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[Le Conférencier,journal mensuel de projection, n° 9 - Octobre 1903] : La Pêche à laSardine par un Argonaute.- Paris: E. Mazo, 1903.- 16 p. ; 23 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque intercommunaleAndré Malraux à Lisieux (15.XII.2016)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
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Texte établi surl'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx: Norm br 2020) du n° 9 d'octobre 1903 de la publication Le Conférencier, journal mensuel deprojection.



La Pêche à la Sardine par un Argonaute (1903)

La Pêche à la Sardine
par
un Argonaute




Parmi les poissons de mer dontla pêche intensive fournit au commerce et à l'industrie maritimes lerendement matériel le plus important, la sardine, sans tenir le premierrang, comme la morue ou le hareng, joue cependant un rôle extrêmementimportant.
 
Extrêmement important pour nous autres Français surtout, car lapréparation spéciale de la sardine à l'huile — forme sous laquelle cepoisson est le plus généralement livré à la consommation — est aupremier chef une industrie française. Il y a donc intérêt à connaîtreexactement les conditions dans lesquelles se pêche et se prépare lasardine et en étudiant ici, cette question notre but est de faireconnaître à nos auditeurs une des sources de notre prospérité maritime.Ceci est d'autant plus sérieux que la crise retentissante dont s'estnaguère avec juste raison si violemment ému le pays tout entier, étaitextrêmement grave pour nous. Secourir de pareilles infortunes, empêcherle retour de semblables calamités n'est pas faire œuvre suffisante. Ilfaut de plus développer dans la mesure du possible une industrie qui,si elle était maintenue sans cesse dans une prospérité ascendante,aurait les meilleurs résultats pour les vaillantes populations qui s'yadonnent, et qui constituent la pépinière des marins pour nos flottesde guerre et de commerce.

Et d'abord qu'est-ce que la sardine ?

1. —    Sardine.
 
Classée par les savants dans la race des Clupéacés, la sardine est unpoisson fort commun et cependant mal connu. Long de douze à dix-huitcentimètres, parfois même de vingt-cinq, la sardine présente un corpsallongé terminé d'un côté par une queue fourchue, de l'autre par unetête camuse portant un œil assez grand -et une mâchoire inférieure pluslongue que la supérieure. Sa couleur est verte sur le dos, blancheteintée de bleu sur les flancs.

2. — 727 (série 53 bis).    Sprat.
 
A côté de la sardine franche, prenant place parmi ses plus prochesparents, se trouvent des poissons qui lui ressemblent et qui sontsouvent pêchés et livrés à la consommation sous le nom de sardines Cesont la « Sardine auriculée » (appelée « Arenc » par les pêcheurs deNice, « Alléchard » par ceux de Cette), l' « Harengule blanquette » ( «Menise » ou « Menuise » pour les pêcheurs normands), la « Melettephalérique », la « Melette commune » et surtout le « Sprat ». Le «Sprat », que nous voyons ici, se pêche en quantités colossales dans labaie de Douarnenez où l'on a pris, dit-on, jusqu'à un milliond'individus en une seule sortie.
 
Les mœurs de la sardine prêtent depuis longtemps à recherches savantes.Nul poisson n'est en effet, plus capricieux que celui-ci ; lesdissertations scientifiques et les enquêtes qu'il a provoquéesconstituent à elles seules toute une bibliographie déjà importante.Citons quelques noms parmi ceux qui se sont le plus spécialementoccupés de la question : MM. Blavier en 1882, Bouchon-Brandelyinspecteur général des Pêches Maritimes en 1887, Gerville-Réache,président du Comité consultatif des Pêches Maritimes en 1887, Launetteen 1888, G. Roché en 1893, Fabre Domergue en 1896, ont écrit sur laquestion de fort intéressantes brochures et des rapports très étudiés.Mais jusqu'à présent ces travaux auxquels on peut ajouter ceux de MM.Caillo, Léon Vaillant, F. Henneguy, n'ont pu aboutir à des conclusionscertaines concernant les mœurs vraiment déconcertantes du genre « clupe», le lieu de la ponte, les conditions naturelles nécessaires audéveloppement des œufs et des jeunes, et les règles de migrationauxquelles paraissent obéir les adultes. Les fantaisies de la sardinecontinuent à rester incomprises en dépit des recherches les meilleureset les plus subtiles ; et pour l'instant on ne paraît guère plus avancéqu’au temps où, en 1772, Duhamel du Monceau écrivait que « les sardinessont des poissons qui paraissent en certains endroits et sont ensuiteun temps considérable sans se montrer ».
 
