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RÉGNIER, Victor Édmond Vital(1822-1886): Jacques Bonhomme.- Sixièmeédition.- Bruxelles : Office de publicité, 1871.- 35 p.-[1] f. depl. en front. ; 21 cm. Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.III.2012) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire d'une collectionparticulière Jacques Bonhomme par [E.-V. Régnier] ~ * ~ ~ * ~ Aux boucheries de Paris, je n'étais qu'acheteur, On m'y mène en victime, maintenant, j'en ai peur. La guerre est à la politique ce qu'est à la médecine une opérationchirurgicale : un mal ayant pour motif la suppression d'un mal plusgrand. Autant on admire l'habile opérateur, pouvant en quelquessecondes de moins qu'un autre obtenir un résultat qui sauve la vie ouprolonge l'existence, autant l'on doit toute son admiration à l'habilegouvernant qui, par une guerre promptement et habilement dirigée, amènedes résultats heureux et décisifs dont le but sera de tirer une nationd'un marasme mortel ou de lui permettre de croître en pleine vigueur. Mais que dirait-on d'un médecin qui ferait une opération chirurgicaleinutile, dans le cas où elle ne pourrait amener aucun résultat, ou nonnécessaire, dans le cas où le patient pourrait être guéri par lesremèdes ordinaires ? Il n'y a pas une voix qui ne s'élèverait contrecet inhabile docteur, et il n'y a pas une famille qui n'appellerait engarantie et n'obtiendrait des tribunaux une juste indemnité pour lacruelle indifférence ou pour l'ignorance coupable de cet homme. Eh bien, mes chers compatriotes, c'est ce qui nous est arrivé.L'Empereur, mal conseillé, a commencé une guerre qui n'était pasnécessaire ; il l'a mal conduite ; il nous a laissé après Sedanaffaiblis et sanglants ; il fallait que la régente, son alter ego,qui s'était cru le talent nécessaire pour le remplacer, mit de suitefin à cette guerre, qui devait inutilement épuiser nos forces. Il étaittemps alors ; il fallait avoir le courage de reconnaître sa faute et nepas essayer de la cacher en l'augmentant davantage, dans l'espéranced'un succès trompeur. Oui, cela, honnêtement, il fallait le faire, fortde votre conscience et quelles qu'en pussent être pour vous lesconséquences. Non : vous n'avez pas eu la réelle bravoure ; vous avez craint lacalomnie que tout-cœur bien placé doit dédaigner ; vous avez, comme lemédecin qui déserte son poste en faisant dire qu'il est absent, laissétranquillement s'accroître notre mauvaise position, et cependantc'était pour vous seule que nous pouvions et que nous devions compter.En votre gouvernement à tous deux, à tort ou à raison, nous avions misnotre confiance, et vous n'avez pas su dignement y répondre. Vousn'avez pas été à la hauteur de votre tâche. Ah ! pour vous les regretset les remord s; nous tâcherons de vous oublier. Maintenant, que vous dire à vous, misérables empiriques, qui êtes venusvous ruer autour du lit du pauvre Jacques Bonhomme et qui, de maladequ'il était, l'avez en trois mois amené presque à l'agonie ? Arrière !il faut qu'à coups de fouets l'on vous chasse de sa maison : l'absencedes remèdes de jongleurs et de charlatans tels que vous suffira pourque lentement ses forces reviennent. Quoi ! mes chers compatriotes, il n'y a pas un seul de nous quivoudrait confier ses vieilles chaussures à réparer à un journaliste etsa vache malade à un avocat, et qui, dans le cas où soit ce savetier,soit ce vétérinaire de contrebande, voudrait à toute force faire sonapprentissage sur notre propriété, ne le chasserait honteusement. Nepensons-nous donc pas que la direction d'un grand pays comme le nôtredemande, pour être bien faite, un apprentissage aussi long que celuinécessaire pour devenir un bon cordonnier ? Croyons-nous que laprofession de directeur suprême d'un grand État puisse s'improviser ?Devons-nous ainsi laisser l'absolue disposition de notre famille, denos propriétés, de tous nos biens, de nous-mêmes à ceux auxquels nousne confierons pas le soin des objets, à nous appartenant, de la plusminime valeur ? Ah ! levons-nous tous et crions-leur : » Arrêtez !malheureux ; qu'avez-vous fait ? Par quel immense et fol amour-proprevous êtes-vous arrogé le droit d'agir pour nous ? Pensez-vous, à unedouzaine que vous êtes, avoir plus d'esprit, de talent, de jugement quequarante millions de vos concitoyens, que vous semblez juger ainsiincapables de se gouverner eux-mêmes ? » On comprend que dans certainscas l'on dise : nous sommes responsables de nos actes ; mais cela nevous est pas possible, à vous. Est-ce que vos misérables