet méritait d’être signalé. Fort justement, pour commencer, il pose enprincipe que l’embryon n’est qu’un être vivant en puissance qui, dèsqu’il est arrivé à terme, devient par ce fait un individu appartenantdès lors à la société : ceci lui permet de récuser en toute justicel’infanticide qui, lui, est un assassinat. Après examen de ladouloureuse situation créée par cet enfant au foyer familial, il admetla possibilité de sa suppression avant sa naissance, par les soins d’unmédecin légiste ou d’un médecin choisi par la famille, ce afin d’éviterles abus toujours possibles.

Telles sont les trop rares réponses fournies par le corps médical. Nousvoyons qu’à côté de médecins très rigoristes, de par leurs croyancessans doute, de maîtres tenus, par leur situation officielle, à demeurerles défenseurs de la loi, il y a des praticiens qui n’ayant que leurconscience pour guide, sachant que s’il est avec le ciel desaccommodements il doit en être aussi avec la loi, résoudrontdiscrètement, au mieux, l’angoissant problème de l’enfant du barbare.La loi, ils le savent par expérience, est un appareil orthopédique demarche social, souvent dur et douloureux auquel il est fréquemmentbesoin d’ajouter des coussinets. Ils n’y manqueront pas soyez en sûrs.

Après les médecins les hommes de lettres.

M. Jean Finol,Directeur de la Revue,organisateur d’un referendum,jugeant avec raison que la situation de ces enfants dans la sociétésera des plus délicates et douloureuses, souhaite les voir se consacrerà l’exercice du culte religieux, devenir prêtres, pasteurs ou rabins.Idée belle et généreuse, tant par son but expiatoire que propitiatoire,qui se heurte malheureusement à cette condition sine qua non : laVocation, outre laquelle on ne saurait passer.

M. Jean de Bonnefon,dont le talent s’emploie à nous initier auxarcanes du monde religieux, aussi bien qu’aux subtilités des Ecritures,est affirmatif. Pour lui « la Vie de l’embryon est res sacra ». Dèslors qu’il en fait un dogme, il supprime toute discussion. Nouspasserons donc.

M. M. Barrès,de l’Académie française, nous apprend que dans son paysde Lorraine : « le peuple croit fermement que le gouvernement va fairetuer tous ces intrus. Il y a plus, des femmes ont prévenu le maire deleur village qu’elles se chargeaient de cet acte. Quel jury lescondamnerait ? D’autre part qu’elles gardent et élèvent ces enfantsimposés, songez-vous à l’existence qu’ils mèneront ? » Voilà, certes,un état d’âme et d’esprit brutal et vengeur qui nous en dit plus longsur les tortures qu’ont dû endurer ces malheureuses, pour en arriver àréclamer non plus seulement le droit à l’avortement, mais le droit àl’infanticide, que toutes les considérations de nos aimables femmes delettres. Ce cri sanguinaire, c’est le résultat de quarante années desouffrances. Bien entendu, comme nous l’avons déjà affirmé, nous n’ypouvons souscrire dès lors que sont possibles l’avortement etl’abandonnement, auquel se range M. Barrès.

M. Lucien Descaves,très franchement accepte l’avortement, mais à lacondition que le viol allemand soit bien établi.

M. Rémy de Gourmontpense que la solution est douloureuse etinsoluble. « En vérité je ne sais que dire, avoue-t-il. Je crois qu’ilfaudrait, peut-être, permettre tout ; et finalement il incline pourl’abandonnement mais sans rejeter l’avortement. On sent que cettequestion a jeté le trouble dans cette belle âme sereine qu’est celle deM. Rémy de Gourmont.

M.M. Paul et VictorMargueritte, les deux romanciers de talent, filsdu glorieux général de 70, immortalisé par sa charge, ne pouvaientmanquer de s’intéresser à cette question. Pour M. Paul Margueritte,l’enfant est, bien entendu, à la mère qui a subi l’attentat. Elle seulea le droit d’en disposer et c’est de toute justice. Après avoir examinéles différents cas qui peuvent se présenter, il proclame que : « sil’horreur l’emporte sur les instincts protecteurs maternels, une loidevrait autoriser l’avortement ou l’absoudre. » A quoi bon une loi ?une simple tolérance réduite scrupuleusement à ces cas, une suspensiontacite passagère de la loi suffit, car, tout rentré dans l’ordre,celle-ci devra reprendre son plein effet. La mère pourra, si elle lepréfère, avoir recours à l’abandonnement ou encore élever son enfant,si elle s’en sent le courage, auquel cas il voudrait que l’Etat enassurât les frais. Et généreusement il conclut : « C’est aux victimesde décider. »

