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RENAUD,Georges :  De la sériciculture en France.-Paris : Librairie Guillaumin et Cie, 1865.- 23 p. ; 21 cm. - (Extraitde l'Economiste français).
Saisie du texte etrelecture : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (19.IX.2007)
Texte relu par : A. Guézou
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Dela sériciculture en France
par
Georges Renaud,
Attaché au Ministère de l’Agriculture,
du Commerce et des Travaux Publics.

~ * ~


La question séricicole n’est pas absolument nouvelle. Maintes foisdéjà, elle avait fixé l’attention des divers gouvernements qui se sontsuccédé en France, quand, à des intervalles très-éloignés, de violentesépidémies s’étaient abattues sur nos races de vers à soie. Cependant,jamais l’état de souffrance n’avait été aussi grave qu’il l’est de nosjours ; jamais on n’avait vu la récolte annuelle des cocons tomber de100 millions de francs (chiffre moyen d’une année) à 34.

En 1862, la maladie avait pris un caractère de recrudescence, quis’était calmé en 1863 ; et même, en 1864, les renseignements émanés desdiverses parties du pays constataient une tendance à l’amélioration età l’atténuation des effets morbides. L’année 1865 étant venue démentirles promesses de 1864, les sériciculteurs avaient perdu touteespérance. Que faire en présence d’une telle situation ? On ne pouvaitrester dans l’inactivité et l’inertie ; il fallait agir au plus vite ;il fallait sévir contre la maladie par tous les moyens dont on pourraitdisposer. De là, l’intéressant rapport adressé à l’Empereur par M.Béhic, Ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics,constituant auprès du ministère une commission permanente, sous laprésidence de Son Excellence.

Il était temps, car le découragement, cet ennemi de toute prospérité,le découragement s’emparait des populations séricicoles.

M. Dumas prit en main, il y a trois mois, devant le Sénat, la cause despopulations adonnées à cette industrie, à l’occasion d’une pétition,signée de 3,574 maires, conseillers municipaux, propriétaires fonciers,etc., qui demandait le dégrèvement des terrains plantés de mûriers, laprotection du gouvernement pour les négociants français qui iraient auJapon acheter des graines nouvelles, enfin l’étude des maladies dontles magnaneries sont le siége incessant.

Depuis longtemps déjà, le ministre des finances avait donnésatisfaction à la demande de dégrèvement, dont il s’était occupéantérieurement, dans des circonstances analogues, en répondant quecette faveur serait accordée à tous ceux qui constateraient les pertesplus ou moins considérables, par eux éprouvées. Devançant la secondepartie de la demande, le ministre de l’agriculture s’était entendu avecle ministre des affaires étrangères pour le prier de vouloir bienexpédier des instructions en ce sens aux agents français du Japon.Enfin, à la dernière partie de la pétition, relative à l’étude desmaladies des vers à soie, le gouvernement avait répondu, peu de joursaprès la discussion du Sénat, par l’organisation de la commissionsus-indiquée.

Telle est donc la situation, sous le rapport administratif. Examinonsmaintenant la question au point de vue agricole, c’est-à-dire au pointde vue de la production et de la consommation.

Le premier problème à résoudre est celui-ci :

Quelle est l’origine de la maladie, et pourquoi a-t-elle pris, depuishuit ou dix ans environ, un caractère obstinément continud’accroissement ?

Malgré la diversité des avis, on peut dire que les espritsvéritablement sérieux s’accordent dans l’idée, que ces désastresprennent leur origine dans l’ignorance et les mauvaises pratiques descultivateurs.

Que l’on visite les établissements séricicoles les plus considérables,que l’on interroge les chefs les plus capables, et l’on sera frappé deles voir soutenir avec chaleur des préjugés, dont la saine raison,ailleurs, a depuis longtemps fait bonne justice. Or, l’emploi prolongéd’un mauvais procédé peut amener, à la longue, dans la santé des vers àsoie, un trouble, une faiblesse, qui les rend incapables de luttercontre les maladies dont ils sont menacés. En effet, l’ancien procédé,il y a cinquante, cent, deux cents ans, donnait un certain produit qui,pour les meilleures récoltes, ne s’élevait peut-être pas jusqu’auchiffre de cette année, malgré le désastre. Le changement de touteschoses a créé de nouveaux besoins : la science a marché ; on a appliquéà l’établissement des magnaneries les premiers résultats de sesobservations ; on a modifié les procédés avec le temps, et laproduction sérigène s’est accrue. De nouveaux besoins se sont encorefait sentir ; les enseignements donnés par la science étaient nombreux,il fallait les appliquer, il fallait les généraliser ; il ne s’est pasencore écoulé assez de temps pour que cet heureux but ait pu êtreatteint dans toutes nos campagnes, et le producteur se trouve prisentre deux extrêmes : de nouveaux besoins, d’une part ; de l’autre,absence de moyens d’y parer. On se jette alors dans des voiesinconnues, avec des moyens d’action insuffisants ou mal assurés.