fortunes etvos chétives existences peuvent entrer en balance avec nos provincesdésolées, ravagées, ruinées ? Est-ce que nos maisons incendiées, nosfils que vous avez fait tuer, nos femmes, nos sœurs, nos mères et nospauvres petits enfants qui sont morts dans les bois, soit de faim, soitde maladies causées par le froid et les privations; dites-nous,pensez-vous que mille existences comme les vôtres pourront nous lespayer ? Une fois que la terreur que vous avez su imposer à la Francesera apaisée, cinquante ou cent de nous vous poursuivront justement,vous, les vôtres et ceux qui ont fait exécuter vos ordres ; ilspourront peut-être se croire ainsi vengés ; mais les milliers et lesmi[l]liers de vos autres victimes n'auront même pas cette tristecompensation. A Sedan, nous avions été vaincus; il fallait, puisque vous vouliez noussauver, savoir le faire hardiment. Vous eussiez dû consulter nosgénéraux et ceux de nous qui ont la confiance de leurs concitoyens ; ilfallait, de plus, prêter une attention sérieuse à ce que les hommesd'État et la presse désintéressée de tous les pays de l'Europe, mieuxrenseignée que la nôtre, vous conseillaient : tous vous disaient quenous étions, pour le moment, complètement incapables de nous relever denotre défaite. Le gouvernement précédent avait avait fait une guerremalheureuse : c'était à la nation à en subir les conséquences. C'estl'histoire de tous les temps ; toujours le vainqueur impose au vaincusa volonté, qu'il est obligé de subir, jusqu'à ce que plus tard, sesforces revenues, une occasion se présentant, il croit devoir, s'il lejuge avantageux, la fouler aux pieds. On comprend qu'un souverainpuisse, dans l'intérêt de sa dynastie, craindre de signer une paixdésastreuse ; mais pour vous qui vouliez fonder la République (1), vousne deviez pas avoir la même crainte ; tout au plus, si vos concitoyensétaient injustes, vous qui aviez signé, la tête haute et la consciencesatisfaite, vous disparaissiez, mais l'institution restait, et pourvous, hommes de conviction, vos rêves ne se trouvaient-ils pas réalisés? Car s'il y a quelque chose de beau en théorie, dans cette forme degouvernement, c'est que les hommes qui dirigent ne sont rien, mais quel'Idée qui domine, suprême, trouve toujours d'autres hommes pour lamettre en pratique et la perfectionner. Notre richesse industrielle se ressentait encore il y a quelques annéesdes conséquences de l'Édit de Nantes ; il y a dans certaines villesd'Europe des industries entières qui, depuis cette époque désastreuse,y fleurissent et nous y font une rude concurrence. Eh bien, ces troisderniers mois seront pour beaucoup de nos nouvelles branches decommerce, une répétition de cette calamiteuse époque : nos fabriquesdétruites, nos manufacturiers ruinés, notre crédit perdu, nos plushabiles artisans expulsés ou attirés par l'or des fabricants étrangers,ont déjà permis aux nations voisines d'exporter, en notre lieu etplace, une foule de produits dont nous étions les producteursexclusifs, et l'Allemagne fabrique maintenant l'article de Parislui-même à un prix où il nous sera plus tard difficile de soutenir laconcurrence. Une grande source de notre richesse nationale tarie seracertainement la conséquence, non de la défaite de nos armées, mais deces trois mois de suspension de toutes les forces vitales de notrepays, et ce ne seront pas des années, mais des siècles qui pourrontseuls les effacer. Un homme se jette à la mer : ne dois-je pas, nous direz-vous, essayerde le sauver, même malgré lui ? Ah ! si vous nous aviez sauvé, oui, leshommes de tous les partis vous eussent bénis ; vous eussiez été despersonnages d'un génie supérieur, et vous passiez à la postérité : lesuccès vous donnait gain de cause. Je vous le dirai franchement, c'estcette crainte d'empêcher un succès possible qui a fait que moi et lesautres hommes énergiques de tous les partis n'avons pas osé vousentraver et vous renverser, car toujours nous nous sommes dit : Mais,cependant, ils n'oseraient faire tout ce qu'ils font s'ils ne croyaientavoir une chance de réussir que nous ignorons. Car pour chasser lesPrussiens de notre pauvre pays, il n'y a pas un Français digne de cenom, impérialiste, légitimiste, orléaniste ou républicain qui, pourarriver promptement à ce résultat inespéré, n'eût vu avec bonheurprendre le pouvoir par un parti contraire au sien. Je parle des hommesde parti ; mais en France, sur cent personnes, il y aquatre-vingt-quinze de nous qui ne sont d'aucun parti et sont seulementdes Français. Jugez ce que vous eussiez