Son frère, Victor Margueritte, partage sa largeur de vue : « Si,dit-il, ni la loi humaine ni la loi divine ne peuvent hautementautoriser le meurtre, est-ce que par un accord tacite, le confesseur etle juge ne pourraient, à mi-voix, gravement, pitoyablement, converseravec le médecin ? » Mon Dieu, ce conciliabule préalable est bieninutile, le médecin agira selon sa conscience, après quoi le jugefermera les yeux et le confesseur absoudra. Ce rôle réparateur quiincombe au médecin, il en a senti toute la grandeur et toutel’abnégation lorsqu’il écrit : « Est-ce que celui-ci, dont le rôle sibeau est de soulager la misère physique et de consoler la douleurmorale, serait blâmé par qui que ce soit s’il aidait à supprimer –avant qu’elle vécut vraiment – la cause abominable de cette misère etde cette douleur ? Je ne le crois pas. Et j’espère qu’ainsi plusieursde ces irréparables crimes pourront être, dans la mesure du possible,réparés. »

Viennent les savants et les scientifiques :

M. le ProfesseurYves Delage, de l’Académie des sciences, l’admirablesavant, dont les maux cruels et les infirmités n’ont en rien altéré, nila luminosité des conceptions, ni la générosité des pensées, nil’équité du jugement, avoue tout d’abord : que la question posée estinfiniment complexe et que pour la résoudre il faudrait être à la foisbiologiste, médecin, ethnographe, historien et moraliste. Et il ajoutequ’il faudrait être surtout capable de se soustraire aux sentiments dehaine et d’indignation ressentis. De cela, qui en est plus susceptibleque lui dans sa sérénité de naturaliste.

Tout d’abord, en biologiste documenté, il nous affirme que cetteinfusion de sang allemand ne constituerait pas un danger, mais unsimple croisement comme l’histoire et l’ethnographie en offrent denombreux exemples. Certes nous n’y contredirions pas, comme nousl’avons dit, s’il avait été voulu et s’était effectué dans d’autresconditions que le meurtre, la terreur et le viol, mais imposé à unefemme par les pires violences, rien de tel pour l’empêcher à jamais d’ysouscrire.

Dans sa placidité, M. Delage nous assure que les défauts des Allemandstiennent moins à leur hérédité qu’à leur mauvaise éducation et à leurpitoyable psychologie. Pourtant toute leur histoire, chaque jourévoquée, nous montre une suite de générations pillardes, dévastatrices,cruelles, sans foi, ni parole.

Ces considérations générales émises des hauteurs de la biologie, M.Delage descend aux données terre à terre du problème et, s’éclairant del’esprit critique constate qu’il serait imprudent de ne pas tenircompte que ces viols ont été pour la plupart consommés dans un étatd’excitation alcoolique aigu. Or, dit-il : « il est démontré que lacrise d’alcoolisme exerce une influence funeste sur les produits de laconception. » C’est, ajoute-t-il, une condition dont devra tenir grandcompte le juge qui aura pour mission d’autoriser la destruction dufruit de la grossesse ». Les droits des parents et des enfants étant,en l’espèce, contradictoires, il faut, estime-t-il, établir une règleet il propose celle-ci : « subordonner les droits de l’enfant à naîtreà ceux des parents et les droits de ceux-ci à ceux de l’enfant venu aumonde ». Autrement dit, dans le premier cas il admet l’avortement, etdans le second l’abandonnement. Ainsi, il reconnaît la légitimité del’avortement provoqué, à la condition, qu’il soit accompli avec toutesles garanties scientifiques et légales.

Quant à ceux qui seront abandonnés, on pourra en constituer des sortesde colonies qui ressembleront fatalement, dit-il, à des pénitenciers.C’est qu’il voudrait bien, dans la droiture de sa conscience, que cesinnocents ne paient pas pour les coupables. Le placement à la campagne,chez des paysans, lui semble encore la solution la moins mauvaise. Anotre avis il en est une meilleure que nous développerons plus loin :celle du placement dans nos colonies, qui ferait de ces enfants descolons à l’abri de tous les mauvais souvenirs, de toutes les vexationspossibles, qui leur créerait une vie libre et tranquille sous lepavillon français.

M. Le ProfesseurHenneguy, de l’Académie des Sciences, étant unéminent embryologiste, son appréciation était, entre toutes, précieuseà connaître. Il nous la donne, avec cette clarté, cette sûreté, quisont la caractéristique des esprits scientifiques supérieurs. Pour lui: « l’enfant du crime doit disparaître. On ne  peut laisservivre, sous le nom de Français, les rejetons d’une race abhorrée.Certes, dit-il, « l’avortement est un crime, mais tuer un ennemi sur lechamp de bataille est un acte glorieux : empêcher de naître le produitd’un attentat criminel est non seulement licite mais encore nécessaire». Voilà qui est parler net. Et il conclut, lui qui est aussi médecin :« Le médecin devra donc offrir, sans hésiter, son concours lorsque lesvictimes demanderont son intervention, comme il n’hésite pas à avoirrecours à l’embryotomie lorsqu’il s’agit de sauver la vie de la mère. »Quant à ceux pour lesquels l’intervention médicale n’aura pu s’exercerà temps et que des teutons n’hésiteraient pas, eux, affirme-t-il, àmettre à mort, il suffira de les abandonner à l’Assistance publique.

