A LAMÉMOIRE DE MAMÈRE
THÉRÈSE-ADÉLAÏDE-ADRIENNE DE RÉGNIER
NÉE DU BARD DE CURLEY
Paray-le-Monial,le 8 Janvier 1836
Paris, le 21 Juin 1924
P
UISQUE j’ai parlé de Bouchu, il « faut quej’achève l’étrangesingularité qu’il donna en spectacle, autant qu’un homme de son état enpeut donner. C’était un homme qui avait une figure fort aimable et dontl’esprit, qui l’était encore plus, le demeura toujours. Il en avaitbeaucoup et facile au travail et fertile en expédients. Il avait étéintendant de l’armée de Dauphiné, de Savoie et d’Italie, toute l’autreguerre et celle-ci. Il s’y était enrichi ; homme d’ailleurs fort galantet de très bonne compagnie. Lui et sa femme, qui était Rouillé, soeurdela dernière duchesse de Richelieu et de la femme de Bullion, sepassaient très bien l’un de l’autre. Elle était toujours demeurée àParis, où il était peu touché de la venir rejoindre, et peu flattéd’aller à des bureaux et au conseil, après avoir passé tant d’annéesdans un emploi plus brillant et plus amusant. Néanmoins, il n’avait purésister à la nécessité d’un retour honnête qu’il avait mieux aimédemander que se laisser rappeler. Il partit pour ce retour le plus tardqu’il lui fut possible et s’achemina aux plus petites journées qu’ilput. Passant à Paray, terre des abbés de Cluni assez près de cetteabbaye, il y séjourna. Pour abréger il y demeura deux mois dansl’hôtellerie. Je ne sais quel démon l’y fixa, mais il y acheta uneplace et, sans sortir du lieu, il s’y bâtit une maison, s’y accommodaun jardin, s’y établit et n’en sortit jamais depuis, en sorte qu’il ypassa plusieurs années et y mourut sans qu’il eut été possible à sesamis ni à sa famille de l’en tirer. Il n’y avait, ni dans le voisinage,aucun bien que cette maison qu’il s’y était bâtie ; il n’y connaissaitpersonne, ni là autour auparavant. Il y vécut avec les gens du lieu etdu pays, et faisant très bonne chère, comme un simple bourgeois deParay. »
Ainsi s’exprime et s’étend, en la partie de ses
Mémoires qui traitede l’année 1705, M. le duc de Saint-Simon, sur le compte deEtienne-Jean Bouchu, marquis de Lessart, baron de Loisy et dePont-de-Vesle, dont la fille unique Elisabeth-Claudine-Pétronilleépousa, le 13 avril 1706, René de Froulay, comte de Tessé,lieutenant-général, Grand d’Espagne, fils aîné du maréchal de ce nom.Le Chesnaye des Bois, dans son
Dictionnaire généalogique,nousapprend qu’Etienne-Jean Bouchu mourut le 5 décembre 1715 et qu’ilportait pour armoiries : d’azur au chevron d’or, accompagné en chef dedeux croissants d’or et en pointe d’un lion de même.
Cette mention de Saint-Simon, cette notice de La Chesnay des Bois, etmême mon goût pour les « étranges singularités » n’auraient pas suffi àfixer mon attention sur cet Etienne-Jean Bouchu, si ce personnage n’eûtchoisi pour y finir ses jours « en simple bourgeois » la petite villede Paray qui n’est autre que Paray-le-Monial, en Charollais et dont jene lis jamais le nom sans que s’éveillent en ma mémoire maintssouvenirs de famille et de jeunesse sur lesquels j’aime toujours àrevenir, si m’y ramène quelque occasion qui me les rende plus vivementprésents. C’est pourquoi, l’autre jour, en retrouvant dans Saint-Simonla page où est relatée « l’étrange singularité » de l’intendant Bouchu,je n’ai pu résister à l’attrait d’évoquer en quelques pages la curieusepetite cité bourguignonne où le sieur Bouchu donna le spectacle quel’on sait, où Cluny eut un de ses plus importants monastères, où lesFilles de la Visitation, de Sainte Chantal, fondèrent un de leurs pluscélèbres couvents, le Paray-le-Monial du Sacré-Coeur, la petite villeoùj’ai vécu quelque peu en de lointaines années, où en des années pluslointaines encore sont nés plusieurs des miens, où quelques-uns d’entreeux reposent…
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Montons sur la colline qui est leur dernier séjour terrestre. On yparvient par une route assez raide qui, dépassées les pauvres maisonsd’un faubourg assez semblable à une rue de village, se continue enpente caillouteuse. En la gravissant, on rencontre tantôt un charattelé de boeufs, le joug aux cornes et dont le conducteur rustiquepique de l’aiguillon les croupes boueuses, tantôt quelque carriolepaysanne ou citadine. On y croise parfois aussi une chèvre rongeant lesfeuilles d’une haie, une bande d’oies boitillantes que garde quelquefillette tricoteuse, un gamin conduisant ses cochons, une femme, lahotte au dos ou le panier au bras, qui vous salue d’un bonjour enpassant, une pauvresse qui tend la main, mais bientôt on est devant unegrille s’ouvrant dans un mur bas qui enclot quelques arbres, des tombeset une petit chapelle entre des cyprès.
Il ressemble à tous les cimetières, ce cimetière de Paray, au haut desa colline, à l’écart parmi les champs à travers lesquels continue laroute qui vous a mené jusque-là. Toute la campagne alentour est aussisilencieuse que lui et participe à son repos. Il y a là des tombes trèsanciennes, d’autres plus récentes, quelques-unes d’hier. Ce n’est pasvers celles-là que je vais. J’en cherche que le temps a déjà touchées.Les vieilles pierres moussues sont d’une pensive et douce mélancolie.Les noms qu’elles portent s’effacent à demi. Certaines sont devenuesanonymes. Enfin j’ai retrouvé celles qui m’attirent, une à une, carelles sont disséminées. Chacune de leurs inscriptions évoque pour moiun souvenir. Des images se forment dans ma mémoire. Des figuresm’apparaissent. J’écoute des voix tues depuis de longues années. Deceux qui gisent sous ces dalles, j’en ai accompagné quelques-uns à leurdernière demeure et, derrière leur cercueil, j’ai gravi la routepierreuse, mais d’eux je ne veux pas parler maintenant : je suis venuseulement les saluer. Plus tard, je dirai ce que je sais de ce qu’ilsfurent. Aujourd’hui, j’ai voulu voir si tout est en bon ordre et sirien n’a changé autour d’eux. Non, tout y est toujours tranquillementfunèbre. La grille grince toujours quand on la pousse. L’antiquechapelle est toujours debout.
Elle est très ancienne, cette petite chapelle du cimetière de Paray, etelle marque un lieu vénérable. Une tradition ne veut-elle pas qu’ellerepose sur les vestiges du « templum antiquissimum » auprèsduquel les moines de Lambert, comte de Chalons, construisirent en l’an973 le monastère de l’Orval ? C’est sur cette colline qui domine Parayque fut transporté, avec force miracles, le corps de Saint Grat,treizième évêque de Chalons. Les moines de l’Orval quittèrentbientôt la colline et descendirent vers la vallée, vers la «Vallis aurea » où s’éleva le nouveau monastère, avec son église qui futbénie en 1004 par Hugues, abbé de Cluni. Mais avant de descendre, nousaussi, vers la vallée et la rivière, vers la Bourbince, « ad Burbuntiumamnem », comme disent les vieux textes, donnons un regard à la petiteville que fut le « Paredum monachorum » de jadis et qui est aujourd’huiParay-le-Monial.
Elle est à nos pieds et je la vois toute d’ici. Sur elle mon regards’étend. Il la parcourt. Voici ses maisons, ses ruelles, ses places,ses toits de tuiles ou d’ardoises, ses jardins. J’aperçois son mailqu’on appelle le Cours, avec ses tilleuls et ses bancs de pierre, laBourbince qui la traverse de ses deux bras sous un double pont, sonchamp de foire qui jouxte le vaste pré communal qu’on nomme le Pâquier,sa magnifique avenue de platanes séculaires, sa gare, ses faubourgsdont l’un borde un canal, le canal du Centre, qui s’enfonce à l’horizonavec ses files de peupliers. C’est bien le Paray de ma jeunesse, lapetite ville monacale. Voici le clocher de l’hôpital ; la grosse tourde l’ancienne église Saint-Nicolas, le clocheton de la chapelle de laVisitation, celui de l’oratoire des Dames du Saint-Sacrement, celui ducouvent des Dames de la Retraite, car Paray est demeuré ville decouvents. Les Jésuites y eurent un établissement, les Clarisses uncloître, mais la gloire et la beauté de Paray, c’est son égliseclunisienne, sa magnifique basilique romane, avec son haut clocher etses deux antiques tours, avec son cloître et sa noble demeureabbatiale, son prieuré aux sévères lignes Louis-quatorziennes, et lagrosse tour qui subsiste encore de ce que l’on nommait le Château deParay et qu’un sixain du temps déclarait « de noblesse bien entouré ».
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Paray-le-Monial attire deux sortes de visiteurs : quelques touristes etdes pèlerins. Si les pèlerins vont droit à la chapelle de la Visitationoù l’on vénère dans sa châsse la BienheureuseMarguerite-Marie Alacoque, les touristes, eux, se dirigent vers labasilique clunisienne. Elle est la merveille et l’orgueil de la petitecité dont l’histoire est liée à celle de l’illustre abbaye de Cluni.Comme je l’ai dit déjà, ce fut Cluni qui fonda le monastère de l’Orvalet le réunit à ses destinées. Depuis lors, l’Orval fut une filiale dela puissante congrégation bénédictine. Les abbés de Cluni firent dumonastère de l’Orval une de leurs résidences favorites et ce fut dumonastère que naquit la ville. Paray mérite donc vraiment d’être appelé« Le Monial ». Comme le monastère, Paray a son histoire (1).
Avant d’en parcourir les fastes locaux, entrons un instant dans sonantique sanctuaire.
Il s’élève au bord de la rivière de Bourbince qu’endigue un petit quaiplanté de peupliers et de tilleuls en quinconces et dresse ses deuxvieilles tours romanes, un peu dissemblables, mais du même caractèrearchitectural et qui précèdent un narthex ou porche extérieur. C’est lapartie la plus ancienne de l’église, celle qui fut bénie en l’an 1004.La tour de gauche, dite tour du « moine Garre » ne fut pourvue de sonétage supérieur que vers la fin du XIe siècle. De ce narthex on pénètredans l’église monacale. Elle fut commencée en 1087, par Saint Hugues.Gonzan, religieux de Cluni, en traça les premiers plans, et elle futcontinuée par le maître moine Hézelin. La construction se termina versla fin du XIIe siècle. Elle est une copie réduite de Cluni. Son prieuréen dépendait et fut plus tard réuni à la mense abbatiale. L’abbé deCluni devint titulaire du Prieuré de Paray et seigneur de la ville. Ildéléguait son autorité à un Prieur claustral et Paray futérigé en décanat. Le premier prieur, au temps du comte Hugues, futAndrald. Sur la liste de ses successeurs, je relève un Gérard deCypierre, un Jean de Pouilly en 1306, un Henri d’Anglure en 1312, unPhilibert de Damas en 1400, un Jean de Die en 1444, un Jacquesd’Amboise, en 1508. En 1768, j’y vois un Chateauvert.
