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ROCH, Eugène : LePalais-Royal (1831). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (26.VI.2008) Texte relu par : A. Guézou (Révision le 23.03.09 par L. Jehlen) Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie respectées. Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc)de Paris ou le livre des cent-et-un, Tome premier,publié à Paris : Chez Ladvocat en 1831. LePalais-Royal par E. Roch ~~~~Parcourez lesprincipales villes de l’Europe, vous y verrez des cathédralesgothiques, des jardins et des palais auxquels Paris et les autresvilles de France auront à opposer des monuments de même genre ;remontez aux temps anciens ; embarquez-vous sur le vaisseaud’Anacharsis, vous visiterez la Grèce dans sa splendeur, et lorsquevous aurez admiré les Propylées, le temple de Thésée et le Parthénon,la nouvelle Athènes pourra mettre en regard de ces édifices sonPanthéon, son Louvre, sa Bourse et son église de la Madelaine ; maisnulle part vous ne retrouverez un Palais-Royal, ni rien qui luiressemble. Venez-vous le voir pour la première fois, et le voulez-vous dans toutson éclat ? C’est au milieu d’une belle soirée du mois de juillet quenous entrons dans ce séjour de la féerie ; la chaleur a rempli lesallées de promeneurs, et garni tous les bancs de pierre d’habituésassez économes pour n’aimer à respirer le frais que sur des siégesexempts de tributs. Vis-à-vis, des rangées de chaises, qu’une redevancelégère n’empêche point d’être toutes occupées, sont adossées auxgrilles des deux rectangles qui enferment chacun une pelouse viergedans une ceinture de fleurs, et dont on a fait les parterres de Dianeet d’Apollon placés au centre sur des piédestaux. D’autres chaises,disposées en cercle, entourent le bassin qui sépare les deux parterres,et d’où s’élance une gerbe d’eau considérable pour retomber en fleur delis non encore proscrite. Là viennent humer une poussière humide, ceuxdont la fraîcheur de l’atmosphère n’attiédit pas suffisammentl’haleine, tandis qu’à l’extrémité de l’un des carrés, une aspirationplus active et des substances moins vaporeuses humectent les gosierstout-à-fait brûlants. En cet endroit, une multitude de guéridons verts supportent, pour lesconvives des deux sexes assis alentour, des plateaux couverts de glacespyramidales diversement colorées, et sur lesquelles la cuiller devermeil façonne sans cesse de nouveaux angles qu’elle déforme aussitôt,jusqu’à ce que la base elle-même soit prête à disparaître. Lesattitudes, les causeries bruyantes et les rires des gourmets, les criset l’empressement des garçons qui les servent, les arbustes fleurisdont les caisses établissent les limites latérales de la salle desrafraîchissements, les brillants reflets de la rotonde qu’onimaginerait ressembler à un kiosque oriental, le mouvement noninterrompu de la foule plus ramassée ici qu’ailleurs, qui va, vient, secroise, et circule en tout sens, forment un spectacle des pluspittoresques et des plus animés. Aux premières atteintes du froid,toute cette activité disparaît, mais elle ne fait que se déplacer, eton la retrouve dans les galeries. Alors le foyer d’un théâtre royal,pendant l’entracte qui succède à une première représentation, n’offrepas un coup d’oeil plus éclatant ni un aspect plus agité que la galeried’Orléans enfermant un monde de promeneurs sous son immense dôme decristal… Cependant, depuis des heures entières, la populationlaborieuse des faubourgs est livrée au sommeil ; les rues pluscentrales sont silencieuses et abandonnées à la seule clarté desréverbères ; vous croiriez la ville complétement ensevelie dans lerepos ; mais, en approchant du Palais-Royal, vos yeux et vos oreilless’étonnent, vos sens, déjà engourdis, se réveillent, et, arrivé dansl’enceinte, vous la trouvez encore pleine de vie et