L. Roux
S
Ivous avezrencontré, dans une des rues les plusfréquentéesde Paris, une jeune personne ornée d’un tartanvert,d’un bonnet de tulle à rubans orangés,etd’une imposante dignité de dix-huit printemps,vousl’avez suivie par instinct : la vie parisienne a de cesentraînements. Croyant toucher, sur ses traces, aux portes duConservatoire, vous vous êtes livré àmillerêves décevants : la jambe permetd’espérerune danseuse, le visage n’exclut pointl’idéed’une cantatrice. Son itinéraire n’estpas ce quivous préoccupe : vous avez fait un pas sans penser, vous enfaites deux sans avoir réfléchi, pour voustrouver enface de…….. l’Écolepratique. Votre sylphideest une sage-femme, l’adjectif est
ad libitum.Rien ne ressemblant à un étudiant comme unflâneur,vous êtes reçu sans autre carte que votre mineévaporée dans le prétoire de Lucine :le cours deM. Hatin va commencer.
Il y a eu des demi-mots à l’adresse de la jeuneélève, dont elle a dû rougir, lagalanterien’étant point dans le programme. Elle court seplacer sousl’égide de la science au premier banc del’amphithéâtre. Quand le professeurarrive, la fineplaisanterie n’est plus permise :l’élève esttoute au professeur ; elle écoute par les yeux, et il yauraitconscience à la distraire le moins du monde. Elle est plusqueséparée de l’étudiant enmédecine,elle en est distincte ; cependant, la sagesse des deuxÉcoles nesuffisant pas à mettre la sage-femme qui prenaitleçonavec les étudiants à l’abri desagaceries, laFaculté a reconnu récemment qu’il yavait urgenceà ce que les sages-femmes suivissent les coursisolément,sauf pour celles-ci à être moins instruites quelorsqueles étudiants eux-mêmes assistaient àcesleçons. De son auditoire, le professeurs’étantrésigné à ne conserver que la plusbellemoitié, la morale a gagné tout ce que la sciencea puperdre à cet arrangement. L’art procèdepar desinitiations lentes. Le noviciat de la sage-femme a sesdifficultés : il s’agit de comparaîtredevant unjury de médecins ; il y a un prix pour lesélèvessages-femmes comme il y en avait un autrefois pour lesrosières.Les femmes n’ayant d’ordinaire d’autredistinctionque celle du mérite, il est juste de tenir compte desexceptions.
La profession de sage-femme n’est ni artistique nipoétique, mais bien médicale etéminemment utile.Peut-on être sage-femme à moins des’appeler madameLa Chapelle ou madame Boivin ? Là est la question. Lesmédecins de tout temps s’emparent des grandsaccouchements, et c’est pour cela même que lessages-femmesont si peu d’occasions de montrer unesupérioritémarquée. Le préjugé les condamne,àd’honorables exceptions près, àn’êtreque des diminutifs des médecins.
Généralement dévouéeà la petitebourgeoisie, la sage-femme habite les quartiers marchands etmêmepopuleux ; le troisième étage est de son ressort,elles’élève aussi, dansl’intérêt desa clientèle, jusqu’aux mansardes les plusidéales; elle-même a fixé ses pénatesà unquatrième. La sage-femme paie son terme quand la naturedaigneen fixer un pour quelque enfant à naître, et lanaturen’est pas moins ponctuelle à son égardque sonpropriétaire.
Il y a des sages-femmes grands-cordons de l’ordre, sanscomptercelles qui, à l’aide d’une hyperboleplus ou moinsforte, s’intitulent ainsi. Une sage-femme qui compte desantécédents n’aqu’à trouver unepratique crédule ; à l’aided’unemnémotechnie qui lui appartient, elle rappellera les diverspersonnages qui lui ont dû le jour : àl’entendre,elle n’aurait pas été sans influencesurl’arrivée du roi de Rome ; on l’auraitconsultée sur la naissance du duc de Bordeaux ; le nombredescomtes, - si l’on nous passel’équivoque, -qu’elle a faits en sa vie tient vraiment du prodige. Enréalité, l’importance de la sage-femmeestproblématique ; ses prétentions, lesmédecinsdisent ses connaissances, sont médiocres. On appelle uneaccoucheuse afin de pouvoir se passer d’unmédecin. Il estdes susceptibilités, des fortunes surtout, que le savoirtitré, en frac et en habit de docteur, effraie et intimide ;oncraint de ne pouvoir payer l’accouchement : la sage-femme seprésente alors même qu’elle estsûre de ne pasêtre payée. Elle passe pour être demeilleurecomposition qu’un accoucheur à diplôme,peut-être parce qu’elle reçoit deplusieurs mains.C’est elle qui, concurremment avec la marraine, fait de cettecérémonie bourgeoise nomméevulgairement unbaptême, la plus onéreuse des invitations defamille. Lasage-femme accepte des cadeaux ; le médecin ne compte quesurses honoraires, quand il y compte. Ces petits présentsautorisés par l’usage finissent par lui composerune sommeassez ronde, un revenu solide. On se dispense plus aisémentdepayer une dette que de faire ses honneurs ; la coutume est plusdespotique que la loi.