M. le ProfesseurGley, du Collège de France, avoue que si l’oninterroge des femmes sur cette question, sauf des femmes de lettres,toutefois, nous l’avons vu, la réponse est unanime : « Les victimes ontle droit, certaines vont jusqu’à dire le devoir, de se faire avorter ».Mais, dit-il, la femme n’est pas un juge impartial dans lacirconstance, elle est en effet partie intéressée. Certes, mais l’hommene l’est-il pas lui aussi en tant que mari ? Et M. Gley poursuit : « Sasensibilité se hérisse, son imagination se révolte. Elle oublie laquestion morale et la question sociale. » Qui ne les oublierait en unetelle occurrence. Et puis est-ce bien à l’homme, si profondémentégoïste par nature, de lui faire de semblables reproches dans d’aussicruelles circonstances ?

En admettant même, dit-il, « que l’article du code qui punitl’avortement soit momentanément, implicitement abrogé, je doute qu’ilse trouve des praticiens qui, abandonnant leur rôle, supprimeraientsystématiquement des existences au lieu de s’efforcer de les conserver». Et pourquoi non : le rôle du médecin n’est-il pas de guérirquelquefois et de consoler toujours ? Ne doit-il pas souvent, en tantque chirurgien, causer un certain mal pour triompher d’un plus grand ?Or, de quoi s’agit-il ici ; simplement de détruire un vague embryon,pour sauver la vie morale d’une femme, d’une mère, d’une famille. M.Gley semble douter et est bien près de s’indigner qu’il puisse setrouver des médecins pour cela. Nous sommes sûrs qu’il en est qui,d’accord avec leur conscience l’ont déjà fait et que beaucoupaccompliront encore ce geste qu’ils estiment être, ne craignons pas lesmots : un devoir d’humanité !

M. Gley, tout en reconnaissant que ces enfants auront été le plussouvent conçus dans l’état de fureur alcoolique, se refuse à admettrequ’ils puissent être, par cela même, plus tard, des tarés, desanormaux. Nous ne saurions souscrire à cette négation absolue del’hérédité, trop d’exemples la démentent. Également, il croit qu’élevésdans un milieu français, ces enfants pourront devenir d’excellentsFrançais et il cite, comme exemple à l’appui, les croisements forcésqui résultèrent en Allemagne des guerres de la Révolution et del’Empire et fournirent de bons teutons. A ce propos nous répondrons quecertes la soldatesque déchainée, quelle que soit sa nationalité, manqueplutôt de galanterie ; mais ici encore se manifeste l’atavisme, lamentalité. Nos soldats victorieux ne seront pas de petits saints, maisnous ne leur ferons jamais l’injure de les croire capables des actes defolie sadique commis par les teutons : comme de couper les seins auxfemmes, d’embrocher filles et garçons par leurs parties génitales et devioler après les avoir tuées des vieilles femmes de quatre-vingts ans,et autres horreurs. Ils se conduiront en mâles brutaux peut être, maispas en monstres : affaire de mentalité, de cerveau. Voilà ce qui nousfait croire et affirmer que descendant de pareils Pères, jamais cesintrus ne pourront, quelle qu’intégrale et française soit l’éducationqu’ils recevront, devenir les excellents Français que nous promet M.Gley.

En l’espèce, nous croyons que ce maître est enclin à de trop généreusesillusions qui témoignent sans doute de la noblesse de ses aspirationset de la candeur de ses sentiments, mais sont terriblement dangereuses.C’est ainsi qu’il espère que : « ces malheureuses femmes auront l’âmeassez haute et généreuse pour élever tendrement les enfants engendréspar la violence... qu’à jamais ceux-ci ne devront connaître leurorigine, et qu’on sera tenu de les élever tout comme s’ils étaient nésde parents français et de les traiter non seulement avec humanité maisencore avec bonté ». Ainsi, conclut-il, « l’Etat et les communes quiferont les frais de leur éducation, paraîtront acquitter une dette depitié et de reconnaissance... vis-à-vis des malheureuses mères qu’onaura engagées à mener à bien leur triste grossesse ».

Certes, on étonnerait fort M. Gley si on lui affirmait que c’est avecune pareille sentimentalité à rebours, avec ces haïssables utopies quel’on a pendant vingt ans endormi la vigilance de la France qui a réussidans un sursaut d’énergie sublime à se réveiller, à repousser sesanesthésieurs et à se mettre debout et en garde. Cela au prix de quelssacrifices ! La guerre finie, la victoire acquise, il faudra surtoutbien nous défendre, sous peine de succomber définitivement, de cesdangereux pacifistes que les actes de barbarie quotidiens des Allemands: mutilations des vieillards, des femmes, des enfants, viols, actes desadisme, arrosage de nos soldats à la benzine et à l’éther de pétrole,jet d’acide sulfurique, emploi de gaz asphyxiants, n’ont pas encoreéclairé sur leur mentalité. Au reste, le manifeste des intellectuelsteutons ne laisse pas que de rappeler le temps où les nôtres s’étaientaussi coalisés, tant il est si vrai qu’intellectualité et bon sensn’ont bien souvent rien de commun et sont parfois même en raisoninverse.