été pour cette immensemajorité. Quand un homme se jette à la mer, si celui qui s'estimprovisé lui-même capitaine s'y précipitait aussitôt, et qu'au périlde sa vie il parvînt à le sauver, ce serait grand et beau ; mais quediriez-vous de lui si, pour tirer ce malheureux du danger, il exposaità une mort certaine une chaloupe chargée d'une partie de l'équipage ;que, de plus, cette première chaloupe naufragée, il fit, avec aussi peude chances de succès, descendre dans une seconde chaloupe le restant deses matelots, et si, par un hasard inespéré, il parvenait à sauvercette existence qui lui coûte déjà vingt existences, pensez-vous qu'ilaurait raison de se féliciter et que ses hommes lui devraient de lareconnaissance ? Eh bien ! franchement, arriveriez-vous maintenant àsauver les provinces qu'un ennemi vainqueur exigeait de nous, vousseriez pour beaucoup dans la position de ce capitaine : tous lesintéressés, et ils se comptent par millions, diraient, à tortpeut-être, que le jeu n'en valait pas la chandelle. Vous ne vouliez pas de l'armistice; vous ne vouliez pas des élections ;vous ne vouliez pas d'une Constituante ; vous ne vouliez pas consulterle peuple ; enfin, vous vouliez, rester nos maîtres. Eh bien ! il fautque cela finisse ; de grands événements vont se passer d'ici à quelquesjours ; l'armée de la Loire va être malheureusement écrasée par desforces supérieures, mieux armées, mieux exercées et mieux commandéesque les nôtres : ceci est un résultat presque inévitable; nous avonstrois chances sur cent pour que le contraire arrive. Paris, qui comptesur cette armée de secours, peut essayer, par un amour-propre mal placéet que bien des familles désolées maudiront longtemps, de fairemassacrer des milliers de ses enfants par les batteries ennemies quiles mitrailleront froidement et les refouleront dans ses murs. Ensuite,qu'arrivera-t-il ? Un désastre triple de celui de Sedan et de Metz.Quatre cent cinquante mille hommes, les forces vives de la France,mettront bas les armes et se rendront à discrétion. Eh bien ! alors ily aura dans Paris un abattement profond, une stupeur immense, uneabsence complète de tout gouvernement : tout le monde se rattachera àla moindre lueur de repos ; nous croirons choisir notre gouvernement,ce sera Bismark et les Prussiens qui nous le choisiront et ce, d'unefaçon incidente et détournée (peut-être n'en serons-nous pas plusmalheureux pour cela), car pour traiter avec l'ennemi il faudra qu'ilse forme à Paris une commission municipale ou gouvernementaleprovisoire avec laquelle il consente à entrer en rapport. Avec quel parti sera-t-il plus avantageux de traiter pour legouvernement prussien ? Ils seront trois en présence : 1° Le gouvernement républicain, vaincu, sera hors de question ; 2° Le gouvernement impérial, cause de la guerre et de nos défaites,sera bien difficile sinon impossible à rétablir en France. Pour legouvernement prussien et pour beaucoup de gens sensés, qui supposentqu'en France il est impossible d'avoir la tranquillité avec ungouvernement parlementaire ayant des ministres tous à la merci desdéputés, qui sont par là maîtres des places et de l'administration, legouvernement impérial autoritaire, avec la Constitution de 1852, auraitsa raison d'être sous une minorité et une lieutenance générale ferme etrésolue, dans le cas où l'Empereur croirait devoir abdiquer. Ce seraitle gouvernement, pour eux, qui pourrait le plus facilement empêcher lespassions anarchiques de se faire jour en France et, plus tard, des'étendre sur les pays voisins. Si l'on consultait les gouvernements del'Europe et qu'ils considérassent non leur sympathie, mais leur intérêtbien entendu, ce serait cette forme de gouvernement qu'ils choisiraientprobablement pour nous ; 3° Le parti légitimiste, fusionné avec le parti orléaniste, quipermettrait aux deux branches des Bourbons et des Orléans d'arriversuccessivement au trône. A ce gouvernement se rattacheraient beaucoupde personnes influentes par leur richesse, leur position depropriétaires du sol et l'estime dont elles sont justement entourées.Le seul reproche que pourraient lui faire les gouvernements étrangers,c'est que l'essence même de son existence passée serait d'être ungouvernement représentatif, avec des ministres toujours préoccupés decombattre les oppositions, de préparer des discours et de défendreleurs portefeuilles au lieu de s'occuper exclusivement del'administration et des affaires du pays. Il aurait bien pour armedéfensive une Constitution ou Charte, acceptée par les citoyens ; maiselle serait, comme toujours, battue en brèche par les oppositionsparlantes et envahissantes, jusqu'à ce qu'elle fût complètementeffondrée, ce qui provoquerait un autre bouleversement social dont tousnos voisins ressentiraient le contre-coup et auraient à se défendre.