Il serait cependant assez nécessaire d'aboutir à des conclusions un peuplus pratiques en cette matière et il serait à souhaiter que leslaboratoires de pêche établis en divers points de nos côtes pussentdisposer de ressources suffisantes pour pousser très à fond l'étudedétaillée d'un aussi important problème, et aussi vital.

3. —    Carte de la Bretagne.
   
C'est sur les côtes de Bretagne que, pour la France, la sardine sembleavoir placé son lieu d'élection, depuis l'ouvert de la Manche jusquesur les côtes de Vendée ; et sur tout ce littoral cent mille personnesvivent de la pêche de ce poisson et des travaux qu'exige sa préparation.
   
Les points principaux de cette industrie sont les suivants : sur lacôte nord une sorte de poste détaché est formé par le petit port deTrebeurden en Lannionais dans les Côtes-du-Nord. Puis après le Chenaldu Four, ligne de démarcation idéale entre la Manche et l'OcéanAtlantique, nous trouvons en suivant la côte du Finistère Brestd'abord, puis Camaret, Morgat, Douarnenez, Audierne, Penmarch, LeGuilvinec, Port-Louis, Quiberon, Belle-Isle, Lorient, Le Croisic,Saint-Nazaire, Les Sables-d'Olonne et enfin, tout à fait au sud et enune autre province, Royan.
   
On prétend que la sardine, qui aime l'eau tiède, fréquente les fonds dela côte bretonne, attirée par le courant chaud du Gulf Stream qui,comme on sait, fait toucher la Bretagne par un de ses bras venu desAntilles à travers l'Atlantique ; et parmi les causes hypothétiques quel'on donne des lubies de la sardine, beaucoup de gens compétentsplacent les déviations variables de ce courant fameux.
   
Quoi qu'il en soit, c'est de mai à octobre chaque année que sur celittoral se pêche la sardine, qui, il n'y a pas longtemps encore,rapportait à la Bretagne quinze millions par an.

Parcourons donc d'abord ces côtes et ces ports :

4. — 291 (série 57). Vue générale du port de Brest.
   
Brest est le plus grand, le meilleur et le plus important des ports deBretagne ; sa position merveilleuse, à l'extrémité de la péninsulearmoricaine, sa rade unique au monde, sa situation militaire excellentequi ne demande qu'à être complétée, au point de vue commercial pour enfaire le premier port de la France sur l'Atlantique, placent hors depair cette ville fameuse. Dans le déploiement des riches qualités d'unport pareil, la pêche à la sardine se trouve un peu effacée aux yeux duvisiteur. Si ce n'est pas de cette pêche que Brest tire son importanceextrême, il serait cependant injuste de ne pas compter parmi les portssardiniers ce magnifique port de guerre. Si la flottille des barquesbrestoises ne pêche que peu la sardine, cependant Brest sert de pointde centralisation pour le commerce sardinier et des usines importantesy ont leur maison principale et leur siège social.

5. — 253 (série 57).    Le port de Camaret.
 
Situé en dehors du goulet de Brest, fort bien abrité de la grosse houlepar la pointe du Grand Gouin, et cependant placé au creux de son ansecomme une sentinelle avancée de Brest, le petit port de Camaret, fortde 2,000 habitants, vit exclusivement de la pêche à la sardine et de lapêche du homard. Une agile flottille emplit ce port excellent etpendant les six mois de pêche chaque jour la flottille camaretoise s'enva jeter ses filets au large par le travers des terribles écueils quigardent l'entrée de Brest, rochers du Toulinguet et de laPointe-des-Pois d'une part, Pierres-Noires de l'autre, dans cette largeet houleuse plaine maritime qui forme ce qu'on a appelé d'un mot trèsjuste le vestibule du Goulet de Brest. La sardine vient volontierscirculer à l'aise en bancs nombreux au sein de ces eaux que tiédit leGulf-Stream

6. — 166 ter (série 57). Le Voroc'h et l'anse de Pen-Hat.
 
Pour embrasser une partie de ce favorable lieu de pêche, gravissons nonloin de Camaret la haute falaise qui se termine à la Pointe de Pen-Hirgardée par les formidables écueils appelés les Tas-de-Pois.Arrêtons-nous ici au bord d'une profonde et relativement étroitefissure ouverte au flanc de la falaise sur une hauteur de quatre-vingtsmètres à laquelle dans le pays on donne le nom de Voroc'h.

Devant ce Voroc'h au creux duquel dans les jours de tempête la mervient battre avec rage le rocher et s'engouffrer dans une grotteouverte à son pied, s'étend une vaste étendue de mer que borne seulesur notre droite la pointe du Toulinguet, ses redoutables rochers, sescourants rapides et l'anse largement ouverte de Pen-Hat.
 