Nous voici maintenant dans l’église bénédictine. Elle est en forme decroix latine à trois nefs, formant déambulatoire. Trois chapellesabsidiales en hémicycle entourent le choeur. L’aspect du lieu est nobleet vaste, bien éclairé. Les colonnes s’ornent de chapiteaux ouvragés.La voûte forme à l’inter-transept une coupole soutenant un clocheroctogonal que termine une flèche. Tout cela est d’une sobre et fortebeauté romane. La branche gauche de la croix contient la chapelle desfonts baptismaux, la droite, la chapelle de la Vierge, d’un gothiqueflamboyant du XVIe siècle. Là, une porte donne accès au cloître et àl’ancien palais abbatial construit au XVIIe siècle et dont la façaderegarde la rivière de Bourbince. Nous l’examinerons tout à l’heure ;maintenant retraversons l’église et sortons par sa porte de gauche.Nous voici sur une petite place où aboutit une rue. Suivons-la. Ellenous conduira en quelques pas à la chapelle du couvent de la Visitation.
J’ai dit que si la Basilique romane de Paray attirait les touristes, lachapelle de la Visitation était le point où affluaient les pèlerins.Elle est d’humble mine, cette chapelle, et son humble façade estdépourvue d’ornements. Une porte étroite ouvre sur la nef unique dumodeste édifice. L’intérieur de la chapelle de la Visitation estsombre. La lueur de nombreuses lampes suspendues y laisse subsister unedemi-obscurité. Les murs disparaissent sous des bannières d’ex-voto etsous d’innombrables coeurs-de-Jésus d’argent ou de vermeil disposés enguirlandes et en rosaces. Sous l’autel repose le corps de laBienheureuse Marguerite-Marie Alacoque. Ses restes sont enfermés dansune grande poupée de cire, revêtue de l’habit monacal. Elle porte surla poitrine l’effigie du Sacré-Coeur. Partout des images de la visionmiraculeuse, de l’Apparition dans le bosquet de noisetiers. Cetteétroite chapelle avec ses lampes et ses cierges allumés, ses ors, sessoies, donne une impression de mystère et de mysticité. Je l’ai vuejadis, au temps des grands pèlerinages, bondée d’une foule compacte,exaltée et soumise, sur laquelle planaient en psalmodie monotone lesvoix des religieuses Visitandines, chantant derrière la grille qui lesséparait des assistants, car elles font voeu de perpétuelle clôture.J’entends encore dans mon souvenir ces voix pures et hautes, leurmélopée liturgique, tandis qu’aux jours où la chapelle à peu prèsdéserte appartenait au silence de la prière et du recueillement,résonnait sur les dalles le pas empressé, discret et serviable destourières et des sacristines.
Elles seules étaient affranchies de la stricte claustration qui est larègle de leur ordre. On sait sa fondation par sainte Jeanne de Chantalet par saint François de Sales. Ce fut le 4 septembre 1626 que la MèreMarguerite-Elisabeth Gauzion amena du couvent de Bellecourt, à Lyon,cinq religieuses dans la maison de Paray. A cette époque, l’ordre de laVisitation comptait déjà 25 maisons. Quelques pieuses filles de Parayayant témoigné le désir de servir Dieu dans ce nouvel instituts’adressèrent à la marquise de la Magdelaine de Ragny, Hippolyte deGondi, épouse de Léonor de la Magdelaine de Ragny, lieutenant généralau gouvernement du comté de Charollais. Cette honorable dame, affligéedu déplorable état de la religion à Paray où les huguenots nemanquaient pas, avait, en 1617, avec l’assistance de son fils, Claude,évêque d’Autun, fondé dans son propre hôtel un collège dont elle avaitconfié la direction à trois pères jésuites. Ce fut à côté de ce collègeque s’installa le couvent de la Visitation de Marie dans une maisonsituée « entre la tour et le collège, joignant la grande rue appeléedes Forges qui va jusqu’aux murailles de ladite ville, ensemble la tourappelée Quarré ». Le contrat de vente fut passé le 26 juillet 1626,entre la mère Marie-Anne de Blonay, supérieure de la Visitation deBellecour de Lyon, et Jean Bouillet, seigneur de Saint-Léger, et PierreQuarré, seigneur de la Palus, mais bientôt ce local devint insuffisant.En 1630, le couvent de Paray renfermait trente-trois professes. Laseconde supérieure, Anne-Eléonore de Lingendes, échangea à la maisoncontre celle occupée par les Jésuites et ajouta à la nouvelle résidencedes cours, un vaste jardin afin que les religieuses « pussent semaintenir en santé ». La même année 1632, la mère de Lingendes signaavec un maçon de Paray, Antoine Guillemin, un marché pour laconstruction d’une chapelle « avec le choeur et deux sacristies ».C’estcelle qui existe encore actuellement, comme subsistent aussi lesbâtiments conventuels. Ils ont gardé leur aspect d’autrefois. Leur hautmur, percé de rares ouvertures grillées, borde la rue qui s’appellemaintenant la rue de la Visitation. Une haute muraille enferme encorel’enclos des jardins. Au centre se dresse le bosquet de noisetiers quifut le lieu des apparitions.
Elles favorisèrent une humble fille, Marie-Marguerite Alacoque, née le22 juillet 1647, au hameau du Terreau, sur la paroisse de Verosvres.Elle entra au couvent en 1671 et y mourut le 17 octobre 1690. Elle yeut pour directeur le Père de la Colombière que lui donna lasupérieure, la Mère de Saumaise. La Colombière décéda à Paray en «opinion de sainteté ». Un couvent d’Ursulines venu d’Autun avec saSupérieure, Antoinette de Toulongeon, en 1644, et un hospice fondé en1684 complétaient les institutions religieuses du vieux Paray.
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Car c’est une très vieille petite ville que Paray-le-Monial. Dès leXIIe siècle, elle porte son nom : « Paredum moniale » ou « monacorum ».Elle a pour Seigneurs les abbés de Cluni. Son prieuré ne relève pas descomtes de Chalon, pour les attributions judiciaires. En 1335 desLettres Royales, émanées de Philippe VI de Valois, déclarent que Parayne relève que du Roi de France et est exempt de toute juridiction desDucs de Bourgogne et des Comtes de Charollais. En 1390, lors de laréunion du Comté de Charollais au duché de Bourgogne, les droitsjudiciaires du Roi sont réservés. Le Charollais est régi par ses Etatsparticuliers. Ravagé par les Ecorcheurs en 1418, lorsqu’en 1419, aprèsl’assassinat de Jean sans Peur, le Dauphin se dispose à envahir laBourgogne, Paray lève une compagnie de 80 hommes d’armes pour ladéfense du Charollais et reçoit 20 écuyers et un certain nombre de gensde trait. En 1422, le Duc Philippe le Bon y traite d’une suspensiond’armes. Dix ans plus tard, le Duc donne le Charollais à son filsCharles le Téméraire. En 1483, le Comté de Charollais est réuni à laCouronne de France. En 1490, le traité de Senlis, qui mettait leCharollais aux mains de Maximilien d’Autriche, réservait les droitsroyaux. Maximilien mort, Charles-Quint empereur, François Ier vaincu àPavie et prisonnier à Madrid, le Comte de Charollais est dévolu à laMaison d’Autriche. A l’abdication de Charles-Quint, en 1556, Henri IIrentre en possession de ses droits royaux. Par le traité deCateau-Cambrésis, les officiers royaux sont rétablis dans leurscharges, mais la cession du Comté de Charollais à l’Espagne estmaintenue ; cependant Paray, dont l’abbé de Cluni est Seigneur, nerelèvera que du Bailli du Roi de France.
Cette petite cité de moines était devenue la retraite de prédilectiondes abbés de Cluni. Les chefs de la puissante communauté bénédictineaimaient à venir se reposer des soucis et des labeurs de leurs chargessur les bords paisibles de la Bourbince, au milieu des prairies et desforêts silencieuses. Or, il convenait que l’abbé de Cluni, haut etpuissant seigneur, trouvât dans l’enceinte de son prieuré favori unerésidence digne de sa grande situation féodale. La construction dupalais abbatial fut donc commencée en 1480 par Jean de Bourbon, le filsdu prisonnier d’Azincourt. La grosse tour ronde qui se voit encorederrière le cloître en dépendait. Le successeur de Jean de Bourbon,Jacques d’Amboise, ancien prieur de Paray, acheva l’édifice. De lagrande cuve de pierre à ses armes, qui était probablement la vasqued’un jet d’eau du jardin, on a fait un bénitier de l’église. Le palaisfut achevé en 1546, année où Jacques d’Amboise y mourut.
Des constructions de cette époque, Paray possède deux autres édificesintéressants, sa vieille maison Jayet et son église Saint-Nicolas.J’emprunte l’histoire de la maison Jayet aux
Souvenirs de Bourgogned’Emile Montégut : « Dans les premières années du XVIe siècle vivaientà Paray deux frères du nom de Jayet, marchands drapiers de leurprofession. L’un des frères était catholique fervent, l’autre huguenotenragé ; c’est assez dire qu’ils s’exécraient fraternellement etn’avaient pas de plus doux passe-temps que de se jouer de mauvaistours. « Je veux avoir la plus belle maison de la ville, se dit un jourle huguenot tenté par le diable de l’orgueil, et non seulement de laville, mais de tout le Charollais et on viendra voir de loin la maisonde M. Jayet. Quelques-uns en crèveront de dépit, mais ce sera tantmieux, car j’ai entendu dire qu’il vaut mieux faire envie que pitié. »Et incontinent il se mit à faire bâtir un bijou de la Renaissance, toutbrillant d’arabesques et de fines sculptures, avec des figures dechevaliers et des emblèmes féodaux au premier étage, avec desmédaillons à l’italienne au second ; puis cela fait, il signa l’oeuvrede son portrait sculpté et de celui de sa femme, qui se présentent àl’intérieur, dès l’entrée même du vestibule, comme pour souhaiter labienvenue aux visiteurs. La femme est une bourgeoise qui aurait méritéde passer pour jolie dans toute condition ; le mari est un bourgeois àl’air goguenard, visiblement bon vivant et porteur d’un grand nez,bossué par le milieu et qui le fait ressembler à une parodierespectueuse de François Ier. « Ah ! c’est comme cela, dit à son tourle catholique ; eh bien moi, je ferai mieux : je vais bâtir, non pasune maison, mais une église ; je la placerai devant la maison de monfrère et cette église lui enlèvera l’air et la lumière, l’écrasera etl’éteindra. » Il fit comme le lui suggérait sa haine et un énormeédifice dédié à Saint Nicolas, masqua pendant trois siècles la maisonde son frère. »
Cette maison Pierre Jayet, appelée vulgairement la
Maison desPoupons, existe encore et Paray en a fait son hôtel deville. Quant àl’église Saint-Nicolas, commencée en 1531, elle fut démolie en partiepour dégager la maison Jayet. Il n’en reste que la façade et lagracieuse tourelle datée de 1658. Sa grosse tour, qui servait declocher et subsiste, est de 1628.
La Maison Jayet et l’église Saint-Nicolas témoignent que la Réformecomptait des adeptes à Paray avant même le milieu du XVIe siècle. Dèsson apparition en France, la Réforme avait recruté des partisans dansle pays de Charollais. Paray en contenait un bon nombre, puisqu’en 1562ils livrèrent la ville au chef calviniste Ferdinand de Saint-Aubin. Leséglises furent pillées. La châsse de saint Grat fut détruite. On vendità l’encan les dépouilles du Prieuré. La ville resta plusieurs annéesaux mains des Calvinistes. En 1570, nouveaux pillages… Les bandes duPrince Casimir de Deux-Ponts occupent Paray, Anzy-le-Duc, Marcigny. En1581, le maire Claude Bouillet est tué en défendant Paray. L’annéesuivante, Jean Bouillet, également maire, rachète, de ses deniers laville du pillage dont la menaçait Coligny, à la tête de quatre millehommes. A la mort de Henri III, les partisans du Béarnais s’emparent deParay que reprennent les Ligueurs. Jean de Foudras, nommé gouverneur,défait les Religionnaires à Digoin. Enfin l’Edit de Nantes mit fin auxluttes religieuses.