Évidemment, les princes qui reviendraient ainsi ont tous su, commeparticuliers, mérité l'estime générale, même celle de leurs opposants.Comme Français, ils ont, avec une noble abnégation, fait toujours bonmarché de leurs intérêts particuliers ; comme princes, ils sont aimésde tous les gouvernements. Il faudrait qu'ils fussent armés par nous,dès les commencements, d'une autorité suffisante pour dominer laposition si difficile qui sera faite à tout gouvernement pendant lespremières années. Il est vrai que, quelque draconiennes que seront,contre la presse et les oppositions, nos lois à l'avenir, legouvernement de ces quelques mois nous a habitués à des arrêtés et desdécrets si exorbitants, qu'elles nous sembleront douces, encomparaison, et que les partis ne pourront jamais se plaindre de leurrigueur sans qu'on puisse avec raison les leur opposer. Quant auxmarquis ridicules de l'ancien régime, ils sont tous bien morts, et l'onne doit rien à leurs fils ; qu'ils nous laissent en paix. M. le duc estdirecteur d'une Compagnie, M. le comte gère ses terres lui-même ; grandbien leur fasse ! Mais les places ne doivent appartenir qu'à ceux quipeuvent et qui veulent les remplir dignement, quelle que soit leurorigine. Les fonctionnaires devront être diminués d'un grand tiers etl'armée de moitié, au fur et à mesure des vacances par décès etretraite, car notre budget, même avec les nouvelles charges que cettemalheureuse année de 1870 nous imposera pour longtemps, devra êtremoindre parce que nos ressources le seront (2). En présence de ces trois partis, que fera le gouvernement prussien ?Sans paraître en rien s'immiscer dans nos arrangements intérieurs, ils'arrangera de manière que, sans nous en douter, nous trouverons toutenommée et toute installée au Luxembourg une commission formée de douzeà vingt membres dont la majorité sera composée de personnages biendisposés pour le parti que lui conviendra le mieux ; immédiatement tousles ambitieux, tous les gens qui désirent des places, tous lespartisans de ce parti, toutes les personnes désintéressées ou plutôtintéressées au rétablissement de l'ordre se mettront en campagne ; ilsferont assaut d'efforts : en moins de trois semaines d'armistice forcé,tous les gens fatigués et qui en France désirent la paix se mettront àla remorque de ce parti, qui sera élu par nous à une immense majorité,comme notre gouvernement, ayant mission de signer la paix, avecrectification des frontières, au nom du peuple français. Et n'oublionspas qu'il y a une armée de trois cent mille hommes qui reviendra etdont les deux tiers prêteront leur appui au gouvernement qui sera élu,quel qu'il puisse être. Au lieu de cela, que serait-il peut-être encore temps de faire ?Afficher de suite, sans se préoccuper du résultat que, le dimanche 18décembré 1870, dans toutes les communes de France, tous les Françaismajeurs voteront dans la commune où ils se trouveront, qu'ils aurontdeux oui à mettre sur un bulletin qui devra, à moins d'être nul,porter les cinq questions suivantes (3) : 1° Continuation de guerre ? 2° Paix avec rectification de nos frontières ? 3° Gouvernement impérial ? 4° Gouvernement légitimiste et orléaniste fusionné ? 5° Gouvernement républicain ? (Plus de deux oui rendront le bulletin nul.) Le gouvernement qui serait ainsi nommé mettrait à exécution les désirsde la nation quant à la paix ou à la guerre. Plus tard, une fois lapaix signée, il réunirait une Constituante ou formerait une Commissionchargée d'élaborer une Constitution et de la présenter à l'acceptationde la première réunion des Chambres qui aurait, en outre de son pouvoirlégislatif, un mandat spécial d'approbation. Dans un cas comme dans unautre, ce gouvernement aurait de suite une immense autorité, et tousles partis seraient forcés de s'incliner devant lui et de disparaître.Il suffirait de cinq jours d'armistice, du 17 au 22 décembre, jour dela proclamation des votes, et il est certain d'avance qu'il seraitaccordé sans même qu'il fût besoin de le demander. Il en serait de mêmede toute lettre ouverte qui aurait les élections pour objet et qu'ilserait permis aux membres du gouvernement au dedans et au dehors deParis d'échanger entr'eux. Les provinces envahies voteraient aussifacilement et aussi, librement que les