Mais poursuivons ; un seul juriste a répondu :

M. Henri Coulon.Pour lui, la loi, doit demeurer intangible et nesubir aucune abrogation, mais par contre il reconnaît qu’il ne setrouverait pas de juges pour condamner des femmes qui n’auraient pusupporter plus longtemps une pareille souillure. Le triste sort réservéaux abandonnés l’intéresse, et l’Assistance publique ne lui paraît pasle Paradis terrestre. Nous sommes de son avis, aussi estimons-nouspréférable l’avortement.

Enfin, voici les opinions motivées de Prêtres et de Pasteurs. Avant quede les exposer, nous rappellerons que certains Pères de l’Église netaxaient de crime l’avortement que lorsque l’âme avait pris possessionde l’embryon, époque qu’ils fixaient entre le quarantième et lequatre-vingt-dixième jour. Si bien que l’avortement provoqué, avant cedélai, était absous ipsofacto, puisque c’était une chair sans âme.Alphonse de Liguori, lui, voulait que la solution de l’avortement futabandonnée à la conscience de chacun, ce qui, à la rigueur, peut êtreconsidéré comme une tolérance déguisée. Nous ne ferons pas état dusermon attribué par Jean d’Orsay, dans le journal Le Matin, à unvieux prêtre des Flandres, où celui-ci, prenant texte de l’Histoired’Hérode, absout du haut de la chaire, par avance, ses pénitentes, ducrime d’avortement. Nous l’avons dit, aucun de ceux qui défendent laloi humaine et la loi divine, ne peut désavouer publiquement ce qu’ilreprésente. Tout doit se passer tacitement, le prêtre peut absoudremais non prêcher l’avortement.

M. l’abbé Griselleveut qu’on s’en tienne au « Non homicidium facies» du Décalogue, toutefois, après avoir regretté, comme nous, que seulesles femmes de lettres aient donné leur avis, il dit avec une grandesagesse et une noble hauteur de vue : « On consulte l’homme, c’est la «mère » surtout qui a son mot à dire ; c’est elle qui, dans le secret desa conscience et sans consulter personne, obéissant à son sûr instinctmaternel, prendra la décision ; l’enfant est à elle plus qu’à personne,c’est le fruit de ses entrailles, il lui appartient et elle décidera deson sort..... L’enfant est surtout l’enfant de la mère ; il lui coûteassez cher pour qu’elle puisse librement agir à son égard suivant levœu de sa nature et les inspirations de son cœur. C’est à sa conscienceindividuelle plus qu’aux réponses de l’enquête qu’elle s’en rapporteraet elle aura raison. » Autrement dit, il ne nous reste à nous médecinsqu’à l’aider si elle nous le demande, à vous prêtres qu’à l’absoudre etaux juges à tout ignorer. Cette réponse lumineuse de bon sens etdébordante de tolérance fait honneur à M. l’abbé Griselle ; bienentendu, il espère et est même convaincu que malgré l’horreur de leurcas elles garderont et aimeront ces enfants ; cela en dépit de la hainevouée à la brute qui les a violées. Bien que nous différions absolumentde lui sur cette toute-puissance de l’amour maternel, nous estimonsexacte sa psychologie de la mère et libéral son jugement.

M. le pasteurWilfrid Monod commence par rappeler la phrase poétiquede l’Evangile que nous avons citée au début, peignant l’extase de laMaternité. Partant de là, il montre dans combien de cas douloureux lamère serait fondée à réclamer ce droit à l’avortement qui nous coûte enFrance par an 185.000 naissances, déficit qui, dit-il, nous a misfatalement en état d’infériorité vis-à-vis des Allemands. Il craint, sion le tolérait dans ces cas même exceptionnels, d’encourager unetendance qui nous coûte déjà si cher. Tout cela semble fort juste. Enréalité c’est une fatalité inhérente à notre état de civilisation.C’est une des rançons du progrès.

Chez les Grecs, pendant toute la florissante période païenne,l’infanticide était admis, sous prétexte de sélection et d’eurythmie.Aristote préconisait l’avortement et l’immortel maître de la Médecine,Hippocrate, le pratiqua. L’explication en est simple : toutes les foisque l’homme progresse, se civilise, s’éloigne, de ce fait, de l’étatnature, de l’état d’animalité originelle ; en même temps qu’il affineses goûts et recherche les jouissances intellectuelles, il tend à selibérer de tous les liens qui le retient à l’animalité. La premièreentrave dont il a hâte de s’affranchir, pour des causes multiples :plaisir et richesses, est l’automatisme reproducteur. Il entend semultiplier quand bon lui semble, et lorsque la nature traîtresse aréussi à le tromper, il n’hésite pas à détruire son œuvre. Cet état decivilisation extrême que connurent la Grèce et Rome, nous en jouissons.Conclusion : l’avortement est une manifestation fatale de l’état desmœurs, contre lequel, prêches et lois sont condamnés d’avance àl’impuissance.