resplendissante delumière ; c’est le coeur qui reste chaud long-temps après que lesextrémités sont devenues froides. Depuis qu’on a découvert le moyen de donner un fluide invisible pouraliment à la flamme, et de conduire le gaz dans des tuyaux, comme l’eaude la Seine, pour le répandre en flots lumineux jusqu’au sommet desédifices, le Palais-Royal a reçu un éclat nouveau qui ne permet pointde comparaison avec son éclairage d’autrefois. Plus de deux cents jetsd’une lumière aussi limpide qu’abondante, plus douce, plus égale etplus vive en même temps que son ancienne et ignoble rivale, dessinentles cintres d’un même nombre d’arcades et versent un jour pur sous lesportiques. A cette clarté vient se mêler celle des magasins quis’échappe par des issues dix fois plus nombreuses ; elle glisse,s’étend et rayonne sur les étalages où tout est acier, or, soie,argent, cristal ou pierres précieuses ; mille feux en jaillissent etsont réfléchis par les surfaces d’acajou poli ou les parois de glaceétamée ; car le nombre de glaces qui tapissent le Palais-Royal, à tousles étages, est incalculable ; l’étranger, ébloui, se demande si du rezde chaussée jusqu’au faîte, le Palais-Royal ne serait pas tout entierun bazar, et s’il existe une partie secrète et invisible où lapopulation qui l’habite puisse goûter les douceurs du sommeil. En effet, l’Industrie a tout envahi dans ce palais : au-dessus desmagasins, des salles de bains, de jeux, de restaurants, de billards,d’estaminet, de lecture, d’exhibitions, occupent le premier ; et lesétages supérieurs semblent appartenir à des artistes de tout genre,peintres, graveurs, dentistes, coiffeurs, etc., et à un certain nombrede sultanes que la sévérité de la police oblige à ne contempler,pendant le jour, le théâtre de leurs conquêtes que par la fenêtre.Aucune famille bourgeoise ne saurait y fixer son domicile ; on n’habitepoint le Palais-Royal comme un autre lieu, on ne l’habite pas si l’onn’est marchand, car c’est à être marchand que s’y borne presque toutel’existence ; quiconque vient s’y établir renonce aux commodités et auxagréments domestiques, aux doux charmes de l’intérieur et au plaisirproprement dit d’être chez soi ; au contraire, partout le public estchez vous, on se resserre, on se rétrécit, on s’amincit, pour ainsidire, afin de laisser plus de place à la marchandise et aux acheteurs ;on n’est point là pour vivre, mais pour vendre. Aussi quelle parcimonieet quelle exigence dans la concession du moindre espace ! Le seul droitde la location des chaises, dans le jardin, rapporte trente-deux millefrancs par an au Roi-citoyen et propriétaire. Tous les magasins sont consacrés, dans ce riche bazar, aux objets deluxe et aux brillantes superfluités. Vainement y chercheriez-vous lesgros meubles et la plupart des ustensiles de ménage ; ils en sontexclus, non-seulement parce qu’ils exigeraient des locaux tropspacieux, mais parce que le Palais-Royal n’est point le bazar desParisiens ; c’est se tromper que de donner le nom d’habitants de celieu aux locataires qui en sont les simples desservants ; il semblequ’ils aient été commis par leurs compatriotes pour étaler aux yeux desétrangers tout ce que le génie culinaire a imaginé de plus savoureux ;tout ce que les soins de la culture produisent de plus beau, de plusexquis, de plus suave ; tout ce que les arts exécutent, en tout genre,de plus parfait. Le commerce la mode, les saisons et même les heurescourent sans cesse de magasin en magasin pour y faire entrer lanouveauté sous toutes les formes, et le Palais-Royal est à tous lesinstants une école de goût pour les autres marchands de la capitale. Il est des notabilités, et je le dis, des réputations européennes dontla réunion sur un si petit espace vous surprendrait : « Vous êtes grandcomme le monde, » disait Kléber à Bonaparte ; à quoi donc