Les Huguenots eurent à Paray un temple près de la Porte du Poirier quedesservit quelque temps le fameux pasteur Dumoulin. Théodore de Bèzeséjourna à Paray. Parmi les familles calvinistes de Paray, je relèvecelle des Gravier. Esaye Gravier, avocat au Parlement, fut échevin deParay en 1651. A la révocation de 1685, plusieurs membres de cettefamille émigrèrent en Suisse. D’autres abjurèrent. Du mariage dePhilibert Gravier avec Rose Perrault descendait Jean Gravier, marquisde Vergennes, baron de Thenard, président à la Chambre des Comptes deBourgogne, ambassadeur en Suisse, en Portugal et à Venise, et aussiCharles Gravier, comte de Vergennes et de Toulongeon, baron d’Uchon etde Saint-Eugène, ambassadeur à Constantinople en 1751, en Suède en 1771et ministre des Affaires Etrangères en 1774.
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Un arrêt du Conseil Royal du 5 mai 1683 nomma Abbé Commandataire deCluni Emmanuel-Théodose de la Tour-d’Auvergne, troisième fils deFrédéric-Maurice, Duc de Bouillon, Comte d’Auvergne et d’Evreux, frèrede Turenne. Emmanuel-Théodose était né le 24 août 1644. Cardinal le Ieraoût 1665, il avait été nommé en 1671 Grand Aumônier de France. Al’Abbaye de Cluni il joignait celles de Saint-Ouen de Rouen, deSaint-Vaast d’Arras, de Saint-Martin de Pontoise, de Saint-Pierre deBeaujeu. Il prit part à cinq conclaves. Pour le grand jubilé de 1700,il ouvrit la Porte Sainte. Doyen du Sacré Collège, évêque d’Ostie et deVelletri par la mort du Cardinal Cibo, il fut aussi grand Doyen deLiége et Prévôt de Strasbourg. Très en faveur auprès du Roi à cause deson oncle M. de Turenne, il était un des premiers de la Cour parlui-même, par ses charges, par ses alliances, mais un si haut état etde si hautes fonctions étaient-ils à la taille du personnage ?Demandons-le à Saint-Simon.
Il est, à plusieurs reprises, question du Cardinal de Bouillon dansles
Mémoiresdu Duc et il lui est un magnifique sujet de diatribe et deportrait. Il faut lire les âpres pages où Saint-Simon rapporte lesentreprises, les intrigues du Cardinal, ses prétentions, son éclatantedésobéissance, sa chute, sa disgrâce, sa retraite, son insolenteescapade, le scandaleux esclandre de son orgueil, son exil, son refugeà Rome, sa mort. Saint-Simon voit en Bouillon un faussaire, unintrigant, et devant tant de folie et de superbe, il s’indigne ets’étonne. Ses tentatives de princerie, son arrogance à se prétendrecouvrir devant le Pape, sa désobéissance au Roi, sa soumission à toutce qu’il portait en lui d’intraitable, quel spectacle pour unSaint-Simon et cette pourpre insolente et basse à la fois, et cesmenées et ces fourberies, et ces dégoûts, et ces disputes avec lesmoines de Cluni, ces liaisons, ces cabales cardinalices et familiales !
Et il s’écrie, en ce style qui a des éloquences de sermon et desvirulences de pamphlet : « Le Cardinal de Bouillon vivait dans la plusbrillante et la plus magnifique splendeur. La considération, lesdistinctions, la faveur la plus marquée éclataient en tout. Il sepermettait toute chose et le Roi souffrait tout d’un Cardinal. Nulhomme si heureux pour ce monde s’il avait bien voulu se contenter d’unbonheur aussi accompli ; mais il l’était trop pour pouvoir monter plushaut, et le Cardinal de Bouillon, accoutumé par le rang accordé à samaison aux usurpations et aux chimères, croyait reculer quand iln’avançait pas. » Et les phrases de la féroce oraison funèbre seprécipitent et s’accumulent, lorsque le Cardinal, outré de l’affrontque lui a valu l’affaire de la « calotte », en meurt de dépit, car,nous dit le Duc, « il en tomba malade de rage et de rage il en mouruten cinq ou six jours », chose étrange pour un homme si familiarisé avecla rage et qui en vivait depuis plusieurs années !
Et ce n’est pas tout. Après le coup de bâton et le coup de poignard, lecoup de pinceau. A traits forcenés, le portrait d’esquisse, se colore,se dresse, prend vie : « Le Cardinal de Bouillon était un homme fortmaigre, brun, de grandeur ordinaire, de taille aisée et bien prise. Sonvisage n’aurait eu rien de marqué s’il avait eu les yeux comme un autre; mais outre qu’ils étaient fort près du nez, ils le regardaient tousdeux à la fois jusqu’à faire croire qu’ils s’y voulaient joindre. Cetteloucherie, qui était continuelle, faisait peur et lui donnait unephysionomie hideuse. Il portait des habits gris doublés de rouge, avecdes boutons d’or d’orfèvrerie à pointes d’assez beaux diamants ; jamaisvêtu comme un autre, et toujours d’invention, pour se donner unedistinction. Il avait de l’esprit, mais confus, savait peu, mais fortl’air et les manières du grand monde, ouvert, accueillant, polid’ordinaire, mais tout cela était mêlé de tant d’air de supérioritéqu’on était blessé même de ses politesses. On n’était pas moinsimportuné de son infatigable attention au rang qu’il prétendait jusqu’àla minutie, à primer dans la conversation, à la ramener toujours à soiou aux siens avec la plus dégoûtante vanité… Les besoins le rendaientsouple jusqu’au plus bas valetage. Il n’avait d’amis que pour lesdominer et se les sacrifier… Son luxe fut continuel et prodigieux entout ; son faste le plus recherché. Ses moeurs étaient infâmes. Peud’hommes distingués se sont déshonorés aussi complètement que celui-là,et sur autant de chapitres les plus importants… On peut dire de luiqu’il en put être surpassé en orgueil que par Lucifer, auquel ilsacrifia tout comme à la seule divinité. »
Le voyez-vous maintenant le déchu et le réprouvé, tombé de si haut sousles traits des foudres royales, le révolté en rébellion à la suite del’affaire de la coadjutorerie de Strasbourg et de son rappel de Rome,le disgracié privé de sa charge de grand Aumônier de France, levoyez-vous, subissant dans son abbaye de Cluni son exil enragé ? MaisCluni n’est pas loin de Paray et c’est à Paray qu’il réside depréférence pendant cinq années. Il y agrandit et y embellit le palaisprioral. Il fait bâtir pour les gens de sa suite une maison que l’onnomme encore la
Maisondes pages. Au sommet de la grosse tour rondedu château, il fait placer ses armes parlantes : une tour en fonte, quiprobablement servait de girouette. Dans une des salles il fait peindreune fresque représentant le Concile de 1700 où, sous sa présidence, futélu le Pape Clément XI… Sur une toile, un artiste romain, Locatelli,retraça l’ouverture du Jubilé de 1700 qui eut lieu présidé par leCardinal… La Révolution détruisit ces ouvrages. Ce fut elle aussi quisans doute arracha au palais prioral la belle plaque de foyer portantles armoiries du Cardinal et qui, chez ma grand’mère, ornait l’âtre dela cuisine. Celles du palais prioral ne devaient point être inactives,car la noblesse des environs y fréquentait. Le Cardinal étaithospitalier. Ne rapporte-t-on pas qu’il recueillit et hébergea dans latour ronde le cheval pie que montait Turenne lorsqu’il fut tué àSalzbach ? Paray compta alors des visiteurs de marque parmi lesquelsMme de Sévigné et son cousin Coulanges. On a conservé des lettres de M.de Coulanges datées de Paray et écrites en 1705. M. de Coulanges trouveParay un « lieu agréable », il admire de « très aimables jardins, uneterrasse toute pleine de mérite et ces jets d’eau de trente-cinq piedsde haut, dont on ferais cas dans une maison royale. » D’ailleurs on nevit pas là dans une « Thébaïde ». M. de Coulanges constate que l’on est« à cinq lieues tout au plus de bien des gens qui ont des noms » et lebon Coulanges rimaille :
Le noblechâteau de Paray
Denoblesse tout entouré ;
Denoblesse plus ou moins riche :
DesChampron, d’Amanzé, Foudras,
DesRagny, Monpeyrou, La Guiche,
De toutessortes de Damas.
Parmi les Amanzé, les Foudras, les La Guiche, les Damas qui rendentleurs devoirs au Cardinal exilé, il me semble voir s’empresser notreJean-Etienne Bouchu, car c’est en 1705 que Saint-Simon note que Bouchuquitta son intendance du Dauphiné, et sur le chemin de Paris, rencontrace Paray, d’où il ne devait plus sortir, durant les dix années qu’ilvécut. Je remarque que cet arrêt et ce séjour de Bouchu à Paraycoïncident avec le temps d’exil qu’y passa le Cardinal de Bouillon, quine le rompit qu’en 1715. Il y a là peut-être une explication partielleà la « singularité » de la présence de Bouchu en cette petite ville où,comme le dit Saint-Simon, rien ne le retenait. Je me plais à imaginerque Bouchu fut souvent l’hôte du palais prioral et qu’il dut fortblâmer le Cardinal quand celui-ci prit, en rupture de ban, la route deHollande avant de s’en aller mourir de rage à Rome ; Bouchu, lui,demeura en son Paray à y vivre en simple bourgeois. Peut-être aimait-ilà se promener dans cette avenue de platanes que le Cardinal fit planteret qu’emprunta plus tard la route, créée en 1753, qui va de Digoin àCharolles en passant par Paray. La Révolution épargna les beauxplatanes du Cardinal. Elle se contenta de brûler le cartulaire duPrieuré, d’abattre la flèche de l’église et de fermer le cloître. Lepalais abbatial fut heureusement respecté. C’est un bâtiment de beaustyle et de belle ordonnance. La façade regarde la rivière deBourbince. Avec ses hautes fenêtres, ses balcons ouvragés, il a grandemine, mine princière et de château. Presbytère et collège, il offre devastes salles voûtées, fraîches et sonores. Avec l’admirable basiliqueromane, il compose un bel ensemble ecclésiastique et seigneurial quicomprend encore un vase enclos, dit l’Enclos des Chapelains, etenferme la grosse tour ronde où mourut
Le Pie, ce chevalde Turenneque le Cardinal enfourcha pour en faire l’hippogriffe de ses chimères,le coursier d’orgueil et de rébellion qui le porta si haut au ciel deses ambitions et qui, dans sa chute, lui brisa les reins.
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Quittons des yeux le Palais abbatial et allons nous accouder au parapetdu petit mur qui borde le cours de la Bourbince au flot capricieux,tantôt abondant, tantôt réduit à un simple filet d’eau. Une vieillecarte du Baillage de Charollais en 1708 nous la montre prenant sasource aux confins nord du Baillage, non loin du village deSaint-Eusèche-des-Bois. Lentement, elle atteint Paray, cette Bourbince,et rejoint l’Arroux qui se jette dans la Loire à Digoin. Devant lePalais abbatial une digue la retient ou la laisse passer, selon sondébit. Elle coule entre de minces peupliers en fuseaux ; mais prenonsle chemin qui contourne l’enclos abbatial et que l’on appelle
Le Tourdes Moines. Un haut mur le borde derrière lequel s’étendle jardin ducouvent de la Visitation et bientôt nous débouchons sur une rue pavée.C’est la Grand’Rue, celle qui traverse Paray de part en part sous desnoms divers. Où nous sommes, elle aboutit à l’avenue des platanes quiest la promenade favorite de la ville. Les platanes du Cardinal, plusde deux fois centenaires, sont magnifiques. Ils dressent leurs troncsénormes et leur feuillage monumental. Ces vieux arbres sont admirablesen leur vigueur séculaire, avec leurs écorces tachetées et écailleusesqui tombent en larges plaques pareilles à des enveloppes de momies. Ilsalignent leur double file majestueuse jusqu’au point où l’avenuebifurque en deux routes qui se rejoignent, l’une, celle de gauche, « lavieille », après une montée assez rude ; l’autre, celle de droite, « lanouvelle », après avoir contourné le flanc du coteau par une courbed’où l’on a une vue assez étendue sur les prairies et les laboursqu’arrose la Bourbince et que coupe, d’un trait d’eau rectiligne, lecanal du Centre. Au loin, quelques bois, des fermes et, au bout del’horizon bleuâtre et modéré, les monts du Beaujolais. Au raccord desdeux routes, se détache un sentier rustique qui mène à la petitechapelle de Notre-Dame de Romay, avec sa Vierge miraculeuse et safontaine guérisseuse. En continuant nous pourrions atteindre soit lechâteau de Cypierre qui appartint aux Caulaincourt, soit le château deLugny qui appartint aux Lévis, mais revenons sur nos pas et rentronsdans Paray. Il s’y présente quelques maisons de bonne apparence, carParay est « bien habité ». Des familles que citaient les versiculets deM. de Coulanges, aucune n’y est plus représentée, mais on en trouveencore de bonne noblesse et de riche bourgeoisie. Leurs demeures etleurs noms furent familiers à ma jeunesse. Depuis lors, certaines sontéteintes et certaines ont disparu, mais n’est-ce pas dans le Paray d’ily a un demi-siècle que je me promène avec vous ?