autres. Jusque-là on devrait,autant que possible, ménager la vie de nos concitoyens et se contenterde les avoir mieux préparés en cas de continuation de la guerre —résultat du vote que je crois improbable. Je suis sûr que, sans êtresigné, un armistice de fait se trouverait presque imposé pour les deuxpartis Si le gouvernement de la défense nationale se refusait à mettre àexécution cette idée, que les journaux s'en emparent; que tous lescitoyens individuellement s'entendent les uns les autres ; le voteainsi obtenu le 18 décembre dans chaque commune, il sera bien forcéensuite d'en faire le recensement par arrondissement et département etde le rendre public. Ne sommes-nous pas depuis trop longtemps untroupeau que la volonté de maîtres trop nombreux dirige où il leurplaît, même à la boucherie ? Quand Jacques Bonhomme veut, il faut qu'on lui obéisse. E. V. REGNIER SIDMOUTH LODGE PARK ROAD RICHMOND HILL SURREY (ANGLETERRE) 24 novembre 1870. __________________________ 18 décembre 1870. Ce que toute personne de sang-froid devait prévoir est arrivé : notrearmée de la Loire a été repoussée, la sortie de Paris a été refoulée ;sur les champs de bataille et dans les hôpitaux, vingt mille Françaisont perdu la vie, autant sont prisonniers, autant de femmes etd'enfants ont été enlevés par les privations de toute sorte, et à unmillion de francs par heure que nous coûte l'invasion, nous sommes,avec les nouvelles impositions et réquisitions mises sur nos villes,appauvris de plus d'un milliard, depuis un mois. Je ne compte pas deuxcent cinquante millions dépensés sans contrôle, après avoir étéempruntés en Angleterre sans mandat ; ceux qui les ont risqués lesperdront. Pauvre chère patrie ! Ils sont tous là, comme des héritiers avides,attendant que tu meures, pour se disputer tes dépouilles, ces chefs républicains, tous cesprinces, dont un bon mouvement pouvait fermer tes plaies sanglantes, depeur que tu ne déshérites ton sauveur, assistent froidement à tonagonie. Ah ! l'indigne race, que les grands mots dont ils couvrent tous leurambition égoïste, doit te les faire mépriser. Ah ! Jacques Bonhomme,c'est que nous ne sommes pour eux, sans exception, que ce que sont tousles peuples pour leurs chefs cupides, un troupeau d'individus dont ilspeuvent user et abuser ; que ton maître s'intitule roi, empereur,consul ou président, que ses satellites soient le gendarme ou lePolizist, le receveur des contributions ou le Stener-Einnehmer, laprison sera toujours ton lot, si tu ne le laisses pas disposer du fruitde tes sueurs et de la vie de tes enfants. Et cependant, quand deuxbouchers ont un champ mitoyen, séparé par une barrière, si l'un d'euxla recule et prend quelques moutons de son confrère, celui qui estvolé, c'est à ses risques et périls qu'il tâchera de recouvrer son bienet ses limites, mais l'on n'a jamais vu les montons se battre entreeux, pour procurer à leur maître une tonte plus forte et des produitsplus considérables à l'abattoir. Il y a un mois, devions-nous avoir maintenant plus de chance que nousen avions ; évidemment non ; pourquoi donc ne nous avoir pas laisséfaire alors ce qui eût mieux valu nous laisser faire plus tôt ; cequ'il faut que nous fassions maintenant : Signer la paix. C'estque... non, je ne désire pas récriminer contre vous ; mais je diraisimplement : c'est que vous ne voulez pas quitter ce pouvoirdictatorial qui vous a permis de faire sans révolte, ce que jamais niroi ni empereur n'eût pu se permettre. Pendant ce mois comme pendantles trois mois antérieurs, vous avez été les maîtres absolus etdespotiques en France, nous en connaissons les résultats ! Cela ne peut durer plus longtemps ; il faut que Jacques Bonhomme puisseparler et qu'il soit écouté, c'est lui qui paie et souffre, ce sont sesenfants qui meurent ; il faut qu'il puisse dire s'il est Las de cettetrop longue guerre où, entre vous et les Prussiens, il est comme entrele marteau et l'enclume. Les paroles ne suffisent plus... Aux actes ! Puisque vous tous nosmaîtres, ne voulez rien faire pour nous il faut que l'un de nousattache le grelot. Ce sera moi : Demain j'écrirai à Versailles, c'est ànotre ennemi que je vais m'adresser, peut-être sera-t-il pluscharitable que vous; je vais lui demander qu'il veuille m'accorder unsauf-conduit pour y arriver, que là je lui proposerai de neutraliser unde nos départements occupés, que je déciderai à en faire la demande,qu'aucune force, armée prussienne ou française, n'y pourra pénétrer.Les autorités municipales nommeront pour ce département une commissionexécutive