Une enseigne que chacun connaît et dont lesnouveau-néssupposent l’existence avant même d’avoirvu le jour,fait partie intégrante de la sage-femme, disons toutefoisqueson portrait diffère souvent de son tableau. On setromperait enfaisant ici l’application de l’axiome
ut pictura poesis: d’abord la broderie au blanc de céruse ne perdrien parl’action de l’air et du temps de sa virginaleblancheur ;en second lieu, une sage-femme qui apparaît sur le tableaudanstout l’éclat de la jeunesse et du talent cultivesouventla clientèle depuis un temps immémorial. On peut,sans lamoindre injustice, lui assigner, en toute occurrence, une place dans lepanthéon des femmes Balzac, l’enseigne ne vieillitpas. Ilpeut arriver aussi qu’un tableau de rencontrefaçonné à l’effigied’une blondes’adapte sans difficulté à une brunepiquante. Lesenfants n’y regardent pas de si près pour venir aumonde.La sage-femme est toujours élève de laMaternitésur son tableau.
Chaque rue offre une de ces enseignes, où le sourire eststéréotypé sur les lèvresdunouveau-né et de la sage-femme. Avoir un tableau est leprivilége des accoucheuses ; malheureusement ce que ce modedepublication a d’avantageux est en partie perdu par laconcurrence.
Aurait-on la curiosité de se demander quelle est la causequijette dans une voie excentrique et savante tant de femmesnéespour être l’ornement d’unesociétébourgeoise ; quelle puissance occulte et irrésistible lesarrache à leur vocation de modistes, de dames de compagnie,deconfiance ou d’intimité, pour en faire dessages-femmes ?Cela tient aux plus profonds mystères de la vied’outre-Seine. On n’a pu se défendred’uneséduction opérée par unétudiant enmédecine : on aime le médecin d’abord ;on en vientensuite à se passionner pour son art. A laFaculté dedroit, les choses ne se passent pas autrement ; beaucoup de femmesconnaissent le code ; Héloïse étaittrès-forte sur la scolastique. La sage-femme,c’est lagrisette émancipée ; c’est elle qui,pendant que M.Ernest était au cours, lisait Boërrhaave avecentraînement, se passionnait pour un chapitre de Lisfranccommed’autres pour un roman de Ch. Gosselin. Cettesoliditédans le jugement a déterminé M. Ernestà faire dessacrifices. Doué d’une médiocreambition etd’une fortune plus médiocre, il a consentiàs’établir de compte à demi avec uneélève formée de sa main ; ils ont prisleursgrades le même jour à la Faculté, etles ont faitlégitimer à la mairie. C’est ainsi quenaissent lespetites fortunes médicales, et que l’art desaccouchementsfait chaque jour de nouveaux progrès. L’inverse acependant lieu quelquefois. La sage-femme, essentiellementvouéeà la parturition, fait éclore, le caséchéant, descélébritésmédicales. Un membre de la Faculté ne se faisaitremarquer que par ses habits râpés et un immensepressentiment de ses hautes destinées. Il futdistinguépar une sage-femme possédant une recette qu’ilprônadepuis à plusieurs millions d’annonces ;s’emparerdu coeur de la sage-femme et de sa recette fut le premier coupdemaître du docteur. Paracelse avait substituél’astrologie à toutes les sciences,l’annonce fut lapanacée universelle du nouvel alchimiste. Parvenuàl’apogée de la fortune et de lacélébrité, il oublia la femme quil’avaitrévélé. Outrée de ce manqued’égards, celle-ci prit la plume, et nouseûmesles
Mémoiresd’une sage-femme. La
Biographie des sages-femmes,autre ouvrage de même portée, contient, nousaimonsà le croire, bon nombre de noms justementcélèbres; il s’en faut cependant que toutes celles qui se distinguentdans cette profession puissent être regardéescommeirréprochables, et dire toute lavérité en ce quien concerne quelques-unes serait faire plutôt une satirequ’un tableau de moeurs.