En ce temps-là, cette grande maison, à droite, en descendant l’avenuedes Platanes, un peu à l’écart dans son parc, appartenait aux Quarré deVerneuil. Celle-là, la première, à droite, dans la Grand’Rue, auxMaublanc de Chiseuil. A côté, celles des Mallard de Sormain et desMallard de Sermaize. Plus loin habitaient les Varenard de Billy, lesPerrin de Daron, les Vial d’Alais, les Gillet de Chalonge, les Bouilletde la Faye. En d’autres quartiers, les familles de Finance, deSaint-Maurice, de Bréchard, de Menthon d’Aviernoz, de BarruelSaint-Pons, de Villette. Elles n’avaient pas grand style, ces demeuresqui, parfois, se complétaient d’un jardin. Je pourrais vous y fairepénétrer, mais vous n’y verriez rien de bien curieux sinon le décord’existences aisées, dignes, tranquilles, le plus souvent pieuses ethéréditairement provinciales. Des figures d’autrefois nous yaccueilleraient. Vous vous assoiriez en des salons sobrement meublés.Vous y entendriez des propos de petite ville, de religion ou depolitique, tandis qu’au dehors le tambour de la mairie annonceraitquelque objet perdu, quelque vente aux enchères, quelque arrivée deforains et que, dans le ciel, sonneraient les cloches appelant lesfidèles aux Vêpres ou au Salut.
Au lieu donc de nous enfermer dans ce passé, continuons notre promenadepar les
Fossésen passant devant l’Hôpital et saluons au passage unevieille tour, reste de l’enceinte fortifiée du vieux Paray. Prenonscette étroite ruelle. Nous voici sur une des deux places de la ville.Celle-ci se nomme la Place Dargaud ; l’autre s’appelle la Place duMarché. Une troisième, qui est plutôt une esplanade, sert de champ defoire. C’est le long de ce champ de foire que s’étend le
Cours. Ilsuit le tracé des anciens remparts. Il est planté d’antiques tilleuls,pourvu de bancs de pierre et encadré de parapets de pierre, où sont, deloin en loin, pratiquées des ouvertures. Un certain nombre de maisonsont sur ce Cours des terrasses, des entrées, des vues. Le Cours est unendroit généralement désert, sauf aux jours de foire où il s’encombrede boutiques en plein vent, tandis que le bétail occupe l’esplanade etl’anime du mugissement des boeufs, du meuglement des veaux, du bêlementdes moutons et du cri diabolique des cochons. Au bout du
Cours ontourne dans la rue du Périer, étroite et commerçante, puis on traversela Bourbince sur un double pont. Auprès de l’un d’eux, la rivière faitmouvoir la roue d’un moulin. Ensuite c’est l’avenue de la Gare, le pontdu Canal, la gare avec sa marchande de livres et de journaux, sesomnibus d’hôtels : de l’
Hôteldu Lion d’Or, de l’
HôteldesTrois-Pigeons, de l’
Hôtelde la Poste, son jardinet où jaillit,parmi de maigres arbustes, un mince jet d’eau.
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Cette gare, ces rues tranquilles, ce Cours, ces platanes, l’égliseclunisienne, la chapelle de la Visitation, toute cette petite ville,endormie auprès de sa lente Bourbince, cette solitaire où les passantssont rares, je l’ai vue, en de lointaines années, débordante d’unefoule enthousiaste et recueillie, vibrante de prières et de cantiques,regorgeante de pèlerins venus de tous les coins de France, entassésdans les hôtels, logeant où ils pouvaient, campant dans l’église,dormant en pleine rue, la nuque au rebord des trottoirs. C’était, aprèsla guerre de 70, au temps des grands pèlerinages du Sacré-Coeur. LaFrance vaincue adorait dans les plaies divines l’image de ses propresblessures et implorait au pied des autels la guérison de ses maux.L’antique dévotion au Sacré-Coeur de Jésus avait repris un élanprodigieux. Les « trains de pèlerins » se succédaient. En longuesfiles, le scapulaire au cou, le « Coeur » épinglé au corsage ou auveston, pèlerins et pèlerines se formaient en processions, guidés parleur clergé. Les cierges allumés brûlaient aux mains pieuses. Des brasconvaincus haussaient de lourdes bannières. Les voix entonnaient lecantique :
SauvezRome et la France. Cardinaux, archevêques, évêques,prélats convoyaient le cortège vers le Sanctuaire. Peu de malades, carles miracles manquaient. Paray n’avait pas, comme Lourdes, sa piscinede guérison. A la tête de la procession, parmi le haut clergé, onvoyait s’avancer un homme qui boitait un peu, à la figure énergique etmartiale qu’allongeait une barbiche grise. C’était le commandant deszouaves pontificaux, le général Baron Athanase de Charrette, l’héroïqueet glorieux soldat de Loigny et de Patay, portant la bannière que seszouaves avaient tachée de leur sang dont les gouttes rougissaientencore la blanche étoffe. Aux offices, ce magnifique insignes’inclinait devant l’ostensoir. Le général de Charrette exerçait unprestige inouï et jouissait d’une sorte de popularité sacrée. Ildistribuait en souvenir de petites broches en forme de glaive quiportaient la devise :
Inhoc signo vinces. On m’obtint de don d’un deces bijoux. Je l’ai toujours conservé. Quand je le regarde, je revoisla prestance du général, le sang de sa bannière héroïque ; j’entends lepiétinement des pèlerins, le chant des cantiques. Je revois la flammedes cierges, l’or des crosses et des mitres épiscopales ; je revoistoute la pieuse rumeur qu’apportait dans Paray la sorte de chouanneriereligieuse que formait cette foule, aux coeurs épinglés, où seconfondaient hommes et femmes de tout rang et qui s’écoulait dans unbourdonnement de psaumes récités, en remplissant de sa rumeurliturgique et populaire cette petite ville soudain tumultueuse qui, leflot passé et les foules détournées vers Lourdes, est retombée ausilence et à la visite des piétés individuelles et n’a conservé dessaintes cohues qui s’y pressèrent pendant un temps que quelquesboutiques où l’on vend des images du Sacré-Coeur et des feuilles dunoisetier de l’Apparition, cette petite ville qui sommeille doucement,au murmure de ses platanes, à l’ombre de sa basilique romane et de sonprieuré, parmi ses grasses prairies et ses beaux labours, dans le calmede son passé monacal.
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J’ai dit qu’il y a deux places à Paray : l’une la Place Dargaud ;l’autre la Place du Marché. Elles sont séparées par un groupe demaisons et différent en ce que la Place du Marché est commerçante etque la Place Dargaud ne l’est point. Sur la Place du Marché se tientnaturellement le marché. On y voit aussi plusieurs boutiques : cellesdu drapier et du mercier, du coiffeur et du ferblantier. Il y a aussiun café. La seule maison privée de la place est une maison en pierrequi a deux étages avec trois fenêtres en façade par étage. C’est làqu’habitaient mon grand-père et ma grand’mère maternels. Cette maisonavait pour voisine la maison Villedey qui empiétait un peu sur la PlaceDargaud. Sur cette place Dargaud dans une autre maison, aussi à deuxétages et à trois fenêtres par étage, habitait mon arrière-grand’mère.Après sa mort, un frère de mon grand-père l’occupa, puis elle passa àl’un de mes oncles et enfin à ses filles. Chacune de ces maisons étaitpourvue d’un jardin ; celui de la maison était Place Dargaud qui était,comme je l’ai dit, à ma bisaïeule, Mme de Guillermin, se trouvait dansle faubourg de l’Hôpital. Il était assez grand, carré, entouré de hautsmurs, et n’avait de remarquable qu’un plant de magnifiques framboisiers.
A ce jardin je préférais de beaucoup celui de la maison de la Place duMarché, de la maison Curley, comme on l’appelait, du nom de mesgrands-parents. Il était situé, ce jardin, au-delà du Cours,entre lechamp de foire et une vaste prairie : le
Pâquier, qui est unbiencommunal et s’étend jusqu’à la Bourbince. Ce jardin non plus n’avaitrien de particulier. Son long rectangle était divisé en carrés auxallées bordées de fraisiers. Enclos par un mur trop bas, il n’étaitguère à l’abri des maraudeurs. Ses poiriers, ses pruniers, ses pêchersen espaliers étaient souvent dévastés. A peu près au milieu du jardins’élevaient un noisetier et un mûrier. A leur ombre s’abritait un banc.Non loin de là se trouvait un réservoir où l’on descendait par uncertain nombre de marches et d’où une pompe amenait l’eau dans une cuvede pierre que l’on appelait la « bachasse ». A l’un des bouts du jardins’élevait un pavillon où l’on conservait des graines de semences et desoutils de jardinage. Un des attraits de ce jardin consistait end’innombrables lézards et une grosse tortue que l’on apercevait parfoistraînant sa carapace parmi les salades. Souvent, après le déjeuner, «on allait au jardin ». Ma grand’mère, ma mère, mes tantes y cousaientsous le noisetier. J’y rôdais durant de longues heures, enfant ; plustard, jeune homme, j’y venais parfois lire et rêvasser. Quelquestendres souvenirs d’adolescence sont liés à cet humble enclos.
Ici, je m’arrête. Ce ne sont pas des « Souvenirs d’enfance » ou plusprécisément des « Souvenirs de mon enfance » que je voudrais fixer. Jen’ai pas grand goût chez les autres pour ces réminiscences puériles oùl’on se considère un peu trop comme le « centre du monde ». Pour sejustifier, les souvenirs d’enfance doivent être ceux d’une enfanceexceptionnelle. C’est le cas d’un Chateaubriand, à la rigueur d’unRenan, d’un Loti, mais il est des enfances plus modestes et plusordinaires qui n’eurent rien de particulier que d’être heureuses etchoyées et qui ne comportent ni événements mémorables ni impressionsbien originales. Ces enfances appartiennent à ceux qui les ont vécues,mais ne contiennent rien qui mérite d’être donné en exemple ou enspectacle. Elles sont notre intime bien et nous ne devons soulever quebien légèrement le voile qui les recouvre. En un mot je ne suis paspartisan de « l’égotisme » prématuré. J’admire, certes, la façon dontle pratique un Henry Brulard, mais je n’ai point le dessein del’imiter. En revanche, ce qui me semble fort permis et ne me sembleentaché d’aucune outrecuidante vanité égotiste, c’est d’évoquer le plusobjectivement possible les lieux où vécurent notre enfance et notrejeunesse, de noter les aspects des choses qui nous ont entouré oufrappé, de fixer l’image des êtres chers ou familiers, trop vitedisparus de notre vie, de rapporter ce que nous savons d’eux par cequ’ils nous ont appris les uns des autres ou ce que nous en avonsappris ou observé par nous-mêmes. C’est à ce sentiment que j’obéis entraçant les lignes qui vont suivre. Ce ne sont pas, je le répète, des «Souvenirs d’enfance » que je tente de rassembler ici, mais des «Souvenirs de famille ». Je sais bien que la démarcation est assezdifficile à maintenir et qu’il arrivera que parfois peut-être j’aurail’air de me « mettre en scène ». Qu’on voie donc dans ce que je viensde dire une intention plutôt qu’un engagement absolu. Je ne réponds pasde ne jamais laisser apparaître, parmi les figures de jadis dont il vaêtre question, la silhouette d’un petit garçon qui venait en vacanceschez ses grands-parents ou d’un jeune homme qui sentait se former sespremiers sentiments et ses premiers rêves.