et reprendront leur fonction. La garde nationale protégeral'ordre public. Au chef-lieu de ce département ainsi neutraliséviendront de suite se réunir les hommes influents de tous les partis.Une presse libre quant aux questions générales s'y établira et feraentendre sa voix non contrôlée par la terreur. Successivement lesdépartements voisins donneront leur adhésion aux propositions qui yseront adoptées, et dans quelques jours on verra que la France, à uneimmense majorité, désire signer la paix et qu'elle ne veut pasattendre pour cela qu'elle n'ait plus ni une pierre à ses forteressesni un pouce de territoire à elle appartenant. E. V. RÉGNIER. _____________________________ Sidmouth Lodge, 19 décembre 1870. A Monsieur le comte de Bismark. Monsieur le comte, En vous déclarant la guerre, nous n'avons fait qu'une faute : ne pasnous arranger à l'avance pour être vainqueurs. Toute faute doit sepayer...Nous payerons la nôtre ; pour en connaître le prix, il faut aumoins s'aboucher. Mon avis est que vous ne nous demanderez pas plusmaintenant que vous n'eussiez accepté à la fin de septembre ; mais,chez nous, ni prince ni chef ne veut se décider à traiter de la paix,de peur qu'on ne lui en attribue la signature, à son désir, d'obtenirle pouvoir. Aide-toi, Dieu t'aidera, a dit notre fabuliste ; il faut donc que nousprenions nous-même notre cause en main ; c'est pourquoi, moi, simpleparticulier isolé, qui ne suis d'aucun parti, mais qui aime réellementmon pays et mes compatriotes, ce qui me fait mépriser la calomnie, jeviens vous demander si je puis me servir, pour me présenter àVersailles, du sauf-conduit que j'ai obtenu antérieurement de vous ?Là, je vous prierai de m'indiquer un de nos départements, occupé parvous, que votre position stratégique pourrait vous permettred'abandonner. Une fois que l'un ou plusieurs d'entre eux me serontdésignés, j'y partirai, et je crois être certain, en quatre ou cinqjours de réunions publiques, de pouvoir vous apporter la demande del'un de ces départements, afin d'obtenir de vous l'évacuation de sesforces et sa neutralisation par les armées belligérantes. Avant quinzejours, la clameur pour la paix sera telle, et sera entendue dans une sigrande partie de la France, que sa réalisation ne pourra tarder. Les gens modérés de tous les partis qui s'y réuniront, arriveront à cerésultat, si désirable pour tous, par la formation de divers comitésayant le même but. Paris leur tendra la main, et la paix pourra s'ysigner, sans qu'il vous soit nécessaire d'entrer de force ou détruire,par un bombardement horrible, l'Athène moderne. Vous ne voudrez pas, monsieur le comte, donner par un refus uneapparence de raison à ceux qui disent que vous êtes heureux de netrouver personne pour traiter, afin de détruire à jamais mon pauvrepays; non, cela est faux, j'en suis sûr, et d'ailleurs, vos mères,ainsi que vos orphelins n'ont-ils pas, chaque jour en Allemagne commeles nôtres, des fils et des pères à pleurer en plus. J'ai l'honneur d'être, monsieur le comte, votre très-humble ettrès-respectueux serviteur, E. V. REGNIER, Sidmouth Lodge, Park road Richmond Hill, SURREY (Angleterre). __________________________________ A MES CONCITOYENS DE SEINE-ET-MARNE Boissise-la Bertrande, 3 février 1871. Le 8 janvier 1871, je reçois de Versailles une lettre dans laquelle onme fait savoir que ma proposition est acceptée en principe et que jepuis y venir pour en traiter plus en détail. Le jeudi 12, je quitte Londres, après avoir eu plusieurs entrevues avecdes hommes considérables de différents partis, qui m'assurentqu'aussitôt un terrain neutre obtenu par moi, ils s'empresseront d'yarriver, et qu'ils mettront toute idée de parti de côté pour m'aider àla réalisation de mon unique but, la pacification de notre pays. Le jeudi 19, j'arrive à Versailles, j'ai successivement trois audiencesde M. le comte de Hatsfeld et de M. le comte de Bismark. Dans madernière audience avec cet illustre personnage, après être venu audevant de moi, il me serre la main, me fait passer dans sa chambre àcoucher, m'offre des rafraîchissements et nous avons une conférence dedeux heures qui peut se résumer ainsi : Il est désolé de voir que legouvernement de facto, à la tête du peuple français, ne fait rienpour arriver à la paix, quoi qu'il n'y ait aucune chance possible pourobtenir quelques succès, que pour lui il ne craint pas de dire ce qu'ila dit depuis le commencement : qu'il désire la paix ; — il me laisseentrevoir que les conditions n'en seront pas aggravées — il me montresur un plan