C’est justement ici le cas. La production sérigène n’a guère variéavant et après 1789 ; jusqu’en 1830, elle a fort peu avancé ; mais, de1847 à 1848, en partie, peut-être, par l’action de la loi de 1833, quia répandu si efficacement l’instruction primaire dans les campagnes,elle a monté au chiffre de 24 millions de kilogrammes ; en 1853, elleatteignit le maximum, c’est-à-dire 30 millions de kilogrammes ; en1854, déjà, elle décroissait, et rapidement ; c’était la réaction quiapparaissait avec tous les doutes qu’elle éveille.

La solution de la question séricicole réside en grande partie dans lemode d’installation des magnaneries. Voulez-vous guérir les vers àsoie, rendre à nos races leur rusticité première, ce qui ne sera pasl’oeuvre d’un jour, mais celle de plusieurs années ? Changez le systèmeactuel des ateliers séricicoles ; observez-y rigoureusement lespréceptes de l’hygiène, trop méprisés. On applique tel ou tel procédéartificiel pour la production des cocons, on substitue l’un à l’autre,on tâtonne, sans se demander si l’un ou l’autre est contraire ouconforme à l’hygiène.

La première règle d’hygiène, c’est qu’il y ait abondance et puissancevivifiante de l’air. Beaucoup d’air à tous les êtres vivants, ainsise résume son principal précepte, si souvent violé en pratique etparfois même méconnu en principe. Tandis que les uns persistent dans lesystème des chambres fermées, où l’air est renouvelé le plus rarementpossible, les autres l’attaquent vigoureusement, et avec raison, pour ysubstituer les chambrées à l’air libre. Neuf fois sur dix, les faitsont donné raison aux derniers.

Entre autres exemples, en voici un que je tiens de l’un des économistesles plus distingués de notre temps, M. Frédéric Passy, l’infatigablepropagateur de la science. Quelqu’un de sa maison ayant reçu, deparents habitant aux environs de Nice, un certain nombre de vers àsoie, pendant que lui-même était à Bordeaux, on les plaça dans unendroit quelconque, exposés au grand air et fort peu soignés. Ils n’enproduisirent pas moins de fort beaux cocons. La génération suivante futaussi belle et aussi vigoureuse que l’avait été la première. Lesnouveaux vers éclos furent transportés dans une localité, près deParis, et laissés toujours à l’air libre, malgré le changement delatitude ; on les retransporta à Nice, et les vers, bien loin desouffrir de tous ces déplacements, se multiplièrent à tel point qu’ilsoccupaient trois chambres. A l’encontre des conseils unanimes, M. F.Passy continua à laisser les fenêtres ouvertes, sauf dans les tempsd’orage ou de tourmente, et les vers se portèrent à merveille, donnantdes cocons de première qualité, recherchés de tous les acquéreurs. Cetexemple est concluant. En voici un second.

M. de Chavannes de la Giraudière, sériciculteur distingué et doué d’unsens pratique très-juste, avait été chargé par le ministre del’agriculture d’une mission dans les départements séricicoles. Al’instigation de la Société d’agriculture de Nice, il fit, en cetteville, plusieurs conférences, où il développa les idées qui précèdent,recommandant à tous l’observance rigoureuse des lois de l’hygiène.

Telle est aussi l’opinion de M. de Quatrefages :

« Le défaut général d’une aération suffisante, dit ce savant, mesemblerait pouvoir expliquer, à lui seul, comment des maladies de mêmenature, une épidémie, ont pu, à un moment donné, envahirsimultanément l’ensemble de nos régions méridionales. »

Nommons encore M. Marès, agriculteur de l’Hérault, qui a entrepris,sous un simple hangar, des éducations, couronnées du plus grand succès,tandis que les vers à soie, provenant de la MÊME graine, échouaientdans une MAGNANERIE-MODÈLE, faute d’air.