Dans ces parages, d'ailleurs extrêmement dangereux et redoutés à justetitre par les navigateurs au long cours, tous les jours durant lasaison de pêche, les barques de pêche viennent jeter leurs filets ettenter par des appâts choisis la voracité de la sardine.
 
Les eaux territoriales qui baignent toute cette côte si percée d'anseset de baies, si criblée de rochers émergés totalement, émergeant àchaque basse mer ou toujours sous-marins, si gardée par ses rudesfalaises à pic, sont d'ailleurs le lieu d'élection des bandes desardines.

Imaginons-nous que nous suivons toute la côte sur quelque bateaucaboteur : nous allons voir défiler devant nous tous les ports quicomme Camaret vivent de cette pêche.
 
Doublons d'abord la Pointe des Pois sur laquelle nous nous trouvons ence moment et dirigeons-nous vers le sud.

7. 159 ter (série 57).    Château de Dinan.

Voici une baie, ou mieux une anse, l'anse de Dinan, à l'extrémité delaquelle s'élève un rocher bizarre, masse énorme percée de grottes,véritable forteresse que réunit seul à la terre ferme un pont naturelformant une arche double, et connu sous le nom de « Château de Dinan ».A l'ouvert de cette anse se réunissent souvent pour la pêche lesbarques des ports de Camaret, Morgat et Douarnenez.

8. — 246 (série 57). Pointe du Cap de la Chèvre.

Réunion fréquente et facile, car c'est non loin de là que s'ouvre labaie de Douarnenez : il suffit pour entrer dans cette large baieouverte au sud de la presqu'île de Crozon que l'on double la hautemuraille du Cap de la Chèvre qui élève à une attitude de cent mètresau-dessus des flots sa masse énorme. Aussitôt ce promontoire tourné,nous voguons sur la baie de Douarnenez, au-dessus du gouffre danslequel, dit la légende, s'engloutit naguère la ville d'Is que latradition place en ce lieu.

9. — 231 (série 57).    Morgat : pointe, de Cador.

La baie de Douarnenez abrite deux ports de pêche d'importance biendifférente.
 
D'une part sur la côte nord, à un kilomètre de Crozon, au fond d'unepetite anse qui porte son nom se trouve le village de Morgat, sorted'intermédiaire entre Camaret de l'inscription maritime duquel sesmarins dépendent, et Douarnenez dont ses barques ont la constructionspéciale et le gréement particulier.

10. — 212 bis (série 57). Le port de Douarnenez.

Sur la côte sud, c'est Douarnenez. Située dans une position admirableau bord de cette vaste baie qui porte son nom et qui mesure environ 80kilomètres de circonférence, Douarnenez est le premier port sardinierde la région. Comptant près de 9,000 habitants, Douarnenez arme pour lasardine 800 barques montées par 4,000 pêcheurs et capture environ 350 à400 millions de sardines en moyenne valant environ neuf millions defrancs. Relié par chemin de fer à Quimper, Douarnenez fait de la pêcheà la sardine la base même de son existence et la voie ferrée déversevers l'intérieur poissons salés, poissons frais et poissons conservésdont Douarnenez livre au commerce une quantité considérable durant lasaison de pêche.

11. — 180 ter (série 57).    Le Raz de Sein.

Continuant notre tournée côtière il nous faut maintenant, au sortir dela baie de Douarnenez, doubler le cap symétrique, au sud, de la PointeSaint-Mathieu au nord, le cap redouté des marin sur lequel en Bretagnecourent tant de légendes tragiques, tant de proverbes menaçants, tantd'anecdotes et de récits dont la terrible vérité épouvanterait les pluscourageux. La Pointe du Raz jouit dans la marine d'une réputationtristement méritée par des centaines et des centaines de naufrages, etle courant extraordinairement rapide qui passe entre cette pointe etl'île de Sein se brisant sur des milliers de rochers aigus avec unassourdissant fracas, est en effet un des plus redoutables dangersauxquels puissent être livrés les marins d'alentour ou de passage.

12. — 295 (série 57).    Audierne.
 
De l'autre côté de la Pointe du Raz, sur la rive droite de la rivièrede Goayen, est situé le part d'Audierne, petite ville de 3,000habitants environ, jadis beaucoup plus florissante qu'elle ne l'estaujourd'hui. Ce port de 6 hectares de superficie, bien abrité par unelongue jetée en granit, est cependant rendu dangereux à son entrée parla présence du banc de Cammer, écueil semi-émergeant qui gêne lacirculation maritime. Quoique Audierne ne pêche pas exclusivement lasardine, ses pêcheurs, qui arment une centaine de barques, comptentparmi les plus actifs sardiniers du Finistère et contribuent pour unebonne part à la prospérité d'une pêche et d'une industrie dont lerendement joue dans notre péninsule bretonne un rôle si important et siutile à l'ensemble du commerce maritime français.