la position de l'armée de l'Est commandée par Bourbaki, etme prouve qu'elle ne peut échapper soit à un désastre terrible, soit àson refoulement sur le territoire neutre de la Suisse, quant à Paris ilme démontra l'impossibilité d'une sortie. Je lui fais adopter mon pland'un comité formé de personnages influents de différents partis, ouplutôt de personnages qui ne soient pas d'un parti arrêté et dontl'intérêt du pays serait la principale préoccupation. Je lui cite lesnoms suivants qui, à mon avis, rempliraient le but, quoique je n'aiepas leur autorisation pour m'en servir, mais on pourrait la leurdemander, et à leur refus, les remplacer par d'autres de mêmeimportance. Le général Changarnier, comme président ; le marquis deTalhouët, M. Alfred Leroux, ancien président de la Chambre ; Béhic,ancien ministre, Charles Baudin, fils de l'amiral, ambassadeur à laHaye; les généraux Vinoy, Aurelles de Paladine et Bourbaki — tous cesnoms sont approuvés par lui, et il me cite parmi les villes quipourraient être neutralisées avec un diamètre de territoire de dixlieues, Rouen, Melun, Laon. Ce serait cent lieues carrées de territoireque les forces prussiennes quitteraient complètement et qui seraient àla disposition du comité du gouvernement de l'existence nationale, carj'ai tout préparé à l'avance, les imprimés et même le scel du nouveaucomité — tout est d'accord entre nous, et je dois, aussitôtl'assentiment de quelques-uns des membres obtenu, le lui faire savoirpar l'ambassadeur, et revenir de suite pour son exécution. Le lundi 23 janvier au matin, je quitte Versailles. Après trois nuitssans m'être déshabillé et avoir plusieurs fois manqué d'être fusilléprès de Toul, à Fontenoy qui brûlait encore ; j'arrive à Bruxelles levendredi 27, à 10 heures du soir. Je me mets, dès mon arrivée, en campagne, mais le lendemain letélégraphe nous apprend que les événements ont marché plus vite quemoi, et le samedi soir nous connaissions qu'outre le fait de guerre dela capitulation de Paris, il y a eu un fait diplomatique etgouvernemental important : l'armistice et la formation d'uneConstituante. Mon comité n'a plus de raison d'être, et je convaincs toutes lespersonnes avec lesquelles j'étais en relation que maintenant la placede tout citoyen doit être en France et que l'on doit, mettant toutesprit de parti de côté, ne s'occuper exclusivement que d'arriver à laformation d'une Constituante qui prendrait en mains les intérêts réelsdu pays. Les récriminations ne servent à rien, chaque parti a commis des fautes,le passé est le passé, nous devons seulement nous servir del'expérience qu'il a dû nous donner pour éviter dans l'avenir unerépétition des mêmes fautes. Le plus pressé est de signer la paix aux conditions les plusavantageuses possibles. Ce que j'ai dit souvent, mais, hélas ! je lesupposais dans des circonstances différentes, l'important est de setrouver assis à une table de négociations pour la paix, et il sera plusdifficile à nos adversaires qu'à nous-mêmes de la quitter sans signer,car ils auraient contre eux, dans ce cas, l'opinion générale du mondeentier et celle même de leurs propres compatriotes, qui désirentardemment la cessation des hostilités, tandis que, de notre côté, unrefus, alors, montrerait simplement l'impossibilité d'admettre desconditions inacceptables. Il est vrai que le désastre que je voulaisempêcher, de la capitulation de Paris, change notre position d'unefaçon désavantageuse pour nous, mais c'est à l'intérêt, bien entendu,des Allemands eux-mêmes qu'il faut en appeler ; l'Europe est couvertede nuages politiques plus ou moins noirs, l'entente des deux nationspeut, dans leur intérêt mutuel, faire éclater l'orage à tel endroit oùla conflagration qui s'en suivra pourra amener indirectement unavantage considérable pour elle-même. La nation française a été laissée seule ; elle ne doit rien à personne,et son intérêt personnel dans l'avenir pourra, sans remords, être laseule cause de sa façon d'agir. Eh bien ! il est de l'intérêt des deuxnations de marcher d'accord, et pour cela l'Allemagne ne doit pasblesser à outrance l'amour-propre de la France. Que vainqueur elle tireprofit de sa victoire, rien de plus juste ; à sa place, nous eneussions fait autant, mais là elle doit s'arrêter, et l'on a vu souventaprès un duel deux adversaires, dont l'un est blessé grièvement, sedonner la main et l'estime mutuelle qu'ils ont forcément l'un pourl'autre, donner plus tard naissance à un autre sentiment que l'on eût pu croire impossible. Ce qu'il faudra ensuite, et c'est