J’ai sous les yeux une lettre du maire de Sévérac (Aveyron), relativeaux essais d’éducation tentés dans ce département, où l’on a fait usagede vers de Chine et du Japon. Les derniers réussirent, « mais, dit lalettre, s’acclimateront-ils et pourront-ils se reproduire sur placesans dégénérer ?... Ne serait-il pas mieux de chercher à fixer dans noscontrées, puisqu’elle y est née, une forte race aveyronnaise de vers àsoie ? »

En effet, cette race, ajoute M. de Montetty, existe à Lavergne, chez M.Lescure, qui, secondé par sa femme, élève des vers à soie exempts detoute maladie et de toute dégénérescence, et qui en restent exempts,partout où l’on veut bien suivre les principes de Mme Lescure. L’oncede graine donne de 50 à 55 kilogrammes de cocons, ce qui est, d’aprèsce que nous verrons plus loin, un résultat tout à fait exceptionnel.Mme Lescure est la Providence des éducateurs aveyronnais, qui observentavec scrupule tout ce qu’elle leur proscrit. « Point de ces éducationshâtives qui épargnent le temps et la main-d’oeuvre aux dépens de lavigueur et de la santé des vers. Jamais de feu dans les chambrées,toujours le grand air, les fenêtres ouvertes tant la nuit que le jour,persiennes fermées du côté du soleil. Naissance tardive, par uneéclosion retardée jusqu’au moment où la feuille du mûrier a pris toutesa croissance et doublé sa vertu nutritive par son completdéveloppement : aération de la magnanerie, surtout en temps d’orage,par une ventilation artificielle. » Une éducation ne peut certes plussagement et plus intelligemment conduite. Avis donc à tous lessériciculteurs.

Il serait facile de citer beaucoup d’autres faits à l’appui du principeque je défends ici, du principe des éducations à l’air libre, principebien simple, bien aisé à mettre en pratique. Mais, ce qui n’est pas sisimple ni si aisé, c’est de le faire passer à l’état de conviction dansl’esprit des éducateurs.

L’observation des lois de l’hygiène suffirait à sauver notresériciculture si nous étions au début, à la création de cetteindustrie, si elle ne datait pas déjà de plus de deux siècles, si, parconséquent, elle n’avait ses établissements existant depuis longtemps.Mais, dans l’état actuel des choses, l’application de ce principe seulne serait pas un remède efficace.

Les maladies des vers à soie étant contagieuses, il est indispensabled’écarter des magnaneries toutes traces de débris d’animaux pébrinés ougattinés, de manière que le vent ne puisse en reporter, même quelquesgermes isolés, dans les établissements dont on les avait expulsés. Ilest indispensable aussi de purifier les bâtiments en entier. On doitfaire alors une opération semblable à celle en usage pourl’assainissement des bergeries, qui ont été le siége d’épizootiesviolentes ; on râcle le plâtre de la magnanerie, de façon à mettre lesmoëllons à nu, puis on les récrépit et on les reblanchit ; de cettemanière, les germes de viciation, préexistants dans l’air de lamagnanerie, ainsi que ceux dont les murailles et le plâtre qui lesrecouvre ont pu s’imprégner, sont complétement supprimés, et le retourde la maladie devient impossible.

Par la même raison, il est de toute nécessité d’assainir autant quepossible les étagements en bois, sur lesquels sont posés les vers, afinqu’il n’y reste non plus aucun germe cryptogamique et pébrinique. Leprocédé consiste, chez quelques-uns, à injecter les bois, dont ils fontusage, de sulfate de cuivre, à les passer à la flamme, puis à leslessiver avec de l’acide azotique. Enfin, les sériciculteurs arrosentparfois les passages, dans les magnaneries, avec du sulfate de zinc.