comparer lePalais-Royal qui renferme en son giron tant d’illustrations du premierordre ? Soit que le gastronome sans argent se plaise à promener unodorat exercé par le jeûne, et plus subtil que le flair du meilleurchien de chasse, sur les émanations de ces comestibles recherchés dontle fumet se donne gratis aux passants ; soit que le riche gourmandveuille se cautériser le palais avec ces jus délicieux qu’il fautservir chauds et humer comme on les sert ; soit enfin que le mondainopulent appelle autour de lui comme avec une baguette magique, le luxesous tous les travestissements et toutes ses séductions, partouts’offrent la perfection, le génie et les grands hommes. Combien depages ne réclamerait pas chacune de ces gloires ? le temps et l’espacepermettront peut-être un jour de les passer en revue ; qu’on sachebien, en attendant, que chaque magasin du Palais-Royal est unerenommée. Sans doute il y a aussi de l’éclat au dehors et des nomsdignes d’être enviés ; mais les châteaux modernes que l’on admire dansles environs de Paris, n’empêchent point que l’enceinte de ses mursn’enferme seule la ville des palais. Pourquoi une sorte de pudeur aristocratique m’interdirait-elle desuivre la civilisation où il lui plaît de prendre un nouveau cours, etde franchir le seuil des restaurants à deux francs par tête ? Il fautbien le dire, l’existence des cartes secondaires s’est évanouie devantles prix fixe. Pourrais-je offrir à mes lecteurs un spectacle plusdigne d’intérêt que de lui montrer, dans des salons richement ornés,deux cents convives dont l’appétit visible est aux prises avec lesquatre plats au choix qu’a précédés le potage et que le dessert doitcouronner ? Ils verront fréquemment cet appétit croître en allant,comme la colère et la renommée, s’égarer dans les suppléments, seperdre au milieu des entremets sucrés et des vins fins, et puiser dansles accessoires d’un dîner économique les éléments de la carte à payerd’un dîner au Rocher de Cancale. C’est de là que sort en grande partie cette foule active de promeneursque l’on voit vers sept heures inonder les cafés, ou avide derenouveler d’abord l’oxigène de leurs poumons après un repas tropcomplet, tournoyer devant le Rotonde, et agiter l’importante questionde savoir où s’achèvera leur soirée ; ce point central leur permet eneffet toutes les directions, et place à leur proximité tous les autreslieux de promenades et de divertissements. Voyez-les en ce moment ; ilsse livrent à un exercice préliminaire nécessité par l’impulsiondigestive ! Ils ne font pas plus d’attention que les autres hommes quis’occupent, au milieu d’eux, d’affaires politiques ou de spéculationsindustrielles, aux femmes rangées sur une triple ou quadruple ligne dechaises, comme un beau front de bataille. Celles-ci, pour la plupart,accompagnées de leurs maris, viennent bien réellement chercher lefrais, et goûter le délassement du repos plutôt que solliciter deshommages, dans un lieu où les hommes paraissent tant affairés ; aussin’y voit-on jamais figurer ni les petites-maîtresses en titre, ni lesfashionables de l’ancien boulevart de Gand. La physionomie particulière du Palais-Royal ne se forme donc passeulement du brillant assemblage des richesses que j’ai décrites, maisaussi du genre de public qu’elles attirent et pour qui elles sontfaites. Les vrais habitants du Palais-Royal, qu’il est temps dedésigner, sont précisément ceux qui n’y couchent pas, ceux auxquels ilpeut offrir toutes les jouissances, excepté un refuge pour le sommeil ;du moins il n’existe pas d’hôtels garnis. Tout ce qui n’a point à Paris une existence régulière, complète etstable, vient se fondre et faire nombre parmi le public spécial duPalais-Royal. L’observateur y reconnaît pêle-mêle les étrangers de tousles pays, les voyageurs de tous les départements, les célibataires,lesétudiants, les