là où le gouvernement futur trouverade grandes difficultés, ce sera de saper hardiment et de diminuer demoitié notre budget de deux milliards quatre cent millions, que je merappelle personnellement n'avoir été que de 900 milions. Il faudra pourcela rompre hardiment avec cette habitude fatale aux anciensgouvernants qui, pour leur obtenir des partisans, faisaient des fils detoute personne un peu influente un fonctionnaire salarié. Il faut quedorénavant les fonctionnaires soient les serviteurs réels du public etnon leurs tyrans, qu'ils soient rétribués suffisamment pour ne pasavoir à chercher du bénéfice en dehors de leurs fonctions, maisqu'aussi ils en soient les esclaves et que, comme dans toutes lesautres professions, leur temps entier lui soit consacré. Outre les changements vitaux qu'il y aura à faire pour la compositionet l'avancement dans notre armée, et dont ce n'est pas le moment deparler, le cadre de notre armée active doit être diminué des deuxtiers, et comme en Suisse et en Allemagne, tout citoyen français, sansexception de rang, de profession ou de fortune, devra une portion deson temps à sa patrie pour s'endurcir aux fatigues et s'apprendre à luiêtre utile aux jours du danger — l'assiette de l'impôt doit êtreremaniée, les fortunes mobilières doivent y être soumises comme lesfortunes immobilières, ce qui soulagera les campagnes trop écrasées —le cumul doit être interdit, et un maximum fixé aux plus hautsappointements, certains, au contraire, doivent être augmentés, car toutsalaire doit être suffisant pour nourrir celui qui, quelque modeste quesoit son emploi, le remplit dignement. Par la presse de tous les pays, on sait en Europe qu'à partir du 12septembre 1870, je me suis activement occupé d'arriver à la signaturede la paix que je croyais devoir être faite après Sedan, que ce n'estque par un malentendu ou un manque de bonne foi de la part du maréchalBazaine que je n'ai pas pu la signer le 27 septembre aux conditions lesplus avantageuses, et à un moment où les principales forces etrichesses de la France étaient encore intactes. C'est moi qui, pendantle siège de Metz, ai seul pu, à deux fois différentes, parvenir à yentrer et qui suis arrivé à en faire sortir le général Bourbaki, quicommande actuellement notre armée de l'Est. En trois voyages successifs qui m'ont pris cinquante et un jours, j'ai,à travers tous les dangers et ce complètement à mes frais, risques etpérils, tenté ce que peu d'hommes eussent, isolés comme je l'étais, osétenter. J'ai été, pendant plusieurs mois, le héros de ce mystère, commel'appelle la presse de tous les pays, mystère qu'ils ne peuvent encores'expliquer, et cependant l'explication en est très-claire ; j'ai été,pendant tout le temps, un citoyen simple, aimant sa patrie, désolé deses douleurs et qui, faisant abnégation de lui-même, n'avait qu'uneidée, qu'un but, la cessation de ses souffrances. Ce sentiment généreuxme donnait, auprès de tous les grands de ce monde, têtes couronnées,ministres puissants, princes, maréchaux, généraux, tous, enfin,l'ascendant que personnellement je n'avais aucun droit d'obtenir, ilss'inclinaient devant l'honnête homme qui n'était d'aucun parti, maisqui frappait à la porte de tous les partis pour arriver à son but, ladélivrance de sa chère patrie. Mon but va être obtenu par d'autres, bien tard, il est vrai, et jedésirerais me retirer de la scène politique où j'ai si inopinément, etje pourrais dire si involontairement, joué un rôle dont le souvenirrestera ; mais j'ai été prié par des personnes influentes, même de cedépartement, de me présenter pour la Constituante, et les hommes lesplus éminents, ou plutôt les chefs de différents partis, m'ont promisleur appui. Je refuse cette offre bienveillante de leur part, persuadéque vous trouverez des candidats plus capables pour remplir ce mandat. 3 février 1871, E.V. REGNIER. Boissise-la-Bertrande NOTES : (1) Jamais pareille occasion ne se présentera : tous les malheursprésents et leurs conséquences forcées eussent été par chacunattribués au gouvernement précédent ; la République arrivait nette detout compte à son début ; elle ne devait rien, même à ses partisans. (2) La non-fusion des deux branches, leur retirerait leur seule raisond'être : l'extinction des partis en France. (3) Aux 7 millions de voix, données par un plébiscite à l'Empire, ilfaut que l'on oppose un autre plébiscite qui le détruise. Ungouvernement qui nous serait imposé par le vote de trois centsconstituants nommés Dieu sait comme ! n'aurait aucune force ni aucunedurée. |