13. — 288 ter (série 57). Le port de Concarneau.
 
Le plus grand port sardinier de la côte sud du Finistère estConcarneau. Ville de 5,000 habitants, Concarneau est une ancienne placeforte du XIVe siècle qui joua son rôle dans les guerresanglo-françaises et dans les guerres de religion. Installée sur un îlotla vieille Ville, la « Ville Close » comme on l'appelle, apparaîtgarnie de ses vieux remparts historiques que nous apercevons ici ; ellene communique que par un seul pont avec la ville neuve construite surla terre ferme. C'est dans ce, petit bras de mer, au pied de cesremparts, bien à l'abri du gros temps du large, que les 500 barques deConcarneau tiennent leur mouillage. De plus Concarneau possède unaquarium, laboratoire de pisciculture qui joue dans l'étude desquestions de pêche un rôle déjà important, mais qu'il faut souhaiter devoir encore grandir. Dans ce port bien abrité, entre chaque sortie, lesbarques viennent ainsi que nous les voyons en ce moment faire sécher ausoleil et à la brise leurs filets ténus à mailles innombrables etminces, garnis de flotteurs de liège, que l'on hisse en tête de mâtcomme une dentelle légère pour les mieux livrer au vent.

14. — 175 ter (série 57). Le port de Quiberon.

Dans le Morbihan le port de Quiberon — dans la presqu'île du même nom,restée célèbre par le désastre complet qu'y essuya en juin 1795l'expédition des émigrés essayant de rentrer en France avec l'appuid'une flotte anglaise — est également un port de pêche à la sardine.

15. — 209 (série 57). Belle-Isle port du Palais.

En face de Quiberon, à 16 kilomètres en mer, s'élève à une quarantainede mètres en moyenne au-dessus de la mer, la plus importante des îlesmorbihannaises, mesurant environ 48 kilomètres de circonférence,Belle-Isle, célèbre  dans toute l'histoire de la péninsulebretonne, qui eut à combattre plusieurs fois les attaques des Anglais.Belle-Isle, qui compte environ 11,000 habitants, arme une quantitéassez considérable de barques pour la sardine, le homard et le thon.
 
Ses côtes, qui comptent parmi les plus sauvages, les plus dangereusesde la Bretagne, exposées aux tempêtes du large, sont baignées par deseaux extrêmement poissonneuses et la contribution de Belle-Isle pourl'industrie sardinière est importante. Le port du Palais dont nousavons en ce moment une vue sous les yeux est le meilleur et le plusfréquenté de l’île. Dans les eaux de Belle-Isle viennent même pour lapêche bon nombre de barques de ports continentaux, par exemple desbarques de Concarneau, pour profiter du passage des bancs de sardinesaux atterrages de Belle-Isle et de ses deux petits îlots voisins, Houatet Hoedic.

16. — 11,144 (série 100). Le port de Nantes.

L'ancien grand port de l'embouchure de la Loire, supplanté aujourd'huicomme mouvement maritime par. Saint-Nazaire, plus proche de la mer,Nantes reste cependant un des points de centralisation du commerce etde l'industrie des conserves alimentaires. Et Si nous ne pouvonscompter Nantes comme un port sardinier, il nous faut cependant le fairefigurer comme un des points les plus importants de l'industriesardinière.  

17. — 577 (série 57).    Le port de Royan.

Enfin pour terminer cette revue des ports sardiniers du littoralfrançais sur l'Atlantique, mentionnons le port de Royan qui pêche parsa flottille un nombre imposant de ces petits poissons dont le rôle estsi considérable dans l'ensemble du commerce maritime français.

______________

Après cette rapide revue des points de pêche, voyons maintenant commenten Bretagne se pêche et se prépare la sardine.

18. — 215 ter (série 57). La flottille des barques à Camaret.

La sardine se pêche au moyen de barques dont nous avons déjà euoccasion de voir des spécimens dans les projections précédentes et dontvoici de nouveaux exemplaires. La flottille que nous avons en ce momentsous les yeux est celle du petit port de Camaret.
 
La caractéristique générale de ces barques est partout la même et lesseules différences qui s'observent d'un port à l'autre sont bien plusdes différences de détail que de fond.