réfugiés, les officiers en congé ou à demi-solde, lesintrigants, les agitateurs politiques, enfin quiconque attend du hasardet d’une rencontre heureuse un repas, une entrée au spectacle ou unesoirée agréable. On imagine facilement de quelles rencontres imprévues et bizarres la Rotonde doit être le théâtre. Combien de fois, sous l’empire et mêmesous la restauration, n’a-t-on pas vu des frères d’armes, l’un revenantd’Espagne et l’autre de Moscou, se retrouver à la Rotonde, et s’ypresser les mains en roulant des larmes sous leurs paupières. Jepourrais citer les noms de deux personnes qui, au moment de se séparerà Pondichéry, se donnèrent rendez-vous à trois ans de là, jour et heurefixes, à la Rotonde, et eurent le bonheur, au jour et à l’heureindiqués, de se précipiter dans les bras l’un de l’autre. On part pourfaire le tour du monde, et l’on se retrouve à la Rotonde. Que demilliers de gens, si on la supprimait, resteraient souvent la bouchebéante au moment d’indiquer un rendez-vous ! Un amateur qui avait fait ses délices, pendant huit ans, des galeriesdu Palais-Royal, et qu’une série de malheurs avait forcé de se réfugierau pied des Pyrénées, interrogé un jour par un passant qui lui demandaoù conduisait la route qu’il suivait, répondit très-naïvement : auPalais-Royal. Il disait vrai ; car c’est à ce point qu’aboutissent lesgrandes routes de toutes les capitales de l’Europe ; et si l’on étaittenu de dire toujours le fond de sa pensée aux gendarmes, il n’est pasd’étranger, arrivant sur la terre de France, qui, sommé de déclarer lelieu de sa destination, ne nommât le Palais-Royal, comme l’objet leplus pressant de sa curiosité. Les salles de jeux qui subsistent encore au Palais-Royal, et les femmesqu’on en a renvoyées, n’ont pas été, peut-être, inutiles à sasplendeur, et ont dû long-temps attirer les étrangers, les uns commeacteurs, les autres comme simples curieux. Combien de malheureux,encore aujourd’hui, sont victimes du plus funeste de ces appâts, decelui que le budget protége contre la morale ! Il n’y a pas d’armurierau Palais-Royal ; mais Lepage demeure tout auprès. Souvent un joueurdésespéré, craignant de hasarder sur le tapis vert sa dernièreressource, entre chez lui par précaution avant que de monter au centtreize ; alors il fait son va-tout avec assurance, et une détonation,bien connue du voisinage, annonce la fin de la partie. J’achevais,l’hiver dernier, un couplet de vaudeville, chez un de mes amis, lorsquele bruit d’un coup de pistolet me fit tressaillir : « Ne vous dérangezpas, me dit-on, ce n’est rien, sinon probablement l’arrêt d’une rougeou d’une noire qui s’exécute. » J’ouvris la fenêtre, et cetteconjecture se trouva vraie. Un jeune homme qui sortait d’une maison dejeu avait escaladé la grille d’un parterre et s’était tué sur le gazon. Une longue possession semblait avoir lié, d’une manière inséparable,l’existence des courtisanes à celle du Palais-Royal ; contraste étrange! on reprochait au duc de Chartres d’avoir spéculé sur le vice, et lesmarchands se plaignent aujourd’hui, du moins on l’assure, que son filsl’ait exilé. Il est assez curieux de se représenter de nos jours cegenre de femmes telles que nos pères les ont vues, les cheveux crêpéset recouverts de larges coiffes gaufrées à gros plis, en karaccos, enpetits casaquins et en paniers. Il devait se trouver sous ces costumesétranges, des figures charmantes. Nous les avons vues, pour nous, dansla simplicité piquante des habillements modernes, répandues au caféMontansier, qu’un petit théâtre, succursale du Gymnase, vient deremplacer ; au café des Aveugles, abandonné désormais, et que la gardeimpériale faisait vivre ; au caveau du Sauvage, dont le tambourinétonne toujours l’oreille du passant, et où Borel, après Fitz-James,faisait aussi parler le ventre ; enfin, aux principaux