L’un des grands soins de quelques magnaniers intelligents, c’est ausside veiller à ce qu’il ne reste pas sur la litière un seul ver, mort dela muscardine ou de la pébrine. C’est ainsi que M. Olive Meynadier,président de l’Académie du Gard, a fait, à l’air libre, une magnifiqueéducation de vers à soie, remarquable par sa tenue. Il avait appliquéles principes, professés par M. le docteur Brouzet, un intrépidedéfenseur des principes de l’hygiène, conformes, à peu de chose près, àceux que nous venons d’exposer. Voilà donc encore une éducation à l’airlibre qui a donné des résultats parfaits : les quatre croisées de lamagnanerie sont restées constamment ouvertes ; le bâtiment, qui a sonexposition au nord-est, n’a jamais été chauffé, et le rendement a étéde 35 à 40 kilogrammes par once de 25 grammes. Cela n’approche pas des55 kilogrammes obtenus avec la graine de Lavergne, mais c’est untrès-beau résultat, et, pour en comprendre toute l’importance, il estbon d’avoir quelques points de comparaison, car le chiffre de cerendement, qui varie beaucoup, reste, presque toujours, bien au-dessousde ces chiffres-là. Ainsi, dans le département de l’Isère, en 1862, lamoyenne du rendement de l’once était de 17 kil., 1 ; dans un seulcanton, celui de Voiron, ce chiffre s’élevait à 27 kil., 50, aumaximum, tandis qu’il tombait à 3kil., 3 dans celui de Meyzieux. Quatreou cinq ans auparavant, dans ce même canton de Voiron, le rendementétait d’environ 38 kil., et la moyenne générale du département montaitbien plus haut ; elle comptait 4 ou 5 kilogrammes de plus qu’en 1862.Dans le Var, la même année, le rendement monte à 18 kil., 1 ; mais,dans les autres départements, les chiffres obtenus sont bien tristes.Ainsi, dans la Drôme, 16 kil., 5 ; dans le Vaucluse, 13 kil., 7 ; dansles Bouches-du-Rhône, 11 kil., 3 ; dans le Gard, 11 kil., 2 ; et enfindans l’Ardèche, le chiffre tombe à 10 k., 5. Nous sommes loin, comme onle voit, du rendement de 55 kilogrammes obtenus avec la graineaveyronnaise, ou même de celui de 38 de M. Olive Meynadier.

Le préfet de l’Isère a fait réunir en brochure l’enquête, entreprise en1863 dans son département, et publié dans le journal le Sud-Est ; onne saurait trop recommander de faire un examen approfondi de cetteenquête et des tableaux y annexés, où se trouve indiqué un procédéd’éducation complet et conforme aux saines idées, procédé fondé, dureste, sur les observations recueillies chez une centaine desériciculteurs. « L’élevage en plein air, y est-il dit, est conseillé,en vue de la régénérescence de la race, pour les vers spécialementdestinés au grainage. » On ne saurait trop conseiller la propagation decette petite brochure, qui peut être d’autant plus utile, qu’elle placeles faits en regard des principes, qu’elle en déduit.

Du reste, pour populariser ces doctrines, les seules vraies, il n’y a,je crois, qu’un moyen, c’est de les enseigner aux populationsintéressées, en les démontrant par des faits à l’appui, en répétantfréquemment ces preuves, en les multipliant sans cesse. Il faut, enquelque sorte, obliger les éducateurs, à force de preuves éclatantes, àêtre persuadés que ces moyens sont les seuls bons. Une fois ce pointatteint, les plus graves difficultés seront levées, et, les conseilsdes hommes compétents aidant, l’on pourra espérer une régénérationsérieuse des races de vers à soie.

Maintenant se présente la question du choix des races. On croitgénéralement que l’importation de graines de vers à soie du Japonsauvera l’industrie séricicole. Il est bien à craindre que ceci ne soitune illusion, qui, le jour où elle sera dissipée, produira une réactiond’autant plus violente que plus d’espérances auront été fondées surcette attente. Comme je l’ai déjà dit, la question séricicole peut seramener, en grande partie, à celle-ci : Rendre aux races indigènesleur rusticité première. En effet, par suite du mauvais état, de latenue négligente des magnaneries, les vers à soie ont végété et la racea dégénéré, c’est-à-dire qu’elle est devenue très-délicate, parce qu’onmit en pratique, pendant plus de deux siècles, cette théoriemalheureuse, qui consiste à regarder, comme funeste aux vers à soie,l’influence des variations atmosphériques. On a péché par excès deprécautions ; le ver à soie n’en demande pas tant. Les cocons n’ont pasété moins beaux, mais le chiffre de la production a baissé dans lesproportions que j’ai indiquées, les maladies ayant sévi avec uneviolence progressive. Eh bien ! à moins qu’on n’établisse de nouvellesmagnaneries, et sur un pied conforme aux lois hygiéniquessus-indiquées, qu’on n’en écarte tout danger de contact avec un débrisquelconque échappé des magnaneries attaquées, si l’on ne prend toutesces précautions, il en sera de la race des vers à soie du Japon commedes races indigènes, comme des races étrangères acclimatées. Les versjaponais sont très-rustiques de leur nature, parce qu’ils n’ont été laproie d’aucune épidémie. De plus, on les élève toujours en plein air auJapon. Aussi, généralement, ont-ils une santé très-vigoureuse etsont-ils, pour ainsi dire, insensibles aux agitations de l’atmosphère,et, quand même la maladie les gagnerait, ce qui est déjà arrivé, ilsdonneront longtemps des résultats bien supérieurs à ceux que l’onpourra obtenir avec nos races françaises, si elles restent dans l’étatoù elles sont actuellement. Seulement, quand elles auront longtempssouffert, les races japonaises ne seront guères plus puissantes que nosraces indigènes non régénérées. Car, il ne faut pas croire, commesemble y incliner, qu’elles seront épargnées par les maladies ; celadépendra des conditions, dans lesquelles se feront leurs éducations ;déjà, l’année dernière, en Lombardie et en Vénétie, elles ont étéfrappées, avec bien moins de force que les autres races, à la vérité,par suite, comme je l’ai dit, de la vigueur de leur constitution, maisencore cependant avec une très-grande énergie.