Cette profession a ses Locustes. Des femmes sans aveu, quoiqueaccoucheuse jurées, ayant vécu longtemps dans unétat problématique, plus près del’indigenceque d’une aisance modeste, parviennent à lafortune parune route directement opposée à celle du bien.Leurmétier était de mettre des enfants au monde ;elles fontleur possible pour que l’humanité ignorel’arrivée de ceux qu’elle avait inscritsd’avance sur son catalogue. Voulez-vous, sur lesdonnéesde Parent-Duchâtelet, vous faire le chroniqueur patient etrésigné de tous les vices de Paris ; lasage-femme vousen apprendra à ce sujet plus qu’aucune autre. Lasage-femme d’une moralité douteuse, celle quitient de laVoisin et qui, dans les cas urgents, a recours auxdérivatifs,donne fréquemment sa main à un herboriste :c’estun mariage de raison, un moyen d’avoir des simplesà saportée, on use des spécifiques, on en abusemême. AParis surtout, les sollicitations sont souvent pressantes ; latentation se présente armée d’unebourse etd’un sophisme : on commet un infanticide pour parerà undéshonneur. Les physiologistes écrivent en vainque toutbreuvage de ce genre est un poison ; beaucoup de sages-femmes en saventlà-dessus autant que les médecinseux-mêmes.C’est pourquoi elles continuent d’exercer leurprofession.Il suffit qu’elles possèdent le remèdepourl’appliquer. On calcule la somme reçue ouàrecevoir bien plus que les conséquences d’uneatrocité. La victime craint le déshonneur plusque lamort ; sa complice aime l’argent plus quel’honnêteté. Il y a, selon nous, troiscoupablesquand un crime de ce genre se produit : la sage-femme qui affronte unprocès ; la femme enceinte qui affronte la mort et lareçoit des suites plus ou moins immédiates de safaiblesse ; enfin la société toujoursarmée pourla vengeance, et qui punit trop par l’opinion une femmeséduite, et la pousse ainsi fréquemmentà undouble suicide. Nous voyons au reste, à toutes lesépoques d’une civilisationtrès-avancée, lesmêmes crimes naître des mêmes causes. Sil’onen croit les historiens, les moeursd’Athènesn’auraient pas été exemptes de cespratiquessecrètes. Les femmes grecques étaienttrès-versées dans la médecine de leursexe, et lesmatrones étaient appelées presque exclusivementpour lesaccouchements. Laïs et Aspasie accrurent laméchanteréputation qu’elles s’étaientacquise parleurs galanteries, en pratiquant l’art occulte d’enfairedisparaître les traces chez les femmes livrées auxmêmes déréglements.
Si ces immoralités étaient chez nous uneexception, ilaurait fallu s’en taire ; si elles sont au contraire une desplaies endémiques de la sociétéactuelle, il fauty chercher un remède. Nous livrons cetteréflexion auxmoralistes. La sage-femme qui tient pension est à la foisl’Harpocrate (1) et l’Hippocrate femelle de sonart, sadiscrétion est passée en proverbe. On ne mettraitjamaisles pieds chez elle si l’on savait y être vu. Elleestutile au célibat renté qui pense pouvoirconserver saconsidération en récusant la plus noble partiedesdevoirs qui pèsent sur le citoyen aisé ; beaucoupdepropriétaires ont plus de confiance en une sage-femmed’unquartier autre que le leur que dans le maire de leur arrondissement, etaiment mieux avoir une honte à dissimuler qu’unménage à gouverner en chefs de famille. Lasociété qui flétrit tant de chosesmoins dignes deblâme les a-t-elle jamais mis à son ban ? il estvrai quela sage-femme est si discrète, et qu’en toutétatde cause un homme riche est toujours un homme àménager.