Ce sont des barques non pontées, longues environ de dix à douze mètres,gréées de deux mâts mobiles à voiles rectangulaires, armées de deux ouquatre avirons ayant à peu près la même longueur que le bateau lui-mêmeet montées par cinq à huit hommes dont un mousse. Ces barques varientlégèrement de forme suivant les localités. Celles de Camaret sont pluscourtes, leurs deux mâts ont la même inclinaison, leur avant est droit,leur arrière est carré. Celles de Douarnenez sont plus longues, leurmât de misaine plus incliné que leur grand mât porte des voiles plusvastes que cette disposition fait croiser l'une sur l'autre, ce quioblige l'équipage à amener toute la toile pour virer de bord ; leuravant est incliné en taille-mer, leur arrière est arrondi et leurgouvernail même est différent. Les Concarneau ressemblent auxDouarnenez comme mâture, mais certaines coques rappellent laconstruction de Camaret. Toutes ces différences, très importantes pourl’œil exercé d'un marin, ne sont guère sensibles au simple terrien etsi elles entraînent des conditions de pêche spéciales pour chaque port— comme par exemple de permettre aux Douarnenez d'aller plus loin enmer et de rester plus longtemps que les Camaretois — elles ne changent,absolument rien à la pêche elle-même.

19. — 290 ter (série 57). Marins allant rejoindre les barques.

Le moment du départ arrivé, chaque équipage emmenant avec luiprovisions et engins de pêche rejoint son bord, ainsi que nous levoyons ici, au moyen d'un petit canot vigoureusement manié à lagodille, par un des pêcheurs.

20. — 287 bis (série 54). A l'avant d'une barque sardinière.

Nous voici à bord.

S'il fait un temps douteux, chaque homme a vite fait de revêtir lecostume protecteur dont nous voyons ici pourvu le patron de la barque àbord de laquelle nous nous trouvons — le « ciré » ou « cirage »imperméable, vêtement gras et huilé sur lequel glissent également bieneau de pluie et eau de mer et que complète un chapeau semblable commematière, chapeau à visière et à couvre-nuque appelé « suroît », carc'est par les mauvais temps de pluie amenés par le vent de suroît ousud-ouest qu'on est amené à le coiffer le plus fréquemment.
 
L'aménagement intérieur de la barque est d'une simplicité extrême : unecale couverte sous les pieds pour mettre le poisson, quelques bancs,une petite armoire à l'arrière sous la barre du gouvernail ; puis tousles engins de navigation, voiles, rames, gaffes, cordages et filets.

21. — 292 ter (série 57). Bateaux à l'entrée du port de Concarneau.

Parvenus sur les lieux de pêche, voici comment on procède.

Les voiles sont carguées, les mâts abattus ; l'on sort ces grands etlourds avirons quel vous apercevez ici posés à plat sur les bordages.Lentement, sans bruit, l'équipage entier se met à peser sur ces grandsavirons pour mettre la barque en mouvement et, pendant ce temps seul àl'arrière, le patron debout mouille lentement ce mince filet auxmailles étroites que nous avons vu accroché pour sécher aux mâts desbarques dans les différents pays que nous avons visités jusqu'ici. Cegrand filet, mesurant vingt, trente, quarante mètres de longueur surune hauteur de huit, dix eu douze mètres, formant ainsi une nappe pluslongue que haute, est fait d'un fil extrêmement ténu, parfais même ensoie. Un rang de flotteurs en liège à la partie supérieure, une ligneplombée à la partie inférieure font tenir droit dans l'eau ce filet queles pêcheurs teignent en cachou, en vert ou en bleu gris.
 
Mais la sardine qui ne se tient pas à la surface ne viendrait pointtoute seule se prendre dans ce filet si on ne la faisait monter enexcitant sa gourmandise et sa voracité. L'appât employé par lespêcheurs pour prendre la sardine se nomme la « rogue ». La rague estcomposée d'œufs de morue, friandise coûteuse qui vient de Norvège enpetits barils et que la sardine aime à l'exclusion de tout autre. Cetappât qui se vend un prix fort élevé n'a pas encore de remplaçantsmeilleur marché ; on a bien essayé diverses compositions comme parexemple de la farine d'arachides, mais le poisson ne veut que de larogue et ne « lève » pas quand on lui donne tout autre matière. Ce sontprécisément les spéculations sur la rogue — spéculations dont lerésultat fut de faire monter à 130, 140,150 francs en Bretagne le barilde rogue qui à Bergen en Norvège vaut de 40 à 50 francs — qui ont étéplus spécialement causes de la crise terrible traversée en 1902-1903par la pêche sardinière et de la famine qui s'en est suivie enBretagne. Un baril de rogue ne fait en effet que deux à trois jours depêche et à un prix pareil les pêcheurs ne peuvent en achetersuffisamment pour rendre leur pêche productive.