On a voulu établir des points de comparaison. On a pris des vers, derace indigène, et on les a placés en regard de vers japonais. Lesproduits des premiers étaient, de beaucoup, supérieurs à ceux desseconds. Le ver à soie du Japon, le Bombyx Ya-mamaï, - c’est le nomadopté par la science, - s’élève sur le chêne, et donne des coconsmoins beaux, une soie plus grossière. Il ne faut pas confondre cetterace avec celle de la Chine, avec le Bombyx Pernyi, qui pourraitpeut-être donner de bons résultats, si les Chinois ne l’élevaient endépit du bon sens, plaçant les insectes sur des rameaux plongés dansl’eau, et renfermés dans des chambres, c’est-à-dire les mettant àl’humidité et les privant d’air.

Par conséquent, plutôt que de tenter une acclimatation qui présentecertains risques, et qui, souvent, échoue au bout de quelques années,en ce sens qu’elle ne donne pas ce qu’on doit en attendre, il vaut bienmieux avoir recours tout simplement aux races actuellement élevées parnos sériciculteurs, surtout aux races indigènes, qui, à circonstanceségales, se sont toujours montrées éminemment supérieures ; il vaut doncmieux choisir parmi celles-ci de très-beaux sujets et les élever, enobservant à leur égard toutes les règles d’assainissement et d’aérationsus-indiquées.

Par exemple, il n’y a, cette année, dans Tarn-et-Garonne, que fort peud’exemples de maladies sérieuses. On élève là une race, restée pure,saine, vigoureuse, au milieu du fléau général de l’année 1865, qui seratristement notée dans les annales de la sériciculture. On trouve encorequelques autres races, qui sont dans cette heureuse situation desalubrité, mais circonscrites à quelques localités isolées, sans doute,parce que, dans ces foyers, les éducations sont intelligemmentconduites. Et généralement, dans ces cas-là, ces éducateurs habiless’efforcent, avant tout, de maintenir les races pures et bienportantes, comme font, du reste, les habitants de Tarn-et-Garonne.

Il faudrait donc, dans les localités infectées par la pébrine,reconstruire les magnaneries, ou à peu près, abandonner entièrement lesanciens vers et les anciennes graines, prendre des élèves des racesprivilégiées, et, dans de nouveaux établissements, sagements construitset sagements disposés, installer les vers choisis et régénérer ainsiles races. C’est le seul moyen de sauver d’une ruine complète cettebranche importante de la richesse française.

L’élevage en plein air ne peut véritablement pas toujours être appliqué; souvent même, en France, de fort tristes résultats en ont été laconséquence, comme on l’a vu, par les essais tentés à Lyon, essais dontle récit a été consigné tout au long dans le rapport fait par laCommission des Soies en 1863. Dans ce dernier cas, les vents violentsont détaché, les uns après les autres, tous les vers placés sur lesfeuilles des mûriers. L’éducation fut commencée le 10 mai, et le 10juin il n’en restait plus un seul sur les arbres. Tous étaient tombéssur le sol et, par conséquent, aussitôt dévorés par les fourmis etautres insectes de terre. Ce rapport n’en constate pas moins que cessouffrances continuelles, provenant des alternatives de pluie, de vent,de poussière, de soleil, les rendent bien plus robustes que ceux desmagnaneries. Seulement le grainage est excessivement difficile, ainsique la conservation des vers sur les arbres. Il ne faudrait employer ceprocédé qu’à la condition d’annihiler ses inconvénients, tout enconservant ses avantages : on disposerait, par exemple, des tentesmobiles, dont on ne ferait usage que dans les temps d’ouragans, detourmentes ou d’autres perturbations atmosphériques dangereuses.