Or, c’est tandis qu’il est, par un triste hasard, socialement etmoralement excusable qu’on tendrait à nous reprocher de vouloirinstaurer des mœurs déjà existantes et des pratiques connues de tous.Pour Dieu, un peu plus de logique et moins de pharisaïsme ! Il est vraique si M. Monod repousse toute tolérance d’avortement, il ne veut pasnon plus transformer ces mères en « Mater dolorosa » et admet «qu’elles refusent leur signature et leur cœur » à ces enfants indésiréset les abandonnent. Sagement, il reconnaît que s’il peut y avoir desmiracles d’amour, les miracles sont toujours rares et puis, dit-il, ily a un mari, – enfin il y pense, – qui mérite d’être consulté. Ildevra, en effet, peser d’un certain poids, comme nous l’avons vu, dansla décision à prendre.

Ayant donné son adhésion à l’abandonnement, il ne semble pas, lui nonplus, redouter l’hérédité et s’en remet à l’éducation pour y obvier.Nous savons, nous Médecins, ce qu’il faut penser de ces espérances etquels résultats peu encourageants ont jusqu’ici donné les essais deredressements mentaux. Selon nous, la conscience de ces enfants resterafatalement hypothéquée des tares paternelles.

Plus justement, il estime, qu’on ne devra pas les parquer dans dessortes de ghettos, qu’ils ont droit à une vie intégrale et, emporté parun lyrisme généreux, M. Monod lui aussi, ne veut rien moins que lestransformer en futurs champions de notre juste cause et s’exclame : «La France aura trouvé ainsi une vengeance digne de son génie ! » Hélas! trop beau tout cela et combien loin de la réalité ! Pour pouvoirs’improviser ainsi le champion d’une race, il faut en être d’abord, eten être : c’est avoir derrière soi un long atavisme, c’est avoirsouffert et espéré avec elle, c’est penser, c’est sentir comme elle, cequi est interdit à jamais à ce teuton d’hier. Il faudrait pour cela unmiracle et vous l’avez proclamé vous-même, M. Monod, ils sont rares.

M. le pasteur Wagnerest catégorique et n’hésite pas : « Dans tousles cas de viol, en temps de paix comme en temps de guerre, si lamalheureuse femme dispose de sa liberté, je crois qu’il est de sondevoir strict de prendre immédiatement des mesures pour se débarrasserdes suites de l’odieuse profanation. » Ces mesures anticonceptionnellessont, dit-il, courantes chez les femmes mariées. Par quels scrupuleshypocrites, poursuit-il, pourrait-on contester à ces malheureusesvictimes une liberté dont d’autres abusent contre toute loi et toutdevoir. Mais cet avortement abinitio n’aura pu le plus souvent, etpour cause, être réalisé ; la conception est consommée. Cela ne modifiepas la courageuse opinion de M. Wagner, l’intervention devient plusscabreuse dit-il, voilà tout. « Aussi serais-je d’avis que les médecinslégistes soient consultés. » Par contre il rejette avec horreur luiaussi l’infanticide.

A parler franc, cette réponse est, de toutes celles que nous venons depasser en revue, peut-être la plus sage et la plus pondérée. Sanssentimentalisme exagéré et redondant, elle est profondément humaine,d’où toute sa justesse et sa valeur.

Ce rapide examen des solutions préconisées par ceux ayant répondu à cereferendum serait incomplet si nous ne mentionnions les décisionsprises par M. Malvy, ministre de l’Intérieur, pour assurer d’une partle secret absolu de l’abandon de ces enfants, avec suppression de toutetrace d’origine, et de l’autre l’assistance offerte aux mères. De soncôté, M. Louis Martin, sénateur du Var, a déposé sur la tribune duSénat, une proposition de loi tendant à suspendre, pour les populationsdes territoires envahis et sous certaines conditions, les pénalitéspunissant l’avortement. Enfin, ces jours-ci même, la société demédecine de Paris, après l’Académie de médecine, s’est occupée de lasolution à trouver et, M. le Dr Depasse, a posé à ses collègues laquestion en ces termes : « Devant la menace et la décision bienarrêtées de nombreuses femmes, enceintes des œuvres des allemands, quimenacent de se tuer, si on ne les délivre pas, que peut et que doitfaire le médecin ? »

V

Récapitulons rapidement les diverses objections faites à l’avortementau cours de ces réponses, avec les arguments que nous leur opposons etsur lesquels se baseront nos conclusions.

1° Tuer est un crime etl’avortement en est un.

Oui, sans doute, dans l’état normal de paix. Non, en état de guerre, oùle meurtre constitue l’état de légitime défense. Un ennemi a étéintroduit par violence et sous menaces dans le sein de femmes,celles-ci le tuent et le rejettent, c’est la guerre, avec encore unefois sa conscience spéciale. Cela est si vrai, que nous exaltons,qualifions de glorieux, proposons en exemple, des actes qu’en tempsnormal nous traiterions d’attentats, de crimes et qui tomberaient sousle coup de la loi. La guerre a son optique et ses lois qui sont lanégation même de nos lois sociales, civiles et religieuses. Toutes lesconventions disparaissent devant l’instinct de conservation. Détruireun embryon n’est pas détruire une vie, mais seulement une probabilité :c’est se refuser à continuer de couver un œuf mauvais, c’est faire dela prophylaxie reproductrice, c’est médicalement intervenir, poursauver des mères de nausées morales incoercibles. Mais, nousobjecteront certains, même à de la vie latente vous n’avez pas le droitde toucher. Vraiment oui ! et de quoi vivons-nous donc sinon de la mortde tout ce qui nous entoure : animaux et végétaux ? La vie n’est qu’unetransmutation nul ne l’ignore.