abords duPalais. Elles animaient tout, et imprimaient à tout, par leur présence,une empreinte de volupté, très-différente sans doute de celle que laVénus pudique peut inspirer, mais qui convenait parfaitement au plusgrand nombre des habitués, et se gravait dans l’esprit des étrangerscomme le trait le plus saillant alors de la physionomie duPalais-Royal. Cependant les vraies sultanes de ce sérail public setenaient sous les galeries de pierre ; attirant les regards par l’éclatambitieux de leur parure, et par la nudité des charmes que les femmesdu grand monde ne dévoilent aussi complétement qu’au bal ou à l’Opéra.Elles excitaient même dans certaines classes de leur sexe une vivecuriosité, que les maris ne manquaient pas de prendre assez mal. L’empire exclusif du Palais-Royal est donc demeuré aux femmes honnêtesque les filles en avaient long-temps exclues, tandis qu’autrefois ellesse contentaient de le partager. Cette réforme date de deux ou trois ans et a donné au Palais-Royal unaspect plus décent, des habitudes plus bourgeoises ; on le quitte plustôt, on y ferme les boutiques et on s’y couche de meilleure heure. Necherchons pas si les moeurs en ont profité. Ce qui se passe ailleursn’est pas de notre ressort. Nous ne sortons pas du Palais-Royal. Après cette grande révolution, il en restait, pour l’embellissement duPalais, deux autres également difficiles à accomplir. L’une consistaità faire rentrer dans l’encadrement des pilastres intérieurs lesdevantures des magasins en saillie, afin de rendre à l’architecture sarégularité ; l’autre à remplacer par cette superbe galerie construiteaujourd’hui entre une double colonnade, les célèbres et ignobles galeries de bois, désignées d’abord sous le nom de Camp desTartares, et un des mille exemples de ce provisoire devant lequelpassent des générations. La première s’opéra sous l’édilité de M. deBelleyme, et il fallut toute la fermeté de ce magistrat pour donnergain de cause au Vitruve de monseigneur contre les enseignes, leslanternes, les écussons, les tableaux et les façades en relief quirétrécissaient et obstruaient les galeries. Combien de réclamations ila fallu braver aussi pour accomplir la seconde ! on en triomphanéanmoins ; mais qui dira les angoisses des malheureux locatairestoutes les fois qu’ils apercevaient l’architecte M. Fontaine, montrantau prince entrepreneur l’aspect repoussant de ces baraques, etdiscutant avec son altesse sur des plans et des devis ? Chacun sedemandait où porter des pénates établis depuis quarante ans sous cestoits de planche ; car, par un bonheur inconcevable, ces échoppes quela plus légère négligence suffisait pour incendier, avaient toujourséchappé aux flammes au milieu des cloisons et des quinquets, des livreset des chaufferettes, et ce qui était pis, d’une population demodistes, dont la prudence n’était nullement le trait distinctif. Je n’ai point, certes, le dessein de rappeler ici les gloires éclipséesdu Palais-Royal, mais il en est une que l’on ne me pardonnerait pointde passer sous silence : qu’est donc devenu le café des MilleColonnes ? Hélas ! que sont devenues Babylone et Ninive ! et quedeviendra Paris après le colera ? Je le sens bien, la première questionen dissimule une seconde ; à celle-là du moins je puis répondre : Ehbien ! la belle limonadière est à Neuilly comme Charles X à Holy-Rood,méditant sur les grandeurs passées, mais son exil est volontaire, sesméditations sont toutes d’agréables souvenirs, sa demeure luiappartient, son trône n’a point été renversé par une révolution, lamode a soufflé dessus et il s’est évanoui. Capricieuse ! ce sont là deses jeux. Reine de comptoir, la belle limonadière est rentrée dans lavie privée au même village d’où une princesse est sortie pour devenirreine de France !.. La plus heureuse, me demandez-vous ? Qui sait ?..N’aimez-vous