L’apparition de la pébrine, - c’est le nom qui a prévalu, - remonte àl’année 1849 ; jusque-là, une autre épidémie avait sévi, plus ou moinsbénignement, sur les vers à soie : c’était la muscardine (enitalien,el segno). Le docteur Bassi découvrit que la cause de cettedernière maladie était le développement d’un champignon parasite, le botrytis bassiana, implanté dans le corps des vers, soit que sonexistence y fût spontanée, soit qu’elle fût le résultat des effets dela contagion. C’est la première maladie connue et sérieusement étudiée.C’est elle qui, sans doute, exerça sur la population des magnaneriesune action si dévastatrice en 1692 et en 1750.

La pébrine, par la grande analogie des symptômes, qui lacaractérisent, avec ceux de la muscardine, semble n’être qu’unetransformation de cette dernière. Les végétaux parasites deviennent icides animalcules microscopiques, d’une grosseur de 1/400e de millimètre,appelés hématozoïdes, animés d’un mouvement vibratoire irrégulier. M.Guérin-Ménerville a été, on peut dire, l’auteur de cette découverte,que M. Cornélio, de Milan, confirma et compléta en 1859, en établissantque ces corpuscules vibrants n’étaient autre chose que des urateset des hippurates d’ammoniaque, dont l’accumulation dans le sang desvers à soie avait pour cause première l’état plus ou moins défavorablede la domesticité. Enfin, les études de M. Drian, faites pour laCommission des Soies en 1863, constatèrent que ces corpuscules étaienten nombre bien plus considérable dans le sang des vers à soie, que leséducateurs lui indiquaient comme malades, que dans le sang des versbien portants. Malheureusement, toutes ces recherches n’expliquent pasclairement le mode d’introduction de ces animalcules dans le sang duver, ce qui serait le point le plus important ; il n’est pas douteuxque l’on n’y arrive tôt ou tard.

Les maladies des vers à soie ont envahi toute l’Europe et même leLevant. Ainsi, dans la plaine de Beyrouth, cette année, les pertes sontconsidérables : dans la province d’Andrinople, dans l’Etat de Venise,les récoltes sont vraiment d’une bien grande faiblesse, mais d’unefaiblesse moindre cependant que celle de la récolte en France.

On attribua longtemps l’épidémie à une altération de la feuille dumûrier cultivé ; mais la commission, chargée, en 1858, par l’Académiedes sciences, de se livrer à une étude sérieuse de cette question, etcomposée de MM. Decaisne, Péligot et de Quatrefages, constata, à cetteépoque, la violence de la maladie dans le département du Rhône, où lesplantations de mûriers n’étaient jamais arrivées à une aussi grandeprospérité. Elle constata, en outre, la persistance des succès decertains éducateurs et le constant insuccès de certains autres ; puiselle déclara que, « pour obtenir, presque à coup sûr, des récoltessatisfaisantes, il fallait d’abord opérer avec des oeufs fécondés etpondus par des parents entièrement exempts de la maladie, cette maladieétant contagieuse et héréditaire, et ensuite observer fidèlement lesrègles de l’hygiène pendant toute la durée de l’éducation. » On voit,par là, que la science est à peu près unanime sur ce point : Lapébrine est le résultat de l’inobservation des lois hygiéniques durantla domesticité des vers à soie.

En présence d’un accord aussi parfait, n’y aurait-il pas lieu d’édictercertains règlements de police, sans toutefois attenter en aucune façonà la liberté d’action des sériciculteurs ? Ces règlements devraientsurtout avoir en vue d’empêcher la contagion de se répandre d’unemagnanerie à l’autre, ce qui arrive souvent par la négligence desindustriels, qui jettent leurs déchets au dehors, laissant le vent lesemporter au hasard, n’importe où.

Divers procédés artificiels ont été successivement éprouvés pour laguérison des vers à soie. Le gouvernement français devait acheter, pourune somme de cinq cent mille francs, à un Italien, M. Onesti, unprocédé dont il était l’inventeur, le jour où l’efficacité en seraitnettement établie. Ce procédé consistait à frotter les vers pébrinésavec de la suie. D’après ce qui précède, on comprend qu’il ne pouvaitêtre couronné que d’insuccès, ce qui a eu lieu en effet dans tous lesessais qu’on a tentés dans douze départements de France. Même, cesessais ont empiré le mal dans quelques endroits, résultat à prévoir,car on joignait à l’action de la maladie l’action, fâcheuse aussi, dela manipulation des vers.