Voici, pour animer par un joli tableau littéraire cette scène de lapêche, un passage que nous empruntons à un ouvrage bien connu duromancier Gustave Toudouze, un des meilleurs romans qu'il ait écritssur la Bretagne « Péri en Mer ! ».La scène se passe précisément aularge des Tas de Pois, à l'entrée de l'anse de Dinan.

« A l'avant deux hommes debout pèsent sur les avirons énormes, nageantvigoureusement contre le courant, et s'efforcent de maintenir la barqueimmobile à la même place pour que le filet, tendu comme un rideau à latraîne, reste immergé toujours droit ; les mâts sont couchés, lesvoiles repliées et roulées, toute l'embarcation rasée comme un ponton.A l'arrière, du geste superbe et régulier du semeur distribuant legrain fécondant, Hervé Guivarc'h, de la main droite puisant à pleinespoignées dans un barillet placé à sa portée, jette à droite et à gauchela rogue, comme une semence précieuse lancée au sillon de la mer, oùelle doit germer aussitôt et donner une moisson instantanée... Hervé aterminé sa besogne de patron, Lagadec et Tréboul manient toujours lesgrands avirons ; puis, au bout de quelques instants, des centaines debulles d'air crèvent à la surface, un immense éclair d'argent luitentre deux eaux et le filet coule à pic : le poisson est pris.Doucement il est retiré, et tandis qu'un autre est immédiatement placéà l'arrière pour le remplacer, on secoue le premier, brasse par brasse,sans toucher la sardine prise par les ouïes dans les mailles ; ilssavent bien que le moindre contact de la main suffit pour l'abîmer. Peuà peu tout le fond de la cale s'emplit... Le jour baisse ; les filetssont tous ramassés, l'embarcation est pleine. On remet les mâts enplace, on hisse les voiles, et la « Marie-Anne », s'inclinant sous labrise qui augmente, se dirige vers le Toulinguet dont le profil sedessine au nord. »    (Gustave Toudouze.)

22. — 381 (série 53 bis).    Marsouin.

Mais la pêche n'a pas toujours lieu avec cette régularité propice etsouvent lorsque la sardine, suivant l'expression courante, se met à «travailler » quelque désagréable intrus entre en scène.
 
Extrêmement avides de sardines, les marsouins, dont souvent de la côteou du pont d'un bateau on s'amuse à suivre de l'œil les bondsfantasques et les jeux, poursuivent les bancs en marche et leurvoracité ne se laisse pas le moins du monde effrayer par le voisinagedu pêcheur. Le marsouin franc, à bec de cane, n'est pas le plusredoutable, car sa gueule mal armée ne lui permet pas de trouer lefilet dans lequel il vient donner, et il se laisse assez facilementnoyer dans les mailles de ce filet. Mais il en est une autre espècedont la gueule disposée sous le ventre comme celle des requins estpourvue de dents aiguës : celui-là guette le moment où la sardine semaille, et trouvant alors sa capture plus facile se jette sur le filet,le déchire et en dévore les débris pêle-mêle avec les poissons capturés.
 
En vain contre ces marsouins a-t-on essayé durant l'été de 1902 dans labaie de Douarnenez les obus des petits canons à tir rapide dont sontarmés les torpilleurs, les résultats obtenus n'ont pas été à la hauteurde l'effort donné. La peau de ces animaux épaisse, visqueuse et, dure,renforcée d'une couche de graisse les rend difficilement pénétrablesaux meilleurs projectiles de ces petites pièces ou des carabines deguerre à balles coniques, voire même des mousquetons Lebel. Contre cesvoraces destructeurs il n'y aurait guère d'utile que le harpon ou legrand filet solide. Ce serait une vraie chasse à organiser sur une basesérieuse.

23. — 280 ter (série 57). L'arrivée des bateaux sardiniers.

Une fois la pêche — calme ou troublée par les marsouins — terminée, lesbateaux en toute hâte rallient le port le plus proche : car la sardineest un poisson qui ne se conserve pas longtemps frais et il faut,aussitôt péché, aller le porter aux usines où il doit être traité.Aussi voit-on atterrir à la jetée, au môle ou au quai, les bateauxrevenus du large, et, guettés par les représentants des diverses usinesdu port, les pêcheurs débarquent, portant leur butin méthodiquement etproprement rangé dans des petits paniers contenant chacun deux centspoissons, tandis qu'en tête de mât se balancent déjà les filets mis ausec et que, de toutes parts, arrivent de la houle mer de nouvellesbarques.

24. — 201 ter (série 57). Sardinerie à Sauzon (Belle-Isle) (1).
 