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La première figure familiale qui se présente à ma mémoire est celle demon arrière-grand’-mère maternelle, Mme de Guillermin, que l’onappelait « grand’maman Justine ». Elle était la fille de M. deSermizelles, commandeur de l’ordre de Saint-Louis et d’une demoiselleBizouard de Montille. Elle avait épousé en 1809 mon bisaïeul, Alphonsede Guillermin, fils de Jean-Baptiste-Alphonse de Guillermin, Capitainede Cavalerie, et de Madeleine Chevalier des Raviers. Ces Chevaliersétaient originaires de Bois-Sainte-Marie. Un membre de cette familleavait été Curé de Paray au milieu du XVIIIe siècle. Un autre, JeanChevalier des Raviers, brigadier aux Gardes du Corps de Roi en 1788,était mort à Paray en 1814. Les Guillermin, eux, étaient venusd’Avignon dans le Lyonnais et le Mâconnais, puis s’étaient établis àParay. L’un d’eux, Antoine de Guillermin, Seigneur de Monpinay, avaiteu de sa femme, Marie-Cunégonde de Foudras, un fils Antoine-Hilaire,Lieutenant-Colonel d’Infanterie, Comte de Courcenay par érection decette terre en comté, en janvier 1772. Il avait épousé, le 8 mars 1769,Antoinette-Delphine de Busseul, d’une très ancienne maison duCharollais remontant à Hugues de Busseul qui, en 1040, souscrivit unedonation faite à l’Abbaye de Cluni. Une fille de François-Gabriel deBusseul, Comte de Saint-Sernin, mariée en 1659 à Antoine Le Prêtre deVauban, Lieutenant-général et grand-croix de Saint-Louis, lui apportaen dot les terres de Saint-Sernin et de Boyer qui furent érigées par leroi Louis XV en comté sous le nom de Vauban. Un Antoine-Léonard, Comtede Busseul, Lieutenant-colonel du Royal Cavalerie, dont le filsLouis-Antoine, Lieutenant général et Commandeur de Saint-Louis, mourutà Paray en 1851, figure parmi les gentilshommes qui assistèrent, le 20mars 1789, à l’assemblée du Baillage du Charollais pour l’élection desdéputés aux Etats Généraux, en même temps qu’un Guillaume-Alexandre deGuillermin, Seigneur de Saint-Romain ; mais de tous les Guillermin,aucun n’excita plus mon imagination d’enfant que celui que représentaitune énorme toile enfumée, pendue dans la salle à manger de mesgrands-parents. Ce héros portait cuirasse et était coiffé d’un casqueemplumé. L’épée à la main et l’écharpe blanche en sautoir, posté sur untertre, il dirigeait une bataille furieuse et minuscule oùs’évertuaient des soldats lilliputiens. On distinguait dans la mêléedes lignes de cavaliers et de fantassins. L’éclair des canonsrivalisait avec le feu des mousquets. Tout cela était peint avec unetouchante et orgueilleuse naïveté, aussi bien les escadrons, lesbataillons et les batteries que le Guillermin de taille démesurée quiprésidait en géant à cette bataille de nains, la bataille des Dunesm’avait-on dit, mais je n’ai jamais pu savoir quel rôle y avait joué enréalité le Guillermin cuirassé, empanaché et écharpé qui faisait sialtière figure dans cette imagerie guerrière et picturale, étroitementliée dans ma mémoire au souvenir de la « grand’-maman Justine ».
Lorsque je la connus, elle me paraissait aussi vieille que le tableau,avec le personnage principal duquel je lui trouvais une vagueressemblance. Elle était en effet à cette époque extrêmement âgée,étant née bien avant la Révolution, probablement vers 1780, et quand jefus en âge de me la rappeler, elle était déjà plus que nonagénaire.Elle vivait seule avec sa servante nommée Mariette dans sa maison de laPlace Dargaud. On s’y trouvait, la porte de la rue ouverte, dans unlong corridor sur lequel donnait le salon. Ce salon était carrelé derouge, peu meublé. J’y revois des fauteuils de forme Empire, à siègeset à dossiers de crin ou de velours d’Utrecht. Au milieu, un grandguéridon. Dans un coin, une table à jeu. Près de la cheminée, unportrait du Commandeur de Sermizelles avec son cordon rouge.C’est dans ce salon que se tenait d’ordinaire « grand’-maman Justine ».Jeune, elle avait, paraît-il, été jolie et elle était restée longtempscoquette et gourmande. On disait qu’en 93, le jour de la mort de LouisXVI, son père, bon royaliste, l’avait fouettée pour qu’elle ne perdîtjamais le souvenir de cet événement historique. Lorsque l’on me menaitchez elle, je la trouvais assise dans sa bergère. Elle portait unesorte de caraco en taffetas noir ou violet et, aux mains, des mitaines.Elle était coiffée d’un chapeau en forme de capote auquel était fixé untour de faux cheveux qui encadrait ses joues par deux papillotes enboudin. Elle ne quittait jamais ce chapeau et le gardait même au bain,les brides relevées et attachées à la nuque. Elle avait le visagecoloré, le nez long, les yeux éteints par l’âge. Elle avait été fortjoueuse et surtout au reversi. Elle continuait à faire d’interminablesparties de cartes avec une voisine qui se nommait Mme Bouthier etqu’elle appelait « ma mie ». J’assistais parfois à leur jeu, pleind’admiration pour les jetons blancs, rouges et verts. « Grand’mamanJustine » ne s’interrompait que pour rajuster ses lunettes sur son nezbourré de tabac, prendre une prise à sa tabatière ou, dans une petitebonbonnière en écaille ornée d’étoiles d’or, m’offrir des pastilles dechocolat. Lorsque je venais voir ma bisaïeule, je ne quittais guère cesalon. Ce ne fut que plus tard que je parcourus le reste de la maison.Un été, avant qu’elle fût habitée de nouveau, après la mort de «grand’maman Justine », je passais de longues heures à rôder dans sespièces à demi démeublées. J’y avait découvert un Jésus en cire, sous unglobe, une épée d’officier et, sur un rayon, les oeuvres complètes duCardinal de la Luzerne, plus un petit pot de fard de Portugal. «Grand’maman Justine » avait tout pour devenir centenaire et si, de peu,elle manqua de vivre son siècle, ce fut par accident. Chaque soir aprèsdîner, elle avait l’habitude de venir passer la soirée chez sa fille. Al’heure du départ, « grand’maman Justine » frappait avec ses mains ets’écriait : « Mariette, ma lanterne ! » Mariette apportait la lanterneet les deux vieilles regagnaient le logis. Un soir de vent, «grand’maman Justine » tomba et se fractura le col du fémur. Elle vécutencore quelque temps et s’éteignit doucement. Elle repose au cimetièrede Paray, à côté de son mari qui l’y avait précédée depuis longtempsdéjà.
Il était né en 1780 et c’était, m’a-t-on conté, un singulier personnageque mon bisaïeul Alphonse de Guillermin. C’était ce qu’on appelle unfieffé original. Grand chasseur, il était aussi lecteur intrépide,sachant l’espagnol et l’italien. J’ai même retrouvé quelques petitsvers de sa façon. Ils ne sont pas fameux, mais sa conversation était,paraît-il, des plus brillantes. Il était éloquent, spirituel,caustique, mais d’une incroyable sauvagerie, fuyant le monde et tout lemonde. Quand on le voulait voir, il fallait le surprendre et pénétrerpar ruse dans sa maison, sans quoi il s’esquivait au coup de sonnette.Saisi à l’improviste, il se résignait et se montrait le plus aimablepartenaire qui fût. Il adorait la politique et le prouva dans sadernière maladie. A l’agonie, il s’imaginait à la tribune de la Chambreet prononça un discours admirable. Je n’ai de lui aucun portrait.
De leur mariage M. et Mme de Guillermin n’eurent qu’une fille,Marie-Madeleine-Octavie, ma grand’mère, qui épousaAlexandre-Philibert-Joseph du Bard de Curley. Dans un petit essaiintitulé
Lestrois fils de Madame de Chasans et qui fait partie demon volume de
Prosesdatées, j’ai dit d’où venaient et ce qu’étaientces du Bard, qui portèrent les noms de Curley, Ternant et Chasans, cedernier leur étant échu avec la terre de Chasans apportée en dot à undu Bard, en 1662, par sa femme Marie de Saumaise de Chasans. Je nereviendrai donc pas sur ces détails de famille. J’ajouterai seulementque ce ne fut qu’après 1830 que mon grand-père Alexandre de Curleyvint, de Beaune, s’établir à Paray, ayant démissionné, lors de laRévolution de Juillet, de sa place de receveur des Contributionsdirectes. Cette démission montre que mon grand-père était légitimiste.Il le demeura jusqu’à la fin. Il conservait, précieusement encadrée,une feuille de papier portant la signature de Monseigneur le Comte deChambord. Elle était placée dans le salon, sous un grand et assezcurieux portrait de l’érudit Claude de Saumaise, dit le Docte, attribuéà Philippe de Champagne, qui était, avec celui du Sieur NicolasBarrault, maire d’Autun en 1703, le principal ornement de ce salon dontle seul meuble de prix était une assez belle commode Louis XVI en boisdoré.
D’ailleurs pas plus que par son mobilier n’était remarquable par sonarchitecture la maison que mes grands-parents habitaient à Paray. Elleétait sans caractère, quoique ancienne. Elle avait été acquise d’unecertaine Mme de Macheco et présentait la commodité d’avoir doubleentrée, l’une sur la Place du Marché, l’autre sur le Cours. Elle étaitassez vaste et comprenait même, à côté de la cuisine, une remise quiabritait une antique berline de voyage. Cette cuisine, avec la petitepièce qu’on appelait « la bassie », était le domaine de la vieilleFrançoise, type admirable des servantes d’autrefois. Mais cette maison,je l’ai décrite fort exactement dans une nouvelle :
Les Jours heureuxqui figure parmi celles du
Trèfleblanc, dans le volume qui a pourtitre :
Couleurdu temps. Ce qui est assez rare dans mes écrits,presque rien de ce petit ouvrage n’est imaginé (2). Presque tout y estréel jusqu’à l’épisode de vie enfantine qui en forme le sujet. J’yrenvoie donc le lecteur. Il y trouvera un portrait assez ressemblant demon grand-père Curley ou du moins l’image que j’ai gardée de lui. Detout ce que j’en ai pu apprendre par la suite, mon grand-père était unhomme bon et sévère, très droit, un peu dur, entêté, de physionomiegrave. Ses filles l’adoraient. Une chute l’avait rendu presqueimpotent. Il marchait avec une extrême difficulté et ne quittait guèreson fauteuil. Son hiver se passait presque entièrement au coin du feu,où il se chauffait ainsi que les couleuvres qu’il s’amusait à élever.Les cartes étaient sa principale distraction. Les silences du whistconvenaient à son caractère taciturne. Chaque jour, on « venait jouer »chez lui et il s’y tenait un petit cercle d’amis, car il était fortconsidéré, malgré certaines brusqueries et certaines colères. Je lerevois dans son fauteuil, avec de beaux yeux sous d’épais sourcils, uneforte barbe grise, un teint jaune, parfois debout pour une brève etpénible promenade au jardin, puis, enfin, à ses derniers jours, face desouffrance creusée, dans l’ombre d’un lit à rideaux et le front entouréd’un madras à ramages.