2°  C’est affaiblirl’humanité.

Non, en l’espèce, c’est même l’améliorer, puisque c’est empêcher denaître, d’une part, des enfants tarés de par leur conception dans laterreur, la haine, l’alcool et le sang, et de l’autre, de vivre desenfants qui seraient privés à jamais d’affection et des joies de lafamille. Cette sélection fut pratiquée, à plusieurs reprises, chez lesHébreux, à l’instigation de Moïse, pendant leur captivité en Egypte.Les massacres d’innocents étaient ordonnés, à n’en pas douter, pourépurer la race des produits de l’ennemi, et lui conserver sescaractères ethnologiques de peuplé élu de Dieu. Seulement, on avaitbrutalement recours à l’infanticide, que nous réprouvons.

3° C’est un attentatcontre la nature.

Non, c’est simplement une victoire remportée sur sa tyrannie. L’hommeet la nature sont en guerre depuis toujours. C’est à qui domineral’autre et l’asservira. Presque chaque progrès humain est une conquêtesur elle et parer à une de ses erreurs, n’est nullement un crime. Amoins de vouloir réduire la femme au seul rôle de femelle animale, onne peut cependant pas lui refuser le droit de choisir son partenaire,et s’il s’est imposé par la violence, la possibilité d’effacer samainmise odieuse. Toute vie est une lutte ; si nous laissions faire lanature, elle aurait vite fait de nous faire rétrograder versl’animalité. Enfin, est-il possible d’admettre que nous puissions avoirmoins souci de la pureté de notre race et du sein de nos femmes quenous n’en manifestons pour les races des animaux qui nous entourent.

4° La loi civile et laloi religieuse défendent l’avortement.

Certes, c’est bien ici que la lettre tue et l’esprit vivifie. En ce quiconcerne la loi religieuse, ceux qui la reconnaissent y obéiront. Avecla loi civile, il en va différemment : par le fait de la guerre, elleest en nombre de cas suspendue, impuissante. C’est ainsi, qu’enl’espèce, la femme violée ne peut obtenir d’elle justice contre sonagresseur, comme elle la lui assure en temps de paix. En manquant à sesobligations, la loi laisse en fait le droit à la femme de se fairejustice elle-même et de se débarrasser de l’intrus imposé. La loi étantdéfaillante, elle manque à la loi, c’est la guerre !

5° Des abus pourraientse produire et puis ce serait encourager des habitudes déjà troprépandues.

Aux abus, il sera aisé de ferme la porte par une rapide et discrèteenquête portant sur les dates et le séjour de l’ennemi, et puis lesmédecins n’interviendront qu’à bon escient et avec toutes garanties,car, bien entendu, à eux seuls incombera cette délicate mission, où lascience doit s’allier à la conscience. Sortes de prêtres laïques, ilslibèreront la chair, que les prêtres absoudront ensuite. Quant aureproche d’encouragement à l’avortement, une bonne fois parlons net.Avec M. le Pasteur Wagner rappelons que les manœuvresanticonceptionnelles, sortes d’avortements ab initio,condamnés parles théologiens qui dans la Mœchialogieà l’usage des confesseurss’expriment ainsi : Mortaliter peccatur... Idem est eum muliersusceptum semen de industriã ejicit, aut ejicere conatur ; elles sontpratiquées quotidiennement par les femmes les plus honnêtes, et quel’avortement proprement dit est si répandu dans tous les mondes, que laloi en est réduite à demeurer lettre morte : ils sont trop ! Cela, nousle déplorons et souhaitons qu’après la guerre on y obvie en améliorantle sort de la femme mère et l’aide accordé à l’enfant. En tout cas, cesavortements exceptionnels, pour faits de guerre, ne risquent nullementd’être un encouragement : pour cette raison que l’impunité passagèrequi leur sera accordée est depuis longtemps hélas ! acquiseimplicitement aux autres.

6° L’amour maternelplus fort que tout,fera que ces mères oublieront le passé et aimeront leurs enfants.