Mais il ne suffit pas qu’une sage-femme jouissed’uneconfiance illimitée et soit avantageusement connue de toutescelles qui désirent ne lui confier que ce qu’ellesveulentcéder à d’autres, il faut encoreprévenirles confidences, entretenir des relations avec les scandales quin’en sont pas encore. Paris est un asile précieuxpour laprovince, de même que la campagne est un séjourdiscretpour les accidents de la vie parisienne. Ce refuge del’innocencene mérite ce nom qu’autant qu’il laprocure auxpersonnes qui d’aventure l’auraient perdue parimprudence.La sage-femme qui tient pension jette ses filets dans les
Petites-Affiches,sous forme de réclames modestes. On ne demande rien auxpersonnes en état de domesticité que leursservicesà terme ; il n’est pas inutile de seprésenter,toutefois, sans avoir quelques économies. Il suffit que lasage-femme ait donné son adresse sous une formulephilanthropique pour que les intéressées viennentd’elles-mêmes faire appel à sesconnaissancespratiques. On ne se connaît pas dans sonétablissement.Les femmes ont un nom quelconque ; les roturières sontvicomtesses ; les femmes titrées s’appellentLouise ouSéraphine ; celles qui viennent des confins les plusreculés des départements ont une position dansla
capitale; les autres sont destinées às’éloigner deParis. Presque toutes ont leurs époux dans quelqueîle dela mer du Sud. Elles feignent d’ajouter foi aux paroles lesunesdes autres, afin de n’être pasinterrogées. Samaison est, au reste, une Thébaïde ; elle loge aufondd‘une vaste cour, elle a pour portier un sourd et muet ;toutesses fenêtres ont des abat-jour. Il faut montrer patte blanchepour être reçu dans songynécée. Larecherche de la maternité y estsévèrementinterdite, l’homme en est banni àperpétuité.
S’il est une profession où laconsidération soittoute personnelle, c’est surtout celle de sage-femme. Lasage-femme qui, outre les vertus de son sexe, possède lesconnaissances de sa profession, ne tarde pas à jouir danssonquartier même d’une réputationirréprochableet d’un honnête revenu. Sa clientèle luiacoûté quelques sacrifices d’amour-propre; il afallu se mettre bien avec les portières, ne pass’aliéner par une dignitécompromettante les bonnesgrâces des gardes-malades, satisfaire par des visitesréitérées aux exigences de la petitepropriété. Il y a telle de ses clientes quiaccouchevingt fois avant de mettre un enfant au monde. Pour peuqu’elledevienne en vogue, la sage-femme n’a plus un instantàelle. Les enfants font exprès de voir le jour àminuit.Elle allait se mettre à table, on vient la chercher pour unegrosse marchande ; heureusement elle a des garanties et lacommère en est à son quinzième : ilssont tousvenus de la même manière ; en faitd’accouchements,il n’y a que le premier pas qui coûte.
Tout cela est plus ou moins vulgaire ; mais tout cela existe et composeles scènes les plus intéressantes de la vieprivée. Beaucoup d’enfants attachent une grandeimportanceà venir au monde. Des hommes de génie peuventpasser parles mains de la sage-femme sans qu’elle s’enaperçoive. Sa profession est une loterie.
Ce n’est pas tout pourtant de procéderà unaccouchement, il faut encore savoir quand un enfant existe, leprophétiser, si l’on ne peut faire plus,interpréter son sexe, favoriser son développementpar unesaignée en temps opportun ; connaître quelsbreuvages luiconviennent d’abord. On pourrait faire des poëmessur cettedonnée, il y a des sages-femmes qui en ont fait. Lasage-femmeest un argument pour les personnes de son sexe qui rêvent lafemme libre. Serait-ce abuser de notre position que de dire un mot desfolles hypothèses prônéesrécemment surl’individualité de la femme ?l’expériencedes siècles et sa nature même la fixent dans lesanctuairedu foyer domestique. Elle est reine au sein de sa famille ; elle adroit à nos adorations quand elle est mère :éloignez-la de ce centre de ses affections et desnôtres,de ce cercle modeste et précieux de la vieprivée, vousla déplacez ; donnez-lui un rôle autre que lesien, quiest d’aimer et d’élever ses enfants,vous neproduisez que scandale, désordre et anarchie.
La sage-femme ne sort pas de ses attributions de la famille ; elle yentre au contraire plus complètement qu’aucuneautreindividualité de son sexe.
C’est souvent une mère qui en aided’autres à le devenir.
Au point de vue philosophique, qu’y a-t-il de plus noble etdeplus relevé que la profession de sage-femme ? Mais elle esttropprès de la nature pour être bienappréciéepar la civilisation.
Socrate avait tracé autour de sa maison une ligneoù ilenfermait sa femme. Est-ce pour cela que Socrate faisait mauvaisménage ?