C’est dans cette chambre, qu’elle occupa après la mort de mongrand-père, que je retrouve le mieux ma grand’mère. Les êtres nousimposent un certain décor qui devient le cadre nécessaire du souvenirque nous conservons d’eux. C’est devant sa table à jeu que je revois lemieux « grand’maman Justine » ; c’est dans son fauteuil devalétudinaire, les mains croisées sur la béquille de sa canne, que jerevois le plus nettement mon grand-père Curley. Ma grand’-mère n’estpour moi bien elle-même que dans cette chambre, où elle se tenaitvolontiers. Elle y faisait ses comptes et ses dévotions. Elle yrecevait ses deux fermiers, les jours de foire. Elle s’y enfermait, lesjours d’orage, volets clos et cierges allumés. Elle y récitait sesprières et y égrenait son chapelet devant les images de piété qu’ellevénérait. Un beau vieux secrétaire lui servait à ranger ses papiers.Son lit était placé dans une alcôve. A la chambre était joint un petitcabinet de débarras, contenant quelques livres. C’est là que j’aitrouvé le
Traitéd’hydraulique de M. de Belidor, dont les planchesfaisaient mes délices autant que celles du
Traité d’architecturedeBlondel, dont je possède encore les dix volumes reliés en veau. Magrand’mère ne quittait guère sa chambre que pour aller au salonrecevoir ses visites, mais elle aimait encore mieux en faire qu’enrecevoir ; ces allées et venues tenaient une place importante dans savie, ainsi que l’assistance aux offices. De chez ses amies, magrand’mère rapportait les propos de la ville. L’une d’elles répondaitau prénom d’Isaure, que je trouvais bizarre et qui m’enchantait. Cesvisites causaient à ma grand’mère de grands plaisirs et de continuellesanxiétés. Son souci le plus sincère était d’éviter la médisance enconversation et elle vivait dans la crainte de « manquer à la charité», car elle était fort pieuse et extrêmement scrupuleuse. Les «scrupules » de conscience l’empêchaient de goûter beaucoup de chosesqui l’eussent intéressée, car elle était solidement instruite et d’uneremarquable intelligence. Elle tenait de son père, grand lecteur ethomme d’esprit, qui lui avait fait donner une bonne éducation, dans unpensionnat de Paris, alors en renom, celui de Mlle Daubrée. Cettepersonne était en relations avec Chateaubriand, qui ne dédaignait pasd’assister parfois aux cours et d’examiner les meilleures compositionsfrançaises des jeunes élèves. Ma grand’mère se souvenait d’avoir ludevant le grand homme un devoir de sa façon qui avait pour sujet ladescription d’un feu d’artifice, et que M. de Chateaubriand avaitdaigné apprécier. Malgré ce souvenir, ma grand’mère ne me vit pas sansappréhension aborder la carrière des Lettres. Mes vers de jeune hommene ressemblaient pas assez aux nobles pages de M. de Chateaubriand. Jecrois cependant que ma grand’mère m’aimait bien, mais elle était peuexpansive. Elle avait un visage régulier et expressif. De grossespapillotes grises roulées lui descendaient le long des joues. Elleportait un bonnet de dentelles et j’entends encore dans le passé lebruit des aiguilles d’acier de son tricot dont elle laissaitfréquemment échapper les mailles. Malgré les réserves qu’elle yfaisait, je sais qu’elle ne fut pas insensible à la bienveillanteattention qui accueillit mes débuts dans l’art des vers, mais elle eûtpréféré au fond d’elle-même que je m’en tinsse à l’art héraldique pourlequel mon adolescence avait témoigné d’un goût singulier.
Ce goût m’avait été donné par une circonstance de famille. A la mort dema bisaïeule, Mme de Guillermin, le frère de mon grand-père Curley,l’oncle Jules, comme on l’appelait, avait acquis la maison de la PlaceDargaud et était venu l’habiter. Il avait apporté avec lui son cabinetde généalogiste amateur : in-folios de Moréri et du Père Anselme,recueils de d’Hozier, annuaires de la noblesse de Borel d’Hauterive,Dictionnaires nobiliaires de la Chesnaye des Bois et de Saint-Allais,armoriaux de toute espèce qui lui servaient à composer une histoire dela maison de Saumaise qu’il publia et qui l’entraînait à de minutieusesrecherches d’archives. J’étais trop jeune pour le suivre dans lesméandres et les labyrinthes des ascendances et des alliances et j’étaisalors moins généalogiste qu’héraldiste. Inapte à dresser un « arbre »avec toutes ses branches, je me contentais de la lecture, du dessin etdu coloriage des blasons dont je formais de volumineux albums. Cetravail emportait l’assentiment de tous, car il me tenait de longuesheures en compagnie de mes pinceaux, de mes godets, de mes couleurs etm’avait valu l’amitié de mon bon oncle Jules.
L’oncle Jules avait deux enfants de sa première femme, une demoiselleSousselier de la Tour, une fille, et un fils qui fut le Révérend Pèrede Curley, de la Compagnie de Jésus, auteur de plusieurs ouvrages dethéologie et d’histoire. Au-dessus d’un corps gigantesque, le Père deCurley dressait une tête glabre et sérieuse. L’oncle Jules ne le cédaitguère en hauteur à son Jésuite. Très grand, très maigre, très courbé,chauve avec une longue figure encore allongée par une longue barbegrise en pointe, il portait d’interminables redingotes et avait un aird’ecclésiastique en civil. C’était un homme bon, doux, timide,cérémonieux, très bien avec tous les Pères Jésuites de la Maison deParay, mais qui n’était vraiment à l’aise que devant ses in-folios, sesfiches et ses parchemins. Sa femme, la seconde, car il s’était remariésur le tard avec Mlle Claire de Valleton, Avignonnaise, formait aveclui un parfait contraste. Haute en couleur et en propos, pourvue d’unsuperbe accent méridional, un corps trapu et ramassé, un visage auxgros traits et à petits yeux, un teint qui passait du violet àl’écarlate, de l’aubergine à la tomate, le tout surmonté d’un bonnet àrubans. C’était une excellente femme, pleine de verve et de bonhomie.Quand elle mourut après l’oncle Jules, la maison passa à mon oncle M.Achille Barrié qui avait épousé une soeur de ma mère. Leur fils JosephBarrié, commandant du 13e bataillon de Chasseurs alpins, futmortellement blessé à l’Hartmannsvillerkopf.
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Ce n’est point facile, quand on ne leur peut donner que de médiocresdots et ne leur offrir que de médiocres « espérances », ce n’est pointfacile de marier cinq filles, surtout dans une petit ville de provinceoù les « partis » sont rares. Pour y parvenir on fait appel auxrelations de famille, aux entremises amicales. Ce fut ainsi que mesgrands-parents marièrent leur fille aînée Mathilde. J’ai dit plus hautqu’un certain Antoine de Guillermin, Seigneur de Monpinay, Lieutenantau régiment de Provence, avait épousé une certaine Marie-Cunégonde deFoudras. Cette alliance avait maintenu des relations entre lesGuillermin et les Foudras. Une autre Guillermin de Monpinay avaitépousé un Antoine de Saint-Priest de Sainte-Colombe et leur filleColombe de Saint-Priest de Sainte-Colombe était en 1831 devenue lafemme de Charles-Antoine-Gilbert, Comte de Pons. Or, ce Gilbert de Ponsavait eu pour père Marie-Louis-Richard, Comte de Pons, Seigneur de laBâtie, d’une branche dauphinoise de la très ancienne et très illustremaison des Sires de Pons (3). Ce comte de Pons, né en 1771, avait servitout d’abord au régiment de Royal Infanterie, puis ayant émigré, ilavait fait les campagnes de l’armée des Princes dans les Chevaliers dela Couronne et les Chasseurs nobles du Berri. A son retour en France,en 1802, il avait épousé Paule-Marie-Delphine de Foudras, filled’Antoine-Gilbert de Foudras d’Aurigny et de Anne-Marie de Mont-d’Or.Je possède un petit portrait au crayon de ce vieux brave, qui, à laRestauration, avait été nommé gouverneur de la Citadelle deMont-Dauphin dont il fit en 1830 le dernier point de France où flottale drapeau blanc et j’ai aussi entre les mains une miniature de safemme. Elle n’est pas belle, malgré une coiffure bouclée et pomponnée.Elle porte une robe blanche à taille haute. Son cou est enserré d’unecollerette de tulle. A son corsage pend par un ruban noir une croix deMalte, car Delphine de Foudras était Chanoinesse de l’Ordre. Auprèsd’elle, sur un meuble, est posé le buste du roi Louis XVIII (4).
Outre leur fils aîné Gilbert, M. et Mme de Pons avaient eu plusieursenfants. L’un d’eux portait comme son père les prénoms de Marie-Louis-Richard. Il était né en 1804. Engagé comme simple soldat dansl’infanterie, il s’était distingué à l’attaque de la barricade duCloître Saint-Merri et avait été fait chevalier de la Légion d’honneur,de la main même du roi Louis-Philippe. D’humeur aventureuse, il avaiten 1836 gagné l’Espagne et pendant sept ans il y avait servi dansl’armée carliste sous les ordres de Cabrera, Comte de Morella. Il enavait rapporté de brillants états de service, le grade de capitaine etles croix de Saint-Ferdinand et de la Fidélité Constante, ainsi que denombreuses blessures dont une balle dans le genou. A son retourd’Espagne, il s’était retiré au Château de Fontaine, près de Grenoble,et en 1854 il épousa l’aînée des cinq filles de mes grands-parents :Mathilde-Marie-Madeleine. Plus tard M. et Mme de Pons vinrent se fixerà Paris, et, en 1870, pendant le siège, M. de Pons reprit du serviceavec le grade de capitaine dans le Génie. A la bataille de Champigny,il fit prisonniers de sa main quatre Bavarois. Du siège de Paris, deses guerres carlistes en Espagne, l’« oncle Richard » avait rapporté demagnifiques histoires dont il enchanta mon enfance et ma jeunesse.C’était un homme à la maigre figure énergique, d’allure militaire, trèsastiqué, violent et bon, querelleur et exalté, de coeur généreux etdigne de celle qu’il avait épousée et qui fut une des plus profondes etdes plus tendres affections de ma vie.