Que l’amour maternel soit sublime, capable des plus généreuses actions,des plus nobles dévouements ; qu’il donne sans compter, se sacrifie, decela tout le monde est convaincu. Mais faut-il encore qu’il ait punaître, qu’il puisse exister. Or, pour naître, il faut que le cœur dela femme ait vibré en même temps que son sein a été ensemencé, faute dequoi l’enfantement sera un simple acte physiologique, imposé. Si, aulieu d’un levain d’amour, l’homme a jeté dans le cœur de la femme unferment de répulsion, de haine, le fruit sera alors d’autant plusredouté et détesté par cette femme que son cœur appartient à un autrehomme qu’elle aime et craint. On a dit : la femme est un être passif.Il est plus juste de proclamer qu’elle est par-dessus tout unedispensatrice de bonheur pour celui qu’elle aime. Elle est heureuse dela joie qu’elle lui voit et lui cause, c’est un être de reflet qui negarde rien pour elle. L’amour de la femme est un don, un oubli completd’elle, alors que celui de l’homme n’est qu’une manifestationd’égoïsme. Ce qui fait la grandeur, la sublimité de l’amour maternel,c’est, d’une part, le contentement que ressent la femme de pouvoirdonner à celui qu’elle aime cette preuve d’amour : l’enfant, quesouhaite son orgueil de père, de continuateur de la race ; et del’autre, c’est qu’en cet enfant, qui est l’image de celui que son cœura élu, c’est lui encore, c’est lui toujours qu’elle continue à aimer !Si bien que, ceux qui prétendent que l’amour de la femme pour l’hommechange du jour où elle est mère, se trompent, à notre avis ; son amourest seulement refracté à travers l’enfant, comme le rayon de soleill’est par le prisme. Aussi, le rayon n’existe-t-il pas, que le prismen’est éclairé par rien ; encore moins voudriez-vous qu’il refractâtcette éclipse que fut le barbare qui a passé. Encore une fois, la femmene peut chérir, selon nous, que l’enfant de l’homme qu’elle a aimé, sibrièvement cela fût-il, et celui-ci lui eût-il par la suite infligémême toutes les tortures. Dès lors qu’elle s’attache à l’enfant, c’estqu’elle n’a pas oublié leurs heures d’amour et qu’elle lui a toutpardonné par la grâce de l’enfant. En l’espèce qui nous occupe, rien decela ne peut et ne saurait exister !

7° Cet enfantressemblera surtout à samère, il aura donc des sentiments français qu’il suffira de développerpar l’éducation.

Il ne faudrait cependant pas prendre nos désirs pour des réalités, lanature impavide ne saurait se prêter à nos vœux, même patriotiques. Cetenfant ressemblera à son père conformément à la loi de l’hérédité ; ilen aura en partie la mentalité et chez lui, possibilité de déséquilibrefutur, se combattront toute la vie les deux atavismes ancestraux,opposés à leur maximum au moment de la conception. Quant à espérer quel’éducation pourra annihiler cette mentalité, il n’y faut pas compter,l’expérience est là pour en témoigner ; tout au plus pourra-t-elle êtreun vernis destiné à craquer au premier conflit. Quoi de plusinsaisissable, de plus protëiforme en effet que la mentalité ; celasomnole et éclate quelque jour impérieusement. Né d’un père allemand,cet enfant sera franco-allemand, ni plus ni moins, et la mère enl’élevant risquerait fort d’être à nouveau blessée par cette brutalitéagressive qui leur est propre.

8° Malgré tout rien neprouve que cet enfant sera taré.

Il le sera, très probablement, en vertu de cette loi inéluctable del’hérédité qui pèsera d’autant plus lourd sur lui, qu’il aura été conçudans les conditions les plus pitoyables. Tous les jours nous déploronsles méfaits de l’hérédité alcoolique, syphilitique et tuberculeuse etnous ne voudrions pas en tenir compte ici : est-ce logique ?

9° En tout cas, lafemme ne devra rienfaire, sans consulter son mari qui seul est juge et décidera.

Vous y tenez vraiment à ce que cette malheureuse se remémore lecalvaire qu’elle a gravi et fasse le récit détaillé de ses stations, larougeur au front, à son mari, à ce père qui, lui, est sur le frontennemi. Est-ce pour exciter son courage ? nous ne le pensons pas ; sarage alors ? oui ; est-ce bien nécessaire et ne vaut-il pas mieuxlaisser dormir sa jalousie de mâle, lui laisser même, pour latranquillité à venir du foyer, ignorer à jamais la souillure ? A moinsque vous n’estimiez la femme une simple femelle, dont le seinappartient au mari qui peut en disposer à sa guise, le laisser féconderau besoin et lui en imposer ensuite le fruit. Non, nous l’avons dit, lafemme commettrait, à notre avis, la plus douloureuse erreur qui, avecl’assentiment même de son mari, voudrait garder cet enfant et l’élever; la jalousie inconsciente et intransigeante de celui-ci aurait vitefait de l’en faire se repentir. Malgré tout, en effet, ces enfantsresteront comme l’estampille de la victoire passagère de ces barbares.On pourra à la rigueur reconstruire les foyers, les cités, lescathédrales, vouloir oublier tout, seuls ils demeureront pour nousrappeler sans cesse ces heures tragiques. Serait-ce un bien et pour euxet pour nous ? Nous ne le pensons pas !

10° Cet enfantabandonné devra à jamaisignorer son origine,on ne devra pas le faire souffrir, on devra même êtrebon pour lui.