Souvent pour que le chemin soit moins long à parcourir, l'usine àsardines, la « friture » pour lui donner son vrai nom, est installée aubord même de la mer. Tel est le cas pour cette usine que nous avons ence moment sous les yeux et qui est un de ces établissements que l'ontrouve si nombreux tout le long du littoral de la Bretagne. Nous sommesici à Sauzon, un des petits cantons de Belle-Isle et nous voyons, aupied de l'usine si pittoresquement installée au fond de cette criquerocheuse, les barques apporter leur poisson. C'est maintenant la partieindustrielle qui commence : quittons, afin de suivre ce travail, lesbarques sur lesquelles nous avions pris passage, et pénétrons, à lasuite du poisson que nous venons de voir pécher, dans l'usine où on valui faire subir un traitement assez compliqué.

25. — 203 ter (série 57). Etêtage des sardines.

Tout d'abord, dès que nous franchissons le seuil, c'est une fade odeur; d'huile chaude qui nous prend à la gorge. En ligne, debout de chaquecôté d'une grande table creuse, deux longues files de femmes, chacunearmée d'un couteau de bois, travaillent en chantant à tue-tête. Surcette table les pêcheurs qui entrent jettent à la volée le contenu deleur panier, et d'un seul coup de leur petit tranchet de bois cesfemmes appelées « friturières » (en breton « fritouzen ») arrachent àchaque sardine la tête et les entrailles. Têtes et entrailles jetéesdans de larges baquets seront revendues aux pêcheurs et sous le nom de« strong » constitueront un appât excellent pour le maquereau etd'autres poissons. Ce travail des femmes est pénible, et, quand lapêche donne, le poisson ne pouvant attendre sans se perdre, se prolongesouvent fort avant dans la nuit, tandis que les chansons au refrainrepris en chœur empêchent les travailleuses de s'endormir de fatiguetout debout.

26. — 204 ter (série 57). Cuisson des sardines.

Une fois ainsi vidée et bien nettoyée, la sardine est cuite. « Degrands feux sont allumés, dit Sauvage ; dans d'immenses chaudièreschauffe de l'huile d'olives de qualité supérieure venant du midi le laFrance ou du sud de l'Italie. Lorsque l'huile vient à entrer enébullition, les sardines, placées par couches dans des paniers en filde fer, sont plongées dans les chaudières, où elles restent le tempsnécessaire ; elles sont alors déposées sur des tablettes où elless'égouttent. »

27. 202 ter (série 57). Séchage des sardines.

Aussitôt que les sardines sont bien égouttées, les paniers en fil defer sont transportés dans la sécherie : là, placés en plein air sur destables, sur de larges claies d'osier, ils sont exposés au vent, et entrès peu de temps les poissons sont séchés ainsi. Il reste une dernièreopération à faire avant de les mettre en boîte, le triage suivant laqualité et la taille. C'est cette taille qui détermine le nombre despoissons à mettre dans une boîte : or ce nombre peut être très variableainsi que le prouvent les chiffres que voici : il est des sardines depetite taille dont il faut 80 ou 85 individus pour faire un kilogrammeet d'autres de grosse taille dont une dizaine pèsent un kilogramme,avec toute la gamme intermédiaire des sardines dont, respectivement,une vingtaine, une trentaine, une quarantaine font le kilogramme.

28. — 205 ter (série 57). Emboîtage des sardines.

Ces proportions arrêtées, les sardines sont enfermées en boîtes et cesboîtes sont remplies d'huile de première qualité à laquelle pourrelever un peu le goût on ajoute parfois des épices. Ici s'arrête lerôle des femmes qui ont jusqu'alors suffi à toutes ces opérations.Celui des hommes commence.

29. — 206 ter (série 57). Soudage des boîtes.

Les boîtes sont portées à l'atelier des soudeurs, où des hommes,chargés de ce soin, soudent le couvercle. Comme la moindre fissuredonnant passage à l'air ferait gâter le poisson on vérifie chaque boiteen la plongeant dans l'eau bouillante ce qui fait gondoler toutescelles dont la fermeture n'est pas étanche. Une fois toutes cesopérations terminées, on colle les étiquettes, on met en caisse et l'onn’a plus qu'à expédier à travers le monde.

Comme ces boîtes de fer-blanc et ces caisses sont fabriquées à l'usinemême, généralement par des enfants que l'on a initiés de bonne heure àce travail de découpage que facilite l'emploi de machines, on voit doncque la pêche à la sardine et sa préparation font vivre un pays toutentier : pêcheurs, friturières, soudeurs, fabricants de boîtes,c'est-à-dire hommes, femmes et enfants. Toute la Bretagne côtière deBrest à Nantes, cent mille personnes en chiffres ronds, vivent de lasardine. Et comme cette pêche et cette industrie sont extrêmementexclusives, exigent un outillage spécial qu'on ne peut du jour aulendemain transformer en cas de besoin pour un autre poisson, et nepermettent guère d'autre travail, on comprend très bien comment, en casde crise, une population entière peut se trouver, comme nous l'avons vuen 1903, acculée à la famine.
 