Cette soeur, sa soeur Mathilde, était la soeur préférée de ma mère dontlemariage suivit d’assez près celui de son aînée. Ce furent aussi desrelations de famille qui unirent Thérèse-Adélaïde-Adrienne du Bard deCurley et Henri-Charles de Régnier. Pour les expliquer, je suis obligéd’entrer dans des détails de parentés un peu minutieux, mais auxquelsse prête complaisamment ma vieille passion de généalogiste. Mongrand-père Charles-François-Henri de Régnier avait épousé, le 11janvier 1816, Marie-Charlotte-Françoise-Joséphine de Léonardy, fille deLouis-Joseph de Léonardy, officier au régiment de Beaujolais, et deClaudine-Madeleine de Guillermin. Or, ce Louis-Joseph de Léonardy avaiteu pour père Jacques--Joseph de Léonardy, Seigneur de Maleroux,Capitaine au régiment de Lowendahl dont la fille Henriette-Charlotteavait épousé, le 30 novembre 1779, mon bisaïeul François de Régnier,Seigneur de Vigneux et de Rocan, Capitaine au régiment deRoyal-Dragons. De ces alliances résultait entre ma mère et mon père uncertain cousinage qui provenait du mariage de Louis-Joseph de Léonardyavec Claudine-Madeleine de Guillermin, fille d’Antoine de Guillermin,Seigneur de Neusières, Capitaine au régiment de Provence-Infanterie. Cemariage, dont j’ai sous les yeux le contrat passé à Paray le 29novembre 1784, ne fut pas heureux. Les jeunes époux, quoique du mêmeâge, étant tous deux nés en 1762, ne s’accordèrent que médiocrement etce mariage d’amour, car c’en était un, ne produisit qu’un assez mauvaisménage. Le brillant officier au régiment de Beaujolais ne fut pas lemodèle des époux. Le régiment de Beaujolais avait été envoyé à Paraypour contribuer au creusement du canal du Centre. Au XVIIIe siècle, onemployait volontiers, en temps de paix, l’armée à des travaux utiles.Tout en les surveillant, le jeune officier, introduit chez lesGuillermin, faisait à Claudine-Madeleine une cour assidue donts’ensuivit le mariage et, juste un an après, le 29 décembre 1785, lanaissance de la petite Marie-Françoise-Charlotte-Joséphine qui fut magrand’mère et vécut jusqu’en 1847. Quant à Louis-Joseph de Léonardy, laRévolution le fit émigrer. Je ne sais trop ce qu’il devint, sinonqu’ayant obtenu le divorce, il se fixa à Hambourg et s’y remaria. Il yétait encore le 11 janvier 1816 lors du mariage de sa fille avec mongrand-père. On dit qu’il y menait vie de tripot, qu’un soir au jeu, surla mise d’une pincée de tabac, il gagna un monceau de louis qu’ilreperdit aussitôt. Il était connu là-bas sur le surnom du « BeauFrançais ». La miniature que je possède de lui justifie ce sobriquetflatteur. Il y porte l’uniforme blanc à parements et à revers cramoisisdu régiment de Beaujolais. Il est charmant sous la poudre avec safigure spirituelle et son air évaporé. Au dos du cadre, les lettres Let G, en cheveux, entrelacent leurs initiales conjugales, fallacieuxemblème d’une union que la Loi finit par rompre après que le coeurl’eutdénouée !
Si le « beau Français » émigra, sa femme ne le suivit pas en exil. Jecrois qu’elle ne fut pas inquiétée, quoique son mari eut assisté à laréunion de la Noblesse du Baillage du Charollais, le 20 mars 1789.L’ordre envoya aux Etats Généraux pour l’y représenter deux députésdont l’un fut Etienne Meynaud de Lavau, Capitaine dans Orléans-Dragons,qui avait épousé Marie-Jocobée-Sophie de Guillermin, soeur deClaudine-Madeleine. Mme de Léonardy demeura donc à Paray. Elle yhabitait rue Dame-Dieu et ce fut, d’après ce que l’on m’a conté, uneétrange personne. Elle était de haute taille, l’air hommasse.Populacière et sarcastique, le verbe brusque et piquant, elle excellaità donner des ridicules et à amuser. Elle était grande affubleuse desobriquets. Toute la ville y passait. Elle qualifiait les gens de «guenon de nature » ou de « guenon du genre humain », invectives dont lesens me demeure mystérieux. Un soir, elle arrive au bal, les mainsécorchées. « Où vous êtes-vous fait cela ? » lui demande-t-on. « Enécaillant mon poisson. » Elle aimait la toilette et s’en fabriquaitd’incroyables qu’elle portait fièrement par les rues. Quand elle mariasa fille à mon grand-père, elle ne voulut jamais revenir de l’église envoiture. Elle rentra à pied, pour se faire admirer. On se souvenaitencore d’un chapeau qu’elle avait eu ; il était en carton d’une formede casserole, recouvert de papier d’argent et garni de plumes de paon.Elle se fardait violemment, sauf pendant la Semaine Sainte et nereprenait son rouge que le jour de Pâques. Elle mourut très vieille,impotente, son lit placé sous l’escalier pour mieux voir qui entrait etsortait et, sous les draps, un bâton caché dont elle battait sesservantes, les accusant de lui voler sa cendre et de l’emporter dans uncornet.
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Mon père ne tenait rien de cet aïeul aventurier et roué et de cetteterrible et baroque grand’mère. Il avait une douceur de caractère, uneégalité d’humeur que son père n’avait pas non plus, car c’était unhomme rude, autoritaire et hautain que mon grand-pèreCharles-François-Henri de Régnier, un homme de l’ancien régime, unci-devant. Les portraits que j’ai de lui me le montrent déjà âgé, detaille moyenne, la tête forte et sévère, le nez aquilin, le front haut,les cheveux blancs, tondus de près, le visage soigneusement rasé. C’estainsi qu’il m’apparaît dans mon souvenir, car il ne mourut que le 9août 1877. Il était né le 24 janvier 1789 au château de Rocan, près deSedan. Enfant, il avait suivi son père et sa mère en émigration etétait rentré en France le 17 prairial an X. Le 10 germinal an XI ilavait obtenu un certificat d’amnistie. En 1815, il avait suivi à Gandle Roi Louis XVIII et s’était enrôlé comme volontaire dans l’ArméeRoyale de Belgique sous les ordres du Duc de Berri, dont lui fut donnécertificat le 26 juillet 1816. Il était à cette époque sous-inspecteurdes Douanes à Armentières. Il en fut par la suite directeur à Lorientet à Vannes. Il avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur parbrevet du 18 mai 1826. Envers lui, mon père fut toujours le fils leplus respectueux et le plus soumis. Mon père aurait aimé être marin,mais sa mauvaise vue l’en empêcha. Dans sa jeunesse, les choses de lamer le passionnaient. A Lorient, à Vannes, il était réputé pour sahardiesse. Naviguant dans la rade ou le golfe sur une petite barque deplaisance, il y fut plus d’une fois en péril, mais il dut cesser sesexploits nautiques pour entrer dans l’Administration des Douanes. En1855, il reçut un poste en Corse, à Bastia. Je possède de lui, de cetemps-là, un cahier de notes écrites en caractères microscopiques,presque indéchiffrables, et rédigées, tantôt en anglais, tantôt enitalien. Mon père savait très bien ces deux langues. Durant un voyaged’Italie, il séjourna à Rome. Ce fut à son retour qu’il épousa ma mère,Thérèse-Adélaïde-Adrienne du Bard de Curley, fille d’Alexandre du Bardde Curley et d’Octavie de Guillermin. Le mariage fut célébré à Paray le26 octobre 1857, ma mère avait 21 ans et mon père 37, lui, étant né àBordeaux le 21 septembre 1820, elle, à Paray le 8 janvier 1836. Aprèsleur mariage, mes parents habitèrent successivement àSaint-Laurent-du-Var, à Bordeaux et à Honfleur où je suis né.D’Honfleur, mon père fut nommé en 1871 receveur des Douanes à Paris.Nous y arrivâmes au lendemain de la Commune. Dans la porte de la maisonoù nous habitâmes quelque temps, boulevard Davout, on voyait encore letrou rond creusé par la balle qui avait traversé le corps d’une «pétroleuse » qu’on avait fusillée là. Mon père était un homme doux etbon, au beau visage clair et coloré, aux yeux très bleus. Sa barbe etses cheveux étaient blancs, d’un blanc argenté, je l’ai toujours connuainsi. Sa vie était ordonnée, simple, assez solitaire. Il fréquentaitpeu le monde, aimait la lecture, les longues promenades. Enfant, ilm’emmenait souvent aux environs de Paris, à Saint-Cloud, à Versailles,causant familièrement avec les gens. Modeste et réservé, il avait unecertaine méfiance de lui-même. Sa piété qui était vive était indulgenteet tolérante et l’aida à supporter la longue maladie qui attrista lesdernières années de sa vie. Je lui garde, ainsi qu’à ma mère, une vivereconnaissance de la bonté avec laquelle ils ont accueilli mon goûtpour les Lettres. Je leur dois les loisirs qui m’ont permis mespremiers essais. Grâce à eux, j’ai pu devenir librement le peu que jesuis. Je leur ai témoigné de mon mieux, quoique bien faiblement, lagratitude que je leur en devais.
Ma mère avait plus de vivacité et de feu dans l’esprit que mon père.Elle l’avait de Bourgogne, alerte, piquant, très observateur,volontiers satirique. Elle aimait fort la société sans y sacrifier sesdevoirs de famille et je garde un souvenir profond de l’infinietendresse qu’elle m’a toujours témoignée. J’ai eu le bonheur de lagarder auprès de moi jusqu’au dernier jour de sa longue, lucide etvivante vieillesse. Sa perte est trop récente et je la ressens tropdouloureusement pour que j’aie la force d’évoquer ici sa chère image.Tout ce que je puis dire, c’est que je lui dois beaucoup de ces notesmémoriales. Ayant quitté Paray après son mariage, pendant longtempselle y retournait presque chaque année et elle m’a conté beaucoup deschoses que je viens de rapporter. Sa mémoire d’octogénaire revenaitvolontiers à la petite ville natale et aux gens qu’elle y avait connus.Parmi ces souvenirs, il en était un qu’elle rappelait volontiers.
Elle avait dix ou douze ans et se promenait dans l’avenue des Platanesen compagnie de son amie Sarah de Champeaux et de Mme de Champeaux samère. Comme elles s’en revenaient elles virent venir à elles un groupeformé de M. et de Mme Dargaud, accompagnés d’un grand monsieur maigre,coiffé d’un chapeau gris et autour de qui sautillait une levretteblanche. On s’arrêta et Mme Dargaud qui était belle parleuse dit aumonsieur à chapeau gris en lui désignant les deux fillettes : «N’est-ce pas, Monsieur, que ce sont deux belles petites cariatides. »Ma mère avait toujours retenu ce mot de « cariatide », pour elle alorsincompréhensible.
Et ce fut ainsi que ma mère fut présentée à M. Alphonse de Lamartine,en visite à Paray, chez son ami l’historien Dargaud.
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Me voici de nouveau, en imagination, sous les grands platanes duCardinal de Bouillon. Peut-être est-ce un de ces jours d’été où leurfeuillage laisse passer les rayons remuants du soleil, peut-être est-ceun de ces jours d’automne où leur écorce serpentine se détache de leurstroncs tachetés. J’aime ce promenoir ombragé. On y est bien pourévoquer les images d’autrefois. Là je revois bien le Paray du temps dema jeunesse. Quels souvenirs y choisirai-je ? Le mariage des troisautres soeurs de ma mère ? Quelles figures y rappellerai-je à ma pensée? Sera-ce le vieux M. Gaspard de Verneuil que je verrai passer sous cesarbres, avec sa perruque et ses souliers vernis ? Sera-ce le petit M.Victor de Chiseuil qui périt à Paray, si mystérieusement assassiné parun meurtrier demeuré inconnu ? Seront-ce mes petites amies de
JoursHeureux, Thérèse et Sophie de Néronde ? Quelle autresilhouettepittoresque ou sympathique ? Sera-ce vous, aimable et bon abbé de laTalais qui, en ce même conte fait de réalités à peine transformées,dissimuliez la vénérable et discrète personne de M. l’abbé Viald’Alais, pendant de longues années curé de Paray et archiprêtre de labasilique, de l’abbé d’Alais à qui j’avais emprunté son orgue, sonhorreur des chiens, sa canne-fusil, pour en orner le personnage dont jem’étais amusé à dessiner l’ombre falote et respectable ? Sera-ce cetétrange Comte Sarasaga, qui, venu d’Espagne, avait fondé à Paray sonétrange Musée Eucharistique ? Sera-ce quelqu’un de ces Parodiens duvieux temps qui, une folie de jeu ayant gagné les Dames de Paray, enavaient été réduits à s’acquitter à leur place des travaux et des soinsdomestiques ? Sera-ce quelque autre de ceux ou de celles dont meparlait ma mère quand elle aimait à remonter aux temps lointains de sajeunesse, au temps où, petite fille, dans sa chambre sans feu, ellecassait la glace de son pot à eau avant de faire sa toilette, au tempsoù elle recevait pour ses étrennes une pièce de vingt sols et uneorange ?...