pas le bonheur domestique et ne trouvez-vous pas biendouce l’existence de celle qui commença par être la modeste etbrillante souveraine du café du Bosquet ? Je le dis en confidence àmes lecteurs, la semaine dernière je me suis trouvé avec elle envis-à-vis dans une Caroline. Un de mes voisins l’a reconnue et asollicité la faveur de payer sa place, innocente galanterie dont elles’est mise à sourire ; elle se rappelait en ce moment tous les hommagesqu’elle avait reçus sur le trône d’un des frères de Napoléon ! Cetrône, on ne l’a point encore oublié, avait été mis à l’encan, et unespéculation toute commerciale y fit asseoir la beauté sans diadême. J’ai représenté, dans le début de cet article, le tableau duPalais-Royal sous les prestiges de l’illumination qui s’y répète chaquesoir ; il serait peu intéressant de le montrer le matin lorsqu’il n’estencore que le domaine des écoliers, des enfants et des bonnes.Cependant, vers dix heures, il commence à s’animer. Les lecteurs dejournaux arrivent et s’amassent autour de ces petits pavillons à toitdoré, dans l’un desquels Perustault a placé son quartier-général, dontil sort à chaque instant pour des rondes nouvelles, et va, jetant sesregards de côté sur les feuilles qu’il rencontre dans les mains delecteurs trop à l’écart, afin de les engager, s’il reconnaît sonestampille, à vouloir bien graviter autour de son kiosque. Les caféss’emplissent aussi tandis que les restaurants, auxquels ils ontcomplétement ravi le privilége des déjeuners à la fourchette, restentencore déserts ; bientôt les commis de commerce, les gens d’affaires,et les gens affairés, sillonnent les allées dans toutes les directions; déjà les oisifs flaneurs, et un attroupement quotidien de trois ouquatre cents personnes, vers un point fixe, indiquent aux passants quemidi va sonner. Plût à Dieu que les canons du monde entier fussentpareils à l’artillerie du Palais-Royal, et que leur détonation n’eûtjamais causé d’autre mal que le tressaillement léger dont quelquesdemoiselles de comptoir, et plusieurs marchandes trop nerveuses, nepeuvent triompher malgré l’habitude ! Pendant les cinq minutes quiprécèdent l’explosion, la plupart des assistants tiennent leurs montresen évidence, ceux qui n’en ont point regardent les autres, et il y a unmoment d’attente solennelle, quelquefois même on semble douter de lapuissance du canonnier… Le coup part ; et aussitôt les uns avancent oureculent leurs aiguilles ; et d’autres, avec une petite nuanced’amour-propre, font tout haut l’éloge de leur horloger ; chacun vasemer bénévolement l’heure officielle sur son chemin, et le groupeserait entièrement dispersé s’il ne restait les badauds qui sont venusvoir de quelle manière s’y prend le soleil pour mettre le feu à lapoudre, et les retardataires qui, pendant un quart d’heure, se chargentde répéter à tout venant que le canon est parti. Ce serait prendre unsoin superflu que d’indiquer le carré où ce canon est placé ; ce nepeut être évidemment que dans le carré d’Apollon, puisque c’est lui quile tire. Je ne saurais terminer ce que j’avais à dire sans faire remarquer quele Palais-Royal a toujours été et doit rester le centre des mouvementspolitiques populaires ; c’est une conséquence de sa situation et de lanature de ses habitués. Ainsi, la plupart des cafés s’y recommandent àleurs clients par quelque souvenir particulier : le café de Foy, parles discours de Camille Desmoulins, saisissant avec tant d’énergiel’insurrection dans l’âme du peuple ; le café de Chartres, par lesluttes violentes des deux cocardes verte et blanche, et ensuite des Montagnards et des Girondins ; le café Montansier, par les orgiespatriotiques des cent jours et les vengeances du retour de Gand ; lecafé Lemblin, par l’affluence constante, sous la restauration, de lajeunesse libérale et des militaires