Quelques chiffres montreront l'importance de cette industrie pour nousprimordiale : prenant comme points extrêmes Plendiben et Noirmoutier,voici ce que la pêche de la sardine a rapporté à la Bretagne durant leseul mois d'Octobre 1898.

la pêche à la sardine (1903)

C'étaient là véritablement de bonnes années et pour qu'en 1903 ait puse produire la crise effroyable que vous savez et dont la France estencore tout émue, il faut véritablement que les spéculations sur larogue et l'invasion de marsouins voraces aient causé un tort inouï. Cesdeux causes de misère ont failli tuer net une industrie qui est aupremier chef une industrie nationale.
 
En effet, dès 1558, un auteur, Rondelet, nous apprend que l'on conservela sardine en France de la même manière que les anchois.

Duhamel du Monceau, écrivant, au XVIIIe siècle, nous apprend qu'avant1792 nos ancêtres saumuraient la sardine comme le hareng, mais que verscette époque on renonçait à ce procédé pour employer une méthode, selonlui, préférable, appelée « maelstram » car elle venait de la ville deMaelstram en Norvège et qui parait être l'ancêtre immédiat de celle parlaquelle, au cours du XIXe siècle, on préparait la sardine dite «pressée », industrie qui depuis quelques années a beaucoup perdu,reculant devant la préparation à l'huile.
 
L'invention de la fabrication de la sardine à l'huile date de 1825.Dans « La Grande Pêche », Sauvage raconte en ces termes cette histoire :
« Cette idée est attribuée à un honorable magistrat, juge alors autribunal civil de Lorient qui, portant intérêt à une vieille demoisellede sa connaissance, nommée mademoiselle Le Guillou, l'engagea à essayerde cuire et de conserver à l'huile quelques centaines de sardines, pourles envoyer à des épiciers de Paris ; l'essai réussit et la fabricationaugmenta avec les demandes. Ce magistrat lui fournit par la suite lesmoyens de fabriquer en grand et comme l'affaire, en prenant del'extension, rapportait de beaux bénéfices, il donna sa démission dejuge, monta un établissement important à Lorient et devint le premierfabricant de Sardines à l’Huile »
 
Nous avions donc bien raison de dire en commençant que la pêche et lapréparation de la sardine sont pour nous au premier chef une pêche etune industrie nationales.
 
Quoique ayant pour théâtre essentiel, prépondérant, la Bretagne et sescôtes, cette pêche n'est pas seulement une pêche bretonne.

30. —    Pêcheurs de sardines au Château d'If.

Elle se pratique aussi en Méditerranée, où Cette est pour elle le portprincipal. La sardine se capture tout le long du littoral du Golfe duLion, et pour vous en donner un exemple intéressant, il nous suffira demettre sous vos yeux cette photographie représentant des pêcheurs entrain de relever leurs filets au pied de ce célèbre et historiqueChâteau d'If qu'Alexandre Dumas père a illustré dans son fameux romande « Monte Cristo ».
 
Mais si l'on pêche la sardine sur les côtes françaises de laMéditerranée, si on la pêche sur les côtes espagnoles et portugaises,c'est la Bretagne qui est à la tête de la pèche et de l'industriesardinières.

C'est sur ses côtes que la sardine a son lieu d'élection et que lemouvement maritime qu'elle occasionne est le plus considérable. Nous enavons vu maintenant tous les détails, nous en connaissons toute lavaleur, nous savons que nos sardines à l'huile parcourent le mondeentier et qu'elles sont une des sources principales d la richesse quinous vient de la mer. Souhaitons que des études sérieuses, bienconduites, bien approfondies, aient pour résultat non seulementd'empêcher le retour de calamités comme celles de l'hiver de 1903, maisencore d'accroître cette pêche et cette industrie dont vit la provincequi fournit à la France la meilleure part de sa puissance maritime.

UN ARGONAUTE.


NOTE :
(1) Cette photographie et les cinq suivantes représentant le travaildans les usines à sardines, ont été communiquées aimablement par MM.Amieux, de Nantes, les grands fabricants de sardines à l'huile à qui lamaison Mazu renouvelle ici l'expression de ses remerciements.


Le Bayard - Mazo (1903)

Hélios - Mazo (1903)