Tout cela, on le lui accordera sans peine, parce que enfant defrançaise, mais tout de même, il ne faudrait pas en faire une classe àpart, une classe supérieure à nos enfants assistés français aussiintéressants et innocents qu’eux, aussi maltraités du sort, avec quandmême en moins cette différence, une paternité moins odieuse. Il nefaudrait pas qu’avec notre sentimentalisme exagéré, dont de tristesexemples ont été cités, nous allions jusqu’à voir en eux, comme cela aété écrit, de futurs champions de notre cause. Et les vrais Françaisalors ? Il ne faudrait pas enfin qu’ils nous fassent oublier leursmalheureuses mères qui auront tant souffert par eux et qui pourraientbien, en ayant hésité à s’en débarrasser dès l’œuf, se créer par lasuite de cruels chagrins.

11° Que vont penser lesAllemands de ces avortements ?

Il nous faut bien répondre à cette question, car elle a étésérieusement posée. Il nous suffirait pour cela n’est-il pas vrai dereproduire la liste des atrocités commises chaque jour par ces monstreshumains. Mais à quoi bon et qui ne les connaît ? Nous nous contenteronspour bien montrer leur mentalité de citer le cri de férocité poussé parun de leurs poètes favoris, Heinrich Vierordt, or nul n’ignore que lespoètes sont gens inoffensifs et les plus doux d’entre les hommes ; onpourra juger d’après cela ce que peuvent être leurs soldats. Voici lechant de cet aéde :

O toi, Allemagne, maintenant haïs !

Avec un cœur de fer, égorge des millions d’hommes de cette racediabolique. Et que, jusqu’au ciel, plus haut que les monts, s’entassentsa chair qui fume et ses os fracassés.

Bardée d’airain, ne fais pas de prisonniers, et pour chaque ennemi,baïonnette au cœur. Rends-les tous, l’un après l’autre, muets. Changeen déserts tous les pays qui te servent de ceinture.

O toi, Allemagne, maintenant haïs !

VI

Il ne nous reste plus qu’à exposer nos conclusions, que sans doute déjàon a pressenties en divers points de cette rapide étude. En touteconscience et sincérité nous préconisons, dans ces cas bien déterminés,la tolérance de l’avortement pratiqué le plus tôt possible,exclusivement par des médecins, à la seule requête des intéressées.Nous repoussons complètement l’infanticide, car nous estimons que toutêtre qui a vu le jour n’appartient plus seulement à la mère mais à lasociété. Enfin, lorsque la grossesse aura suivi son cours, d’accordavec tous, nous admettons l’abandonnement mais dans des conditionsdifférentes que nous allons indiquer. Auparavant, nous tenons à direcombien cette solution nous semble moins judicieuse que l’avortement.Elle force, en effet, ces malheureuses à porter durant des mois, dansl’angoisse et la crainte, leur douloureux fardeau, elle leur impose lahonte d’afficher leur blessure qui, si cruelle soit-elle, ne sauraitquand même bénéficier de la glorieuse considération d’une blessure deguerre et pourtant !

Enfin ces vies que vous estimez devoir laissez venir, quellesseront-elles ? N’est-ce pas à elles que convient l’aphorisme : « Il y aquelque chose de mieux que d’être, ne pas être ! » Oui, mieux vaudraitpour tous les supprimer dès l’œuf, mais puisque aussi bien cela répugneà notre sentimentalisme, tâchons au moins qu’elles s’écoulent de façonutile et non misérable comme celles de tant de nos enfants assistés.

Pour ce faire, nous proposons que ces enfants soient élevés en Francejusqu’à l’âge de 3 ans, chez des nourriciers, époque où ils pourraientêtre transportés, transplantés, dans nos colonies où ils finiraient des’élever chez des colons qu’ils aideraient, après quoi ils ledeviendraient à leur tour et fondraient une famille. Ainsi irait seperdant et s’amendant leur sang teuton. De cette manière ils pourraientse créer une vie tranquille, indépendante, à l’abri de tout mauvaissouvenir. Telle est, à notre avis, la seule façon d’en faire de bons etutiles Français : commencer par en faire d’abord des Françaisd’outre-mer. Cette sorte d’introduction, de stage à une grandnaturalisation métropolitaine postérieure ne pourrait que présenter desavantages pour tous. Au reste, c’est un procédé analogue qui futemployé, à la fin du XVIIIe siècle, pour peupler le Canada ; on yexpédia une quantité de filles-mères avec leur progéniture et ce sontleurs descendants valeureux qui luttent, à l’heure présente à noscôtés, contre les hordes teutonnes.

Quant à ceux qui rejettent l’avortement : effrayés qu’ilssont des vides et de l’hyponatalité qui s’en suivra, rassurons-les enleur rappelant qu’il est de notion courante qu’au lendemain desguerres, surtout heureuses, avec la confiance, renaît la joie de vivre,donc celle de se reproduire ; après les hécatombes la nature a hâte decombler les vides. C’est ce qui faisait dire à Napoléon : « Une nuit deParis me réparera tout cela » ; mettons qu’il faudra plusieurs nuits deFrance et ayons confiance d’autant, a dit Dumas, que : « La maternitéest le patriotisme des femmes ». Et nos chères Françaises sont bonnespatriotes, elles le prouvent et le prouveront l’heure des réparationsvenue.