Ajoutons que le plus sage des hommes était filsd’une sage-femme.
On a vu des femmes, comme lady Stanhope, êtreinspiréesd’en haut, confier leurs rêvespoético-religieux auxsables brûlants du désert ; d’autres,s’improviser un apostolat qui n’embrasse pas moinsdesquatre parties du globe, et promener leurspérégrinationsphalanstériennes d’un continent àl’autre,faire emprisonner leurs maris, ne pouvoir supporter aucuneespèce de servitude, et s’imposer le mandatd’affranchir la femme du joug de fer du mariage ;d’autres,entrer par des in-octavo dans la classeprivilégiée decélébrités de toutes lesépoques. On en avu rivaliser de verve et d’enthousiasme avec lespoëtescontemporains, improviser des opéras, et dans la romancemême on a vu la musique s’allier à lapoésiesous l’inspiration d’une seule museféminine. On avu le sceptre de la comédie tomber en quenouille ; lemémoire, jusqu’alors du domaine exclusif deshommesd’état, devenir le partage de duchesses et defemmes dechambre, et servir de prologue à des divorceséclatants.Tout cela est beau sans doute ; mais le type de la femme
humanitairese révèle autre part, et paraîtd’autant plusnoble que son rôle, si utile à une classed’enfantsparias de naissance, ne peut êtreappréciédignement que par un petit nombre de témoins. Il faut leproclamer hautement, dût-on ne le dire qu’une fois,celleque son savoir a mise à la tête d’unétablissement comme la Maternité est toujours unefemmevraiment grande et digne de respect. Cette maison, qui ne peutêtre peinte d’un seul trait, se résumeen elle. Quede soins ! que de propreté !Quelle vocation socialen’a-t-il pas fallu pour être au niveau de cetemploi !Quelle constance pour ne pas s’y habituer et faire corps aveclui, comme cela arrive aux anciens juges, aux anciensmédecinset aux diplomates consommés ! L’ordre de la maisonestadmirable ; l’incessante charité qui le maintient,plusmerveilleuse encore. Il faut s’éleverjusqu’auxclasses les plus aisées de la bourgeoisie pour trouverautant deluxe et de raffinements hygiéniques qu’il y en adans unesimple salle de l’hospice des Enfants-Trouvés.Rienn’est bizarre et contrasté comme les premiersmoments deces victimes privilégiées de la misèrequidécime les classes pauvres de la population de Paris. Sortisd’une main quelconque, les enfants trouvés sontaccueillisdans un asile où tout semble merveilleusementdisposépour l’allaitement. Légués ensuite,à raisonde 16 centimes par jour, à une mercenaire de la campagne,ilssurvivent peu à un régime meurtrier ; ils meurententreles mains des nourrices, c’est une conséquence :maispourquoi meurent-ils en aussi grand nombre, au moins, àl’hospice où ils sont bien soignés ?Qui le sait,bon Dieu ! D’après les calculs statistiques, unenfanttrouvé qui arrive à la position d’hommemarié est une exception infiniment rare, à peuprès comme un sur dix mille, et l’étatdépense des millions pour arriver à ce mortuairerésultat !
Honnêtes philanthropes, toujours disposésàappliquer le remède à côtédu mal, que vousimporte qu’il y ait des enfants trouvés, pourvuqu’ils soient bien traités ou paraissentl’être ! Eh bien ! la question estrésolue, ils nele sont point, ou du moins c’est en pure pertequ’ils lesont. Ceux qui échappent à lamortalité peuplentles maisons de corrections, perpétuent la misèreetl’opprobre au dehors et au-dedans de lasociété. Iln’y a qu’un moyen de remédierà ce mal,c’est de le supprimer, c’est de permettre aux liensdu sangà peine formés de se raffermir, enprocédantà l’amélioration du sort des classesindigentesd’où proviennent la plupart des enfantstrouvés,car l’exception ne doit pas nous occuper. Un fait demeureétabli, c’est qu’un enfant
trouvéest aujourd’hui un enfant
perdu. Ce jeu demots, cruellement sérieux, nous le conservons, iln’y avait aucun moyen de l’éviter.
Honneur encore une fois à la sage-femme qui, sans aucune descompensations flatteuses dont le monde entoure celles qui se vouentà une des célébritésd’un autregenre, accomplit chaque jour une oeuvre utile, etcomposéed’un million de petites choses, qui la rendent grande etrespectable aux yeux de tous.