Ainsi je rêve, sous les beaux arbres, au Paray de jadis et des vieuxâges, au Paray des moines et des abbés, au Paray des guerres dereligion, où retentissait le singulier cri de ses bourgeois, leur motde passe et de ralliement, dont la bizarrerie m’amusait tant et que jerépète et transcris comme je l’ai entendu et sans en bien comprendre lesens :
Inaca, coudribala
A la guyonnet,
Au bon pain frais,
A la Rouette au loup,
Au château foiroux !
Mais les platanes, je ne les quitterai pas avant d’avoir, une dernièrefois, salué l’ombre de Jean-Etienne Bouchu, Marquis de Lessart et qui,à Paray, s’embourgeoisa en y passant, jusqu’à n’en plus sortir jamaiset à y mourir et dont j’ai rencontré, au coin d’une page où Saint-Simonrapporte ses « étranges singularités », la figure emperruquée.Cependant il faut rentrer. Les cloches sonnent. Il est temps deregagner la vieille maison familiale de la Place du Marché et deremonter dans la chambre que j’y ai occupée si souvent et dont lafenêtre s’ouvrait sur les beaux tilleuls du Cours. On y dort bien dansle grand silence provincial. Demain je me lèverai tôt et j’irai faireune promenade dans la campagne. Rien n’est apaisant comme de suivre lecanal dont l’eau plate est bordée de peupliers et où les haleurs mènentà la corde leurs grosses péniches goudronnées.
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Il n’y a pas grandes « curiosités » aux alentours de Paray. Cluni etles ruines de sa magnifique abbaye est à une certaine distance.Charlieu n’est pas très proche, non plus qu’Anzy-le-Duc et sonadmirable église. Restent les châteaux des environs. Celui de Digoinest fort considérable. De belles rangées d’arbres y conduisent. Au boutd’une cour pavée s’élèvent d’importants bâtiments qu’entoure un beauparc. On y rencontrait alors, dans une petite voiture basse traînée pardes chiens, le propriétaire M. de Moreton de Chabrillan. Cela nes’oublie plus, de même que j’ai conservé l’ineffaçable souvenir d’unepetite salle de spectacle et, dans une serre, d’une nymphe en pierre deTonnerre sculptée par Clodion. Peut-être est-ce devant cette statue quej’ai pris le goût de l’art du XVIIIe siècle ? Mais c’est à Cypierre quej’ai, pour la première fois, senti le mystérieux attrait qui ne m’ajamais quitté pour les maisons fermées et les jardins à l’abandon.
Ce château de Cypierre était à petite distance de Paray. Pour y aller,on quittait la route de Charolles après avoir traversé le canal sur unpont de pierre. Un sentier cheminait sous bois, dont une grosse pierrelevée, qu’il fallait enjamber, fermait l’entrée. Bientôt on arrivait enface du château. Je ne puis vous dire de quelle architecture il était,mais je me souviens qu’une horloge y marquait une heure qu’elle nesonnait plus. Les bâtiments de ferme et les communs étaient vides.L’herbe poussait partout et on éprouvait là une étrange impression desolitude. Une vieille femme survenue nous précéda de chambre enchambre, ouvrant une serrure rétive, entre-bâillant une persiennedémantibulée, et c’étaient des pièces à demi obscures ou subitementéclairées dans leur poussière, des meubles aux couleurs fanées,d’antiques lits sous des rideaux usés, des cheminées mortes, desparquets vermoulus dont le bois craquait sous les pas, et des miroirs,des miroirs tachés et coulants, aux reflets verdâtres, et cette odeur àla fois glacée et moisie, cadavérique et végétale qui s’exhale deslieux longtemps inhabités et de la solitaire décrépitude des choses.
Mes grands-parents ne possédaient ni château ni maison de campagne. Lechâteau de Meuilley en Bourgogne qui avait appartenu aux du Bard avaitété vendu. A la rigueur, on eût pu habiter
Les Quarré. C’étaituneassez grande ferme, située sur la commune de Vitry et où subsistait unvieux pavillon à haute toiture que l’on eût pu assez aisément rendrelogeable, mais, à la mort de mon grand’père Curley,
Les Quarré furentmis en vente et ma grand’mère ne conserva plus que deux domaines, celuide Saint-Léger et celui des Platreries qu’on appelait aussi
LeCul-de-Sac. Je le revois avec sa cour, son fumier, sagrande meule depaille, son arbre mort sur lequel perchaient les dindons et son étangtriangulaire, plein de joncs et de roseaux. Quelquefois on meconduisait là goûter avec du lait et de la crème, mais l’expéditionintéressante était la promenade à Saint-Léger, dit aussi
Les Potains.On y arrivait par des chemins difficiles, encaissés de talus, bordés dehautes haies, parsemées de petits chênes étêtés et rabougris. C’étaitun très vieux domaine qui portait gravée au linteau de la porte la datede 1697. Chaque année il fallait réparer et consolider les bâtimentsqui ne tenaient plus, mais les terres étaient bonnes et les présnourrissaient du beau bétail. Le fermier Jean était extraordinairementbègue et la fermière Jeannette une haute femme sèche et digne. Ellevenait parfois à la maison apporter les « redevances », poulets,beurre, que stipulait le bail de location. Quelquefois le vieux Jeanvenait me chercher dans son char à boeufs pour me conduire au domaine.De l’aiguillon il piquait le lent attelage qui s’avançait, le joug auxcornes, emmaillé d’un filet contre les mouches. Au haut de la montée,on s’arrêtait un instant pour laisser souffler les bêtes, devant levieux cimetière dont j’ai parlé au commencement de ces notes et dont lamodeste chapelle, premier sanctuaire des moines de l’Orval, fut bâtiesur les restes d’un temple païen, le « templum antiquissimum » desvieilles chroniques. C’est là que je reviens souvent en pensée, au soirde ma vie, vers les chers disparus dont la mémoire se mêle auxsouvenirs de mes lointaines années. De là je domine la tranquillepetite ville de France à laquelle m’attachent tant de liens de famille,la petite ville que je vois groupée sur les rives de sa Bourbince, avecses rues, ses places, ses maisons, ses jardins, autour de sa vénérablebasilique clunisienne, le Paray-le-Monial de ma jeunesse, leParay-le-Monial des
JoursHeureux et des
Vacances d’un jeune hommesage, à qui j’offre ici ces images de son passé.
Dimanche 2 août 1925, à minuit.
N
OTES:
(1) Pour cette histoire, j’ai consulté utilement l’ouvrage fortintéressant de M. Quarré de Verneuil :
Le Comté de Chalon, leCharollais et la Ville de Paray-le-Monial. I Vol. Mâcon,1876.
(2) Sans qu’il en soit tout à fait de même du petit romanintitulé
LesVacances d’un jeune homme sage, je reconnais y avoirutilisé desimpressions personnelles et avoir donné comme cadre à mon récit unepetite ville qui, je l’avoue, ressemble un peu à Paray-le-Monial.
(3) Dans la généalogie qu’il a dressée de la maison de Pons enDauphiné, d’Hozier ne fait pas mention de cette descendance. Le premierqu’il nomme est Noble François Pons, vivant en 1468 àSaint-Martin-de-Queyrière. Il eut pour arrière-petit-fils Michel Pons.Ce Michel se distingua à l’armée de l’empereur Charles-Quint, lors dusiège de Vienne par Soliman, en octobre 1529. Il fut blessé à l’assautde la Porte de Carinthie. En récompense de sa valeur, l’Empereur luidonna pour armes « ad æternam virtutis memoriam »
deux lions d’oraffrontés, tenant un coeur au naturel avec leurs pattes de devant etfoulant avec leurs pattes de derrière un croissant d’or, au champd’azur, chargé de trois étoiles d’or, avec pour devise:
Caute sedintrepide. Depuis, la maison de Pons ajouta cet écusson àsesarmoiries qui étaient
Echiquetéd’argent et de sable.
Ce sont ces dernières qui se voient encore au coin d’une vieille toileenfumée où Michel Pons est représenté à mi-corps. Il porte la cuirassesur laquelle s’étale un large rabat de dentelles. Son visage est sévèreavec des traits accentués, un teint halé, un visage de montagnard et desoldat qu’encadre une longue chevelure grisonnante. Un autre portraitplus tardif, puisqu’il fut peint en 1669, nous montre Dame Claudine deMareschal de Laval d’Izère, femme de Claude d’Avrieux,Seigneur de la Tour-Forte des Villars, gentilhomme de laGarde de Prince de Piémont, dont la fille Françoise-Alexis d’Avrieuxépousa par contrat du 19 novembre 1690 noble Joseph de Pons, avocat duRoi au Baillage de Briançon. C’est une fort respectable dame que nousfait voir son portrait. Elle a le visage plein et coloré. La coiffureen boucles retombe en papillotes sur le cou qu’enserre un cordon degrosses perles. Deux perles longues lui pendent aux oreilles. Uncorsage noir bordé de dentelles découvre la gorge et les épaules.
Son petit-fils Louis-Bonaventure, Comte de Pons, nous offre de lui uneimage plus plaisante sur un portrait peint en 1787. C’est un aimablegentilhomme au visage fin et avisé sous une petite perruque ronde. Sonhabit marron à parements bleus brodés d’argent ouvre sur un gilet demême étoffe. Il tient sous le bras son tricorne. Né en 1745, deClaude-Joseph de Pons et de Madeleine Roux de la Croix, il est Seigneurde la Bâtie et il a épousé par contrat du 13 juin 1767 Marie-Charlottede l’Argentière. Il a fait ses preuves pour être admis aux honneurs dela Cour et il est monté dans les carrosses du Roi. Son frèreFrançois-Antoine a embrassé l’état ecclésiastique. Il est grand prieurdes Chartreux. Le voici dans une bonne peinture du temps avec sa largeface paisible où il y a de la bonhomie et de l’esprit.
(4) Outre la miniature de Paule-Marie-Delphine de Foudras, je possèdeun pastel représentant sa mère Anne-Maire de Mont-d’Or. Elle y montre,en buste, sous une haute coiffure poudrée, un visage de plus d’espritque de beauté, où il y a de la finesse et de la malice. Le cou estenserré d’une guimpe de tulle. Un noeud bleu ferme le décolleté ducorsage noir où est attaché par un ruban l’insigne des Chanoinesses duChapitre de Neuville. Au revers du cadre une écriture du temps nous ditqu’Anne-Marie de Mont-d’Or naquit le 2 février 1760 et épousa en 1777le Chevalier Antoine de Foudras. Un autre cadre conserve l’image deJérôme-Louis de Foudras, Chanoine-Comte de Lyon, ensuite évêque dePoitiers et abbé de Saint-Liguaire au diocèse de Saintes, mort le 14août 1748, âgé de 70 ans. C’est une figure d’honnête prélat, touteronde sous une perruque ronde, avec un beau camail gris et une bellecroix pendue à un beau ruban rouge. Il était le fils de Camille-Josephde Foudras, Seigneur de Courcenay, officier de Chevau-Légers aurégiment d’Illes, qui avait épousé le 8 octobre 1675 Lucrèce de Revol.
De cette très illustre maison de Bourgogne qui possédait dès le XIVesiècle la Seigneurie de Chateautiers érigée en Comté en 1680 et quiremontait à Pierre de Foudras, Chevalier, Seigneur de Courcenay en1251, le dernier descendant fut Théodore-Louis-Auguste, Marquis deFoudras, né à Falkenberg en 1810, mort à Châlon-sur-Saône en 1872 quiécrivit de nombreux romans et dont les récits de vénerie, intitulés:
LesGentilhommes chasseurs, se lisent encore avec agrément.