Pour être complet, il me reste à parler du grainage.

Le grainage, comme on sait, est le point de départ de l’éducation. Ungrainage bien fait et dirigé avec soin présente beaucoup de chancespour produire des éducations très-favorables et très-saines. Par celamême, on comprend de quelle importance il serait, pour chaquesériciculteur, qu’il pût préparer lui-même la quantité de graines, quilui est nécessaire. Opérant sur une quantité très-limitée, il lui seratrès facile de surveiller lui-même le grainage et d’y appliquer touteson attention. Malheureusement, trop souvent, l’éducateur ne prend pascette précaution et s’adresse au commerce, qui a fait de la fabricationdes graines de vers à soie une branche d’industrie toute spéciale. Or,on comprend que, s’exerçant sur des centaines de mille d’onces degraines, la surveillance, le soin, dont je parlais, deviennentimpossibles. On traite alors ces graines comme on traiterait un produitchimique quelconque, fabriqué sur une grande échelle. On oublie tropque cette graine est un germe vivant, qu’elle est très-délicate, queles manipulations, dont elle est l’objet, doivent être très-douces ettrès-mesurées, ce qu’il est impossible de rencontrer dans unefabrication en grand, quelle qu’elle soit. Il en résulte que, parexemple, sur dix onces de graines de commerce, il y en a, au moins,quatre qui ne valent rien, deux ou trois qui sont médiocres, et lereste à peu près bon. D’après cela, on peut juger quelles doivent êtreles pertes éprouvées par les éducateurs qui les achètent, pertesd’autant plus difficiles à éviter que, comme il arrive pour les engraisfraudés, on ne peut s’apercevoir de la fraude qu’aux résultatsconstatés lors de la récolte. Aussi, est-il très-désirable, et ceciheureusement se répand et tend à se généraliser, que chaque éducateurfasse lui-même la quantité de graines dont il a besoin pour son usagepersonnel. Il évite ces pertes qui proviennent du défaut de soin de lapart des fabricants ; en outre, il écarte des vers certains germesmorbides, qu’ils contractent fréquemment dans la fabrication de lagraine, soit parce que les grainiers se servent de certaines matièreschimiques qui exercent une influence pernicienne sur cette graine,influence qui se prolonge bien après l’époque de l’éclosion, soit parceque cette graine est préparée le plus souvent dans des chambres malaérées, et où la ventilation est très-imparfaite.

L’usage des graines du commerce offre un autre inconvénient, moinsgénéral, mais encore plus funeste que le précédent, et malheureusementbeaucoup trop répandu ; c’est la fraude dont elles sont si fréquemmentl’objet, et souvent impunément. On vend une graine pour une autre, uneespèce malade pour une espèce bien portante ; c’est une nouvelle sourcede pertes considérables pour le sériciculteur. Et ici, il n’y a paspossibilité, comme pour les engrais, de recourir à l’analyse ou à unmoyen analogue. Le seul remède, c’est de n’avoir pas recours auxmarchands de graines de vers à soie. Ces fraudes sont très-nombreuseset varient à l’infini.

Ainsi, le bruit s’est répandu qu’un certain nombre de falsificateursdevaient s’abattre sur les graines du Japon. D’après des lettres quim’ont été communiquées, il paraîtrait que le ministre de l’agricultureen avait eu connaissance ; la fraude, disait-on, consistait à prendredes cartons de graines du Japon, employées cette année, et à recouvrirces mêmes cartons, actuellement vides, de graines indigènes, malsainespar conséquent, et de les vendre comme venant du Japon. Le ministre apris sur-le-champ des mesures pour mettre cette fraude dansl’impossibilité d’agir. Un timbre spécial, variant chaque année, seraitapposé par les agents consulaires français du Japon sur les cartons degraines qui sortiraient de ce pays à destination de France.