La sage-femme ordinaire s’efface complétement,quand on avu de quoi se compose le rôle de la sage-femme en chefàla Maternité.
L’hospice de la Maternité admettait autrefois deraresvisiteurs ; maintenant on n’y pénètreplus. Ilarriva un jour qu’un de ces curieux, qui avait obtenu unepermission pour visiter l’hospice, y reconnut…. sasoeur.
Comment parler dignement de la sage-femme qui a inventé lebiberon-tétine et le bout-de-sein en gomme plus ou moinsélastique, le biberon à calorifère ;qui tient unepension et crée chaque année un nouveauprocédé d’enfantement ?
Or, de même qu’un état, un biberon nes’improvise pas en un jour : il faut au préalableque laphilanthropie l’ait adopté, qu’il aitété jugé digne d’un brevetd’invention, ou tout au moins de plusieursmédailles ; lesprincipaux médecins sont consultés surl’influencehumanitaire du biberon, sur l’importance sociale dubout-de-sein,et accordent leur sanction, pour peu que la sage-femme ait mis quelquetalent à prouver l’utilité de sadécouverte.Munie des attestations les plus honorables, la sage-femmedémontre chimiquement que toutes les inventions qui serapprochent de la sienne à l’aide d’uneimitationplus ou moins ingénieuse sont la perte des nourrices etl’écueil de l’allaitement. Parvenueàl’état de professeur, elle donne la main auxcélébrités médicales de sonépoque ;son auditoire n’est composé que de femmes, commejadis lesmystères de la bonne déesse. Elle n’enest pasmoins placée à l’apogée dela science ; sonnom fait autorité. Elle a un éditeur, mais unéditeur scientifique. Elle applique le forceps avec autantdesang-froid que d’autres en mettent à broder uneécharpe ou à donner le jour à unepaire de bas. Onsait que la Faculté a refusé récemmentundiplôme de médecin à une femme qui enétaitdigne sous tous les rapports. Le docte corps a craintpeut-êtreles rivalités, et l’influence d’un sinoble exemplesur les destinées de la médecine. Ce faitparaîtbizarre, il est simplement, selon l’expression vulgaire,renouvelé des Grecs. L’aréopage, ayantremarqué que les connaissances médicales serépandaient beaucoup trop parmi les femmes, proscrivit lesaccoucheuses. Le préjugé de la sage-femmeétaittellement enraciné chez les damesd’Athènes,qu’elles aimaient mieux mourir que d’êtreaccouchées par des hommes. Agnodice porta l’amourde sonart jusqu’à se déguiser en homme età veniren aide à son sexe sous le costume d’unAthénien.L’androgyne naquit d’un arrêt draconiendel’aréopage. Agnodice, convaincue d’avoirpratiqué l’accouchement en dépit del’aréopage, fut condamnée àmort. Elleobtint sa grâce à la prière desAthéniennesles plus distinguées. Le tribunal eût mieux faitpeut-être, en matière d’accouchements,de sedéclarer incompétent.
On permet à la sage-femme d’êtreprofesseur dans saspécialité, et même d’envoyerdesélèves dans les départements ; cellesqui ontexercé sous ses yeux et sous sa main n’oublientpas de lementionner sur leur enseigne.
Le rôle de la sage-femme, nous l’avons dit,n’estpoint borné aux pratiques vulgaires del’accouchement :l’hygiène de son sexe la regardespécialement ;nommer la sage-femme, c’est nommer le médecin detoutesles maladies et de toutes les faiblesses de son sexe.
Quand un enfant a vu le jour et qu’il est exempt de
meconium,la sage-femme n’est pas au bout de ses épreuves :il fautencore qu’elle le pare, qu’elle le festonne,qu’ellel’illustre ; heureusement les langes sont prêts ;elle amême sous la main les vêtements de celui qui,d’après Fitche, est le roi de lacréation. Le petitbéret de velours orné de rubans, la chemise debatiste,les fines broderies, tout cela passe par les mains de la sage-femme ;elle serait au désespoir qu’une autrequ’elleinaugurât le nouveau-né. Ainsiemmaillotté,ajusté et adonisé comme un Amour de Watteau, elleleprésente à la famille, qui est forcéed’avouer qu’après ce Cupidonlui-même, cequ’il y a de plus admirable au monde, c’est lasage-femme.
L. ROUX.
(1) Dieu dusilence.