proscrits ; enfin le café Valois,comme le sanctuaire des têtes éternellement blanchies par la poudre del’ancien régime. C’est au Palais-Royal que s’ouvrit le premier club, etc’est là aussi que tinrent plus tard leurs conciliabules les jeunescontre-révolutionnaires qui auraient voulu pousser la réaction du moisde thermidor à des excès non moins déplorables que les excès dont elleavait arrêté le cours. Le mois dernier, un vieillard qui a servi dans les gardes suisses deLouis XV était revenu voir Paris dont il était absent depuis 1780, carla France n’est point son pays ; je le conduisais, et nous approchionsdu Palais-Royal : « Allons d’abord, me dit-il, sous l’arbre deCracovie, nous y lirons les journaux et je serai charmé d’apprendredes nouvelles des Polonais, là où mon coeur battait pour eux il y abientôt soixante ans » ; mais l’arbre avait été abattu peu d’annéesaprès le partage de la Pologne, avec l’allée entière de marronniersplantés par le cardinal de Richelieu dans toute la longueur du jardin ;il était le plus beau de tous et remarquable par l’étendue de sonfeuillage. Autour de cet arbre se réunissaient les lecteurs du Courrier de l’Europe et la Gazette de Leyde, à peu près les seulsjournaux du temps, et mon bon vieillard m’en montra la place vis-à-visle café de Foy. D’autres arbres verdissaient sous lesquels on lisaitd’autres journaux. Mais la sympathie de la France pour nos bravesfrères du Nord vivait toujours. Les vicissitudes des édifices ou plutôt de l’amas d’édifices quecomprend tout l’ensemble du Palais-Royal feraient le sujet d’une longuehistoire ; je me bornerai à dire qu’il fut commencé et achevé par deuxarchitectes de la même ville, par Jacques Lemercier, architecte ducardinal de Richelieu, et M. Fontaine, architecte de la maisond’Orléans, l’un et l’autre nés à Pontoise. Combien de fois n’a-t-on pasvu ce dernier et son royal client discuter vivement sur les toits, ettenir conseil sur un faîte d’où le prince n’aspirait pas à descendre ?Si l’art de bâtir servait d’apprentissage à l’art le plus élevé, jelaisse à penser quel présage on pourrait tirer du goût, de la splendeuret de la belle harmonie du palais de la rue Saint-Honoré. Je me contenterai aussi, pour satisfaire la curiosité du lecteur sousun autre rapport, de faire connaître brièvement les habitants de cepalais, depuis sa fondation ; ce furent, après Richelieu qui l’avaitfait continuer sous le nom de Palais Cardinal, Anne d’Autriche, mèrede Louis XIV, alors âgé de cinq ans, et qui se laissa tomber un jourdans le bassin du petit jardin appelé Jardin des princes ; puisHenriette d’Angleterre ; Philippe d’Orléans, chef de branche de ce nomet frère de Louis XIV ; Philippe le régent ; Louis, duc d’Orléans, sonfils ; Louis-Philippe, et au moment de la révolutionLouis-Philippe-Joseph, l’un père et l’autre grand-père du roi PhilippeIer. Le tribunat l’occupa pendant la république ; on ne sut qu’en fairesous l’empire ; et la bourse, ainsi que le tribunal de commerce, sonsatellite inséparable, furent établis provisoirement au rez de chausséevis-à-vis le grand escalier, pendant qu’on leur construisait un desplus beaux édifices de notre architecture moderne. A la rentrée desBourbons, la famille d’Orléans reprit le palais qui était son apanage ;Lucien s’y installa durant les cent jours ; et enfin après avoir étésous les quinze années de restauration la demeure de la branchecollatérale des Bourbons, il a été pendant dix-huit mois l’hôtelprovisoire de la royauté simple citoyenne ; mais un trône au milieu desmagasins les éclipsait trop ; les gens affairés, obligés quelquefois àde longs détours, n’ont point trouvé commode d’avoir un roi sur leurpassage ; Louis-Philippe l’a senti lui-même, et à l’heure où je traceces lignes la dynastie du Palais-Royal a emménagé au palais desTuileries. E. ROCH. |