Eh bien ! à peine ces mesures sont-elles connues dans le public, quel’on parle déjà d’un autre genre de fraude, destiné à tourner cettenouvelle difficulté, créée par l’apposition d’un timbre ! Desnégociants seraient allés acheter en Chine des vers à soie pour lestransporter au Japon et les rapporter de là en France, revêtus dutimbre. Or, comme nous l’avons indiqué précédemment, les vers de Chinesont très-peu sains, et, par suite, ils se vendent très-bon marché. Onvoit donc qu’il y aurait peut-être là un autre danger, si ce projetn’avait à lutter contre de nombreuses difficultés matérielles.

Espérons que, grâce aux mesures vigilantes du gouvernement, notreindustrie séricicole pourra se relever et refleurir de nouveau. Si nousobservons l’immense développement progressif qu’elle a pris depuistrente ans, nous trouvons que le chiffre de la production des cocons enFrance, qui était, en 1830, de 7 millions de kilogrammes, en 1835 de 9millions, montait, en 1850, à 28 millions, descendait, en 1851, annéede l’apparition de la maladie sur une grande échelle, à 26 millions,remontait, en 1853, à 30 millions, et, descendait en 1854, à 24millions. Le prix moyen du kilogramme de cocons, avant la maladie,était de 4 fr. 30 ; depuis la maladie, il s’est élevé à 5 fr. 40.

Ces chiffres révèlent, avec la gravité du mal, quel besoin d’aideéprouvent les populations ; car l’industrie séricicole est uneindustrie du peuple ; pour beaucoup de familles de petits cultivateurs,elle est une branche importante de revenus. Ainsi, dans l’Ardèche,beaucoup de paysans, avec le secours de leurs femmes et de leursenfants seuls, emploient près de 74 grammes de graines (chiffre moyen),ce qui donne seulement, dans l’état actuel de maladie des vers, unproduit de 31 kilog. par an, ou un revenu de 170 fr. ; si la maladien’existait pas, ce revenu serait plus que triplé et monterait à environ500 fr. Dans la Lozère, c’est 100 grammes qu’une famille emploie, enmoyenne, et 128 dans le Gard. Ainsi, dans ce dernier département, leproduit moyen sera de 56 kilog., soit un revenu d’environ 300 fr. ; sila maladie ne sévissait pas, ce revenu monterait à près de 850 fr. Oncomprend combien de semblables pertes doivent influer sur le bien-êtredes familles des paysans.

Le fléau, qui s’abat sur la sériciculture, rejaillit donc sur toutesles parties de la population. Ainsi peut-on s’expliquer comment sonaction est si douloureuse, beaucoup plus douloureuse que celle d’unfléau qui s’attaquerait à une industrie ou à un commerce quelconques,concentrés dans un certain nombre de mains, ou plutôt moinspopularisés. Le mal ici frappe partout ; il gagne jusqu’au coeur du pays.

Ayons confiance, cependant : il n’y a jamais rien de désespéré ; avecdu courage et du sang-froid, on surmontera la crise. Grâce au secoursdu gouvernement, grâce surtout à l’assistance des associationsagricoles, qui ne refuseront pas leurs conseils à ceux qui exprimerontle désir de les suivre ; grâce, sans doute, aussi à de nombreusesconférences séricicoles, qui seront faites sur les lieux mêmes de ladétresse par des hommes dévoués à la science et au bien de la patrie ;grâce, enfin, au concours empressé et assidu des grands propriétairesdes pays atteints par le fléau, on peut espérer qu’une prompteamélioration se fera sentir ; nos races se régénèreront, ainsi que lesraces étrangères acclimatées, et la race japonaise ne fera alors quegrossir le nombre de ces dernières.

N’oublions pas, dans ce moment de nécessité, que l’Algérie, cettecolonie providentielle de la France, appelée à un si grand avenir,possède de superbes races de vers à soie, qui proviennent del’importation antérieure de nos races indigènes ; atteintes pendantquelques années, elles se relèvent avec vigueur. Ne faudrait-il pasd’abord épuiser les graines algériennes, avant d’aller chercher, en unpays aussi éloigné que le Japon, des graines qui, peut-être, nedonneront pas, après l’acclimatation, d’aussi beaux produits ? Enimportant les races algériennes, ce seraient nos propres races que nousréintégrerions chez nous ; l’acclimatation, par cela même, se feraittout naturellement, et, de cette façon, l’on agirait directement sur lemal, à la condition toutefois d’observer rigoureusement les principesd’hygiène que je viens de développer.

Note :
(1) Journal politique hebdomadaire. Bureau, rue du Faubourg-Montmartre,15, Paris. - Prix : pour Paris, 18 fr. ; pour les départements etl’Algérie, 22 fr.